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Mots-clés :
modernité mondiale, modernités nationales, esthétique moderne, revues littéraires, temporalités modernesKeywords:
world modernity, national modernities, modern aesthetic, literary journals, modern temporalitiesPlan
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1Le concept de « modernité » esthétique, surtout quand on l’envisage dans la relation qu’il peut entretenir avec ses équivalents dans d’autres langues et cultures que le français (modernism, modernismo…), pose toute une série de problèmes. La première série est celle de la mise en perspective temporelle de la notion. Les différentes histoires de la modernité / du modernism / du modernismo posent toutes la question d’une « origine » de la modernité et toutes ne la situent pas au même moment : si l’avènement de la notion esthétique de modernité en France est communément daté de la publication de l’essai de Baudelaire sur « Le peintre de la vie moderne », les historiens du modernism anglo-saxon situent le début du mouvement vers 1890 tandis que ceux du modernismo brésilien le situent au tout début des années 1920. Quant à la question de la « fin du moderne », elle a longtemps été polarisée par la problématique de la « postmodernité » et du postmodernism. À la question du début et de la fin du « moment moderne » s’ajoute la série de problèmes et de variations du concept de modernité liée à la pluralité des expériences temporelles et des conceptions de l’histoire en fonction des pays et des cultures : car la « modernité » suppose un certain rapport à l’histoire et au passé, rejeté ou valorisé, et à un futur projeté, et ce rapport n’est pas identique partout.
2En proposant de mettre en variation géographique la notion de modernité nous courons donc le risque de voir celle-ci se dissoudre dans un entrecroisement de malentendus et de tentatives de mises au point. La mise en perspective temporelle de la notion pose déjà un grand nombre de problèmes, que nous proposons ici de démultiplier par un rajout de la dimension spatiale. Et si introduire la dimension spatiale dans le contexte européen, voire occidental, qui est celui dans lequel s’est historiquement construit – avec toute sa variabilité – le concept de « modernité », multiplie les problèmes, que penser d’une ouverture de l’espace aux domaines extra-occidentaux ?
3Notre parti pris est que, loin de dissoudre la notion de « modernité » en lui donnant une extension temporelle et spatiale telle qu’en recouvrant tout elle ne désigne plus rien de spécifique, cette ouverture du questionnement permettra à la fois de repenser le concept de « modernité » dans sa pluralité et d’envisager autrement les rapports entre littératures occidentales et extra-occidentales. Par la prise en compte des forces centrifuges qui diffractent la modernité en versions parfois inconciliables, l’ambition de ce volume est de trouver le point de consistance de cette notion plurielle, dont nous estimons qu’elle est une remarquable plate-forme comparative pour rendre compte de l’expérience actuelle du monde qu’offrent l’art et la littérature.
Des sociétés modernes à l’esthétique moderne
- 1 Voir, par exemple, Raymond Aron, Les Désillusions du progrès, essai sur la dialectique de la modern (...)
4Le terme « modernité » n’appartient pas d’emblée au domaine esthétique et littéraire. Son sens le plus courant est social, ou plutôt sociétal : c’est la « vie moderne », ce sont les « sociétés modernes ». « Moderne », dans le contexte occidental, est alors employé le plus souvent comme synonyme « d’industriel » : on parle de « sociétés modernes ou industrielles » et la modernité est en ce sens identifiée au progrès scientifico-technique1. Les « modernités esthétiques », qu’il s’agisse de mouvements littéraires ou de pratiques littéraires et artistiques exercées hors de groupes constitués, ont partie liée avec la société et la vie « modernes ». En France, pour Baudelaire, le « peintre de la vie moderne » est celui qui peint la grande ville et la vie quotidienne, à l’instar de Constantin Guys dont il analyse l’œuvre et qui, dans ses lavis d’encre ou d’aquarelle, a représenté le boulevard, le théâtre, ou le cabaret. Plus largement, les mouvements que nous rattachons aux premières avant-gardes historiques du xxe siècle se sont définis comme « modernes » en ce qu’ils se proposaient d’écrire la « vie moderne ». On connaît la proclamation lyrique du premier manifeste futuriste de 1909 :
- 2 Filippo Tommaso Marinetti, « Manifeste de Fondation du Futurisme », paru le 20 février 1909 dans Le (...)
Nous chanterons les grandes foules agitées par le travail […] ; les ressacs multicolores et polyphoniques des révolutions dans les capitales modernes ; la vibration nocturne des arsenaux et des chantiers sous leurs violentes lunes électriques ; les gares […] ; les usines […] ; les locomotives […] et le vol glissant des aéroplanes2.
- 3 « Le drame moderne, explique Marinetti dans le dixième chapitre du Futurisme, doit exprimer le gran (...)
- 4 Filippo Tommaso Marinetti, « La guerre électrique », Le Futurisme, op. cit., p. 134.
On pourrait multiplier les citations : ce qui est qualifié de « moderne » dans les premiers manifestes futuristes, c’est d’abord et avant tout la ville et la vie urbaine. Quand le terme « moderne » est utilisé dans un contexte où il se rapporte à l’esthétique et non pas directement au monde urbain, il l’est pour souligner que la modernité esthétique est l’expression de la vie et de la ville modernes3. L’esthétique futuriste est « moderne » en ce qu’elle est esthétique « des grandes locomotives, des tunnels en spirale, des cuirassés, des torpilleurs, des monoplans et des automobiles de course. Nous créons la nouvelle esthétique de la vitesse4 ». L’esthétique « moderne » consiste en une adaptation de l’art au nouveau monde de la technologie. De même, de l’autre côté de la Manche, les vorticistes revendiquent une modernité qui est celle de l’univers industriel (ports, machines, usines) et du développement technologique (train, téléphone, tramway, etc.). Les innovations esthétiques qu’ils introduisent, en particulier dans leurs manifestes, relèvent des techniques journalistiques et publicitaires de l’époque. Au fondement des avant-gardes historiques européennes que constituent le futurisme italien et le vorticisme, la modernité esthétique qui est revendiquée est liée à la modernité sociétale. Depuis Baudelaire, qui déjà pensait l’artiste dans sa relation à la « vie moderne », on ne peut donc séparer en Occident l’émergence de la modernité dans l’art, la littérature, et la modernité du monde, technique. Que ce soit pour valoriser voire glorifier la technique et la technologie (comme les futuristes et les vorticistes) ou pour critiquer la société occidentale (et ce en partie par la construction d’un imaginaire extra-occidental exotique qui serait aux antipodes de la civilisation occidentale comme les dadaïstes et les surréalistes), les « modernités occidentales » ne peuvent se penser sans articuler l’esthétique et le sociétal.
5Hors du contexte européen et occidental, tous les articles consacrés ici à des littératures d’aires anciennement colonisées témoignent de l’importance du registre politique et social, importance qui est sans doute un trait postcolonial. La modernité est implicitement un attribut du colonisateur occidental, qui a servi à la fois d’alibi et de mot d’ordre à la colonisation. Le projet « civilisateur » est aussi bien un projet « modernisateur ». À propos de l’Afrique, Xavier Garnier suggère que la « modernité » esthétique est synonyme de remise en question et de déstabilisation du discours propagandiste. En Inde comme au Maroc, ce que suggèrent Claudine Le Blanc et Khalid Zekri, c’est que la question de la « modernité » littéraire ne peut pas être réfléchie sans prendre en compte une modernité politique, qui se définit en partie contre la modernisation colonisatrice. L’un des intérêts du présent volume est que, dans la mise en rapport des articles portant sur des aires culturelles et linguistiques diverses, il permet de voir se dessiner différents types d’articulations possibles entre modernité sociétale et modernité esthétique en fonction des espaces et des lieux.
De la modernité en régime mondial
- 5 Henri Meschonnic, Modernité, Modernité, Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », 1988, p. 27.
6La distinction annoncée par le titre de ce volume, entre des modernités occidentales et des modernités extra-occidentales est une commodité que nous avons voulue, pour faire apparaître a contrario la complexité des assises géographiques de la modernité et la difficulté de se placer dans une polarisation duelle. On pourrait tout aussi bien partir de l’idée que le terme de modernité, par-delà les traductions qu’on pourra lui trouver, flotte à la surface du globe de façon plus ou moins erratique, au sein de nations soucieuses de rester en prise avec ce qui se joue au présent, à la fois ici et ailleurs. Si le réflexe moderniste, indépendamment de ses spécifications culturelles, est lié au souci de rester au courant, d’être branché sur ce qui se passe maintenant, on comprend que la dimension spatiale est concernée au premier chef. La « modernité », qu’elle soit esthétique ou sociétale, a longtemps été considérée comme étant d’essence occidentale, voire européenne. Henri Meschonnic écrivait ainsi : « La modernité. Inutile d’ajouter : occidentale. La modernité est européenne. Et si on appelle Occident l’Europe, plus l’Amérique du Nord, elle est occidentale5. » Si Meschonnic affirme ainsi la consubstantialité de la modernité et de l’Occident, c’est parce qu’il ne remet pas en question l’histoire et la généalogie de la modernité construites par des penseurs occidentaux qui, depuis le xviie siècle, ont élaboré le récit d’une modernité jalonnée par un certain nombre d’« inventions » occidentales – depuis la codification des lois et les grandes découvertes scientifiques et techniques jusqu’à l’industrialisation et au cosmopolitisme. Or, en particulier sous l’impulsion de chercheurs travaillant sur les aires non occidentales, une telle construction narrative est aujourd’hui largement remise en question : les « inventions » qui seraient constitutives de la modernité occidentale sont apparues ailleurs, plus tôt. C’est cette remise en question qu’analyse ici Anne Tomiche : la « modernité » qui a pris forme à la fin du xve siècle et au xvie siècle en Occident apparaît alors comme partie prenante d’un mouvement plus vaste, dont elle n’est pas le centre ni le moteur et dont la géographie est mondiale.
7En distinguant dans le titre de ce volume modernités « occidentales » et « extra-occidentales », il ne s’agissait pour nous ni d’opposer l’Occident à son dehors ni de postuler des frontières clairement définies entre un « centre » et une « périphérie », mais au contraire de déstabiliser les frontières et d’appréhender le phénomène des « modernités » dans une perspective mondiale. Notre hypothèse est que le concept de « modernités » peut gagner à être affiné et mieux compris grâce à une confrontation de perspectives occidentales et extra-occidentales, qui pourrait, d’une part, conduire à repenser le lieu commun de l’association entre « modernité » et « Occident » et, d’autre part, permettre de repenser la relation que « l’extra-occidental » entretient avec la notion de modernité, sous la forme d’un « effet-retard », tel que Xavier Garnier le décrit pour l’Afrique, ou en rejouant sur la scène extra-occidentale l’ensemble du processus moderne comme émergence d’un présent et d’un sujet, comme le suggère Claudine Le Blanc à propos de l’Inde.
8En dépit du vague et de l’amplitude sémantiques du terme modernité, on rencontrera difficilement l’idée d’une modernité autarcique. Implicitement, et conformément à la périodisation des historiens occidentaux qui font commencer l’époque « moderne » à la Renaissance, et particulièrement en 1492, on se pose la question de sa propre modernité dans une relation à l’Autre. Plusieurs articles dans ce volume montrent que l’Europe nourrit sa modernité de ce qui vient de loin. L’intensité « moderne » de l’ici et maintenant parisien ou viennois par exemple naît de la présence au monde de ces villes qui convoquent l’Ailleurs à elles. Non seulement l’Europe nourrit sa modernité de ce qui vient de loin mais, plus encore, la modernité occidentale, prise au sens des avant-gardes européennes des années 1920-1930, a construit l’extra-occidental comme Autre et comme Ailleurs de l’Occident. Qu’il s’agisse d’Artaud puisant dans le théâtre balinais les éléments pour repenser le théâtre ou de Michaux rapportant des voyages en Chine, en Inde, au Japon et en Malaisie son Barbare en Asie, l’ouverture à l’égard des cultures extra-occidentales est un trait de la modernité occidentale. Guillaume Bridet montre bien comment ce recours à l’extra-occidental, qui va de pair avec une idéalisation et avec une méconnaissance de la diversité culturelle des civilisations non occidentales, a des enjeux politiques et littéraires, et permet à la fois une critique de la civilisation occidentale et un renversement des valeurs esthétiques. Inversement, Xavier Garnier souligne que le terme de « modernité » n’a pas cessé, depuis l’époque coloniale, de faire slogan en Afrique et que c’est au nom de la modernité que les décisions politiques se prennent. Que l’Occident construise sa « modernité » par l’élaboration d’un imaginaire extra-occidental, que la « modernité » ait servi à la fois d’alibi et de mot d’ordre aux colonisateurs occidentaux, ou que dans les aires extra-occidentales la référence à la « modernité » soit revendiquée par les écrivains et les intellectuels pour définir leur projet d’écriture et de pensée : la question de la (des) modernité(s) se doit d’être posée en tentant de mettre en relation l’occidental et l’extra-occidental.
- 6 Blast, no 1, 20 juin 1914, p. 39 et p. 41. « Le Monde Moderne est presque entièrement le résultat d (...)
9Plutôt que de nous attacher à trouver une définition fédératrice de la modernité, nous proposons de prendre acte du substrat adjectival de ce substantif. Parce que moderne se dit toujours de quelque chose, il est sujet à une variation d’intensité : on est toujours plus ou moins moderne. Le pluriel que nous avons proposé pour travailler la notion n’est pas une simple précaution de méthode pour ne pas nous engager sur une définition rigide : ce sont les mises en variation de la notion de modernité qui nous intéressent. Si l’Occident a pu se fédérer sur une conscience aiguë, tissée au fil du temps, de sa spécificité moderne par rapport au reste du monde, c’est par le jeu subtil des comparaisons tous azimuts à l’intérieur de la sphère occidentale. Voilà pourquoi le singulier de la modernité ne va pas de soi, même si l’on considère, comme on le fait souvent, l’Occident comme ayant l’initiative de la modernité dans le monde. Ce volume rend manifeste l’existence d’une concurrence des modernités à l’intérieur de la sphère occidentale, qui est peut-être un élément essentiel de la dynamique moderniste et qui se traduit par la question implicite : « Les autres sont-ils plus, ou moins, modernes que moi ? » Une telle question peut même être formulée de façon tout à fait explicite. De fait, et pour ne prendre qu’un seul exemple, les avant-gardes vorticistes se définissaient comme « modernes » en ce que « plus modernes » que les futuristes italiens et ils définissaient la « modernité » comme d’essence anglo-saxonne par opposition à un « passéisme » des « modernes » latins. C’est ainsi que les signataires du manifeste vorticiste paru dans le premier numéro de la revue Blast le 20 juin 1914, et parmi lesquels on trouve Ezra Pound, Wyndham Lewis et Gaudier Brzeska, affirment leur « plus de modernité » par rapport au futurisme italien : « The Modern World is due almost entirely to Anglo-Saxon genius, – its appearance and its spirit » ; « The Latins are at present, for instance, in their “discovery” of sport, their Futusristic gush over machines, aeroplanes, etc., the most romantic and sentimental “modems” to be found6. »
10Il y a des savoirs plus ou moins modernes, des comportements plus ou moins modernes, des techniques plus ou moins modernes, des justices plus ou moins modernes, des villes (voire des quartiers) et des nations plus ou moins modernes, des religions et… des arts plus ou moins modernes. La modernité se décline au pluriel en premier lieu en raison de cette mise en variation d’intensité. Il n’y a pas d’alternative entre la modernité et la non-modernité, mais une gradation de modernités. Emmanuel Lozerand remet en question l’idée, constitutive d’une certaine histoire littéraire du Japon, d’un réveil moderniste à l’ère Meiji, qui aurait sorti le pays de sa somnolence tout « orientale ». Il montre que les processus modernes sont enclenchés depuis longtemps, avec des pics et des seuils, qu’il est important de différencier selon les genres, et à l’intérieur même des genres ou des œuvres. Penser la modernité en termes de dynamiques modernes est une des clés pour court-circuiter l’évidence douteuse d’une opposition entre un Occident moderne et des mondes extra-occidentaux assoupis, soudainement éveillés à la modernité.
11Comment comprendre alors ce qui oriente la gradation moderne ? Selon quels critères peut-on se comparer aux autres comme plus ou moins moderne ? L’optique géographique ou géoculturelle de ce volume nous met sur une piste : le coefficient de modernité serait fonction du degré de désenclavement de la pratique concernée. Le débat sur l’éventuelle spécificité occidentale de la modernité se ramènerait alors à la question suivante : l’Occident est-il davantage présent au monde que le reste du monde ? Ou de façon encore plus provocatrice : le monde est-il davantage présent en Occident qu’ailleurs ? Les travaux qui adoptent une perspective postcoloniale ont déjà beaucoup apporté d’éléments pour une analyse du mode de présence au monde de l’Occident. Ceux-ci ne peuvent être ignorés par un travail sur la modernité à travers le monde.
12La première partie de ce numéro d’Itinéraires LTC pose directement la question d’une distribution mondiale de la (des) modernité(s). Analysant à la fois les jeux d’attraction et de répulsion entre l’Occident et son « dehors », les articles interrogent différents types de mise en tension entre l’« occidental » et l’« extra-occidental » dans la construction de la notion même de modernité : que recouvre l’« appel de l’ailleurs » extra-occidental qui caractérise la modernité des avant-gardes françaises de l’entre-deux-guerres ? comment comprendre à la fois l’« émerveillement » et la répulsion face à l’Europe comme « sources de la modernité marocaine » ? plus largement, peut-on parler d’une diffusion de la modernité occidentale vers les aires extra-occidentales ou bien alors sommes-nous face à une pluralité de modèles parallèles, et faut-il penser autrement la géographie de la modernité ? Telles sont les questions posées dans la première partie.
Comment les « temps » peuvent-ils être modernes ?
13La modernité ne se définit pas seulement en termes d’espace – tel espace géoculturel « moderne » se définissant ou étant défini ainsi par opposition à d’autres espaces/lieux/nations qui seraient plus ou moins modernes –, mais elle se définit également en termes de temps et de pensée de la temporalité – être ou se penser « moderne » implique de se positionner par opposition à un « avant » qui ne serait pas moderne et en prévision d’un futur. S’il y a des temporalités de la modernité, c’est parce qu’il y a des constructions distinctes de la relation qu’un présent donné entretient avec le passé, et l’article de William Marx souligne bien à quel point ces constructions divergent, au sein même des modernités occidentales, entre la modernité française et le modernisme anglo-américain : entre la pensée du temps, de l’histoire et du futur, qui caractérise la « modernité » française de la Nouvelle Revue française et celle qui caractérise le modernism anglo-américain de la revue The Criterion, le décalage est énorme. Les modernités sont donc plurielles dans leur géographie mais elles le sont également dans leur façon de construire et de représenter leur « moment » comme « moderne ». C’est l’un des enjeux de ce volume que d’explorer différentes constructions de « moments modernes ».
- 7 Eugène Ionesco, « Discours sur l’avant-garde » (juin 1959), Notes et contre-notes, Paris, Gallimard (...)
14L’un des traits caractéristiques, sollicité de façon récurrente pour définir la temporalité de la modernité esthétique, est celui de la rupture. Serait moderne l’art qui s’est pensé et posé comme étant en rupture par rapport à ce qui l’a précédé, par rapport à la « tradition », voire l’art qui a été considéré, a posteriori, comme marquant une rupture par rapport à ce qui l’a précédé. La relation que la « modernité » entretiendrait avec son passé serait donc celle d’une coupure. C’est ainsi, par exemple, qu’en 1959, Eugène Ionesco posait l’équation entre « avant-garde » et « rupture » : « Je préfère définir l’avant-garde en termes d’opposition et de rupture. Tandis que la plupart des écrivains, artistes, penseurs s’imaginent être de leur temps, l’auteur rebelle a conscience d’être contre son temps7. »
- 8 Filippo Tommaso Marinetti, « Manifeste de Fondation du futurisme », op. cit., p. 154.
- 9 Voir Manifestes futuristes russes, choisis, traduits et commentés par Léon Robel, Paris, Les Éditeu (...)
15Bien avant lui, bon nombre de formulations d’artistes occidentaux de la première moitié du xxe siècle allaient déjà dans le même sens. En 1909, Marinetti prônait la violence incendiaire du futurisme afin de délivrer l’Italie de ce qu’il appelait « sa gangrène de professeurs, d’archéologues, de “cicerones” et d’antiquaires8 ». À sa suite, Apollinaire écrivait en 1913 L’Antitraditionfuturiste et rejetait le « passéisme ». Cette « haine du passé » est partagée par les futuristes russes9 et par les avant-gardes dadaïstes et surréalistes. Dada se veut en rupture par rapport à tout et affirme sa dimension destructrice dans des formulations célèbres :
- 10 Tristan Tzara, « Sept manifestes Dada », reproduits dans Dada est Tatou. Tout est Dada, Paris, GF-F (...)
protestation aux poings de tout son être en action destructive : DADA ;
[…] abolition de la logique, danse des impuissants de la création : DADA ;
[…] abolition de la mémoire : DADA ; abolition de l’archéologie : DADA ; abolition des prophètes : DADA ; abolition du futur : DADA10.
- 11 François Noudelmann, Avant-gardes et modernité, Paris, Hachette, 2000, p. 7.
Et Breton, dans le Second manifeste du surréalisme, met lui aussi en avant une logique de rupture : « En matière de révolte, aucun d’entre nous ne doit avoir besoin d’ancêtres. » Une telle logique, dont François Noudelmann, dans Avant-gardes et modernité, fait l’un des traits de la modernité (« “La modernité”, à sa manière, dit ce sens de la rupture11 », écrit-il), a également servi à caractériser les modernités extra-occidentales. Emmanuel Lozerand, dans son article, rappelle que l’un des récits concernant la modernité japonaise consiste à voir dans la publication en 1885-1886 de l’essai de Tsubouchi Shôyô, L’Essence du récit, le moment d’une coupure radicale dans la conception du récit, rupture par rapport à la littérature d’Edo.
- 12 Voir Thomas Steams Eliot, Selected Essays, Londres, Faber and Faber, 1951, p. 13-22 (« Tradition an (...)
16Mais, et Lozerand le montre bien à propos du Japon, une telle caractérisation de la modernité pose problème en ce qu’elle repose sur un modèle de l’histoire de la littérature occidentale auquel tellement de crédit est accordé qu’il est pensé comme universel. D’où l’importance d’un « changement de paradigme » : un tel changement est proposé par Lozerand à propos du Japon ; il est, de facto, adopté par Claudine Le Blanc à propos de l’Inde puisqu’elle commence son article et son analyse à partir du postulat que « la modernité en Inde n’a pas présenté le visage uni d’une rupture avec la tradition ». Si le paradigme de la rupture appliqué aux modernités non occidentales pose problème en ce qu’il relève d’une perspective occidentalo-centrée, ce paradigme pose également problème au sein même de la tradition occidentale. Comme le souligne bien William Marx dans son article, par opposition à la modernité française, pensée sur le modèle du surréalisme, les écrivains anglo-américains modernistes ne rejettent pas en bloc le passé et préfèrent opérer sur lui une sorte de sélection pour le reconfigurer à la lumière des exigences du présent. Dans « Tradition and the Individual Talent », Eliot propose à l’apprenti-écrivain de s’absorber d’abord dans la tradition de son pays s’il veut trouver l’originalité véritable12. Et la célèbre formulation de Pound, « Make it new ! », n’est pas un appel à la rupture par rapport au passé mais bien plutôt au renouvellement du passé par et dans le présent. L’un des intérêts de la perspective adoptée dans ce volume est de remettre en question l’apparente évidence de l’équation entre « modernité » et « rupture », conduisant ainsi par exemple Claudine Le Blanc à déplacer l’équation pour analyser les « ruptures intérieures de la modernité littéraire indienne » ou amenant Xavier Garnier, à propos de l’Afrique, à souligner que la question que pose la modernité sur le continent africain à l’époque coloniale est celle de son articulation à la tradition, comme « invention » moderne (« C’est, écrit-il, parce que la modernité est à l’œuvre que la tradition s’invente comme témoin d’un passé révolu »).
17Une telle remise en question structure la deuxième partie de ce numéro : qu’il s’agisse de la place de la « tradition » dans le modernisme anglo-saxon, de l’invention de la « tradition » dans la modernité africaine ou des « tensions qui ne sont pas des ruptures » dans la modernité indienne, les articles de cette section interrogent l’articulation entre « continuité » (« tradition ») et « rupture » tant dans le contexte occidental (français et anglo-saxon) que dans le contexte extra-occidental (africain et indien).
- 13 Dilip Parameshwar Gaonkar, « On Alternative Modernities », Public Culture, no 27, special issue on (...)
18La question des temporalités de la modernité ne se pose pas seulement en termes de construction, par la (les) modernité(s), d’une pensée de la temporalité reliant le présent au passé et au futur. Elle se pose également en termes de périodisation. Or l’optique géoculturelle et l’ouverture au régime mondial du questionnement sur les modernités conduisent à repenser les chronologies de la modernité. Penser les modernités comme ayant émergé, comme émergeant dans un contexte global et mondial, a un profond impact sur la périodisation de ces modernités. L’élargissement de la perspective spatiale et géographique conduit à un élargissement de la perspective temporelle : au lieu de rechercher un temps de la modernité (et de débattre sur son début et sur sa fin), une telle approche privilégie la recherche de périodes plurielles des modernités, dont certaines peuvent se recouper ou se chevaucher et d’autres non. Dans son introduction au numéro de Public Culture consacré aux « Alter/Native Modernities », Dilip Parameshwar Gaonkar affirme que « Everywhere, at every national/cultural site, modernity is not one but many ; modernity is not new but old and familiar ; modernity is incomplete and necessarily so13 ». Sans aller nécessairement jusque-là, on peut néanmoins souligner que le décentrement géoculturel des modernités va de pair avec un « décentrement temporel ». On ne s’étonnera donc pas que, au-delà de la périodisation « traditionnelle » de la modernité littéraire – « traditionnellement » globalement définie, dans une perspective occidentale et quelles que soient les divergences au sein même de cette perspective, comme un phénomène allant de la fin du xixe siècle au milieu du xxe siècle –, les articles de ce volume s’intéressent, au titre des « modernités littéraires », tant aux mutations littéraires qui se sont produites au Japon au cœur du xviiie siècle (et aux similitudes que celles-ci pourraient entretenir avec le devenir de l’Occident) qu’à des productions littéraires contemporaines en Afrique et à des écrivains contemporains qui, à l’instar du Camerounais Patrice Nganang, tentent de rompre avec un particularisme historique pour donner à entendre une puissance d’actualité et de modernité de la littérature africaine.
Modernités nationales : pertinence et limites de l’histoire littéraire
19Le découpage national que l’on retrouve dans la plupart des articles de ce volume mérite donc une explication. Il n’est pas question de définir le type de modernité qu’incarneraient la France, l’Angleterre, l’Italie, le Japon, le Maroc ou l’Inde en tant que nations, mais plutôt de faire apparaître comment des littératures, constituées à des degrés différents autour du critère national, posent l’équation moderniste. L’enjeu de la troisième partie de ce volume est précisément d’interroger la notion de modernité en termes d’« histoires littéraires » nationales pour faire apparaître, à partir des exemples italien, viennois et japonais à la fois des points communs dans la mise en récit des différentes histoires littéraires, des « mises en phase » et des « déphasages ». L’Italie, l’Autriche et le Japon ne sont évidemment pas les seuls lieux, les seules nations, où se soit posée et où se pose la question d’une histoire de la modernité ; ce ne sont pas non plus les seuls pays où la question de la modernité puisse être envisagée à partir d’un point de vue d’histoire littéraire. Telles qu’elles sont présentées et problématisées dans les trois articles de cette partie, les « histoires littéraires » de la modernité en Italie, à Vienne et au Japon interrogent de façon exemplaire la notion de modernité nationale et la façon dont une telle notion se construit dans une prise en compte de l’extra-national.
20Il y a là peut-être, autour de cette question des littératures nationales, un clivage pertinent entre l’Europe et le reste du monde si l’on considère qu’une spécificité des nationalismes européens est d’avoir partie liée avec le romantisme. Si l’assimilation du modernisme à l’Occident pose problème, on aurait sans doute moins de mal à montrer les sources proprement européennes du romantisme. Les nations occidentales, dans leurs ressemblances et dans leurs différences, émergent de la matrice romantique. C’est donc peut-être au sein de cette matrice que l’on pourrait repérer les différenciations entre les modernités européennes.
21De la question des modernités non occidentales découle la remise en cause de la lecture de la modernité comme post-romantisme. Il est difficile d’envisager les modernités indienne, africaine ou japonaise comme des conséquences de la vague romantique. C’est donc dans une autre perspective qu’il faudra appréhender le lien entre les nations et la modernité. Quel que soit le cas de figure, la question nationale, en Europe et ailleurs, semble être étroitement liée à la perception de la modernité. La façon dont les nations modernes comptent sur leur patrimoine littéraire et le mettent en perspective à travers une histoire littéraire n’est pas étrangère aux variations de points de vue sur la modernité. Si l’on connaît des écrivains antimodernes, on a du mal à imaginer une littérature nationale antimoderne. Le regard rétrospectif et la constitution d’histoires littéraires nationales sont fortement liés à la problématique de la modernité. Selon le cas, la gestion des formes littéraires du passé pourra donner lieu aux catégories de la tradition ou du patrimoine. Un clivage pertinent est ici celui des nations à archives littéraires, qui envisagent le passé à partir d’un patrimoine scriptural, et les nations sans archives, ou à faibles archives, engagées dans d’autres modalités de patrimonialisation littéraire.
- 14 Edward W. Said, Orientalism, New York, Pantheon Books, 1978 ; Culture and Imperialism, New York, Vi (...)
- 15 Birag Diop, Les Contes d’Amadou Koumba, Paris, Fasquelle, 1947; Amos Tutuola, The Palmwine Drinkard (...)
- 16 Le travail de Marcel Griaule sur la culture dogon est un remarquable exemple de cette « classicisat (...)
22Les pôles de modernité au sein de la nation, y compris à l’intérieur des différents champs littéraires, sont nécessairement corrélés à la gestion de l’archive littéraire, qui bascule soudain dans le non contemporain. Un peu partout la modernité s’accompagne de la prise de conscience, plus ou moins euphorique ou douloureuse, que les anciens ne sont plus nos contemporains et que leur legs doit être géré. La mise en configuration des formes esthétiques passées sous la forme de la tradition ou du patrimoine est un des aspects importants de différenciation entre les nations. Ce paradoxe de la modernité qui l’amène à débattre du passé est particulièrement opératoire dans un contexte postcolonial où les nations sont travaillées par l’expérience d’une rupture coloniale qui a systématiquement posé le problème culturel en termes de patrimoine. Les travaux d’Edward Said sur l’Orientalisme et sur l’Africanisme14 ont attiré notre attention sur l’impact de la mise en archives et la constitution de patrimoines culturels à travers le monde. Ce qu’on appelle souvent « l’invention de la tradition » dans les sociétés postcoloniales est une caractéristique importante des modernités littéraires extra-occidentales et est en corrélation étroite avec les différents modes de gestion du patrimoine en Occident. Pour prendre un exemple, la distinction que William Marx met au jour entre un « modernisme anglo-américain, qui naît dans une culture de tradition, souple et mobile, [et un] modernisme à la française, issu au contraire d’une culture à classiques, stables et figés » n’est pas sans conséquences sur la façon dont est ressaisie la tradition orale en Afrique anglophone et en Afrique francophone. On pourrait comparer l’usage des contes wolof fait par l’écrivain sénégalais Birago Diop et celui que fait le Nigérian Amos Tutuola des contes yoruba, dans deux œuvres à peu près contemporaines de l’époque coloniale15 : à l’embaumement du conte par une langue française très contrôlée répond un usage informel des contes et de la langue anglaise au service d’une dynamique narrative d’une grande modernité. La conception anglo-saxonne du modernisme facilitera la tâche des écrivains africains anglophones en leur permettant de faire un usage fluide de formes de l’oralité traditionnelle, là où les écrivains francophones auront à trouver les voies d’une modernité littéraire par-delà le glacis « classicisant » qui sera posé sur les cultures traditionnelles16.
L’œuvre moderne comme objet technique : mise en phase « universelle »
- 17 Cf. Jean-François Lyotard, La Condition postmoderne, Paris, Éditions de Minuit, 1979.
23Au-delà de la question de la périodisation de la (ou des) modernité(s), si à la suite de Jean-François Lyotard on envisage le savoir (au sens large du terme) en termes de récit, voire de « métarécit17 », on est alors conduit à penser la modernité elle-même comme un récit, voire comme des récits, ou même, comme le suggère Lozerand, comme un « fantasme de “grand récit” ». Singulière ou plurielle, réalité ou fantasme, la modernité est alors à penser en termes d’agencements narratifs, de montages de micro-récits, impliquant à la fois une spatialisation, dans le mouvement du « micro » au « grand » récit, et une temporalité, dans l’enchaînement narratif. C’est tout l’enjeu de la question de l’invention technique dans l’aventure moderne.
- 18 Jean-François Lyotard, Le Postmoderne expliqué aux enfants, Paris, Galilée, 1986, p. 40.
- 19 Jean-François Lyotard, « Le sublime et l’avant-garde », Le Postmoderne expliqué aux enfants, op. ci (...)
24Lyotard, le penseur du « postmoderne », propose donc de lire « l’âge moderne » comme l’âge où s’élaborent et se légitiment les « métarécits » : émancipation progressive de la raison et de la liberté, émancipation progressive ou catastrophique du travail, enrichissement de l’humanité par les progrès de la technoscience capitaliste, etc. La philosophie de Hegel totalise tous ces récits et, en ce sens, elle concentre la modernité spéculative18. L’âge moderne serait donc l’âge des grands récits, c’est-à-dire des narrations à fonction légitimante. Mais la modernité littéraire à laquelle s’intéresse Lyotard quand il écrit sur Joyce, sur l’avant-garde ou sur Gertrude Stein, est celle qui substitue au grand récit une attention portée au matériau – la couleur pour le peintre, le minéral pour le sculpteur, les mots pour l’écrivain – pour donner à voir ou à penser qu’il y a de l’imprésentable et de l’impensé : « J’appellerai moderne l’art qui consacre son “petit technique”, comme disait Diderot, à présenter qu’il y a de l’imprésentable19. »
25Dans des pages de Mille Plateaux, Deleuze et Guattari proposent quant à eux, à partir des écrits de Paul Klee sur l’art moderne, une lecture de « l’âge moderne » comme attention aux forces du Cosmos. Alors que le classicisme affrontait le chaos, que le romantisme exprimait la terre ou le peuple, l’âge moderne cherche à capter les forces cosmiques :
- 20 Gilles Deleuze et Félix Guattari, Mille Plateaux, Paris, Éditions de Minuit, 1980, p. 423. La secti (...)
C’est le tournant post-romantique : l’essentiel n’est plus dans les formes et les matières, ni dans les thèmes, mais dans les forces, les densités, les intensités. La terre elle-même bascule, et tend à valoir comme le pur matériau d’une force gravitique ou de pesanteur. Peut-être faudra-t-il attendre Cézanne pour que les rochers n’existent plus que par les forces de plissement qu’ils captent, les paysages par les forces magnétiques et thermiques, les pommes par des forces de germination : forces non visuelles et pourtant rendues visibles20.
La forme moderne ne serait plus à la recherche d’expressivité, mais la trace d’impact rendue visible dans le matériau des forces aveugles du Cosmos (forces de plissement, de rayonnement, forces magnétiques, thermiques, etc.).
26On comprend dans ces conditions en quoi la modernité établit un lien très étroit entre l’art et la technique. Les modernités littéraires et artistiques ont pris acte de la transformation de l’univers en données – ou data – mesurables et surtout communicables. Si les forces de la pesanteur s’appliquent aussi bien en Occident qu’en dehors de l’Occident, alors un art qui naît de la capture de telles forces n’a pas à être adapté pour circuler. La mondialisation de la modernité est intrinsèque au projet moderniste en ce qu’elle emboîte le pas à la mondialisation technique.
27Les travaux du philosophe Gilbert Simondon sur les objets techniques permettent d’envisager sous un jour nouveau la dimension interculturelle de la modernité. Lorsque sa réflexion porte sur les relations entre technique et esthétique, notamment du point de vue du couplage entre l’objet technique et un univers (le Cosmos chez Klee, l’invisible chez Deleuze, l’irreprésentable chez Lyotard), elle concerne implicitement la modernité :
- 21 Gilbert Simondon, Du mode d’existence des objets techniques, Paris, Aubier, 1958, p. 185.
Tout objet technique, mobile ou fixe, peut avoir son épiphanie esthétique, dans la mesure où il prolonge le monde et s’insère en lui. Mais ce n’est pas seulement l’objet technique qui est beau : c’est le point singulier du monde que concrétise l’objet technique. Ce n’est pas seulement la ligne de pylônes qui est belle, c’est le couplage de la ligne, des rochers et de la vallée, c’est la tension et la flexion des câbles : là réside une opération muette, silencieuse, et toujours constituée de la technicité qui s’applique au monde21.
- 22 Pour autant, cette universalité technique de la modernité ne remet pas en cause sa déclinaison plur (...)
C’est bien du « monde », voire de l’univers, comme réalité de géographie physique qu’il s’agit ici, indépendamment des conditionnements culturels de sa perception. Ce branchement de l’esthétique moderne sur le substrat des lois physiques qui informent l’univers est le principe de son « universalité22 ».
28La réflexion collective que nous proposons ici sur le lien entre les modernités littéraires est donc une façon de poser la question interculturelle, avec en sous-main une interrogation sur la façon dont la modernité affecte les cultures. Tout le monde s’accordera à dire qu’il y a une multiplicité d’usages de la modernité à travers le monde (comme il y a des usages différenciés de la roue ou de la poudre), mais plus délicat est le débat sur la notion de cultures modernes. Le pluriel que nous avons mis dans le titre à « Modernités occidentales et extra-occidentales » est donc une proposition à discuter. Y a-t-il une modernité qui affecte les sociétés et les cultures, qu’elles soient occidentales ou extra-occidentales ? ou bien y a-t-il des émergences modernes en Occident et hors de l’Occident, que l’on se proposerait de comparer ? La modernité naît-elle des cultures ou bien vient-elle les affecter ? Le pluriel doit-il se dire des cultures ou bien de la modernité pour elle-même ?
Foules modernes et « petites » revues
- 23 Jean Bemabé, Patrick Chamoiseau, Raphaël Confiant, Éloge de la créolité, Paris/Saint-Joseph, Gallim (...)
29La perception esthétique de la diversité culturelle est une dimension très actuelle de la revendication de modernités extra-occidentales. Les auteurs de l’Éloge de la créolité voient dans la mosaïque (ou le kaléidoscope) créole le meilleur garant de leur irruption dans la modernité23. Et de fait, sociologiquement parlant, la diversité du monde est certainement davantage représentée dans un quartier de Rio de Janeiro, de Lagos ou de Dar es Salaam que dans les arrondissements centraux de Paris, et on pourrait probablement en dire autant de nombreuses villes du monde dit « périphérique ». Si l’on rattache la question de la modernité à celle de la conscience d’être démographiquement pris dans une dynamique mondiale, alors la supposée priorité occidentale devient certainement de plus en plus problématique.
30Pour autant, et il y a là une dimension que l’on ne peut ignorer, il existe bien un sentiment, y compris dans les villes les plus cosmopolites, de ne pas être à « l’Heure du monde », de vivre dans des lieux où il ne se passe rien. La donnée démographique n’est pas le fin mot de ce que l’on pourrait appeler « l’expérience moderne » et les foules cosmopolites urbaines ne sont pas la garantie de la modernité. La planète est peuplée de foules qui se sentent laissées pour compte parce que tenues à l’écart des centres mondiaux de décisions économique et politique. La prise en compte de l’existence de foules muettes occupant les métropoles du Sud, les « sous-quartiers », les lieux de transit, les camps de réfugiés provisoires/permanents interroge fortement le lien que l’esthétique moderne établit avec les phénomènes de foule. Tout se passe comme si les foules urbaines occidentales, références d’une forme de modernité, étaient débordées par un autre type de foules, moins urbaines, moins facilement localisables et qui font irruption dans la sphère de l’opinion. Ce passage des phénomènes de foule en régime mondial est moins un dépassement de ce que les modernités occidentales avaient pu dire sur les foules, qu’un révélateur.
31En esthétisant les foules, la modernité artistique et littéraire occidentale proposait d’oublier l’horizon romantique du peuple et de son âme, pour s’intéresser à la dynamique des fluides, comme le souligne, par exemple, l’intérêt des avant-gardes anglo-américaines des années 1910 pour la notion de « vortex » (et le nom donné au « vorticisme »). Les foules sont traversées de courants, de remous, de tourbillons que l’art cherche à capter et qui ignorent les frontières nationales. Avant les vorticistes, Jules Romains avait déjà fait l’expérience de cette force qui naît dans et de la ville, de ses rues et de ses voitures, quand il définissait l’« unanimisme » comme « l’intuition d’un être vaste et élémentaire, dont la rue, les voitures et les passants formaient le corps et dont le rythme emportait ou recouvrait les rythmes des consciences individuelles ». Les foules urbaines ne sont pas nationales, elles sont canalisées dans les rues de telle ou telle ville et empruntent des corridors pour se déverser dans d’autres réseaux, ailleurs. L’interconnexion moderne des centres urbains à travers le monde a comme substrat cette communication des foules à travers l’espace, indépendamment des conditionnements économiques.
- 24 Gabriel Tarde, L’Opinion et la foule, Paris, Éditions du Sandre, 2006, p. 130. Dans cet ouvrage pub (...)
- 25 The Little Review, dir. Margaret Anderson et Jane Heap, Chicago, New York puis Paris.
- 26 Raymond Williams, The Politics of Modernism, Londres, Verso, 1988, p. 45.
32Ces mouvements de la foule sont en relation avec la circulation d’informations qui se fait en son sein notamment par le biais des supports médiatiques. Dès 1901, Gabriel Tarde, dans L’Opinion et la foule, voit la presse comme ce qui a achevé « le long travail séculaire que la conversation avait commencé, que la correspondance avait prolongé, mais qui restait toujours à l’état d’ébauche éparse et disjointe, le travail de fusion des opinions personnelles en opinions locales, de celles-ci en opinion nationale et en opinion mondiale, l’unification grandiose de l’Esprit public24 ». Dans le premier quart du xxe siècle, en Occident, les revues modernistes, qui doivent leur existence au développement de la presse de masse, même si leur diffusion et leur lectorat n’ont rien de « massif » et même si elles fonctionnent de façon beaucoup plus indépendante du contrôle de l’État (cf. l’article d’Anne-Rachel Hermetet sur la revue Solaria dans l’Italie fasciste), sont l’instrument de cette invention d’une « opinion mondiale » aux contours extrêmement fluides et mouvants. De fait, l’un des supports privilégiés de la « modernité » / du modernism occidental est la « petite revue », pour reprendre l’appellation qui donne son nom à l’une des plus célèbres25. Périodiques à faible tirage, publiant manifestes ou œuvres littéraires et artistiques, les petites revues constituent un réseau marginal mais solidaire, critique de la suprématie des « grands » périodiques et qui constituait la « communauté du médium et des pratiques » que Raymond Williams définit comme le milieu d’émergence du modernisme26. De Londres (BLAST, The Criterion, The English Review) à New York (The Little Review, The Dial) en passant par Paris (transition, SIC, La Nouvelle Revue française), Florence (Solaria, Lacerba), Berlin (Die Aktion) ou Vienne (Moderne Dichtung / Moderne Rundschau), l’émergence et le développement des modernités occidentales ont partie liée avec ces revues.
33Non seulement les revues ont servi de forum de discussion et de débat aux « modernités littéraires occidentales », de lieu de publication pour certaines des œuvres phares de ces « modernités occidentales » (que l’on songe, par exemple, à The Waste Land de T. S. Eliot, à Ulysses et Finnegans Wake de Joyce) mais plus encore, elles ont constitué le lieu de l’expérience collective qui définit les modernités occidentales, expérience qui est celle d’un rapport spécifique de la littérature aux transformations de la vie en métropole. Elles ont permis que se tissent des réseaux d’individus et que circulent les œuvres au-delà des frontières nationales. Enfin, certaines de ces revues ont emprunté à la presse à gros tirage, qui se développe du fait de la révolution de l’écrit qui marque le tournant du xxe siècle, certaines de ses techniques – qu’il s’agisse de la diffusion de masse des manifestes futuristes, ou de la typographie des manifestes vorticistes de Blast qui rappelle les slogans commerciaux. Aussi modestes soient-elles, elles sont l’outil indispensable à l’embrayage de la littérature sur les foules.
34Le lien entre modernité et revues n’est pas limité à l’Occident. Aux analyses de Karl Zieger sur l’importance de Moderne Dichtung /Moderne Rundschau dans le développement de la « modernité viennoise », ou d’Anne-Rachel Hermetet sur l’importance de Solaria comme revue moderniste de l’entre-deux-guerres, font écho celles de Xavier Garnier sur l’importance de la presse pour la production et la diffusion, en Afrique, d’une littérature qu’il associe à la rupture moderniste : « Un peu partout en Afrique, et particulièrement dans les régions où existe une tradition manuscrite (l’Afrique de l’ouest, l’Éthiopie, la côte swahilie et Madagascar), la rupture moderniste est associée au mode de diffusion de l’écrit. »
Voix modernes nées de la rumeur du monde : la question du sujet
- 27 Henri Meschonnic, Modernité, modernité, Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », 1988, p. 33 et p. (...)
35Quels que soient l’espace et la période qualifiés de « modernes », la notion de modernité implique une pensée du sujet. Si, en Occident, la modernité pensée comme héritage mallarméen s’accomplit comme une « disparition élocutoire du sujet » – accomplissement dont on peut repérer des formes diverses tant dans son élimination par les théories de la structure que dans sa fragmentation par la psychanalyse – une telle « disparition » du sujet comme marqueur d’une modernité post-mallarméenne doit être mise en relation avec la modernité pensée comme héritage cartésien et émergence tant de l’individu particulier que de la conscience singulière sous la forme du cogito. C’est dire à quel point un même terme – celui de « modernité » – peut recouvrir des pensées du sujet différentes, celle de son émergence comme celle de sa disparition. Si l’on adopte la perspective d’Henri Meschonnic, la modernité serait avant tout la question du sujet, mais ce serait moins la question de savoir comment est pensé le sujet que celle de savoir comment le sujet projette les valeurs qui le constituent sur un objet qui ne tient que de cette projection : « Ce terme [modernité] n’a pas de référent. Fixe, objectif. Il a seulement un sujet. Dont il est plein. C’est le signifiant d’un sujet […] la modernité est le mode historique de la subjectivité27. » En ce sens, même si la notion de « sujet » et l’histoire d’une telle notion ne recouvrent bien évidemment pas les mêmes choses en Occident, au Japon, en Inde ou en Afrique, on peut peut-être affirmer que si modernité « a seulement un sujet », c’est toujours un sujet différent, et différent des sujets particuliers.
- 28 Jean-Michel Maulpoix, La Poésie comme l’amour, Paris, Mercure de France, 1998.
- 29 Sur cette distinction entre sociétés individualistes et sociétés holistes on pourra se référer à l’ (...)
36Dans la mesure où la subjectivité ne se constitue que dans sa relation à autrui et à d’autres subjectivités, l’un des traits communément associés à la modernité occidentale de la fin du xixe siècle et du début du xxe – dans sa version Baudelaire comme dans sa version Virginia Woolf ou dans sa version Joyce – est de penser le « sujet moderne » dans son rapport aux foules urbaines, nées du développement industriel, et à leur anonymat. « Solitaire doué d’une imagination active, toujours voyageant à travers le grand désert d’hommes », le peintre de la vie moderne, pour Baudelaire, vit la modernité en tant qu’individu dans la foule anonyme. Comme le souligne Jean-Michel Maulpoix à propos de Baudelaire, « lieu de la multitude et de la solitude, la grande ville est cet endroit où la question de l’être de l’homme est le plus cruellement posée28 ». Dans sa définition du roman moderne (« Modern Fiction ») comme dans sa pratique, Virginia Woolf s’inscrit sur ce point dans le prolongement de Baudelaire, qu’elle explore la place du sujet dans l’univers des foules londoniennes (Mrs Dalloway) ou qu’elle souligne la modernité de Ulysses de Joyce, dans sa façon de construire la relation de Bloom aux autres dans Dublin. Cet avènement de la foule au sein des préoccupations littéraires, l’articulation de l’écrit et de l’opinion publique que réalise de façon massive ou indirecte la presse à grande diffusion ou les revues avant-gardistes, permettent de poser sous un nouvel angle la question très discutée du « sujet moderne ». Si l’on a souvent mis en relation les foules occidentales et l’individualisme, avec le motif de la solitude éprouvée au sein de la multitude, les foules extra-occidentales, et particulièrement asiatiques, ont été parfois référées à l’existence de sociétés dites « holistes », niant l’individu29. Il y a ici un paradoxe qu’une lecture du modernisme comme phénomène mondial peut relativiser. Cette prise en compte des phénomènes de foule planétaires ne renvoie-t-elle pas, dans le cas des sociétés associées à l’individualisme occidental, comme dans celui des sociétés holistes, au même mode d’émergence du sujet moderne à travers le monde ?
37Une voix qui se détache du grondement de la foule a les caractéristiques de la prise de parole moderne : éruptive, fragile, instable, éphémère, etc. En inventant une nouvelle perception des foules, même en les présentant parfois comme menaçantes, ternes, infantiles voire imbéciles, l’esthétique moderne refonde le sujet sur la singularité des voix. Les foules « holistes » et les foules « individualistes » se mêlent dans une même rumeur d’où émergent de façon sporadique des éclats de voix. On pourrait multiplier les exemples de ces voix modernes qui se sont détachées de la rumeur du monde, assumant une forme d’individualisme radical et refusant toute concession aux déterminations culturalistes. La mise en perspective mondiale de la modernité permet donc de relativiser la trop grande évidence d’un individualisme occidental aux racines très anciennes qui préparerait la modernité occidentale. Perçus comme effets de l’avènement des foules modernes, l’individu et le sujet modernes portent avec eux tous les potentiels de composition et de dissolution de formes que libèrent les foules. La mobilité ou la fluidité du sujet moderne est à la fois nécessairement transversale et non hégémonique. La transversalité sans l’hégémonie : telle est la force de l’invention moderne. Si la modernité est un processus d’invention de formes qui porte en elle son principe de dissolution, alors la modernité est éminemment plurielle, mais d’une pluralité qui n’engendre aucune concurrence des formes et ne permet aucune hégémonie de l’une sur les autres. L’imprévisibilité des formes de la modernité est liée au travail conjoint des forces de genèse et de dissolution qui les sous-tendent. Les modernités génèrent et dissolvent à travers le monde des formes littéraires et artistiques que des appareils d’État, par exemple, peuvent tenter de capter, de stabiliser et d’imposer au Monde. Mais on entre alors dans une tout autre logique, impériale, vieille comme le monde, qui n’a plus grand-chose à voir avec la modernité en tant que telle.
Notes
1 Voir, par exemple, Raymond Aron, Les Désillusions du progrès, essai sur la dialectique de la modernité, Paris, Calmann-Lévy, 1969.
2 Filippo Tommaso Marinetti, « Manifeste de Fondation du Futurisme », paru le 20 février 1909 dans Le Figaro, reproduit dans Le Futurisme, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1980, p. 153.
3 « Le drame moderne, explique Marinetti dans le dixième chapitre du Futurisme, doit exprimer le grand rêve futuriste qui se dégage de notre vie contemporaine exaspérée par les vitesses terrestres, marines et aériennes et dominée par la vapeur et l’électricité » (« La volupté d’être sifflé », Le Futurisme, op. cit., p. 131).
4 Filippo Tommaso Marinetti, « La guerre électrique », Le Futurisme, op. cit., p. 134.
5 Henri Meschonnic, Modernité, Modernité, Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », 1988, p. 27.
6 Blast, no 1, 20 juin 1914, p. 39 et p. 41. « Le Monde Moderne est presque entièrement le résultat du génie anglo-saxon – son apparition et son esprit » ; « Aujourd’hui, dans leur “découverte” du sport, dans leur engouement futuriste pour les machines, les aéroplanes etc., par exemple, les Latins sont les “modernes” les plus romantiques et les plus sentimentaux qui soient » (nous traduisons).
7 Eugène Ionesco, « Discours sur l’avant-garde » (juin 1959), Notes et contre-notes, Paris, Gallimard, 1991, p. 77.
8 Filippo Tommaso Marinetti, « Manifeste de Fondation du futurisme », op. cit., p. 154.
9 Voir Manifestes futuristes russes, choisis, traduits et commentés par Léon Robel, Paris, Les Éditeurs français réunis, 1972, p. 44 et p. 51, par exemple.
10 Tristan Tzara, « Sept manifestes Dada », reproduits dans Dada est Tatou. Tout est Dada, Paris, GF-Flammarion, 1996, p. 212.
11 François Noudelmann, Avant-gardes et modernité, Paris, Hachette, 2000, p. 7.
12 Voir Thomas Steams Eliot, Selected Essays, Londres, Faber and Faber, 1951, p. 13-22 (« Tradition and the Individual Talent », 1919).
13 Dilip Parameshwar Gaonkar, « On Alternative Modernities », Public Culture, no 27, special issue on « Alter/Native Modernities », éd. Dilip Parameshwar Gaonkar, 1999, p. 18 : « Partout, sur tout site national/culturel, la modernité n’est pas une mais plurielle ; la modernité n’est pas nouvelle mais ancienne et familière ; la modernité est incomplète et nécessairement telle. »
14 Edward W. Said, Orientalism, New York, Pantheon Books, 1978 ; Culture and Imperialism, New York, Vintage Books, 1994.
15 Birag Diop, Les Contes d’Amadou Koumba, Paris, Fasquelle, 1947; Amos Tutuola, The Palmwine Drinkard, and his Dead Palm Wine tapster in the Dead’s town, London, Faber and Faber, 1952.
16 Le travail de Marcel Griaule sur la culture dogon est un remarquable exemple de cette « classicisation » d’une culture africaine, qui amènera l’éminent ethnologue à prendre de surprenantes prises de position contre les effets culturellement désastreux de la mode vestimentaire occidentale chez les Africains.
17 Cf. Jean-François Lyotard, La Condition postmoderne, Paris, Éditions de Minuit, 1979.
18 Jean-François Lyotard, Le Postmoderne expliqué aux enfants, Paris, Galilée, 1986, p. 40.
19 Jean-François Lyotard, « Le sublime et l’avant-garde », Le Postmoderne expliqué aux enfants, op. cit., p. 27. Voir également « Après le sublime, état de l’esthétique », L’Inhumain. Causeries sur le temps, Paris, Galilée, 1988, p. 147-155.
20 Gilles Deleuze et Félix Guattari, Mille Plateaux, Paris, Éditions de Minuit, 1980, p. 423. La section consacrée à « l’âge moderne » est p. 416-433.
21 Gilbert Simondon, Du mode d’existence des objets techniques, Paris, Aubier, 1958, p. 185.
22 Pour autant, cette universalité technique de la modernité ne remet pas en cause sa déclinaison plurielle. Le travail du philosophe béninois Paulin Hountondji sur les « savoirs endogènes » est une tentative pour essayer d’articuler cette déterritorialisation des flux de modernité et les capacités de captation et de mobilisation de ceux-ci dans des contextes locaux (Voir Paulin Hountondji, Les Savoirs endogènes : pistes pour une recherche, Dakar/Paris, Acoria/Karthala, 1994). Des domaines comme la médecine (réévaluation des techniques de guérison traditionnelles) ou le droit (mise en place des gacaca comme traitement juridique du génocide au Rwanda) sont au cœur de ces logiques de localisation des dynamiques modernes.
23 Jean Bemabé, Patrick Chamoiseau, Raphaël Confiant, Éloge de la créolité, Paris/Saint-Joseph, Gallimard/Presses Universitaires Créoles, 1989, p. 41-43.
24 Gabriel Tarde, L’Opinion et la foule, Paris, Éditions du Sandre, 2006, p. 130. Dans cet ouvrage publié en 1901 Tarde propose une réflexion sur la notion d’opinion dans son rapport à la foule, cette nouvelle réalité sociale que la modernité a fait émerger.
25 The Little Review, dir. Margaret Anderson et Jane Heap, Chicago, New York puis Paris.
26 Raymond Williams, The Politics of Modernism, Londres, Verso, 1988, p. 45.
27 Henri Meschonnic, Modernité, modernité, Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », 1988, p. 33 et p. 37. La citation est extraite du chapitre intitulé de façon explicite « La modernité comme travail du sujet ».
28 Jean-Michel Maulpoix, La Poésie comme l’amour, Paris, Mercure de France, 1998.
29 Sur cette distinction entre sociétés individualistes et sociétés holistes on pourra se référer à l’ouvrage de Louis Dumont, Essais sur l’individualisme. Une perspective anthropologique sur l’idéologie moderne, Paris, Seuil, 1983.
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Référence papier
Xavier Garnier et Anne Tomiche, « Introduction », Itinéraires, 2009-3 | 2009, 7-25.
Référence électronique
Xavier Garnier et Anne Tomiche, « Introduction », Itinéraires [En ligne], 2009-3 | 2009, mis en ligne le 10 février 2015, consulté le 11 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/itineraires/439 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/itineraires.439
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