- 1 Je remercie chaleureusement les deux relecteurs anonymes qui ont critiqué, loué et parfois corrigé (...)
1La notion de « régime d’écriture » se fonde sur les relations proposées par Frédéric François dans ses derniers séminaires et ses derniers livres (notamment François, 2006, 2009 et 2016) entre « modes de pensée » – ou cadre psychologique de la vie du sujet – et « cours de la vie » – ou cadre expérientiel.
2Je commencerai par citer son avant-propos à Régimes d’expérience, régimes de langage. Quelques remarques et notes de lecture, qui « tourne autour » de la notion de « régime » elle-même (François, 2016, p. 11-12) :
[Je voudrais ici m’]interroger sur quelques aspects ou quelques figures de la diversité des régimes de discours […] en particulier des régimes du « ça me fait penser à ». Avec des questions subsidiaires : Peut-on considérer la diversité de nos régimes de discours associatifs […] comme révélant plus ou moins la diversité intrinsèque des « arrière-fonds » à prendre en considération ? […] Et puis quelle articulation de ces régimes associatifs et de nos autres régimes de parler-penser ? Sans oublier le rappel de toutes les formes de pensée corporelle, dans les prises de position à l’égard des autres ou dans l’action où il peut y avoir « du langage » […]. Tout cela pour dire […] que je suis là devant un nœud de problèmes autour desquels on peut tourner sans viser à aboutir à une solution.
… Cependant, je me demande si n’est pas un peu plus spécifique du texte ici présenté la question de l’articulation entre « dire le banal » et « dire l’événement », comme conditionnant les « régimes de retentissement », notion pas vraiment développée jusqu’ici.
3L’auteur, qui a besoin d’un mot nouveau pour ne pas dépendre de théories en place, emploie la notion de « mode », puis celle de « régime » au sens de ce qu’on peut aussi nommer « forme » ou « format », sinon « mouvement » – plutôt du côté du signifiant donc –, pour suggérer des moyens d’accès à des contenus de « parler-penser » – une visée qui n’a rien pour étonner quand on sait que F. François n’a presque rien publié d’autre que des travaux de psycholinguistique.
4Le couple « parler-penser » vise une problématique des plus anciennes – un peu comme de nombreux chercheurs travaillent aujourd’hui sur le couple « langue-culture ». Ce couple n’est pas éloigné de cet autre, « écriture-lecture », ou même de « proximité-distance ». Voici comment l’auteur introduit l’expression régime(s) de lecture (François, 2016, p. 13-14, à propos du Banquet de Platon [je souligne]) :
Il me semble que les « grands textes » anciens nous proposent au moins deux régimes de lecture. Ils sont « de leur temps », comme nous du nôtre, et en même temps, ils nous offrent des perspectives de dialogue, justement parce que ce qui est « distant » fait cependant sens pour nous.
[…] Et puis, une question récurrente : qu’il s’agisse de lectures anciennes ou récentes, est-ce que je peux préciser le régime de proximité ou de distance de mon rapport à ces auteurs ?
5Les « régimes de lecture » intéressaient en effet F. François au premier chef ; cependant, il ne sera question dans la présente étude que de « régimes d’écriture » – des régimes que les témoignages d’écrivains rendent plus facilement objectivables que ce qu’il est possible d’établir de ce qui se passe dialogiquement à la rencontre d’Autrui pendant une lecture – c’était là un des nœuds des recherches de F. François –, même si écriture et lecture entretiennent des relations fonctionnelles symétriques (je renvoie ici parmi d’autres à Jauss, 1978 ; Iser, 1979).
- 2 Ce terme renvoie lui-même à la « tendance des sujets à organiser les règles générales de formation (...)
6Par écriture, on entend l’énonciation écrite en général en tant que médium sémiolinguistique spécifique (Anis, Chiss & Puech, 2017) en tant qu’« action de composer un ouvrage littéraire [et] résultat de cette action », « manière de s’exprimer par écrit » (TFLi, s.v.), ce qui renvoie à l’étude de l’esthétique, de la stylistique et in fine du rythme idiosyncrasique2 de la personne qui tient la plume – disons pour faire simple de l’auteur du texte.
En effet, puisqu’il y a un lecteur, suppose en l’occurrence F. François, il y a un auteur, au moins en tant qu’entité responsable de la machinerie textuelle activée par ce même lecteur.
7Par lecture, mot pris au sens d’« action de prendre connaissance du contenu d’un texte écrit pour se distraire, s’informer », sens profane, mais aussi de « mise en œuvre d’un ensemble de procédures d’analyse portant sur un texte donné », sens savant (TLFi, s.v.), je partirai de ce qu’en dit F. François sous le nom de retentissement en l’associant à l’interprétation des rêves – récits authentiques et directs ou rapportés, récits littéraires de rêves – comme « expérience indirecte » d’une interaction avec cet autrui réel ou imaginaire – tel que l’auteur – porté par la théorie dialogique de la linguistique russe et soviétique entre 1905 et 1929 de Bakhtine (François, 2012), Jakubinskij (Ivanova, 2012) et Volochinov (Tylkowski, 2012) :
La question [se pose] de savoir si on peut préciser, et comment, ce qu’on appelle le « sens » de ce qu’on étudie et comment ce sens circule dans le dialogue. […] on essaiera de mettre en place la façon dont on se rapporte au rêve et au récit de rêve. […] [On reviendra] sur cette double question de l’unité-diversité du rêve, de sa lecture, de ses modes de retentissement en nous, comme de l’impossibilité de fixer définitivement ce qu’il pourrait en être du « sens du sens ». [Enfin, on reviendra] sur ce que peut être la lecture « littéraire » comme mode de présence en nous de l’imaginaire de l’autre à partir de l’hypothèse selon laquelle cet « autre en nous » est, en quelque façon, constitutif de ce que nous sommes. (François, 2006, p. 12-13)
8Dernier terme à présenter, atmosphère, que le TLFi (s.v.) définit d’abord, par une extension du sens d’« atmosphère terrestre », comme l’« air ambiant que l’on respire en un lieu donné », avec cette suite d’exemples : « Atmosphère chaude, douce, étouffante, glaciale, humide, sèche ; atmosphère irrespirable, odorante, pure, salubre, saturée, toxique, viciée ; atmosphère d’une salle ; l’atmosphère de Paris, des villes, de la montagne ; atmosphère d’encens, de tabac », à partir desquels se dégage un sens figuré : « Ce qui environne quelqu’un ou quelque chose, ce qui s’en dégage (ambiance, impression, influence, etc.) ». Ces distinctions sont démarquées du Grand Robert qui, pour ce qui est des acceptions qui nous intéressent, donne trois définitions numérotées (3), (4) et (5) :
(3) (1759). Air que l’on respire en un lieu. Une atmosphère chaude, étouffante, pesante… Une atmosphère viciée… empuantie par le tabac.
(4) (xvıııe). Par métaph. ou fig. Vieilli. L’atmosphère d’une personne, d’une chose, ce qui l’environne (comme un gaz), ce qui émane d’elle ; l’influence qui semble se dégager des êtres et des choses.
(5) Mod. Le milieu, au regard des impressions qu’il produit sur nous, de l’influence qu’il exerce. → Ambiance, climat, environnement. […] Rem. Certains emplois ont à la fois cette valeur et celle du sens 4.
- 3 Voir Alphonse de Lamartine, « Milly ou la terre natale », dans Harmonies poétiques et religieuses, (...)
9La dichotomie diachronique plutôt que synchronique que le Grand Robert introduit entre un sens « vieilli » référant d’abord aux personnes (et aux objets inanimés possédant une âme, comme aurait dit Lamartine3), et un autre, « moderne », plus récent et toujours actif, référant d’abord aux choses au sens propre, ne permet pas de faire la distinction entre un sens savant et un sens profane du terme selon qu’il est employé par F. François en y incluant des évènements et des personnages du récit (les fessées de Jean-Jacques Rousseau, voir infra), donc dans un sens jugé aujourd’hui métaphorique, ou, comme on le verra plus loin, par Georges Simenon qui le prend comme un quasi-synonyme de décor, milieu, climat ou ambiance, opposé à personnage.
10Une troisième acception du TLFi est d’ordre cinématographique : « Moyens par lesquels un film vise à l’unité de ton et de style, ou à l’évocation exacte du cadre et du milieu de l’action », qui laisse fortement à désirer dans la mesure où on se demande de quels « moyens » il peut s’agir, de quel ton et de quel style, ce que peut être l’exactitude d’une évocation, de quoi même celle-ci peut être faite.
11Quant à la quatrième et dernière définition du même TLFi, « Personnage, rôle qui contribue à cette unité et à cette exactitude », elle semble devoir être encore plus sérieusement révisée que la précédente. Dans M le Maudit, de Fritz Lang, le personnage de Hans Beckert, le pervers, incarné par Peter Lorre, n’est pas « une atmosphère ».
12F. François lui-même nous donne un point de départ en employant le mot à trois reprises dans le commentaire d’un passage du Poing dans la bouche de Georges-Arthur Goldschmidt (François, 2009, p. 184 [je souligne]) :
[…] Le « vécu » et le « lu » […] se rejoignent dans l’espace de suspension propre à la lecture.
Ce qui me frappe, c’est le faisceau de sens créé par le lien des différents points de fixation, des différents mouvements et des entours, des atmosphères plus ou moins assignables :
– la « proximité-distance » de l’allure, du mode de narration de l’auteur à la scène qui a eu lieu, le rôle de l’adaptation du style au montré,
– la proximité de l’expérience de Jean-Jacques Rousseau et de celle du narrateur, le lien culturel qui fait une « atmosphère associative »,
– cela dans l’atmosphère plus générale de ce qui fait l’expérience de la culpabilité, de l’envie et de la peur de l’aveu […].
13Développant sa conception d’une lecture narrative vue comme un « espace de suspension » et un « faisceau de sens », il définit atmosphère par trois critères qui débordent assez largement les uns sur les autres :
- Les notions successives de « point de fixation », « mouvements » et « entours », reprises par celle de « proximité-distance », impliquent les choix narratifs du conteur, les thèmes évoqués par l’auteur, son allure, son style, donc l’écriture au premier chef comme créatrice d’effets de réception ;
- Les notions de « mouvement » et d’« entour » qui concernent un ou des personnages du récit, un ou plusieurs actants de premier plan qui se déplacent dans un cadre, un environnement matériel ou axiologique. Dans ce qui suit, François cite le nom de Jean-Jacques Rousseau4 et le narrateur (Goldschmidt), où celui de Rousseau est le support d’une association de vécus (deux fessées jouissives), d’ordre culturel, qui participe à l’atmosphère du récit au troisième sens (cinématographique ou filmique) relevé dans le TLFi ci-dessus ;
- Poursuivant celle d’« entour » associatif culturel et de « proximité-distance », la notion d’« atmosphère » revient (« l’atmosphère plus générale de ce qui fait l’expérience ») comme support de l’évocation d’un vécu (en l’occurrence d’une émotion et non d’une action, d'un être et non d'un faire, puisqu’il est question de « culpabilité », d’« envie » et de « peur »).
- 5 Roland Barthes commence son essai sur L'effet de réel par des considérations semblables.
14Ces atmosphères sont l’objet de degrés. Elles sont « plus ou moins assignables » – c’est-à-dire présentes et repérables dans une certaine mesure, identifiables, objectivables, mais aussi pertinentisables. Peut-il d’ailleurs y avoir un récit sans un minimum d’atmosphère(s)5, ne serait-ce que par les dénotations et connotations attachées aux allusions (Rousseau), aux descriptions, aux propos rapportés, aux actions, voire aux émotions elles aussi rapportées ?
15Suivant ce même passage de F. François, le régime de lecture désigne la reconnaissance de l’ensemble des formats linguistiques qui tiennent à la fois du mouvement, du rythme, de la distance ou de la proximité que l’auteur donne à son (en l’occurrence) récit de souvenirs personnels, ainsi que du genre associé (au sens bakhtinien du terme) de l’autobiographie comme voie de passage, dans le discours, du général au particulier ou du récursif au stylistique.
16Dans cette définition de la lecture comme « espace de suspension » où « se rejoignent » le lu et le vécu (qui renvoient respectivement au « mode de pensée » et au « cours de la vie »), le mot atmosphère vient à propos de trois traits combinés :
- La « suspension » du lecteur hors de son environnement immédiat (c’est le talent du conteur qui crée cet effet) ;
- L’adaptation de la distance de la narration à la signification, au contenu de la scène rapportée (il n’est pas ici question de fiction mais de souvenirs d’enfance) ;
- L’association de références entre Jean-Jacques Rousseau et Georges-Arthur Goldschmidt à propos de la jouissance procurée à l’enfant par un châtiment corporel infligé par l'adulte.
17D’où l’intérêt pour l’analyse littéraire de la présence, de la qualité et de l’orientation (esthétique et axiologique) des diverses atmosphères évoquées et construites par le texte – plus particulièrement par le récit – dans l’espace mental de la lecture et, comme on va le voir, de l’écriture, ceci malgré la polysémie du terme, polysémie qui n’est pas sans faciliter son usage à côté de points de fixation, mouvements et entours (François, 1999, 2009 et 2017).
18Pour illustrer le concept de « régime d’écriture », je prendrai la notion d’« atmosphère » telle qu’elle est employée par F. François, abstraction faite de la différence entre auteur et lecteur, pour parler de mouvements combinés de pensée, d’émotion et de style, telle aussi qu’elle est employée dès les années trente, dans le même sens, par Georges Simenon.
- 6 Ce numéro du Soir n’a été retrouvé ni à la Bibliothèque royale, ni à l’Académie royale de langue e (...)
19Voici d’abord ce que l’auteur des Maigret dit de l’atmosphère de ses romans dans une interview publiée par le journal belge Le Soir du 6 décembre 19366 en réponse au journaliste Richard Dupierreux qui lui demande « comment il écrit ses livres » (je souligne) :
Comment je fais un roman ? C’est bien simple. Je pense à un lieu où j’ai vécu et j’en ressens l’atmosphère. Je vis en elle. Je recompose les odeurs, les couleurs, le climat, dans mon esprit. Puis je pense à un être humain que j’ai vu là-bas. Je me dis : « Comment était-il ? Que faisait-il ? Qu’est-il devenu ? » Je prends place devant ma machine, à six heures du matin, et je tape, régulièrement, jusqu’à huit heures. Vingt pages sont écrites. Cela suffit pour ce jour-là. Je recommence le lendemain. Dans l’entre-temps, la vie du personnage s’est précisée. D’autres personnages sont venus, d’eux-mêmes, s’ajouter à lui. L’atmosphère, le climat, les odeurs, les couleurs n’ont pas changé.
20Je propose de mettre en regard de cette déclaration un passage de La Guinguette à deux sous, onzième roman de la série des Maigret (1967) :
On était le lundi […]. Il [Maigret] sortit [du bureau de poste] en bourrant une pipe, eut l’air d’hésiter à nouveau, héla enfin un taxi, à qui il jeta l’adresse du boulevard des Batignolles.
Il avait quelques centaines d’enquêtes à son actif. Il savait que presque toutes se font en deux temps, comportent deux phases différentes.
D’abord la prise de contact du policier avec une atmosphère nouvelle, avec des gens dont il n’avait jamais entendu parler la veille, avec un petit monde qu’un drame vient d’agiter.
On entre là-dedans en étranger, en ennemi. On se heurte à des êtres hostiles, rusés ou hermétiques.
La période la plus passionnante, d’ailleurs, aux yeux de Maigret. On renifle. On tâtonne. On n’a aucun point d’appui, souvent aucun point de départ. On regarde des gens s’agiter et chacun peut être le coupable ou un complice.
Brusquement on saisit un bout du fil et voilà la seconde période qui commence. L’enquête est en train. L’engrenage est en mouvement. Chaque pas, chaque démarche apporte une révélation nouvelle, et presque toujours le rythme s’accélère pour finir par une révélation brutale.
Le policier n’est plus seul à agir. Les événements travaillent pour lui, presque en dehors de lui. Il doit les suivre, sans se laisser dépasser.
21La mise en parallèle de l’interview et du roman révèle une forte similitude. Temps de l’écriture et temps du récit sont homologues, chacun étant en quelque sorte l’allégorie de l’autre :
On était le lundi […]. Il sortit en bourrant une pipe, eut l’air d’hésiter à nouveau, héla enfin un taxi, à qui il jeta l’adresse du boulevard des Batignolles.
22Ce paragraphe arrive après la citation littérale du télégramme que Maigret vient d’envoyer à Mme Maigret, en vacances chez sa sœur en Alsace :
Arriverai probablement jeudi. Stop. Baisers à tous.
Entre le lundi et le jeudi, Maigret se donne donc trois jours (lundi, mardi, mercredi) pour boucler son enquête.
- 7 Quarante-deux pages exactement, de la p. 361 à la p. 403 de l’édition Rencontre, soit soixante feu (...)
23Mettons qu’on soit un lundi lorsque l’écrivain, comme il le dit dans son interview, « prend place devant [s]a machine, à six heures du matin, et […] tape, régulièrement, jusqu’à huit heures » ; « vingt pages sont écrites » ainsi chaque jour. On comprend qu’il se donne à lui-même trois jours pour écrire les soixante pages7 qui lui manquent pour terminer son roman, tout comme Maigret a trois jours pour arrêter le criminel.
24La coïncidence se prolonge dans les paragraphes qui suivent.
Maigret :
Il avait quelques centaines d’enquêtes à son actif. Il savait que presque toutes se font en deux temps, comportent deux phases différentes.
Un Simenon supposé :
- 8 Outre un millier de contes légers destinés à des publications galantes ou humoristiques à des fins (...)
« Il avait quelques centaines de romans à son actif8. Il savait que presque tous se font en deux temps, comportent deux phases différentes. »
Maigret poursuit son soliloque intérieur :
D’abord la prise de contact du policier avec une atmosphère nouvelle, avec des gens dont il n’avait jamais entendu parler la veille, avec un petit monde qu’un drame vient d’agiter.
25… c’est-à-dire, ou mieux, c’est-à-lire sous la plume de mon Simenon :
« D’abord l’évocation par le romancier d’une atmosphère nouvelle et de gens dont il n’avait jamais entendu parler, avec un petit monde qu’un drame vient d’agiter » (ou « va agiter »),
26… « évocation » qui renvoie aux propos tenus par l’écrivain au journaliste :
Je pense à un lieu où j’ai vécu et j’en ressens l’atmosphère. Je vis en elle. Je recompose les odeurs, les couleurs, le climat, dans mon esprit
27… avec un seul écart entre le texte du roman et celui de l’interview : « des gens dont il n’avait jamais entendu parler » s’oppose radicalement à « je pense à un être humain que j’ai vu là-bas ». Mais cette opposition ne ruine pas, – bien au contraire : elle est de même registre –, l’hypothèse selon laquelle la fiction se nourrit de non-fiction par le biais de l’atmosphère, laquelle prime ici visiblement sur la création de personnages (v. infra).
28Les deux propos s’opposent mais c’est dans un même champ d’expérience : « avoir déjà vu » s’oppose et s’accorde en même temps à « n’avoir jamais vu » ; « personnages » s’oppose et s’accorde à de « vraies gens ». Comme Simenon l’explique dans sa « Préface » à la prépublication des Gens d’en face :
Le décor […] est vrai. Les gens sont vrais. L’histoire est vraie. Ou plutôt, chaque détail est vrai, mais l’ensemble est faux… Non ! L’ensemble est vrai et chaque détail est faux… Ce n’est pas encore ce que je veux dire. C’est un roman, voilà ! Est-ce que ces mot-là ne devraient pas suffire ? Et pour ma part j’aime mieux l’écrire que l’expliquer.
29Le personnage naît, d'un même mouvement, du réel et de l’atmosphère propice à son existence, à son expérience.
30Mais revenons à Maigret qui, toujours dans son taxi, poursuit in petto sa réflexion :
On entre là-dedans en étranger, en ennemi. On se heurte à des êtres hostiles, rusés ou hermétiques.
La période la plus passionnante, d’ailleurs […]. On renifle. On tâtonne. On n’a aucun point d’appui, souvent aucun point de départ. On regarde des gens s’agiter et chacun peut être le coupable ou un complice.
31Interprétons le on de ces deux paragraphes comme réunissant l’auteur du roman, le protagoniste (le héros) de la fiction et le lecteur dans un régime conjoint d’écriture et de lecture : les personnages sont « hostiles, rusés ou hermétiques » : ils émanent de l’imagination de Simenon qui « tâtonne », « n’a aucun point d’appui, souvent aucun point de départ », qui « regarde des gens s’agiter » (seconde occurrence de ce verbe). Ce mouvement est de nouveau à rapprocher de l’interview qui donne l’atmosphère comme point de départ.
32Simenon :
Je recompose les odeurs, les couleurs, le climat, dans mon esprit.
33Maigret :
Brusquement on saisit un bout du fil et voilà la seconde période qui commence. L’enquête est en train. L’engrenage est en mouvement. Chaque pas, chaque démarche apporte une révélation nouvelle, et presque toujours le rythme s’accélère pour finir par une révélation brutale.
34Je passe sur « un bout du fil » et « la seconde période », identiques pour parler d’une enquête policière et de l’écriture d’un roman.
35Mon Simenon imaginaire :
« Brusquement […] le roman est en train. L’écriture est en mouvement. Chaque paragraphe, chaque chapitre apporte une révélation nouvelle, et presque toujours le rythme s’accélère pour finir par une révélation brutale. »
36Maigret :
Le policier n’est plus seul à agir. Les événements travaillent pour lui, presque en dehors de lui. Il doit les suivre, sans se laisser dépasser.
37Mon Simenon :
« Le romancier n’est plus seul à agir. Les événements travaillent pour lui, presque en dehors de lui. Il doit les suivre, sans se laisser dépasser. »
38Simenon lui-même :
Dans l’entre-temps, la vie du personnage s’est précisée. D’autres personnages sont venus, d’eux-mêmes, s’ajouter à lui.
39Une nouvelle fois, « les personnages sont venus d’eux-mêmes » (interview) et « les événements travaillent pour lui » (roman) réfèrent au même phénomène selon qu’il est décrit du point de vue de Maigret (policier) et du point de vue de Simenon (romancier). La mise en place étant achevée, la contrainte créée par l’atmosphère est telle que le récit se poursuit de lui-même. La fin de l’intrigue et la fin de la conduite du récit convergent. Et Simenon fait retour sur ce qui lui a permis de commencer :
L’atmosphère, le climat, les odeurs, les couleurs n’ont pas changé.
- 9 La distinction greimasienne entre énoncés d’état et énoncés de faire recoupe en partie les plans d (...)
40C’est le retour à l’équilibre. En termes de sémantique structurale, la fin de la disjonction initiale entre le sujet et l’objet (Greimas, 19669).
41Je prendrai pour second exemple de régime d’écriture fondé sur l’atmosphère un reportage du même Simenon qui raconte son arrivée dans le port de Stavanger (Norvège), fin décembre 1930 – quatrième des douze articles quotidiens parus du 1er au 12 mars 1931 dans Le Petit Journal sous le titre générique d’Escales nordiques. À bord de « L’Ostrogoth ».
42En mars 1923, Georges Simenon a épousé Régine Renchon, dite Tigy, rencontrée à Liège. En mars 1929, après quatre années passées sur les canaux de France dans un canot automoteur de cinq mètres, il se fait construire à Fécamp un cotre de dix mètres doté d’un moteur de 20 chevaux, L’Ostrogoth, sur lequel il embarque avec sa femme et sa maîtresse, Henriette Liberge, dite Boule. Au printemps 1930, après quelques essais de cabotage en Normandie, ils partent tous les trois vers la Norvège dans un bateau quasiment neuf. Simenon finance la croisière en écrivant à jet continu des Maigret pour Arthème Fayard et des reportages pour des périodiques parisiens. À l’automne, la coque prend l'eau, ce qui les oblige à relâcher plusieurs semaines pour calfater dans le port de Delfzijl, au nord de la Hollande, avant de repartir. De Stavanger, ils poursuivront leur périple vers le Cap Nord et la Laponie en quittant L’Ostrogoth, trop petit pour affronter les mers boréales, et embarqueront aux environs de Noël à bord du Polarlys [« l’aurore boréale »], cargo mixte de 36 mètres de la compagnie norvégienne Hurtigruten, désarmé en 1964 et qui sera remplacé par un navire de croisière nordique qui portera le même nom, en hommage implicite au romancier et pour bénéficier de la célébrité que lui apporte le titre du roman.
43Commençons par le reportage :
[…] Le soir, une brume opaque tombe du ciel. La mer se trouble. On avance dans un pâle halo qui s’épaissit si bien qu’à certain moment je ne vois plus mon étrave.
Nous sommes debout tous les deux, ma femme et moi, devant le compas qu’éclaire une petite lampe à huile. Nous ne disons rien. La Norvège est quelque part, devant nous. Nous avons établi notre route pour arriver à Stavanger. Nous devrions déjà apercevoir des phares que nous cache le brouillard.
Cent fois on refait mentalement les mêmes calculs, avec l’angoisse inexprimée de s’être trompé. A force de scruter le coton qui nous entoure, on y crée des formes inexistantes, voire des bruits impossibles.
La côte est dangereuse, semée de récifs. Est-ce que le moteur ne tourne pas trop vite ? Dans la nuit, nous avons la sensation de marcher à une allure folle. Cela doit s’appeler la peur. Et pourtant, ce n’est pas désagréable. Une drôle de tension de tous les nerfs. Et nos voix que nous reconnaissons à peine. « Mettons en panne !… Fais les signaux pour demander un pilote… »
On n’est que trois, là-dedans, et on ne sait même pas au juste où l’on est. Une lanterne est balancée au-dessus de la lisse. On attend… Est-ce que ce nuage plus clair n’est pas un cargo qui nous dépasse ?… Le mousse montre une tête inquiète à l’écoutille et dans la chaleur de la cabine on voit la table servie pour le dîner. […]
Un bourdonnement… Quelque chose s’approche… Soudain un feu blanc, à quelques brasses de nous… Un bolide s’accroche à notre bord… C’est une barque montée par deux hommes… Ils ont des bonnets de fourrure, des mitaines énormes… L’un d’eux est déjà sur le pont… L’autre fonce à nouveau dans la nuit…
Alors, c’est une minute curieuse. Le pilote nous regarde, nous questionne dans sa langue. Il ne comprend pas un mot de français, mais il voit la carte étalée sur le roof, où la route est marquée au crayon jusqu’à Stavanger.
C’est lui qui prend la barre, embraie. Il ne s’occupe plus de nous. Il cherche la corne de brume, en tire des sons espacés, s’avise que la table est servie et nous fait signe d’aller manger.
Je ne sais pas comment je suis entré à Stavanger. J’ai vu soudain des lumières qui arrivaient droit sur nous. C’était le port, qu’on ne pouvait même pas deviner à trois encablures. Puis un quai, le cargo qui nous avait dépassés, des hommes occupés, dans la nuit, à le décharger, des rues en pente couvertes de neige. […]
- 10 Repris dans Georges Simenon (2012), Les Romans durs, Tome I, 1931-1934. Le roman sera retenu pour (...)
44Voici maintenant un extrait du Passager du « Polarlys », juin 193210 – premier roman policier de Simenon sans Maigret :
À cinq milles du port, on embarqua un pilote qui accosta dans un petit cotre. Le brouillard était si opaque, dans ces parages semés de récifs, qu’il fallut mettre tous les hommes en vigie.
Ils étaient une grappe sur le gaillard d’avant, criant vers la passerelle des indications fiévreuses.
Le Polarlys était, dans l’obscurité, comme un nuage phosphorescent. Mais, de la passerelle, on ne distinguait même pas l’arrière !
La sirène criait sans discontinuer et on essayait de repérer la direction d’une autre sirène dont, par intermittence, on percevait la clameur comme un lointain gémissement.
Les passagers avaient le visage collé aux vitres du fumoir. lls virent ainsi des disques blanchâtres cerner le navire. Puis, tout près, on entendit des voix avec une netteté hallucinante.
On pouvait se croire à des milles du port. On ne percevait même pas l’éclat du phare. Et on était à dix mètres du quai ! Les matelots lançaient déjà les aussières !
Il pluvinait. Le sol gardait dans les creux de grandes traînées de neige molle.
Quand la passerelle tomba, une vingtaine d’hommes se précipitèrent vers les cales ouvertes pour procéder au déchargement. […]
45Le second passage est exactement moitié moins long (1 200 caractères) que le premier (2 400 caractères). Tout se passe comme si Simenon avait condensé dans le roman les notations qu’il a développées pour livrer au Petit Journal le nombre de signes convenu.
46La mise en regard des deux textes montre que les notations communes « de visions, de lumières, de bruits et de climats » qui constituent l’atmosphère sont nombreuses :
je ne vois plus mon étrave [l’avant] → on ne distinguait même pas l’arrière
apercevoir des phares que nous cache le brouillard → Le brouillard était si opaque
La côte est dangereuse, semée de récifs → dans ces parages semés de récifs
on y crée des formes inexistantes → comme un nuage phosphorescent
Cela doit s’appeler la peur → tous les hommes… criant… des indications fiévreuses
ce nuage plus clair n’est[-il] pas un cargo qui nous dépasse ? → Ils virent ainsi des disques blanchâtres cerner le navire
une barque montée par deux hommes… Le pilote nous regarde → À cinq milles du port, on embarqua un pilote
Il cherche la corne de brume, en tire des sons espacés → La sirène criait sans discontinuer
le port, qu’on ne pouvait même pas deviner à trois encablures → On pouvait se croire à des milles du port
des rues en pente couvertes de neige → de grandes traînées de neige molle
des hommes occupés […] à décharger → une vingtaine d’hommes […] pour procéder au déchargement
47On constate un recours systématique à des synonymes (et deux antonymes) alors que rien n’obligeait Simenon à différencier le lexique de récits de genres si différents, roman et reportage, écrits simultanément sans être a priori destinés aux mêmes lecteurs :
étrave [avant] → arrière
côte → parages
peur → fièvre
cargo → navire
corne → sirène
des sons espacés → sans discontinuer
encablures → milles [marins]
rues couvertes→ grandes traînées
décharger → déchargement…
48Comme on dit familièrement, « jamais deux fois la même chose » : le procédé souligne que les rapports intertextuels entre reportage et roman sont liés à un régime d’écriture commun, soumis à une atmosphère identique, rapports aussi étroits que précédemment les deux pôles de la comparaison entre policier et romancier. Sauf qu'ici on n'est pas dans le métanarratif mais dans le narratif tout court.
49Les flèches qui marquent ci-dessus les correspondances sont réversibles ; en d’autres termes, elles n’ont rien de génétique. Ceci d’autant moins que le roman a l’air plus proche du « cours de la vie » que le reportage.
50La chronologie de ces deux textes est contre-intuitive. Écrite au cours du voyage et postée à Fayard aux escales, la fiction est parue en prépublication de 32 épisodes dans le quotidien L’Œuvre du 24 novembre au 25 décembre 1930 sous le titre Un crime à bord. Le reportage de presse, Escales nordiques. À bord de « L’Ostrogoth », est paru comme déjà dit dans Le Petit Journal du 1er au 12 mars 1931 après le retour en France du trio.
51Considérablement enrichi par la vente des droits cinématographiques de ses Maigret, Simenon revendra L’Ostrogoth en novembre 1931 et ne naviguera plus pour son compte.
52On peut encore citer le début du cinquième épisode d’Escales nordiques, p. 596 :
Je veux commencer par un lieu commun : à savoir que la mer est une chose bien différente selon que des Parisiens la regardent de la jetée, que de somptueux voyageurs la contemplent de la cabine de grand luxe d’un transatlantique, que des pêcheurs cherchent sur l’eau les lièges qui maintiennent leur filet, qu’un matelot l’aperçoive du pont d’un cargo en jouant de l’harmonica ou qu’un pauvre type, une bouée autour de la poitrine, fouille en vain l’horizon, voire qu’une jeune fille blonde en maillot inédit fasse du canoé devant la plage.
53On a ici indiscutablement affaire à des chronotopes bakhtiniens – chronotope, néologisme formé de chronos et topos, termes grecs pour le temps et l’espace, donnés par Mikhaïl Bakhtine pour solidaires, matrice spatio-temporelle où se développe l’action d’un récit – élément par conséquent étranger aux notions de personnages et de rapports d’action ou de propos (Färnlöf, 2007) :
Le chronotope concerne […] l’appréhension, sur un plan existentiel, du monde extérieur, suivant la configuration et la fonction de l’espace-temps du récit. […] plus qu’une simple somme de faits temporels et spatiaux, [c’]est une dimension du récit qui aide à identifier les valeurs principales de tel genre ou de telle œuvre.
54Dans le cas décrit par Simenon – écrivain autodidacte qui rappelons-le (« j’aime mieux l’écrire que l’expliquer ») n’est pas un théoricien du langage ni de la littérature – les décors atmosphériques successivement évoqués, « jetée », « cabine », « sur l’eau », « pont de cargo », « horizon » et « plage », déterminent des personnages et groupes de personnages nés de la contrainte de temps et de lieu qui surdétermine les protagonistes plus encore que de l’imagination de l’écrivain, tout comme on a vu plus haut que la première étape « tâtonnante » précède et détermine l’étape décisive qui suit en deuxième période avec l’entrée en scène du héros qui porte l’histoire, dans un cas Maigret, dans l'autre le capitaine du Polarlys.
55Des atmosphères chaque fois différentes sont utilisées par Simenon pour renouveler ad libitum ses histoires et les points de départ de ses intrigues – points de départ qui entraînent l’adhésion des lecteurs aux évènements rapportés non pas sous forme d’unités de premier rang (ego, hic et nunc, voir Laufer, 1985 ; Arabyan, 2012 ; Benveniste, 1966 ; Weinrich, 2012) dans le passage de l’intrigue à l’histoire (Ricœur, 1983), mais sous forme « d’odeurs, de bruits, de couleurs, de lumières, de climats », formes généralement considérées comme secondaires, sinon comme négligeables, malgré l'importance accordée aux incipits. Ce « régime d’écriture » personnel (c’est-à-dire propre à un écrivain) doit attirer l’attention des chercheurs en linguistique de la littérature sur son importance pour la relation créée entre auteur et lecteur ainsi que pour la convention de fiction permettant d’abaisser le seuil de vigilance du lecteur et d’augmenter son adhésion au contenu du récit conçu comme une variante du « rêve éveillé ».
56Il n’y a rien d’exceptionnel dans un tel régime d’écriture et il resterait beaucoup à dire sur la façon dont Simenon entretient la vraisemblance de ses fictions, la crédibilité de ses non-fictions en mettant en place des clichés et en les développant dans un sens inattendu. L’« horizon d’attente » (Jauss, 1978) du lecteur de Simenon est précisément, méta-narrativement, de l’ordre de l’attente. Comme dit Maigret, « Presque toujours le rythme s’accélère pour finir par une révélation brutale », ce que Maurice Nadeau (1946) reformule en « rien dans ses romans n’est prévisible, tout est contingent, fonction de l’heure et du milieu ».
- 11 Babelio (en ligne) : « textes de fiction qu’on ne lit pas pour leur intrigue (parfois inexistante) (...)
57La critique en a fait des romans dits « d’atmosphère11 », comme il y a des films d’atmosphère, qui se sont développés en France comme des formats privilégiant les états d’âme, notamment dans les années 1940 (années d’Occupation et suivantes), dérivés des romans et films dits « psychologiques » des décennies antérieures. Au cinéma, le Dictionnaire général du cinéma (art. « film d’atmosphère ») cite à ce propos un petit nombre de réalisateurs, Marcel Carné, Henri-Georges Clouzot, Christian-Jacques, Louis Daquin, Jean Delannoy.
- 12 « Simenon reçoit Henri Guillemin », Radio-Télévision-Culture de Liège, octobre 1970.
58Simenon n’a connu aucun purgatoire après sa disparition. Il écrivait pour le plus grand nombre en choisissant des thèmes déjà documentés par la presse et en mettant en œuvre des mobiles compréhensibles car élémentaires. S’agissant d’atmosphère, vexé d’y voir une réduction de son œuvre à de la « littérature de gare », il revint tardivement sur ses propos antérieurs12 :
Au début, l’atmosphère avait une grande importance dans mes romans […]. Maintenant, j’essaie presque que mes personnages soient neutres. Je prends n’importe qui…
59mais contrairement à ce qu’il suggère, choisir des personnages quelconques ne réduit en rien le rôle, l’importance, la nécessité de l’atmosphère, y compris de celle qui se dégagent d'eux.
Cette étude s’est inspirée de la critique génétique et plus qualitativement de la linguistique de corpus pour s'attacher à la théorie des genres avec trois exemples, interview, roman, reportage. La place manque, comme on dit habituellement, pour multiplier les citations de Simenon, puis d’autres auteurs, notamment des premiers chapitres de romans (« La magnificence et la galanterie n’ont jamais paru en France avec tant d’éclat que dans les dernières années du règne de Henri second… ») ou d’autres types de récits, à l’appui d’un recours générique à l’« atmosphère » pour en établir la représentativité à l’appui d’une théorie spécifique, bien que partielle, de la narration, permettant de passer de cas particuliers à des règles de production. C’est pourquoi les exemples analysés ici ne sont que des premiers pas intuitifs. Ils renvoient aussi à l’approche des textes littéraires d’un Karl Vossler ou d’un Leo Spitzer pour qui chaque œuvre doit être considérée comme unique, exclusive dans son fonctionnement et partant dans sa formation, où la carte est à l’échelle du territoire. En effet, la fonction narrative de l’atmosphère ne permet pas de rendre compte du récit dans sa totalité (Barthes, 1968) ; outre des fondements d’ordre spatial, descriptif, le récit a besoin de développements temporels, de l’ordre de l’agentivité, ressortissant de l’intrigue (Ricœur, 1983). Certes, les moyens de composition qu’offre l’atmosphère sont limités, mais même limités, ils sont incontournables et pour cette raison communs à tous les récits.