1Dans le monde littéraire, la « publication » d’un texte qualifie l’action de le rendre public – le fait de le publier – et le produit de cette action, une publication correspondant aussi à un titre publié, généralement sous la forme d’un livre. Si l’impression d’un livre constitue l’aboutissement d’un long processus de création et de mise en forme, résultant de l’action conjuguée de plusieurs acteurs, la publication implique toutefois des activités qui dépassent souvent le cadre de l’objet-livre, notamment sur le plan publicitaire (encarts, entretiens, etc.). Par ailleurs, la place centrale qu’occupe le livre ne doit pas faire oublier deux éléments. D’une part, la parution livresque d’un texte s’avère régulièrement précédée ou suivie d’autres types de publications, par exemple par le biais de lectures publiques. D’autre part, l’existence d’un livre n’est pas toujours la règle : outre la possibilité d’une parution uniquement numérique, il est courant qu’un texte rendu public ne fasse jamais l’objet d’une publication livresque autonome, par exemple dans le cadre d’une création théâtrale – y compris dans le cas où sa valeur propre est reconnue des spectateurs et spectatrices.
2Réfléchir aux multiples manières dont un texte peut circuler auprès de divers publics demande de prêter attention au caractère possiblement plurimédial des processus de publication « littéraire ». Outre que cela incite à mettre en place de nouvelles collaborations entre disciplines académiques, il s’agit aussi de conjuguer au mieux les approches poétiques – attentives à l’étude de la fabrique des objets, des catégories et des notions qui en rendent compte –, esthétiques – attentives à leurs effets ou fonctionnements possibles et réels – et sociologiques – attentives aux enjeux politiques et socio-économiques que ces objets permettent d’identifier ou qu’ils invitent à examiner : loin de tenir ces disciplines et ces approches à distance les unes des autres, nous faisons au contraire le pari que leur rapprochement s’avère fécond.
3Christian Jouhaud et Alain Viala ont noté que la notion de « publication » a passablement changé de sens ces derniers siècles :
Aujourd’hui, nous employons spontanément ce mot pour désigner soit un objet imprimé : une publication, soit pour évoquer une parution : la publication d’un livre ou d’une revue. Certes, nous continuons à mentionner la publication d’une loi et nous comprenons encore ce que signifie publier les bans d’un mariage. Mais le lien entre ces différentes manières de rendre public, ou entre ces différents objets rendus publics par une action de publication, ne nous saute plus aux yeux. (Jouhaud et Viala, 2002, p. 6)
4On gagne non seulement à considérer « différentes manières de rendre public », mais encore à prêter attention aux « chaînes de publication » des objets, lesquelles s’avèrent concernées par une pluralité d’événements qui débordent l’édition, l’impression et la première diffusion des textes :
Que l’on prenne en considération le seul temps court de l’action, par exemple politique, pour reconstituer une chaîne de publication en son temps, ou le temps plus long de la survie des œuvres et de leurs effets, on remet en cause l’idée d’un face-à-face simple entre des producteurs d’écrits (qui les « émettent » ou les destinent) et un ou des publics (qui les reçoivent). (Jouhaud et Viala, 2002, p. 7-8)
5Si la question des « chaînes de publication » s’avère bien plus large que la nôtre, puisqu’elle admet des types de « liens » qui ne font pas partie de nos premières préoccupations, deux des objectifs poursuivis par les études de cas regroupées dans notre dossier font écho à ces pages que Jouhaud et Viala ont écrites à propos de l’Ancien Régime français : d’une part identifier les « objets » que les « actes de publication » « lient » entre eux (selon une pluralité de manières) ; d’autre part s’interroger, au prisme de la question de la publication, sur les conditions de la « survie des œuvres » ou, plus largement encore, de la « vie » des œuvres.
6Dire qu’une œuvre « vit » peut sembler réducteur, parce que l’on saisit ainsi, avec un seul verbe, une multiplicité d’activités et de phénomènes différents. Ce terme permet toutefois de rendre justice aux inflexions nouvelles que ces activités confèrent à l’œuvre. Dans L’Œuvre d’art littéraire, Roman Ingarden distingue ainsi deux aspects de la « vie » des œuvres : selon lui, l’œuvre d’art « vit », car elle « passe à l’expressivité dans un divers de concrétisations » (1983, p. 293) – c’est-à-dire, pour préciser cette dernière notion, dans des actes concrets de réception comme la lecture privée et de reproduction comme la déclamation publique – ; elle « vit » aussi parce qu’elle connaît des transformations consécutives, dans la mesure où une modification survenue dans une concrétisation peut être conservée dans les suivantes, si bien que « l’œuvre elle-même (et non seulement ses concrétisations […]) est soumise à différentes transformations » (p. 299). Autrement dit, l’identité et la forme des œuvres ne dépendent pas seulement de leur auteur ou autrice, mais se construisent tout au long de leur « vie », depuis leur première publication et au gré de leurs « concrétisations » successives.
7Publier la littérature revient à participer d’une manière ou d’une autre à cette « vie » littéraire. Et c’est pourquoi la publication gagne à être abordée dans son acception la plus large, comme la rencontre potentielle ou actualisée d’une œuvre – ou d’une partie de l’œuvre – avec un public. Le littéraire n’est pas nécessairement livresque ; il existe bien des manières de « faire littérature » (Abrecht, et alii, 2019).
- 1 Certains objets reliés à l’œuvre principale disposent parfois d’un autre titre : par quasi-nécessi (...)
- 2 Dans ce dernier cas, on dira que plusieurs objets partagent tout ou partie de leur identité opéral (...)
8Réfléchir aux chaînes de publication et à la vie des œuvres impose d’admettre une acception large et inclusive du terme « publication », mais aussi de préciser ce que nous entendons par la notion d’« œuvre », à savoir : une création (par exemple Ubu roi d’Alfred Jarry), dont le titre désigne souvent plusieurs « objets » à la fois (en l’occurrence un texte et un spectacle, tous deux datés de 1896, sans parler des brouillons, des traductions ou des mises en scène ultérieures1). Certains de ces objets sont compris et appréhendés (par les uns ou les autres, pour une multiplicité variable de raisons) comme des œuvres autonomes (telle mise en scène d’Ubu roi comme une œuvre parfaitement distincte du texte de Jarry) ; d’autres sont compris et appréhendés (par les mêmes personnes ou par d’autres) comme des versions d’une même œuvre2.
- 3 L’adjectif « opéral » est relatif au substantif « œuvre » (opus, operis) et ne doit pas être confon (...)
- 4 Selon Gérard Genette (2010, passim), l’œuvre littéraire connaît un « régime d’immanence » la faisa (...)
9Gérard Genette l’avait écrit dans son introduction à l’anthologie Esthétique et Poétique : « il n’y a d’œuvre qu’à la rencontre active d’une intention et d’une attention » (1992, p. 8). Cela concerne à la fois le sens conféré à une œuvre, mais aussi son extension, lorsque des « changements de paradigme esthétique » modifient par endroits le statut opéral3 de certains objets, par exemple quand on se met à considérer comme « version d’une œuvre ce que la génération précédente aurait peut-être tenu pour simple document génétique », ainsi que Genette le remarque, cette fois dans L’Œuvre de l’art (2010, p. 317). Une œuvre est en effet susceptible d’admettre une pluralité d’états et de modes d’existence, sans compter qu’elle entretient régulièrement des liens étroits avec des œuvres voisines, dont elle dérive ou qu’elle suscite. Prêter attention au lien opéral que les objets « littéraires » partagent ou ne partagent pas invite à penser la manière dont chacun d’entre eux « manifeste » l’œuvre ou les œuvres publiées (pour parler plus explicitement avec le vocabulaire de L’Œuvre de l’art4), aussi du point de vue du public qui s’interroge tantôt sur la capacité d’un objet à « manifester » correctement l’œuvre, tantôt sur sa capacité à en reconfigurer les frontières. Cela conduit du même coup à réfléchir aux façons dont ces objets prévoient, induisent ou connaissent des pratiques de réception distinctes.
10Ces questions se posent notamment quand l’œuvre a été produite dans plusieurs versions concurrentes, comme dans le cas de la « poésie action » de Bernard Heidsieck (1928-2014), étudiée dans ce dossier par Gaëlle Théval. Les poèmes de Heidsieck sont en effet publiés successivement sous la forme de performances, de vinyles, de CD ou de livres. Aucune de ces modalités d’existence ne semble avoir raison des autres : l’œuvre ne s’identifie pas uniquement à l’événementialité des performances, ni à la fixation matérielle des textes ; elle se déploie dans la diversité de ses états. Ainsi que le remarque Gaëlle Théval, cette pluralité contribue à « rendre les contours de l’œuvre flous » (§ 6). Au sujet du poème « D3Z » qui n’est diffusé que dans une version enregistrée sur bande et publiée sur disque, Gaëlle Théval rappelle que les créations du poète sont volontairement produites à la lisière de plusieurs arts et médias, selon des stratégies complémentaires de publication :
Ni exclusivement orale, ni totalement livresque, ni systématiquement sonore, la publication effective de la poésie action, envisagée depuis l’œuvre de Bernard Heidsieck, relève d’une pluralité médiologique qui n’est pas le seul fait des contingences éditoriales – au demeurant réelles – rencontrées. (§ 32)
11Loin d’être isolées, ces expérimentations signaleraient « une forme d’inassignation médiologique qui […] apparaît commune à de nombreuses écritures poétiques contemporaines, héritières en cela de la poésie-action » (§ 32).
12Les « contingences éditoriales » évoquées par Gaëlle Théval ne sont pas sans effet sur la vie des œuvres. Elles sont notamment en mesure de confirmer ou de modifier l’idée que le public peut s’en faire. Dans ce dossier, Marion Brun compare par exemple trois éditions sonores de L’Étranger (1942) d’Albert Camus qui, diversement, « se confrontent […] au problème de la monotonie de ton qui serait exigée par le texte emblématique du “degré zéro de l’écriture” » (§ 31) théorisé par Roland Barthes en 1953. Jugées à l’aune de l’idée que les auditeurs et auditrices se font de L’Étranger, la lecture de Serge Reggiani (1983) paraît s’éloigner de l’œuvre initiale, tandis que celle de Michael Lonsdale (1986) semble s’en approcher. Si l’on en croit son succès éditorial, celle-ci a les faveurs du public, malgré la notoriété de Reggiani et malgré le fait qu’elle peut sembler supplantée, en termes de légitimité opérale, par celle de Camus lui-même (1954). Ce dernier, qui dans sa lecture marque quelques moments forts, donnerait quant à lui l’occasion d’en apprendre plus sur ses intentions et donc, croit-on, sur l’œuvre elle-même. Les quelques lapsus, erreurs ou modifications intentionnelles de Reggiani et de Camus n’ont, de fait, pas le même statut : les premières sont remarquées et parfois discutées ; les secondes, immanquablement, « relancent l’interprétation du texte » (§ 30), qui apparaît ainsi sous un nouveau jour. Cela étant dit, le livre audio offre plus qu’une simple version du texte, en tant qu’il fonctionnerait à la façon d’une « édition incarnée », selon la formule de Marion Brun : « l’édition sonore […] contribue à incarner la littérature, à donner corps au texte, à travers un souffle, un corps qui se fait entendre » (§ 9) et, en ce sens, « pousse l’auditeur à imaginer à la fois la fiction et le corps qui l’énonce » (§ 9).
13La capacité des objets à susciter de nouvelles réalisations est parfois exploitée par l’œuvre initiale : il en va ainsi, selon Marion Lata, de la fameuse page blanche du sixième livre de Vie et opinions de Tristam Shandy (1759-1767) de Laurence Sterne, donnée en lieu et place du portrait d’un personnage que les lecteurs et lectrices du roman sont invités à dessiner. En s’interrogeant dans ce dossier sur les éditions livresques et numériques de ce roman, Marion Lata prête attention aux divers exemplaires en circulation, en tant qu’ils « passent entre les mains et sous les yeux de lecteurs susceptibles de comportements de lecture variés » (§ 16) – comportements que le roman anticipe en quelque sorte, en convoquant plusieurs narrataires différents. En ce sens, la page blanche de Tristram Shandy « devient […] un dispositif de différenciation intégré par la publication » (§ 19). Si 147 artistes célèbres ont chacun et chacune proposé, dans le cadre d’une exposition, leur version de cette page, qui acquiert alors un statut opéral propre, partiellement autonomisé du texte de Sterne, certains dessins et autres « appropriations » de lecteurs et lectrices ordinaires, aussi rendus publics, notamment sur Internet, ne sont pas appréhendés ainsi. Ceux-ci rendent néanmoins envisageable, par leur partage, « la réception collective d’une modification originellement privée » (§ 41). Sans présumer de la possibilité que l’une ou l’autre de ces modifications soit conservées dans des « concrétisations » ultérieures (Ingarden), force est de constater que le texte de Sterne prévoit en théorie et connaît en pratique la mise en circulation d’exemplaires personnalisés par des lecteurs ou lectrices. C’est pourquoi Marion Lata conclut que ces « gestes ordinairement interprétés comme relevant d’une forme d’adaptation ou de création dérivée gagnent […] à être également considérés comme une étape supplémentaire du processus de publication, orientée non plus vers la production mais vers la réception du texte » (§ 42).
14Ces trois cas montrent l’intérêt qu’il y a à considérer le caractère plurimédial de la publication des œuvres littéraires et des activités qui y sont liées, tant au niveau des supports et techniques (livre imprimé, écran numérique, lecture diffusée en direct par ondes radio, montage sonore enregistré sur disque, performance scénique, etc.) que des canaux perceptuels sollicités (vision, audition). Pour une partie de la littérature contemporaine, par exemple, cette prise en compte s’avère nécessaire. Les spécialistes insistent sur le fait que nous connaissons actuellement une « extension du domaine de la littérature », qui se comprend notamment sur le plan des formes de publication des textes :
Aujourd’hui, publier n’est pas seulement imprimer, mais faire exister un texte sous d’autres formes : lectures, performances, mises en scène ou encore entretiens. Le succès de ces pratiques de « littérature hors du livre » est tel qu’on a pu parler d’un tournant festivalier de la littérature. Plus qu’un simple effet des logiques du divertissement, ce phénomène représente une décisive « extension du domaine de la publication ». (Meizoz, 2018, § 1)
- 5 Voir la contribution de Gaëlle Théval dans ce dossier.
15Cette diversification des manières de publier est sans doute moins le signe d’une rupture avec le livre que celui d’une prise en considération de ses limites. En effet, les artistes, écrivaines et écrivains qui œuvrent au-delà du bibliocentrisme ne cherchent pas nécessairement à « dégutembergriser » la littérature, pour emprunter ce terme à Bernard Heidsieck5. Plusieurs tentent de revenir de façon critique sur les usages et les limites de la publication livresque, en tirant également profit des autres modalités d’existence de la littérature. Il reste que la « littérature hors du livre » ou la « littérature exposée » (Rosenthal & Ruffel, 2010, 2018 ; Bessière & Payen, 2015), y compris dans ses variantes les plus « sauvages » (voir Dubois, 2005 ; Saint-Amand, 2016), occasionne aujourd’hui des changements profonds à l’idée même de « littérature », dans la mesure où l’on considère que celle-ci peut très bien être produite, publiée et reçue dans des contextes qui lui confèrent des parentés troublantes avec les arts de la performance, les arts plastiques, le cinéma ou la radio. Selon Lionel Ruffel (2016), le contemporain se définirait notamment par l’affranchissement des formes artistiques et des productions culturelles de leurs supports et cadres habituels. Alexandre Gefen et Claude Perez font un constat analogue : s’« il y eut un temps, pas si lointain, où les modernes enseignaient que chacun des arts […] avait une essence propre, qui dépendait de son medium » (2019, § 1), cette époque serait révolue et les frontières clairement délimitées d’autrefois abolies. Aujourd’hui, « l’aventure de l’écriture cède la place à (ou en tout cas voisine avec) d’autres formes d’explorations artistiques » (§ 10).
16Il est sans doute possible de mettre à profit cette définition contemporaine de la littérature pour l’étude de la publication des textes du passé : son élargissement invite par exemple à réévaluer la dimension performative de la littérature des siècles précédents, non pour y chercher des avatars du contemporain, mais pour mieux prêter attention à certaines activités et à certains phénomènes. À vrai dire, ce type d’entreprise n’est pas récent : Florence Dupont identifiait par exemple le « retour de l’oralité et de l’éphémère » (1994, p. 18-19) dans la littérature contemporaine comme une occasion de se départir d’une conception bibliocentrée du littéraire ayant encouragé une appréhension partielle, voire fautive, des lettres de l’Antiquité. Plusieurs spécialistes d’autres époques ont mené des recherches analogues, y compris pour les périodes qui, a priori, semblaient le plus mal se prêter à l’exercice.
- 6 Selon Alain Vaillant, « le xixe siècle » correspond au « triomphe de l’imprimé », où « les nouvell (...)
17Dans ce dossier, Marine Lépinard invite par exemple à « déplier l’ensemble des pratiques que le terme de “publication” recouvre » au xixe siècle, à ne pas « rédui[re], en somme, la publication à l’objet imprimé », afin de ne pas « exclu[re] du regard tout un pan de l’activité littéraire qui se reçoit et se rend “publique” en d’autres lieux, d’autres cercles, sous d’autres supports et formes » (§ 2). Marine Lépinard signale que le prisme de l’imprimé, certes justifié sur le plan historique6, mais aussi imposé par la distance temporelle, empêche parfois de concevoir la vie d’un texte dans toute sa complexité et ses nuances. En retraçant la circulation de quelques vers d’Alfred de Musset d’abord inscrits sur les murs d’une cellule de l’Hôtel des haricots (où l’écrivain était incarcéré en septembre 1843), puis publiés dans des revues et enfin en recueil, Marine Lépinard montre comment les divers espaces de diffusion constituent une chaîne de coopération qui promeut d’une part les écrits d’un auteur, d’autre part l’imaginaire d’un lieu. En effet, plusieurs cellules, dites « cellules des artistes », accueillent successivement des hommes de lettres autorisés à emmener de quoi écrire. Les « griffonnages de l’Hôtel des haricots » accèdent bientôt à « la notoriété publique » (§ 18) et ces cellules sont « reconnues par le Tout-Paris comme une sorte de musée artistique » (§ 28).
Les différents gestes poétiques d’Alfred de Musset y résonnent parmi les échos qui, sur les murs et hors les murs, ont participé à faire de ces cellules un lieu de littérature : un lieu publié par elle et la publiant en retour, valorisé par le poème et le valorisant en retour. (§ 28)
18Tout en retraçant leur imbrication, l’analyse proposée distingue les diverses formes de publication selon les espaces géographiques, matériels ou sociaux qu’elles investissent et fait une place à la « confraternité d’artistes indisciplinés » (§ 22) que Musset rejoint de plusieurs manières.
19Les multiples formes de sociabilité expérimentées par les auteurs et autrices concernent en effet pleinement la question de la publication. Dans son article consacré au poète lorrain François-Antoine Devaux (1712-1796), resté pour l’histoire littéraire un écrivain mineur, Margaux Prugnier se penche sur les transferts de capital symbolique dans l’espace lettré français du xviiie siècle. En analysant les jeux de dédicace, la correspondance et les manuscrits inédits de Devaux, Margaux Prugnier livre le portrait d’un homme qui consacre sa vie à forger une image d’auteur par le biais notamment de publications hors du livre, dans l’espoir de voir ses manuscrits imprimés. Pour celui qui occupe alors une position d’outsider dans la République des lettres, la lecture orale de poèmes correspondrait, comme l’écrit Margaux Prugnier, à une « stratégie » pour se faire connaître et représente un « jalon nécessaire pour réussir socialement » (§ 16). L’analyse de sa correspondance et de celle de son réseau de sociabilité permet de reconstituer sa posture, qui s’élabore dans des sphères privées ou relativement restreintes. L’étude de l’échec apparent de Devaux – dont les manuscrits, pourtant soigneusement compilés, ne seront pas imprimés – met en lumière le bouleversement que représente l’avènement progressif de l’imprimé et interroge simultanément les modes d’accès aux formes performées du passé.
20Cet avènement de l’imprimé a également, à terme, un effet sur la conception que nous avons de la création littéraire. Selon Christophe Imperiali, le tournant du xxe siècle aurait « fortement imprimé son empreinte sur l’idée même de poésie, induisant […] une vision foncièrement graphocentrique et textualiste de la poésie » (§ 17). Or, « le poème, en tant qu’objet esthétique », aurait été dans l’Antiquité « lié au moment de sa diction, très généralement accompagnée de musique » (§ 28) – conception qui ne disparaîtrait pas totalement à l’ère de l’imprimé : au xixe siècle encore, « l’oralité de la poésie n’est pas morte » (§ 31). En devenant néanmoins le support privilégié de la diffusion de la poésie, le livre supplante les exécutions orales dès lors qu’il s’agit d’identifier les œuvres :
C’est […] lui qui enferme les poèmes, dont il apparaît de plus en plus que leur place est bien sur la page, de laquelle les tireront des lecteurs pour la plupart silencieux. C’est sous leurs yeux anonymes et solitaires que se jouera et se rejouera l’effectuation du texte et l’émergence de la relation esthétique. (§ 31)
- 7 On peut « faire une littérature pour l’oreille jouant sur l’écoute », rappelle Philippe Roussin (2 (...)
21Il s’agirait néanmoins de rappeler, en citant le poète Pierre Emmanuel, que « le poème n’est pas seulement fait pour être lu » (1956) – affirmation qui a pour contexte des années où la publication sous forme de livre constitue la norme la plus acceptée, mais qui suivent aussi « le développement important de la radio et du disque, porteurs de nouvelles perspectives » (§ 42) pour la création littéraire7. Loin de « vouloir légiférer entre les prétentions de l’œil et de l’oreille sur le poème » (§ 47), Christophe Imperiali tient plutôt à rappeler « la nature fondamentalement amphibie de la poésie, qui, pour avoir trouvé dans le livre un moyen commode de se déployer, n’en a pas pour autant perdu sa voix, double sonore de ce corps écrit qu’elle est aussi » (§ 49).
- 8 Pour Gouhier, le problème se pose en ces termes : d’une part, les mises en scènes appartiendraient (...)
- 9 Didier Plassard remarque par ailleurs que « [l]a publication des textes dramatiques n’est […] pas (...)
22Si les textes littéraires connaissent plusieurs modes d’existence, le livre reste malgré tout la pierre angulaire d’un certain « faire littérature » dans l’imaginaire commun, mais également pour l’histoire littéraire. Le livre a pour lui le mérite de « conserver et rendre la communication possible », selon la formule du philosophe Henri Gouhier : « La création dans l’art est toujours celle d’un objet qui, comme le mot l’indique, jouit d’une existence objective lui permettant de remplir [ces] deux offices » (1989, p. 20). Cette conception de l’art est sans doute datée, notamment pour les pratiques scéniques (improvisation, théâtre, etc.) que Gouhier étudie8, mais les fonctions que le livre peut exercer ne sont pas obsolètes. La publication livresque correspond en effet à un moment de cristallisation des œuvres littéraires, qui entrent dans une manière de stase, constitutive en l’occurrence de leur conservation et de leur « vie » future. À l’aune de la question de la publication telle que nous l’avons envisagée dans ce numéro, le livre apparaît néanmoins comme un prisme pouvant générer des illusions d’optique, en faisant parfois oublier que les textes littéraires connaissent d’autres modes d’existence. Par ailleurs, la publication livresque ne va pas toujours de soi, par exemple pour les écrivaines et écrivains de théâtre qui s’y refusent ou tardent à entreprendre les démarches nécessaires, parce qu’ils ne voient pas l’intérêt ou l’urgence à faire de leur « texte événement » un « texte monument » : « la création théâtrale, aujourd’hui comme hier, se nourrit pour une grande part de productions éphémères », ainsi que le remarque Didier Plassard9 (2010, p. 15).
23Il en va de même pour le chansonnier vaudois Jean Villard-Gilles (1895-1982), comme le souligne Alice Bottarelli dans ce dossier. Quoique nécessaire à la transmission et à la réception d’une œuvre d’auteur sur le long terme, en l’occurrence des chansons de Villard-Gilles, d’abord performées sur scène, la publication livresque implique une série de réductions : ses productions initiales se situent « au croisement de […] la littérature, la musique et le théâtre » (§ 15), mais c’est sous le titre Poèmes et Chansons (1943) que paraît son premier livre, dix ans après le début de sa carrière, et sans les partitions musicales (publiées dès la décennie suivante). Si dans le livre la « chanson […] n’affiche aucune différence formelle avec un poème » et, par là, lui est assimilable – à ses dépens, car elle « peut […] apparaître au premier abord comme moins profonde que celui-ci » –, elle perd à l’écrit la « dimension interactionnelle » qu’elle présente « dès lors qu’elle s’actualise sur scène ou s’instancie dans la phrase musicale » (§ 19). En ceci, le livre constitue moins une fin au sens d’objectif, pour Jean Villard-Gilles, qu’au sens de dernier événement – de « stade ultérieur, partiel et infidèle, de la communication d’une œuvre qui englobe une dimension littéraire, mais la dépasse largement » (§ 16). Il s’apparente alors « à une manifestation incomplète et en quelque sorte défective d’une œuvre dont certaines parties, ou certains aspects, restent momentanément ou définitivement hors d’atteinte » (Genette, 2010, p. 327). Cela n’est pas inutile pour autant : outre qu’il est sans doute une source de revenus additionnels, le livre sert notamment à la transmission et à la constitution d’un « ethos, qui n’est certes pas celui d’un poète […], mais tout de même plus que celui d’un “simple” chansonnier ou homme de théâtre : celui d’un auteur » (§ 21).
24Le risque est alors que l’imprimé supplante, voire éclipse les autres modes d’existence de l’œuvre, y compris lorsque ceux-ci étaient prépondérants. C’est notamment le cas des carmina epigraphica latins étudiés par Dylan Bovet : d’abord inscrits sur les tombes et les murs, ces poèmes passent finalement « de la pierre au livre, entraînant progressivement la constitution d’un canon de poésie épigraphique » (§ 26). Cela modifie profondément les conditions de leur réception et les modalités de leur lecture : jadis « exposé à la vue de tous », le texte des diverses inscriptions est inséré dans plusieurs « canons » distincts, élaborés notamment en fonction de « la possibilité ou non de les attribuer à un auteur – distinction rompant la continuité culturelle de la production poétique latine » (§ 30).
Les carmina se trouvent non seulement arrachés à leur contexte matériel, intégrés à une tradition manuscrite, mais encore disloqués de leur contexte textuel. C’est à ce prix pourtant que certains ont pu être préservés, lorsque les pierres ont fini par disparaître. (§ 30)
25Reconstituer ce contexte matériel, textuel et social – autant qu’on puisse le faire – indique la possibilité que les carmina aient connu d’autres statuts pragmatiques : inscrits initialement « dans des lieux de passage » (§ 13) encourageant leur lecture et leur circulation auprès d’une collectivité, ils font alors l’objet d’une « continuelle (re)lecture » et s’avèrent dans une certaine mesure « instrument[s] du souvenir (monumentum) », d’autant plus s’ils sont écrits « sur un monument […], support et poème se monumentalisant l’un l’autre » (§ 14). Que ces poèmes latins soient ou non de la littérature au sens moderne du terme, étendu ou non à ses acceptions contemporaines, leurs traductions successives et leurs publications livresques ou numériques « redonne[nt] à tout lecteur sa fonction fondamentale d’acteur du texte et d’agent de son devenir » (§ 32) – et témoignent, en d’autres termes, non seulement de la conservation de ces textes par le livre, mais encore de leur vitalité, entretenue et renouvelée par ces publications continuées.
26C’est précisément l’ambition de plusieurs personnes du monde du théâtre contemporain que de permettre aux textes dramatiques de bénéficier d’une telle dynamique en repensant notamment l’édition théâtrale. Plusieurs collections ont récemment vu le jour qui, ainsi que le remarque Pauline Guillier, « vis[e]nt à brouiller et dépasser les frontières entre théâtre et littérature, en inscrivant les textes de théâtre dans un champ littéraire lui-même en proie à des tensions, élargissements et hybridations » (§ 1). Outre que l’édition apparaît aujourd’hui comme « une question politique en termes de rapports de force et de partage des pouvoirs entre celleux qui écrivent, montent, publient ou vendent des textes de théâtre » (§ 3), surtout du point de vue des écrivaines et écrivains dont les intérêts peinent souvent à être reconnus, il s’agit aussi de profiter de la « reconfiguration radicale de ce que l’on appelle “littérature” » (§ 3) pour promouvoir la valeur de certains textes de théâtre et leur lecture individuelle (qui ne va pas forcément de soi). En parallèle, « les pratiques éditoriales et artistiques se réinventent aussi sous des formes plus underground ou artisanales » (§ 4) et « engendrent de nouveaux objets, qui tentent d’établir un autre rapport à la lecture du texte de théâtre, en puisant dans des esthétiques exogènes au théâtre » (§ 16).
27Si le livre peut dynamiser la circulation des textes « de théâtre », en retour la scène dynamise celle des textes « littéraires » – théâtre et littérature empiétant largement, ici, avec les guillemets, sur leurs territoires réciproques. On parle en effet couramment, avec la multiplication des manifestations proposant des lectures publiques, parfois musicalisées, des performances littéraires, d’ateliers d’écriture, etc., d’un « tournant festivalier » de la littérature. Celui-ci témoigne d’une remise en question de l’activité littéraire comme système clos et manifeste du même coup un profond mouvement d’hybridation des arts, en modifiant les pratiques et usages de la littérature. Les pratiques de littérature hors du livre ou « exposée », qui apparaissaient avant 2000 comme des formes contre-culturelles de l’avant-garde, ont progressivement gagné en légitimité. Loin de la logique avant-gardiste d’une production dédiée à un public d’initiés, l’actuelle transformation du champ littéraire touche l’ensemble de ses acteurs et actrices : le phénomène ne relève plus de l’exception ou de la niche.
- 10 « Je voudrais créer ce que j’appelle une “scène littéraire” permanente qui serait entièrement dédi (...)
- 11 Jérôme Meizoz a commenté les stratégies auctoriales utilisées par les écrivaines et écrivains évol (...)
28Olivier Chaudenson, actuel directeur de la Maison de la Poésie à Paris et l’un des promoteurs affichés d’une « littérature vivante10 », avait proposé d’expliquer cette évolution par trois « facteurs » de nature « économique », « politique » et « culturelle », à savoir : « une préoccupation de promotion développée par l’industrie du livre et ses différents acteurs » ; « des politiques publiques qui soutiennent la lecture et plus largement la démocratisation des pratiques » ; « l’apparition de nouveaux opérateurs – en l’occurrence les organisateurs de festivals littéraires – dont les préoccupations rassemblent, selon des proportions variables, les deux précédents facteurs évoqués » (Chaudenson, 2015, § 6-8). Ce tournant festivalier de la littérature se comprend notamment à l’aune de la situation économique des divers acteurs et actrices œuvrant au sein du monde littéraire. Les formes de littérature exposée tiennent en effet souvent de la promotion, voire de la publicité11. Pratiquer la performance, monter sur une scène théâtrale, adopter des moyens propres aux arts plastiques sont aussi des façons d’assurer aux auteurs et autrices un « complément de revenu, certes annexe, mais non négligeable » (§ 47) et une forme de reconnaissance symbolique que n’assurent pas toujours le monde du livre ou le système éditorial. De fait, les festivals et les foires, où se déroulent performances, lectures publiques et dédicaces, jouent un « rôle dans le processus de reconnaissance et de légitimation des œuvres et des créateurs et dans la valorisation du capital culturel », ainsi que le suggère une enquête menée en 2011 sur le festival des Correspondances de Manosque, fondé en 1999 (Sapiro, et alii, 2015, p. 110). David Ruffel écrit à ce sujet :
En allant chercher d’autres scènes d’exposition et d’autres économies culturelles, ils [les écrivains-poètes] court-circuitent celles de la littérature, monnayent leurs actions, conquièrent de l’indépendance et introduisent la question de l’argent dans un monde où la rétribution symbolique vaut souvent comme rétribution financière. (2010, § 7)
29Dans son article sur ce qu’il propose de nommer les « arts littéraires » au Québec, René Audet remarque lui aussi « une percée étonnante de pratiques jusque-là réservées à des événements artistiques restreints et peu visibles », qu’il s’agisse de « lectures musicales et [de] concerts littéraires, [d’]installations participatives, [de] performances [ou de] diverses modalités d’exposition » (§ 8). Cela ne signifie pas pour autant que ces pratiques ont supplanté la « littérature » telle qu’on continue de la comprendre en de maints endroits : « le sentiment […] d’une réalité à faire advenir occupe l’esprit des acteur·rices de cette littérature hors du livre » (§ 11). Ce sentiment impose le besoin d’une « cartographie des pratiques » (§ 14) littéraires, somme toute diversifiées, que l’article de René Audet a pour objectif de présenter dans « trois grandes catégories » :
Ainsi, dans les arts littéraires, les textes peuvent être spectacularisés, exposés ou médiatisés. Ces trois volets nous semblent permettre de saisir les modalités d’existence des textes littéraires en dehors du support conventionnel du livre […]. (§ 15)
30Une utile « synthèse graphique » accompagne l’article, que René Audet présente comme « une proposition de travail, […] une avancée tâtonnante sur un terrain encore en friche », néanmoins pensée pour « contribuer à nommer, attester et cadrer ces appellations » (§ 19).
- 12 Sur la « néolittérature », voir les travaux de Magali Nachtergael (2015).
31Parmi ces multiples pratiques littéraires, Marie Kondrat propose d’en penser certaines « comme une réponse large et argumentée aux mutations du champ artistique littéraire sous l’impulsion des média visuels » (§ 1). Elle analyse dans cette optique des œuvres « littéraires » ou « néolittéraires12 » du cinéaste Bertrand Bonello et du poète Jérôme Game, dont « les pratiques d’écriture […] entrent en résonance forte avec les propositions d’Adorno et Horkheimer, sans les illustrer, ni les subvertir directement » (§ 20). Partant du constat que « l’autonomie de l’art repose sur un paradoxe » dans la pensée de ces philosophes, Marie Kondrat prête attention à des formes de résistance aux « industries culturelles » :
[…] sur le plan social, l’art constitue un espace de contestation de la réalité matérielle, mais sur le plan institutionnel, l’art ne cesse d’interagir avec d’autres sphères de la vie sociale. D’où l’idée que les industries culturelles mettraient en péril le potentiel critique de l’art – et donc son autonomie – dans la mesure où la production des œuvres a tendance à suivre l’ordre de consommation, d’économie et, plus généralement, d’administration. (§ 5)
32Marie Kondrat constate que les démarches artistiques de Bonello et Game « échappent […] aux prévisions pessimistes d’Adorno et Horkheimer » (§ 20) et, « contre toute attente, à l’ordre du spectaculaire » (§ 20). Leurs œuvres proposent en revanche « une série de reconfigurations du champ littéraire face aux arts visuels » et « crée[ent] de nouveaux partages entre la littérature et les supports hors du livre » (§ 20). En mobilisant la notion d’« écriture en contrechamp », Marie Kondrat signale par exemple qu’une « hétérogénéité intrinsèque » est prêtée par Game au « champ littéraire » (§ 18) et lui sert, paradoxalement, à réaffirmer l’autonomie de celui-ci.
- 13 Si l’on s’en tient par exemple à la description avancée par Nelson Goodman (2011), la littérature (...)
- 14 « L’implémentation d’une œuvre d’art peut être distinguée de sa réalisation (execution) […]. La pu (...)
33La prise en considération de la question de la publication – au sens large – de la littérature, qui dépasse la seule question de l’édition, invite à repenser les frontières méthodologiques et disciplinaires. Bien des formes d’« écritures » contemporaines ou anciennes débordent le périmètre de ce qu’on appelle couramment la « littérature13 ». Pour inscrire ces œuvres dans leurs contextes et interroger leurs réceptions, autrement dit pour comprendre leur « implémentation » ou leur façon d’« entre[r] dans la culture14 » (Goodman, 2009, p. 63), il paraît nécessaire d’emprunter nos méthodes et outils à divers domaines de la connaissance et de travailler à la lisière des études littéraires et des études cantologiques, filmiques, théâtrales, etc. Nous ne fredonnons pas là un air révolutionnaire : bien que « la disciplinarité [soit] une exigence, pour ce qu’elle assure le fonctionnement d’une communauté intellectuelle et des réalités institutionnelles », « la recherche échappe par nature à toute systématisation » (Kremer, 2011, § 3). C’est le cas aujourd’hui pour l’analyse de nombreuses œuvres et activités intermédiales et plurimédiales, notamment, qui impliquent de facto « un décentrement du regard critique » (§ 6). On peut certes considérer ces productions comme se trouvant à la marge du littéraire, mais à l’instar des « objets textuels dits composites » commentés par Nathalie Kremer, qui « se réclam[e]nt d’une double définition, littéraire et non littéraire », ces œuvres « contraignent la critique littéraire à opérer un décentrement de son objet si elle veut cesser de penser comme composites ou périphériques des objets […] qui ne reçoivent ces “qualités” que de la structuration des disciplines » (§ 6).
34Ne nous y trompons pas : les objets et activités dits « hybrides » ne nous conduisent pas à consentir au principe souvent avancé d’un brouillage entre méthodes, théories et disciplines (demandant aux chercheurs et chercheuses d’étudier leurs objets à la manière de bricoleurs autodidactes), mais, comme le suggère Marie-Jeanne Zenetti au sujet des littératures documentaires, à « une véritable et salutaire mise en question des outils et des méthodes qui informent, autant qu’ils décrivent, ce que nous appelons littérature » (2020, p. 160). Faire d’une frontière un nouveau territoire ne suppose pas la marginalisation des centres existants, mais demande d’une part la construction d’habitations, d’autre part la consolidation et la sécurisation des voies de circulation. Ce volume espère, modestement, participer au mouvement en cours, qui encourage l’établissement et le renforcement de tels îlots et passerelles.