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Notes critiques

Xavier Nerrière, 2014, Images du travail. Les collections du Centre d’histoire du travail de Nantes, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 172 p.

Françoise Laot
Référence(s) :

Xavier Nerrière, 2014, Images du travail. Les collections du Centre d’histoire du travail de Nantes, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 172 p.

Texte intégral

1Ce très bel album grand format présente en huit chapitres les fonds photographiques du Centre d’histoire du travail (CHT) de Nantes. Le texte accompagne une iconographie riche de près de 180 images de tailles variables, certaines en pleine page, extraites des collections du CHT. Exceptées quelques affiches ou reproductions de Unes de quotidiens régionaux ou locaux, ce sont pour l’essentiel des photographies prises, par des professionnels ou par des amateurs, entre 1880, pour la plus ancienne, et les années 1990. Elles sont toutes reliées d’une façon ou d’une autre au monde du travail. Chacune d’entre elles est légendée d’une manière parfois très détaillée qui donne à comprendre les conditions de sa production et/ou de sa conservation. Loin d’être uniquement descriptif, l’ouvrage propose également un questionnement approfondi sur l’archivage, la conservation et la valorisation de fonds photographiques, ainsi qu’une réflexion sur les usages sociaux de la photographie et son l’utilisation en tant que source historique.

Image 1. Images du travail. Les collections du Centre d’histoire du travail de Nantes

Image 1. Images du travail. Les collections du Centre d’histoire du travail de Nantes

L’archiviste et les photographies

2Les collections de fonds du CHT, estimées à près de 50 000 images, ne se sont pas constituées par hasard, même si l’élément déclencheur n’avait sans doute pas été anticipé. C’est en 1981 que la FDSEA de la Loire atlantique dépose un nombre important de photos au Centre de documentation du mouvement ouvrier et du travail (CDMOT) tout juste créé et qui deviendra le CHT en 1994. Ce premier dépôt sera complété quelques années plus tard pour former un fonds représentant près de 30 ans de vie du syndicat agricole. Pour faire connaître le centre de documentation au grand public, des expositions sont très vite organisées. Étant donné le poids économique et historique des chantiers navals sur la région, l’une d’elles porte sur les lancements de navires. Elle permet de recueillir plus d’un millier de clichés. Daniel Sicard, alors animateur au CDMOT, se saisit de ces opportunités pour lancer l’idée de la création d’un fonds iconographique. Il souhaite en effet pouvoir illustrer l’histoire du monde du travail. Les membres de la jeune équipe multiplient donc les appels aux dons mais constatent que les photographies, chargées d’émotions et de souvenirs, sont bien plus difficiles à obtenir que d’autres documents. Leurs détenteurs rechignent à s’en séparer. Ils imaginent alors solliciter des prêts afin de reproduire les images qu’ils répertorient, documentent puis classent. C’est un travail de fourmi, fait de bricolage et d’improvisation, car la masse documentaire s’accumule et avec elles, les difficultés. Arrivent d’autre fonds : des archives de photojournalistes professionnels ou de périodiques, celles d’autres syndicats. Dès lors, les images affluent de toute part, rarement sous forme de séries bien identifiées, le plus souvent de manière éparse, glissées au milieu d’autres documents, sans autre information. Il faut tenter de reconstituer un ensemble de données sans lesquelles elles sont inutilisables en interrogeant les déposants ou les personnes que l’on a réussi à identifier sur les tirages : qui a pris cette photo ? À quelle date ? Dans quel but ? Dans quel contexte ? etc. Bien entendu, toutes les informations ne sont pas récupérables. Quelques fois, par chance, les négatifs ou des planches contacts ont été versés dans le dépôt ; ils donnent de précieux indices sur les circonstances des prises de vue et permettent de voir que les meilleurs tirages ont parfois disparu… Ce n’est donc pas à une simple opération de recueil que se livrent les salariés du CDMOT puis du CHT, mais à un véritable travail d’enquête archéologique.

Images du travail ou images des travailleurs et des travailleuses ?

3Longtemps, les images d’entreprises représentent tout sauf le travail. Elles montrent des ateliers vides (des alignements de machines « modernes ») ou bien des groupes d’ouvriers dans la cour devant l’usine, organisés à la mode des photos de classe, les un-e-s assis devant, les autres debout derrière. Les conflits sociaux sont d’autres moments très photographiés. On y voit des travailleurs encore une fois hors les murs, en défilés dans les rues ou bien, à partir de 1936, au cœur des usines occupées, dansant la farandole. Mais le travail n’y est toujours pas présent. C’est la même chose en milieu rural. Les fonds contiennent de très nombreuses photos de fêtes agricoles ou de groupes au repos, mais les travaux des champs n’y sont que très rarement représentés. Les fonds du CHT contiennent donc bien plus souvent des images des travailleurs que des images du travail.

4Au début du XXe siècle, l’absence de travail en acte dans les images s’explique par des raisons techniques : les longs temps de pose excluaient le mouvement ou transformaient les travailleurs en fantômes. Par la suite il faut aller chercher d’autres raisons dans les circonstances des prises de vues. Si le photographe est un professionnel missionné par le chef d’entreprise, celui qui coopère à ce projet patronal en se faisant photographier peut facilement se faire traiter de « lèche-cul » (p. 153). Est-ce la raison pour laquelle peu de volontaires s’y résolvent ? Si le photographe est un collègue de travail – la pratique de la photographie par les ouvriers s’étend à partir des années 1930 - ne voudra-t-il pas plutôt saisir les moments de convivialité ou les événements exceptionnels (fêtes, déplacements professionnels…) plutôt que le quotidien répétitif, réputé peu intéressant ? Par ailleurs, il n’est pas aussi facile que cela pour un salarié de photographier au sein de son entreprise. En effet, écrit X. Nerrière, « la maîtrise de l’image sur le lieu de travail est le reflet d’un rapport de force » (p. 125). À la direction, on se méfie de l’utilisation qui pourrait être faite de ces prises de vue. C’est pourquoi celles des travailleurs sont souvent clandestines, ce qui ne garantit pas la qualité technique. Mais, même dans le cas de l’auto-représentation, les ouvriers sont le plus souvent montrés devant leur poste de travail, regardant l’appareil. Il s’agit là encore d’une pause, dans tous les sens du terme.

5Les images du travail font toutefois leur apparition dans les fonds du CHT et se généralisent dans les années 1980-1990 à travers des reportages, le plus souvent réalisés par des professionnels, qui montrent enfin véritablement les gestes professionnels. C’est un des grands mérites de cet ouvrage que de nous montrer les évolutions historiques sur la longue durée de cette relation compliquée entre image et travail.

A chaque fonds son histoire particulière

6Dans les fonds du CHT, comme ailleurs, les travailleuses sont très largement sous-représentées. L’auteur explique que les photographies sont également presqu’exclusivement produites par des hommes (p. 168). Deux exceptions confirment cette règle. En 2011, le CHT reçoit les archives d’Hélène Cayeux, ancienne photographe à Ouest-France et à l’Agence France-presse. Pendant 20 ans à partir de 1976, elle a pris de très nombreuses photos, notamment en entreprises et l’on y voit des travailleuses. Elle a aussi couvert des mouvements sociaux, comme le mouvement des infirmières de 1988 (p. 77). Après classement, ce fonds représente plus d’une trentaine de boîtes archives de négatifs et de tirages, dont une dizaine est publiée dans l’ouvrage. Fallait-il que la photographe soit une femme pour que les travailleuses acquièrent enfin une visibilité ? Mais une question reste en suspens : est-ce un parti pris de l’auteur d’avoir très majoritairement sélectionné dans ce fonds des représentations de femmes au travail ou bien est-ce un reflet du choix d’H. Cayeux ? Dans la légende de la photographie d’une ouvrière très concentrée à son poste de travail à l’usine Saunier-Duval, il est indiqué : « la photographe donne l’impression de ne pas perturber ses sujets, elle prend sans doute le temps de se faire accepter au point de se faire oublier » (p. 78). Une autre vue, qualifiée par l’auteur de « vraie fausse photo de travail », retient l’attention. Elle semble montrer une banale scène d’usine, avec une dizaine d’ouvrières à leur poste, mais ce sont en fait des grévistes « jouant aux travailleuses ». « Il y a, souligne X. Nerrière, du Chris Marker dans cette image » (p. 105). Il précise en note qu’il n’a pas pu interviewer Hélène Cayeux en raison de son état de santé. Son témoignage ne restera donc qu’à travers ses images.

7L’autre exception est un lot de 157 photos prises entre 1938 et 1950 en milieu rural par des jeunes femmes dont il ne reste que les prénoms au dos des tirages. L’histoire de cette série n’est pas complètement élucidée. Chaque image y est méticuleusement légendée avec des données sur le matériel utilisé, ce qui est assez rare. Plusieurs indices suggèrent que les clichés ont été réalisés pour un concours photo organisé par la JACF (Jeunesse agricole catholique féminine) en 1950. Aucune de ces photographes n’a pu être retrouvée pour être interviewée…

8Lorsqu’il possède suffisamment d’informations, recueillies pour certaines à travers les quelques entretiens effectués pour la réalisation de ce livre, l’auteur raconte l’histoire de la constitution des fonds et explique les circonstances de leur arrivée au CHT. Ceux des syndicats (UD CFDT, CGT, CGT-FO, ainsi que la FDSEA-Confédération paysanne) recèlent de nombreuses images des mouvements sociaux prises par des syndicalistes (dont certains deviennent les reporters attitrés du syndicat) et par des photographes professionnels. L’hypothèse d’une co-production entre ces deux types d’acteurs est avancée, Nerrière souligne en effet la proximité des photographes quels qu’ils soient avec les syndicalistes et l’empathie pour la cause qui transparaissent dans les images. L’ouvrage présente quelques-unes des scènes de liesse de 1936 et des manifestations de 1968 ; la joie, l’enthousiasme et la détermination se lisent sur les visages. En contrepoint, l’image lugubre d’un conflit de 1979, « presque funèbre », avec au premier plan une rangée de manifestants ceints d’une écharpe « licencié », montre que les temps ont changé (p. 106). L’auteur en vient même à écrire qu’une des fonctions de ces fonds iconographiques n’est « pas seulement de conserver la mémoire de telle ou telle entreprise disparue, mais plus largement du souvenir de l’ère industrielle » (p. 167). Traces d’un passé révolu, les images entretiennent un lien avec la mort, comme plusieurs analystes l’ont souligné. En pointant le « ça-a-été » de Barthes, elles se chargent de nostalgie.

Des jalons pour une histoire de la photographie ouvrière ?

9Le pari du livre, qui était de partir d’une masse de photographies pour tenter d’en dégager les grandes caractéristiques et proposer une ébauche d’une « histoire populaire de la photographie », semble tenu. Soulignons l’aspect très pédagogique de cet ouvrage, qui propose en outre quelques encadrés sur des thèmes spécifiques : les formats d’image, les problèmes posés par la numérisation, ou encore les aspects juridiques liés à la photographie… De plus, des discussions sur la manière dont le recadrage peut conforter le message, avec illustration à l’appui, ainsi que quelques lectures d’images s’avèrent également très intéressantes. Ainsi ces deux photographies prises juste avant et juste après le lancement réussi d’un cargo. Dans la première, tout, dans les postures et les regards, des officiels comme des travailleurs, trahit la tension du moment. Dans la seconde, le soulagement se rend visible.

10Regrettons toutefois de ne pas disposer en annexe d’un récapitulatif synthétique des fonds évoqués avec leurs principales caractéristiques (provenance, dates, types d’images et importance du fonds), qui serait bien pratique. Ayant visité le site Internet du CHT, j’ai pu me rendre compte que ces informations n’étaient pas non plus directement disponibles en ligne.

11Profitons-en enfin pour relayer l’appel lancé par l’auteur aux chercheurs qui s’intéressent au monde du travail et qui mésestiment, selon lui, l’importance scientifique des images produites par les salariés eux-mêmes. Souvent, regrette X. Nerrière, les chercheurs qui prêtent attention aux témoignages écrits des ouvriers ne s’intéressent pas aux photographies produites dans les mêmes conditions. « Concrètement, ajoute-t-il, nous sommes quasiment confrontés à une absence d’outils conceptuels pour analyser un tel corpus » (p. 119). Souhaitons qu’il soit entendu et que les fonds du CHT – dont les photographies « d’auto-représentation des salariés » – soient prochainement exploités dans le cadre d’une recherche. Ce livre y incite : la mise en valeur d’une telle somme d’images et l’identification des multiples questions qu’elles soulèvent devraient incontestablement faire naître des idées et donner de nouvelles envies d’investigation.

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Table des illustrations

Titre Image 1. Images du travail. Les collections du Centre d’histoire du travail de Nantes
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Pour citer cet article

Référence électronique

Françoise Laot, « Xavier Nerrière, 2014, Images du travail. Les collections du Centre d’histoire du travail de Nantes, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 172 p. »Images du travail, travail des images [En ligne], 1 | 2016, mis en ligne le 01 février 2016, consulté le 05 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/itti/1398 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/itti.1398

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Auteur

Françoise Laot

Université de Reims Champagne-Ardenne, Cérep

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Droits d’auteur

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