Consultation d’acupuncture, Bâle, avril 2015
© G. Remillet
- 1 Cette recherche est menée par Lucia Candelise, Gilles Remillet et Matthias Sohr dans le cadre du pr (...)
1La photo a été prise en 2015 en Suisse lors d’une enquête anthropologique utilisant les images comme outil de recherche1. Le travail concernait la pratique de la médecine chinoise.
2Deux personnages, une femme et un homme, sont assis face à face, séparés par un bureau. L’homme tient avec la main droite le poignet droit de la femme. On aperçoit sur le bureau un moulage d’oreille, ainsi qu’un objet décoratif représentant deux feuilles de ginkgo stylisées. Au mur sont accrochées une calligraphie chinoise et la reproduction d’un estampage, portrait en pied d’un homme âgé.
3Le geste effectué par le personnage de droite nous montre que c’est un praticien de médecine chinoise en train de prendre les pouls, l’une des méthodes de diagnostic. La palpation s’effectue à trois emplacements de l’artère radiale ; index, majeur et annulaire sont placés sur chacun, et l’on palpe avec différentes pressions. Les informations données permettent de repérer la maladie en reconnaissant un type de pouls.
4Le moulage de l’oreille, que l’on aperçoit sous le bras du praticien, nous renseigne sur une spécialisation de ce dernier, l’auriculothérapie ; cette discipline trouve son origine non en Chine mais en France, où elle a été développée par le Dr Paul Nogier au cours des années 1950 (Nguyen, 1989, 16), avec de nombreux points auriculaires à puncturer en considérant l’oreille comme un microcosme.
5Le ginkgo (Ginkgo biloba L.), un grand arbre aux feuilles bilobées, a été introduit de Chine en Europe au XVIIIe s. ; il est vite devenu, par son aspect exotique et le graphisme unique de son feuillage, symbole de l’Extrême-Orient.
6Enfin, les deux illustrations décorant le mur du cabinet apportent une atmosphère de « haute culture » chinoise. Alors que la plupart des cabinets de praticiens de médecine chinoise en Europe affichent sur leurs murs des schémas d’acupuncture ou des images liées au Yin et au Yang, ou aux cinq agents, le médecin a choisi d’évoquer la culture classique de l’Empire du milieu avec un portrait représentant Confucius (Cheng, 1991, 61). Les gros caractères situés en haut du portrait sont les suivants :
7Xianshi Kongzi xing jiao xiang 先師孔子行教像 (Portrait de Confucius en train d’enseigner)
8Enfin, sur la calligraphie accrochée à droite, l’expression en quatre caractères que l’on peut lire, gai shi wu shuang 蓋世無雙, est une belle publicité pour le praticien ; elle signifie « un être hors de pair »…
9L’ensemble de la photographie apparaît donc d’une extrême richesse sémantique. Deux éléments de l’image rejoignent les intérêts des savants et des missionnaires européens lors de la première grande rencontre de la Chine et de l’Europe, aux XVIIe et XVIIIe s. (Obringer, 2001). Mais l’image évoque aussi la circulation et la globalisation contemporaines des pratiques et des savoirs médicaux : à preuve ce médecin suisse prenant les pouls à la chinoise et spécialiste d’un traitement thérapeutique, l’auriculothérapie, adossé sur un corpus savant chinois mais développé en Europe.