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Les imaginaires dans les pratiques traductives

L’imaginaire philologique de la traduction : pseudo-traduction et redéfinition de la fiction au xvie siècle

The Philological Imagination of Translation: Pseudo-Translation and Redefinition of Fiction in the Sixteenth Century
Louis Watier

Résumés

Convention littéraire traditionnelle, une traduction fictive se définit comme un texte qui, ayant été directement écrit dans une langue, se présente comme traduit d’une autre, réelle ou imaginaire. En simulant la pratique traductive, la traduction fictive déplace alors aussi cette dernière dans le domaine de la représentation. En ceci, la fiction traductive se montre particulièrement propice à l’exploration de l’imaginaire traductif d’une époque et d’une culture données. Mais, dans la mesure où il détermine les usages de ce procédé littéraire, l’imaginaire traductif joue également sur le devenir de la littérature elle-même. C’est ainsi que l’émergence d’un nouvel imaginaire de la traduction à la Renaissance joue un rôle non négligeable dans la constitution du roman en tant que genre fictionnel.

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Texte intégral

1Imaginaire : ce qui ressortit à l’imagination et qui n’a donc pas d’existence réelle. Tel est le sens courant de l’adjectif selon la définition du Trésor de la langue française. Si c’est à Gilbert Durand (1960) que l’on doit l’introduction de la notion d’imaginaire dans le champ des sciences humaines, c’est plutôt à la définition qu’en donne Jacques Le Goff dans L’Imaginaire médiéval que l’on voudrait se référer. Critiquant l’irrationalisme des positions de Gilbert Durand, Jacques Le Goff définit en effet l’imaginaire comme la représentation mentale qu’un groupe se fait d’un objet, d’une pratique ou d’une idée, représentation naissant à la croisée de l’image, de l’idéologie et de la science (Le Goff 1985 : i-iv). Ni concept pur, ni théorie scientifique, ni valeur morale, ni loi régulatrice de l’action, mais le résultat de leur interaction, l’imaginaire se pense alors comme une représentation nourrie de tous les champs de l’activité humaine et non plus comme une structure les précédant ontologiquement.

2La traduction fictive, qui postule frauduleusement une source dont le texte que nous lisons serait la traduction, semble quant à elle relever d’abord du sens courant d’imaginaire. Mais parce qu’une traduction fictive simule la pratique traductive, elle déplace alors aussi cette dernière dans le domaine de la représentation. En ceci, et pour reprendre l’excellente formule d’Antonio Lavieri (2007 : 9), la traduction fictive offre « un savoir poétique, à la fois critique et ludique, sur le traduire » et se montre particulièrement propice à l’exploration de l’imaginaire poétique d’une époque et d’une culture. D’un point de vue strictement littéraire le mouvement inverse est également fondamental : comment l’imaginaire traductif d’une culture, en modelant un procédé littéraire topique, influe-t-il sur l’évolution de la littérature elle-même ?

  • 1 Voir Benoît de Sainte-Maure, Le Roman de Troie, v. 27-39, édition et traduction d’Emmanuèle Baumgar (...)

3Au Moyen Âge l’imaginaire de la traduction se révèle au prisme de la translatio, terme large qui désigne autant le passage du savoir d’Est en Ouest que la traduction et ses techniques fondées sur les arts poétiques. Chez Wace, l’auteur du Roman de Brut, le terme « translater » désigne ainsi la compilation de sources variées (Grint 1999 : 355). D’où le fait significatif que souvent le rôle de traducteur se confond avec celui de compilateur et d’historien (Duval 2011 : 48). Comprise comme un passage, la translatio est donc avant tout un mode privilégié de la perpétuation du passé : elle est historique. À ce titre la traduction est une activité valorisée et nombre de prologues mettent en avant l’obligation morale pour le clerc de divulguer son savoir1. D’autre part, la traduction repose aussi sur une hiérarchie des langues : d’un côté les langues sacrées grec, latin et hébreu, intangibles, grammaticales et porteuses de vérité, de l’autre les langues vulgaires (Lusignan 1986 : 31). La traduction, aussi étonnant que cela nous paraisse aujourd’hui, est un gage d’authenticité. C’est pourquoi nombre de scribes médiévaux allèguent une source imaginaire : se prétendre traducteur permet d’attester la vérité d’un récit à travers le prestige d’une langue ancienne. Mais l’émergence au xvie siècle d’une méthode de traduction nourrie par la philologie participe à défaire l’ordre des langues sur lequel reposait la traduction médiévale et encourage une vision critique de la transmission des textes, ce qui n’est pas sans effet sur la fiction traductive. L’argument linguistique destiné à prouver l’authenticité d’un texte perdant de son efficacité, il devient alors tentant d’en faire un contre-argument. La traduction ne garantissant plus l’authenticité d’un texte peut donc être employée pour en démontrer le caractère fictif. L’allégation d’une source traduite devient alors une convention par où se signale la fiction et contribue ainsi au développement réflexif du genre romanesque.

L’invention humaniste de la traduction philologique

  • 2 Programme que l’on trouvera exposé par Salutati lui-même dans sa lettre à Loschi sur la traduction (...)

4L’humanisme italien du Quattrocento est généralement considéré comme un tournant dans l’histoire culturelle occidentale. Véritable « renaissance » selon ses partisans, il serait fondé sur une redécouverte complète de l’Antiquité. Cependant, la révolution humaniste résulte en fait davantage d’un rapport rénové à l’Antiquité que d’une véritable redécouverte. Les auteurs du Moyen Âge, parce qu’ils se comprenaient dans la continuité de celle-ci, ne la rapportaient jamais qu’à leur propre univers culturel. L’humanisme, à l’inverse, l’envisagera dans son altérité, fondant un sentiment nouveau du temps historique. Cette rupture, au-delà de conjonctures politiques, économiques et sociales (Cloulas 1990), naît aussi des ultimes développements du latin au Moyen Âge. La multiplicité des langues vulgaires nées de ce dernier et les contacts qu’il a nécessairement entretenus avec elles l’ont profondément modifié. Assez rapidement et au sein d’un xive siècle particulièrement troublé cette mutation du latin est associée à une déchéance : pour Pétrarque déjà, la corruption de la langue signifie aussi la décadence de l’époque. Le retour à la pureté du latin classique prôné par les humanistes, à la suite de ce dernier, n’est donc pas seulement d’ordre esthétique, mais recouvre aussi un impératif éthique et politique. La prétention des humanistes à parler et écrire un latin parfait les conduisait inévitablement à privilégier, dans leurs traductions, l’éloquence à la littéralité2. N’y aurait-il pas là une contradiction ? Comment une traduction philologique, prêtant une attention extrêmement pointilleuse à la propriété des termes pourrait-elle se conjuguer à l’impératif d’éloquence ? C’est d’une certaine manière à cette question que répond le De interpretatione recta rédigé par Leonardo Bruni entre 1424 et 1426.

5Le texte est écrit en réponse à des critiques reçues sur la traduction de l’Éthique d’Aristote réalisée durant les années 1416-1417. Leonardo Bruni y défend à la fois sa traduction et la conception qu’il se fait de la meilleure manière de traduire. La rupture avec la tradition médiévale est en fait plus subtile. Où le traducteur médiéval pouvait se permettre de gloser un texte dont l’autorité l’obligeait cependant à une fidélité scrupuleuse et peu soucieuse d’élégance, Leonardo Bruni, en affirmant l’alliance de la connaissance et de l’éloquence, ordonne au traducteur de rendre à la fois le style et la pensée de l’auteur :

  • 3 « Cum enim in optimo quoque scriptore et presertim in Platonis Aristotelisque libris et doctrina re (...)

Chez tous les meilleurs écrivains, et surtout dans les livres de Platon et d’Aristote, on trouve en effet à la fois un contenu théorique et un style ; aussi ne sera-t-on un traducteur digne de considération que si l’on conserve l’un et l’autre3. (Bruni [1424-1426] 2008 : 636-638)

6À ses précédentes attaques contre le traducteur médiéval on avait pu répondre à Bruni qu’elles étaient injustes puisque ce dernier avait au moins le mérite de porter une œuvre à la connaissance de tous. Leonardo Bruni répond :

  • 4 « Dicere autem: non vituperationem, sed laudem mereri eum, qui, quod habuit, in medium protulit, ne (...)

Mais dire : il ne mérite pas le blâme mais l’éloge celui qui fit connaître à tous ce qu’il sut, voilà qui n’est pas du tout correct dans ces disciplines qui exigent de la compétence4. (Bruni [1424-1426] 2008 : 638)

7Lignes nullement si anodines qu’il y pourrait paraître : il ne s’agit de rien de moins que de rompre avec le fameux topos des traducteurs médiévaux où s’énonçait l’obligation morale pour le clerc de divulguer son savoir. Le mérite d’une traduction ne réside pas dans la transmission d’un savoir, mais dans la restitution d’un contenu dans sa forme originale. À la translatio médiévale, occupée de transmettre le discours d’une autorité, se substitue la traduction philologique qui restitue le style d’un auteur. En ceci la recherche de l’éloquence peut se conjuguer à la philologie : l’attention portée à la propriété des termes est destinée à restituer l’éloquence d’un auteur, une fois entendu que cette dernière n’a rien d’un simple ornement mais contribue à l’efficacité d’un discours singulier. Rendre leur aspect original aux classiques abîmés par les mauvaises traductions est une activité méthodique. Si traduire devient donc une activité critique, on serait tenté de dire que c’est essentiellement à travers la récupération d’outils rhétoriques à des fins philologiques. Voilà qui contribue à redéfinir les enjeux de la fiction traductive, la philologie humaniste, dans son désir même de retrouver la pureté antique du latin, achevant de démontrer, presque à contrecœur, l’historicité des langues classiques. Avec la critique humaniste, transmettre un texte ne consiste plus seulement à le copier, mais aussi à en établir une version authentique à partir de critères rigoureux et d’une connaissance de la tradition textuelle. L’établissement du texte contribue ainsi à une pratique critique de la traduction, où l’authenticité de l’original peut être remise en question. C’est en ce sens que la traduction participe à l’émergence d’une historiographie critique.

De la critique philologique à une nouvelle historiographie : la mort annoncée de la chronique

8Au xvie siècle l’histoire ne donne pas encore lieu à un enseignement autonome et reste subordonnée à d’autres disciplines. L’histoire appartient encore à un ordonnancement rhétorique des discours (Dubois 1977 : 27). Elle ne peut donc prétendre au nom de science, ne possédant ni idée ni méthode qui lui appartiennent en propre (28). C’est justement « la critique philologique des textes, opérée par les humanistes [qui] fit prendre conscience de la nécessité générale de repenser les problèmes de méthode » (30). Critique issue notamment des travaux de Leonardo Bruni et Lorenzo Valla. Le premier, en plus d’être « l’inventeur » de la traduction, serait aussi, selon Eugenio Garin, « le premier historien au sens moderne du terme » (Garin 2005 : 14), ce qui n’est d’ailleurs pas sans raison. De même que le travail préparatoire d’une traduction, le travail d’historien nécessite que l’on compulse le plus grand nombre possible de manuscrits afin de les comparer et de ne retenir que les plus fiables. Historien au sens moderne du terme, Bruni l’est parce qu’il est le premier à traiter les sources de manière critique, mais aussi parce qu’il se positionne contre la tradition des chroniqueurs du Trecento. L’historiographie brunienne rejette en effet les légendes ecclésiastiques (récits de miracles) et profanes (mythes) dont les chroniques abondaient. Dans son histoire de Florence il revient sur les fables concernant la fondation de la ville et les déclare non avenues (Fueter 1914 : 20). C’est la recherche du fait vrai qui prime. L’investigation de l’historien se limite à l’authenticité du fait et à la fidélité de sa relation, avec pour effet le refus de toute intrusion d’ordre théologique ou métaphysique dans le récit et l’explication des événements (Dubois 1977 : 31). Pour autant l’enquête historique demeure tributaire de la définition cicéronienne de l’histoire : opus unum hoc oratorium maxime (De legibus I, 1, 5). Nouvellement critique, l’histoire demeure un genre oratoire (Fueter 1914 : 11).

9Selon Carlo Ginzburg (2003 : 57), c’est à Lorenzo Valla qu’il appartient véritablement de dégager l’enquête historique de l’emprise cicéronienne : car si « Valla n’hésitait pas à mélanger dans la même œuvre rhétorique et philologie », c’est toutefois selon une conception aristotélicienne de la rhétorique retrouvée à travers Quintilien contre Cicéron. La conception aristotélicienne de la rhétorique repose sur un noyau rationnel qui est celui de la preuve logique. Cicéron a fait « prévaloir une vision de la rhétorique comme art de convaincre par les affects », dans laquelle la fonction rationnelle des enthymèmes ne joue plus qu’un rôle marginal (63-64). Profondément anti-cicéronien, Valla retrouve à travers le filtre de Quintilien, plus proche d’Aristote, le fondement rationnel de la rhétorique et l’importance de la preuve. Par là pouvaient alors se conjuguer rhétorique et philologie et advenir une histoire entièrement critique. Et c’est là toute la portée du geste de Valla dans son texte devenu emblématique de la nouvelle historiographie, La Donation de Constantin (De falso credita et ementita Constantini donatione declamatio) publiée en 1440. L’histoire ancienne avait beau être expurgée des fables médiévales, personne n’avait eu l’idée de vérifier l’authenticité des documents, tant de l’histoire antique que de l’histoire moderne. Valla établit que le document qui fondait les prétentions de la papauté au pouvoir temporel (selon lequel Constantin aurait fait don à l’Église de Rome d’un tiers de son empire, par gratitude envers le pape Sylvestre qui l’aurait guéri de la lèpre) est un faux, en montrant notamment que son rédacteur s’exprimait dans un latin entaché de barbarismes qui ne pouvait donc avoir été rédigé du temps de Constantin. Une telle attention à l’anachronisme linguistique est tout entière héritée de l’exigence de purification du latin portée par les humanistes du début du xve siècle. Selon Carlo Ginzburg, c’est ainsi le De interpretatione recta de Bruni qui aurait rendu possible la critique de Valla :

Bruni, en critiquant les hellénismes et les Barbarismes de la traduction précédente, Ouvrait la voie aux observations de Valla sur les hellénismes et les barbarismes qui prouvaient l’inauthenticité du décret de Constantin. (Ginzburg 2003 : 65)

10De Bruni à Valla la traduction devient un mode de la critique historiographique. Rien n’illustre mieux ce nouvel état de fait que l’exclamation indignée de Valla contre les manipulations éhontées des sources anciennes :

  • 5 « Si quis apud Grecos, apud Hebreos, apud barbaros diceret hoc esse memorie proditum, nonne iuberet (...)

Si l’on vous disait qu’une telle chose a été rapportée chez les Grecs, les Hébreux, les barbares, ne voudriez-vous pas, avant d’y croire, qu’on vous donnât le nom de l’auteur, qu’on vous présentât son livre et que le passage fût expliqué par un traducteur sûr5 ? (Valla [1440] 1993 : 52-53)

11L’ancienneté de la source, la dignité même de la langue, ne sont nullement garantes de l’authenticité d’un document. D’où la remobilisation particulièrement frappante ici du fidus interpres : celui-ci devient le critique par excellence, celui qui saura évaluer la pertinence d’une allégation sur la base de ses compétences linguistiques. C’est donc une vision nouvelle de l’autorité linguistique qui détermine l’émergence d’une histoire critique. Ce n’est pas seulement l’idée de l’historicité du latin, déjà énoncée par Dante, mais aussi la perception de ses strates successives qui permet une étude raisonnée des sources. Si la traduction – ou plutôt la conception philologique de la traduction – ouvre la voie à la critique des sources, cela ne saurait être sans effet sur l’allégation fictive d’un document original : c’est aussi là que se jouera la distinction entre la chronique / fiction et l’histoire. En 1514 Alain Bouchard, dans ses Grandes croniques de Bretaigne, pouvait ainsi distinguer l’une de l’autre selon des critères étymologiques :

Le nom de cronique se prent de cronon qui est un nom grec, qui vault autant a dire comme temps ou livre contenant les faiz & gestes de divers temps, compose par celuy qui a ce faire a este commis […]. Histoire vient de historin qui est interpreter veoir ou cognoistre. Par quoy ne doibt personne escripre histoire daucns faitz sinon diceux qui sont de son temps. Histoire selon son vray entendement est la recollection par escript des faitz presens a lescripvant lesquelz pour vetuste & antiquite se peuvent par apres eslongner de la mémoire des hommes. (Bouchard [1514] 1886 : f.8)

12Mais avec l’importance croissante de la philologie la distinction allait aussi se faire entre les chroniques qui accordent aveuglément une autorité livresque à une source ancienne, et l’histoire qui peut révoquer des textes pourtant reconnus comme authentiques depuis des siècles. De fait, le même Alain Bouchard traite encore les sources à la manière des chroniqueurs, c’est-à-dire en les compilant :

Ie qui suis Breton natif du pays de Bretaigne ay bien voulu examiner plus avant les anciennes hystoires & cronicques & les vieulx volumes & registres inuoluer : que iay quis & serchez es lieux ou lon a coutume de garder lettres de perpetuelle mémoire : & ce que ien ay peu trouver & extraire iay par escript redige succinctement & en brief. (f. 8)

13C’est une telle absence de distinction dans l’utilisation des documents qui séparera véritablement l’histoire philologique de la chronique, rapprochant définitivement celle-ci du roman. Ainsi Guillaume Budé évoque la niaiserie des auteurs qui ont jusqu’alors écrit l’histoire de France :

  • 6 « Qui postquam se in mari (ut uocant) historiarum ingurgitarunt, rerum gestarum commenta mirabilia (...)

Après s’être plongés dans une mer d’histoires, comme ils disent, ils déversent des récits d’exploits merveilleux devant un public d’ignorants. Quand parfois devant nous – qui avons émergé depuis longtemps d’un tel océan de fables – ils évoquent sérieusement et gravement leurs histoires, nous y prêtons l’oreille comme à d’agréables bouffonneries. Nous mettons ces bagatelles au même rang que les célèbres récits mythiques de la Table ronde, qui eux pourtant, charment leurs lecteurs par une habile et ingénieuse diversité et retiennent l’attention des illettrés par les étonnants attraits de leurs évocations6. (Budé [1530] 2011 : 92)

14Pour Budé les chroniques sont faites du même bois que les romans de chevalerie sans posséder cependant leur charme. La confusion entre les romans et les chroniques ne tient pas seulement à ce que les romanciers se veulent historiens véridiques, mais aussi à ce que les chroniques sont accusées de véhiculer des fariboles dignes seulement de ces mêmes romans. Les romanciers se prétendent des chroniqueurs, mais ces derniers ne valent pas mieux que des romanciers. En France, la raison d’une telle confusion provient d’abord du dérimage des chansons de geste et des premiers romans :

Au xiie et encore au xiiie siècle, les genres narratifs – chansons de geste, romans, vies de saints – sont bien distincts, et leur forme même, liée à un mode de diffusion particulier, interdit de les confondre : aux laisses en décasyllabes, homophoniques et assonancées des chansons de geste chantées, s’opposent les couplets d’octosyllabes à rimes plates des romans à lire. Mais ces distinctions s’effacent dès lors que les différentes œuvres sont mises en prose, et la généralisation de la prose au xive et xve siècle entraîne une sorte de confusion, de syncrétisme de la matière narrative, qu’elle ait été à l’origine épique, romanesque ou hagiographique. Les vieilles frontières entre les genres disparaissent et tout se mêle dans l’uniformité d’une prose qui revêt systématiquement le ton et l’apparence de la chronique. (Zink 1990 : 42)

15Les chroniques étaient souvent connues au xvie siècle à travers des traductions. Ainsi de La Mer des chroniques ou miroer hystorial de France « traduict de latin en vulgaire françoys » par Pierre Desrey, du Compendium de Francorum origine et gestis de Robert Gaguin (Paris, Jacques Anvers, 1530) ou de la Cronique et histoire faicte et composée par reverend père en Dieu Turpin (1527). Que les chroniques fussent aussi connues à travers des traductions, c’est là une autre raison, dont il ne faudrait pas sous-estimer l’importance, de la confusion entre chronique et roman : tout au long du xvie siècle les romans de chevalerie sont en effet remaniés et adaptés à la langue contemporaine. Si l’adaptation et le remaniement diffèrent beaucoup de ce que nous appelons traduction, les remanieurs n’en concevaient pas moins leur travail comme une forme de passage d’une langue dans une autre, notamment lorsqu’il s’agissait de mises en prose tardives de romans médiévaux ou de chansons de geste (Duché et Mounier 2015 : 917). Le privilège accordé aux imprimeurs du remaniement de Perceval le Gallois présente ainsi le roman comme une traduction :

Quil leur fust permis imprimer ung ancien livre intitule L’hystoire de Perceval le gallois, lequel acheva les entreprinses des Chevalliers de la Table ronde faict en rime & langaige non usite / lesquels ils avaient faict traduyre de ryme en prose & langaige moderne pour imprimer. (1530 : f. aa.ii)

16Souvent, comme le montre l’activité à ce titre exemplaire de Jean Wauquelin, le remanieur de vieux romans est également traducteur de chroniques. C’est pourquoi, lorsqu’il remanie Girart de Roussillon, Wauquelin procède à la façon d’un chroniqueur, c’est-à-dire en ayant soin de justifier la narration qu’il déroule sous les yeux de son lecteur. C’est que cette œuvre s’apparente davantage pour lui à un travail historique (Doutrepont 1969 : 345). C’est bien là ce qui rapproche l’adaptateur du chroniqueur, tous deux se livrant à une compilation érudite des textes :

Dans leur mise au goût du jour du fonds romanesque médiéval, les remanieurs font acte de philologie. Ils procèdent par sélection de titres et par confrontation de versions manuscrites concurrentes. (Duché et Mounier 2015 : 914)

17Il faudrait cependant nuancer ici le terme de philologie. L’érudition dont peuvent faire preuve les chroniqueurs n’a rien de la méthode philologique des humanistes. La confrontation des sources peut donner lieu à la discussion, le remanieur peut en appeler à des ouvrages historiques, il ne se livre cependant jamais à une véritable critique textuelle. L’ancienneté, et donc l’authenticité, des textes auxquels il se réfère n’est jamais discutée. Pour reprendre l’exemple de Jean Wauquelin, et du remaniement de Girart de Roussillon, on assiste certes à une confrontation des sources :

Et a esté ceste présente histoire retrouvée et rassemblée de plusieurs volumes et livres par grant songne et par grant labeur d’estude, ainsi qu’on a fait de plusieurs autres histoires. Et mesmement ceste présente histoire, laquelle est ainsi tissue comme vous avés oy, a esté prise au commandement de mon très redoubté seigneur et Prince Phelipe devant nommé, en pluseurs livres et volumes, par moy, non digne de en estre l’acteur […] ; je vous en diray ce que j’en ay trouvé, combien que j’en ay veu pluseurs opinions, et que pluseurs chanteurs en place, pluseurs jongleurs, ménestreux et telles manières de gens en dient a leur manière. (Wauquelin [1469] 1880 : 487)

18Si la source à laquelle il se réfère le plus volontiers est une Vie latine de Girart (d’où le fait que l’ouvrage se présente comme une traduction du latin), « pour l’essentiel son œuvre est une paraphrase amplifiée du roman bourguignon du xive siècle » (Zink 1990 : 40) qu’il suit sans le dire ou en prétendant puiser dans la « chronique » et qu’il désigne comme « ung livret rimé » (Wauquelin [1469] 1880 : 10). Mais le plus souvent il s’en tient à l’autorité de la Vita latine :

Encoires dit le roman moult d’autres choses que il baille et met pour notoires et vrayes, lesquelles selon le latin je ne treuve point estre certaines, et pour ce au latin je me vueil du tout adhérer. (Wauquelin [1469] 1880 : 6)

19Passage significatif, seule la langue dans laquelle le texte est écrit prouve ici son authenticité. On demeure dans un registre d’authentification médiéval, fondé sur la prééminence du latin, qui n’est jamais appréhendé dans une perspective historique et critique comme c’était le cas dans la Donation de Constantin de Valla. Lorsque la question linguistique apparaît, ce n’est que dans la mesure où l’état de la langue du texte original justifie son remaniement. Le dérimeur de Mabrian (1462) affirme translater une « mémorable histoire de ladicte ancienne rime et obscur langage, en prose et langage français clair et entendible » (Duché et Mounier 2015 : 917). L’identification du roman à la chronique et ce qui les distinguera de l’histoire naissante apparaît essentiellement sur ce point. Le remanieur de Fierabras, roman d’aventures, peut ainsi se prévaloir simplement d’un « livre authentique », qui garantit la vérité de l’histoire :

Et selon la matiere que ien ay peu trouver iay ordonne cestuy livre et peut estre que si je fusse informe a plain ie eusse mieulx fait / car ie nay intencion de deduire matiere que ie nen soye informe premierement par ung livre auctentique qui se dit miroer historial / comme par les canoniques et aulcuns autres livres qui font mencion de lœuvre suyvant. (1505 : n. p.)

20Mais l’authenticité du livre est affirmée sans qu’aucune argumentation n’en fournisse les preuves. L’exemple est donc particulièrement révélateur de ce qui sépare la chronique de l’histoire émergente. Le prologue de Fierabras appartient encore à la translation médiévale : le livre demeure source d’une autorité qu’on ne saurait remettre en question. Voilà qui favorisait à l’évidence les supercheries plus ou moins avérées. La pseudo-traduction ne pouvait que fleurir sur un tel sol : ainsi la mention d’une source italienne pour Gillion de Trazegnies, latine pour Olivier de Castille ou espagnole pour Jehan de Paris semble pure fiction (Doutrepont 1969 : 323). Chroniques et romans partageant ainsi les mêmes stratégies d’authentification (référence à un livre authentique) et le même mode de diffusion (traduction), ils ne pouvaient qu’être congédiés d’un seul geste par l’érudition humaniste. N’était l’évidente ironie de l’assertion que souligne la menace hyperbolique adressée aux éventuels incrédules (« puissiez tomber en soulphre, en feu et en abysme, en cas que vous ne croyez fermement tout ce que je vous racompteray en ceste presente chronicque »), on pourrait alors être surpris de voir Rabelais, à la fin du prologue de Pantagruel, qualifier l’ouvrage de « chronicque », après l’avoir comparé à d’autres livres de « haulte futaie » que leurs titres – Fessepinte, Orlando furioso, Robert le diable, Fierabras, Guillaume sans paour, Huon de bordeaulx – désignent explicitement comme des romans de chevalerie (Rabelais [1532] 1994 : 215). Au demeurant, c’est déjà en amont de l’œuvre rabelaisienne, et comme à sa source, que l’on trouvera de semblables détournements des procédures d’authentification propres aux romans et aux chroniques. Le prologue du Vroy Gargantua, présenté comme la traduction d’un texte latin, se plaît ainsi à comparer chroniqueurs et romanciers :

Pour le commencement de ceste vraye cronicque vous debvez sçavoir comme nous tesmoigne l’escripture de plusieurs cronicqueurs dont nous en laisserons aulcuns, comme Guaguin, André, maistre Jehan le Maire, et plusieurs aultres semblables lesquelz ne servent de riens à propos quant à ceste presente hystoire, mais nous prendrons Tristan de Lyonnois, Ysaie le Triste, Huon de Bordeaux, Jourdain de Blanes, Lancelot du Lac, Guerin Mesquin, Parceval le Galloys, Mabriam Ogier le Dannoys, les quetre Filz Hemon, Et tous les Chevaliers de la Table Ronde, et aultres semblables, dont en y a assez pour approuver la verité de ceste presente hystoire, comme vous verrez plus à plain. (Rabelais [ca. 1532] 1994 : 1176)

21Comparaison particulièrement ironique qui revient à congédier des chroniqueurs reconnus, comme Jehan Le Maire ou Robert Gaguin, pour se revendiquer d’autorités pour le moins fantaisistes, puisqu’elles ne sont autres que des personnages connus du cycle arthurien. De toute évidence il s’agit de se moquer de la prétention historique affichée aussi bien en tête des romans de chevalerie que des chroniques. Une fiction nouvelle, opposée au romanesque médiéval et lorgnant du côté de l’humanisme savant s’affirme ainsi, en reprenant à son compte les arguments que la nouvelle historiographie critique avait formulés à l’encontre de la chronique.

La traduction, révélateur de la fiction

22La langue de l’original n’étant plus appréhendée dans la lumière de son prestige, le rapport de la traduction au texte source se brouille et permet de jouer sur l’opacité du sens : on quitte définitivement l’idéal d’une transmission textuelle continue. En conséquence, la mention d’une source à traduire peut devenir un principe ironique. La conception philologique de la traduction permet alors de renverser les stratégies d’authentification du roman médiéval et de la chronique pour redéfinir les contours de la fiction. Une telle subversion de la fiction traductive comme argument d’autorité s’observe ainsi dans les romans italiens de Pulci, de Boiardo ou de L’Arioste, qui mettent en scène leurs sources de manière ironique. Chez le second, lorsque la source (le pseudo-Turpin) est mentionnée, c’est parfois avec une feinte précaution. Le leitmotiv censé garantir l’authenticité de l’histoire (« Turpin dice », « Turpin ragiona », etc.) qui revient aussi fréquemment que Darès chez Benoît de Sainte-Maure, accepte parfois des variantes plutôt circonspectes, comme au chant II où la proposition hypothétique « se non mente il libro de Turpino » (si le livre de Turpin ne ment pas) entrouvre la possibilité que le récit ne soit pas entièrement vrai (Boiardo [1494] 1999 : 40). Quelques vers plus loin, Boiardo prend entièrement parti, et dénonce l’invraisemblance d’un épisode rapporté par le chroniqueur :

  • 7 « Turpino il dice (a me par maraviglia) / Che tremò il prato intorno a lor doa miglia. »

Turpin le dit (cela me semble incroyable)
Que le pré trembla autour d’eux7. (Boiardo [1494] 1999 : 46)

23Chez Pulci c’est le leitmotiv « se Turpin non mente », que l’on retrouve d’ailleurs souvent à la rime, qui ponctue le récit. Au chant xii ce sont des exploits peu crédibles qui jettent une ombre de doute sur la véracité de l’histoire :

  • 8 « Or qua or là si scaglia con Baiardo,/ E fece cose quel dì con Frusberta / Che chi il dicessi sia (...)

De ci, de là se jette ores avec Bayard,
et fit ce jour exploits avec Frusberte,
que qui les écrirait, on le dirait menteur8. (Pulci [1483] 1997 : 352)

24Pulci joue aussi de la multiplicité des sources comme d’un procédé narratif. L’ironie de telles allégations apparaît aux strophes 153 et 154 du chant xix, à propos du personnage Margutte dont il a été question dans les strophes précédentes. Pulci se justifie d’en avoir parlé, sur la base d’un livre trouvé en Égypte qui confirme l’histoire de Margutte et dont l’auteur se nommait Alphamenone. Or l’histoire de ce livre est des plus fabuleuses :

  • 9 « E fu trovato in lingua persïana, / Tradutto poi in Arabica e’n caldea ; / Poi fu recato in lingua (...)

Et on l’a retrouvé en langage persan,
Traduit en chaldéen et en arabe ;
Et puis fut exprimé en langue syrïenne,
Et puis en grec et après en hébreu,
Et puis dans ce latin antique et renommé ;
Et en vulgaire enfin fut adapté
Et donc a fait le tour de la tour de Nemrod,
Si bien qu’enfin en florentin on l’accommode9. (Pulci [1483] 1997 : 675-676)

  • 10 Walter Stephens (2006 : 335) y voit une parodie de la traduction humaniste. Ce qui n’est guère conv (...)

25La longue succession des traductions est une évidente parodie de la translation médiévale et de l’authentification fondée sur des autorités anciennes10. Si, de Pulci à Boiardo, la revendication d’une autorité livresque et ancienne est déjà minée par une certaine ironie du poète vis-à-vis de ses sources, c’est surtout chez L’Arioste que l’on trouvera un précédent vraiment frappant (Chevalier 1966 : 439-492). Dans les premiers vers du chant xxvi, l’auteur prie ses lectrices de ne pas prêter l’oreille au conte que va faire un hôtelier, car il est prononcé en une langue vile et vulgaire qui ne se plaît qu’à salir ce qu’elle évoque. Et d’ajouter que ces mêmes lectrices n’ont pas à se soucier de cet épisode sans lequel l’histoire reste tout à fait claire ; ce n’est que parce que Turpin l’a intégré à son histoire que lui l’auteur en fait de même (Ariosto [1516] 2006 : 650). Et d’ajouter que ceux qui se résoudront malgré tout à le lire n’y devront guère apporter de crédit :

  • 11 « E chi pur legger vuole / lor dia quella medesima credenza / che si suol dare a fittïoni e fole. »

Et celui qui le veuille lire
Qu’il leur donne le même crédit
Que celui que l’on donne aux fictions et folies11. (Ariosto [1516] 2006 : 650)

26On sait l’influence qu’eurent les romanzi italiens sur Cervantès (Syrovy 2013 : 172-180). Du chant xxvi de Roland furieux, à la seconde partie de Don Quichotte, où le traducteur intervient autoritairement sur le texte, la filiation semble certaine. Néanmoins, dans la deuxième partie de Don Quichotte, Cervantès développe bien plus le procédé que les romans italiens dont il s’inspire. Au début du chapitre v de la seconde partie, lorsque le traducteur émet un doute sur l’authenticité de ce qui va suivre, il appuie son propos sur des considérations stylistiques, l’épisode lui semblant suspect en raison de l’éloquence invraisemblable dont Sancho fait preuve :

  • 12 « Llegando a escribir el traductor desta historia este quinto capítulo, dice que le tiene por apócr (...)

Sur le point d’écrire ce cinquième chapitre, le traducteur de cette histoire dit qu’il le tient pour apocryphe, parce que Sancho Pança s’y exprime dans un tout autre style que celui que l’on pouvait attendre de son petit entendement et dit des choses si subtiles qu’il ne lui paraît pas possible que Sancho ait pu les connaître. Il ajoute cependant qu’il ne voulut pas renoncer à traduire, afin de ne pas manquer aux devoirs de son office12. (Cervantès [1615] 2015 : 549)

27Le traducteur emploie ici les outils de la critique interne, en évaluant l’authenticité d’un texte selon son homogénéité stylistique et linguistique avec le reste de l’œuvre. La dimension philologique de ses commentaires apparaît également dans l’attention qu’il porte aux marginalia :

  • 13 « Dice el que tradujo esta grande historia del original, de la que escribió su primer autor Cide Ha (...)

Celui qui traduisit cette grande histoire à partir de l’original de celle qu’avait écrite Cid Hamet Benengeli, son premier auteur, dit qu’en arrivant au chapitre de l’aventure de la caverne de Montesinos, étaient écrites en marge, de la main d’Hamet en personne, les annotations que voici13. (Cervantès [1615] 2015 : 694)

28Les razones en question mettent en doute la véracité de l’épisode de la caverne de Montésinos, relaté dans le même chapitre. Celui-ci semble trop extraordinaire pour s’être vraiment produit. Le traducteur nous informe que dans la note marginale Cid Hamet se justifie de l’avoir retranscrit, malgré son invraisemblance manifeste et malgré l’aveu de don Quichotte sur son lit de mort, qui aurait reconnu l’avoir inventé. Cid Hamet décide toutefois d’inclure l’épisode en laissant le lecteur dernier juge. C’est donc parce qu’il montre des qualités d’herméneute, qu’il possède un certain sens littéraire, et qu’il développe une approche philologique du texte, que le traducteur assume cette fonction critique au sein du discours. Certes, ses compétences en la matière se révèlent dérisoires : remarquer une annotation marginale, signaler une interpolation somme toute évidente. Malgré tout c’est bien la représentation d’une pratique critique de la traduction qui, incitant le lecteur à douter de l’authenticité du récit de Cid Hamet, achève de délimiter les frontières respectives de la fiction et de l’histoire.

Conclusion

29L’imprégnation par la fiction d’une pratique plus méthodique de la traduction contribue à la réinvention esthétique du roman. Le traducteur, en assumant le rôle « d’éditeur scientifique », introduit une dimension réflexive par où la fiction se commente elle-même. Même si l’on ne constate pas encore dans les romans du xvie siècle et du début du xviie siècle un écho prononcé des connotations péjoratives qui commencent à être attachées au statut du traducteur, en raison même de ses nouvelles prérogatives sur le texte, Don Quichotte laisse déjà percevoir quel rôle pourra jouer le pseudo-traducteur dans l’établissement d’un effet de distanciation propre à révéler le caractère fictionnel du texte. Si le traducteur de Cid Hamet Benengeli n’apparaît pas encore totalement suspect, ses interventions incessantes et ses manipulations sur le texte opacifient son rôle d’intermédiaire, déjouant la fonction de vérité du texte source. Lorsqu’au siècle suivant le caractère trompeur de la traduction s’affirmera davantage dans l’imaginaire collectif comme un cliché culturel, la fiction traductive sera mobilisée afin de déjouer les mécanismes de la crédulité. Toute traduction étant sujette à caution, il deviendra naturel d’employer la fiction traductive pour révéler, plus ou moins explicitement, la nature contrefactuelle d’un texte. Le traducteur, devenu the usual suspect, se confondra alors aisément avec le « narrateur incertain » (Booth 1961 : 158-159) pour faire advenir cette figure importante pour l’évolution future du genre romanesque que l’on se plaira donc à appeler the unreliable translator.

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Bibliographie

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Notes

1 Voir Benoît de Sainte-Maure, Le Roman de Troie, v. 27-39, édition et traduction d’Emmanuèle Baumgartner et Françoise Vieillard, Librairie générale française, « Lettres gothiques », Paris, 1998, p. 40-42.

2 Programme que l’on trouvera exposé par Salutati lui-même dans sa lettre à Loschi sur la traduction d’Homère ; il s’agit de rendre le style et l’effet, d’orner le langage et la matière de l’invention poétique de telle sorte qu’ils restituent le decorum et la splendeur de la poésie d’Homère lui-même : « res velim, non verba consideres; illas oportet extollas et ornes et tum propriis, tum novatis verbis comas talemque vocabulorum splendorem acidias, quod non inventione solum, nonque sententiis, sed verbis etiam Homericum illud, quod omnes cogitamus, exhibeas atque sones » (Salutati 1893 : 356-357).

3 « Cum enim in optimo quoque scriptore et presertim in Platonis Aristotelisque libris et doctrina rerum sit et scribendi ornatus, ille demum probatus erit interpres, qui utrumque servabit. »

4 « Dicere autem: non vituperationem, sed laudem mereri eum, qui, quod habuit, in medium protulit, nequaquam rectum est in his artibus, que peritiam flagitant. »

5 « Si quis apud Grecos, apud Hebreos, apud barbaros diceret hoc esse memorie proditum, nonne iuberetis nominari auctorem proferri codicem et locum ab interprete fideli exponi, antequam crederetis? »

6 « Qui postquam se in mari (ut uocant) historiarum ingurgitarunt, rerum gestarum commenta mirabilia in coetu imperitorum fundunt. His nos historias suas interdum serio & graviter memorantibus (qui iamdiu emersimus ex eo fabularum figmentorumque pelago) velut scurrilibus acroamatis auscultare solemus; easque nugas eo loco habere quo mythistorias illas nobiles Mensae Orbicularis, quae tamen ipsae lectores scita & artifici varietate delectant mirisque illecebris commemorationum hominum attentionem illiteratorum retinent. »

7 « Turpino il dice (a me par maraviglia) / Che tremò il prato intorno a lor doa miglia. »

8 « Or qua or là si scaglia con Baiardo,/ E fece cose quel dì con Frusberta / Che chi il dicessi sia detto bugiardo. »

9 « E fu trovato in lingua persïana, / Tradutto poi in Arabica e’n caldea ; / Poi fu recato in lingua sorïana, / E dipoi in lingua greca, e poi in ebrea, / Poi nell’antica famosa romana ; / Finalmente vulgar si riducea : / Dunque e’ cercò la torre di Nembrotto, / Tanto ch’egli è pur fiorentino ridotto. »

10 Walter Stephens (2006 : 335) y voit une parodie de la traduction humaniste. Ce qui n’est guère convaincant : le thème de traductions successives est bien plutôt celui de la translatio studii. On affirmera plutôt qu’il s’agit là d’une parodie des stratégies d’authentification médiévales, sur la foi de traductions de langues anciennes, faite au nom d’une nouvelle conception humaniste de la traduction.

11 « E chi pur legger vuole / lor dia quella medesima credenza / che si suol dare a fittïoni e fole. »

12 « Llegando a escribir el traductor desta historia este quinto capítulo, dice que le tiene por apócrifo, porque en él habla Sancho Panza con otro estilo del que se podía prometer de su corto ingenio, y dice cosas tan sutiles, que no tiene por posible que él las supiese, pero que no quiso dejar de traducirlo, por cumplir con lo que a su oficio debía. »

13 « Dice el que tradujo esta grande historia del original, de la que escribió su primer autor Cide Hamete Benengeli, que llegando al capítulo de la aventura de la cueva de Montesinos, en el margen dél estaban escritas de mano del mesmo Hamete estas mismas razones. »

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Pour citer cet article

Référence électronique

Louis Watier, « L’imaginaire philologique de la traduction : pseudo-traduction et redéfinition de la fiction au xvie siècle »Itinéraires [En ligne], 2018-2 et 3 | 2019, mis en ligne le 20 février 2019, consulté le 04 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/itineraires/4726 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/itineraires.4726

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Auteur

Louis Watier

Université de Lorraine, ÉCRITURES (EA 3943), Paris-Sorbonne Université, CRLC (EA 4510)

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