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La race est dans les mots, les signes et les discours

Présentation du numéro
Race Lies in Words, Signs and Discourses. Presentation of the Issue
Marie-Anne Paveau

Texte intégral

Je suis attachée aux savoirs comme les vieilles sorcières sont attachées aux onguents. Je suis attachée à un savoir enveloppant et pétri des émotions qui le précèdent et l’ont vu naître. Je tiens à un savoir qui puisse initier chacun d’entre nous à une manière saine et juste d’être au monde.
Rachida Brahim, La race tue deux fois
 
J’aurais pu, dans le style habituel des universitaires européens, offrir une conclusion neutre et détachée : une sorte de synthèse scholastique, émaillée de critiques et nuances. J’aurais pu, en somme, apporter la preuve que je n’adhère pas à l’intégralité des idées parfois scandaleuses qui ont été développées dans les pages qui précèdent, en suggérant doctement que la réalité est plus compliquée que ces affaires de Noirs et qu’il importe finalement d’offrir une vision des choses plus contrastée. Cependant, ma conviction est que la vérité est de la famille de la subtilité, c’est-à-dire de l’extrémisme de l’argumentation, mais qu’elle est étrangère à la nuance, c’est-à-dire la pleutrerie du concept, qui prend peur devant les conséquences de sa propre démonstration.
Norman Ajari, Noirceur

1Cette livraison constitue le deuxième volet du numéro « Race et discours », dont le premier est paru en juillet dernier (Ghliss et Paveau coord. 2022). Ce travail sur les rapports entre race et discours s’inscrit dans un mouvement actuel, de moins en moins minoritaire mais toujours controversé dans le contexte français, de prise de conscience par les chercheur·es, en particulier en sciences humaines et sociales, du travail de la race dans les expériences de vie, les dispositifs institutionnels, les fonctionnements politiques, les rapports sociaux et, partant, la production des discours.

2La présentation du numéro 1 faisait un tour d’horizon des courants, travaux et publications sur la question au niveau international, mentionnant notamment les recherches étatsuniennes et latino-américaines (épistémologie du point de vue, féminismes noirs, études intersectionnelles, études critiques de race, études postcoloniales, études décoloniales). On revient ici plus en détail sur le paysage français, de manière à situer précisément les articles de ce numéro dans leur histoire et leur contexte scientifique et politique.

La question de la race dans les recherches françaises en sciences humaines et sociales

3On le sait, la situation française est particulière par rapport à d’autres aires géographiques et culturelles, comme les États-Unis ou le Brésil par exemple, où la race comme mot et comme concept font partie des catégories usuelles mobilisées dans la vie sociale et la recherche. Dans le contexte français, l’emploi même du mot race est encore débattu, parfois interdit (le mot a été supprimé de la Constitution française en juillet 2018) et souvent soupçonné de produire du racisme, dans une mise en équivalence entre le mot et la chose (Devriendt, Monte, Sandré 2018). Que « les races n’existent pas » a désormais en France le statut d’évidence ou d’« argument d’autorité » (Belkacem, Direnberger, Hammou, Zoubir 2019) ; mais, comme le dit Norman Ajari de manière critique, on y reviendra, c’est aussi un « mantra » (Ajari 2019). Des travaux de plus en plus nombreux interrogent cependant cette affirmation, et se sont d’ailleurs multipliés depuis le lancement de l’appel pour ce numéro d’Itinéraires (janvier 2020). Colette Guillaumin, si souvent citée pour son emblématique énoncé « Non, la race n’existe pas. Si, la race existe », avait ouvert la voie dès 1972, mais son travail est longtemps resté invisible, ou inaudible, dans le champ français (Guillaumin 1972, 1981). À partir des années 2000, des recherches, notamment en histoire, philosophie, sociologie et science politique plaident pour une prise en compte de la race pour penser la société. En 2006, Elsa Dorlin publie La matrice de la race, qui montre comment les catégories de sexe et de race s’auxilient l’une l’autre pour construire des hégémonies et des stigmatisations (Dorlin 2006). En 2006 également, le collectif dirigé par Didier et Éric Fassin, De la question sociale à la question raciale. Représenter la société française, déploie largement la question dans ses complexités et ses entrecroisements, aux lendemains des émeutes de 2005, et montre que les discriminations raciales ne se réduisent pas à la relégation économique, mais engagent la structure de l’ensemble de la société française (Fassin et Fassin coord. 2006). En 2008, Pap N’Diaye fait entrer les études noires dans la recherche française, par son ouvrage La condition noire. Essai sur une minorité française, dans lequel la race et la couleur sont présentées comme des rapports et des marqueurs sociaux (N’Diaye 2008). En 2009, le collectif dirigé par Elsa Dorlin, Sexe, race, classe, pour une épistémologie de la domination, signe le début de la naturalisation de la notion d’intersectionnalité dans les sciences humaines et sociales françaises, même si cette notion continue de faire débat (Dorlin coord. 2009). La philosophe souligne dans l’introduction que « dans le débat actuel sur le racisme et ses mutations, la question de “Qui parle ?” est quasiment absente des travaux de recherche ; et cela est d’autant plus problématique au moment où la “race” semble refluer avec une intensité décuplée » (Dorlin 2009 : 14). Pour la philosophe Magali Bessone, « les races existent par construction, par sélection arbitraire de certains traits érigés en signes différentiels, opérée dans des contextes historiques où cette sélection servait un système d’organisation politique, économique et social » (Bessone 2013 : 19). Dans son ouvrage « Sans distinction de race » ? Une analyse critique du concept de race et de ses effets pratiques, elle explique pourquoi la question de la race est une question socio-politique, alors que la biologie traite de « mécanismes physiologiques de différences visibles ou de propriétés superficielles ». Elle définit la question des races comme le fait d’interpréter ces différences pour organiser l’humanité en sous-espèces hiérarchisées (Bessone 2013). L’historien Jean-Frédéric Schaub propose quant à lui de penser la race autrement que par la doxa de l’altérité. Il estime en effet qu’« un raisonnement de type racial répond en premier lieu à la nécessité de révéler des distinctions que l’œil n’identifie plus » (Schaub 2015 : 232). En ce sens, les processus de racialisation sont présentés comme des processus de différenciation et d’altérisation, d’autant plus virulents que l’écart entre groupes sociaux tend à disparaître. Dans un ouvrage récent, il retrace avec Silvia Sebastiani le parcours d’une notion qui est surtout un outil politique ayant permis de constituer les sociétés européennes d’Ancien Régime en fournissant aux dominant·es des critères de sélection et de relégation des personnes, de manière à installer des dominations durables (Schaub et Sebastiani 2022). Même la psychanalyse française, pourtant peu susceptible de (ou préparée à ?) remettre en question l’universalisme de l’inconscient, s’ouvre désormais, après le genre et sans doute un peu à cause de lui (Ayouch 2017), aux questions de race, comme le montre le livre de Livio Boni et Sophie Mendelsohn, La vie psychique du racisme (Boni et Mendelsohn 2021), précédé d’une première percée effectuée par Tamy Ayouch, dans Psychanalyse et hybridité, hybridations. Genre, colonialité, subjectivations (2018). Dans un champ plus proche des cultural studies étatsuniennes et de leur appropriation française, les sciences de l’information et de la communication, Maxime Cervulle, auteur en 2013 d’un ouvrage qui installe la question de la blanchité dans les SHS (Cervulle 2013), développe des recherches qui font une place à la race comme paramètre social et communicationnel (Cervulle et Freitas 2015 ; Cervulle 2017).

4Un ensemble de chercheur·es défendant des positions scientifiques plus politiques, à partir notamment de leur statut racisé dans la société et la recherche françaises, ont notablement infléchi les études consacrées à la question de la race en les nourrissant d’une culture scientifique et d’une expérience de vie peu partagée par les auteur·es précédemment cités. Ils et elles sont souvent lecteur·trices de Frantz Fanon (Fanon 1952, 1961), inspiré·es également par les études décoloniales latino-américaines et souvent militant·es décoloniaux·ales en France. La sociologue Nacira Guénif-Souilamas travaille depuis plus d’une quinzaine d’années sur la question de la race en montrant qu’elle constitue un angle mort pour le féminisme et plus largement l’universalisme français (Guénif-Souilamas 1999, 2004, 2005). Dans la même discipline, associée à l’histoire, Rachida Brahim a publié récemment un ouvrage important sur les crimes racistes en France, La race tue deux fois (Brahim 2021). La politiste Françoise Vergès développe la perspective décoloniale dans la recherche sur le féminisme (Vergès 2017, 2019). Du côté de la philosophie, Félix Boggio Ewanjé-Epée (également économiste) co-écrit avec Stella Magliani-Belkacem en 2012 un ouvrage remarqué, Les féministes blanches et l’empire, qui fait polémique (Boggio Ewanjé-Epée et Magliani-Belkacem 2012) ; la même année il coordonne avec elle Race et capitalisme, qui fait également événement (Boggio Ewanjé-Epée et Magliani-Belkacem 2012 coord.). Toujours en philosophie, Hourya Bentouhami-Molino travaille de son côté le concept d’état racial, considérant « le racisme postcolonial comme un analyseur privilégié de contradictions efficientes au sein de la structuration des rapports sociaux » (Bentouhami-Molino 2015). Elle a proposé récemment une relecture de l’œuvre de Judith Butler sous l’angle de la race, ce qui constitue sans doute un moment épistémologique fort : la race devient un paramètre à la fois su et formulé, et désormais décrit chez une chercheuse identifiée comme spécialiste d’une autre question, le genre (Bentouhami 2022). Norman Ajari, dans La dignité ou la mort. Éthique et politique de la race (Ajari 2019), donne quant à lui des définitions de la race opératoires en SHS, bien loin des positions normatives voire idéologiques qui prédominent encore en France : « Une race, ce n’est donc pas une couleur de peau, ni même un certain patrimoine biologique, mais l’agencement technique d’un monde. Et, plus précisément encore, une certaine organisation mémorielle. C’est dans un agencement techno-mémoriel qui ne cesse de la produire que se tient l’opposition du Noir et du Blanc » (Ajari 2019 : 250). Dans son dernier ouvrage, Noirceur. Race, genre, classe et pessimisme dans la pensée africaine-américaine au xxie siècle, il creuse cette définition dans le cadre de l’afropessimisme, et dans celui d’une critique du constructivisme qui domine en SHS, en expliquant que « la noirceur n‘est pas subjective, mais absolument objective. Elle s’enracine dans une mort sociale qui contamine aussi bien la politique que la culture » (2022 : 72). Dans cette perspective, la race est liée à la notion de fongibilité, que l’auteur emprunte à Hortense Spillers et Saidiya Hartman : « Cette notion désigne la propriété d’un certain type de marchandises : celles qui sont consommées par leur usage et sont remplaçables par d’autres biens de même nature, de même qualité et de même quantité. Les Noirs réduits en esclavages correspondent trait pour trait à cette définition » (Ajari 2022 : 52).

  • 1 Voir les informations sur les colloques, séminaires et publication sur le site du projet : https:/ (...)
  • 2 2020 : « Racismes et antiracismes : une approche clinique pluridisciplinaire », Colloque internati (...)
  • 3 2019 : journée d’étude « Le mot race », organisée à l’Université Paris 8 le 10 avril 2019 par Éric (...)
  • 4 2020 : revue Réseaux, publication d’un dossier « Médias et racialisation » ; 2021 : Revue Espaces (...)
  • 5 Voir le site de la revue : https://marronnages.org/index.php/revue.

5Ces travaux, quel que soit leur coefficient politique, ont en commun de ne pas prendre la race avec les pincettes des guillemets, mais de la considérer comme un point d’existence, un marqueur social et un rapport de pouvoir. La catégorie de la race est désormais activement travaillée, comme le montrent les nombreuses publications d’ouvrages et de revues, les manifestations scientifiques organisées récemment ainsi que les appels et projets lancés pour les mois ou les années qui viennent : une ANR importante, « Global race. Globalisation du référent racial » qui s’est terminée en 2019, a considérablement contribué au champ des études sur la race en France et laisse de nombreuses publications1 ; plusieurs colloques ont eu lieu ou se préparent2 ; de nombreux séminaires, journées d’étude ou ateliers se tiennent depuis quelques années et se continuent ou se préparent3 ; de multiples numéros de revue ont édité ou lancé des appels pour des dossiers intégrant la notion de race, dans des disciplines variées4 ; et une revue électronique francophone a été créée, Marronnages : les questions raciales au prisme des sciences sociales, entièrement dédiée « à l’analyse de la race, des racismes et de l’ethnicité dans le monde contemporain5 ».

6Tout se passe donc comme si toutes les disciplines des SHS, même celles qui, apparemment, ne semblent pas directement concernées par les questions de race (la géographie par exemple) ou qui sont les plus susceptibles d’y opposer des résistances conceptuelles (la psychanalyse ou l’histoire de la médecine), exprimaient la nécessité d’inscrire cette notion à leur agenda épistémologique. Et la parution récente d’un manuel dans la collection 128 chez Armand Colin, emblématique de la lexicalisation et disciplinarisation des notions dans les curricula universitaires, Sociologie de la race (Brun et Cosquer 2022), apparaît comme le signe fort de cette installation de la race dans la recherche et l’enseignement en SHS en France.

7En sciences du langage, dans le champ des approches sociales qui ont pourtant pour vocation de rendre compte de la manière dont les rapports sociaux s’intriquent dans les formes langagières, on est bien loin de cette abondance : pour l’instant, de très rares travaux isolés mobilisent la notion de race, et ce numéro double de la revue Itinéraires, que suivra dans quelques semaines un dossier de Langage & société (Paveau et Telep dir. 2022) vient donc combler un manque important.

L’état de la question dans les approches sociales du langage en France

8Par approches contextuelles du langage on entend l’analyse du discours, la sociolinguistique, les linguistiques interactionnelles, l’anthropologie linguistique, toutes approches qui conçoivent le sens comme une production située et non comme une seule donnée langagière, et qui réfléchissent à partir d’exemples ou de corpus de données empiriques. Dans les travaux collectifs précédemment cités, les linguistes sont absent·es et les recherches internes à la discipline ne se font pas avec ou à partir de la race mais le plus souvent, en analyse du discours en tout cas, sur les sens et usages du mot race, ou, le plus souvent, sur les marqueurs du discours raciste. Le titre d’un récent numéro de la revue Mots. Les langages du politique, illustre bien cette position en analyse du discours : « Dire ou ne pas dire la “race” aujourd’hui » (Devriendt, Monte, Sandré coord. 2018). La question posée, qui s’inscrit dans une interrogation posée par la revue depuis le numéro 18 (« Racisme et antiracisme. Frontières et recouvrements », Bonnafous et Taguieff coord. 1989), et reprise en 1992 (« Sans distinction de… race, no 33, Bonnafous, Herszberg, Israel coord. 1992), notamment à travers le titre de l’article de Simone Bonnafous et Pierre Fiala, « Est-ce que dire la race en présuppose l’existence ? » (Bonnafous et Fiala 1992) maintient donc le travail sur la race ou plus exactement sur ses expressions lexicales et discursives et reste aux portes du travail avec la race. L’introduction est claire à ce sujet :

[…] il s’agissait à la fois d’analyser, dans les discours existants, comment se dit ou ne se dit pas la « race » en France aujourd’hui, ce qu’en disent les usages, mais aussi, en particulier lorsque ces discours font apparaître des « conflits sémantiques » explicites, pourquoi dire ou ne pas dire la « race » – et en dernière analyse, si un discours antiraciste (qu’il soit scientifique, politique ou militant) le doit ou le devrait. (Devriendt, Monte, Sandré 2018 : 14)

  • 6 Sur la notion d’éliminativisme en ce qui concerne la race, voir Brun et Cosquer 2021.

9La dernière remarque situe en outre le numéro dans une perspective normative à laquelle il est encore difficile d’échapper dans le domaine des sciences du langage actuellement. Cette introduction fournit une recension très complète des travaux traitant des « usages lexicaux et discursifs de la “race” » et portant sur « des discours racistes, antiracistes, racialisants ». La perspective est donc celle des usages du mot et de la notion de race, et non celle de la race comme lieu d’expérience et par conséquent de parole. La perspective dominante en analyse du discours reste en effet le conditionnement du travail sur la race à celui sur les discours racistes ou racialisants, comme le montre par exemple un dossier publié en 2012 sur le « discours politique identitaire », cette désignation étant reformulée dans l’introduction par les expressions discours racialisant, discours raciste, identités discursives racialisantes (Hailon et al. dir. 2012). On peut donc dire que l’analyse du discours française tient, sur cette question, une position éliminativiste, conforme au discours d’État soucieux de maintenir la cohésion républicaine et l’unicité de la nation6.

10Pourtant, dès 1972, deux lexicologues ouvraient un chemin singulièrement contemporain. Dans un article intitulé « Le mot “nègre” dans les dictionnaires français d'Ancien régime ; histoire et lexicographie », Simone Delesalle et Lucette Valensi mobilisaient la notion d’ethnocentrisme et mentionnaient sans complexe et sans guillemets la catégorie de « l’homme blanc » :

Objet : formes de l’ethnocentrisme européen.
Sur le thème de l'altérité culturelle, plusieurs groupes d'enseignants et d'étudiants ont entrepris, de Vincennes, un nouveau voyage de découverte : celle de l'homme blanc. Avec des corpus différents et selon des méthodes d'approche diverses, il s'agissait de décrire quelle image de l'autre surgit de la culture occidentale, quelles sont les représentations collectives concernant l'Indien d'Amérique, le Noir, le Turc, le Maure, etc. (Delesalle et Valensi 1972 : 79)

11Elles montraient dans ce travail que les définitions du mot nègre dans les dictionnaires témoignent d’une absence de représentation lexicale, voire d’une inexistence (Norman Ajari dirait d’une fongibilité), des personnes désignées par le mot. Après avoir souligné qu’il n’existe pas d’entrée nègre dans les dictionnaires entre 1552 et 1769, elles en concluaient :

Donc, malgré les grandes découvertes, les rédacteurs de dictionnaires méconnaissent et l'Afrique, et ses habitants et la traite dont ils sont victimes. Alors que le Nègre existe comme chose et comme mot en usage, il est occulté comme mot en mention. Il s'agit là, non pas d'une absence fortuite et innocente, mais d'un acte de censure, qui trahit l'embarras résultant de l'existence des Nègres comme peuples et comme esclaves (Delesalle et Valensi 1972 : 83).

12Mais surtout, les deux linguistes insistaient sur la dimension idéologique du discours lexicographique, lui-même présenté comme une technique de brouillage de deux discours à l’œuvre dans le dictionnaire, discours didactique et discours idéologique :

Dans tous ces textes, marques d'énonciation et technique lexicographique concourent d'une manière extrêmement liée au succès de l'entreprise de brouillage. Autrement dit, il est difficile de séparer ici technique et idéologie : tout se passe comme si, à l'intérieur du discours didactique, se jouait un combat entre deux discours polémiques, le premier ouvert et repérable (anti-esclavagiste), et vaincu par l'autre (occultation et justification), en tant qu'il a à son service tout un appareil technique prétendument neutre. En quelque sorte, ce serait grâce à son didactisme même que le dictionnaire tirerait sa plus grande force polémique. (Delesalle et Valensi 1972 : 101)

13Cet article ne semble pas avoir eu de suite notable en lexicologie-lexicographie ou en analyse du discours, mais il constitue sans doute un modèle d’investigation à explorer sur d’autres mots, et sur les 50 ans de corpus dictionnairique qui se sont ajoutés depuis 1972.

14On trouve dans les linguistiques sociales françaises de rares travaux qui ont choisi de travailler avec la race, comme point d’énonciation et paramètre de production/réception des discours. On peut citer la thèse de Glória França, Genre, race et colonisation : la brésilianité dans le regard touristique en France et au Brésil, préparée en France et au Brésil, à partir de l’analyse du discours dite française, dans la filiation d’Eni Orlandi. Rédigée en portugais et soutenue au Brésil, elle met en place une approche intersectionnelle croisant genre et race (França 2018). Dans une perspective sociolinguistique et plus largement anthropologique, Suzie Telep pose la question à travers la notion de « whitisation symbolique », ensemble de pratiques langagières et sémiotiques consistant, pour des sujets racialisés, à occidentaliser leur manière de parler et de se présenter, notamment sur le plan phonostylistique (Telep 2017, 2018, 2019). Elle propose notamment la notion de « performativité raciale » qui intègre de fait la race dans la théorie pragmatique. Des articles ou communications récentes abordent aussi, centralement ou partiellement la question de la race dans le traitement des discours (França 2019 ; Gleo 2019 ; Paveau 2016, 2017, 2019). Il faut préciser que l’analyse du discours au Brésil, étroitement liée à l’analyse du discours française, a entamé ce travail depuis quelques années, comme le montrent certains travaux (par exemple França 2017, 2019 ; Cestari et França (dir.) 2018 ; Modesto 2018 ; Cestari et Nogueira 2019 ; Zoppi-Fontana 2018).

Le sujet racial, sujet de la langue et du discours

15On aura compris que, comme dans le premier volet de ce numéro, le mot et la notion de race sont assumés comme tels, ce qui implique une prise de position, formulable de la manière suivante : la race existe car elle se manifeste, selon les définitions choisies, en termes de rapport de domination et de hiérarchisation, ou en termes de conditions objectives d’existence, via des dispositifs sémiotiques et des configurations discursives. C’est ce que posait Colette Guillaumin dès 1981 : « Que la race soit un fait de nature ou pas, qu’elle soit un “fait mental” ou pas, elle est aujourd’hui, au xxe siècle, une réalité juridique, politique, historiquement inscrite dans les faits, et qui joue un rôle effectif et contraignant dans les sociétés concernées » (Guillaumin 2016 : 209).

16Toutes les réalités du monde étant liées aux sujets qui y évoluent, on posera que travailler avec la race en analyse du discours, c’est interroger la question du sujet. Penser un sujet situé, c’est le penser dans toutes ses conditions, comme sujet genré, classé socialement, marqué culturellement, déterminé par l’âge, etc. mais aussi racialement : le sujet du discours est donc aussi, entre autres, un sujet racial. Mais qu’entendre par là ?

17On ne dépliera pas ici ce que Norman Ajari appelle le « mantra » des SHS, la race comme construction sociale, largement arpenté dans les travaux en sociologie notamment, mais on essaiera de le dépasser en problématisant la race pour la perspective linguistique en analyse du discours. L’approche constructiviste, en effet, présente le risque d’évacuer la catégorie elle-même, ce que soulignait Fabrice Dhume dès 2010 :

Défendre une telle approche constructiviste ne doit justement pas s’éteindre dans un « constructionnisme vulgaire » qui, considérant que toutes les catégories sociales sont construites, balaierait d’un geste la pertinence de leur caractère de ressource pour les luttes des minorisés. […] L’approche constructiviste n’a pas à substituer à un surplomb essentialiste un abîme relativiste. Il s’agit au contraire d’accepter ces catégories dans leur paradoxe, et de voir que ce paradoxe constitue aussi un front possible de résistance aux effets de pouvoir catégoriels. (Dhume 2010 : 63)

  • 7 L’interprétation de la race comme ensemble de pratiques et processus de socialisation suppose que (...)

18Pourtant, il semble que ce soit cette version constructiviste qui se soit imposée dans les sciences humaines et sociales françaises, comme le montre l’entreprise définitoire accomplie par Solène Brun et Claire Cosquer dans le petit manuel mentionné plus haut, et que l’on trouve également dans un article récent. Dans « Déconstruire l’“identité”, théoriser la race. Des catégorisations aux pratiques » (Brun et Cosquer 2021), les deux sociologues défendent en effet une conception triadique de la race, qui associerait des processus d’auto-identification et d’assignation, mais également des pratiques sociales. Elles se proposent d’« interroger la race comme ce que l’on fait plutôt que comme ce que l’on est, explorant ainsi les différentes propositions théoriques qui permettent de penser la race comme principe d’action et de pratiques, comme performance réitérative ou comme incorporation de dispositions » (Brun et Cosquer 2021 : 33). Pour soutenir l’idée d’une « théorie pratique de la race », elles font appel entre autres à la théorie du genre de Judith Butler, estimant que l’idée d’une réitération performative du genre s’applique également à la race : « Ce faisant, il est possible de concevoir la race comme une “réalisation située de membres de la société́”, c’est-à-dire non pas une caractéristique possédée par des individus, mais comme une propriété́ qui se réalise dans l’interaction avec autrui – ou un accomplissement pratique » (Brun et Cosquer 2021 : 39). Dans l’ensemble de leur argumentation cependant, certaines dimensions manquent peut-être : la dimension historique d’abord, qui pourrait relativiser les notions de pratique et d’interaction, donnant à la « performance raciale » une dimension agentive et presque intentionnelle7, pour rappeler qu’à certains moments de l’histoire, et dans certains contextes actuels, c’est la brutalité de l’assignation raciale qui prévaut ; mais également les dimensions mémorielle et existentielle, fracturées et déchirées par la déshumanisation de la racialisation, que mobiliserait sans doute un point de vue de personne racisée.

19On complètera donc cette conception externaliste et peut-être trop agentive de la race par des approches qui intègrent l’histoire, la mémoire et l’expérience de la racisation, telles que les fournissent par exemple Norman Ajari et Rachida Brahim.

  • 8 Il est question ici de l’afropessimisme, selon lequel l’antiracisme et d’une manière générale l’id (...)

20Norman Ajari développe une critique robuste du constructivisme dominant dans les conceptions de la race en SHS actuellement : « Entretenir l’idée d’une fluidité ou d’une hybridité de la condition noire a certes une pertinence sur le plan culturel. Mais sur le plan des questions de vie ou de mort, de déshumanisation et de dignité, une approche centrée sur l’hybridité ou le caractère “socialement construit” de la noirceur n’est qu’une autre façon de conjurer la menace du pessimisme8 et de reconstruire, sans aucune justification que le besoin de (se) rassurer, un grand récit trompeur du progrès » (Ajari 2022 : 21). Dans La dignité ou la mort, il mentionnait une essence noire, constituant une « historicité profonde » définie par les trois éléments suivants : « l’expérience vécue, malgré des altérations importantes, d’un maintien de modes de domination issus du passé, qui persistent à la manière d’images rémanentes » ; « l’existence et la transmission d’un passé, et notamment d’une culture de luttes, d’hostilité à ces formes d’oppression » ; « la présence d’un habitus et/ou de marqueurs physiques qui trahissent l’appartenance à un groupe subalterne, auquel il est dès lors renvoyé malgré lui par l’ordre social » (Ajari 2019, chap. 3). À cette conception de la race comme essence de nature historique et expérientielle, Norman Ajari articule la notion de « puissance de signifier » pour un individu racisé : « Par “puissance de signifier”, j’entends la possibilité de se présenter dans l’espace public en tant que Noir (ou Arabe, ou musulman) afin d’y faire valoir ses intérêts collectifs […] au premier rang desquels le droit à une vie digne d’être vécue » (Ajari 2019, Introduction).

21Dans La race tue deux fois, la sociologue Rachida Brahim met également en avant l’histoire et l’expérience pour parler de la race et du racisme : « Le racisme postcolonial est un long désastre qui sait taire sa source. Il puise sa force dans l’anéantissement de notre historicité. Il est un vide dans lequel nous devons néanmoins croître sans assises et sans certitudes, mais avec ces mille fragments de postmémoire qui tailladent quotidiennement nos esprits et l’aisance avec laquelle nous pourrions être au monde » (Brahim 2021 : 5). Mentionnant les listes des personnes tuées par le racisme postcolonial, elle propose une définition en filigrane de la race bien loin des réitérations performatives et des pratiques sociales :

Nous tenons des listes d’hommes tombés sous les coups du racisme pour dire que nous refusons catégoriquement d’être violentés en raison de notre visage, de notre nom, de notre filiation. Nous dressons religieusement ces listes parce que nous nous souvenons des grands-parents que nous n’avons pas connus et des petits-enfants que nous n’avons pas encore. Ce geste, quand bien même il n’aurait pas la matérialité d’un monument aux morts, relève d’un acte patrimonial. L’élaboration de ces listes a été guidée par la volonté de laisser une trace et un témoignage sur l’époque au cours de laquelle elles ont été compilées. Plus qu’une comptabilité macabre, elles livrent des éléments sur l’état des rapports sociaux. Répéter régulièrement que des hommes meurent en raison de leurs stigmates, c’est dire la précarité de certaines vies, l’adversité d’une condition et les formes extrêmes que peut prendre l’exclusion. (Brahim 2021 : 8)

22La race, c’est donc ici un « visage, un « nom », une « filiation », ou ce sont des « stigmates » : ce champ lexical est davantage celui des propriétés que des pratiques sociales et des processus de socialisation ; il s’agit davantage d’une déshumanisation de traits de l’être que d’une racialisation à partir « des performances, des pratiques, des hexis corporelles, voire des habitus » (Brun et Cosquer 2021 : 42).

23Dans ces deux conceptions, qu’il s’agisse d’un rapport de domination, d’un ensemble de pratiques sociales, de l’expérience ou de la mémoire, la race est de toute façon constitutive du sujet, ce qui permet de parler de sujet racial ; elle apparaît ainsi comme un point d’énonciation (Paveau 2019), ce que l’ensemble des articles développe.

Composition du numéro. Des travaux critiques, entre « activisme et théorie9 »

  • 9 Ajari 2022 : 13.

24L’objectif du numéro est de penser le discours avec, ou même dans la race, le discours étant entendu comme toute production sémiotique verbale ou hybride regardée dans son environnement écologique de production, c’est-à-dire in situ, à partir des coordonnées de tout·e locuteur·trice, coordonnées expérientielles, sociales, politiques, économiques, géographiques, etc. Penser le discours avec ou dans la race signifie donc développer une activité discursive à partir d’un point de vue qui intègre le critère racial. Les articles qui composent cette livraison sont tous, à des degrés divers, des articles critiques, intégrant pour certains une dimension politique : par critique on veut dire que le·a chercheur·e se risque à évaluer les théories et méthodologies de son champ de travail, à en jauger la validité et à proposer le cas échéant de meilleurs dispositifs d’analyse ; par politique, on entend une pratique de la recherche qui se construit entre autres critères à partir de sa capacité à parler du monde et à proposer aux sujets qui y évoluent des possibilités pour le rendre plus habitable. On pourra penser que cette position, que résument les deux exergues de ce texte, relève d’un activisme ou d’un militantisme incompatibles avec la pratique de la recherche ; mais on répondra que la revendication de la « neutralité » de la science, de son « objectivité » ou de la fameuse « distance » nécessaire à la pratique scientifique sont les autres noms d’un engagement pour le maintien des pouvoirs constitués et des hégémonies installées : « La posture non militante revendiquée par certains chercheurs présuppose une approbation des conditions sociales de production de la recherche et de ses buts. […] Dans son concept même, la “neutralité” de la théorie “non militante” ou traditionnelle est un militantisme radical en faveur de l’ordre du monde actuel » (Ajari 2022 : 16-17). Sur une question comme la race, mais en fait sur toutes les questions susceptibles d’être traitées dans la recherche scientifique, la position critique et politique, dont l’épistémologie du point de vue a d’ailleurs depuis longtemps montré les fécondités, est celle que la majorité des auteur·es du numéro ont choisie.

25Il se compose de deux parties : l’une, « Corps, genres, expériences noires », traite de la race en relation avec le genre, à partir de plusieurs aires géographiques et culturelles (Brésil, Côte d’Ivoire, États-Unis), et dans différentes perspectives, les approches féministes recevant une critique à partir des Black Male Studies ; l’autre, « Formes de savoir, réflexivités, espaces de racialisation », envisage la race à partir des manières dont elle se construit, en particulier dans l’activité d’enquête et de production des savoirs par les chercheur·es elleux-mêmes.

26La première partie s’ouvre sur le travail de trois chercheur·es brésilien·ne·s autour des rapports entre race et langue. Dans « Le “pretuguês”, la langue maternelle et les discours fondateurs de la brésilianité », Lauro Jose Siqueira Baldini, Mariana Jafet Cestari et Tyara Veriato analysent les relations entre le corps féminin racialisé, l’image et la langue dans les discours fondateurs de la brésilianité. Illes montrent comment la figure idéalisée et stéréotypée de la « Mère noire » y est mobilisée, associée à l’africanisation de la langue portugaise, reformulée en « pretuguês » par la philosophe féministe noire Lélia Gonzalez : contre le mythe de la démocratie raciale, et l’idéalisation d’un contact harmonieux entre le colonisateur portugais, les Africain·es esclaves ou descendant·es d’esclaves et les populations autochtones, la Mère noire apparaît comme une figure de résistance à la violence raciste de la colonisation et un personnage fondateur de la culture brésilienne. De l’autre côté de l’Atlantique, sur le continent africain, Danielle Lezou-Koffi analyse une autre figure de femme noire, la « vraie femme africaine ». Dans un article intitulé « #VraieFemmeAfricaine. Analyse des matérialités discursives d’un stigmate », la chercheuse ivoirienne montre comment le hashtag permet de construire et de faire circuler de nouvelles conceptions du féminisme chez les militantes noires africaines qui prennent la parole sur les réseaux sociaux, espace discursif qui fonctionne aussi comme lieu d’autorisation de parole. De la Côte d’Ivoire, le·a lecteur·trice remontera ensuite vers la France et retournera au Brésil, en découvrant l’article de Noelle Gnenonsegouet Gleo et Glória França, « “Moi, la noire docteure” : penser une prise de parole de femme noire/décoloniale à la première personne ». Ce travail dresse une comparaison entre deux ouvrages d’autrices du Sud global, Giovanna Xavier et Maboula Soumahoro, qui ont en commun le féminisme noir et la conception située de la production des savoirs. Les auteures interrogent la manière dont l’analyse du discours sur le sujet et sur le sens devrait être repensée à partir de l’étude de la dimension constitutivement raciale et genrée des discours, en mobilisant les deux catégories du silence et des lieux d’énonciation. En contrepoint, Norman Ajari propose une critique argumentée des propositions des féminismes noirs et du paradigme intersectionnel, à partir de la pensée du philosophe Africain-Américain Tommy J. Curry et du champ des Black Male Studies. Dans « En conversation avec la mort. Tommy J. Curry et les discours philosophiques de la masculinité noire », il souligne que la philosophie sociale et la théorie critique ne pensent pas une condition masculine noire marquée par l’indigne et la violence sociale, la masculinité noire étant par ailleurs disqualifiée comme lieu d’énonciation dans les études de genre et la théorie féministe actuelles, qui supposent que les hommes noirs bénéficient d’un certain privilège social en raison de leur genre : il existe selon lui une incohérence de la pensée féministe noire et intersectionnelle, qui refuse d’un côté l’universalité du masculin et du féminin, mais de l’autre évalue toujours les positions des Noirs par rapport à celles des femmes et hommes blancs.

27La seconde partie rassemble des textes réflexifs, dont les auteur·es, comme les vieilles sorcières de Rachida Brahim, sont attaché·es au « savoir enveloppant et pétri des émotions qui le précèdent et l’ont vu naître ». Dans un article hors normes à tous points de vue, entre réflexion et création, autobiographie et écriture scientifique, anthropologie et cuisine, Marc Jahjah explore de manière subtile et détaillée les processus de fétichisation et de typification raciales qu’il a personnellement expérimentés sur une célèbre application de rencontres entre hommes, Grindr. Son article, « “T’es intelligent pour un arabe !”. Auto-ethnographie d’un corps colonisé. Une épistémologie du mezzé libanais », a pour but de montrer, à partir d’extraits de conversations sur l’application ou au cours de ses rencontres, que des corps perçus comme « arabes » sont décrits et formulés selon des scripts et des stéréotypes raciaux et sexuels installés dans les mentalités par la colonisation. Dans une perspective auto-réflexive analogue, mais centrée sur la carrière universitaire, Lissell Quiroz, à partir de son parcours de femme racisée née au Pérou, propose une réflexion sur la manière dont la race affecte le parcours scientifique des personnes racisées. Dans « Race, discours et colonialité. Analyse autoréflexive à partir d’une expérience située », elle montre, en se situant dans le paradigme décolonial latino-américain, que la colonialité du savoir est à l’œuvre dans le monde académique et produit certains effets identifiables. Ces effets sont également produits, avec une polarité inversée, « de l’autre côté » de la racisation, c’est-à-dire chez les chercheur·es blanch·es : dans un article intitulé « Comment pensent les chercheuses blanches. Propositions épistémologiques et méthodologiques », Marie-Anne Paveau aborde la notion de blanchité, définie comme un rapport de pouvoir et un rapport au savoir, et décrit les problèmes scientifiques et politiques qu’elle pose dans la pratique de la recherche. À partir de l’expérience de sa propre blanchité et d’une remise en question de l’évidence de cette catégorie, elle formule des propositions pour un positionnement de recherche qui intègre la blanchité et développe l’hypothèse linguistique d’une énonciation blanche à partir de données relevant de la linguistique profane. Le numéro se clôt sur une promenade scientifique dans les rues de Bordeaux, à la recherche des paysages raciaux : dans « Race et espace : la ville comme lieu d’étude des représentations raciales », Mélodine Sommier analyse les relations complexes entre les discours sur la race, le passé colonial et le cadre républicain universaliste spécifique à la France, et révèle le lien entre les discours sur la race et le néolibéralisme, notamment dans le centre-ville où magasins et restaurants mobilisent des marqueurs d'altérité exotiques pour favoriser la consommation.

28Ce paysage racial, inscrit dans les signes linguistiques montrés d’une ville française, matérialise finalement le contenu de l’ensemble du numéro : oui, la race est bien dans les mots, les signes et les discours, et cette réalité langagière et discursive constitue un objet nécessaire pour les linguistiques sociales. Un « nouveau voyage de découverte » s’impose, selon la formulation de Simone Delesalle et Lucette Valensi il y a exactement cinquante ans, voyage qui amènera la recherche en linguistique au plus près des réalités, des expériences et des existences des sujets.

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Bibliographie

N.B. tous les liens ont été vérifiés le 25.07.2022

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Notes

1 Voir les informations sur les colloques, séminaires et publication sur le site du projet : https://global-race.site.ined.fr.

2 2020 : « Racismes et antiracismes : une approche clinique pluridisciplinaire », Colloque international du 6 au 7 avril 2020, Laboratoire du changement social et politique, Université Paris Cité ; 2020 : « Race, racisme et racialisations. Enjeux conceptuels et méthodologiques », colloque Institut Convergences Migrations, 4 et 5 mai, Campus Condorcet.

3 2019 : journée d’étude « Le mot race », organisée à l’Université Paris 8 le 10 avril 2019 par Éric Fassin et Achille Mbembé, rassemblant Françoise Vergès, Elsa Dorlin, Nacira Guénif, Maboula Soumahoro, Magali Bessone, Fabrice Dhume, Étienne Balibar et Seloua Luste Boulbina ; 2020 : journée d’étude « Les représentations des minorités ethnoraciales dans l’audiovisuel français », CARISM, Université Paris Panthéon Assas ; 2022 (février-mars) : séminaire « Pratiques d’enquête sur les rapports sociaux de race en Frace hexagonale et ultramarine », organisé à l’EHESS par Daphné Bédinadé et Evélia Mayenga ; 2022 : « La race et les sociétés occidentales. Perspectives historiques et interdisciplinaires », atelier interdisciplinaire, Rome, École française de Rome, 17-21 octobre.

4 2020 : revue Réseaux, publication d’un dossier « Médias et racialisation » ; 2021 : Revue Espaces et Sociétés, Appel à articles pour un dossier thématique « Espace, Racisme et Racialisation » ; 2021 : revue Histoire, médecine, santé, publication d’un dossier « Race et psychiatrie, de la pathologie à l’émancipation. Amériques, Afriques (1900-1960) » ; 2021 : « Questions raciales/questions urbaines », appel pour un dossier dans la revue Terrains & travaux ; 2022 : revue Miranda, publication d’un dossier thématique « Représentations de la blanchité dans les fictions audiovisuelles états-uniennes ».

5 Voir le site de la revue : https://marronnages.org/index.php/revue.

6 Sur la notion d’éliminativisme en ce qui concerne la race, voir Brun et Cosquer 2021.

7 L’interprétation de la race comme ensemble de pratiques et processus de socialisation suppose que les personnes racisées sont des sujets à part entière et met l’accent sur les comportements voire les choix de ces sujets. Même si la triade proposée intègre également les mécanismes d’assignation, cette conception agentive entre en collision avec la déshumanisation et l’objectification radicales des individus racisés.

8 Il est question ici de l’afropessimisme, selon lequel l’antiracisme et d’une manière générale l’idée de la disparition du racisme sont des programmes illusoires entretenus par l’hégémonie blanche.

9 Ajari 2022 : 13.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Marie-Anne Paveau, « La race est dans les mots, les signes et les discours »Itinéraires [En ligne], 2021-3 | 2022, mis en ligne le 08 septembre 2022, consulté le 22 avril 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/itineraires/11743 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/itineraires.11743

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Auteur

Marie-Anne Paveau

Université Sorbonne Paris Nord, Pléiade (UR 7338)

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