Roman et surréalisme : histoire d’un (mauvais) genre
Résumés
Le surréalisme contre le roman, ou, plus précisément, contre le roman réaliste : l’attaque ne semble concerner qu’un genre littéraire en tant que genre. Mais de quelle façon pourrait-elle aussi concerner les liens particuliers entre le genre (littéraire) et le genre (sexué) ? Cet article a pour intention de montrer qu’en dépit d’un discours en apparence neutre sur le roman en tant que genre (et plus précisément en tant que genre légitime en ce qui concerne le roman réaliste), à chaque fois que la réécriture surréaliste de l’histoire littéraire évoque le roman gothique comme alternative possible au roman réaliste, il parle en même temps une langue sexuée. Comme si un genre non canonique devait forcément être en même temps un genre « féminin »…
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Je tiens à exprimer ici toute ma gratitude à l’Institut Émilie du Châtelet qui m’a permis de mener à bien ce travail.
« Ledoux. — Je te prêterai des romans, tu verras.
1ère Fée. — Des romans, est-ce que ça se met dans les cheveux ? »
Louis Aragon, « Au pied du mur », Le Libertinage
1La façon dont s’articule ce qui va suivre ici pourrait s’apparenter à un emboîtement d’hypothèses quant à la nature des liens entre surréalisme, genre romanesque et gender. D’une hypothèse l’autre, il ne sera pas dit que la dernière soit finalement la meilleure. Car il semblerait que chaque fois qu’en littérature on pose la question du gender, on entre aussi dans des territoires problématiques où toute certitude vacille.
2On considère généralement que le surréalisme, dans ses textes théoriques fondateurs, a condamné le roman ; ou plus précisément, une certaine forme du roman, auquel on pourrait – d’abord rapidement – donner le nom de « réaliste ».
- 1 Comme le souligne justement l’article de Mireille Calle-Gruber dans ce volume, l’un des problèmes (...)
3Première question que l’on voudrait adresser à ce constat : cette condamnation du roman réaliste pourrait-elle se comprendre non seulement en termes de « genre » (le genre romanesque dévalué notamment parce qu’il serait cette forme bourgeoise, basse et commerciale de l’art, qui croit servilement à une psychologie de bas étage et s’abîme dans les néants de la description), mais également, comme y invite ce volume, en terme de « genre/gender » ? Comment un tel lien pourrait-il se trouver justifié ? Trouverait-il sa justification dans le fait que le roman dit « réaliste » – celui-là même que semble récuser le surréalisme – s’est imposé au début du xixe siècle au moment où se liait précisément le problème de la constitution du genre (romanesque) à celui du genre/gender, du « sexe » de l’écriture1 ? La question qui pourrait alors résonner en creux de ce premier questionnement viendrait finalement interroger la façon dont un mouvement d’avant-garde, en tant qu’il se sait avant-gardiste, réinvestit le questionnement sur un genre littéraire en terme de genre/gender.
4Pour autant, jusqu’où cette liaison, valant pour le réalisme, pourrait-elle valoir plus généralement ? C’est ici que l’on pourra formuler une première hypothèse, à partir de ce constat d’un mouvement littéraire – en l’occurrence ici le réalisme – qui, au moment où il est en train de s’imposer, fonde en partie sa légitimité grâce à un discours « genré » qui promeut ou dévalorise une certaine production passée ou contemporaine, bref, au travers d’une réécriture de l’histoire littéraire dans laquelle il cherche ses fondements et ses adversaires – ces derniers devenant le plus souvent l’objet de cette attaque « genrée ». En serait-il de même pour le surréalisme ? Que le surréalisme prenne notamment pour cible le roman et le réalisme quand il tente de ré-élaborer une autre histoire littéraire, une généalogie poétique dont il serait l’héritier et la forme achevée, implique-t-il qu’à son tour le surréalisme réinvestisse le discours « genré », quitte à l’inverser, de celui contre lequel il lutte ? Ou pour le dire autrement, une avant-garde, quelle qu’elle soit, surréaliste ou réaliste (si l’on veut bien considérer avec Pierre Bourdieu et Margaret Cohen que la « position » du réalisme dans le champ littéraire s’apparente d’abord à celle d’une avant-garde), peut-elle se constituer sans en passer par un discours, excluant non seulement un certain genre, mais encore du genre, du gender, c’est-à-dire en excluant certains genres littéraires au nom de ce qu’ils seraient « genrés », de ce qu’ils relèveraient d’un « sexe » plutôt que d’un autre ?
Cette première hypothèse pouvait sembler prometteuse. Mais son étagement historique même en montre également les possibles limites.
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5Revenons rapidement sur le cas du roman réaliste français : celui-ci a donc construit pour bonne part sa légitimité en se distinguant de la forme majeure du roman tel qu’il existait sur la scène littéraire au moment de son apparition2. Et cette forme majeure, ce n’est déjà plus le roman historique (même si on connaît l’importance de Walter Scott pour Balzac), mais le roman gai et surtout le roman sentimental, ces « romans de femmes » comme les dénomment les critiques de l’époque, ces « romans pour femmes de chambre » complète encore Stendhal reprenant les catégories des libraires3, romans qui constituent l’essentiel de la production. Autant de dénominations en forme d’attaque, puisque le roman réaliste va émerger et se légitimer en s’opposant à cet autre genre – le roman sentimental –, qu’il va disqualifier en sous-genre, au nom de ce qu’il serait un genre « féminin », écrit pour et par des femmes4.
- 5 Ainsi de la « niaiserie sentimentale » de Henri Barbusse qui, dans « Légitime défense », « a fait (...)
6Continuons la logique du raisonnement que je viens de présenter : si c’est contre le roman réaliste que se bâtit en partie le discours surréaliste quand il récrit l’histoire littéraire et cherche à faire entendre la rupture essentielle qu’il représente, on pourrait éventuellement s’attendre, en vertu de ce que le réalisme a pu prôner une certaine « virilité » de l’écriture romanesque contre un roman et un sentimentalisme dits « féminins », on pourrait s’attendre donc à ce que, parmi les réhabilitations et les promotions du surréalisme, figurent, aussi par exemple, des romancières relevant de ces sous-genres en partie oubliés depuis que le réalisme les a combattus et décrétés « féminins ». On aurait pu imaginer, si l’on suivait encore cette hypothèse, une revalorisation de l’idéal sentimental contre le prosaïsme réaliste. Or, si l’amour apparaîtra souvent comme fin en soi, la forme sentimentale ne sera quant à elle jamais explicitement invoquée, si ce n’est pour être révoquée5. On aurait pu, enfin, imaginer un contre-discours « genré » qui, aux accusations réalistes déplorant la « féminité » ou la « mollesse » de style du roman sentimental, revaloriserait ces supposées qualités de l’écriture. Or, là encore, il semblerait que cette attente soit déçue. Dans le discours surréaliste sur le roman, nulle mention qui assignerait explicitement à l’un ou l’autre genre littéraire une qualité d’ordre sexué.
7Ni réhabilitation de romancières, ni résurgence de la forme sentimentale, ni promotion d’une écriture qui aurait pu se vouloir et se dire « féminine ». Que devrait-on plus généralement en déduire, outre que notre première hypothèse n’est pas la bonne ? Le problème tient-il tout entier dans la façon dont on pourrait interpréter l’oubli de noms dans les différentes listes des précurseurs reconnus par le surréalisme ? Jusqu’où doit-on lui donner un sens, le créditer d’une intention ?
8Il ne semble ainsi pas possible d’imputer au surréalisme d’avoir réédité l’exclusion d’un genre trop « genré » – même si le geste de réécriture de l’histoire littéraire par le surréalisme ne sera pas sans conséquence. C’est donc moins à ces noms oubliés qu’aux noms de romanciers qui viennent en lieu et place des premiers que l’on voudrait s’intéresser. D’autant qu’au premier rang de ces réhabilités, se trouvent, on le sait, les romanciers et romancières gothiques.
- 6 Maurice Nadeau reprend presque mot pour mot l’attaque de Breton contre le roman dans Histoire du s (...)
9Comment comprendre que ce soit ces romanciers-ci qui soient sortis de l’oubli ? Serait-ce que le genre romanesque ne saurait être unanimement condamné, puisqu’un sous-genre parvient à échapper à l’anathème6 ? Serait-ce au contraire, dans la perspective historienne que le surréalisme a pu parfois endosser, que le roman gothique fasse figure de contre-roman réaliste, puisque c’est sur ses cendres que ce dernier émerge ? Le roman noir pourrait alors avoir pour fonction de servir d’antithèse au roman réaliste dans cette contre-histoire littéraire que propose le surréalisme. Ce « mauvais » genre romanesque, jusque-là à peu près exclu de l’histoire littéraire, aura en outre l’avantage, pour notre propos, d’être autant l’œuvre de romanciers que de romancières, et de ne pas constituer un cas avéré d’exclusion d’une certaine partie de la création littéraire au nom du sexe de ses auteurs, de ses lecteurs ou de son écriture. En d’autres termes, la réhabilitation d’un mauvais genre littéraire par les surréalistes se ferait hors de toute exclusion du « genre/gender », d’un genre littéraire déjugé parce que supposément « féminin ». Voire, donnerait une forme discrète et nouvelle où se lieraient, de façon paradoxale et enfin sensible, la réhabilitation d’un mauvais genre (romanesque) et de l’habituel mauvais genre, « féminin ».
- 7 André Breton, Manifeste du Surréalisme, repris dans Œuvres complètes, t. I, Paris, Gallimard, coll (...)
- 8 Louis Aragon, Le Libertinage, Paris, Gallimard, 1924, p. 14-16. Généalogie récusée à laquelle il f (...)
10C’est sans doute l’un des poncifs les plus connus que la haine du surréalisme à l’égard du roman, et plus précisément l’anathème prononcé contre le réalisme – on se souvient de ces mots à l’orée du premier Manifeste du surréalisme : « Le procès de l’attitude réaliste demande à être instruit, après le procès de l’attitude matérialiste […]. Je l’ai en horreur, car [cette première attitude] est faite de médiocrité, de haine, et de plate suffisance7. » Le premier intérêt évident d’une telle condamnation du réalisme vient de ce que, presque tout naturellement, la contre-histoire littéraire que le surréalisme propose notamment d’opposer à l’histoire littéraire officielle, est une contre-histoire des minorités, de la littérature jugée « mineure ». Contre ceux qui entendent « réviser le procès de presque tous ceux qui ont fait un jour l’aveu de leur pensée », et qui ainsi entendent « réviser l’histoire littéraire », Aragon propose de réviser la révision, de défendre « la cause du diable » pour opposer « à l’idée traditionnelle de la beauté et du bien […] la nôtre, si infernale qu’elle paraisse ». L’opposition est claire : en face de l’éducation officielle qui promeut « tout ce qui s’est fabriqué de plus bas et de plus inhumain », et dont les figures les plus récentes pour lui sont celles d’Anatole France, Paul Bourget, Marcel Proust, Charles Maurras et Alphonse Daudet, Aragon ne propose qu’un nom au début du Libertinage : Sade8.
- 9 Maurice Nadeau, op. cit., p. 83.
- 10 André Breton, Manifeste du Surréalisme, op. cit., p. 313.
- 11 André Breton, Point du jour, op. cit., p. 273 : « Au cas où la réalité serait positive, dire aussi (...)
11La liste établie par Aragon le dit assez : quoi de moins mineur que le roman, devenu « cette forme quasi universelle de la littérature » selon Maurice Nadeau9, et dont le Manifeste rappelle « l’abondance10 », quand le « Problème » de Point du jour revient avec ironie sur son lectorat phénoménal11. C’est en tant que forme majeure, officielle, qu’on pourra opposer au roman toute une série d’auteurs oubliés, de sous-genres méprisés, comme autant de fondateurs et de pères spirituels du surréalisme. Et au sein du roman, la forme majoritaire du majoritaire est évidemment la plus décriée : le réalisme et son avatar fin de siècle, le naturalisme.
- 12 Voir Michel Raimond, La Crise du roman : des lendemains du naturalisme aux années vingt, Paris, Jo (...)
- 13 Voir Jacqueline Chénieux-Gendron, Le Surréalisme et le Roman 1922-1950, Lausanne, L’Âge d’homme, 1 (...)
12Il ne s’agit pas ici de revenir sur les points d’attaque, principalement dans l’œuvre de Breton, contre le réalisme, la description, la psychologie étriquée, tout ce qui contribue à ce « genre bas » du roman. Michel Raimond a, du strict point de vue de l’histoire littéraire, bien montré dans La Crise du roman combien le « procès » qu’ouvre Breton s’inscrit dans un procès plus généralement intenté contre le roman, dans une « crise » ouverte depuis 1880 et qui a pris un tour nouveau après guerre12, même s’il ne s’agit pas de confondre la précision des attaques surréalistes avec la masse des arguments contre l’immoralité supposée du roman13.
- 14 On en aurait un exemple saillant dans la forme même du récit de Nadja : alors que Nadja réclame, d (...)
- 15 Voir Jacqueline Chénieux-Gendron, op. cit., p. 101 sq.
- 16 Voir Naomi Schor, « Idealism in the Novel: Recanonizing Sand », dans Joan DeJean et Nancy K. Mille (...)
- 17 Jacqueline Chénieux-Gendron, op. cit., p. 121.
- 18 André Breton, Les Vases communicants, dans Œuvres Complètes, t. II, op. cit., p. 158-159.
- 19 André Breton, Nadja, op. cit., p. 649.
- 20 André Breton, « Légitime défense », dans Point du jour, op. cit., p. 287.
- 21 André Breton, Second manifeste du surréalisme [1930], dans Manifestes du surréalisme, Paris, Galli (...)
- 22 André Breton, « À propos du concours de littérature prolétarienne organisé par L’Humanité », dans (...)
- 23 André Breton, Arcane 17, Paris, Le livre de poche, 1992, p. 74.
13Cette historicité du discours critique du surréalisme oblige toutefois à ne pas considérer comme absolue la critique du surréalisme à l’encontre du roman : si la forme romanesque ne saurait plus à présent être possible14, elle n’en est pas moins, à certaines conditions, une « lecture » revendiquée15, selon l’expression de Jacqueline Chénieux-Gendron, qui vient nourrir le surréalisme. Et les romanciers réalistes auront droit à leur réhabilitation, à une forme de « recanonisation », pour emprunter à Naomi Schor ce néologisme16, dès lors notamment que leur roman « fait image, dès que l’intention du romancier est de traduire une sensation globale17 » : les cornichons des Vases communicants sont ainsi l’occasion – dans une longue et unique parenthèse qui s’ouvre et se clôt sur l’entrée du mot « cornichon » dans le texte de Breton – de réhabiliter une bonne partie des romanciers naturalistes qui, « seuls, ont su tirer parti d’une situation telle que celle-là. Je les trouve, en moyenne, beaucoup plus poètes que les symbolistes18 ». Suit une réhabilitation en règle de Zola, des Goncourt, de Huysmans et même de Robert Caze, pour leur faculté à oser « voir et palper » le réel, sous sa forme momentanée des cornichons ; de même que Flaubert le sera dans Nadja pour n’avoir voulu avec Salammbô que « donner l’impression de la couleur jaune19 ». Zola, encore, sortira vainqueur du procès intenté contre les romans socialistes d’Henri Barbusse20 et les écrivains dits prolétariens21. Ou Balzac, parce que Engels l’aura sauvé des eaux, contre Vallès22. Balzac surtout, quand il sent encore son école frénétique, comme dans sa description de Paris au début de La Fille aux yeux d’or que rappelle Breton dans Arcane 1723.
- 24 André Breton, « Du surréalisme en ses œuvres vives » [1953], dans Manifestes du surréalisme, op. c (...)
14Il n’est peut-être pas besoin d’en rajouter : car la condamnation du roman réaliste est davantage rejet de certains romanciers du début du xxe siècle, ou d’une certaine tendance, soit du « réalisme socialiste » qui est en train de se mettre en place, soit d’un « naturalisme » déguisé sous la forme d’une avant-garde comme le sont pour Breton le flux de conscience et l’œuvre de Joyce, que le rejet des écrivains réalistes et naturalistes du xixe siècle24. Si paradoxal que cela puisse paraître, le genre dominant du roman et du courant réaliste sera rapidement « recanonisé » dans les textes critiques dès lors qu’il s’agira de s’attaquer aux cibles bien contemporaines, et partant plus dangereuses, du surréalisme, à cette série de romanciers qu’Aragon couvrait d’opprobres au début du Libertinage.
15Si le genre officiel est d’abord « décanonisé » pour être mieux « recanonisé », ce sera non seulement via un certain rapport à l’image, à la sensation, et à la critique médiatisée du roman contemporain, mais ce sera aussi via d’autres genres et sous-genres, qui n’ont pas eu la légitimité du réalisme et à partir desquels celui-ci pourra être compris, alors même que c’est contre cette littérature mineure, notamment, qu’il se sera édifié.
16Si la question genre « majeur » / genre « mineur » a jusqu’ici nécessairement dominé un propos qui reprend les stratégies de l’avant-garde surréaliste pour s’affirmer, et exilé au loin la question des rapports genres (littéraires) / genre-gender, on voudrait montrer que c’est dans le détour, dans la marge, et non dans la position dominante par rapport à un genre littéraire dominant, que pourra se lire la trace d’une liaison entre sous-genre romanesque et discours « genré ».
- 25 Voir Louis Aragon et André Breton, « Projet pour la bibliothèque Jacques Doucet » [1922], dans Œuv (...)
- 26 Ibid., p. 636. Une note, p. 1492, précise que le titre erroné du Roman de la forêt renvoie sans do (...)
17Lorsqu’il est question, dans le « Projet pour la bibliothèque Jacques Doucet » que Breton et Aragon font parvenir au collectionneur en 1922, d’explorer les « domaines de l’imagination romanesque25 » après ceux de la philosophie, de la mystique et de la morale, c’est autant pour sauver des œuvres uniques dans la production d’un auteur, comme Mademoiselle Maupin de Gautier ou Stello de Vigny, que pour exhumer ou réhabiliter des sous-genres tout entiers : d’un côté, le roman dit « populaire », La Salamandre et les Mystères de Paris d’Eugène Sue, la série des Rocambole de Ponson du Terrail ; de l’autre, le roman noir, pour lequel il n’est pas davantage possible de s’arrêter à un seul titre : « soit Le Roman de la forêt, soit Les Mystères d’Udolphe d’Ann Radcliffe, qui fut une des bravades du romantisme, et qui trouve naturellement sa place avant Edgar Poe26 ». Roman populaire ou roman noir : deux sous-genres du roman, qui ont mauvais genre et mauvaise presse.
- 27 Ibid., p. 635-36.
- 28 Ibid., p. 636.
- 29 C’est ce que Breton retient de « la splendide illustration » des Rocambole ou Costal l’Indien, du (...)
18Deux sous-genres qui renvoient chacun à deux dimensions différentes de la recherche surréaliste : le roman populaire fait ostensiblement signe vers l’enfance27 (ce qui explique qu’on lui joigne parfois les noms de conteurs comme ceux de Perrault, ou ceux, plus oubliés de Mme Leprince de Beaumont et de Mme d’Aulnoy28), mais surtout vers une qualité d’écriture cumulative qui en ferait presque le parangon avant l’heure de l’écriture automatique29.
- 30 Voir Margaret Cohen, The Sentimental Education of the Novel, op. cit. et « In Lieu of a Chapter on (...)
19Premier élément à retenir, même s’il pourrait sembler anecdotique : ce n’est que dans ces genres dit « mineurs », qu’il s’agisse du « conte », parce qu’il est d’abord destiné à un public enfantin, ou du « sous-genre » que constituerait le roman gothique, que l’on rencontre le nom d’auteurs femmes. Constat qui n’est à mettre ni au crédit ni au discrédit du surréalisme, mais qui dit combien l’insertion des femmes auteurs dans le champ littéraire se traduit souvent par le choix d’un genre dévalorisé (le conte), ou d’un genre un temps majoritaire et populaire (le roman gothique) mais souvent, pour cette même raison, rapidement oublié et dévalorisé. Constat enfin qui peut se lire dans l’autre sens : Margaret Cohen en était partie pour interroger le réalisme : jusqu’à la fin du xixe siècle, il n’y a pas de romancières réalistes30, position d’abord instable et minoritaire.
- 31 Sans doute d’autant mieux que l’on sait que Breton possédait dans sa bibliothèque, au moment où il (...)
- 32 André Breton, Manifeste du surréalisme, op. cit., p. 320.
20Premier constat qui n’est peut-être pas si anecdotique. Car au sein de ce sous-genre, qui commence à peine à faire en 1924, avec Alice Killen, l’objet d’une reconnaissance universitaire dans un travail portant sur la seule question de ses influences31, le surréalisme va établir une hiérarchie entre les auteurs : le premier d’entre eux, c’est évidemment Lewis, dont Le Moine constitue dans le premier Manifeste du surréalisme l’œuvre capitale pour son « merveilleux, seul capable de féconder des œuvres ressortissant à un genre inférieur tel que le roman32 ». Hiérarchie qui devient plus palpable si l’on se réfère aux notices du Dictionnaire abrégé du surréalisme de Breton et Éluard. Lewis et Radcliffe sont les seuls auteurs de roman noir à apparaître dans Le Dictionnaire avec Maturin. Sans pour autant recevoir le même traitement :
- 33 André Breton et Paul Éluard, Dictionnaire abrégé du surréalisme [1938], lettre R, dans André Breto (...)
Lewis (M. G.), 1775-1818 – Auteur du Moine, « supérieur sous tous les rapports, aux bizarres élans de la brillante imagination de Radcliffe » (Sade.) « Mathilde dans le Moine, est moins un personnage qu’une tentation continue » (A. B.)
Radcliffe (Ann), 1764-1823. – « Le Spectre-Toqué » (Lautréamont)33.
- 34 Voir Lautréamont, Les Chants de Maldoror. Poésies. Lettres, textes présentés et commentés par Loui (...)
- 35 André Breton et Paul Éluard, Dictionnaire abrégé du surréalisme, op. cit., p. 822.
21Deux citations pour Lewis, une seule pour Radcliffe, la première établissant la supériorité incontestable du premier sur la seconde, laquelle est rangée parmi les « Grandes-Têtes-Molles » vilipendées par Lautréamont34. Certes, on pourrait dire que Maturin fait l’objet du même traitement ambigu, autre tête molle de Lautréamont, « Le Compère des ténèbres35 ». Mais Maturin, comme Lewis, et au contraire de Radcliffe, a droit à une deuxième citation, à une notice plus longue et, surtout, plus élogieuse : « Melmoth, la grande création satanique du révérend Maturin (Baudelaire) ».
- 36 Voir Jacqueline Chénieux-Gendron, op. cit., p. 114.
22Sans vouloir extrapoler ici davantage qu’on ne saurait le faire, disons que cette différence de traitement, qui se retrouve encore quand Breton regrette les « fins rationnelles » des romans de Radcliffe36, indique qu’au sein du genre du roman gothique canonisé par le surréalisme se joue, aussi, une histoire de genre qui n’est plus seulement littéraire, et qui se manifeste de différentes façons. Autrement dit, partir en quête d’un sous-genre pour le réhabiliter, c’est aussi partir en quête d’un certain rapport avec le minoritaire, que l’on pourra appeler, faute de mieux, dans notre vocabulaire mais surtout dans notre conceptualisation du problème, le « féminin ».
23Une partie des qualités prêtées au roman gothique aurait en effet à voir avec une certaine forme du « féminin » que le surréalisme de Breton entend mettre au premier plan. C’était déjà en partie le cas dans la promotion du Moine de Lewis comme unique forme romanesque acceptable, si toutefois on le dépouillait de ce qui sentait précisément le roman en lui :
- 37 André Breton, Manifeste du surréalisme, op. cit., p. 320.
Il me semble que l’on n’a pas fait mieux et que le personnage de Mathilde, en particulier, est la création la plus émouvante qu’on puisse mettre à l’actif de ce mode figuré en littérature. C’est moins un personnage qu’une tentation continue. Et si un personnage n’est pas une tentation, qu’est-il37 ?
24Si le roman de Lewis perd finalement la plupart de ces attributs négatifs d’« affabulation romanesque » et de figuration, c’est bien grâce à ce personnage qui n’en est plus un au sens traditionnel du terme et qui se mue en ce que « la femme » devrait être de façon plus générale.
- 38 Voir Jean-Luc Steinmetz, « André Breton et la bibliothèque noire », André Breton, Cahier de l’Hern (...)
25Car il y a dans le roman gothique tel que le lit ou le recherche Breton une qualité toute surréaliste qui lui fait presque échapper à ses déterminations objectivement reconnues. Certes, le roman gothique offre à Breton, avec son architecture de château carcéral, un paysage mental qui sera celui du surréalisme, comme l’a bien montré Jean-Luc Steinmetz38 et comme on peut l’entendre dans ces quelques lignes des Vases communicants qu’il commente :
- 39 André Breton, Les Vases communicants, op. cit., p. 173-174.
ces livres étaient tels qu’on pouvait les prendre et les ouvrir au hasard, il continuait à s’en dégager on ne sait quel parfum de forêt sombre et de hautes voûtes. Leurs héroïnes, mal dessinées, étaient impeccablement belles. Il fallait les voir, sur les vignettes, en proie aux apparitions glaçantes, toutes blanches dans les caveaux. Rien de plus excitant que toute cette littérature ultra-romanesque, archi-sophistiquée. Tous ces châteaux d’Otrante, d’Udolphe, des Pyrénées, d’Athlin et de Dunbayne, parcourus par les grandes lézardes et rongés par les souterrains, dans le coin le plus enténébré de mon esprit, persistaient à vivre de leur vie factice, à présenter leur curieuse phosphorescence39.
- 40 Ibid., p. 173-174.
26Mais cette reconnaissance d’archétypes féconds n’est rendue possible que parce qu’elle s’insère dans un autre cadre, fortement sexualisé, féminisé : cette « vitrine-bibliothèque » qui pourrait contenir « tous les ‘‘romans noirs’’ de l’époque pré-romantique que je possède et ceux qu’il me tarde encore de découvrir »40, n’aurait pu apparaître à l’imagination désirante de Breton sans la vision préalable de ce lieu de prédilection du surréalisme que l’on ne saurait rencontrer que dans une déambulation sans but :
- 41 Ibid., p. 173.
Je flânais vers 6 heures dans la rue de Paradis, quand l’impression que je venais de passer sans bien le voir devant un objet insolite me fit revenir de quelques mètres sur mes pas. C’était, à la vitrine d’un petit marchand de bas, un bouquet très poussiéreux de cocons de vers à soie suspendus à des branchages secs qui montaient d’un vase incolore. Une réclame à rebours entre toutes. L’idée purement sexuelle du ver à soie et de la jambe que le bas exposé le plus près du vase était fait pour gainer me séduisit sans doute inconsciemment […]. Je me décidai assez vite à lui assigner une place dans l’angle supérieur gauche d’une petite bibliothèque vitrée41.
27La collection exhibée dans sa vitrine des « romans noirs » déjà possédés et de ceux que l’on désire encore « découvrir », ainsi que de leurs héroïnes mal dessinées, ne saurait prendre naissance que dans une autre vitrine, exhibant plus explicitement toute l’étrangeté du caractère sexuel de ces romans, semblables à un « bouquet très poussiéreux de cocons », une réserve d’images fantasmatiques mais vieillies, à l’instar des « couvertures d’un bleu ou d’un rose uni un peu fané » des vieux romans gothiques.
28Et si la rencontre hasardeuse avec la vitrine d’un marchand de bas donne naissance à cette rêverie sur la vitrine de « romans noirs », c’est que la rencontre fantasmatique avec un autre roman n’a cessé jusqu’à présent d’être déçue dans Les Vases communicants. Toute cette scène ne saurait en effet prendre sens que comme la résolution, biaisée, d’une quête infortunée. Quête d’un livre, certes, mais espéré comme une de ces rencontres féminines, sans cesse différée, déplacée.
29Car ce qui prime dans le « roman gothique » réhabilité par Breton tient moins en des qualités intrinsèques, pourtant mises tout particulièrement en avant dans le Manifeste quand il s’agissait de Lewis ou dans le rappel de ses archétypes, qu’en des qualités extrinsèques : sa rareté, la difficulté à trouver un nouveau titre plus rare encore que le précédent, lui confère la valeur d’une « trouvaille » toujours possible mais toujours différée. Autrement dit, et plus généralement, la contre-histoire littéraire que donne à lire le surréalisme, faite de la redécouverte d’objets littéraires non-identifiés et dont on a perdu l’usage, est à l’image d’une méthode plus générale du rapport surréaliste à la trouvaille, à moins même qu’elle n’en constitue la première expérimentation. L’image de la vitrine-bibliothèque de romans noirs n’aurait jamais pu apparaître si, quelques pages plus tôt, l’un d’entre eux n’avait été l’objet d’une quête impossible :
- 42 Ibid., p. 165-166.
J’espérais découvrir, chez un autre libraire, quelque rare roman terrifiant, parent de ceux de Lewis ou de Maturin, que je n’eusse pas encore lu. Je recherchais particulièrement Le Vieux Baron anglais, ou Les Revenants vengés de Clara Reeve. La crainte, toutefois, de me singulariser me retint au dernier moment de formuler la demande de cet ouvrage et me fit préférer m’enquérir de ce qu’il pouvait exister comme livres anciens traitant du 9 thermidor. Je feuilletai avec ennui divers volumes de vulgarisation historique […]. J’entrai ensuite, par plus grand désœuvrement, dans une librairie du boulevard Malesherbes, mais, comme j’eus l’occasion de le vérifier quelques heures plus tard, les livres – de même, semble-t-il, que les femmes – tendaient à se substituer les uns aux autres et celui qu’à cet endroit l’on m’avait remis empaqueté n’était pas celui que je voulais42.
30La rareté de l’ouvrage de Clara Reeve, auteur moins connue que les deux noms qui la précèdent, entraîne Breton dans une étrange série de substitutions. En lieu et place d’un roman terrifiant, il demande d’abord un ouvrage historique sur le 9 thermidor, sur ce jour qui met fin, dans la violence, à la Terreur, bref, un livre consacré à un événement qui, bien métaphoriquement, signe la fin du « terrifiant », romanesque aussi bien qu’historique : le roman gothique ne survivra que de peu à la Révolution française. Substitution toutefois impossible : en lieu et place de ces « livres anciens traitant du 9 thermidor », des « volumes de vulgarisation historique », et finalement, en lieu et place du livre que l’on voulait acheter, un autre qui « n’était pas celui que je voulais ». Suite de déceptions, parce que le roman terrifiant est par nature introuvable si on le cherche. Aussi, à un ouvrage de Clara Reeve ne peut, « de même que les femmes », que se substituer un autre ouvrage, indéfiniment. La comparaison est cette fois explicite : le roman gothique, ce roman méconnu de Clara Reeve, n’est pas seulement ce genre historiquement daté, il est ce genre que l’on n’ose avouer, il est cette femme qui sans cesse se dérobe à la rencontre et à laquelle ne cessent de se substituer d’autres incarnations.
31Et il se pourrait bien alors que se confondent ici dans cette réhabilitation du roman noir, et la qualité de sous-genre, de genre minoritaire, et la possibilité pour ce sous-genre d’être à l’aune du féminin, d’être « genré », d’incarner le pôle habituellement dévalorisé, minorisé, du « genre » : ici, enfin, le sous-genre (littéraire) rejoindrait le versant toujours dénigré du genre/gender, l’un et l’autre exhaussés par les problématiques et la recherche surréalistes.
- 43 On comprend bien qu’il ne s’agit pas ici de savoir jusqu’où le surréalisme, tout en faisant de la (...)
32S’il y a bien pertinence à interroger le genre littéraire dans sa liaison avec le genre/gender, c’est donc moins en tant que cela donnerait des réponses définitives qui permettraient de distribuer les bons ou mauvais points à des littératures ou des histoires littéraires jugées plus ou moins sexistes43 que cela ne permet d’interroger, fructueusement, les naissances d’un genre, de questionner la façon dont peut émerger une avant-garde pour mettre en péril les pré-requis de nos canons et de nos certitudes en matière d’histoire littéraire. En cela, le surréalisme offre une double leçon, qui pourrait sembler contradictoire : d’un côté, hors toute question de genre/gender, les romans réaliste puis naturaliste ne sont finalement dé-canonisés qu’un temps, avant d’être re-canonisés. Sous ce rapport, le surréalisme n’aura, mais de même sans doute que plus tard le nouveau roman, que peu fait pour déstabiliser l’histoire littéraire officielle. Cela n’empêche pourtant pas le surréalisme de réhabiliter une voie parallèle de la « littérature ultra-romanesque » : aux côtés du genre majoritaire, le sous-genre du roman noir, genre minoritaire, prend une place d’importance, et rappelle sans doute qu’aucun mouvement littéraire ne saurait émerger sans constituer au préalable une généalogie qui l’annonce et qui, pour une part, pose la question de la liaison entre le genre, littéraire, et le genre/gender. Aussi le roman gothique permet-il ce double gain, non seulement de représenter la seule forme de « romanesque » vraiment admissible – et donc, en tout état de cause, de déstabiliser malgré tout la position majoritaire de ce genre littéraire – parce qu’elle en est l’expression minoritaire, mais également, ainsi qu’on aura tenté de le montrer, parce qu’elle en est peut-être l’expression « féminine », pour laquelle, jusqu’à la dernière ligne on gardera les guillemets. Car il s’agit bien là d’une histoire qui n’est qu’à demi subversive, puisque si le roman gothique pourrait être dit « féminin », et gagner à ce titre certaines de ses lettres de noblesse surréaliste, cela reste toujours pour des qualités « féminines » extrinsèques et figées. Si le genre et le genre/gender minoritaires sont un temps exhaussés dans le même mouvement, il n’en reste pas moins que cela reste au nom, problématique, d’un « féminin » enclos dans son éternelle essence.
Notes
1 Comme le souligne justement l’article de Mireille Calle-Gruber dans ce volume, l’un des problèmes – mais ce n’est pas le seul – posé par l’adaptation du terme de genre, comme traduction en français de l’anglais gender, est rendu plus problématique encore dans les études littéraires, où il vient rencontrer une série d’homonymes et de notions déjà bien établies. On maintiendra toutefois la barre et l’italique (genre/gender) pour distinguer genre littéraire et genre comme traduction de l’anglais gender. On usera également du néologisme « genré », moins par goût que par souci de cohérence : s’il y a du genre/gender, cela produit des effets de genre ou « genrés ». Mais on pourrait tout aussi bien remplacer ce terme par « sexué » voire « sexualisé » : ce qui nous importe, c’est de montrer comment un discours ne portant pas sur la différence des sexes appuiera pourtant son argumentation sur une opposition sexuée entre un prétendu « féminin » et un prétendu « masculin ». Enfin, nous maintiendrons « féminin » et « masculin » entre guillemets, pour la simple raison que lorsque nous utiliserons ces adjectifs, ce sera toujours comme citation de ce que, le réalisme, puis le surréalisme, désigneront plus ou moins explicitement comme tel ou tel. Car, dans la perspective des travaux de Geneviève Fraisse, nous maintiendrons vide la catégorie de la différence des sexes : autrement dit, rien dans notre propos n’a pour objet de « remplir », de définir ce que pourraient être le « féminin » ou le « masculin » (voir Geneviève Fraisse, La Différence des sexes, Paris, PUF, 1999).
2 Sur cette analyse bourdieusienne, largement héritière des Règles de l’Art, voir notamment Margaret Cohen, The Sentimental Education of the Novel, Princeton, Princeton University Press, 1999.
3 Marguerite Iknayan rend compte de cette catégorie critique des « romans de femmes » dans The Idea of the Novel in France : the Critical Reaction 1815-1848, Genève, Droz, 1961. Les « romans pour femmes de chambre » apparaissent dans la fameuse lettre-préface de Stendhal au Rouge et le Noir.
4 Sur la question du « genre des genres » au xixe siècle, il faut évidemment renvoyer à l’ouvrage majeur de Christine Planté, La Petite sœur de Balzac. Essai sur la femme auteur, Paris, Seuil, coll. « Libre à elles », 1989.
5 Ainsi de la « niaiserie sentimentale » de Henri Barbusse qui, dans « Légitime défense », « a fait son temps » (André Breton, Point du jour, repris dans Œuvres complètes, t. II, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1992, p. 287).
6 Maurice Nadeau reprend presque mot pour mot l’attaque de Breton contre le roman dans Histoire du surréalisme, t. I, Paris, Seuil, 1945, p. 82 sq. Pour Jean-Michel Devésa, dans René Crevel et le roman (Amsterdam/Atlanta, Rodopi, coll. « Faux titre », 1993, p. 18 sq.), l’œuvre de Crevel doit se lire comme une transgression majeure de l’interdiction d’écrire des romans décrétée par Breton. Quant à Marguerite Bonnet, elle juge que l’attaque contre le roman est d’ordre essentiellement moral plutôt que formel. Si c’est vrai en grande partie, notamment dans le Manifeste, ce discours demande toujours à être nuancé, ne serait-ce qu’à cause de l’exception faite du roman gothique (voir Marguerite Bonnet, André Breton et la naissance de l’aventure surréaliste, Paris, José Corti, 1975, p. 340).
7 André Breton, Manifeste du Surréalisme, repris dans Œuvres complètes, t. I, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1988, p. 313.
8 Louis Aragon, Le Libertinage, Paris, Gallimard, 1924, p. 14-16. Généalogie récusée à laquelle il faudrait opposer la généalogie des ancêtres du surréalisme reconnus par le premier Manifeste. Dans cette liste, si les prosateurs sont moins nombreux que les poètes, on retrouve toutefois Swift, Sade, Chateaubriand, Constant, Hugo (même si le nom peut relever des deux catégories et que les grands romans populaires de Hugo sont décriés par ailleurs), Poe (avant qu’il ne soit contesté dans le Second Manifeste) et Roussel.
9 Maurice Nadeau, op. cit., p. 83.
10 André Breton, Manifeste du Surréalisme, op. cit., p. 313.
11 André Breton, Point du jour, op. cit., p. 273 : « Au cas où la réalité serait positive, dire aussi pour combien de personnes environ il a écrit ceci, sachant que les poètes ont trois fois moins de lecteurs que les philosophes, ceux-ci deux cent fois moins que les romanciers. »
12 Voir Michel Raimond, La Crise du roman : des lendemains du naturalisme aux années vingt, Paris, José Corti, 1985, p. 115 sq.
13 Voir Jacqueline Chénieux-Gendron, Le Surréalisme et le Roman 1922-1950, Lausanne, L’Âge d’homme, 1983, p. 7 sq.
14 On en aurait un exemple saillant dans la forme même du récit de Nadja : alors que Nadja réclame, dans le texte, à Breton, d’écrire un roman et de transformer les noms, Breton oppose la forme résolument non-romanesque de Nadja, qu’il ouvre en rappelant que jamais il ne cèdera à cette manie des déguisements de noms, de personnes derrière une prétendue fictionalité arbitraire. Voir André Breton, Nadja, dans Œuvres Complètes, t. I, op. cit., respectivement p. 707-708 et p. 650-651.
15 Voir Jacqueline Chénieux-Gendron, op. cit., p. 101 sq.
16 Voir Naomi Schor, « Idealism in the Novel: Recanonizing Sand », dans Joan DeJean et Nancy K. Miller, Displacements. Women, Tradition, Literatures in French [Yale French Studies, no 75, 1989], Baltimore et Londres, John Hopkins University Press, 1991, p. 55-73.
17 Jacqueline Chénieux-Gendron, op. cit., p. 121.
18 André Breton, Les Vases communicants, dans Œuvres Complètes, t. II, op. cit., p. 158-159.
19 André Breton, Nadja, op. cit., p. 649.
20 André Breton, « Légitime défense », dans Point du jour, op. cit., p. 287.
21 André Breton, Second manifeste du surréalisme [1930], dans Manifestes du surréalisme, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1992, p. 106.
22 André Breton, « À propos du concours de littérature prolétarienne organisé par L’Humanité », dans Point du jour, op. cit., p. 338.
23 André Breton, Arcane 17, Paris, Le livre de poche, 1992, p. 74.
24 André Breton, « Du surréalisme en ses œuvres vives » [1953], dans Manifestes du surréalisme, op. cit., p. 166.
25 Voir Louis Aragon et André Breton, « Projet pour la bibliothèque Jacques Doucet » [1922], dans Œuvres Complètes, op. cit., t. I, p. 631-636. Il est à noter que dans cette première généalogie, qui n’est pas sans lien avec celle qui présentera les surréalistes sans le savoir dans le premier Manifeste, la liste des auteurs cités tire sa légitimité, non d’un seul goût personnel ou d’une reconnaissance de parenté « surréaliste », mais de ce que tous ont été adoubés par Lautréamont, Apollinaire, Mallarmé, Villiers de l’Isle-Adam ou Jarry. Très souvent, la première étape de reconstitution de cette contre-histoire littéraire surréaliste consiste en la réévaluation de noms cités par une première série d’auteurs reconnus. Il s’agit donc d’une reconnaissance au second degré avant que la trace de la filiation ne s’efface ensuite.
26 Ibid., p. 636. Une note, p. 1492, précise que le titre erroné du Roman de la forêt renvoie sans doute à La Forêt ou l’Abbaye de Saint-Clair d’Ann Radcliffe, selon Pierre-Olivier Walzer, « Une bibliothèque idéale », André Breton, essais recueillis par Marc Eigeldinger, Neuchâtel, La Baconnière, 1970, p. 80-93.
27 Ibid., p. 635-36.
28 Ibid., p. 636.
29 C’est ce que Breton retient de « la splendide illustration » des Rocambole ou Costal l’Indien, du génie des illustrateurs anonymes de La Chronique du Duc Ernst ou du « signataire des couvertures de Fantômas », et qui viennent en lieu et place de la description de « La femme 100 têtes ». Voir André Breton, « Avis au lecteur pour “La femme 100 têtes” de Max Ernst », dans Point du jour, op. cit., p. 301 sq.
30 Voir Margaret Cohen, The Sentimental Education of the Novel, op. cit. et « In Lieu of a Chapter on Some French Women Realist Novelists », dans Margaret Cohen et Christopher Prendergast (dir.), Spectacles of Realism. Gender, Body, Genre, Minneapolis et Londres, University of Minnesota Press, 1995, p. 90-119.
31 Sans doute d’autant mieux que l’on sait que Breton possédait dans sa bibliothèque, au moment où il écrivait le premier Manifeste du surréalisme, l’ouvrage de Alice Killen, Le Roman terrifiant ou roman noir de Walpole à Anne Radcliffe et son influence sur la littérature française jusqu’en 1840 [Crès, 1915], Paris, Champion, 1924. Voir André Breton, Œuvres Complètes, t. I, op. cit., note 6, p. 1350-1351.
32 André Breton, Manifeste du surréalisme, op. cit., p. 320.
33 André Breton et Paul Éluard, Dictionnaire abrégé du surréalisme [1938], lettre R, dans André Breton, Œuvres Complètes, t. II, op. cit., p. 836.
34 Voir Lautréamont, Les Chants de Maldoror. Poésies. Lettres, textes présentés et commentés par Louis Forestier, Paris, Imprimerie nationale, 1990, p. 357-358.
35 André Breton et Paul Éluard, Dictionnaire abrégé du surréalisme, op. cit., p. 822.
36 Voir Jacqueline Chénieux-Gendron, op. cit., p. 114.
37 André Breton, Manifeste du surréalisme, op. cit., p. 320.
38 Voir Jean-Luc Steinmetz, « André Breton et la bibliothèque noire », André Breton, Cahier de l’Herne, dirigé par Michel Murat, 1998, p. 383-391.
39 André Breton, Les Vases communicants, op. cit., p. 173-174.
40 Ibid., p. 173-174.
41 Ibid., p. 173.
42 Ibid., p. 165-166.
43 On comprend bien qu’il ne s’agit pas ici de savoir jusqu’où le surréalisme, tout en faisant de la « femme » et de la « femme-enfant » un thème ou une source d’inspiration majeure, aurait pour bonne partie exclu les femmes artistes. Même si, bien évidemment, il ne saurait être question de nier les relations nécessaires entre « l’oubli » de certains genres dits « féminins », et à tout le moins de certaines œuvres de femmes du siècle passé, et la place minorée des créatrices au sein du mouvement surréaliste. Il existe déjà une abondante bibliographie sur le sujet, nous nous permettons d’en indiquer quelques titres à la fin de cette note. Toutefois, aussi « sexiste » qu’ait pu être le surréalisme (ou plutôt certains surréalistes), il est néanmoins intéressant de constater que c’est sans doute l’une des avant-gardes pour laquelle on aura le plus questionné la présence/absence des créatrices (ce que l’on fait beaucoup moins pour les avant-gardes picturales qui le précèdent par exemple). Si c’est bien le signe que la question se pose, le surréalisme reste néanmoins l’une des premières avant-gardes où les femmes commencent, timidement, à entrer. Pour ne s’en tenir qu’au réalisme auquel on a fait ici le choix de le comparer, Margaret Cohen rappelle bien qu’il n’y a pas eu, jusqu’à la fin du xixe siècle, une seule romancière réaliste. L’une des explications fréquemment invoquée par les critiques féministes, dans la perspective bourdieusienne de la position dans le champ littéraire, c’est que les femmes préfèrent s’établir dans des genres bien en place, d’où leur absence de tout mouvement naissant et encore sans position déterminée dans le champ. À ce titre, le surréalisme, malgré tout ce qu’on pourrait lui reprocher, fait exception. Voir la revue Obliques (1977), « La femme surréaliste » ; Lea Vergine, L’Autre moitié de l’Avant-garde, 1910-1940, Femmes peintres et femmes sculpteurs dans les mouvements d’avant-garde historiques, Paris, des Femmes, 1982 ; Whitney Chadwick, Women Artists and the Surrealist Movement, Boston, Little Brown, 1982 ; Gloria Fernan Orenstein, « Reclaiming the Great Mother : A Feminist Journey to Madness and Black in Search of a Golden Heritage », Symposium, vol. 36, no 1, 1982 ; Susan Robin Suleiman, « A Double Margin : Reflections on Women Writers and the Avant-Garde in France », dans Joan DeJean et Nancy K. Miller, Displacements. Women, Tradition, op. cit., p. 182-207.
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Référence papier
Marie Baudry, « Roman et surréalisme : histoire d’un (mauvais) genre », Itinéraires, 2012-1 | 2012, 109-122.
Référence électronique
Marie Baudry, « Roman et surréalisme : histoire d’un (mauvais) genre », Itinéraires [En ligne], 2012-1 | 2012, mis en ligne le 01 septembre 2012, consulté le 07 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/itineraires/1284 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/itineraires.1284
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