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Variations disciplinaires et intermédiales

Woody en ses écrans : miroirs, mirages et autofiction

Woody within his Screens: Mirrors, Mirages and Autofiction
Frédérique Brisset

Résumés

La dialectique auteur-personne, au cinéma plus encore qu’en littérature, est source d’interrogations. Il est difficile de dissocier ces instances chez un cinéaste tel que Woody Allen, du fait de son double statut actorial et auctorial, combiné à l’hybridité scénariste-réalisateur. Le fondement autobiographique de ses films implique en outre une relation auteur-récepteur spécifique. L’autofiction l’installe dans le film, en cultivant l’ambiguïté propre à ce genre qui use du mode énonciatif de l’autobiographie. Narrateur, auteur et personnage sont réunis en une entité à la fois fictive et réaliste, incarnée par un auteur-acteur, qui influe sur la réception de la fiction, l’auteur existant dans et hors le film. On étudie ici, à travers l’approche narratologique de sa longue filmographie et l’herméneutique de la réception appliquée au cinéma, ce phénomène exploité par Allen depuis plus de cinquante ans, en un compagnonnage avec son public qui nourrit sa création cinématographique et joue sur ses multiples niveaux de réception.

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Texte intégral

  • 1 Cette notion « sémiotico-textuelle » définit les mondes possibles narratifs : « Étant déterminés pa (...)
  • 2 Néologisme introduit par Martin Lefebvre en 1997, copié sur le modèle du pacte de lecture pour dési (...)

1Le succès de Woody Allen à l’étranger procède en partie de sa représentation d’un monde bien spécifique, ailleurs à la fois géographique et autobiographique, à la frontière du monde actuel (entendu comme monde « réel », ou monde « où nous vivons ») et des mondes possibles (fictionnels, compris comme constructions culturelles)1. Au cœur de cet artéfact, la personne même du cinéaste jouit d’un statut fort ambigu, car ses productions sont souvent reçues comme des épisodes autobiographiques à peine masqués. Si « le genre autobiographique est un genre contractuel » (Lejeune 1975 : 44, italiques de l’auteur), le pacte de spectature2 passé avec le public de la filmographie allenienne fonctionne dès lors à sens unique : le cinéaste-acteur a toujours refusé cette lecture de son alter ego cinématographique. Ses films ne sont donc pas à confondre avec le biopic, genre pourtant marqué par « le mélange entre réalité et fiction qui sous-tend, ipso facto, l’élaboration des films biographiques » (Letort et Tuhkunen 2016).

  • 3 « On peut tout à fait soutenir que, d’une certaine façon, les livres d’histoire, les informations j (...)

2Nous proposons donc d’étudier comment cette relation contradictoire s’est élaborée au fil de la filmographie allenienne, instituant un compagnonnage avec son public qui nourrit sa création cinématographique en jouant sur les divers niveaux potentiels de réception de ses films. À partir de l’hypothèse que cette construction procède plus d’une écriture d’autofiction que d’une réelle narration autobiographique, même si la délimitation entre les deux concepts reste mouvante3, nous étudions dans un premier temps comment se définit la fonction auteur au cinéma, puis comment s’organise le genre autofictionnel et, enfin, selon quels procédés narratifs Woody Allen répond à cette définition, en habitant ses films à plusieurs titres. Nous nous appuyons sur une approche narratologique de son abondante et singulière filmographie et sur l’herméneutique de la réception appliquée au cinéma.

Auteur et personne : tout un cinéma

3Quel que soit le cinéaste considéré, la question de la dialectique auteur-personne, au cinéma plus encore qu’en littérature, est bien sûr source d’interrogations renouvelées :

À partir de quels traits l’auteur est-il repérable ? Ne serait-il pas un simple effet stylistique ? Est-il à repérer du côté de l’individu (dimension historique et biographique) ou du côté des films ? Il semblerait qu’un des premiers gestes pertinents consiste à opérer une dissociation radicale entre l’auteur et la personne ou l’être. (Gardies et Bessalel 1998 : 30)

4Si une telle dissociation est souhaitable, les recherches en diachronie montrent que la personne-auteur occupe une place relativement nouvelle dans l’histoire intellectuelle. La forte personnalisation de l’œuvre résulte de l’émergence de l’individualisation dans la culture européenne et a ensuite dominé la production artistique et son analyse par la critique jusqu’au milieu du xxe siècle : la production de l’auteur y est alors lue à la lumière de son histoire sociale et intime.

5Les apports de la linguistique, notamment dans le prolongement du structuralisme, entraînent ensuite une conception antinomique :

Le scripteur moderne naît en même temps que son texte ; il n’est d’aucune façon pourvu d’un être qui précéderait ou excéderait son écriture, il n’est en rien le sujet dont son livre serait le prédicat ; il n’y a d’autre temps que celui de l’énonciation, et tout texte est écrit éternellement ici et maintenant. (Barthes 1984 : 64, italiques de l’auteur)

  • 4 Reprise dans Le Bruissement de la langue (1984 : 61-67).

6Selon cette analyse, c’est le texte qui engendre l’auteur. Foucault, en 1969, questionne ainsi les rapports d’appropriation et d’attribution qui fondent la « fonction auteur » : « Il s’agit d’ôter au sujet (ou à son substitut) son rôle de fondement originaire, et de l’analyser comme une fonction variable et complexe du discours » (2001 : 839). Cette vision fonctionnaliste implique la disparition de l’auteur en tant que sujet et la fin d’une possible analyse de l’œuvre sur un fondement biographique. L’aboutissement des réflexions rapportées ci-dessus sera en effet la « mort de l’auteur », formule initiée par Barthes en 19684 en lien avec l’avènement des théories de la réception.

7Cette évolution s’attache principalement à l’analyse littéraire, mais les problématiques sont voisines dans le champ cinématographique :

Certes, il est clair que, du point de vue de la phénoménologie de la perception, l’expérience visuelle et sonore du spectateur est radicalement différente de celle du lecteur d’un texte. Il n’empêche que le spectateur comme le lecteur ont besoin d’élaborer des figures symboliques qui leur permettent de se représenter les différentes formes d’intentionnalité qui sont à l’œuvre dans la médiation narrative, à savoir celles du narrateur et de l’auteur. (Beylot 2005 : 80, italiques de l’auteur)

  • 5 Cité par Lejeune (1975 : 43).
  • 6 Les autres conditions incluent la forme (récit en prose), le sujet traité (vie individuelle) et la (...)

8La notion d’auteur s’est installée durablement au cinéma par le biais de l’école critique française issue des Cahiers du cinéma en 1954 et sa Politique des auteurs (qui inspira la Nouvelle Vague), même si elle a toujours fait l’objet de débats, on le verra plus loin. Cette dimension de mise en avant du créateur de film nous intéresse néanmoins de par sa pertinence vis-à-vis du « sujet » Allen, instance protéiforme analysée dans cet article, car la dissociation auteur / personne est particulièrement difficile chez lui. La première raison tient à son double statut filmique, actorial en même temps qu’auctorial (Allen est en effet le scénariste de tous les films qu’il a réalisés depuis 1971, même s’il s’est adjoint un co-scénariste pour certains), se combinant à l’hybridité scénariste-réalisateur, qui amène le spectateur à rechercher une « coïncidence du personnage et de l’auteur », pour reprendre Sartre5, et une « identité de l’auteur, du narrateur et du personnage » principal (Lejeune 1975 : 15, italiques de l’auteur), conditions nécessaires mais non suffisantes du rattachement au genre biographique6. Au cinéma, cette conjonction est d’autant plus remarquable qu’il n’y a « pas de film de fiction sans personnage, plus précisément sans “effet personnage”, sans cette figure qui assure une sorte de permanence à travers la diversité des événements représentés grâce au programme narratif dont elle est porteuse » (Gardies et Bessalel 1998 : 88). Chez Allen, la permanence du « programme narratif » est en outre confortée par la récurrence annuelle de ses productions. Mais le personnage n’est que l’un des indices qui concourent à la narration, entendue ici au sens défini par Bordwell à partir des apports de la psychologie cognitive, d’organisation d’un ensemble d’indications (cues) qui oriente le spectateur dans sa construction d’une histoire (fabula) (1985 : 53, 62).

Autofiction et cinéma

9Le programme allenien s’organise depuis plus de cinquante ans sur un « effet personnage » fort identifiable par son public. Mais sa prégnance intertextuelle est encore amplifiée par sa présence à l’écran dans beaucoup de ses films, incarnant le phénomène d’autofiction : « Lorsque le metteur en scène lui-même incarne ce personnage, cela peut conférer à la fiction une dimension autobiographique et créer une ambiguïté quant au statut de ce je narrateur » (Beylot 2005 : 130). Le procédé d’autofiction installe ainsi l’auteur comme autorité à l’intérieur même du film, tout en cultivant une certaine ambiguïté, propre à ce genre qui emploie le mode énonciatif habituellement réservé à l’autobiographie. Le fondement autobiographique de la fiction implique, dès lors, une relation particulière entre auteur et récepteur, d’autant qu’en règle générale « l’explication de l’œuvre est toujours cherchée du côté de celui qui l’a produite » (Barthes 1984 : 62, italiques de l’auteur).

  • 7 « Il est difficile de séparer quelquefois le narrateur de l’auteur, tout comme il est parfois bien (...)

10Narrateur, auteur et personnage sont réunis en une entité à la fois fictive et réaliste et, quand cette instance est incarnée par un auteur-acteur7, cette équation influe plus directement encore sur la réception du film et l’implication du spectateur, sa projection dans la fiction. La citation de Beylot rapportée plus haut s’apparente en effet à une quasi-définition de l’autofiction, « récit dont la matière est entièrement autobiographique, la manière entièrement fictionnelle » (Doubrovsky 2014), convergence particulièrement intéressante ici.

11Comme dans le roman, l’auteur habite ainsi le film à double titre. Dès lors, c’est la notion même de représentation qui est mise en cause. Représentation dans son acception de performance spectaculaire, mais aussi dans celle de construction d’une « illusion référentielle », pour reprendre la collocation forgée par Riffaterre (1982). L’autofiction efface en effet les dichotomies usuelles entre monde réel et mondes possibles, phénomène que nous proposons d’étudier par le prisme de la persona Woody Allen, et tout d’abord dans son occupation de la fonction auteur.

Auteur et personne

12Le processus d’hybridation signalé plus haut est bien sûr perceptible par tous les publics, mais il semble qu’il soit particulièrement prononcé pour Woody Allen, notamment en France, où il est très souvent désigné par la presse par son prénom, sans que son patronyme de scène n’ait besoin d’être utilisé.

  • 8 Trait d’humour très concentré, qui tient en une ligne à l’écrit.

13La personne même d’Allen est devenue une référence publique, identifiable par son style vestimentaire, ses lunettes, son prénom, ses one-liners8, qui va influer en retour sur la perception de sa performance derrière la caméra et/ou à l’écran, à tel point que la critique assimile depuis longtemps œuvre et auteur en commentant « le dernier Woody Allen » ou signalant des réalisations dans la même veine par la locution « à la Woody Allen ». Ces raccourcis métonymiques ne sont pas sans évoquer l’axiome rappelé par François Truffaut ([1955] 2001 : 34) quant à la Politique des auteurs : « Toute basée sur la belle formule de Giraudoux : “il n’y a pas d’œuvres, il n’y a que des auteurs”. » Mais c’est aussi l’une des résultantes classiques du vedettariat (consécutive à l’expansion des médias en général, et du cinéma en particulier) et d’une certaine conception de cet art. « Au cinéma, ce phénomène de compagnonnage existe aussi avec certains cinéastes-acteurs qui acceptent de se dédoubler […]. Woody Allen, Nanni Moretti : on regarde leurs films comme on prendrait de leurs nouvelles » (Nouchi 2009). Car la superposition réalisateur, personne de l’auteur et personnage opérée par le grand public est aussi induite par l’inspiration très autobiographique de nombre des réalisations de Woody Allen. Elle aboutit à une persona sociale fantasmée qui mêle intimement ces diverses facettes de l’individu.

14C’est là une dimension très présente dans le cinéma d’auteur : « Dans une certaine mesure au moins, l’auteur est toujours à lui-même son sujet » (Bazin 2001 : 112), mais il est des cinéastes plus explicites que d’autres sur ce point. Le genre filmique s’avère aussi un critère à considérer, car la forte personnalisation est une figure coutumière de la comédie : « Pour faire rire il faut d’abord parler de soi, proclamer sa singularité, s’enfoncer si avant dans son inadaptation que le décalage avec le monde extérieur s’ouvre béant à chaque battement de paupière » (Veillon 1988 : 14). On pense ici à Charlie Chaplin, Jerry Lewis, voire Jacques Tati dans le domaine français – tous réalisateurs-acteurs dont le personnage récurrent se distingue par une maladresse comique qui le confine aux marges de la société – et Allen répond de même à ces critères.

15Ces circonstances d’énonciation vont peser sur la réception. Dans le cas d’Allen, elles sont fortement conditionnées par le médium filmique et par l’omniprésence de l’auteur empirique, sur et hors écran, de telle sorte qu’il est quasiment impossible pour le spectateur d’accéder au « texte » en occultant le paramètre que représente la « figure de l’auteur », au sens où l’entend Couturier (1995 : 244) :

Dès lors que je reconnais l’existence de cette figure au cœur du texte, je m’efforce par tous les moyens d’en discerner les contours et de recomposer le texte en fonction d’elle et non plus de moi, même si ma coopération est indispensable à l’émergence de cette figure.

  • 9 « Le texte filmique, outre les divers niveaux de production de sens, présente la particularité d’of (...)

16Transposée au médium filmique, cette théorie, qui repose sur un pacte de lecture, implique de la même manière un pacte de spectature : il ne saurait y avoir de film sans spectateur. Au-delà de la dimension purement narratologique de tout film, le spectateur est en effet pleinement inclus dans le dispositif cinématographique, et va actualiser ce texte filmique9 en fonction de son horizon d’attente et reconstruire ce rapport à l’auteur. Ce type de phénomène est d’ordre herméneutique : « La configuration de l’Auteur Modèle dépend de traces textuelles mais elle met en jeu l’univers de ce qui est derrière le texte, derrière le destinataire et probablement devant le texte et le processus de coopération » (Eco [1985] 2004 : 82). C’est en effet le spectateur qui validera ou non la conjonction auteur-personnage-narrateur, dont Lejeune (1975 : 15) écrit qu’elle peut aussi se construire sur une confusion, celle des notions d’identité et de ressemblance, au cœur de la réflexion menée ici.

17La question de l’identité est en effet séminale chez Allen : Allan Stewart Konisberg, né le 1er décembre 1935, devient Woody Allen début 1952 pour signer ses bons mots destinés aux journaux new-yorkais. Cet acte fondateur, le choix d’un nom de plume, est déjà en soi une façon de s’auto-instituer auteur :

Le goût du masque et du miroir, l’exhibitionnisme détourné, l’histrionisme contrôlé, tout cela se joint dans le pseudonyme au plaisir de l’invention, de l’emprunt, de la métamorphose verbale, du fétichisme onomastique. De toute évidence, le pseudonyme est déjà une activité poétique, et quelque chose comme une œuvre. (Genette 1987 : 57)

  • 10 Conception préalable à la Politique des auteurs, qui a désigné jusqu’aux années 1950 ces réalisateu (...)

Mais c’est dans le même temps l’adoption d’une identité déguisée. L’affirmation d’une identité propre en tant qu’auteur que présuppose le pseudonymat marque de fait pour Allen la naissance d’une carrière dédiée à l’activité rédactionnelle, sous diverses formes, avant même l’écriture filmique proprement dite, qui perdure conjointement à celle-ci. Allen, tout en assumant la réalisation de ses films, s’avère en effet écrivain de cinéma, en même temps qu’auteur complet10, puisqu’il maîtrise toutes les phases de production, du scénario au choix des affiches en passant par le tournage, le montage ou la sélection de la musique.

18Certes, la qualification d’auteur est sujette à caution dans le champ cinématographique. Certains chercheurs l’appliquent d’emblée au scénariste-réalisateur : « Il est à la fois celui qui écrit le scénario et celui qui le réalise. […] Dans cette nouvelle appellation, le mot “auteur” reprend son identité première d’écrivain. Il semblerait donc qu’un auteur-réalisateur soit tout simplement un “auteur” » (Parent-Altier 1997 : 8), définition à laquelle répond Allen. L’acception forgée par Truffaut dans son article fondateur dans les Cahiers du cinéma est sensiblement plus restreinte :

L’idée d’auteur est un pari. Ni Bazin, ni Truffaut, ni Rohmer n’entendent que la personne même du cinéaste soit le responsable absolu de tous les aspects d’un film ou d’une œuvre. Ils supposent simplement que les divers points de vue qui se succèdent dans un film postulent une unité de vision qui ne se réalise que dans la conscience du spectateur, unité qui constitue cette personnalité fictive appelée auteur. (Magny 1991 : 90)

  • 11 Longman Dictionary of Contemporary English, 4th edition, 2003.

19Emprunté par l’anglais, ce gallicisme est recensé dans les dictionnaires anglophones les plus généralistes : « Auteur: a film director who has a strong influence on the style of the films that he or she makes11. » Les chercheurs américains ont à l’époque adapté le syntagme Politique des Auteurs en celui d’Auteur Theory, tout en soulignant la difficulté à formaliser le concept :

  • 12 « On peut représenter les trois prémisses de la Politique des auteurs sous forme de trois cercles c (...)

The three premises of the auteur theory may be visualized as three concentric circles: the outer circle as technique; the middle circle, personal style; and the inner circle, interior meaning. The corresponding roles of the director may be designated as those of a technician, a stylist, and an auteur. There is no prescribed course by which a director passes through the three circles12. (Sarris 1962 : 563)

  • 13 Cité dans Geffner (2002) : « Le film est mon système d’écriture pour raconter les histoires que je (...)

20Toutefois, Allen légitime lui-même son cinéma comme relevant de la mouvance du cinéma d’auteur et se reconnaît explicitement comme héritier de cette conception : « I write with film to tell stories that I’ve conceived in my head. The French call it being an auteur13. »

Auteur et personnage

21Cette expérience personnelle alimente ses fictions filmiques, et il n’est donc pas étonnant que Woody Allen mette aussi souvent en scène des écrivains, romanciers, auteurs de sketchs ou scénaristes : Manhattan (1979) en est l’exemple parfait, avec son ouverture où la voix d’Allen / Ike énumère de potentielles phrases d’incipit pour un prochain livre, mais cette figure professionnelle est chez lui récurrente, avec, entre autres, un film tout entier orchestré autour du « writer’s block », Deconstructing Harry (1997). Alors que dans Barton Fink, par exemple, réalisé par les frères Coen en 1991, le héros est lui aussi un écrivain confronté au syndrome de la page blanche, nul ne s’imagine ce protagoniste comme substitut des auteurs du film. Dans Deconstructing Harry au contraire, ce romancier naviguant entre réalité et fiction qui se retrouve à interagir avec les personnages de ses livres évoque irrésistiblement Allen, au premier chef puisqu’il lui prête ses traits, mais aussi de par les démêlés amoureux et le recours à la psychanalyse qui émaillent son histoire personnelle. Dans ce film, comme dans beaucoup d’autres opus du réalisateur, « la transitivité entre le cinéma et la vie est totale. On peut passer de l’un à l’autre sans qu’il soit besoin de miracle, mais simplement de la soumission aux pouvoirs de la fiction » (Veillon 1988 : 16). Allen avait usé de ce même procédé de transitivité, au sens propre du terme, l’itinérance, dans The Purple Rose of Cairo (1985), film « réflexif » (Cerisuelo 2000 : 60) où les personnages sortent de l’écran pour rejoindre les spectateurs du cinéma dans lequel s’inscrit la diégèse.

  • 14 « In reality, however, the “Woody” of Allen’s films is as remote from the real man as was “the Litt (...)

22Pourtant, le personnage de fiction n’est qu’une construction, « un pseudo-objet, entièrement constitué, comme tous les objets de fiction, par le discours qui prétend le décrire et rapporter ses actions, ses pensées et ses paroles » (Genette 1983 : 93, italiques de l’auteur), ou, pour le dire autrement, « la personne psychologique (d’ordre référentiel) n’a aucun rapport avec la personne linguistique, qui n’est jamais définie par des dispositions, des intentions ou des traits, mais seulement par sa place (codée) dans le discours » (Barthes [1966] 1981 : 27), et nous étendons ici l’acception de discours au sens large de discours filmique. Mais, malgré les dénégations d’Allen et de certains biographes14, des éléments factuels très précis permettent de rattacher sa fiction à son existence, outre les occupations intellectuelles citées plus haut : la judéité et les souvenirs de la vie à Brooklyn pendant la Seconde Guerre mondiale évoqués dans Radio Days (1986), par exemple, dans lequel Allen ne joue pas physiquement, mais dont il est le narrateur en voix off. Il se rapproche alors d’une autre forme de ces « situations frontalières, mixtes ou ambiguës » évoquées par Genette (1983 : 71), celle du « chroniqueur contemporain […], toujours au bord d’une participation, ou pour le moins d’une présence à l’action qui est proprement celle du témoin ». Personnage, narrateur et auteur donc, évocateur à nouveau d’une écriture autobiographique, car « les jeux chronologiques que se permettent les autobiographes ont toujours pour terrain le rapport du présent de l’écriture, et du passé raconté par l’écriture » (Lejeune 1975 : 199, italiques de l’auteur). Dans ce film, le présent de l’énonciation sert à reconstruire le passé, par la voix de l’enfant devenu adulte, en une rétrospection qui mêle personnage et narrateur de la diégèse, et auteur-réalisateur.

  • 15 « Bien que ces constructions ne soient en aucune façon des êtres humains au sens littéral, elles so (...)

23La frontière est également ténue entre les couples qu’il forme à l’écran et ses relations sentimentales à la ville, avec successivement Louise Lasser (3 films), Diane Keaton (8 films) puis Mia Farrow (13 films), qui furent ses compagnes dans la vie. Les échos de ces liaisons officielles viennent inévitablement troubler la réception des vingt-quatre films concernés, où les imbroglios conjugaux sont souvent de mise dans le scénario. Veillon (1988 : 13) remarque ainsi : « Annie Hall fait de la matière intime du sujet l’enjeu de la fiction. » Pour ce film de 1977, comme pour les précédents et ceux qui suivront, il est dès lors tentant pour le spectateur de faire l’analogie entre ces duos du monde réel et des mondes possibles, selon une adhésion, consciente ou non, aux théories mimétiques qui veulent que la fiction imite la réalité. « Although these constructs are by no means human beings in the literal sense of the word, they are partly modelled on the reader’s conception of people and in this they are person-like15 » (Rimmon-Kenan 2002 : 33).

  • 16 Voir également Jost (2006) sur « l’auteurisation des images » (italiques de l’auteur) dans ce film (...)

24Si une telle construction peut être élaborée par le lecteur, les fondements mimétiques du cinéma vont d’autant plus facilement conduire le spectateur à cette même conclusion. Un film tel que Husbands and Wives (1992) donnait lieu à sa sortie à diverses interprétations, dont l’une au moins se fondait explicitement sur les événements de la vie privée d’Allen16 : « Selon les critiques, l’auteur est donc construit comme parodie de filmeur empirique, comme réalisateur doté d’une intention artistique, comme individu transposant ses démêlés conjugaux ou comme narrateur orchestrant le récit » (Beylot 2005 : 95).

25On voit combien cet exemple répond à la définition de l’interprétation selon Eco ([1985] 2004 : 232) : « Par interprétation, on entend […] l’actualisation sémantique de tout ce que le texte, en tant que stratégie, veut dire à travers la coopération de son Lecteur Modèle. » Les potentialités de Husbands and Wives, son intentio operis en tant que texte filmique, sont ainsi actualisables à travers divers scénarios d’interprétation, illustrés ci-dessus, dont certains outrepassent sans nul doute l’intentio auctoris.

  • 17 Selon cette analyse, le film narratif s’organise en grands « types syntagmatiques […] repérés par r (...)
  • 18 Voir note 10.

26La compréhension, et par voie de conséquence l’interprétation du texte filmique, compris ici comme texte multimodal17, véritable système plurisémiotique18, s’appuient sur des connaissances à la fois micro et macrocontextuelles, fondées sur le monde réel de référence du spectateur, qui inclut aussi les informations dont il dispose sur Woody Allen. Mais, même hors ce cas limite, c’est aussi un jeu ‒ « aucune forme d’hypertextualité ne va sans une part de jeu, consubstantielle à la pratique du remploi de structures existantes » (Genette 1982 : 452) ‒ que propose Allen à l’intérieur de sa propre filmographie, jeu qui implique un public averti et une participation active du spectateur lors de la phase de réception, avec les risques subséquents quant à l’interprétation finale du texte filmique, qui peut diverger de l’intention auctoriale.

27Cet état de faits est particulièrement marqué dans le cas des acteurs comiques, pour lesquels Král (2007 : 106) signale même une « vampirisation de l’acteur par son image », et cite Chaplin ou Jerry Lewis. La traduction française du titre Sleeper, film d’Allen datant de 1973, est révélatrice de ce phénomène : à sa sortie en France, il devient Woody et les robots, l’intégration du prénom de l’auteur-acteur dans l’intitulé marquant une tentative d’élaboration d’une persona peu ou prou calquée sur le modèle Charlot-Chaplin (loser chétif qui finit par l’emporter sur tous les aléas de l’existence), qui assimile acteur et personnage, alors que le héros allenien se nomme Miles Monroe et nullement Woody. On peut y lire un positionnement basé sur la même stratégie que certains des films joués par Jerry Lewis, dont neuf affichent le prénom de l’acteur dans leur titre français alors que rien n’y renvoie dans l’original ; ces films sont conçus outre-Atlantique comme de purs divertissements, là où le modèle culturel français promeut un artiste reconnaissable et reconnu.

28Pour Allen, cet exemple d’adaptation, stratégie d’extrapolation quelque peu abusive des distributeurs français, n’a pas été copié dans d’autres pays de diffusion et s’est limité à ce seul film. Il représente un cas extrême de réécriture traductive, résultant d’une logique commerciale, mais il n’empêche que l’« incarnation ludique » et « imaginaire » à l’œuvre dans la majeure partie de la filmographie allenienne est porteuse des traits physiques de l’auteur même du récit, interprète régulier de ses propres films. « Le cumul des fonctions de scénariste et de réalisateur, voire de producteur, a évidemment rendu plus facile l’accès au récit personnel » (Vanoye [1989] 2005 : 207). Mais le processus fonctionne en spirale :

Quelque part donc le comédien existe, qui n’est ni une personne, ni un personnage, et dont la réalité sémiologique doit être construite. Si l’on admet que le film, en tant que système textuel, se donne comme le lieu d’un travail de transformations, le comédien, parce qu’il est saisi dans ce procès et se manifeste à travers lui, se définit comme une instance discursive. C’est la figure filmique que produit le texte en tant que lieu d’échanges et de transformations. S’il ne se confond ni avec la « personne » ni avec le « personnage », le comédien entretient d’étroites relations avec eux. […] le comédien, par un lien dialectique, naît du récit en même temps qu’il le fonde. (Gardies 1980 : 72-73)

29Cette analyse conduirait à considérer Allen-comédien comme une figure produite par ses films, eux-mêmes produits d’une écriture qui le fait naître en tant que scripteur, selon la réflexion de Barthes rappelée en première partie. Allen n’existe donc alors que par ses films, que ce soit comme acteur ou comme réalisateur, mais sa double fonction en fait une instance à la fois originelle et subséquente dans ce processus, conception quelque peu vertigineuse parfaitement illustrée dans Deconstructing Harry (1996), et qu’Allen désamorce par l’humour, autre moyen de se mettre à distance de son personnage. Le rapport ambigu et ludique qu’il entretient avec son statut est ainsi illustré dans un autre film, Hollywood Ending (2002). Le producteur Hal y exprime son avis sur Val Waxman, réalisateur interprété par Allen, sa profession établissant un rapport encore plus explicite entre le personnage et la personne-Allen (Allen 2002 : 38-39) :

VO, Hal : […] I-I’m not gonna take temperamental antics from some auteur genius.
Ed : (correcting Hal’s pronunciation) Auteur. Auteur.
Hal : (overlapping) Whatever. Okay, auteur.

Hal : […] j’ai pas l’intention de me faire massacrer par les caprices d’un auteur de génie.
Ed : (corrigeant la prononciation de Hal) Auteur ! Auteur !
Hal : Oui, oui, bon peu importe.

30Difficile de ne pas voir ici un exercice d’autodérision mis en abyme par le cinéaste. L’emploi de quatre occurrences du lexème « auteur » en dix secondes relève d’un procédé itératif typique du comique de répétition, à visée satirique dans le cas présent, qui met à mal le prestigieux vocable français hérité de la Nouvelle Vague.

Lorsqu’un auteur accentue son idiolecte en le multipliant ou en en exagérant les traits caractéristiques, il est tentant (et courant) de le taxer, ou plus exactement de feindre de le soupçonner d’autopastiche ironique, ou, comme on dit plus couramment, d’« autoparodie ». La fictivité du soupçon porte sur le caractère volontaire de la pratique […] mais la critique réelle vise en fait une sorte d’autocaricature involontaire, une aggravation inconsciente ou irresponsable des traits. (Genette 1982 : 136)

31Si les exemples rapportés ci-dessus ne font guère de doute quant à la volonté d’autodérision d’Allen, le caractère répétitif de certains traits tout au long de sa filmographie est source d’interrogations, puisque cette mise en images devient un constant miroir déformant renvoyé à l’auteur par l’auteur, en une fascination troublante : « Un tel dispositif ne va pas sans ironie sur le puissant narcissisme de l’auteur, voire sans un certain masochisme » (Veillon 1988 : 14).

32Car Allen se pose en tant qu’auteur, du côté d’une théorie basée sur la textualité, où les personnages ne sont que des abstractions issues du texte (nous entendons ici texte au sens large, celui de texte filmique). Il conforte ainsi l’affirmation qui veut que « la biographie, “le portrait littéraire”, n’explique pas l’œuvre, qui est le produit d’un autre moi que le moi social, d’un moi profond irréductible à une intention consciente » (Compagnon 1998 : 53). Cet autre moi, Allen l’a isolé dès le début de sa carrière par le biais du pseudonymat, qui lui permet de répondre de facto positivement à la question de Gardies et Bessalel ([1992] 1998 : 30) : « l’auteur, tout comme le personnage, ne serait-il pas un être de “pellicule”, une figure produite par le texte filmique ? » C’est d’ailleurs le thème sous-jacent d’une de ses réalisations, Stardust Memories (1980), où, très tôt dans sa carrière, il joue un cinéaste confronté à son public lors d’un festival, interrogeant la relation créateur-récepteur biaisée par la célébrité.

33Il est pourtant un facteur qui distingue Allen de nombre de cinéastes, noté par Philippe Labro (2002 : 54) suite à un entretien : « Il ressemblait aux héros de ses films, c’est-à-dire qu’il se ressemblait, ce qui n’est pas si fréquent dans un métier où la schizophrénie et la dichotomie tiennent lieu de compagnes quotidiennes », analogie clairement basée sur une analyse autofictionnelle de la filmographie allenienne.

34L’autofiction a donc pour fonction de recréer une unité personne-personnage habituellement mise à mal par le processus de création fictionnelle, en jouant sur une « dissociation fictive, ou figurale, entre les instances auctoriale, narratoriale et actoriale : on sait ou l’on devine que le héros “est” l’auteur, mais le type de narration adopté feint que le narrateur ne soit pas le héros » (Genette 1983 : 72). Il s’agit là d’une illusion supplémentaire dans cet art de l’illusion qu’est le cinéma et elle s’accorde avec la suspension volontaire d’incrédulité nécessaire à sa réception. Genette précise d’ailleurs : « (le lecteur perçoit que) l’auteur, parlant manifestement de lui-même, feint de parler d’un autre » (Ibid. : 73). C’est en ce sens que nous paraît adéquat le concept de mirages, proposé dans le titre de cet article, en tant que phénomène optique, comme l’est le cinéma, et apparence à la fois séduisante et trompeuse, si l’on en croit Le Robert. Le récepteur fait alors face à une ambiguïté voulue par l’auteur et « cette indétermination constitutive doit évidemment être respectée et maintenue » (Ibid.). Elle s’affirme également par les procédés narratifs choisis, objets de la prochaine section.

Auteur et narrateur

35Chez Allen, le « je » narrateur joue avec son public, et l’implication, la projection spectatorielles, en usant régulièrement du mode énonciatif constitutif de l’autobiographie. Ce protagoniste principal est en effet fort souvent chez lui un narrateur à la première personne, artéfact dans lequel il se trouve de facto mêlé au personnage. Il remplit de la sorte pleinement sa fonction de « donateur du récit » (Barthes [1966] 1981 : 25).

36Annie Hall (1977) démarre ainsi par une adresse au spectateur émise par Alvy, personnage joué par Allen, en veste fripée et chemise sans cravate, racontant face à la caméra une blague sur deux retraitées en villégiature dans les monts Catskill, là même où Allen faisait ses tournées d’humoriste. Alvy est un comique de music-hall qui narre en flashbacks son histoire d’amour avec Annie Hall en parsemant sa narration de considérations sur la société contemporaine. Allen crée là le personnage de son alter ego, qu’il réinvestira à de nombreuses reprises dans sa carrière sous divers patronymes : intellectuel juif new-yorkais d’une quarantaine d’années, doublement divorcé, depuis quinze ans en psychanalyse, il aborde de façon drôle et nostalgique les thèmes de l’amour, des relations sexuelles, du fossé culturel entre la côte est et la côte ouest des États-Unis, qui se retrouveront de manière récurrente dans sa filmographie. « Le corps du cinéaste est brandi là comme une signature. Dans cette tradition, Woody Allen et Nanni Moretti sont sans doute allés un peu plus loin que leurs illustres précurseurs dans l’utilisation filmée du récit à la première personne » (Douin 1997 : vii). Manhattan (1979), on l’a vu plus haut, commence avec la voix off d’Allen jouant Ike, auteur de sketches humoristiques citant de possibles phrases d’ouverture pour le roman qu’il rêve d’écrire, narrateur à l’oral et à l’écrit.

37En 1987, Radio Days se présente comme un hommage à l’Amérique des années 1940, évoquée par un adulte, Joe Needleman, relatant ses souvenirs de jeune garçon juif-américain et les anecdotes de sa vie de famille. Woody Allen a tenu à en assurer la narration en voix off à la première personne, du fait de son inspiration résolument autobiographique : « J’ai senti que je devais raconter moi-même cette histoire » (Björkman 2002 : 154).

38Un autre procédé brouille aussi les frontières entre fiction et réalité en copiant le « cinéma vérité » : dans Husbands and Wives (1992), l’interposition de plans face caméra permet aux protagonistes, dont Gabe, joué par Allen, de répondre à un interviewer hors champ, dont le statut reste inconnu du spectateur, mais assure la narration des événements et la liaison entre les différentes séquences.

39La personnalisation de la narration est donc doublement assumée, puisque les héros de ces films sont incarnés par Allen et qu’ils s’expriment à la première personne grammaticale. Ceci produit « au niveau de l’énonciation, l’indécision du sens, c’est-à-dire, en fin de compte, l’incertitude […] de la position du narrateur par rapport à ce qu’il raconte » (Lejeune 1975 : 166). Ce phénomène est directement lié à la rencontre de l’acteur physique et de l’instance narrative et résulte d’une donnée essentielle :

La capacité de l’acteur à mettre en scène le narrateur tout en le tenant à distance et en multipliant les décalages entre la mise en ordre du récit et les surprises du jeu. […] Le narrateur, devenu sujet omniscient de la fiction, ne livrerait qu’un tableau univoque et statique, s’il n’était aussi l’acteur, objet autant que sujet. (Veillon 1988 : 14)

En effet, l’emploi de la première personne n’est pas une condition suffisante pour créer cette illusion et les notions de sujet et objet dont use Veillon ci-dessus peuvent être reçues dans leur acception sociale tout autant que grammaticale :

Ce qui fait une « voix-je », ce n’est pas seulement l’utilisation de la première personne du singulier. C’est surtout une certaine manière de sonner et d’occuper l’espace, une certaine proximité par rapport à l’oreille du spectateur, une certaine façon d’investir celui-ci et d’entraîner son identification. (Chion 1984 : 54)

40Cette caractéristique vocale se perçoit pourtant aussi lorsque le protagoniste n’est pas joué par Allen. Les critiques ont souvent relevé combien son phrasé est systématiquement repris par les acteurs qu’il a distribués dans ses films. Un certain nombre de protagonistes, féminins tout autant que masculins, peuvent en effet s’interpréter comme des substituts ou des variantes de l’alter ego allenien consacré, caractéristique également relevée dans l’autofiction :

Le narrateur, et à travers lui l’auteur, endosse donc bien souvent des déguisements plus ou moins élaborés. Tapi derrière un « je » leurrant, il avance masqué. Et pourtant, le lecteur se laisse volontiers piéger ; il accepte d’être berné – tout au moins à demi –. (Gouiffès 2002 : 44)

  • 19 Sens étymologique du lexème persona, masque porté par les acteurs antiques pour leur permettre d’am (...)

41La notion de « déguisement » appliquée ici au roman, est particulièrement pertinente dans le cas du cinéma, art du travestissement et du faux-semblant. Ainsi Allen n’hésite-t-il pas désormais à employer de jeunes comédiens à succès pour prendre sa suite, tels Jason Biggs avec Anything Else (2003), Owen Wilson pour Midnight in Paris (2011) ou Jesse Eisenberg dans To Rome With Love (2012) puis Café Society (2016) et tous ses « porte-voix19 » se distinguent par ce quasi-bégaiement, ce débit précipité et ces autocorrections impliquant une accumulation de charnières de discours typiques d’Allen. Ses bafouillages, répétitions, contradictions font qu’il est ainsi constamment pris au piège de la reformulation. Le personnage-narrateur est donc perçu comme un Allen par procuration, même in absentia. Cette idiosyncrasie dépasse le simple jeu d’acteur, en brouillant à nouveau les lignes entre auteur, personne et personnage :

Peu de voix sonnent aussi familièrement à l’oreille du cinéphile que celle de Woody Allen. Difficile, lorsque je l’ai au bout du fil, égrenant les « you know » fragiles et posés, de chasser les images de sa silhouette perdue dans les brumes de Manhattan ou en grande tenue de magicien sur une scène de music-hall londonien. (Pujas 2007 : 7)

42Mais au-delà de ses personnages-narrateurs, Allen s’inscrit aussi comme narrateur-cinéaste, auteur d’un discours cinématographique, selon des procédés très explicites et originaux, où l’affichage des outils narratifs (notamment la voix off, les choix de cadrage tels que le regard face caméra et l’adresse au spectateur, de montage, avec le flashback) sert à rappeler au spectateur que ce qu’il voit demeure avant tout un artéfact :

Pour ne considérer ici que le cinéma, il est clair que les films narratifs classiques se donnent plus comme une histoire que comme un discours. Situation inverse dans la production de certains cinéastes (Jean-Luc Godard, Alain Robbe-Grillet, Woody Allen, etc.) où l’affichage des procédures énonciatives privilégie la dimension discursive. (Gardies et Bessalel [1992] 1998 : 107)

43La dimension discursive interroge en effet le processus d’énonciation. Dans un film, qui parle ? « Tout énoncé filmique, narratif ou non narratif, fictionnel ou non fictionnel, suppose donc un foyer d’énonciation » (Gardies et Bessalel [1992] 1998 : 62). Foyer d’autant plus complexe qu’au cinéma l’énoncé passe par le verbe, mais aussi par d’autres composantes sonores (bruits, musique) et bien sûr par la « monstration », dont la combinatoire complexifie l’analyse, même si Allen est reconnu et se revendique comme cinéaste principalement « verbal », voire littéraire (Hannah and Her Sisters, en 1986, est monté explicitement comme un roman, en chapitres dont les titres sont projetés sur des « cartons » noirs qui scandent la progression de la fiction).

  • 20 Voir aussi Phelan et Rabinowitz (2005), en particulier chap. 28.

44Le système du récit filmique offre des particularités que commente ainsi Barthes ([1966] 1981 : 31) : « il n’y a aucun rapport entre la “personne” grammaticale du narrateur et la “personnalité” (ou la subjectivité) qu’un metteur en scène met dans sa façon de présenter une histoire. » Bordwell (1985 : 50-53) va plus loin dans l’analyse et remet en cause l’instance même du narrateur filmique comme source de la narration : il conçoit celle-ci comme processus d’interaction dynamique entre le système dramaturgique de l’intrigue et le style, la technique du réalisateur. Sa théorie vise prioritairement le cinéma hollywoodien canonique20 et la rupture des conventions de construction de la vraisemblance du récit n’y est relevée que comme un trait stylistique parmi d’autres.

  • 21 Annie Hall regorge de ces procédés dysnarratifs : split screen (écran scindé en deux), sous-titres (...)

45Allen, en se jouant des codes filmiques pour les subvertir21, use pourtant de la « dys-narration » qui fait voler en éclats « les diverses illusions du spectateur [et] substitue à un produit fini les éléments d’un produit en train de se faire » (Vanoye [1989] 2005 : 199). En mettant en évidence les marques de l’énonciation et le caractère arbitraire du récit, il oriente quasi inéluctablement le spectateur vers l’auteur comme narrateur ultime, ce qui in fine limite, selon nous, la pertinence du modèle de Bordwell dans ce cas précis.

46Par ailleurs, le cinéma s’organise comme le théâtre sur un principe de double énonciation, intimement lié à la performance publique, que ce soit dans la phase de production ou de réception : dans la première, « chaque énoncé a deux émetteurs, le scripteur et le locuteur-personnage [et] cette médiation par le dialogue implique de la part de l’auteur un investissement plus direct dans ses différents personnages » (Cordesse et al. [1988] 1991 : 125). Ce processus est sans doute l’une des raisons de la tentation autobiographique, où les deux émetteurs se rejoignent naturellement. Les films construits sur cette base résultent « d’une recréation plus complexe dans laquelle le “je” diffuse en divers éléments du film : narration, voix-je, personnage plus ou moins fugitif ou stable, point de vue, etc. » (Vanoye 2005 : 208). Au cinéma, les paramètres strictement verbaux ne sont donc pas les seuls foyers d’affirmation de l’identité, ce qui rend la conjonction entre auteur, narrateur et personnage plus délicate encore à analyser.

Un Allen autofictif ?

47Il résulte de la situation particulière décrite au long de cet article une certaine confusion que semble entretenir Allen, quoiqu’il s’en défende, entre fiction et autobiographie, et c’est la raison qui nous amène à le rattacher au genre de l’autofiction, puisque « cette forme d’écriture de soi est donc un hybride de récit vrai et de récit fictif, un “intervalle ambigu” entre le roman et l’autobiographie. L’auteur ambitionne de se raconter autrement, hors de la dichotomie classique du vrai et du faux » (Gouiffès 2002 : 44).

  • 22 « Woody Allen […] impersonates nobody but W. Allen. But even in doing that, he’s not so much an imp (...)

48Allen a lui-même choisi de questionner cette relation au réel à travers Zelig (1983), film où il interprète un homme-caméléon capable de se transformer physiquement et mentalement au contact d’autres individus : il devient ainsi noir, peau-rouge, obèse, boxeur, médecin voire nazi, au fil de ses rencontres, incrusté au besoin dans des images d’archives. Ce long-métrage est d’ailleurs classé sous l’étiquette « mockumentary » (documentaire pastiche ou documenteur), mot-valise qui connote à nouveau la collusion entre fiction et réel, vrai et faux. Reconnaissable sous le grimage, porteur de ses éternelles lunettes, Allen illustre ainsi pleinement l’ambiguïté identitaire et l’instabilité de sa relation au personnage, prouvant a contrario que « Woody Allen n’imite personne d’autre que W. Allen. Mais même dans cette démarche, il est plus proche de l’imposteur que de l’imitateur […] » (Bermel [1982] 1990 : 408)22.

49Le caractère fictif du personnage allenien s’était d’ailleurs matérialisé lorsqu’en 1976, Stuart Hample décida, avec l’accord de l’intéressé, d’en faire le héros d’une série de comic strips, Inside Woody Allen, tout d’abord aux États-Unis jusqu’en 1984, puis dans le monde entier (Hample 2009). Allen utilisa ensuite cet avatar en l’insérant sous forme de dessin animé dans un passage de Annie Hall où il donnait la réplique à la maléfique reine de Blanche-Neige, lui permettant de la sorte de mettre à distance sa propre image, à la fois stylisée et démultipliée. Ce brouillage des codes faisait ainsi la synthèse entre personne, persona et personnage en un alter ego allenien, remettant en cause les conditions habituelles de réception de cette instance filmique qu’est le personnage :

Sauf cas extrêmes, même le lecteur (ou le spectateur) le plus « naïf » est conscient du fait que le personnage de fiction est une projection imaginaire (dans le cas du récit) ou une incarnation ludique (dans le cas de la représentation dramatique). […] Aussi, au lieu de soutenir que le lecteur (ou le spectateur) « croit » au personnage fictif, il conviendrait peut-être de dire qu’il entretient l’idée de son existence. (Schaeffer 1996 : 754)

50In fine, comme l’écrit Genette, « de fiction ou d’histoire, le récit est un discours, avec du langage on ne peut produire que du discours » (1983 : 68). Et Woody Allen, en véritable conteur filmique, fait finalement passer au second plan la question de la référence : il filme, il se filme, mais ce faisant, raconte toujours une histoire, demeurant « ce cinéaste-protée, si habile à prendre tous les visages sans cesser pourtant jamais d’être lui-même » (Quilliot 2004 : 5). On peut sans doute voir dans son œuvre une sorte particulière d’intertextualité qui renverrait à un sous-texte biographique et à une forme singulière du réalisme :

La référence n’a pas de réalité ; ce qu’on appelle le réel n’est qu’un code. Le but de la mimèsis n’est plus de produire une illusion du monde réel, mais une illusion de discours vrai sur le monde réel. Le réalisme est donc l’illusion produite par l’intertextualité. (Compagnon 1998 : 127)

51L’omniprésence de Woody Allen, de par son hybridité de scénariste-réalisateur-acteur, fait que même dans les films où il n’apparaît pas à l’écran, il reste cependant partie intégrante du « scénario » d’interprétation de ces derniers par le public. Celui-ci reconnaît dans la diégèse le Woody Allen de substitution, identifie ses idiosyncrasies verbales, part à la recherche des allusions et autocitations du « maître », compare enfin l’opus aux précédents, items de son encyclopédie de spectateur, et l’appréhende selon une véritable trame intertextuelle dont le cinéaste ne saurait être absent, en tant qu’auteur mais aussi personne physique existant dans le monde réel :

Woody Allen rejoint ainsi l’origine de son propos, du côté de l’intériorité à laquelle le rire donne accès, sous une forme […] qui n’est, en réalité, que l’adéquation enfin possible entre ce que le cinéaste met en jeu de lui-même dans ses films et l’espace de son intimité. (Veillon 1984 : 11)

52Il nous apparaît en cela comme une illustration pertinente de la mise en œuvre du procédé d’autofiction, répondant à la condition d’identité auteur-personnage-narrateur émise par Lejeune rappelée en introduction de cet article, difficile à maîtriser mais source d’inspiration continue, surtout quand il s’appuie sur une carrière aujourd’hui plus que quinquagénaire. Loin des tentations hagiographiques du film biopic, il renvoie à la nature même du cinéma, cet art suprême de l’illusion qui développe et amplifie un phénomène apparu dès les débuts de la fiction romanesque :

Il n’y a pas de jonction possible entre les choses du dedans et celles du dehors, mais seulement entre la vérité du « feint » et l’illusion du « vrai », c’est-à-dire entre une illusion montrée et une suggestion inavouée (le mensonge étant proportionnel à l’art qu’il déploie pour passer inaperçu). (Robert 1981 : 67)

53Entre ressemblance et identité, entre semblance et existence, Woody Allen, revendiquant le fait de ne filmer que le monde qui est le sien, explore ainsi des territoires intimes et de lui seul connus mais dont il parvient, en tant qu’artiste illusionniste, à faire partager la dimension existentielle universelle via la fiction.

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Filmographie

Films écrits et réalisés par Woody Allen, sauf mention contraire.

Sleeper, 1973, scénario Woody Allen et Marshall Brickman, United Artists, 1 h 28.

Annie Hall, 1977, scénario Woody Allen et Marshall Brickman, United Artists, Metro-Goldwyn-Mayer, 1 h 29.

Manhattan, 1979, scénario Woody Allen et Marshall Brickman, Metro-Goldwyn-Mayer, 1 h 36.

Stardust Memories, 1980, United Artists, 1 h 28.

Zelig, 1983, Orion Pictures, 1 h 19.

The Purple Rose of Cairo, 1985, Orion Pictures, 1 h 22.

Hannah and Her Sisters, 1986, Orion Pictures, 1 h 43.

Radio Days, 1987, Orion Pictures, 1 h 25.

Husbands and Wives, 1992, TriStar Pictures, 1 h 43.

Deconstructing Harry, 1996, Sweetland Films, B.V., Magnolia Productions, 1 h 35.

Hollywood Ending, 2002, DreamWorks Pictures, Gravier Productions, 1 h 47.

Anything Else, 2003, DreamWorks Pictures, Gravier Productions, 1 h 44.

Midnight in Paris, 2011, MediaPro, Gravier Productions, 1 h 34.

To Rome With Love, 2012, Medusa Film, Gravier Productions, Perdido Productions, 1 h 47.

Café Society, 2016, Gravier Productions, Perdido Productions, Film Nation Entertainment, 1 h 36.

Barton Fink, 1991, dir. et scénario Ethan et Joel Coen, Circle Films, Working Title Films, 1 h 57.

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Notes

1 Cette notion « sémiotico-textuelle » définit les mondes possibles narratifs : « Étant déterminés par le texte, ils n’existent hors du texte que comme résultat d’une interprétation [...]. » (Eco 1992 : 216).

2 Néologisme introduit par Martin Lefebvre en 1997, copié sur le modèle du pacte de lecture pour désigner le contrat tacite passé entre le réalisateur et le spectateur englobant les interactions entre ces deux instances, emprunté ici à Pouliot (2002 : 54).

3 « On peut tout à fait soutenir que, d’une certaine façon, les livres d’histoire, les informations journalistiques, l’autobiographie relèvent tout autant de la fiction que ce qui est d’ordinaire catégorisé comme tel ». « It is arguable that history books, news reports, autobiography are in some sense no less fictional than what is conventionally classified as such » (Rimmon-Kenan 2002 : 3). Nous traduisons cette citation de l’anglais et les suivantes, sauf mention contraire.

4 Reprise dans Le Bruissement de la langue (1984 : 61-67).

5 Cité par Lejeune (1975 : 43).

6 Les autres conditions incluent la forme (récit en prose), le sujet traité (vie individuelle) et la perspective rétrospective du récit (Lejeune 1975 : 15).

7 « Il est difficile de séparer quelquefois le narrateur de l’auteur, tout comme il est parfois bien difficile de faire la part entre Woody acteur et Allen auteur, tant Woody Allen est une figure forte du cinéma actuel, prégnante et presque légendaire » (Méjean 2004 : 77).

8 Trait d’humour très concentré, qui tient en une ligne à l’écrit.

9 « Le texte filmique, outre les divers niveaux de production de sens, présente la particularité d’offrir une matière de l’expression plurielle, puisque composée de l’image mouvante, des mentions écrites, du verbal, du bruitage et du musical » (Gardies et Bessalel [1992] 1998 : 203).

10 Conception préalable à la Politique des auteurs, qui a désigné jusqu’aux années 1950 ces réalisateurs adeptes du contrôle absolu sur le film, de la pré- à la postproduction, tout comme Allen de nos jours : « À l’origine, antérieurement à la création de la revue [Cahiers du cinéma], l’auteur de films est un auteur complet. Il crée le scénario, la musique, dirige les acteurs, contrôle la photographie, etc. Le prototype, c’est Chaplin » (Mardore et al. [1955] 2001 : 132).

11 Longman Dictionary of Contemporary English, 4th edition, 2003.

12 « On peut représenter les trois prémisses de la Politique des auteurs sous forme de trois cercles concentriques : le cercle externe, c’est la technique, le cercle intermédiaire le style personnel et le cercle interne, le sens profond. Ils correspondent, pour le réalisateur, aux rôles respectifs de technicien, styliste et auteur. Il n’y a nul parcours imposé pour le passage du réalisateur par ces trois cercles. »

13 Cité dans Geffner (2002) : « Le film est mon système d’écriture pour raconter les histoires que je conçois dans ma tête. Les Français appellent cela être un auteur. »

14 « In reality, however, the “Woody” of Allen’s films is as remote from the real man as was “the Little Tramp” from the millionaire autocrat […] who was Chaplin » (Baxter 1999 : 5 : « En réalité, pourtant, le “Woody” des films d’Allen est aussi éloigné de l’homme réel que l’était “le petit clochard” de Chaplin, autocrate millionnaire. »

15 « Bien que ces constructions ne soient en aucune façon des êtres humains au sens littéral, elles sont en partie formées sur la conception de ces individus par le lecteur et en cela, elles s’apparentent à des personnes. »

16 Voir également Jost (2006) sur « l’auteurisation des images » (italiques de l’auteur) dans ce film et sur les questions d’identification de l’auteur.

17 Selon cette analyse, le film narratif s’organise en grands « types syntagmatiques […] repérés par rapport à la diégèse, mais dans le film. Ils correspondent à des éléments de diégèse, non à “la diégèse” tout court » (Metz 1981 : 129, italiques de l’auteur). Metz cite en exemples la scène, le plan, la séquence, etc. Voir aussi Bateman, John A. et Schmidt, Karl-Heinrich (2012).

18 Voir note 10.

19 Sens étymologique du lexème persona, masque porté par les acteurs antiques pour leur permettre d’amplifier leur voix, tout en cachant leur visage.

20 Voir aussi Phelan et Rabinowitz (2005), en particulier chap. 28.

21 Annie Hall regorge de ces procédés dysnarratifs : split screen (écran scindé en deux), sous-titres affichant les pensées des personnages qui contredisent leurs propos, insertion de séquences en dessins animés, dissociation image et son qui désunit les points de vue et d’écoute pour le spectateur, etc.

22 « Woody Allen […] impersonates nobody but W. Allen. But even in doing that, he’s not so much an impersonator as an impostor […]. »

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Pour citer cet article

Référence électronique

Frédérique Brisset, « Woody en ses écrans : miroirs, mirages et autofiction »Itinéraires [En ligne], 2017-1 | 2018, mis en ligne le 15 février 2018, consulté le 12 septembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/itineraires/3685 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/itineraires.3685

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Auteur

Frédérique Brisset

Université de Lille, CECILLE (EA 4074)

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Droits d’auteur

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Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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