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Présentation

Que devient l’ethos en régime numérique ?
What Happens to Ethos in a Digital Environment?
Christèle Couleau, Oriane Deseilligny et Pascale Hellégouarc’h

Résumés

Cette introduction, s’appuyant sur un panorama des recherches actuelles, invite à reconsidérer la notion d’ethos au contact de l’environnement numérique. En repartant de la définition d’Aristote, mais en intégrant aussi les actualisations contemporaines qui font circuler cette notion d’une discipline à l’autre – analyse du discours, microsociologie, information-communication – il s’agit d’éclairer nos pratiques de présentation de soi sur les réseaux. La construction de l’ethos y est multimodale, et apparaît tendue entre un désir de maîtrise et les processus automatisés de mise en forme et de traitement des données. Elle s’avère également jouer un rôle clé dans la création de confiance que recherchent les acteurs du Web (individus, institutions, marques). L’ethos s’inscrit ainsi dans une histoire du Web, du souci de transparence des premiers journaux intimes en ligne à la mise en place d’outils (typo)graphiques participant à son éditorialisation, voire à son instrumentalisation. Nous nous intéresserons enfin aux actualisations les plus récentes de l’ethos, dronies, ethos embarqués, montrant comment les postures et leurs imitations permettent d’être reconnu par une communauté d’internautes.

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Texte intégral

1Internet nous relie et nous expose. Les messageries instantanées, les blogs et les pages personnelles, les forums et les plateformes de partage, les réseaux sociaux forment autant d’espaces médiatiques où nos identités se façonnent, se mettent en scène et entrent en interaction. Que nous soyons l’internaute qui met en ligne du contenu, ou bien le visiteur qui en prend connaissance, nous éprouvons quotidiennement cette prégnance des identités propre au Web, reconfigurant sans cesse notre image et celle des autres, entre stratégie et dévoilement, signaux et traces, interprétation et projection. Inclus par notre navigation dans une relation, nous pouvons observer comment la confiance s’y fraie un chemin à travers les mots, comment les traits saillants d’une personnalité se laissent deviner dans l’ambiance d’un site, comment l’expertise semble guider un comportement. Le naturel avec lequel nous nous immergeons dans ces nouvelles formes de publication et de sociabilité signale à quel point les processus à l’œuvre dans ces relations nous sont familiers et, loin d’opposer un monde virtuel à la société réelle, prolongent nos autres expériences de communication.

  • 1 Sur la question des identités numériques, voir notamment les articles recueillis par Alexandre Cout (...)

2Mais le propre de l’univers numérique est d’en révéler ostensiblement la complexité et les contraintes. L’image de soi y utilise toute la palette des mots et des images, des sons, du non-verbal et de l’« énonciation éditoriale » (Souchier 1998). Les discours s’y archivent en une architecture mobile, à grand renfort de posts, de liens, de hashtags, de commentaires et de moteurs de recherche. L’identité1 s’y diffracte au prisme des pseudos adoptés et des rôles joués dans les différentes interfaces ; elle se dilue dans l’implicite des dispositifs ou de l’énonciation collective, institutionnelle ; elle se cristallise dans un profil, se sédimente en réputation (Auchlin 2001 : 85, cité par Maingueneau 2002), ou précipite brutalement, à la faveur d’un troll ou d’un buzz. Internet n’est pas un simple support mais un milieu, auquel les stratégies de présentation de soi (Goffman 1973) doivent s’adapter, quitte à se reconfigurer. Que l’image ainsi construite se destine au tout-venant ou se réserve à des happy few – un groupe, un réseau, des followers –, qu’elle soit publiée dans un élan de sincérité débridée ou gardée sous contrôle, qu’elle apparaisse habilement consolidée ou subtilement décentrée, elle porte la marque des dispositifs qui la régissent et joue pourtant avec eux. Parce qu’il est un outil d’émancipation autant que de formatage, parce qu’il accélère et amplifie les connexions entre individus, parce qu’il multiplie les écosystèmes aux règles spécifiques, Internet fonctionne comme un catalyseur qui révèle et accentue la plasticité de l’image de soi.

  • 2 La notion d’ethos ayant suscité des actualisations orthographiques variées, avec ou sans accent, av (...)
  • 3 Ruth Amossy explique très clairement au début de La Présentation de soi (2000) ce cheminement trans (...)

3« Identité », « discours », « archive », « rôle », « réputation », « confiance », « expertise », « image de soi », « interaction », « présentation de soi »… Au centre de ce nuage de mots, il est tentant de placer le concept d’ethos2, tant il semble offrir un point de vue panoptique sur l’ensemble de ces pratiques. Certes, Aristote n’était pas un familier de Facebook, mais gageons que la notion qu’il a forgée, et qui depuis a été largement reprise, approfondie et étendue à d’autres domaines que la rhétorique3, forme une clé pertinente pour ouvrir quelques portes sur la Toile. Ce numéro d’Itinéraires rassemble des articles issus d’horizons divers, abordant l’ethos dans une perspective pluridisciplinaire et nous souhaiterions en ouverture faire jouer ces différentes dimensions, fût-ce aux marges de sa définition, pour montrer comment leur articulation donne à la notion toute sa plasticité, lui permettant de se placer au plus près de la réalité du Web.

L’ethos, un concept pratique

4La première force de la notion d’ethos, et sans doute l’une des raisons de sa persistance, c’est sa capacité à mettre un nom sur une expérience communément partagée :

Étudier l’ethos, c’est s’appuyer sur une réalité simple, intuitive, celle d’un phénomène qui est coextensif à tout emploi de la langue : le destinataire construit nécessairement une représentation du locuteur à travers ce que ce dernier dit et sa manière de le dire. (Maingueneau 2014 : 46)

5C’est parce que ce processus est inéluctable que le rhéteur aristotélicien se doit de l’anticiper et de l’orienter dans un sens favorable à la bonne réception de son discours – « je suis ceci, je ne suis pas cela » (Barthes 1970). Mais c’est pour cela aussi qu’il déborde le cadre de l’expertise rhétorique pour concerner toute prise de parole, apte qu’il est à pointer aussi bien l’activité du locuteur qui tente d’imposer par son discours une certaine image (à moins qu’elle ne filtre à son insu), que celle du destinataire qui essaie de reconstruire, à travers les mots reçus, un portrait cohérent (ou le laisse se dessiner dans son esprit). À mesure qu’ils se déploient, les fils conversationnels animent cette figure, ce « fantôme » :

L’ethos, en ce sens, est bien un « fantôme » de sujet parlant, une illusion de sujet parlant, un « hologramme expérientiel » […]. (Auchlin 2001 : 81)

6L’ethos se situe donc au cœur de la communication interpersonnelle, à mi-chemin entre ses acteurs, idéalement comme une co-construction, ou de manière plus réaliste comme une approximation qui prend corps dans le vif de l’échange.

7Si un tel fantôme vient doubler l’orateur en chair et en os, on imagine sa propension à envahir l’espace de la représentation lorsque la communication s’effectue à distance, comme c’est le cas sur Internet. Dans le cadre de la pragmatique et de l’analyse du discours, l’impératif rhétorique aristotélicien, initialement associé à une pratique orale et argumentative de la langue, a pu être adapté non seulement à l’oralité ordinaire et symétrique des conversations, mais aussi au régime de la communication écrite. L’extension de la sphère énonciative à l’image, à travers les travaux de la sémiotique et de la sémiologie, puis aux procédés graphiques et aux techniques propres au Web, à travers la notion d’« énonciation éditoriale » (Souchier 1998), ont achevé d’ouvrir cette définition à la multimodalité qui caractérise Internet. Ce que dit le locuteur, c’est alors aussi ce qu’il donne à voir, ce sont aussi les dispositifs techniques qu’il met en place ou dans lesquels il fait le choix de s’inscrire. L’ethos permet une connexion globale de ces phénomènes.

  • 4 « Il va de soi que les orateurs qui composent avec gestes, voix, costumes, action éveillent plus d’ (...)

8Cette impression de globalité est d’autant plus prégnante qu’à cette veine discursive s’ajoute une dimension comportementale de l’ethos. Aristote déjà, tout en prenant soin de focaliser l’attention de l’orateur, à qui s’adressent ses conseils, sur le discours en train de se faire, signale dans sa Rhétorique4 la question du non-verbal, des « airs » (Barthes 1970) qu’il est bon d’adopter pour renforcer la persuasion, dont Gilles Declercq, cité par Dominique Maingueneau, détaille le large éventail :

Ton de voix, débit de la parole, choix des mots et arguments, gestes, mimiques, regard, posture, parure, etc., sont autant de signes, élocutoires et oratoires, vestimentaires et symboliques, par lesquels l’orateur donne de lui-même une image psychologique et sociologique. (Declercq 1992 : 48)

  • 5 Dominique Maingueneau (2013) insiste ainsi sur « l’hybridité » fondamentale de l’ethos.
  • 6 Cf. Pierre Bourdieu ([1978] 1992 : 133) : « La force de l’ethos, c’est que c’est une morale devenue (...)

9On voit comment ces caractéristiques, en deçà de leur effet sur l’affect de l’auditoire, peuvent fonctionner comme des insignes, qui soulignent la capacité de l’orateur, et sa légitimité, à dominer l’échange, ou comme des signes de reconnaissance, qui le rattachent à des postures stéréotypées, des types de comportement, des valeurs communautaires, convoquant le corps social et ses modèles5. L’ethos est lié à un habitus6 et l’inscrit dans la dynamique d’un acte de parole, d’un échange interpersonnel. Ruth Amossy (2010 : 25-33) a bien montré comment les travaux d’Erving Goffman (1973) sur la « présentation de soi », l’enrichissent de toute une scénographie. Elle rappelle comment la sociologie, de Weber à Bourdieu, associe l’ethos à des valeurs suffisamment ancrées dans l’individu pour s’inscrire dans des habitudes, des routines. Le domaine numérique, souvent ausculté sous l’angle des « pratiques », est propice à de telles analyses. La fréquentation privilégiée de telle plateforme, de tel forum ou réseau social, les connexions avec un réseau d’« amis » ou de sites apparentés, les goûts et les valeurs manifestés par les « like », les emojis, les activités de commentaire et de recommandation, dessinent une identité en acte, définie par ses choix, ses liens, ses traces – Louise Merzeau évoque ainsi dans ces pages l’« ombre numérique » qui nous suit sur le Net. L’ethos numérique est doublement lié au temps : celui, circonscrit, de la lecture ou de l’échange, et celui, plus englobant et persistant, de l’archivage. Entre e-réputation et droit à l’oubli, la dimension « anthologique » du Net (Doueihi 2011) donne à l’ethos une épaisseur qui excède la séquence énonciative pour s’enraciner dans un corpus et une vie numérique.

10C’est donc de l’ensemble de ces données, présentes sur la page ou dans un ailleurs souvent accessible en quelques clics, qu’émerge pour chaque visiteur, plus ou moins nettement, plus ou moins activement, mais toujours « nécessairement », une image (l’ethos « effectif ») que le locuteur peut tenter de construire par son énonciation (l’ethos « montré »), voire évoquer explicitement (l’ethos « dit »), et dont les caractéristiques peuvent être croisées à celles tirées de sa réputation (l’ethos « préalable ») (Maingueneau 2013). Comme le souligne Antoine Auchlin, l’ethos « fait flèche de tout bois » (Auchlin 2001 : 85). Cette dimension extensive de l’ethos, pleinement mobilisée en régime numérique, est particulièrement intéressante dans la mesure où elle remet au centre ce qui est parfois tenu en lisière de la notion et fait de l’une de ses faiblesses un atout. En effet, Antoine Auchlin note la « tendance centrifuge » des théoriciens de l’ethos, qui tendent à inclure dans leurs analyses tout ce qui est « co-occurrent » au discours. Mais justement, la multimodalité d’Internet est fondée sur cette co-occurrence : mots, images, sons, graphismes, dispositifs sont pensés pour – idéalement – se coordonner, et quoi qu’il en soit pour interagir. À rebours d’une force centrifuge, on pourrait alors penser l’ethos comme un foyer convergent, un trou noir absorbant tout ce qui est produit sur le Net par le sujet pour rayonner d’une image plus ou moins distincte et perceptible aux yeux du visiteur. L’ethos forme ainsi un point aveugle, mais essentiel, de notre pratique, double, de l’exposition et de la navigation numérique. C’est en ce sens que sa faiblesse théorique – son manque de délimitation, son instabilité, son hybridité, sa tendance à tisser ensemble des phénomènes de nature diverse (Auchlin 2001, Maingueneau 2013) –, peut devenir un atout, dans la mesure où elle permet d’expliciter un ressenti, d’éclairer un faire, d’appréhender concrètement, globalement, une expérience. Nous rejoignons en cela Antoine Auchlin lorsqu’il propose de :

[…] voir la notion d’ethos comme une notion dont l’intérêt est essentiellement pratique, et non comme un concept théorique clair : l’ethos est un instrument de pilotage du dialogue au service de la prudence auto-réflexive. Dans notre pratique ordinaire de la parole, l’ethos répond à des questions empiriques effectives qui ont comme particularité d’être plus ou moins co-extensives à notre être même, relatives à une zone intime et peu explorée de notre rapport au langage, où notre identification est telle que se mettent en place des stratégies de protection. (Auchlin 2001 : 90-91)

  • 7 Le premier terme est de Dominique Maingueneau, il emprunte le second à Frédérique Woerther (Maingue (...)

11Loin de constituer simplement un plus petit dénominateur commun, voire un fourre-tout commode, l’ethos nous apparaît donc comme un carrefour propice à une approche interdisciplinaire, un « articulateur » entre une énonciation et la culture qui lui sert de cadre, un « concept heuristique » alliant efficience et plasticité7. C’est selon Moe Folk et Shawn Apostel l’une des raisons de son adaptation à l’étude des phénomènes numériques :

  • 8 « […] dans l’ensemble, beaucoup de gens ont tendance à associer l’ethos à une crédibilité fondée su (...)

[…] on the whole, many people tend to associate ethos with credibility based on establishing a trustworthy personal character, thus often using ethos as shorthand for credibility. Though current views of ethos might deviate from classical notions, both classical and emergent notions of ethos provide a powerful, flexible tool to consider nuances of credibility in digital contexts8. (Folk et Apostel 2012 : IV)

12Parler d’« ethos numérique » suppose dès lors de ne pas se livrer à une simple translation, mais d’acclimater la notion, de l’enrichir à mesure qu’elle entre en résonance avec des problématiques spécifiques à l’état actuel d’Internet. La première d’entre elles correspond à l’industrialisation de l’ethos qu’ont provoquée l’avènement des réseaux sociaux et l’exploitation massive des données numériques.

La fabrique à grande échelle de l’ethos sur Internet

13Big Brother n’est plus une fable littéraire, nous en sommes tous conscients. Cette effrayante rêverie sur la surveillance généralisée prend aujourd’hui corps dans les agissements des organismes de renseignement comme la NSA, dans les procédés de géolocalisation en temps réel (du tracking des colis à des applications comme Tinder ou Zenly), dans les cookies qui implantent des mouchards au cœur de nos ordinateurs personnels. Big Brother se nomme désormais Big data. Et comme le souligne le philosophe Éric Sadin, à travers cette collecte et cette exploitation de nos traces numériques :

[…] c’est un ethos contemporain qui s’est soudainement dévoilé, celui qui adosse de façon toujours plus permanente les existences à des opérations computationnelles ; qui induisent en retour et indissociablement des procédures de suivi et de mémorisation imperceptibles. (Sadin 2015 : 168)

14« L’ethos du techno-pouvoir », explique-t-il, se diffracte ainsi en différents « visages » – ceux des grands acteurs du Net, firmes et gourous en baskets, au travers desquels il affine « l’image qu’il veut donner de lui-même, d’allure cool et avenante » (Sadin 2015 : 199-202). Mais lorsqu’il rappelle la fameuse devise de Google : « Don’t be evil » (201), on se souvient que Larry Page l’estime désormais inadaptée.

  • 9 « Sentiment Analysis of Twitter Hashtags » : c’est là l’intitulé d’un sujet qui a été proposé à la (...)

15En contrechamp, le visage qu’il s’agit de scruter n’est plus celui de quelques grands ordonnateurs, mais celui de chaque utilisateur-consommateur que l’on essaie de localiser (coordonnées GPS), d’espionner (cookies), d’enregistrer (historique de navigation), de relier à d’autres (suggestion d’amis et connaissances sur les réseaux sociaux), et dont on tente de précéder les désirs (recommandations commerciales, fils d’actualité personnalisés) par l’extraction de récurrences issues de ses comportements et la mise en relation avec des régularités sociologiques (Cardon 2015 : 34, 88). Des outils tels qu’en propose le service cloud Watson Analytics, chez IBM, ne se contentent pas de comptabiliser nos actions sur la Toile, mais repèrent nos opinions et analysent jusqu’à la tonalité émotionnelle de nos échanges9. Et Facebook inclut dans ses conditions d’inscription l’acceptation par les utilisateurs de ce type d’analyses.

  • 10 Cf. Sue Halpern, « Mind control and the Internet », New York Review of books, 23 juin 2011. « Among (...)
  • 11 Nous détournons ici l’expression de Dominique Maingueneau, pour désigner la manière dont l’ethos es (...)
  • 12 Deux exemples de ces recommandations/mises en garde, qui montrent bien la possibilité d’une reprise (...)

16Ces phénomènes ont pour conséquence une double altération de l’ethos des internautes. Tout d’abord, on voit que cette approche inverse clairement le rapport de forces, puisque loin du modèle de l’orateur expert tentant d’influencer son public, on assiste sur la Toile à la dissémination souvent involontaire de données que des visiteurs silencieux et vigilants, auxquels elles n’étaient pas directement destinées, collectent et assemblent de manière automatisée et systématique, au bénéfice d’entreprises avides d’omniscience. Si le Web social met au premier plan blogueurs et prescripteurs, donnant l’impression d’un ethos influent et maîtrisé, le lot commun est plutôt celui d’un formatage et d’une perte de maîtrise. Ces pratiques analytiques rompent la symétrie de l’échange interpersonnel, et la reconstruction intersubjective de l’ethos du locuteur par son destinataire se double, à travers cette perception tierce des échanges, de la réalisation d’un portrait-robot multicritères par le biais d’algorithmes sophistiqués. Or, malgré les progrès réalisés par ces outils, ce portrait-robot est nécessairement tronqué, limité à une « réduction partielle et standardisée, incapable de saisir la dimension pluristratifiée et non “algorithmisable” des sensations, des émotions et de la mémoire humaines » (Sadin 2015 : 128 ; voir aussi Cardon 2015 : 103). Ce portrait est aussi orienté, ces outils étant avant tout destinés à produire des statistiques et visualisations « pertinentes » au vu des stratégies d’entreprise. L’un des problèmes les plus marquants que pose cette reconstitution automatisée d’ethos concerne les « filter bubbles » dénoncées par Eli Pariser (2011), l’un des cofondateurs d’Avaaz. Les filtres permettent de personnaliser les réponses à nos requêtes Google ou les fils d’actualité de Facebook par exemple, en taillant l’information reçue sur mesure, grâce à une image de l’utilisateur perçue par l’algorithme – 57 variables pour Google en 201110. Eli Pariser, bien qu’il n’utilise pas cette terminologie, montre ainsi que Facebook a déduit de son comportement sur la plateforme que son ethos était caractérisé par des affinités démocrates, et a supprimé ses liens à ses amis républicains, occultant un autre aspect de ce même ethos, fait de curiosité et d’ouverture au dialogue. L’algorithme responsable de ce filtrage, le EdgeRank, s’appuie sur la fréquence des interactions et s’emploie à définir ainsi les intérêts, les affinités et plus globalement l’attention de l’utilisateur (Cardon 2015 : 68). Dès lors, on peut vite se retrouver enfermé dans son propre monde éthique11. Pour éviter cela, les experts en viennent donc, dans les réseaux d’usagers avertis, à recommander aux utilisateurs de clarifier et renforcer les signaux susceptibles de caractériser leur ethos, afin de rééduquer ces algorithmes capables d’apprentissage et de reprendre en partie la main sur ces filtres12. Ne pas rester demi-habile, donc, mais tirer parti de toutes les ressources mises à notre disposition pour améliorer la présentation de soi : Louise Merzeau décrit dans ce numéro les enjeux d’un tel positionnement.

  • 13 Il poursuit : « Le paradoxe contemporain veut que l’expression de soi ne cesse de se manifester au (...)

17Un paradoxe est cependant visible dans cette invitation à nous dévoiler davantage pour échapper aux inconvénients des reconstructions par défaut. C’est là une deuxième altération, puisque la production d’ethos se trouve ainsi renforcée au-delà des pratiques classiques, habituellement commandées par le désir du locuteur et le degré d’attention du destinataire. La nécessité de se procurer toujours plus de données pousse en outre les acteurs du Net à encourager de façon spectaculaire nos activités de publication. Il s’ensuit une industrialisation de la fabrication d’ethos, qui ne se limite pas à un effet de massification, mais développe ses outils, ses procédures, ses standards, « adossant cette propension à des protocoles techniques qui ne cessent de l’encadrer, de la stimuler, de la relancer » (Sadin 2015 : 13513). Face à l’impératif numérique – exister en ligne, se constituer un profil attractif, entretenir un réseau – chacun est confronté de manière très concrète aux enjeux de l’ethos. Ces injonctions se font d’autant plus pressantes que la facilitation des actions à accomplir (elles sont présélectionnées, préformatées) exclut toute excuse de type technologique, et que l’efficience d’un ethos bien géré apparaît immédiatement mesurable, renvoyant l’internaute récalcitrant à sa propre responsabilité : ne pas se soucier d’ethos, c’est clairement refuser de jouer le jeu. En outre, si une bonne gestion de l’image de soi permet un retour immédiatement gratifiant – du schéma permettant de visualiser en temps réel la « force du profil » ainsi constitué, à la réalité des contacts et opportunités qu’il est censé générer – à l’inverse, un problème d’« alignement » d’ethos, pour reprendre le terme d’Antoine Auchlin, peut déboucher sur une sanction immédiate, mauvais score, commentaire cinglant voire bad buzz, susceptible d’atteindre les individus comme les institutions. Dès lors, une interface comme celle de LinkedIn, par exemple, se transforme en véritable mode d’emploi de la preuve éthique, l’impétrant se voyant expliquer qu’insérer une photographie « peut vous aider à montrer votre personnalité », ou que « les publications sont un excellent moyen de mettre en valeur votre parcours professionnel ». L’impact de chaque case à remplir est calculé par avance : « les profils avec photo sont consultés 11 fois plus souvent », avec une école c’est « 7 fois plus », « 10 fois plus » avec un résumé, etc. Sur Academia.edu, on assiste à l’intégration plus locale d’un procédé similaire, qui apparaît dans un post-scriptum ajouté aux notifications de publication :

P. S. A study recently published in PLOS ONE found that papers uploaded to Academia.edu receive a 69 % boost in citations over 5 years.

18Certes il ne s’agit pas explicitement de mettre en valeur un profil, et c’est bien de l’article qu’il est question. Mais alors qu’on aurait pu s’attendre à une comptabilisation du nombre de lecteurs, ce qui relèverait d’une logique de diffusion du savoir, le fait de faire porter le calcul sur les citations s’inscrit davantage dans une logique de performance personnelle et de crédibilité, qui souscrit à la dimension quantitative de l’évaluation des CV des chercheurs. La pratique numérique de l’ethos est tirée vers le personal branding. À l’industrialisation s’ajoute ainsi une deuxième problématique susceptible de colorer notre conception de l’ethos en régime numérique : celle de la légitimation.

L’ethos au cœur des processus de légitimation

19Internet se caractérise par un changement de paradigme éditorial. Le principe d’auto-publication, dont il a permis le large développement, suppose de repenser les processus de légitimation. Évelyne Broudoux relève ce changement de paradigme, qui touche jusqu’aux formes d’écriture les plus ancrées dans le système éditorial :

L’apparition de groupes informels issus de réseaux sociotechniques exerçant de nouvelles formes de filtrages, l’affaiblissement de la reproduction d’exemplaires en série au profit de prototypes, les transferts d’activités entre auteurs, éditeurs, publishers-diffuseurs, tout ceci augure d’évolutions devant modifier à terme le paysage des « industries culturelles » et celui du champ documentaire. (Broudoux 2007 : 10)

20En effet, à partir du moment où un discours peut y être tenu, où un corpus peut s’y constituer (aussi, et de préférence) sans la caution d’institutions reconnues pour leur pouvoir de filtrage et de validation, les relais de légitimation traditionnels (écrivain de la « collection blanche », journaliste du Monde, expert du CNRS) n’y ont plus qu’une influence partielle, par exemple dans le cadre de plateformes liées à des médias non natifs.

21La première conséquence de cet état de fait est un dédoublement plus net du cautionnement de l’ethos en ligne : d’un côté le système d’emboîtement hiérarchique de la légitimation institutionnelle (incluant ses hors-champs et ses niches), de l’autre l’horizontalité rhizomatique de la légitimation entre pairs. On devine l’impact de cette double approche sur les pratiques de l’ethos sur Internet. À la possibilité, peu actualisée, de se réclamer d’une autorité préexistante s’adjoint la nécessité, d’autant plus essentielle qu’elle compense ce probable déficit, de faire exister une autorité en acte, dont le cercle vertueux se nourrit d’une validation immédiate par les destinataires, aussitôt remise dans la boucle au service de la légitimation du locuteur. C’est ce phénomène que décrit Alexandre Serres (2004) lorsqu’il évoque le « retournement de la validation de l’information » : le filtrage et la légitimation des informations ne se font plus en amont, mais en aval de la publication. Une pratique de publication régulière, condition sine qua non pour exister dans l’univers des blogs, et a fortiori sur Twitter, procure non seulement un effet de présence mais aussi un effet de corpus, associant à la familiarité de la fréquentation la constitution du locuteur en référence, en ressource privilégiée pour ses lecteurs ou followers. La logique quantitative qui préside à l’édification d’une réputation sur le Net (nombre d’avis positifs de consommateurs, nombre de commentaires, d’amis, de citations, de « like ») ne se contente pas de mesurer notre « cote ». Elle est aussi la condition de l’amplification des phénomènes de reconnaissance entre pairs : être cité par le biais d’un hyperlien, apparaître dans la blogroll d’un autre internaute, voir ses propos retweetés, c’est fonder sa légitimité sur la génération de discours susceptibles de se diffuser en un corpus étoilé – Internet fonctionne comme une chambre d’échos. Cette validation collective par ricochet peut se structurer à nouveau, reversée au compte de quelques-uns qui, forts de leur ranking élevé, reconnus par leurs pairs, peuvent s’institutionnaliser en prescripteurs incontournables. Dominique Cardon souligne la valeur éthique de ce type de processus :

Le PageRank est une machine morale. Il enferme un système de valeurs, donnant la prééminence à ceux qui ont été jugés méritants par les autres, et déployant une volonté : faire du Web un espace où l’échange des mérites n’est ni freiné, ni déformé. (Cardon 2013 : 65)

22Certes il ne s’agit pas d’être dupe d’une perspective utopique, que dévoient en grande partie les phénomènes de manipulation et les logiques commerciales. Pire, explique-t-il, les réseaux sociaux, en permettant à chaque internaute d’améliorer leur score en s’adaptant aux critères, cette fois exhibés, de leurs algorithmes, font glisser les soubassements de l’ethos de l’« autorité » à la « popularité » (2015 : 28), d’une légitimité consolidée à une célébrité plus aléatoire et volatile.

23Outre la prégnance de l’ethos préalable ainsi constitué par une e-réputation aux formes multiples, une deuxième conséquence est à noter, qui concerne cette fois l’ethos énonciatif. Obtenir l’attention de ses pairs, dans la temporalité immédiate des échanges en ligne, c’est aussi concentrer dans le discours même les signaux – d’expertise, de fiabilité, de crédibilité – que l’institution n’est pas là pour garantir. Il s’agit dès lors de construire de la confiance. C’est en ce sens qu’Internet peut être considéré comme un média « persuasif » :

  • 14 « Les médias antérieurs à l’environnement numérique – journaux, radio, télévision – ont tous attein (...)

Media before the online environment—newspaper, radio, television—all reached a rather high level of credibility in their journeys as purveyors of information in the eyes of the public. Yet, the new online media, […], have not been elevated to such an esteemed position, […] this general lack of credibility problematizes them as persuasive media14. (Frobish 2012 : 1)

24Là encore, il y a deux façons, complémentaires, de prendre en compte ce cadre général. Tout d’abord le discours se voit sommé, au moins tant qu’il n’a pas reconstruit de cautions suffisantes, de faire en direct la preuve de sa propre pertinence, donner dans le flux même de sa constitution des garanties sur sa fiabilité – le risque étant dans le cas contraire de se faire facilement attaquer, comme le montrent souvent les dialogues de sourds des commentaires et des forums, dressant vainement subjectivité contre subjectivité. D’un autre côté, ce nécessaire effort de persuasion pourrait être moins envisagé sous l’angle de l’ascendant rhétorique que sous celui d’une forme de contractualisation. La dimension co-construite de l’ethos, que nous avons soulignée plus haut, prend donc une importance particulière sur le Net. Un pacte de confiance se propose et cherche à se faire accepter, dans une approche qui relève souvent de la négociation – forums et commentaires sont à ce titre également des espaces privilégiés d’observation. La « netiquette », dont l’importance fut cruciale aux débuts d’Internet, lie très concrètement un comportement en ligne et une acquisition progressive de légitimité (Paloque-Berges 2010). Sur Usenet, dont les usages ont contribué à formaliser le Web naissant, les procédures d’approche du discours sont réglementées par plusieurs lois tacites. Après son inscription sur un forum, le nouvel arrivant doit ainsi respecter un temps d’observation, avant d’écrire à son tour. Cela lui permet de repérer les usages du groupe qu’il rejoint, en termes de sujets (afin d’éviter les redondances ou les décalages) mais aussi de ton, de politesse, de rapport aux autres interlocuteurs. Cet exemple montre que la construction de l’ethos ne se fait pas seulement dans la différenciation : ici il s’agit avant tout de s’assimiler à un groupe, de se conformer à ses valeurs et à ses pratiques, de les intégrer à sa propre pratique du discours. C’est bien encore de reconnaissance qu’il est question, mais cette fois par l’acceptation du locuteur comme un alter ego. Des trois valeurs généralement rattachées à l’ethos, c’est la prudence qui est ici avancée, garante d’une mise en phase préalable à la reconnaissance d’un ethos acceptable. La bienveillance, sous la forme d’un désir sincère de contribuer à la réflexion du groupe, et la vertu, prise comme capacité à respecter les règles de respect et de déontologie qui président à son fonctionnement, complètent très vite la triade aristotélicienne. Alors que l’on tend à tirer aujourd’hui l’ethos du côté des fabriques de l’e-réputation et des stratégies de communication, il est sans doute important de se rappeler que les mythes fondateurs d’Internet le situent du côté d’un idéal de sincérité et de transparence.

La fabrication de l’ethos : héritages symboliques et imaginaires énonciatifs

  • 15 Voir à ce sujet notamment les articles de Gustavo Gomez Mejia sur les typologies de profils sur Fac (...)
  • 16 Voir à cet égard le numéro 183 de la revue Réseaux : « Évaluations profanes : le jugement en ligne  (...)
  • 17 Sur le marketing conversationnel, se reporter au dossier de la revue Communication & Langages : Val (...)

25Sur le Web en effet, l’ethos réactive certaines tensions notionnelles anciennes en rencontrant un imaginaire d’Internet et des injonctions de pratiques construites à travers les discours d’accompagnement de ce média. En particulier, nombre d’acteurs sociaux et du Web15 valorisent la prise de parole individuelle et l’expression d’une identité profonde qui se donnerait à lire, à voir, à travers des profils, des statuts, des avis ou des commentaires. « Protégés » par un pseudonyme ou un avatar, portés par une liberté d’expression conjuguée à l’idéologie de la démocratisation de la parole en ligne, tel « l’écrivant » qui est conduit à « dire en toute occasion et sans retard ce qu’il pense » (Barthes 1964 : 158), les énonciateurs seraient ainsi autorisés et invités par de multiples dispositifs de jugement et d’évaluation16 à livrer leurs émotions, leurs enthousiasmes et leurs déceptions, qui à la suite de l’achat d’un produit en ligne, qui pour réagir à la lecture d’un article de presse, qui pour partager des expériences sur un forum de discussion ou un réseau social. En d’autres termes, la conception de la parole individuelle sur Internet que défendent et que portent les acteurs marchands renvoie souvent à l’ethos aristotélicien et aux valeurs de sincérité et d’honnêteté. Les marques encouragent leurs cibles, clients et prospects à dire ce qui est tout autant que ce qu’ils sont au sein de dispositifs de recueil d’avis ou dans un processus qui entretient le leurre d’une conversation17 dans le cadre, par exemple, de leur représentation sur Facebook ou Instagram. Recueillir des avis et les valoriser leur permet de construire leur propre ethos, articulé autour des notions de confiance, de personnalisation, de qualité – il s’agit d’améliorer leur service, de mieux connaître leurs clients – en l’appuyant sur l’idée d’un engagement honnête et d’une parole vraie des consommateurs.

  • 18 « Transparence » des échanges, que la circulation d’expressions telles que « réseaux sociaux » cont (...)

26Se rencontrent donc dans les formes actuelles de l’ethos numérique d’une part l’imaginaire d’Internet, largement entretenu par les acteurs marchands, comme on vient de l’évoquer – et en l’occurrence inscrit dans l’idéologie de la désintermédiation, d’une « transparence » des échanges18 et de la « participation » (Rebillard 2007) – et d’autre part les valeurs et imaginaires véhiculés par des pratiques d’énonciation personnelles et subjectives plus anciennes, et que le Web a réactivées et renouvelées.

27Une telle approche ne nie pas les jeux identitaires auxquels peuvent se livrer les internautes (Cardon 2008), masqués par un pseudonyme et/ou un avatar (Beau et Deseilligny 2009), elle ne considère pas non plus que les valeurs de sincérité et d’authenticité soient les seules qui innervent les usages et les représentations du Web, bien au contraire. Nous cherchons simplement à mettre en relation des pratiques avec une notion féconde comme l’ethos, pour mieux comprendre les dynamiques à l’œuvre dans la fabrication d’images de soi. Peut-on ainsi dégager des formes et des processus qui ont contribué à forger une conception de l’ethos numérique articulée à des ressorts humanistes ? Les éléments historiques rappelés précédemment et fondateurs pour la saisie de l’ethos – dont l’ancrage aristotélicien de notre culture, mais aussi l’héritage des Lumières luttant contre l’obscurantisme et la censure notamment (Boutaud 2005) – constituent des jalons importants de notre rapport culturel et historique au parler vrai. Beaucoup plus récemment, dans les premiers temps de l’appropriation d’Internet par le grand public, soit avant l’apparition des blogs et bien avant celle des réseaux sociaux, les premiers sites personnels ont constitué un temps intéressant pour la présentation de soi, le « bricolage identitaire » (Beaudouin 2004, Klein 2001) et la tension toujours renouvelée entre « une idéologie de la transparence et une idéologie de l’opacité » (Tisseron 2005 : 21).

28Dans cette période antérieure à l’apparition des dispositifs de gestion de contenu et à l’engouement généralisé pour l’expression de soi sur les blogs (Couleau et Hellégouarc’h 2010), l’écriture de soi en ligne, dans des formes relativement proches de l’écriture d’un journal personnel, a joué un rôle de cristallisation des enjeux associés à l’énonciation personnelle et à la présentation de soi. Les premiers journaux personnels publiés en ligne reconduisaient les marqueurs classiques de l’écriture de soi : énonciation à la première personne, mises à jour datées, fragmentées, signées et conçues, selon la définition de Philippe Lejeune du journal comme une « série de traces datées » (Lejeune et Bogaert 2006) dans un dispositif numérique sémiotisant souvent des symboles et des images renvoyant à la pratique du journal sur papier (matérialité du papier et des carnets chers au diarisme par exemple). À travers des usages scripturaux qui hybridaient, tout en les métamorphosant, les héritages génériques du journal intime et de l’épistolaire par la mobilisation de marqueurs communicationnels liés au protocole de la lettre familière, les journaux personnels en ligne articulaient ainsi déjà récit de soi, appareils de lecture destinés aux lecteurs extérieurs (calendriers cliquables, archives organisées et titrées, galeries des personnages présents dans le journal, etc.) et une posture ouvertement communicationnelle. Dans ces écrits publiés en ligne mais non encore commentés comme le seront ensuite les blogs, les journaux personnels déployaient ainsi une énonciation monologale dialogique puisque le diariste s’adressait aux lecteurs, les interpellait, les prenait à témoin de son énonciation et de l’ethos qu’il façonnait.

Au cœur de l’énonciation éditoriale : ressorts (typo)graphiques de l’ethos numérique

29Insister sur des pratiques qui peuvent nous sembler aujourd’hui renvoyer à une époque révolue (celle de sites sans dispositifs de commentaires notamment) vise ici à mieux cerner le contexte énonciatif dans lequel se déployait une parole subjective, réfléchie et en même temps adressée, plus ou moins directement, à autrui. Car dans le dialogisme intrinsèque à cette parole monologique, s’inscrivait la possibilité d’un écart pris avec l’énonciation, d’un dédoublement de l’ethos du diariste, tendu entre la présence à soi et l’adresse à l’autre, entre saisie et mise en scène de soi dans un dispositif communicationnel assumé. Mieux, le dialogue de soi à soi classique du diariste trouvait ici une forme d’écho, une caisse de résonance et une scène d’énonciation inédites. Par l’articulation maîtrisée – voire contrôlée – du discours et de l’image du texte (Souchier 1998) se fabriquait ainsi, petit à petit, l’ethos de diaristes prenant ces « airs » (Barthes 1970) dans lesquels il s’agissait autant de « faire bonne impression » que d’être au plus près de soi. L’ethos se fabriquait précisément dans la complexité et le caractère inédit de la scène d’énonciation (Maingueneau 1998) : dans la tension entre la volonté de dire, l’écriture de ce qui est ressenti, vécu, et la mise en scène de soi autorisée par la situation de communication et l’empathie des lecteurs. Si pour Barthes la sincérité de l’orateur « importe peu », dans le cas de l’écriture de soi sur le Web, la présence à soi constituait un des enjeux du journal. Les journaux de cette période abondent en effet en remarques réflexives et métadiscursives quant à la ligne de crête que représente la quête de cette écriture de soi sur Internet (Deseilligny 2010). Ainsi, l’écriture de soi et, de fait, l’ethos du diariste reposaient à la fois sur son engagement dans une pratique scripturale régulière, dans la quête de cet horizon de présence à soi, mais aussi dans la manière dont il prenait acte de la scène d’énonciation à lui offerte, dans la manière dont il impliquait ses lecteurs dans l’énonciation par un ensemble de ressources linguistiques, graphiques, typographiques – pratiques qui se développaient aussi, parallèlement, en d’autres espaces du Web, tels que les forums de discussion.

30Jeux de connivence, autodérision, mise en scène de soi et adresses à l’autre empruntaient tout un matériel graphématique et sémiotique qui s’est depuis largement déployé : maxi-ponctuations, smileys, émoticônes et variations typographiques (changements ponctuels – et ainsi désignés à l’attention du lecteur – de la couleur, de la taille ou de la police de caractères) permettaient aux diaristes, et au-delà aux internautes, de composer toute une palette d’ethos en jouant tant sur les résonances du discours que sur l’énonciation éditoriale. C’est le cas par exemple de parenthèses introduisant un commentaire métadiscursif adressé au lecteur et contribuant ainsi à forger une « complicité d’équipe » (Goffman 1973), à travers la mobilisation d’un double registre (écrire pour soi mais sous le regard de l’autre). Les mots écrits puis rayés mais laissés tels quels dans le corps du texte et exhibant la modulation typographique, les didascalies électroniques (indications scéniques ou mentions de gestes effectués par le scripteur se mettant en scène), les séquences spécifiques assimilables à des apartés constituaient autant de pratiques scripturales inscrivant dans le journal les signes d’une transitivité assumée. Clins d’œil insérés dans le discours, remarques métacommunicationnelles permettaient au diariste de se représenter en train de s’adresser au lecteur et de jouer de cette posture (Deseilligny 2006, 2010). Au sein de ces discours profondément dialogiques et tissés de postures et de rôles divers endossés par les scripteurs, se donnaient à voir et à appréhender, dans les plis d’une textualité numérique dense, les multiples facettes d’une identité polymorphe et d’une distance à l’autre et à soi à géométrie variable.

  • 19 Morgane Tual, « Les “emojis” constituent-ils un langage à part entière ?” », Le Monde, 15  mars 201 (...)
  • 20 Voir ainsi la campagne de l’association Innocence en danger, réalisée par l’agence RosaPark (janvie (...)
  • 21 Morgane Tual, op. cit.

31Loin de se cantonner aux journaux personnels, ces pratiques scripturales se sont largement développées ensuite, notamment à travers les blogs et les réseaux sociaux, utilisant en outre d’autres formes nées depuis, telles que les hashtags, dans des usages humoristiques, ludiques (Paveau 2013) ou décalés en guise de contrepoint au discours (sur Twitter au départ, mais bien au-delà depuis). Les emojis, ces pictogrammes apparus à la fin des années 1990 mais intégrés sur les claviers de certains smartphones depuis 2011, très utilisés sur Instagram notamment, ont quant à eux connu un succès sans précédent en 2015, supplantant dans les usages les smileys, poussant même les dictionnaires Oxford à décerner au « visage aux larmes de joie » le label de « mot » de l’année 201519. Les émotions se disent en effet volontiers par l’intermédiaire d’icônes, de pictogrammes expressifs dans le flux d’une conversation en ligne, ou d’échanges via SMS. Et de fait, la popularité acquise par ces formes visuelles de l’ethos a conduit l’agence RosaPark à les détourner en les humanisant20, pour montrer où le bât blesse : ces prêt-à-ressentir, ces prêt-à-exprimer, qui représentent à 70 % des émotions positives (contre seulement 15 % d’émotions négatives, les derniers 15 % étant considérés comme « neutres21 ») masquent en effet parfois l’identité réelle des personnes qui les utilisent. Polychrésiques (Jeanneret 2014), ces « petites formes » (Candel, Souchier et Gomez-Mejia 2012) permettent ainsi de représenter des sentiments et faire montre d’émotions – quels que soient leur contexte de mobilisation et l’intention qui en porte l’usage.

  • 22 Voir les différentes campagnes de l’association Innocence en danger. Celle de mars 2015 reprend l’i (...)

32En effet, l’usage de plus en plus massif d’emojis dans les échanges en ligne contribue à les naturaliser et à masquer les exploitations détournées et malveillantes qui peuvent en être faites. Des associations de protection de l’enfance se sont saisies de cette question en mettant en garde22 contre les différents types de masques que peuvent utiliser des personnes mal intentionnées dans le cadre de conversations en ligne (chats, forums, réseaux sociaux) par l’utilisation de smileys ou d’emojis, et au-delà par toutes les formes scripto-visuelles populaires (langage et abréviations des adolescents par exemple) qui peuvent être ainsi instrumentalisées. Quand il s’agit d’avancer masqué jusqu’au bout, de jouer avec les codes les plus communs pour passer inaperçu, de dissimuler une identité falsifiée, l’ethos se situe dès lors assurément du côté du fabriqué, de l’illusion, de la tromperie. On retrouve l’opposition que pointait déjà Aristote et qui a été souvent reprise à l’âge classique entre « mœurs oratoires » et « mœurs réelles » (Amossy 2010 : 23), ou entre l’énonciateur et la personne physique, écartant l’ethos de toute vérité, pour ne s’intéresser qu’à ce qu’il construit dans le discours.

Tensions de l’ethos, entre masque et transparence du discours

33Quand certains détournent les signes des émotions, se masquent, d’autres instrumentalisent les formes de l’énonciation personnelle en les déployant sur de multiples supports pour faire passer un message commercial : « La communication transparente devient paradoxalement le lieu d’une communication opaque voire anonyme, le marketeur qui pratique la publicité virale ne s’affichant pas sous ce jour mais comme un blogueur lambda » (Pignier 2005 : 78). Ainsi aussi de ces blogueuses ou blogueurs à qui il est reproché de ne pas indiquer qu’ils rédigent des articles sponsorisés ou qu’ils ont été « subventionnés » pour évoquer tel ou tel produit.

34« Figure à la fois rhétorique et doxale, dans sa propension à cultiver le lieu commun du discours de proximité, de vérité (dominante éthique) », la transparence est sans doute, comme le souligne Jean-Jacques Boutaud (2005), une de nos mythologies modernes, qu’elle vienne nourrir le champ de l’action politique, des échanges marchands, entrelaçant toujours à nouveaux frais vie publique et vie privée, données personnelles et données commerciales. Une approche communicationnelle des marques permet à cet égard de comprendre les ressorts et les enjeux des images qu’elles construisent en investissant l’espace numérique, et, plus encore, les promesses sur lesquelles elles s’appuient pour réinventer le lien commercial. Ainsi les comptes Facebook ou Instagram des marques, tout comme les blogs qu’elles consacrent parfois à leurs collections ou à un produit, ont-ils précisément pour objectif de déployer un ethos qui se distingue de formes trop ouvertement publicitaires et qui privilégie la mise en discours de valeurs de proximité, de personnalisation, de convivialité, d’interaction directe, autrement dit une éthique de la communication. Ce type de processus s’inscrit dans la dynamique de « dépublicitarisation » généralisée étudiée de près par Caroline Marti (2014), et qui consiste notamment en une « euphémisation des signes publicitaires », et un « brouillage énonciatif des discours produits ». Les marques déploient un ethos – voire une auctorialité (Marti 2013 : 25) – fondé sur des stratégies énonciatives et éditoriales qui tendent à déplacer la focale et l’attention des internautes et des consommateurs. Là comme ailleurs, « la transparence est devenue une vertu communicationnelle puissante participant de la construction d’une image institutionnelle positive » (Galibert 2005 : 85). Cette élaboration fine d’une image de marque proche de ses clients emprunte dès lors des formes et des dispositifs socio-techniques censés véhiculer cet imaginaire. Avant qu’elles n’investissent les blogs et les réseaux sociaux, Olivier Galibert a montré comment les entreprises et les institutions ont en effet cherché à développer des communautés virtuelles associées à leur enseigne et à leurs produits parce qu’elles reposaient sur une « éthique du don et de la discussion ».

35Idéologie du Web très prégnante on l’a vu, l’invitation permanente à la transparence des échanges conduit aussi les internautes à déployer des usages plus lucides quant à l’impératif positif, à l’injonction au bonheur – ou du moins à sa représentation – très présente sur Internet. Qu’il s’agisse de l’utilisation massive d’émoticones renvoyant à des émotions positives ou des multiples formes et textualisations du like, du j’aime (Candel et Gomez-Mejia 2013) omniprésentes sur le Web, nombre d’utilisateurs proposent des discours inscrits contre une surenchère de l’ethos positif et narcissisant. S’il en va, certes, de l’image de soi circulant sur les réseaux, d’aucuns dénoncent les mises en scène et les petits arrangements avec la réalité que donnent à voir, à lire, ces représentations de soi euphoriques. Car les discours, les usages et les photographies présentes sur les réseaux sociaux tendent souvent à construire une face positive des usagers : choix de photos avantageuses publiées sur Facebook, accent mis sur des compétences professionnelles valorisées mentionnées sur un CV présenté sur LinkedIn ou Viadeo, utilisation de périphrases mélioratives pour décrire une situation précaire telles que « en recherche active de poste », mise en discours ou publication d’émotions positives à grand renfort de smileys et d’emojis sur Instagram, l’ethos numérique se veut résolument positif, joyeux, stable et heureux. Et pourtant, pour lutter contre un réel contrefait, contre la tendance à présenter des photos de soi, de ses vacances ou de chez soi trop lisses, rangées, parfaites, certains utilisateurs d’Instagram se mettent désormais à publier des photos « anti-IG » – en précisant qu’elles ne sont pas retravaillées, avec la mention « no filter », « sans filtre » – à montrer l’envers du décor (la maison avant le rangement spécial pour la photographie), la réalité de vies occupées, perturbées, le rythme réel de vacances qui ne sont pas faites que de repas copieux, joyeux et de bains de soleil, mais où la pluie, le vent, les imprévus, les disputes, les accidents s’invitent aussi.

Jouer, surjouer : frontières de l’ethos

36Ce choix de présenter des images non retravaillées souligne par son principe même l’idée d’une mise en scène inévitable, qu’elle favorise le lissage d’un profil ou qu’elle revendique au contraire sa spontanéité : la démarche volontaire s’invite dans tous les cas dans la construction d’une image. La logique peut aller plus loin et conduire à l’expérimentation des limites du cadre, des frontières de l’ethos : nous l’aborderons à travers deux exemples, l’ethos embarqué que permet techniquement le dronie et l’ethos piraté lorsque le plagiat surgit.

Ethos embarqués

  • 23 Erwan Lecomte, « La nouvelle tendance des drones : le pistage », Sciences et avenir, 18 juin 2014, (...)
  • 24 Erwan Lecomte, « Après le selfie, voici le “dronie” », Sciences et avenir, 31 juillet 2014, http:// (...)
  • 25 Jean-Michel Normand, « Plus fort que le selfie, le dronie », Le Monde, 25 mars 2016, http://www.lem (...)
  • 26 Jean-Michel Normand, « Banc d’essai : Hexo+, le drone français pour hédonistes », La foire du drone(...)

37Cette mise en scène de soi peut en effet s’affirmer comme une finalité dans laquelle le sujet, au cœur de sa propre construction, prend le pouvoir et cherche à affirmer sa maîtrise technique d’un ensemble d’effets, de poses – ou de postures. Si le selfie est devenu un classique dans l’élaboration et la maîtrise de son image, l’autoportrait peut, dans un autre contexte, se mettre en scène, à distance, par l’usage de machines volantes connectées et donner vie à un « dronie », contraction de drone et de selfie, image animée composée avec soin. Piloté à distance, connecté à un smartphone ou guidé par une balise, le drone se met au service d’une prise de vue maîtrisée : il est possible d’entrer une trajectoire prédéfinie, de zoomer et de dézoomer à volonté… L’objectif est d’inscrire plus parfaitement une image de soi dans un environnement exceptionnel qui valorise d’autant le courage, la témérité, le rayonnement du porteur de la balise23. Les sports extrêmes – BMX, funboard ou snowboard – furent les précurseurs de cet usage24, celui-ci dépasse à présent largement ces contours pour saisir cette possibilité technique du « follow me » afin de réaliser un selfie enrichi en situation. L’angle de vue ainsi que la distance à l’objectif peuvent être spécifiés via l’application, le drone gère ensuite l’enregistrement, du décollage jusqu’à l’atterrissage, dans la limite de l’autonomie de la batterie. Des modèles proposent une fonction « point of interest » par laquelle le drone décrit un cercle autour de son objectif, une option « selfie » est parfois intégrée permettant de se rapprocher ou de s’éloigner25. Paradoxe dans l’univers de l’aéromodélisme, une société grenobloise a développé un drone suiveur qui ne se pilote pas mais est guidé par une application smartphone pour accompagner son utilisateur : Hexo+ a pour usage exclusif le dronie26.

38Dans cette configuration, la caméra ne filme plus ce qui est mais ce qui est aménagé pour sa présence, qu’il s’agisse de la découverte de Veracruz27 ou du « Devil’s Bridge » en Arizona28. L’effet est parfois saisissant, le drone captant des images presque arrêtées dans lesquelles les pilotes du drone regardent la caméra et saluent leur propre image dans une perspective de partage ultérieur29. Les images diffusées sont rarement brutes mais bénéficient d’un montage, d’un accompagnement sonore, d’une scénarisation30 parfois, car l’objectif reste la mise en ligne sur les réseaux sociaux. Les dronies sont présents en nombre sur les plateformes de vidéos, certains proposent même des tutoriels, intégrant des plans étonnants qui montrent par exemple le pilote du drone expliquant la technique devant l’objectif d’un téléphone portable, la scène étant filmée en situation par un drone : les deux points de vue, proche et lointain, se trouvent rassemblés dans une même vidéo31 et l’auteur est à la fois concepteur, acteur, réalisateur, monteur – le « je » est omniscient. Le dronie peut même devenir support de création, un prix lui a ainsi été réservé lors du Festival de film de drone à New York créé en 201532. Les dronies s’inscrivent dans la continuité des caméras Gopro qui accompagnent depuis des années déjà les aventuriers dans leurs expéditions, qu’il s’agisse de parcours extrême ou de pêche à la ligne33.

39Le vecteur de captation des images – le drone – est très souvent présent dans ces vidéos lors du décollage, de l’atterrissage, des prises de vue, créant ainsi une distance et laissant une place au spectateur, intégrant parfois par les choix du montage un making of du film réalisé. Le pilote d’un drone le suit toujours du regard et cet œil attentif est capté par la caméra embarquée, créant un effet de miroir qui dépasse les contingences techniques : au-delà de la caméra portée par le drone, c’est bien au public que revient ce regard, le prenant à témoin des images à l’instant où elles se trouvent captées, l’invitant dans la composition du tableau et le guidant vers les découvertes à partager. On retrouve là cette prise à témoin du spectateur, de l’internaute, évoquée précédemment dans le cas des journaux personnels en ligne puis des blogs. L’énonciateur organise ainsi une mise en scène de lui-même, construit un ethos singulier et pluriel qui joue avec le dispositif technique pour construire un regard qui intègre l’auditoire à venir. Cet effet de médiation est davantage souligné encore lorsque la manette de pilotage est confiée à une autre personne afin de permettre une immersion plus complète : ce « selfie » guidé laisse les mains libres au héros du jour pour réaliser des exploits.

Ethos piratés

40À la fois création et reflet, l’ethos joue nous l’avons vu de tous les paramètres qui le structurent, qu’il s’agisse de l’énonciation, de la mise en image, du groupe d’appartenance, de la perception d’un public, etc. Dans le contexte numérique, l’image de soi envisagée par l’ethos intègre ces différents volets de la représentation, initiant un jeu entre les imaginaires. Cet équilibre mobile est rendu plus incertain encore, et plus complexe aussi, par les dispositifs techniques qui imposent un format, des codes à connaître et à respecter pour intégrer un collectif. Ruth Amossy souligne combien les déclinaisons de la présentation de soi sont multiples, parmi celles-ci la construction sur le mode collectif occupe une place singulière : « La parole permet de projeter une représentation de groupe où l’individu singulier se donne comme le représentant d’une collectivité et où le discours peut apparaître comme issu de plusieurs voix confondues » (Amossy 2010 : 211). Pour autant, l’individualité ne s’efface pas et elle peut se développer selon une ligne plus ou moins souterraine :

Un équilibre changeant et toujours à renégocier s’établit entre la présentation de la collectivité et celle de la personne singulière, entre ce que mon discours montre du collectif au nom duquel il parle et la mise en scène qu’il effectue de mon moi. (Amossy 2010 : 157)

  • 34 L’article d’Olivier Dupont et de Lucien Perticoz dans ce numéro explore ainsi « les ethos des jeune (...)

41Le formatage graphique et technique proposé ou imposé par certaines plateformes glisse une signature qui s’inscrit à différents niveaux du message, à travers les outils proposés, les symboles associés, les usages : la construction d’un ethos en contexte numérique ne peut éviter la palette des outils qui l’accompagne depuis l’ébauche du projet jusqu’à sa concrétisation. L’auditoire lui-même est devenu parfois communauté, à la fois extérieur au discours et étroitement associé : il modèle le profil et la matière par des attentes réelles ou supposées souvent très codifiées. En effet, face à un groupe miroir, la tentation – ou le risque – peuvent surgir de préférer le reflet à la création, jusqu’à conduire dans certains cas à une forme de mise en abyme d’une image de soi qui participe à la création d’un ethos surdimensionné et nécessairement stéréotypé. Le phénomène se remarque dans des domaines qui partagent des valeurs et des usages aisément identifiables34, il est très sensible également dans le cadre de certaines plateformes, notamment celles proposant le partage de vidéos, par la multimodalité qu’elles permettent.

  • 35 Dans le cas de certains skyblogs par exemple, la démarche sera identique pour la récupération comme (...)

42Pour les fidèles du site YouTube si présent sur la Toile, la fabrique de l’ethos – sur le mode numérique car la plateforme est créatrice du collectif – répond à un mode opératoire soigneusement élaboré au-delà de la souplesse apparente. Dans cet univers où le second degré et les commentaires sont une marque de fabrique, tout fait sens pour une collectivité nombreuse et diversifiée qui s’y reconnaît : les codes de salutations en ouverture et fermeture des vidéos, un lexique propre, un phrasé, un rythme, des interpellations du public, un non-verbal très maîtrisé, des commentaires de commentaires, etc. L’effet de citation et de mise en abyme est encore accentué par une mise en scène de sa propre image commentant d’autres images, sujet d’une vidéo qu’il faudra commenter à nouveau pour entretenir le nombre de vues et la popularité du youtubeur. Dans ce cercle qui doit peu au hasard, le regard de l’autre garantit cet ethos en recherche, comme il peut l’anéantir sans pitié pour détournement de code. Le phénomène se révèle similaire pour les blogs, dans lesquels le code de langage peut devenir un pastiche de genre35.

43Cette conscience très vive de la constitution d’un ethos collectif comme reflet et/ou miroir est au cœur de la création de l’image de soi, pour le meilleur et pour le pire parfois. La perception d’un collectif dans lequel il faut se glisser et dont il est indispensable d’obtenir la reconnaissance orchestre un subtil équilibre entre l’identique et le différent : les codes sont acceptés et rendus visibles pour garantir cette appartenance, tout en se gardant de coller par trop à ce modèle. Si certains collectifs jouent sur l’effacement énonciatif pour mieux s’affirmer comme groupe, Ruth Amossy cite en exemple le paradoxe de la représentation de soi dans le discours scientifique (Amossy 2010 : 191) dans lequel le ton impersonnel contribue à la fiabilité de l’image de l’homme de science, d’autres au contraire amplifient le procédé énonciatif jusqu’à la saturation parfois, indice d’un procédé devenant système et qui pose dès lors la question de l’authenticité et de la confiance.

  • 36 Un article du Monde explique les faits et conclut : « Il a connu le succès, avec aujourd’hui plus d (...)

44En février 2016, la révélation de la pratique de Math Podcast, un créateur de vidéos humoristiques, sur le forum de jeuxvideo.com a fait grand bruit dans la communauté des youtubeurs : il a été surpris en flagrant délit de « piratage d’ethos » d’un youtubeur américain, Motoki Maxted. Reprise de la posture (coiffure, vêtements, gestes), des thèmes, de la mise en scène, des commentaires, traduction littérale des dialogues parfois : les codes saturés débordent l’idée de stéréotype et le terme de plagiat est cité. Au-delà de l’aspect juridique qui est du ressort de la justice – le plagiat est sanctionné par la loi, contrairement au pastiche et à la parodie –, la sanction fut immédiate du côté de la communauté : celle-ci a très vivement condamné cette usurpation qui de fait ne respectait pas le code de l’authenticité, alors même que ce youtubeur avait construit avec beaucoup de soin son image, confirmée par des abonnés nombreux et une chronique sur une chaîne de télévision36. Les réactions de la communauté ont été vives, par le biais de commentaires acides et de vidéos moqueuses. En usurpant une identité, le « je » si apprécié de ses nombreux abonnés a trahi la confiance du « nous », entraînant le bannissement d’un collectif qui s’en détache.

45Ce miroir de l’identité en constitution est particulièrement opérant pour la jeunesse des youtubeurs, il se retrouve tout aussi bien dans des professions qui se construisent avec leurs codes de langage et leurs usages de l’image : le collectif s’articule de la même façon autour de valeurs communes qui garantissent l’authenticité d’un ethos collectif. Cependant, si la similitude construit l’identité, la distinction demeure tout aussi indispensable, qu’il s’agisse de se distinguer d’une globalité, ou d’éviter l’anéantissement d’un identique répliqué à l’infini. Entre reproduction et rupture, le curseur déterminant l’acceptation et le rejet reste très mobile : les lignes ne cessent de bouger pour redéfinir les contours, élaborant un ethos nomade négociant en permanence les lignes de force qui le constituent. Cela s’observe tout particulièrement dans le cas de l’ethos numérique, tant les paramètres qui le structurent en complexifient le régime.

46Dans ce contexte, l’ethos peut se retourner et se jouer de lui-même dans des modalités variées dont ce numéro donne un aperçu : surjouer les codes à l’infini à travers le pastiche, la parodie ou le plagiat ; inventer un ethos à partir de traces fortuites et de données collectées involontairement (Cécile Portier) ; mettre un ethos en scène au cœur d’un jeu qui construit ses propres codes (Christophe Duret) ; ou proposer des identités multiples d’écrivain pour mieux brouiller les pistes et inviter le lecteur de l’autre côté du miroir (Sylvie Ducas). L’ethos numérique, s’enrichissant des potentialités techniques, apparaît protéiforme, multiple, évolutif, inattendu, aussi bien reflet que miroir, tout autant construction réfléchie que potentialité créative à développer entre la série et l’hapax.

Un thème carrefour, un dossier pluridisciplinaire

47Notion-carrefour on l’a vu, qui se prête à de multiples saisies par différentes disciplines, l’ethos, ses formes et ses enjeux ont suscité l’intérêt de nombreux chercheurs dans ce numéro qui rassemble ainsi dans une perspective interdisciplinaire des points de vue analytiques, critiques, ou encore des études de cas. Avant d’en venir aux présentations individuelles des articles, l’on peut esquisser un panorama disciplinaire global.

48Fidèles aux origines rhétoriques de la notion, deux des articles de ce dossier abordent l’ethos à partir de son ancrage en analyse du discours, pour la discuter, en évoquer les limites (D. Maingueneau) ou en étudier les instanciations numériques par des acteurs politiques (E. Orkibi). Le champ littéraire et artistique est lui aussi représenté à travers l’étude analytique des modulations de l’ethos sur des sites d’écrivains contemporains (S. Ducas) ou via une circulation poétique dans les régimes de notre identité numérique (C. Portier). Plusieurs chercheurs en sciences de l’information et de la communication ont de leur côté adossé leur analyse des processus communicationnels et de la fabrique de l’ethos numérique à un éclairage des relations complexes entre supports numériques, environnements techno-sémiotiques divers et formes produites dans la sphère publique de l’ethos : Twitter, (F. Thiault), Instagram (V. Jeanne-Perrier et P. Escande-Gauquié), Facebook (G. Gomez-Mejia), LinkedIn (O. Dupont et L. Perticoz), YouTube (P. Adenot), les blogs (P.-Y. Connan, G. Le Saulnier et B. Verdier), les jeux vidéo (C. Duret) sont ainsi interrogés, entre autres, d’un point de vue architextuel (Souchier, Jeanneret et Le Marec 2003), autrement dit en mettant en relation les propositions techniques, les contraintes informatiques – et parfois les injonctions sociales à travers les normes sous-jacentes – et les modalités d’appropriation des outils par les usagers. L’approche communicationnelle permet aussi à certains chercheurs d’inscrire la possibilité de l’ethos moins dans une perspective individuelle que dans un contexte collectif (L. Merzeau), dans une perspective historique à travers la revitalisation de tensions anciennes (F. Allard-Huver) ou dans une lecture socio-anthropologique des pratiques de présentation de soi adressées à divers destinataires en régime numérique (J. Lachance).

49C’est en tant qu’analyste du discours que Dominique Maingueneau attire notre attention sur l’instabilité fondamentale de la notion d’ethos à laquelle il a consacré de nombreuses études : son caractère hybride, son investissement par des disciplines différentes, son adaptation spécifique à divers corpus génèrent des flottements que l’on ne peut limiter qu’en la rattachant toujours aux scènes d’énonciation dans lesquelles elle s’inscrit. Or l’univers numérique, mosaïque transitoire que construit l’acte même de naviguer, est très différent du modèle oratoire pour lequel a été forgée cette notion. Internet redéfinit notamment notre rapport à la textualité et à l’auctorialité, rendant souvent problématique la mise en évidence d’un ethos consistant. Pour saisir ces phénomènes complexes, et contribuer à faire de l’ethos un concept opératoire dans ce champ d’études, Dominique Maingueneau greffe, sur les catégorisations qui permettent de distinguer les différentes dimensions embrassées par la notion d’ethos, des questionnements plus larges, comme autant de curseurs à déplacer, entre l’individuel et le collectif, l’encadré et l’encadrant, la saillance et l’effacement.

50Alors que Dominique Maingueneau faisait le constat d’un trop-plein, c’est à l’inverse d’une absence que part Gustavo Gomez-Mejia – l’étonnement de ne pas encore avoir eu besoin de la notion d’ethos pour réfléchir au fonctionnement des identités sur le Web. L’ethos ne serait-il qu’un concept encombrant, plaqué par commodité sur des phénomènes qu’il n’est pas le plus à même de décrire ? Avons-nous vraiment besoin d’ethos ? S’il se prend au jeu, montrant comment les internautes et les community managers s’approchent, en pratique, de cette notion, il conditionne sa rentabilité théorique à la prise en compte des contraintes éditoriales qui tendent à pré-fabriquer l’ethos.

51C’est à cela que répond Louise Merzeau, en réinterprétant les contraintes propres à l’espace numérique, les présentant moins comme les instruments d’une emprise que comme un environnement avec lequel il est possible de négocier. Prenant acte de l’écart existant entre l’intentionnalité propre à la notion d’ethos, et notre soumission aux algorithmes qui captent nos données, elle propose d’envisager l’ethos numérique « à un niveau méta », où il désignerait notre capacité à exploiter ces dispositifs au profit de notre influence sociale. Le profil apparaît alors comme le cadre privilégié de ce déplacement de l’ethos par lequel l’internaute peut se faire le « chorégraphe de sa propre présence » et s’intégrer dans des démarches collectives de réappropriation des communs numériques.

52Dans une approche diachronique, François Allard-Huver revient quant à lui aux sources de l’ethos aristotélicien en réfléchissant aux valeurs qui fondent l’éthique de la communication sur Internet, et notamment au dire-vrai associé au parrhésiaste. Explorée par Michel Foucault avec son analyse de la construction du sujet dans son rapport à lui-même et aux autres, la notion de parrhesia est ici inscrite en positif et en négatif, à travers les différentes stratégies de masquage (pseudonymat, anonymat, détournement d’identité) que l’écriture de l’identité autorise en ligne. On retrouve dans les différents cas qu’il évoque l’injonction à la transparence et à la sincérité, intrinsèquement articulée à la saisie de l’ethos, de l’agora grecque aux réseaux sociaux, ainsi que le rôle dévolu au collectif, capable jadis comme aujourd’hui de dénoncer les mauvaises pratiques, de se doter de formes de normalisation de la construction de l’ethos pour reconstruire, en creux de l’énonciation, un rapport à la confiance.

53Après les approches théoriques ou critiques, la deuxième partie du dossier propose de circuler au cœur même de la fabrique de l’ethos, pour comprendre comment, dans des secteurs différents (champ professionnel, champ politique, champ pédagogique, champ médiatique et artistique, champ socio-anthropologique), l’ethos numérique se construit toujours en référence à des attentes, des normes plus ou moins intériorisées ou déclarées, des formes institutionnelles reprises ou mises à distance. C’est ici la face résolument publique de l’ethos qui est négociée, jusqu’à laisser parfois entrevoir des types. Ainsi des profils de ces jeunes professionnels de la communication déposés sur le réseau socioprofessionnel LinkedIn et analysés par Olivier Dupont et Lucien Perticoz, qui modulent parfois à l’envi les mêmes compétences, les mêmes qualités et qui reconduisent souvent les normes formelles propres au genre, au point d’y réinscrire des rapports de domination. Sur ces « profils » LinkedIn, se lisent ainsi en filigrane les enjeux et stratégies de jeunes diplômés ou de professionnels plus experts se conformant aux attendus de ce type de présentation de soi à visée professionnelle ou accentuant au contraire l’écart avec la forme-texte figée du curriculum vitae dans sa version imprimée. Entre les contraintes et multiples injonctions de l’architexte lui-même et la recherche d’un savant dosage entre rationalisation du parcours (logos), recommandations subjectives des clients et pairs (pathos), le « profil » de ces professionnels est constamment soumis à un retravail de l’ethos. Cette inscription – voire cette prise de position – de professionnels par rapport à une certaine idée de leur métier et des attentes que l’intitulé de leurs fonctions génère est perceptible également, dans une certaine mesure, dans l’étude de Florence Thiault sur les comptes Twitter de professeurs documentalistes. Ces derniers font en effet valoir un ethos qui entérine et forge tout à la fois une certaine vision de leur métier. L’auteur identifie en tout cinq types récurrents au sein de cette communauté professionnelle : si certains se rattachent plutôt au monde du livre, d’autres mettront davantage en avant leur expertise numérique par exemple. Là encore, la question des standards de présentation de soi apparaît comme centrale dans le positionnement de l’individu et la construction de son ethos, dans une perspective formelle mais aussi sociale. Émergent en effet de la comparaison de ces profils des valeurs partagées par une communauté d’enseignants qui appréhende aussi le réseau comme un espace d’apprentissage et de formation permanent – Twitter constituant pour les professeurs documentalistes un outil au service de la mise en visibilité de leur activité mais aussi un moyen de continuer à se former au contact d’autres communautés professionnelles.

54Les trois articles qui suivent ont en commun de penser l’identité des individus comme scindée parfois en deux faces complémentaires, l’une publique, et l’autre, moins connue et plus intimiste, que les énonciateurs s’attachent à élaborer au sein d’environnements médiatiques grand public (Facebook, Instagram, YouTube) pour y dévoiler un ethos moins évident. Les candidats aux élections israéliennes de 2013 dont Eithan Orkibi analyse les comptes Facebook utilisent ainsi un ensemble de ressources discursives pour mettre l’ethos, au sein de ce réseau socio-technique, au service de leur image politique. Ainsi ces trois candidats y commentent-ils la campagne qu’ils sont en train de vivre, par l’intermédiaire de remarques moins inscrites dans le flux médiatique, d’un ton plus personnel et d’une stratégie discursive globale qui navigue entre métatextualité et narrativité. Il s’agit en effet pour eux de rompre avec les méthodes politiques traditionnelles en déployant une rhétorique qui articule, une fois de plus, un certain imaginaire de la « transparence » et d’une parole nécessairement « authentique » quand elle emprunte des formes subjectives, populaires et dont le feuilletage médiatique est naturalisé. Le média est ici pensé, par les équipes de campagne, comme l’instrument d’une politique renouvelée, sans que l’idéologie attachée au dispositif soit pour autant questionnée. L’analyse que proposent Pauline Escande Gauquié et Valérie Jeanne-Perrier de l’utilisation à vocation artistique d’Instagram par deux personnalités très différentes met également en avant le frottement, sinon la concurrence entre les deux facettes d’une identité, jamais réduite à un état stabilisé, mais toujours nourrie par plusieurs ethos. Nikos Aliagas, journaliste et animateur de télévision et Richard Koci Hernandez, universitaire, restent perçus dans les médias moins comme des photographes publiant leurs photos sur Instagram que comme des célébrités qui pratiquent la photographie mobile. Dans les deux cas, l’ethos du photographe se nourrit de l’ethos préalable de la célébrité ou de l’universitaire, parfois aussi dans le but de s’en affranchir. Les chercheuses montrent ainsi comment, prenant acte des contraintes du dispositif technique, l’un comme l’autre sont enclins à rechercher en d’autres espaces – plus dotés d’autorité symbolique – la reconnaissance artistique par l’intermédiaire d’expositions ou par la vente de clichés.

55Monde de l’art et pédagogie ont leurs règles propres et constituent l’autorité en référence à des canons, des standards, des règles formelles établies parfois depuis longtemps. Pauline Adenot analyse à cet égard avec précision les signes aux travers desquels se forge l’ethos de l’expert sur YouTube : langage de proximité, techniques d’accroche, interactions avec les internautes, ressources du dispositif technique participent à la mise en scène du pro-am et à la constitution de sa popularité. La chaîne E-Penser, qu’elle étudie de près, s’appuie ainsi sur une approche humoristique de la science qui n’est pas sans puiser ses ressorts dans les codes du stand-up. Son auteur, Bruce Benamran, sait également, une fois la notoriété acquise, remplacer certaines des formes populaires de son ethos pro-am par des procédés plus académiques, lui permettant de forger une figure qui tend davantage vers l’expert que vers l’amateur.

56Jocelyn Lachance s’intéresse quant à lui à l’ethos des adolescents : il analyse les différents types de destinataires auxquels s’adressent ces derniers lorsqu’ils prennent des photos d’eux-mêmes, les conservent pour eux ou les publient sur différents espaces numériques. Dans cette période de découverte qu’est l’adolescence, les modalités de présentation de soi varient, entre mise en scène, performance et logique d’authenticité. À la recherche d’une validation de l’ethos ainsi constitué ou adeptes du risque que représente le dévoilement du corps, poussés par un désir d’extimité, les adolescents apprennent progressivement à se confronter à leur propre image et au regard que les autres portent sur eux. L’ethos adolescent cherche ses propres limites, en référence à des codes esthétiques ou à des conventions sociales, passant « de la mise en scène » à la « mise en mots » quand il s’agit d’expliquer aux autres, sur les réseaux sociaux par exemple, les choix effectués.

57La troisième partie de ce dossier se focalise sur les modalités selon lesquelles l’ethos peut être décentré, réinvesti, décalé par rapport à une appréhension première, à un ensemble de représentations sociales. L’ethos y est saisi comme un jeu, au sens mécanique d’espace interstitiel, de création. Les articles s’attachent à montrer comment les individus cherchent parfois à construire une autre représentation de leur métier, de leur pratique ludique ou artistique, jusqu’à tordre le cou aux idées reçues : l’ethos dès lors s’épaissit en matière, s’incarne dans des figures plus proches. Les analyses soulignent le jeu d’écart avec un ethos préalable que peut produire l’énonciation et plus globalement le système énonciatif dans lequel ces effets d’ethos prennent leur sens.

58Les blogs de policiers qu’étudient Pierre-Yves Connan, Guillaume Le Saulnier et Benoît Verdier apparaissent comme des espaces où une énonciation inédite émerge, cherchant ses formes propres entre les représentations sociales attachées à la profession et les pratiques et traditions professionnelles. L’écriture qui s’y déploie est bien éloignée des formes administratives dont sont familiers les policiers ; elle les transgresse et prend son autonomie en tant que témoignage vivant, subjectif, à la fois in medias res et distancié. Ethos du témoin, du confident, du spécialiste et de l’auteur sont ainsi quatre figurations énonciatives présentes dans le corpus qui permettent aux blogueurs que sont aussi ces policiers de se réapproprier une parole d’ordinaire absente de leur environnement professionnel.

59À l’inverse des policiers, les écrivains font profession de leur plume. Pour autant, hormis quelques auteurs bien présents sur la scène médiatique, le retrait que la plupart d’entre eux marquent à l’endroit des espaces numériques apparaît comme le pendant de leur volubilité littéraire. Sylvie Ducas s’attache dès lors à décrire les différentes postures discursives qu’occupent les trois auteurs auxquels elle s’intéresse. Si Éric Chevillard déploie plutôt une posture de lettré sur son site – non départie d’une certaine ironie –, Chloé Delaume se situe plutôt du côté de la performance, tandis que Régine Detambel met en exergue ses activités de médiatrice au sein des bibliothèques. Trois figures d’écrivains « en ordre de parade », trois postures qui montrent comment la mise en visibilité de l’auteur est renouvelée et surtout s’inscrit dans une dynamique qui n’est jamais figée et qui articule souvent autopromotion et création. Car pour être visible, il faut proposer aux lecteurs, aux professionnels du livre plus généralement des ressources ou des textes inédits, des informations sur les parutions dont ces sites sont la chambre d’échos ; pour être lu, il faut aussi montrer que l’on est en train d’écrire. En chambre, l’écrivain n’y est plus guère : sur Internet c’est plutôt « hors les murs » qu’il se donne à voir. Montrer que l’on est un écrivain au travail n’exclut toutefois pas que l’on joue également en ces espaces numériques. Et jouer consiste aussi à incarner des doctrines, des valeurs, à écrire un récit, comme dans le cas des jeux de rôle goréens que Christophe Duret prend pour objet de son analyse. Le chercheur défend en effet l’idée que l’ethos de ces jeux participatifs en environnement virtuel garantit leur conformité avec la « loi de l’ordre naturel » située au cœur des Chroniques de Gor, de John Norman – saga débutée en 1966 – dont ces jeux s’inspirent et qu’ils contribuent toujours peu ou prou à réécrire. Considérant ces derniers comme des instruments de persuasion, Christophe Duret explique la notion d’ethos vidéoludique qu’il propose, et qui vise à prendre en compte l’« écosystème transtextuel » qui alimente le jeu. Si le jeu est défini par les limites techniques et informatiques d’une plateforme, Christophe Duret souligne qu’il se poursuit bien au-delà de celles-ci au travers d’espaces annexes dénommés ethos extrinsèque (forums de discussion, scénarios de jeu de rôle dans lesquels les joueurs continuent à construire des figures et des personnages en creux de leur énonciation) ou de manière interne par le biais des règles et événements ludiques organisés par les joueurs (ethos intrinsèque).

60Pour clore ce dossier et dans le prolongement de l’espace du jeu et de la création – fût-elle articulée à d’autres textes, d’autres traces – précédemment évoqué, l’approche artistique nous a semblé ouvrir des voies nouvelles et poétiques. L’identité telle qu’elle se laisse saisir dans nos parcours sur le Web est au cœur de la fable que nous propose Cécile Portier. Réflexion sur les données individuelles traquées par les robots et les instances commerciales, déambulation dans des espaces mêlant traces et littérature, Étant donnée est une fiction web dont l’auteur nous propose une visite, à travers l’exploration des différentes « pièces » qui la composent. Si elles renseignent, les traces ne sont pas pour autant l’individu qui ne se laisse pas enfermer – pas plus qu’un quelconque ethos, même en régime numérique. La fable poétique déploie l’idée que les traces, saisies à l’insu de chacun, sont le point de départ d’autres images à réinventer et s’échappant à elles-mêmes au profit d’une liberté de création. La création artistique surgit ainsi au cœur d’un espace que beaucoup donnent pour complètement balisé, circonscrit, pour garantir l’incertitude contre la mesure et l’enfermement, pour affirmer l’intimité contre l’idée d’un individu réduit à ses traces, pour affirmer enfin et surtout la liberté intrinsèque de l’homme et de l’art.

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Notes

1 Sur la question des identités numériques, voir notamment les articles recueillis par Alexandre Coutant et Thomas Stenger (2013) et les travaux de Fanny Georges (2009).

2 La notion d’ethos ayant suscité des actualisations orthographiques variées, avec ou sans accent, avec ou sans italiques, avec un pluriel grec ou francisé, nous avons décidé de conserver les graphies propres à chaque source, et de laisser chaque auteur libre de l’écrire à sa guise.

3 Ruth Amossy explique très clairement au début de La Présentation de soi (2000) ce cheminement transdisciplinaire de la notion, et enrichit sa propre définition de ces effets de sédimentation, même si elle choisit pour sa part de se concentrer sur l’aspect verbal de l’ethos. Nous la remercions ici pour son soutien lorsque nous avons commencé à travailler sur ce numéro.

4 « Il va de soi que les orateurs qui composent avec gestes, voix, costumes, action éveillent plus d’émotions » (Aristote, Rhétorique, II, 8).

5 Dominique Maingueneau (2013) insiste ainsi sur « l’hybridité » fondamentale de l’ethos.

6 Cf. Pierre Bourdieu ([1978] 1992 : 133) : « La force de l’ethos, c’est que c’est une morale devenue hexis, geste, posture. »

7 Le premier terme est de Dominique Maingueneau, il emprunte le second à Frédérique Woerther (Maingueneau 2013).

8 « […] dans l’ensemble, beaucoup de gens ont tendance à associer l’ethos à une crédibilité fondée sur l’établissement d’un caractère personnel fiable, et donc à utiliser “ethos” comme un raccourci pour “crédibilté”. Bien que les conceptions actuelles de l’ethos soient susceptibles de s’écarter de ces notions classiques, les définitions classique et émergente de l’ethos fournissent ensemble un outil puissant et flexible, permettant d’observer les nunaces de la crédibilité en contexte numérique ».

9 « Sentiment Analysis of Twitter Hashtags » : c’est là l’intitulé d’un sujet qui a été proposé à la sagacité d’étudiants en informatique dans le cadre de l’ICT Week organisée à Leuwen en mars 2016.

10 Cf. Sue Halpern, « Mind control and the Internet », New York Review of books, 23 juin 2011. « Among the many insidious consequences of this individualization is that by tailoring the information you receive to the algorithm’s perception of who you are, a perception that it constructs out of fifty-seven variables, Google directs you to material that is most likely to reinforce your own worldview, ideology, and assumptions. »

11 Nous détournons ici l’expression de Dominique Maingueneau, pour désigner la manière dont l’ethos est, non pas ancré, mais rabattu sur un stéréotype par élagage de ses caractéristiques considérées comme hétérogènes ou secondaires (ses originalités sont traitées comme des « bruits » qui doivent être éliminés).

12 Deux exemples de ces recommandations/mises en garde, qui montrent bien la possibilité d’une reprise en main – qui n’efface pas les contraintes du dispositif mais tente de les ajuster : « Dites à votre Fil d’Actualité ce que vous aimez. Facebook veut que vous jouiez un rôle actif dans l’ajustement de “votre” algorithme » (http://fr.safeandsavvy.f-secure.com/2015/04/21/facebook-controle-fil-dactualite/) ; « […] Le réseau social va donc vous proposer sa propre sélection d’articles et de mises à jour, basée sur vos goûts, pour vous tenir vissé devant l’écran. […] On peut toutefois déjouer la vigilance de l’algorithme et tenter de personnaliser son expérience. […] Le conseil que je peux vous donner est de bien penser à ce que vous faites sur le réseau social, attendu que tout geste a une conséquence » (http://articles.fr.softonic.com/fil-actualite-facebook-voyez-depend-faites).

13 Il poursuit : « Le paradoxe contemporain veut que l’expression de soi ne cesse de se manifester au long du quotidien et comme sans entraves, mais à l’intérieur d’un cadre majoritaire qui la codifie, l’excite et l’oriente de façon imperceptible ou non immédiatement consciente. »

14 « Les médias antérieurs à l’environnement numérique – journaux, radio, télévision – ont tous atteint un assez bon niveau de crédibilité aux yeux du public, en raison de leur parcours de pourvoyeurs d’information. Cependant, les nouveaux médias en ligne […] n’ont pas été placés à un tel niveau d’estime […] ce manque général de crédibilité les inscrit dans une problématique de médias persuasifs » (nous traduisons).

15 Voir à ce sujet notamment les articles de Gustavo Gomez Mejia sur les typologies de profils sur Facebook et de François Allard-Huver sur la notion de digital parrhesia dans ce numéro. L’usage que font les acteurs politiques israëliens de Facebook dans l’article d’E. Orbiki est également porté par cet imaginaire d’une communication nécessairement plus « transparente », « proche » et personnelle sur un réseau social.

16 Voir à cet égard le numéro 183 de la revue Réseaux : « Évaluations profanes : le jugement en ligne », 2014.

17 Sur le marketing conversationnel, se reporter au dossier de la revue Communication & Langages : Valérie Patrin-Leclère (dir. 2011).

18 « Transparence » des échanges, que la circulation d’expressions telles que « réseaux sociaux » contribue à construire en occultant toutes les dimensions techniques et symboliques présentes néanmoins dans ces dispositifs et dans les processus communicationnels qui s’y déplient.

19 Morgane Tual, « Les “emojis” constituent-ils un langage à part entière ?” », Le Monde, 15  mars 2016 (http://www.lemonde.fr/pixels/article/2016/03/15/les-emoji-constituent-ils-un-langage-a-part-entiere_4883318_4408996.html, consulté le 10 mai 2016).

20 Voir ainsi la campagne de l’association Innocence en danger, réalisée par l’agence RosaPark (janvier 2014), qui met un visage humain sur des emojis et dénonce ainsi les manoeuvres de prédateurs sexuels (http://www.rosapark.fr/realisation/innocenceendanger/, consulté le 10 mai 2016).

21 Morgane Tual, op. cit.

22 Voir les différentes campagnes de l’association Innocence en danger. Celle de mars 2015 reprend l’idée évoquée précédemment en humanisant cette fois-ci les doudous que les enfants tiennent dans leur bras (http://www.innocenceendanger.org/campagne2015/#56483832, consulté le 6 juin 2016).

23 Erwan Lecomte, « La nouvelle tendance des drones : le pistage », Sciences et avenir, 18 juin 2014, http://www.sciencesetavenir.fr/high-tech/20140618.OBS0857/la-nouvelle-tendance-des-drones-le-pistage.html (consulté le 29 mars 2016).

24 Erwan Lecomte, « Après le selfie, voici le “dronie” », Sciences et avenir, 31 juillet 2014, http://www.sciencesetavenir.fr/high-tech/20140731.OBS5208/apres-le-selfie-voici-le-dronie.html (consulté le 29 mars 2016). Le dronie est proposé par des stations de ski neozélandaises pour la production d’un film de 8 secondes à déposer ensuite sur des réseaux sociaux.

25 Jean-Michel Normand, « Plus fort que le selfie, le dronie », Le Monde, 25 mars 2016, http://www.lemonde.fr/m-styles/article/2016/03/25/plus-fort-que-le-selfie-le-dronie_4889836_4497319.html (consulté le 29 mars 2016).

26 Jean-Michel Normand, « Banc d’essai : Hexo+, le drone français pour hédonistes », La foire du drone, 1er février 2016, http://drones.blog.lemonde.fr/2016/02/01/banc-dessai-hexo-le-drone-francais-pour-hedonistes/ (consulté le 29 mars 2016).

27 Alex Chacon, « Epic Dronies in Veracruz Mexico », mis en ligne le 11 février 2015, https://www.youtube.com/watch?list=PLltKVGajsESVS-0557h3pVA60-Lys9AGK&v=biLP4KAHxEk, 354 610 vues le 29 mars 2016.

28 Go Fly Film, « Dronie on Devil’s Bridge in Arizona », mis en ligne le 5 août 2015, https://www.youtube.com/watch?v=QKm1eW9m5Jk&list=PLltKVGajsESVS-0557h3pVA60-Lys9AGK&index=46 (287 vues le 29 mars 2016).

29 Kdub Imagery, « Dronie compilation », mis en ligne le 22 avril 2015, https://www.youtube.com/watch?v=O7EL1yx47fg (consulté le 29 mars 2016).

30 Drone Fanatic, « Atlantic city dronie », mis en ligne le 6 juillet 2015, https://www.youtube.com/watch?v=ySNEJ7ywaRA&list=PLltKVGajsESVS-0557h3pVA60-Lys9AGK&index=35 (consulté le 29 mars 2016).

31 JH McMillan, « How to make a dronie selfie », mis en ligne le 7 août 2014, https://www.youtube.com/watch?v=CHJPoReneds&list=PLltKVGajsESVS-0557h3pVA60-Lys9AGK&index=26.

32 « Le premier festival du film de… drones à New York », 5 février 2015, http://www.clique.tv/le-premier-festival-du-film-de-drones/ ; Prix du meilleur film dans la catégorie Dronie, Festival du film de drone de New York City 2015, Florian Fischer et Michael Kugler, « Floating », https://www.youtube.com/watch?v=51d5U5_OsTY&list=PLltKVGajsESVS-0557h3pVA60-Lys9AGK&index=18 (consulté le 29 mars 2016).

33 Alex Chacon, « Around the world in 360° Degrees – 3 year Epic Selfie », mis en ligne le 6 mai 2014, https://www.youtube.com/watch?v=VTlXttQL_Yk (13 744 918 vues au 29 mars 2016).

34 L’article d’Olivier Dupont et de Lucien Perticoz dans ce numéro explore ainsi « les ethos des jeunes professionnels de la communication sur LinkedIn », celui de Florence Thiault s’intéresse aux professionnels de l’information-documentation scolaire sur Twitter.

35 Dans le cas de certains skyblogs par exemple, la démarche sera identique pour la récupération commerciale des gabarits (Hellégouarc’h 2010).

36 Un article du Monde explique les faits et conclut : « Il a connu le succès, avec aujourd’hui plus de 400 000 abonnés, et des dizaines de milliers de fans sur les réseaux sociaux, où il romance sa vie quotidienne et sa réussite de youtubeur. Fort de son succès, il avait même décroché une chronique dans une émission de la chaîne NRJ12 » (« Les internautes se déchaînent sur un youtubeur accusé de plagiat », Le Monde, http://www.lemonde.fr/pixels/article/2016/02/10/les-internautes-se-dechainent-sur-un-youtubeur-accuse-de-plagiat_4862942_4408996.html, consulté le 29 mars 2016).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Christèle Couleau, Oriane Deseilligny et Pascale Hellégouarc’h, « Présentation »Itinéraires [En ligne], 2015-3 | 2016, mis en ligne le 01 juillet 2016, consulté le 06 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/itineraires/3175 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/itineraires.3175

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Auteurs

Christèle Couleau

Université Paris 13, Sorbonne Paris Cité, Pléiade (EA 7338)

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Oriane Deseilligny

Université Paris 13, Université Paris Sorbonne, GRIPIC (EA 1498)

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Pascale Hellégouarc’h

Université Paris 13, Sorbonne Paris Cité, Pléiade (EA 7338)

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