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Monumentalisation

Faire littérature autrement

Modalités de publication et de lecture des carmina epigraphica latins
Literature in Another Way
Publishing and Reading Modalities of Latin Carmina Epigraphica
Dylan Bovet

Résumés

Les poèmes épigraphiques latins – les carmina epigraphica – occupent une place à part dans les études littéraires latines. Cette poésie inscrite sur la pierre des épitaphes, des dédicaces ou sur les murs pompéiens est de facto hors du livre, exposée. Cet article examine les processus de publication et de circulation des carmina dans leur contexte originel, puis dans leur réception depuis la fin de l’Antiquité qui les a fait passer de la pierre au livre. Ce faisant, il exploite la pragmatique qui caractérise le carmen latin, l’anthropologie de l’écriture et de la lecture et la critique littéraire moderne pour repenser, à travers les époques, les modalités de publication, le rôle de la fonction-auteur et aussi celui du lecteur. Le fait que les poèmes épigraphiques latins aient été transmis dans des livres, a profondément transformé leur sens et leur réception au sein d’un canon épigraphique, en marge du canon classique. L’historicisation correcte de ces éléments et des notions qu’ils recouvrent est déterminante dans la définition de ce qui fait littérature.

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Texte intégral

  • 1 Les arguments avancés par Sartre, Bourdieu et Barthes pour cette naissance de l’institution littér (...)
  • 2 Le livre comme production indissociable de son auteur est une idée qui se cristallise en particuli (...)
  • 3 Sur la constitution du livre à partir du texte de l’auteur et sur l’intervention de l’éditeur, voi (...)
  • 4 Pour une étude récente sur la publication et ses liens avec les pratiques contemporaines, voir l’o (...)
  • 5 Se réclamant de la théorie des actes perlocutoires (Austin, 1991), Fraenkel définit une pratique c (...)
  • 6 Nous pensons en particulier à « Qu’est-ce que l’autorité ? » d’Arendt (1972), à « La mort de l’aut (...)

1Happenings, lectures publiques, slam, rap, tag : les xxe et xxie siècles ont multiplié les supports et les occasions de l’expression poétique, autant du côté de l’oral que de celui de l’écrit. Point commun de ces pratiques, la sortie hors du livre pousse à repenser les circuits traditionnels de publication où le livre est seul à même de consacrer un texte comme monument de la littérature. C’est cette institution qui, à partir du xviie siècle seulement et au xixe surtout1, a posé la publication à travers le livre et l’auteur comme les enjeux majeurs de ce que doit ou peut être la littérature2. Le livre est alors entendu comme le medium qui permet au discours de l’auteur (locuteur) d’atteindre in absentia un lecteur (destinataire), via un éditeur qui aura produit l’objet-livre3. Il est encore le lieu où a historiquement convergé la « publicité » de l’œuvre, au sens étymologique d’« action de rendre public4 » (Philizot, 2022, p. 17-19 ; Murzilli, 2018, p. 19). Il n’est pourtant pas la seule destination de la littérature, mais une possibilité parmi d’autres, raison pour laquelle les pratiques hors du livre évoquées en préambule contribuent à (re)définir en retour les catégories de « littérature » et de « non-littérature » (Meizoz, 2018 ; Théval, 2018, § 2 ; Rosenthal & Ruffel 2010, 2018). L’un des éléments qui se dégagent de ces performances et fonde une littérature en acte est la force pragmatique qu’elles déploient5. De même, aux transformations du support de l’écrit et de sa publicité, il faudrait encore ajouter celles des postures de l’auteur et du lecteur, nourries par la réflexion poststructuraliste des années 19706.

  • 7 En proposant deux dossiers ayant pour titre « littérature exposée », Rosenthal et Ruffel (2010, 20 (...)

2Les questions que soulèvent ces reconfigurations contemporaines apportent de nouvelles perspectives pour repenser certains textes de l’Antiquité : un monde où le livre, avant l’invention de l’imprimerie, n’est pas encore le moyen de transmission privilégié de la littérature qu’il deviendra par la suite, où la notion d’auteur recouvre une réalité autre et où l’institution littérature n’existe pas encore. Que dire alors des textes se trouvant conçus de facto hors du livre ? Notamment l’épigraphie, définie précisément comme une écriture sur tous types de supports (à l’exception du papyrus et du codex) et qui est généralement une écriture exposée7. De plus, dans un monde romain où perfuse l’écrit (Corbier, 1987), l’épigraphie est une sorte d’« écriture ordinaire » (Fabre, 1993) : elle recouvre les tombeaux, les monuments publics et, sous forme graffitée, les murs des cités.

  • 8 Sur la littérarité intrinsèque de la poésie, voir Genette (1991), cité ci-après note 14.
  • 9 Dans le domaine des graffiti, Fraenkel appelle à « une anthropologie pragmatique de l’écrit » (Fra (...)
  • 10 La notion de performance liée à l’anthropologie que nous adoptons est celle développée par Schechn (...)
  • 11 « Peut-être est-il temps d’étudier les discours non plus seulement dans leur valeur expressive ou l (...)

3Partant de là, nous étudions ici un corpus particulier de l’épigraphie latine : celui des carmina epigraphica. Inscriptions versifiées, poèmes inscrits : la question de leur littérarité se pose tant dans la synchronie, au moment de leur production et de leur circulation, que dans la diachronie de leur réception au sein des études latines. Car en plus d’être des écritures épigraphiques, les carmina sont encore des écritures poétiques8. Ainsi, avant même de savoir comment ils sont susceptibles de faire littérature, ces textes relèvent avant tout d’une anthropologie de l’écriture9 (Laffont, 1984), de la lecture et de la performance, mis en jeu dans et par une forme poétique10. Ils invitent donc à penser ensemble les critères formels et les phénomènes sociaux et culturels qui les font exister et circuler11.

4La publication des carmina est un aspect d’autant plus déterminant que les inscriptions versifiées, initialement gravées sur la pierre, ont fait leur entrée dans le livre, dès l’Antiquité tardive et surtout à la Renaissance. Elles ont ainsi constitué, à côté du canon de la poésie des poètes latins « classiques » – faute de mieux –, un canon de poésie épigraphique. Qualifier cette dernière de « littérature minime/mineure », en regard de la « littérature majeure/officielle » (Gamberale, 1993, p. 380-381), revient à opérer une distinction ordinaire lorsque l’on parle de littérature des marges (Dubois, 2005, p. 189-217).

  • 12 L’étude d’un tel matériel poétique épigraphique par les voies livresques qu’il a empruntées a post (...)

5Penser la circulation de la littérature antique hors du livre implique de questionner, à travers les époques, son lectorat, ses auteurs, sa publication et sa publicité (c’est-à-dire son régime de visibilité et d’expérience), sa réception, ainsi que sa place dans les canons. La distance temporelle qui sépare la production des poèmes épigraphiques des catégories modernes ne peut se passer d’une contextualisation et d’une historicisation constantes des fonctionnements des dispositifs littéraires12. Aussi, nous voulons montrer comment la ou les modalités de publication sont entendues à travers des époques et des pratiques et comment ils font diversement littérature. D’une part, dans l’Antiquité, elles révèlent une pratique de la lecture des poèmes lors de performances à la fois sociales, culturelles et rituelles, tournées vers la production de monuments (supports et objets du souvenir), vers la réception du texte inscrit, tout autant que vers la production de nouveaux énoncés ; ensemble de pratiques constitutives du fait littéraire. D’autre part, le support du livre adopté ensuite, son autorité et l’intervention d’éditeurs-philologues ont joué un rôle déterminant dans la (re)définition a posteriori d’un certain statut littéraire des carmina.

La poésie épigraphique : une littérature qui n’en est pas une ?

  • 13 Bien que cette édition constitue encore aujourd’hui une référence, les nouvelles découvertes et re (...)
  • 14 « [La poésie] est de régime constitutif : de quelque manière qu’on définisse la forme poétique, un (...)

6Carmina Latina epigraphica (ci-après CLE) désigne avant tout un corpus d’inscriptions latines de forme versifiée, constitué au fil des siècles et publié par Bücheler et Lommatzsch entre 1895 et 1926, comme seconde partie de l’Anthologia Latina13. Les textes consignés dans cette édition livresque sont datés entre le milieu du iiie siècle avant notre ère et le vie siècle après, mais la majorité remonte au iie et au début du iiie siècle apr. J.-C. Toutes les régions occidentales de l’empire romain y sont représentées (Italie, Hispanie, Gaules, Germanie, Afrique du Nord). Les inscriptions versifiées constituent pourtant à peine plus de 1 % de l’ensemble de l’épigraphie latine connue, soit une estimation d’environ 4 200 carmina (Sanders, 1991, p. 216). Le choix d’une forme répondant à un code métrique (hexamètres et distiques élégiaques surtout) n’est pas anodin dans une épigraphie latine en prose : on peut donc considérer que ce choix procède, entre autres, d’une intention littéraire, au sens où il rend possible une appréhension d’ordre poétique14.

  • 15 Philologues et historiens en particulier ne soumettent pas leurs objets d’étude à un même traiteme (...)

7En raison de la matérialité du support d’écriture et des informations qu’il recèle, l’étude de ces textes, en tant que documents, relève du domaine de l’archéologue et de l’historien (Lassère, 2011, p. 247) et, en tant que littérature, du champ du philologue. Les carmina se trouvent par conséquent au croisement de plusieurs perceptions disciplinaires du texte15 et de diverses pratiques d’écriture. D’une part se trouvent les inscriptions sépulcrales – les plus nombreuses, près de 80 % des carmina (Sanders, 1991, p. 217) – et les dédicaces. Toutes les deux sont des œuvres de circonstance et de commande, des écritures planifiées qui nécessitent le concours de plusieurs acteurs pour composer et inscrire le texte. D’autre part, certains carmina sont des graffiti, textes grattés sans préparation d’un support d’écriture (Lohmann, 2018 ; Benefiel, 2017, p. 353). Plutôt que de constituer un ou des genres littéraires distincts, les carmina sont donc avant tout des pratiques poétiques et scripturales.

  • 16 Les genres littéraires de l’élégie et de l’épigramme sont issus de la pratique de l’inscription (e (...)
  • 17 « Alla base di quest’ultimo atteggiamento sta naturalmente la concezione che non esiste differenza (...)

8Des similitudes formelles ont existé entre poésie épigraphique et poésie classique, ce qu’illustrent de nombreux transferts et rapports entre l’une et l’autre (Gómez Pallarès, 1993 ; Ramsby, 2007). Ceci est tout particulièrement vrai de certains genres littéraires comme l’épigramme ou l’élégie16 (Dinter, 2011). De ce point de vue, on a pu parler de la « connaturalité » de l’une et de l’autre (Fernández Martínez, 1999b, p. 52), que ne distingue aucune différence culturelle17. Formellement et culturellement, les carmina sont donc bien de la littérature au sens défini plus haut.

  • 18 Les renvois sont aux numéros des poèmes de l’édition des Carmina Latina Epigraphica = CLE (Büchele (...)
  • 19 Les élites quant à elles se distinguent, dans des inscriptions en prose, par leurs noms de famille (...)

9Néanmoins, contrairement à la poésie classique généralement associée à une élite, la poésie épigraphique sépulcrale, majoritairement représentée par les carmina, est principalement le fait de franges basses de la population, celle des masses populaires appartenant à la media plebs (CLE 1111, v. 5)18. Elle concerne les affranchis et les esclaves, les femmes et les enfants, autant de groupes à la périphérie de l’organisation sociale antique. La poésie épigraphique est alors un moyen, pour les individus issus de ces groupes, d’avoir dans la mort un certain relief19.

  • 20 Nombreux exemples dans les poèmes dactyliques des ier au ive siècle de notre ère : CLE 1549, v. 22 (...)
  • 21 La dimension pragmatique du carmen latin est étudiée par Pierre (2016). Sur l’agentivité des œuvre (...)
  • 22 Cette stratégie est par ailleurs bien connue de la poétique de l’épigramme classique, comme l’a ré (...)

10Cette façon autre d’être au monde par le carmen – terme à la fois autoréférentiel et mis en scène dans certaines inscriptions au contenu métapoétique20 – dépend également de la dimension pragmatique, agentive, qu’a cette forme en latin21. Dans l’épitaphe, l’inscription poétique a certes une fonction mémorielle et cultuelle (Caroll, 2008 ; Bovet, 2023), mais elle vise aussi à maintenir, par le moyen de l’écriture, un dialogue entre vivants et morts. Ce dialogue repose avant tout sur des fictions énonciatives (Belloc, 2009) et joue sur la fonction phatique (Jakobson, 1960, p. 217) pour générer des effets de présence22. Des formules d’ouverture et de clôture peuvent encadrer la situation d’énonciation (quisque uenis legis : « qui que tu sois qui viens, tu lis » ; tu qui praeteriens dicas : « toi qui passes, dis »). Un carmen de Mérida (CLE 1451), daté de la fin du ier siècle ou du début du iie de notre ère et célébrant un couple d’affranchis, illustre le concours de plusieurs éléments paradigmatiques de la dialectique de l’épitaphe latine :

Prose : M(arcus) Heluius Ͻ lib(ertus) Mar/sua ann(orum) LX Mallia Ͻ / lib(erta) Galla uxor ann(orum) / XXXXI h(ic) s(iti) s(unt) s(it) u(obis) t(erra) l(euis) //

Carmen : Tu qui carpis iter gressu / properante uiator
siste / gradu(m) quaeso quod peto parua / mora est
oro ut praeteriens / dicas s(it) t(ibi) t(erra) l(euis)

« Marcus Helvius Marsua, affranchi d’une femme, âgé de 60 ans, sa femme Mallia Galla, affranchie d’une femme, âgée de 41 ans sont enterrés ici : “que la terre vous soit légère !” ».

« Toi qui prends la route, d’un pas pressé, voyageur,
arrête ton pas, s’il te plaît, ce que je te demande c’est une petite pause ;
je t’en prie, en passant dis(-moi) : “que la terre te soit légère !” »

  • 23 Par opposition, la tradition manuscrite des textes classiques a lissé les particularités de ces de (...)
  • 24 Une étude systématique des normes métriques épigraphiques et de leurs écarts vis-à-vis des pratiqu (...)
  • 25 De multiples études ont pris à bras le corps la Quellenforschung des textes épigraphiques pour met (...)
  • 26 Massaro définit les carmina comme « letteratura popolare » (Massaro, 2007, p. 133), bien qu’elle n (...)
  • 27 Il est essentiel de penser les traits régionaux (linguistiques, stylistiques, formulaires) dans le (...)

11Cet exemple indique qu’il s’agit d’une poésie populaire non seulement dans sa diffusion, mais encore dans ses traits de langue, sa graphie23, sa syntaxe, sa métrique parfois approximative24 et ses compositions faites de formules épigraphiques et de citations25. En guise d’illustration, on notera ici que les formules épigraphiques juxtaposées forment un dernier vers pentamétrique trop long d’un pied. Ces spécificités ont souvent conduit les philologues à des jugements de valeur sur la littérarité des carmina ou sur leur manque d’originalité (Lassère, 2011, p. 246 ; Fernández Martínez, 1999, p. 48), vis-à-vis de la poésie des auteurs classiques. On peut sans doute y voir l’expression d’une certaine idée romantique du génie créatif de l’auteur – jugée indispensable pour faire littérature (Bokobza Kahan, 2009, § 5), ainsi que les a priori attachés habituellement tant à la littérature populaire26 qu’à la littérature régionale. Naturellement, les carmina font partie de l’une comme de l’autre27.

12Ces appréciations sont venues mettre en tension, de manière artificielle et monolithique, d’un côté la poésie classique et de l’autre la poésie épigraphique ; valorisant le statut littéraire de la première, le dépréciant pour la seconde. Ces jugements s’attachent pourtant a posteriori aux carmina. Ils sont hérités principalement de leur transmission à travers le livre, de leur intégration à la philologie au moment même où l’institution littérature se développe et établit ses canons, à partir du xviie siècle (Chartier, 1992, p. 49-50 ; Viala, 1985 ; Dubois, 2005). Ce changement de medium entraîne un changement de lecture et de lectorat qui modifie sensiblement la perception des textes. Nous y reviendrons, mais non sans avoir évoqué au préalable la façon dont les carmina circulent en tant que textes poétiques dans le système de valeurs, de production, de publication et de réception qui est le leur.

Écriture en contexte, contexte de performance : les voies de publication des carmina

  • 28 La différence entre graffito et dipinto antiques est, à peu de choses près, équivalente à celle en (...)
  • 29 Le paysage public inscrit des Romains, « civilisation épigraphique » (Fernández Martínez, 1999b, (...)

13La durabilité du support épigraphique est l’une des caractéristiques recherchées par celles et ceux qui font graver un texte sur la pierre. Sta lapis in longum, « reste pour longtemps, pierre ! », proclame une épitaphe (CLE 1075, v. 1). Même le graffito s’inscrit, dans une certaine mesure, dans la durabilité, dès lors que son effacement implique la réfaction du stuc couvrant le mur28. La durabilité matérielle du texte va de pair avec sa mémorialisation, rendue possible par sa visibilité en tant qu’écrit exposé29. Ceci vaut d’autant plus pour les épitaphes placées le long des voies de communication, aux abords des routes, à l’entrée des villes, c’est-à-dire dans des lieux de passage qui exposent les carmina et appellent leur lecture. La constitution d’une mémoire collective des défunts passe tout entière par cette présentation permanente aux yeux des vivants. Ainsi, pour les carmina epigraphica, le support assure la pérennité, le statut d’exposition une visibilité qui lui garantit un public et en fait une mémoire.

  • 30 Nous n’entrerons pas ici dans les modalités techniques de cette lecture : récitation, chant, simpl (...)
  • 31 C’est vraisemblablement un membre de la famille ou un proche du défunt qui fait la lecture. Il est (...)
  • 32 Les fêtes commémoratives comme les anniversaires de la mort, mais aussi des fêtes fixes du calendr (...)
  • 33 Sur l’implication multi-sensorielle du lecteur (Kruschwitz, 2019, p. 359-362). Il en va de même po (...)
  • 34 La fonction de l’écriture qui est de se substituer, de remplir le vide laissé par un absent n’y es (...)
  • 35 C’est ainsi du moins que l’annonce Ennius dans son auto-épitaphe (frg. uar. 17-18 Vahlen2 : uiuus (...)
  • 36 Parler de lecture contextuelle appelle à reconnaître dans les carmina une « littérature contextuel (...)
  • 37 Notons qu’à partir xxe siècle, la possibilité d’une lecture littéraire se développe en critère de (...)
  • 38 Il s’agit là de la force pragmatique de la littérature exposée (Rosenthal & Ruffel, 2018, p. 9; Mu (...)

14Si le texte d’une inscription est publié dès lors qu’il est exposé à la vue de tous, c’est sa lecture répétée, conditionnée par sa poétique, qui lui permet de circuler. Pour les inscriptions sépulcrales, ce processus commence avec la pose du monument et l’affichage de son poème gravé. Ils donnent l’occasion d’une première lecture performative, à haute voix30 (Caroll, 2008), qui fait exister publiquement le texte. Le public est composé en priorité par la famille, des proches, voire des compagnons de fortune du défunt, lorsque celui-ci meurt loin des siens31. C’est par ce public que le carmen sera (re)lu à l’occasion de certaines fêtes commémoratives32. Cela n’empêche pourtant pas le texte d’avoir également une portée plus universelle : tout passant susceptible de lire l’épitaphe constitue un public potentiel. Nombre de textes sont d’ailleurs explicitement tournés vers ce lectorat élargi : praeteriens quicumque legis consiste uiator, « qui que tu sois, voyageur en chemin, qui lis, arrête-toi ! » (CLE 1007, v. 1). Voici une façon traditionnelle de s’adresser à un public itinérant et d’en faire, à travers la pragmatique du carmen, un lectorat. Comme l’a montré Emmanuelle Valette-Cagnac (1997, p. 108), les carmina funéraires sont tout particulièrement écrits en fonction de leur lecteur33. À ce titre, ils placent leur situation d’énonciation dans la lecture plutôt que dans l’écriture34. Si la publication au sens d’exposition matérielle du texte constitue l’acte fondateur, performatif et rituel de la lecture (Rüpke, 2004, p. 34), ce sont les lectures successives, oralisées, accompagnant des actes commémoratifs, qui assurent durablement la mémoire du défunt à travers la diffusion du poème « sur la bouche des hommes35 ». Non seulement lecture performative, la lecture des épitaphes est aussi « contextuelle36 ». En aucun cas elle n’est, en ce sens, la lecture littéraire que nous pouvons faire aujourd’hui de ces textes37 (Dupont, 1994, p. 13-16). En lisant, le lecteur antique d’inscriptions performe un discours qui agit sur le monde38 et fait avant tout acte de mémoire. Ainsi, la fonction du poème est de consacrer le monument sur lequel il est inscrit comme lieu du souvenir, rendu vivant par sa continuelle (re)lecture. Plus qu’un simple texte informatif, un documentum qui (r)enseigne (docere) – ce que peut très bien la prose des parties onomastiques des inscriptions –, le carmen est l’instrument du souvenir (monumentum). C’est peut-être même sur un monument qui porte lui-même un poème inscrit et qui sera contexte de performance que la dimension pragmatique de ce processus de monumentalisation se déploie le mieux, support et poème se monumentalisant l’un l’autre.

  • 39 Ce n’est pas la seule situation possible comme le montrent les études de l’énonciation dans les ca (...)

15Le code rythmique du poème et le déploiement de dispositifs pragmatiques, énonciatifs et phatiques qui impliquent personnellement le lecteur ont pour objectif de construire la mémoire. Prenons une situation commune d’énonciation dans l’épitaphe où le défunt s’exprime à la première personne à un passant qu’il interpelle à la deuxième39. Lors de la lecture oralisée, le passant est amené à vocaliser les mots du défunt, à superposer sa propre personne à cet autre « je », à se substituer au mort par la voix. Et tandis qu’il fait revivre le mort, il s’adresse aussi à lui-même, simple passant (Bovet, 2023). Au-delà de rappeler simplement les noms des défunts, le lecteur redonne vie à leurs voix, dans une promesse d’existence éternelle. Le rôle du lecteur dans ce processus est donc central et sa participation est codifiée par le texte, comme en témoigne le dispositif énonciatif mis en place. C’est un trait de l’écriture poétique épigraphique que de mettre constamment en jeu le lecteur comme une figure performatrice indispensable à la médiation de l’écrit fixe, exposé, en tant qu’agent de la circulation du discours.

  • 40 C’est cette circulation qui consacre l’auteur (Valette-Cagnac, 1997, p. 145-147) ; sur le lien ave (...)

16Ce processus de circulation n’est pas très différent de celui de la publicité des œuvres classiques dont nous résumons ici quelques enjeux en vue d’en souligner les similitudes. L’événement qui fait acte de publicité d’un texte de Virgile, Horace ou Ovide est la recitatio, une forme de lecture oralisée, devant une audience que lient des rapports sociaux (White, 1978). Il s’agit d’une lecture performative, au sens où elle fait le texte, avec pour enjeu « de créer du monumentum à partir d’une énonciation particulière, mais encore de bâtir du mémorable dans un cadre privé » (Valette-Cagnac, 1997, p. 115). Lors de cette lecture oralisée, le texte n’est pas encore fixé définitivement, mais demeure en écriture, soumis à l’approbation et aux sollicitations de l’auditoire. Une fois cette étape passée, la divulgation se fait par circulation de l’œuvre dans des cercles de plus en plus élargis. Avec le concours éventuel d’un librarius qui fait office d’« éditeur », elle gagne ainsi, par copies successives et une fois que l’auteur a cédé son bien (dare, edere, emittere, publicare), un public qui lui est inconnu40. Si ce processus, dans une société qui précède l’imprimerie, autorise la circulation de l’œuvre, il ne garantit aucunement une version unique du texte, pas plus qu’il n’est en mesure d’assurer des droits à son auteur. La recitatio constitue dès lors un moment symbolique de lecture première qui sert de référence pour toutes les autres lectures du texte à haute voix qui réitèrent cette performance (Valette-Cagnac, 1997, p. 159-163). La copie écrite en circulation est, par conséquent, tout autant le résultat d’une performance que le support des suivantes.

17Face à ce processus, la distinction que pose la publication d’une inscription est le caractère définitif du texte dès le moment de son affichage public : aucune oralisation ni aucune copie divergente ne viendra menacer la teneur du texte inscrit sur la pierre, même si celui-ci est le reflet d’une performance initiale. En outre, ce support impose une absence de circulation des copies vers et entre les mains d’un public, mais suppose plutôt la circulation des lecteurs entre les inscriptions, mots en bouche et en tête. On notera toutefois les similitudes entre poésie classique et poésie épigraphique dans le caractère performatif et oral de la publication première d’un texte, puis dans celui de sa diffusion et de sa réception par un public jouant un rôle actif en tant que lecteur-performeur.

18En l’absence de support assuré, il revient au poème classique lui-même, en tant que texte artistique doté de sa propre agentivité, d’assurer, par sa pragmatique, son devenir-monument. Du moins, c’est ainsi que l’exprime Horace à la fin de ses propres odes (carmina en latin) : exegi monumentum aere perennius, « j’ai achevé un monument plus durable que le bronze » (Carmina iii, 30, v. 1). En aucun cas il n’est question de se fier à la pérennité d’un support matériel et à sa capacité à sauvegarder l’écrit poétique – au moins les carmina epigraphica peuvent-ils encore compter sur la pierre. C’est le pouvoir intrinsèque et pragmatique du carmen à produire du monumentum qui fait qu’à travers son texte l’auteur sera lu, c’est-à-dire avant tout dit (Carmina iii, 30, v. 10 : dicar), performé, vivifié et donc immortalisé. C’est à ce prix seulement qu’un écrivain deviendra un nom d’auteur, associé à des œuvres dignes de mémoire.

19Reste cependant une différence fondamentale entre un carmen epigraphicum et la poésie classique. Elle réside précisément dans l’association de l’acte d’écriture à un nom d’auteur-écrivain – figure, nous l’avons vu, extrêmement instable dans un monde antique où un texte classique se trouve à tel point à la merci des lecteurs (Tarrant, 2016, p. 4-5). La construction de la figure auctoriale se pose en revanche très différemment dans les carmina, la plupart du temps anonymes.

L’auctorialité des carmina : poète, auctor et fonction-auteur

  • 41 Dupont met en garde contre le rapprochement étymologiquement fondé entre auctor et notre auteur, r (...)
  • 42 La conceptualisation d’un lien étroit entre écrivain, auteur et texte apparaît historiquement à la (...)
  • 43 La fonction-auteur est la « caractéristique du mode d’existence, de circulation et de fonctionneme (...)
  • 44 Le versificateur peut être un poète itinérant ou un employé d’une officine rétribué pour sa tâche, (...)

20Que les poètes latins se nomment poeta (poète), uates (poète inspiré), scriptor (écrivain) (Pierre, 2016, p. 190-285) ou parfois auctor, il faut d’emblée distinguer ces termes de ce que nous pouvons entendre par « auteur41 ». Une publication de l’œuvre où jouent recitatio, diverses relectures et circulation de copies empêche de voir, dans l’Antiquité, une attache stricte entre un texte publié et son auteur42, ce qui conditionne en retour la constitution historique et culturelle de la fonction-auteur43 (Foucault, 1969, p. 73-79). Si pour les carmina antiques graffités, la relation semble, de prime abord, directe – l’« auteur » est celui qui compose et écrit le texte (Solin, 1970, p. 13) – il n’en va pas de même pour les inscriptions funéraires et dédicatoires autour desquelles s’organise toute une profession, avec de multiples intermédiaires (Susini, 1968, p. 42-43 ; Donati, 2013). Dans les officines épigraphiques, les tâches sont organisées entre : 1) le compositeur en charge de choisir les mots de l’inscription qui, dans le cas d’inscriptions versifiées, peut être qualifié de poète au sens premier d’« artisan des vers44 » ; 2) l’ordinator qui dispose le texte et l’organise dans l’espace d’écriture, sur la pierre ; 3) le lapicide en charge de la gravure. Notons que ces trois fonctions distinctes peuvent être assumées par une ou plusieurs personnes.

  • 45 Scriptor semble renvoyer, dans un contexte épigraphique, uniquement à la personne qui inscrit effe (...)

21La première de ces fonctions intéresse notre propos : celle de versificateur, a priori « auteur » du texte. Pourtant, si l’on cherche dans les carmina la trace de ce dernier sous les termes poeta, uates, scriptor45 ou auctor, ou encore sous une signature, on se trouve confronté à une absence déconcertante. Point de marque d’auctorialité lorsque le contenu est poétique, ni dans les épitaphes, ni dans les dédicaces, ni même dans les graffiti – alors même que, dans ce dernier type d’écriture, inscrire son nom constitue un acte scripturaire premier (Corbier, 2017, § 24).

  • 46 Il s’agit de l’une des approches qui a connu le plus de succès dans l’étude des carmina (Gamberale (...)
  • 47 Les graffiti semblent échapper partiellement à cet écueil, puisqu’ils relèvent de l’appropriation (...)

22Une partie de la critique, en quête de littérarité dans les carmina, s’est pourtant attachée à la recherche des « auteurs » épigraphiques (Cugusi, 1985, p. 21-90, 2018), suscitant un débat méthodologique (Gamberale, 1988, p. 498 ; Massaro, 2013, p. 259). La Quellenforschung, soit l’identification et l’étude des citations et des sources, participe du même élan46 : lorsqu’il s’agit de vers, l’absence d’« auteur » semble aujourd’hui souvent inacceptable47, conduisant à une recherche perpétuelle d’« auteur » pour autoriser le texte poétique. Cependant, cette démarche a trait à la problématique que soulèvent ces poèmes : ils n’ont pas de construction auctoriale ayant pour objectif d’identifier un auteur au sens de créateur du texte, parce que la fonction-auteur y est reportée.

  • 48 Dupont préfère quant à elle décrire l’auctor comme « l’homme des commencements », un « novateur da (...)
  • 49 En ce sens l’« auteur » est « notre solide fil conducteur dans les vastes domaines du passé […], l (...)
  • 50 Il est possible de voir également dans la figure du dédicant d’une inscription funéraire, une figu (...)
  • 51 « L’auteur dans ce cas n’est pas le constructeur mais celui qui a inspiré l’entreprise et dont l’e (...)
  • 52 Cet état de fait du poète de métier est un topos antique bien connu et exploité par Platon (Ion, 5 (...)
  • 53 S’il n’y a pas reconnaissance poétique du versificateur, on peut néanmoins faire l’hypothèse d’une (...)

23Si le versificateur est invisible – tout comme l’ordinator ou le lapicide d’ailleurs – c’est que la fonction-auteur dépend de réalités anthropologiquement autres. Nom d’agent formé sur le verbe augere, « augmenter », l’auctor est, pour les Romains, le garant et le transmetteur d’une tradition préexistante, celui qui imite (aemulari, imitari), mais également celui qui, divinement inspiré, prononce avec autorité et « détermine un changement dans le monde » (Benveniste, 1969, p. 148-151). L’auctor est ainsi un (re)fondateur (Arendt, 1972, p. 161) de la tradition et des valeurs romaines des ancêtres48. Dans les épitaphes, la figure d’auctoritas n’est jamais celle du versificateur, raison pour laquelle son acte d’écriture ou son nom n’apparaissent pas. En fait, toute l’attention se porte sur un autre nom : celui du défunt. Devenu ancêtre, divinisé sous forme de Mânes, il est le véritable auctor du texte au sens latin : c’est lui qui, parlant in absentia, donne à lire aux générations futures49. À ce titre, son nom est souvent mis en évidence par des caractères plus grands que le corps du texte, mais aussi, parfois, par des jeux de mots et d’acrostiches. La même auctoritas est conférée à tout dédicant qui fait inscrire un poème épigraphique50. Elle participe de la même relation qui lie le patronus, « patron », et le poète dans la poésie classique : l’auctoritas première est toujours celle du destinataire du poème, du patron, celui qui garantit socialement son existence51, et c’est dans un second temps seulement qu’« il y a transfert d’auctoritas du patronus au poeta » (Dupont, 2004, p. 173). Dans le domaine épigraphique, le versificateur, simple artisan dépourvu de fonction-auteur, compose sous le patronat et la contrainte d’un commanditaire52. Il importe à ce seul auctor-ci d’être célébré53.

  • 54 Cela est tout particulièrement valable pour les Romains, parce « qu’en toutes circonstances les an (...)
  • 55 Cette seconde expression idiomatique signifie « je conseille » chez Cicéron (Gavoille, 2017).
  • 56 L’étude de ces dynamiques, révélées par l’intertextualité, a fait l’objet des travaux fondateurs d (...)

24S’il faut chercher dans les carmina un transfert de l’auctoritas, ce serait davantage du côté du lecteur. En prenant la voix d’un auctor, dédicant ou ancêtre54, le lecteur est acteur de la transmission de la mémoire et avec celle-ci d’un certain code social. Tout comme le carmen, l’auctoritas possède une dimension pragmatique (Arendt, 1972, p. 162). À travers ces modes de performance et d’expérience, opératoires dans leur cadre culturel de référence, les épitaphes peuvent, par conséquent, être entendues « comme des instruments d’action sur le monde et, partant, se constituer en tant que telles, pragmatiquement et programmatiquement, comme des agirs sociaux » (Murzilli, 2018, p. 24). Or, la lecture performative de ces paroles d’auctoritas permet d’intégrer, d’« avoir des exemples », auctores habere – expression idiomatique latine (TlL 1206.24-40) –, mais encore d’avertir, de conseiller (monere), autre fonction du monument. En incarnant l’auctor – auctor sum55 –, le lecteur participe de cette auctoritas qui se trouve étendue. Telle inscription peut dès lors proclamer « vous qui lisez, apprenez de nous cet exemple » (CLE 1004, v. 4 : exsemplum / a nobis discite qui / legitis), avec la certitude que celui-ci sera reproduit. D’ailleurs, les exemples relèvent tout autant de la conduite morale que de l’écriture : dum legis hoc disce ponere et ipse tibi, « pendant que tu lis [ce poème], apprends aussi à t’en faire un pour toi-même » (CLE 1190, v. 7). La lecture performative de l’épitaphe, en plus d’être le lieu de la réception d’une mémoire passée, est aussi le point de départ d’un acte de réactualisation et d’écriture. Or cette écriture peut se rapprocher de ce que Vallette-Cagnac a appelé « écriture orale » dans le cadre de la recitatio, étant entendu que l’oralité intervient « à la fois en amont et en aval de l’écriture » (1997, p. 166). Fonction-lecteur et fonction-auteur apparaissent donc indissociables dans une production littéraire latine qui repose tout entière sur l’imitatio (imitation), l’aemulatio (émulation) et la retractatio (réécriture)56. Lecteurs et auteurs sont dotés d’une textualité latente ; ils sont entre les textes, à la fois dans une pratique de lecture et dans une pratique d’écriture (Dupont, 1994, p. 21).

  • 57 Cette réévaluation anime depuis quelques années les études sur la poésie. À ce titre, les liens d’ (...)

25Le nécessaire effacement du versificateur dans les carmina se fait au profit du garant réel de l’autorité du texte, mais aussi au profit du lecteur antique. La place de ce dernier ne peut s’apprécier pleinement qu’une fois la préoccupation de l’auteur écartée et la naissance du lecteur déclarée (Barthes, 1984, p. 69), afin de lui reconnaître, dans la poésie latine, un rôle central dans la performance, la publication et la réception des textes57. Par ailleurs, même si les auteurs ne sont pas ceux que l’on attendrait, cela n’empêche pas les carmina de jouir d’une autorité suffisante pour être repris, cités, copiés à l’échelle d’une région ou de l’empire, s’inscrivant ainsi dans les dynamiques d’écriture qui fondent la littérature latine.

De la pierre au livre : nouvelle circulation des carmina

  • 58 L’un des exemples de transformations des modalités épigraphiques intervenant avec le christianisme (...)

26Le système de circulation des carmina esquissé jusqu’ici s’est trouvé obscurci par l’état dans lequel a été transmis ce corpus, constitué au fil des siècles, sous la forme de livres. La christianisation d’abord, puis les incursions barbares provoquant la chute de l’empire romain ont profondément changé les pratiques épigraphiques58. Dans l’Antiquité tardive, l’évolution fondamentale est celle du passage des carmina de la pierre au livre, entraînant progressivement la constitution d’un canon de poésie épigraphique.

  • 59 Le processus dynamique de la lecture romaine se trouve profondément modifié par ce nouveau conditi (...)
  • 60 Sur l’importance du livre et la pratique d’une lecture attentive, critique, déjà d’une certaine fa (...)

27C’est au viie siècle, dans le contexte de l’Afrique romaine (Wolff, 2015, p. 1205; Garambois-Vasquez & Vallat, 2019, p. 9-10), que l’on peut faire remonter le début de cette entreprise. Elle est en premier lieu un acte d’érudits ayant pour but de préserver une tradition littéraire latine sur le déclin. Pour sauver divers poèmes jugés dignes d’intérêt – qu’ils figurent sur des monuments ou qu’ils soient des compositions d’auteurs –, on se décide à les recopier dans des manuscrits, à l’instar de mirabilia à préserver. Le livre devient un monument d’un genre nouveau, celui de la consignation du souvenir59. La modification du support affecte pourtant moins le sens des textes que le dispositif de publication (Rosenthal & Ruffel, 2018, p. 14-15). Cette activité, dorénavant davantage philologique que performative, est menée par des hommes de lettres, genre nouveau de lecteurs qui sélectionnent les pièces pour leurs qualités poétiques, guidés par la volonté de leur faire une place en tant que littérature, dans les livres60. Il s’agit des premières étapes de la fondation d’une anthologie de la poésie latine, transmise aux côtés d’un canon littéraire.

  • 61 Cette édition mentionne explicitement, dans sa préface (p. iii), les diverses origines des poèmes (...)
  • 62 Bien que Riese insiste à plusieurs reprises, dans sa préface, sur l’attribution de pièces à des au (...)
  • 63 La publication du premier volume du Corpus Inscriptionum Latinarum, qui se veut être une édition d (...)

28Deux codices naissent de cette entreprise, le Salmasianus (Parisinus latinus 10318) et le Thuaneus (Parisinus latinus 8071). Redécouverts à la Renaissance, ils suivent un principe de collecte qui guide également les humanistes des xve et xvie siècles qui recopient, dans leurs manuscrits, des inscriptions choisies, souvent en raison de leur statut de textes versifiés, y ajoutant à l’occasion certaines compositions de leur cru (Vuilleumier Laurens & Laurens, 2010). Nous pouvons suivre, à travers quelques-uns des titres des éditions successives, les évolutions de cet élan de préservation, de sélection et de compilation de cette poésie latine à la marge. L’édition de Scaliger de 1573, Choix de pièces de poètes anciens (Catalecta ueterum Poetarum), est suivie des Épigrammes et Poèmes collectés dans les Codices et sur les Pierres (Epigrammata et Poemata e Codicibus et Lapidibus collecta) de Pierre Pithou en 1590. De nombreuses inscriptions versifiées viennent rejoindre ce corpus, jusqu’à l’édition de Burmann en 1759-1763 (Anthologia ueterum Latinorum Epigrammatum et Poematum), augmentée par Meyer en 183561, avant que ne voie finalement le jour l’Anthologia Latina. Celle-ci est la première entreprise éditoriale à distinguer nettement, dans une première partie éditée par Riese, un corpus de textes transmis dans les codices et attribués, pour la plupart, à des auteurs et, dans une seconde partie, les Carmina Latina Epigraphica qui proviennent, directement ou non, du matériel épigraphique, sans pour autant expliciter les choix éditoriaux62. Le xixe siècle, qui voit naître l’institution littéraire et l’association auteur-livre, mais aussi l’essor de la philologie et de l’épigraphie63, participe pleinement d’un reconditionnement historicisé des carmina comme une certaine littérature.

  • 64 Cela même alors que le texte gravé est unique et n’est pas une construction reposant sur une colla (...)

29L’Anthologia Latina reste un canon à part, à la marge du canon littéraire classique. Le traitement critique de l’un et l’autre canon repose pourtant sur un même travail philologique, basé avant tout sur le livre. Les éditeurs se sont ainsi largement attribué un rôle de correcteurs des erreurs et des fautes de goût. Ils n’ont pas hésité, par ailleurs, à compléter les lacunes ou restituer les fragments, selon une lecture attentive, philologique (Cavallo, 2010, p. 13), qui entraîne une nouvelle « écriture de lecteur » (Rabau, 2008, § 13-18). Elle est distincte, bien entendu, de celle que nous évoquions auparavant. Sans « auteur » garantissant les poèmes épigraphiques, ce sont les éditeurs qui ont fait valoir leur autorité, au mépris du témoignage de la pierre64.

  • 65 Pour cette critique, voir Schmidt (2008, p. 378).
  • 66 Le projet d’édition livresque du volume XVIII du Corpus Inscriptionum Latinarum consacré aux carmi (...)

30La publication des carmina latina epigraphica procède de deux ruptures fondamentales qui modifient profondément la portée des inscriptions : d’un côté le passage au livre, support possédant ses propres contraintes matérielles, auxquelles la littérature exposée est irréductible ; de l’autre, la publication philologique. Elle suppose à son tour une lecture philologique ainsi qu’une classification, la création de canons distingués sur la base du support originel (pierre vs. codex, papyrus) et sur la possibilité ou non de les attribuer à un auteur – distinction rompant la continuité culturelle de la production poétique latine. Le seul critère de littérarité est alors resté le mètre, ce que révèle l’organisation des pièces dans l’édition de Bücheler-Lommatzsch, ainsi que la présentation du texte poétique seul, renvoyant dans les notes tout ce qui est en prose, notamment les indications biographiques portant les noms des défunts65. Les carmina se trouvent non seulement arrachés à leur contexte matériel, intégrés à une tradition manuscrite, mais encore disloqués de leur contexte textuel. C’est à ce prix pourtant que certains ont pu être préservés, lorsque les pierres ont fini par disparaître. Il faut attendre les années 1970 pour que ce corpus de textes épigraphiques, constamment augmenté par de nouvelles découvertes66, prenne de nouvelles orientations éditoriales qui rendent mieux compte de ses diverses composantes contextuelles, permises aujourd’hui, entre autres, par la publication numérique.

Conclusion

  • 67 Cette question, appliquée aux carmina, a pris récemment une tournure médiatique puisqu’elle a été (...)

31Nous nous sommes attaché à montrer que les inscriptions fonctionnent dans un système où publication, performance et auctorialité façonnent les textes et que leur pérennité est assurée, outre le support lapidaire et l’état d’exposition, par la pratique performative de la lecture du carmen. Dans le monde romain, les supports des carmina et ceux de la poésie classique sont certes différents, mais leurs modes de publicité, la dimension pragmatique du carmen et le rôle premier qu’y jouent les lecteurs montrent des similarités. Ces éléments assurent la circulation des œuvres littéraires dans un monde où littérature, auteur et livre recouvrent des réalités différentes des nôtres. Pour aborder cette altérité, nous sommes parti des reconfigurations actuelles de la littérature. Celles-ci résultent de la sortie du livre – cette « capture partielle, temporaire, instituée de pratiques littéraires » (Rosenthal & Ruffel, 2018, p. 6) – qui a (dés)orienté la réception des carmina latins. Envisager les modalités de performances poétiques contemporaines rend possibles d’autres lectures des poèmes épigraphiques, au plus proche de ce qu’ils sont à l’origine : des énoncés métriques hors du livre, à appréhender tant dans leur composante écrite qu’orale et que rien n’empêche de cataloguer comme de la littérature67.

32Dès lors, la perméabilité de ce qu’on entend par « littérature latine » est en jeu. Plus que jamais, il s’agit d’un « corpus ouvert » (Fernández Martínez, 1999a) que font évoluer les pratiques et réflexions contemporaines. Un exemple en est la publication numérique : par son statut hors du livre, elle expose à tous, en open access, de vastes corpus croisant l’ensemble des caractéristiques matérielles, spatiales et temporelles des carmina et celles d’autres textes et hypertextes, autorisant en outre des mises à jour régulières par des éditeurs multiples (Fernández Martínez, 2021). La lecture de textes littéraires latins peut donc se (re)faire autrement qu’à travers des modalités et des pratiques historicisées étrangères à l’Antiquité, pour redonner à tout lecteur sa fonction fondamentale d’acteur du texte et d’agent de son devenir.

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Notes

1 Les arguments avancés par Sartre, Bourdieu et Barthes pour cette naissance de l’institution littérature sont synthétisés dans la discussion de Dubois (2005, p. 29-55).

2 Le livre comme production indissociable de son auteur est une idée qui se cristallise en particulier sous l’influence de Kant (1995).

3 Sur la constitution du livre à partir du texte de l’auteur et sur l’intervention de l’éditeur, voir Nyssen (1993).

4 Pour une étude récente sur la publication et ses liens avec les pratiques contemporaines, voir l’ouvrage dirigé par Gilbert (2016).

5 Se réclamant de la théorie des actes perlocutoires (Austin, 1991), Fraenkel définit une pratique comme celle du graffito, comme un acte de langage, c’est-à-dire non seulement un énoncé-action, mais encore une écriture-action (Fraenkel, 2007).

6 Nous pensons en particulier à « Qu’est-ce que l’autorité ? » d’Arendt (1972), à « La mort de l’auteur » et, par conséquent, à la naissance du lecteur de Barthes (1984) et à « Qu’est-ce qu’un auteur ? » de Foucault (1969), trois textes-manifestes qui marquent une rupture épistémologique et initient sur les plans littéraire, philosophique et politique une reconfiguration de la figure de l’auteur. Pour Foucault, nous renvoyons au travail récent de Ribard (2019) et sur la question de l’auteur aux bibliographies rassemblées par Bennett (2005) et Bokobza Kahan (2009).

7 En proposant deux dossiers ayant pour titre « littérature exposée », Rosenthal et Ruffel (2010, 2018) entendent explorer l’état d’exposition comme « un mode d’existence et d’expérience du littéraire qui investit des espaces » et transforment la publication (Rosenthal & Ruffel, 2010, p. 4). « Littérature exposée » fait ainsi pendant au titre de l’article de Susini qui définit l’épigraphie comme des « écritures exposées » dans l’espace littéraire antique (Susini, 1989).

8 Sur la littérarité intrinsèque de la poésie, voir Genette (1991), cité ci-après note 14.

9 Dans le domaine des graffiti, Fraenkel appelle à « une anthropologie pragmatique de l’écrit » (Fraenkel, 2007, p. 103). Les idées romaines sur les fonctions de l’écriture ont été étudiées (Desbordes, 1990).

10 La notion de performance liée à l’anthropologie que nous adoptons est celle développée par Schechner (1994).

11 « Peut-être est-il temps d’étudier les discours non plus seulement dans leur valeur expressive ou leurs transformations formelles, mais dans les modalités de leur existence : les modes de circulation, de valorisation, d’attribution, d’appropriation des discours varient avec chaque culture et se modifient à l’intérieur de chacune ; la manière dont ils s’articulent sur des rapports sociaux se déchiffre de façon […] plus directe dans le jeu de la fonction-auteur, et dans ses modifications que dans les thèmes ou les concepts qu’ils mettent en œuvre » (Foucault, 1969, p. 94).

12 L’étude d’un tel matériel poétique épigraphique par les voies livresques qu’il a empruntées a posteriori et avec des présupposés modernes, bibliocentristes, ne peut conduire, comme le fait observer Vaillant, qu’à des apories et contresens historiques (Vaillant, 2005, p. 10-12). Sur l’historicisation des régimes de lecture et son archéologie, voir Marghescou (2009, p. 107-146).

13 Bien que cette édition constitue encore aujourd’hui une référence, les nouvelles découvertes et relectures ont fait grandir un supplementum auquel les éditions régionales d’Hamdoune (2016), de Cugusi (Cugusi, Sblendorio Cugusi, 2016) et de l’école espagnole (Fernández Martínez, 2007), parmi d’autres, ont beaucoup contribué. Ces textes, aujourd’hui éparpillés tant dans des éditions livresques que dans des bases de données en ligne (Musisque Deoque https://mizar.unive.it/mqdq/public/, Carmina Latina Epigraphica Online https://institucional.us.es/cleo/?lang=es), justifient le projet éditorial de longue haleine des volumes XVIII/1 et XVIII/2 du Corpus Inscriptionum Latinarum qui seront consacrés aux carmina epigraphica respectivement de Rome et de l’Hispanie ; sur le projet, prévu depuis plus d’une cinquantaine d’années, voir Krummrey (1964).

14 « [La poésie] est de régime constitutif : de quelque manière qu’on définisse la forme poétique, un poème est toujours une forme littéraire, parce que les traits formels (variables) qui le marquent comme poème sont, de manière non moins évidente, d’ordre esthétique. » (Genette, 1991, p. 8). Si dans les carmina la composante métrique est bien entendu essentielle, elle est complétée par d’autres caractéristiques rythmiques, esthétiques et stylistiques (Fernández Martínez, 1999b, p. 17) ainsi que par divers topoi (Lattimore, 1942) qui visent aussi à un certain plaisir de lecture, selon le précepte horatien utile dulci (Ars Poetica, v. 333-334, 343-344).

15 Philologues et historiens en particulier ne soumettent pas leurs objets d’étude à un même traitement. Les liens entre lecture historique et lecture littéraire ont récemment intéressé la critique, qui s’est attachée à définir une herméneutique historienne (Lyon-Caen 2019; Riaudel & Rozeaux, 2019).

16 Les genres littéraires de l’élégie et de l’épigramme sont issus de la pratique de l’inscription (en grec epigramma). Il existe donc une forme de parenté littéraire. Certaines compositions épigraphiques particulièrement soignées ont été étudiées, à l’instar de l’épigramme classique, comme des epigrammata longa (Henriksén, 2008).

17 « Alla base di quest’ultimo atteggiamento sta naturalmente la concezione che non esiste differenza culturale tra pietra scritta e esposta da un lato, foglio (o tavoletta) scritto dall’altro : perciò anche l’iscrizione funge da fatto letterario, a fortiori quando il testo è concepito come metrico, dunque appunto come testo letterariamente impegnato » [« À la base de cette démarche, il y a bien sûr l'idée qu'il n'y a pas de différence culturelle entre la pierre inscrite et affichée d'une part, et la feuille (ou la tablette) écrite d'autre part : l'inscription sert donc aussi de fait littéraire, a fortiori lorsque le texte est conçu comme métrique, donc comme un texte ayant une implication littéraire »] (Cugusi, 2007, p. 147-148).

18 Les renvois sont aux numéros des poèmes de l’édition des Carmina Latina Epigraphica = CLE (Bücheler & Lommatzsch, 1895-1897-1926). Sauf autrement indiqué, nous traduisons.

19 Les élites quant à elles se distinguent, dans des inscriptions en prose, par leurs noms de famille, leurs titres et leurs fonctions, sans recourir à la poésie (Lassère, 2011, p. 247).

20 Nombreux exemples dans les poèmes dactyliques des ier au ive siècle de notre ère : CLE 1549, v. 22 ; CLE 986, v. 1 ; CLE 990, v. 9 ; CLE 1191, v. 3-4 ; CLE 1192, v. 1 ; CLE 1552b, v. 1-2.

21 La dimension pragmatique du carmen latin est étudiée par Pierre (2016). Sur l’agentivité des œuvres d’art, nous nous appuyons sur la théorie anthropologique de Gell (1998).

22 Cette stratégie est par ailleurs bien connue de la poétique de l’épigramme classique, comme l’a récemment montré Fleck (2022).

23 Par opposition, la tradition manuscrite des textes classiques a lissé les particularités de ces derniers lors du processus de copie (Tarrant, 2016, p. 5) ; les critères sont alors ceux de la norme linguistique, stylistique et de l’orthodoxie (Jacob, 1999, p. 5).

24 Une étude systématique des normes métriques épigraphiques et de leurs écarts vis-à-vis des pratiques classiques manque encore, du moins pour la poésie dactylique, qui est la plus représentée dans les carmina. Voir les études ponctuelles de Carande Herrero (2002, 1999).

25 De multiples études ont pris à bras le corps la Quellenforschung des textes épigraphiques pour mettre en évidence l’influence des auteurs classiques (Cugusi, 1985, p. 163-198). Bien qu’ils restent le produit d’une pratique codifiée par la culture, le mètre, etc., ces textes ne se réduisent pas à cela (Ricci, Colafrancesco & Gamberale, 1983, p. 226).

26 Massaro définit les carmina comme « letteratura popolare » (Massaro, 2007, p. 133), bien qu’elle ne soit pas exclusivement la prérogative du peuple (Courtney, 1995, p. 13).

27 Il est essentiel de penser les traits régionaux (linguistiques, stylistiques, formulaires) dans le sens de pratiques poétiques locales, vis-à-vis d’un centre culturel tel que Rome, comme l’ambitionne le projet ERC Mappola: Mapping out the poetic landscape(s) of the Roman empire (https://mappola.eu).

28 La différence entre graffito et dipinto antiques est, à peu de choses près, équivalente à celle entre graffito antique et tag moderne : les dipinti, souvent de nature électorale, sont peints sur une surface et peuvent donc être recouverts chaque année par de nouveaux noms, contrairement aux graffiti, plus intrusifs, qui enlèvent de la matière au support. Corbier dresse une liste des différences entre pratiques des graffiti antiques et modernes et discute la matérialité et les facilités de recouvrement (Corbier, 2017, § 8-12).

29 Le paysage public inscrit des Romains, « civilisation épigraphique » (Fernández Martínez, 1999b, p. 15), est caractérisé par l’affichage durable qui rend visibles les textes (Corbier, 1987, p. 38-39). L’écriture, sous ses multiples formes, est ainsi omniprésente dans le monde romain (Kruschwitz, 2016).

30 Nous n’entrerons pas ici dans les modalités techniques de cette lecture : récitation, chant, simple vocalisation ? Nous pouvons seulement imaginer ce à quoi ressemblaient de telles performances sur la base des rares indications des textes eux-mêmes et des commentaires (Vallat, 2013).

31 C’est vraisemblablement un membre de la famille ou un proche du défunt qui fait la lecture. Il est par ailleurs difficile de déterminer à quel moment cet événement a lieu : s’il est inclus, par exemple, dans la séquence des funérailles ou lors d’une cérémonie de commémoration ; si une première lecture est faite avant que la pierre ne soit gravée. Quoi qu’il en soit, une fois affichée, l’inscription devient « un symbole de la performance », pour reprendre l’expression de Day (2010, p. 23).

32 Les fêtes commémoratives comme les anniversaires de la mort, mais aussi des fêtes fixes du calendrier romain (Parentalia, Rosalia) donnaient lieu à des rassemblements et des banquets sur le lieu de sépulture (Scheid, 2019, p. 163-164).

33 Sur l’implication multi-sensorielle du lecteur (Kruschwitz, 2019, p. 359-362). Il en va de même pour les graffiti (Corbier, 2017, § 14).

34 La fonction de l’écriture qui est de se substituer, de remplir le vide laissé par un absent n’y est pas étrangère. La même chose vaut pour l’épistolographie (Dupont, 1994, p. 140-141, 235-236).

35 C’est ainsi du moins que l’annonce Ennius dans son auto-épitaphe (frg. uar. 17-18 Vahlen2 : uiuus per ora uirum). Le poète passe en outre pour avoir introduit, à Rome, la poésie épigrammatique, c’est-à-dire celle des inscriptions.

36 Parler de lecture contextuelle appelle à reconnaître dans les carmina une « littérature contextuelle » au sens où la définit Ruffel, c’est-à-dire une littérature « “en contexte” et non dans la seule communication in absentia de l’écriture, du cabinet de travail ou de la lecture muette et solitaire des texte » (Ruffel, 2010, p. 62). Sur la lecture contextuelle des carmina (vis-à-vis de la lecture de poèmes sur papyrus), voir Hutchinson (2019).

37 Notons qu’à partir xxe siècle, la possibilité d’une lecture littéraire se développe en critère de la définition de la littérature (Bionda, 2020).

38 Il s’agit là de la force pragmatique de la littérature exposée (Rosenthal & Ruffel, 2018, p. 9; Murzilli, 2018).

39 Ce n’est pas la seule situation possible comme le montrent les études de l’énonciation dans les carmina qui révèlent des cas de figure complexes (Socas Gavilán, 1999, 2002 ; Belloc, 2009).

40 C’est cette circulation qui consacre l’auteur (Valette-Cagnac, 1997, p. 145-147) ; sur le lien avec le livre (Dupont, 2009). La fonction des éditeurs antiques et le circuit commercial du livre sont étudiés par Salles (2010, p. 168-181).

41 Dupont met en garde contre le rapprochement étymologiquement fondé entre auctor et notre auteur, rappelant que « si on le rencontre parfois dans un contexte d’écriture [… ce n’est] jamais pour en faire l’inventeur d’une écriture ou plus généralement un créateur. Le mot auctor ne définit pas un individu social [mais] un acteur contingent » (Dupont, 2004, p. 171). Pour une critique de la position radicale du non-statut de l’auteur défendu par Dupont, voir Jouhaud (2004, p. 194). Compagnon donne un aperçu approfondi de la question de l’auteur dans la critique littéraire du xxe siècle en France (Compagnon, 1998, p. 49-99).

42 La conceptualisation d’un lien étroit entre écrivain, auteur et texte apparaît historiquement à la fin du xviie siècle, dans un contexte où l’œuvre littéraire est précisément imprimée et circule sous un mode de publication différent. Jouhaud note à cette date une rupture significative dans l’usage commun du mot français auteur : l’auteur devient celui dont les livres ont été imprimés (Jouhaud, 2004, p. 193). Pourtant, dès l’Antiquité déjà, le livre légitime un certain geste d’écriture et participe d’un lien étroit de dépendance du livre à son auteur, le représentant à l’occasion (Ovide, Tristia, 1, v. 1-2). Si l’on pense à l’objet-livre, dès l’Antiquité déjà c’est le nom d’auteur figurant sur une étiquette (sittybi ou indices) et divers titres (Houston, 2014, p. 8-9; Caroli, 2007, p. 28-52) qui permettent, par la fonction classificatoire dont est doté l’auteur (Foucault, 1969), de regrouper, de délimiter des textes, d’en faire des ensembles distincts d’autres ensembles, d’archiver et finalement de reconnaître un ouvrage.

43 La fonction-auteur est la « caractéristique du mode d’existence, de circulation et de fonctionnement de certains discours à l’intérieur d’une société » (Foucault, 1969, p. 83).

44 Le versificateur peut être un poète itinérant ou un employé d’une officine rétribué pour sa tâche, ou encore un membre de la famille, un ami voire le défunt lui-même qui a composé le texte avant sa mort (Caroll, 2008, p. 47).

45 Scriptor semble renvoyer, dans un contexte épigraphique, uniquement à la personne qui inscrit effectivement le texte. Une inscription en fait état : « épargne, écriveur de slogans, cet ouvrage qu’on accable de deuil, qu’en retour ta main reporte souvent les noms de futurs préteurs » (CLE 1466, v. 3-4 : parce opus hoc scriptor tituli quod luctibus urgen[t] / sic tua praetores saepe manus referat). Sur le vocabulaire technique de l’épigraphie, voir Rossi (1993, p. 89-91). Scriptor semble pourtant avoir rarement ce sens exclusivement technique (Kruschwitz, 2010, p. 116).

46 Il s’agit de l’une des approches qui a connu le plus de succès dans l’étude des carmina (Gamberale, 1988, p. 495), Sur la remise en question de ce type de recherches et ses limites, voir Most (2016).

47 Les graffiti semblent échapper partiellement à cet écueil, puisqu’ils relèvent de l’appropriation de l’espace scriptural, d’une forme de « littérature sauvage » (Saint-Amand, 2016), d’écriture en tant que telle, qui joue sur sa propre autoréférentialité (Fraenkel, 2007, p. 105), ainsi que sur celle des inscriptions avec lesquelles elle partage l’espace (Milnor, 2014, p. 64), sans volonté ou nécessité de construction auctoriale.

48 Dupont préfère quant à elle décrire l’auctor comme « l’homme des commencements », un « novateur dans la continuité » (Dupont, 2004, p. 172). Cette dimension est consacrée par l’usage : auctor est l’origine d’un peuple ou d’une famille (Thesaurus linguae Latinae 1204.30 et suiv.), mais aussi d’un comportement moral (TlL 1204.31 : moris institutor « instituteur de la tradition »), avant de devenir, par métaphore, un fondateur de genre littéraire (Horace, Ars Poetica, v. 77) ou d’un texte (TlL 1207.25-1210.2). Cette notion émerge avec la génération des poètes augustéens, refondateurs des genres littéraires grecs (Pierre, 2016, p. 266). C’est de là que l’auctor commencera lentement à devenir notre auteur.

49 En ce sens l’« auteur » est « notre solide fil conducteur dans les vastes domaines du passé […], la chaîne qui li[e] chacune des générations successives à un aspect prédéterminé du passé » (Arendt, 1972, p. 124).

50 Il est possible de voir également dans la figure du dédicant d’une inscription funéraire, une figure d’auctor du monument et de la dédicace au mort. Dans ce cas, il s’agit d’une stratégie représentative qui permet au dédicant de prendre part à l’auctoritas du mort pour mettre en avant ses propres qualités morales, notamment sa piété à l’égard du défunt, et ainsi lui assurer une reconnaissance publique et durable.

51 « L’auteur dans ce cas n’est pas le constructeur mais celui qui a inspiré l’entreprise et dont l’esprit, par conséquent, bien plus que l’esprit du constructeur effectif, est représenté dans la construction elle-même. À la différence de l’artifex, qui l’a seulement faite, il est le véritable “auteur” de la construction, à savoir son fondateur ; avec elle il est devenu un “augmentateur” de la cité » (Arendt, 1972, p. 161). Or, artifex est lui aussi un terme technique dérivé de ars et de facere, comparable dans notre cas au versificateur sur quelques facteurs sociaux-économiques et culturels qui font de l’écrivain antique un auteur, voir Salles (2010, p. 43-93).

52 Cet état de fait du poète de métier est un topos antique bien connu et exploité par Platon (Ion, 532b).

53 S’il n’y a pas reconnaissance poétique du versificateur, on peut néanmoins faire l’hypothèse d’une rétribution ou d’une reconnaissance économique, qui constitue l’une des nombreuses facettes de la définition actuelle de l’auteur (Dubois, 2005, p. 161-162; Bokobza Kahan, 2009, § 27-28).

54 Cela est tout particulièrement valable pour les Romains, parce « qu’en toutes circonstances les ancêtres représentent l’exemple de la grandeur pour chaque génération successive, qu’ils sont les maiores, les plus grands, par définition. » (Arendt, 1972, p. 157).

55 Cette seconde expression idiomatique signifie « je conseille » chez Cicéron (Gavoille, 2017).

56 L’étude de ces dynamiques, révélées par l’intertextualité, a fait l’objet des travaux fondateurs de Conte et Barchiesi (1989 ; Conte, 1986).

57 Cette réévaluation anime depuis quelques années les études sur la poésie. À ce titre, les liens d’auctorialité des lecteurs des œuvres classiques a fait récemment l’objet d’un colloque tenu en Sorbonne et intitulé « Lector in poematis. Le lecteur dans la poésie gréco-latine » [29-01.10. 21].

58 L’un des exemples de transformations des modalités épigraphiques intervenant avec le christianisme est la série des epigrammata Damasiana, poèmes composés par le pape Damase puis gravés sur pierre (Trout, 2015, p. 41). Ce cycle participe, à la fin du ive siècle de notre ère, de la construction d’un paysage chrétien inscrit à des fins liturgiques. Les textes sont composés par un auteur identifié et porteur d’autorité, le pape, qui versifie avant de faire inscrire de façon monumentale.

59 Le processus dynamique de la lecture romaine se trouve profondément modifié par ce nouveau conditionnement qui ne suppose plus une activation par la performance (Dupont, 1994, p. 266). L’entreprise de préservation de l’Antiquité passera pourtant tout entière et de manière triomphante par le livre (Agosti, 2010, p. 18-19).

60 Sur l’importance du livre et la pratique d’une lecture attentive, critique, déjà d’une certaine façon philologique, voir Cavallo (2010, p. 13).

61 Cette édition mentionne explicitement, dans sa préface (p. iii), les diverses origines des poèmes qui la composent : Anthologia Latina tripartita est, quia partim e codicibus manu scriptis, partim ex ceteris litterarum Romanarum auctoribus, partim ex inscriptionibus est conflata, « l’Anthologie latine est tripartite, parce qu’elle est constituée d’une part à partir des manuscrits, d’une part à partir des autres auteurs des lettres latines et d’autre part à partir des inscriptions ».

62 Bien que Riese insiste à plusieurs reprises, dans sa préface, sur l’attribution de pièces à des auteurs, qu’ils soient connus ou inconnus (« j’ai dit que l’auteur est… », auctorem… dixi (Anth. I, p. viii)) et qu’il en fournisse une liste (Anth. I, p. 34 et suiv.), les CLE sont présentés sans aucune explication liminaire. Ils sont sélectionnés et organisés sur la base de critères métriques et selon une organisation que Schmidt nomme “eidographic order” (Schmidt, 2014, p. 771). Mais la sensibilité de l’éditeur joue également un grand rôle, comme le déclare Bücheler lui-même à propos des commatica, des poèmes mêlant parties de vers et prose (ad CLE 1851) : Aliquot tamen exempla ideo adiungere placuit quod etiam neglecta carminum ratione satis memorabiles titulos existimabam (« Il m’a paru opportun pourtant d’en ajouter quelques exemples pour la raison que j’estimais ces épitaphes assez dignes de mention, même si elles ne tiennent pas compte des règles des poèmes »). L’appréciation seule du philologue rend ces textes partiellement métriques littéraires.

63 La publication du premier volume du Corpus Inscriptionum Latinarum, qui se veut être une édition de toutes les inscriptions latines, date de 1863.

64 Cela même alors que le texte gravé est unique et n’est pas une construction reposant sur une collation de manuscrits portant des variantes. Dans ce cadre, c’est la discussion de Cerquiglini sur l’autorité de l’éditeur qui a fait date (Cerquiglini, 1989). Sur le rôle du philologue-éditeur, voir aussi Jacob (1999, p. 16-18). Paradoxalement, l’autorité de l’éditeur tient précisément à ce qu’il présente, à la suite du texte, un apparat des variantes textuelles rejetées qui laisse tous ses choix critiques apparents (Rabau, 2008, § 22).

65 Pour cette critique, voir Schmidt (2008, p. 378).

66 Le projet d’édition livresque du volume XVIII du Corpus Inscriptionum Latinarum consacré aux carmina s’inscrit dans la même volonté d’exhaustivité de créer un « livre-monde », trait qui caractérise tout autant l’entreprise tardo-antique que celle des modernes (Agosti, 2010, p. 21-22).

67 Cette question, appliquée aux carmina, a pris récemment une tournure médiatique puisqu’elle a été soulevée dans un article de The Guardian (08.09.2021, URL : https://www.theguardian.com/books/2021/sep/08/i-dont-care-text-shows-modern-poetry-began-much-earlier-than-believed [accès le 15.09.2021]). Tim Whitmarsh, après s’être rendu compte du caractère poétique d’une inscription grecque, déclare en conclusion : « La raison pour laquelle personne ne l’a considérée comme un poème auparavant est qu’elle n’est pas classée aux côtés des œuvres littéraires, mais comme une inscription », (« The reason no one has thought about it as a poem before is because it’s not catalogued alongside works of literature, it’s catalogued as an inscription »).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Dylan Bovet, « Faire littérature autrement »Itinéraires [En ligne], 2022-2 | 2023, mis en ligne le 30 mai 2023, consulté le 10 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/itineraires/12595 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/itineraires.12595

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Auteur

Dylan Bovet

Université de Lausanne, Institut d’Archéologie et des Sciences de l’Antiquité

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Droits d’auteur

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Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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