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Performer, installer, occuper

Danser et se (con)fondre avec la terre

L’expérience de femmes du Sacre du printemps de Pina Bausch
“Dancing, Merging and Melting With the Earth”
The Women’s Experience of the Rite of Spring by Pina Bausch
Valentina Morales Valdés

Résumés

En 1975, Pina Bausch (1940-2009) crée sa propre version du Sacre du printemps, qui s’ajoute à la liste de plus de 204 versions de cette œuvre majeure signée par Vaslav Nijinski en 1913. Dans sa pièce, elle fait danser seize femmes et seize hommes littéralement sur la terre. Mais cette terre-nature n’est pas seulement un élément de la scénographie. Dans le cadre de cet article, je propose de revisiter cette œuvre emblématique de son répertoire et de l’histoire de la danse depuis une perspective écoféministe : comment l’écriture chorégraphique rend compte d’une relation particulière de femmes vis-à-vis de la terre ? Et comment cette relation nous permet-elle de comprendre une influence de la nature dans les gestes et dans une forme de corporéité fondamentale au sein de l’esthétique de la pièce ? Nous verrons comment cette danse est porteuse d’un imaginaire fécond pour penser les questions écoféministes d’un point de vue chorégraphique. Ces questions défendent un type de discours essentiel dans le mouvement, issu directement de l’expérience de femmes.

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Texte intégral

Introduction

  • 1 L’analyse d’œuvre à l’origine de cet article fait partie de ma thèse Une corporéité de la solitude (...)
  • 2 En ce qui concerne l’usage de la notion d’œuvre tout au long de cet article, j’emploierai le terme (...)
  • 3 «[…] Nijinski élabore une danse à la mesure du chaos produit par les phrases musicales et les ryth (...)
  • 4 Nicolas Rœrich conçoit également la scénographie, avec une toile de fond qui « […] dévoile un site (...)
  • 5 Depuis 1913, une liste non exhaustive de 204 versions de la pièce ont été répertoriées par la bass (...)
  • 6 Selon la surface du théâtre, la pièce peut être interprétée par un groupe qui va entre 24 danseurs (...)

1Le Sacre du printemps1 (1975) de la chorégraphe allemande Pina Bausch (1940-2009) s’inscrit dans le sillage d’une œuvre2 de référence dans l’histoire de la danse mondiale : Le Sacre du Printemps, créée et signée par Vaslav Nijinski, Igor Stravinsky et Nicolas Rœrich, membres de la compagnie de Ballets russes de Serge Diaghilev, et présentée pour la première fois le 29 mai 1913 au Théâtre des Champs-Élysées, « scandalisant le Tout-Paris » (Huesca 2013) à cause du bouleversement esthétique tant au niveau de la musique que de la chorégraphie3. Nijinski met en scène l’argument avec Nicolas Rœrich4, organisé en deux parties, afin de répondre à la commande d’Igor Stravinsky. Sur scène, une série de rites, effectués en l’honneur de la Terre et du Printemps se termine avec le sacrifice d’une jeune femme, vierge, membre de la communauté, choisie pour danser jusqu’à la mort. Nous retrouvons aujourd’hui plus de 204 versions5 de la pièce. Parmi les plus reconnues, on peut mentionner à titre d’exemple celle de Maurice Béjart (1927-2007). Créée en 1959, elle se construit autour de l’union d’un couple, entouré par un grand groupe de danseuses et danseurs, habillé·es de justaucorps, sur un plateau vide, avec une chorégraphie de style néoclassique. En 2011, Angelin Préjlocaj travaille l’idée du collectif autour d’une femme élue qui sera dévêtue, poussée et abandonnée à sa propre mort. Ici, le plateau conventionnel sera traversé par des panneaux concaves de pelouse qui seront assemblés à la fin pour former le terrain de la danse sacrale. Dans sa version, Pina Bausch couvre littéralement le plateau de terre, sur laquelle 32 interprètes6, seize femmes et seize hommes, dansent le sacrifice. La chorégraphe reconnait suivre l’argument de la pièce originale :

Le Sacre est une œuvre de Stravinsky, et la chose la plus importante à mes yeux était de chercher à comprendre pourquoi Stravinsky l’avait faite. Dans Le Sacre, je n’avais rien à ajouter parce que tout était déjà là, tout, à l’intérieur même de la musique. Il y a une jeune fille, l’Élue. Et cette jeune fille doit danser, toute seule, pour mourir. (Bentivoglio 1986 : 9)

  • 7 Voir la critique Vandana Shiva sur le « mauvais développement » produit par la modernisation : « U (...)
  • 8 J’entends par « nature » un ensemble de relations vivantes à l’intérieur duquel l’être humain fait (...)
  • 9 La notion d’« état de corps » fait partie du vocabulaire pratique des danseur·s·es. Elle évoque un (...)

2Mais cette pièce est aussi porteuse d’un imaginaire fécond pour penser les questions écoféministes d’un point de vue chorégraphique. Tout d’abord, parce que Pina Bausch est une femme, danseuse et chorégraphe, qui « s’est fait une place » dans une société d’hommes : elle a laissé des traces et un œuvre ineffaçables au milieu d’un monde en plein développement – ou plutôt de « mauvais développement7 » – et de mise en valeur des catégories patriarcales et colonialistes. Ensuite, parce que la relation avec les éléments de la « nature8 » dans son esthétique est très importante. Entre fiction et réalité, Pina Bausch fait littéralement « rentrer la nature » sur le plateau pour affecter les corporéités : toujours à l’intérieur du théâtre, ses interprètes dansent réellement en contact avec de l’eau, de l’herbe, du feuillage, de la terre. « La vie n’est jamais comme un plancher de danse, lisse et rassurant » (Noisette 2003 : 12) dit-elle. Le Sacre du printemps ouvre l’exploration que la chorégraphe entretiendra avec les différents types de sols, grâce à Rolf Borzik qui crée ce : « […] premier véritable “sol-matière” » (Le Moal 2008 : 643). Nous avions déjà vu la terre dans d’autres pièces. Par exemple, dans Das Stück mit dem Schiff [« La pièce du bateau »] (1993), le plateau se couvre entièrement de sable, ce qui donne une qualité particulière aux gestes et marches qui doivent s’adapter constamment à la mobilité inattendue du terrain. Dans Auf dem Gebirge hat man ein Geschrei gehört [« Sur la montagne, on entendit un hurlement »] (1984), il s’agit d’une terre foncée qui, mélangée par moments à de la fumée, évoque un terrain en hauteur, nocturne, mystérieux, à l’image d’une montagne sur laquelle les interprètes courent, traînent, rigolent ou tombent parmi une forêt de vrais sapins. L’impressionnante surface de terre fraîche qui couvre presque la totalité du plateau du Sacre du printemps est encore différente. Cette terre est loin d’être uniquement un élément de la scénographie. Elle devient un élément fondamental pour les qualités gestuelles et la construction des « états de corps9 » des interprètes, et d’une manière particulière dans le cas des femmes.

3Comment reconsidérer depuis un « regard écoféministe » une pièce fondamentale de l’histoire de la danse ? Et dans ce sens, comment l’écriture chorégraphique de Pina Bausch rend compte d’une relation singulière des danseuses vis-à-vis de la terre ? Comment cette relation nous permet de comprendre des effets et des affects souterrains de la nature dans la corporéité de ces femmes ? Que révèle l’expérience des femmes qui dansent la pièce et les amène à comprendre cette dimension ?

Le Sacre du printemps de Pina Bausch

4Cette pièce emblématique dans l’œuvre de la chorégraphe est devenue, en même temps, « une pièce signature de l’histoire de la danse du XXe siècle » (Brandstetter 2007 : 93 [je traduis]). En plus d’être l’une des pièces les plus dansées10 par sa compagnie dans le monde entier, elle est l’une des rares à faire partie du répertoire d’autres compagnies11. Pendant trente-cinq minutes, nous assistons à la formation et l’évolution d’une communauté de femmes et hommes qui se prépare pour la désignation de la femme « Élue » et sa danse sacrale.

5La première image se compose d’une diagonale de lumière qui éclaire une danseuse allongée sur le ventre, par terre, bougeant doucement sur un tissu rouge, les yeux fermés. Les femmes portent une robe beige pâle, avec des bretelles, et une culotte de la même couleur. Le visage blafard et sans maquillage visible, venant de différentes directions, elles entrent progressivement sur le plateau : en solitaire, par deux, par trois, en marchant, en courant, en se tenant par la main, en traversant des figures gestuelles diverses, telle une constellation qui se crée au fur et à mesure que la musique de Stravinsky s’installe. L’apparition soudaine des danseurs, vêtus uniquement d’un pantalon noir, dissout le groupe de danseuses. Femmes et hommes se retrouvent debout, se regardent, se reconnaissent et se connectent avec la vibration d’une pulsation musicale qui semble retentir depuis la terre, en traversant profondément leur verticalité. À partir de ce moment, elles et ils danseront diverses formations dans l’espace, des moments de groupes, de couples et de soli. Dans une autre scène, le groupe court dans le sens d’un grand cercle. Un homme s’échappe pour aller chercher une femme qui était sortie. Très vite, il la porte avec force : au bord d’un abîme, comme dans un état d’abandon, elle est suspendue par les coudes sur le bras gauche de l’homme, très haut. Puis, doucement, il lui permet à nouveau de poser les pieds par terre. L’ensemble se divise. Les femmes se rassemblent au fond du plateau, alors que les hommes se regardent et se rapprochent tous de cette femme qui semble envahie par la peur.

6En général, les groupes de femmes et d’hommes sont différenciés, voire même opposés. Souvent, un dialogue de contrepoint s’instaure avec des qualités gestuelles contraires : des phrases plus accentuées avec plus d’impact pour les hommes, des phrases plus fluides pour les femmes. En privilégiant les élans, les suspensions, les volumes et le legato, elles dansent en réponse aux gestes masculins. Les deux groupes s’éloignent et se rapprochent, gardant leur indépendance. Et ce jusqu’au moment de la désignation, où l’un des hommes, le sacrificateur, choisira l’Élue tandis que la danse sacrale devra commencer. Ainsi, devant toute la communauté, elle donnera sa vie en échange du printemps.

  • 12 Fondée en 1927 par Kurt Jooss et Sigurd Leeder, l’école de danse est fondée au sein de la Schule f (...)

7Pina Bausch compose la chorégraphie avec des coordinations et figures issues des techniques de mouvement apprises au sein de l’école de danse de la Folkwang12 d’Essen, entre 1955 et 1960, où elle a été profondément marquée par l’enseignement de son maître Kurt Jooss. En revanche, elle s’émancipe au niveau de la composition, du choix thématique, de la musique ainsi que de l’usage de la terre qui donne au mouvement la force de son propre style. Pour Ruth Amarante, danseuse de la compagnie, c’est une pièce qui reflète d’un côté l’influence de l’école dans la gestuelle développée par Pina Bausch, et de l’autre côté, une indépendance au niveau de la « chorégraphie » et de la composition totale de l’œuvre :

  • 13 Entretien personnel avec Ruth Amarante, réalisé à Wuppertal, le 11 octobre 2015. Inédit. Ruth Amar (...)

Je pense que [Le Sacre] est complètement « Pina » dans la chorégraphie, mais pas forcément dans la technique des mouvements. Là, tu peux voir toute l’école d’où elle vient. Mais la chorégraphie « complète » ce sont les mouvements sur la scène, avec la musique, c’est tout ce que cela transporte parce qu’à la fin c’est uniquement pour transporter quelque chose. Ce n’est pas une chose visuelle, c’est plus pour te toucher. Cela est « Pina ». Elle n’aurait pas fait quelque chose juste pour que cela soit beau visuellement. Je pense que c’est Pina en entier : ce qui est sur scène. L’école c’est la technique… Pina amène tout ce bagage technique. Elle le transporte et l’utilise dans sa chorégraphie13.

8Une première interprétation de la pièce s’installerait en fonction de son histoire de référence. C’est-à-dire, sous le prisme du sacrifice du féminin pour la nature. Dans cette logique, il y aurait aussi une domination masculine vis-à-vis des femmes : d’un côté, à travers la figure de l’homme sacrificateur qui choisit la femme élue pour danser jusqu’à sa mort ; de l’autre côté, par le groupe de danseurs qui, pendant une grande partie de la chorégraphie, se confrontent au groupe de danseuses avec des gestes forts et un caractère plutôt rythmique et incisif.

9Toutefois, ces interprétations laissent en évidence un modèle de catégorisation et une poursuite du « signifié » de « la » danse : une danse « miroir » de la société qui viendrait représenter une réalité pré-existante, et non « fenêtre » ouverte à des nouveaux imaginaires multi-sensorielles. Ce type de discours relie la danse à des histoires et des concepts externes à elle. En oubliant d’observer le geste et de penser le travail des danseur·ses, cette vision prolonge « des modes de perception dominants » qui, selon Vandana Shiva, « fondés sur le réductionnisme, la dualité et la linéarité, sont incapables de comprendre l’égalité dans la diversité, avec des formes et des activités importantes et valables, même si elles sont différentes » (op. cit. : 34 [je traduis]). C’est dans ce sens que je voudrais mettre en valeur l’expérience et la danse de ces femmes : un regard écoféministe qui cherche à nommer et faire apparaître des modes de perception issus directement de ces danseuses en contact avec la terre ; un regard de sensualité, de force et d’une profonde connexion qui modifie leur corporéité et nourrit la qualité de leurs gestes.

Danser avec la terre

10Dans Le Sacre du printemps nous sommes face à une terre humide, brune, noirâtre qui donne l’aspect de tourbe. Caractérisée par une très forte teneur en matière organique, d’origine végétale, cette terre-tourbe est source de vie et de biodiversité. Elle règne sur tous nos sens : nous la voyons sur la peau, dans l’air, nous sentons son odeur. Même avant le début, nous assistons à un « autre spectacle » que constituent le changement de décor et l’installation de la scénographie. Dans ce rituel, les techniciens arrivent avec d’immenses wagons remplis de terre, qu’ils répartissent minutieusement en carré sur le plateau. Cette mise en place révèle une telle coordination de la part des techniciens et de la régie, qu’elle devient une autre chorégraphie. Cet espace scénographique n’est défini ni par une époque ni par une période particulière, c’est un espace atemporel, un « paysage indéfini » (Perrin 2015 : 17). Pour que cette tourbe devienne une surface-plateau pour la danse, l’humidité doit être suffisante pour que la poussière ne soit pas aspirée par les interprètes, et non excessive afin que la terre ne se transforme pas en boue – terrain impossible pour l’exécution de la chorégraphie. Pendant toute la pièce, le sol dépasse ses propres limites : il est aussi sur les corps. Au fur et à mesure que la danse se déploie, la terre salit les peaux et se manifeste de plus en plus avec la sueur.

11Pour Julie Perrin, cette danse « […] est faite de flux, de liés, d’effets d’élan et de fuite fonctionnant en masse, d’une nervosité non musculaire, mais à fleur de peau – cette peau dénudée et peu à peu maculée par la terre qui recouvre le sol » (ibid.). En effet, les femmes touchent et sentent la terre depuis la première scène, lorsque la première danseuse, allongée au sol sur la robe rouge que portera l’Élue, caresse le sol avec son visage, avec ses bras et semble sentir toutes les couches et les textures de la terre. Ses yeux fermés intensifient ce premier contact : le geste d’un « sentir par le toucher », d’un « toucher par l’odeur », comme si une force souterraine allait jaillir pour faire cette femme se lever et lui donner le premier élan de mouvement. La danseuse Clémentine Deluy évoque de manière très fine ses sensations depuis le premier contact avec le sol :

Pour moi, le rapport à la terre… Dès le début, certaines femmes, la plupart des femmes, se mettent au sol et caressent la terre. Quand je me relève, j’ai comme une protection, comme une armure. En fait, à ce moment-là, c’est un moyen non pas de me cacher, mais de me protéger. Comme si j’avais une aura autour de moi. […] Et puis l’odeur de la terre c’est une beauté, c’est toute une histoire en soi. (2012)

12La matière du sol se dévoile comme une autre couche corporelle, composée par une odeur, par une texture, par une humidité : des éléments nécessaires pour compléter la perception de ces danseuses. Elles s’imprègnent réellement de la terre qui, en plus de ces effets visibles, est présente dans l’effet qu’elle porte sur leurs gestes et la construction de leurs états de corps. Nous le voyons aussi dans le récit de Julie Shanahan :

  • 14 “You learn all of the movements and when you come on the set you have such a different relationshi (...)

Tu apprends tous les mouvements et lorsque tu arrives sur le plateau, tu as une relation si différente avec ces mêmes mouvements. Je me souviens des deux ou trois premières fois où j’ai dansé avec la terre. Je me suis dit : « Oh mon Dieu, je ne peux pas danser. » Mais tu réalises que plus tu te laisses aller et plus tu sens la terre, plus les mouvements deviennent faciles. Tu comptes sur la sensation de la terre et de la musique. Et l’odeur, vous savez, est tellement importante. Tu ne fais pas que danser, tu écoutes la musique, tu sens la terre sous tes pieds, tu la humes. Elle entre dans ta bouche, tu la goûtes, tu la sens sur ta peau. C’est merveilleux14.

13La terre produit aussi une nouvelle stabilité qui modifie les gestes : l’effort et l’attention pour danser sur ce terrain et même la manière de se tenir debout. Cet abîme, lié à l’instabilité, exacerbe l’effort. Norbert Servos souligne le fait que « les danseurs ne jouent pas la fatigue qui s’empare d’eux : elle est bien réelle, les danseurs s’enfoncent jusqu’aux chevilles dans la terre » (Servos 2001 : 46). Ce sol empêche la verticale et ébranle les interprètes. Selon Bernard Rémi, « avec Pina Bausch, le sol paraît à jamais perdu, toujours défait au moment où il pourrait durer. Une force maligne semble, à tout moment, désagréger les commencements, resserrer les grains de sable, ouvrir un abîme au bord du pas » (Rémy 1994 : 194). Cette verticale en déséquilibre implique un grand effort et, simultanément, devient indispensable pour l’interprétation. La terre devient ainsi une autre enveloppe pour les gestes féminins : d’une part, elle affecte l’organisation perceptive, d’autre part, la terre accentue une relation avec le sol dans les postures, les motifs et la qualité des mouvements.

Une danse de l’enveloppe

  • 15 Fondé principalement sur les théories autour du concept de « Moi-peau » de Didier Anzieu (1985 : 1 (...)

14Dans une analyse féconde (Launay 2003 :13) du Sacre du printemps de Nijinski, Isabelle Launay propose les notions de « corps articulaire » et de « corps-enveloppe » qu’elle emprunte à Guillemette Bolens dans l’ouvrage La Logique du Corps Articulaire. Cette dernière définit la conception d’un corps articulaire qui serait organisé en fonction de ses articulations, qu’elle oppose au corps-enveloppe15, organisé en fonction de ses orifices (les yeux, oreilles, narines, seins, nombril, etc.) et des membranes, comme la peau, qui recouvrent et contiennent les différents organes :

Ce qui détermine la logique du corps articulaire c’est la notion de jointure, tandis que la logique du corps-enveloppe se définit dans une dialectique de l’interne et de l’externe. Le corps articulaire reste en vie tant que les os restent joints et que les tendons jouent leur rôle de liens ; le corps-enveloppe reste en vie tant que les viscères sont maintenus à l’intérieur grâce à l’enveloppe cutanée. (2000 : 9)

15Pour Isabelle Launay, la communauté gestuelle de Nijinski s’organise sur la logique articulaire. Cependant, l’Élue, après avoir été choisie, retourne au corps-enveloppe et constitue, à travers son solo, une danse du démembrement et du remembrement avec un « retour » à ce corps viscéral. C’est alors dans une esthétique complètement opposée de celle de la pièce de Nijinski, que Pina Bausch étend les principes du corps-enveloppe à toute sa chorégraphie, notamment dans le cas des femmes : depuis leur apparition dans la première scène, nous voyons des caresses, des rencontres et des changements de niveau. Ces gestes instaurent une relation magnétique avec le bas et au même temps avec le haut, avec soi-même, avec les costumes et avec les autres. C’est un moment calme qui montre un rapport sensible, voire tactile des corporéités vis-à-vis de l’espace. De l’espace dans toutes ses dimensions : d’abord par le sol, par la terre, mais aussi par l’air et par la relation des corps en contact avec ces deux pôles ; comme nous le voyons dans la description suivante :

  • 16 Extrait de mon Journal de bord pendant le Festival Pina40, à Wuppertal. Notes réalisées après le s (...)

Une première femme court dans une longue diagonale. Elle ferme ses yeux. Sa tête se dirige vers la terre. Elle remonte et soulève sa robe avec ses mains qui glissent sur son corps jusqu’à couvrir son visage. Une deuxième femme arrive aussi en courant. Mais elle s’arrête avec précision, pour regarder son épaule et descendre très lentement dans un plié profond sur ses demi-pointes. Dans ce geste émerge une double direction : elle descend tout en remontant. Son attention est très présente dans le haut de son corps : son dos reste érigé en même temps que ses mains descendent en se posant croisées sur ses genoux. Dans ce même geste de suspension et descente, elle établit un double rapport à l’espace, pour ne pas s’effondrer complètement. C’est comme si la danseuse voulait toucher la terre tout en se connectant avec l’axe vertical qui la relie aussi au ciel. Deux autres femmes se rencontrent après la course. Soudain, elles s’arrêtent, l’une face à l’autre, juste avant de se toucher. Une autre arrive, s’arrête et ferme ses yeux. Ses bras s’ouvrent par les côtés et vers le haut. Elle s’élève, presque comme si elle allait s’envoler : elle se suspend grâce au contact de la peau de ses bras avec l’air pour arriver sur ses demi-pointes. Puis, elle retourne à la terre16.

16Pendant cette première scène, la danse privilégie la suspension et la légèreté. Les gestes surgissent à partir d’élans au niveau de la zone du cœur et de la respiration. Ils déclenchent une danse fluide dans laquelle le mouvement transite librement à travers les corporéités féminines. C’est une danse aérienne et qui « respire ». Mais à mesure que la chorégraphie avance, la terre gagne sur la légèreté.

Percer l’enveloppe

17Sur le plan individuel comme à l’échelle du groupe, Pina Bausch crée une danse traversée par un corps viscéral, sexuel, charnel, un corps lié à la terre, à l’air et à la peau dans ses différents états. La chorégraphie est marquée par la présence d’accents gestuels qui transitent entre les impacts et les élans. Rudolf Laban définit « l’accent », comme « une montée de tension soudaine ou progressive [qui] mettra une inflexion ou accent sur un mouvement rythmiquement important » (1994 : 72). L’impact se manifeste lorsque le geste est accentué à la fin, par opposition à l’impulse qui met l’accent au début. Ces mouvements, plus ancrés dans les formes gestuelles, privilégient le rythme et les articulations corporelles. Par exemple, lorsque les hommes frappent des mains sur les cuisses ou, dans certains sauts, percutent fortement des coudes vers l’arrière. Ils constituent dans la pièce les gestes articulaires. Au contraire, dans le cas des impulses qui caractérisent la danse des femmes, c’est la peau et les centres organiques du corps qui déclenchent le mouvement et conforment les gestes d’enveloppe. Dans la chorégraphie de Pina Bausch, les gestes d’impact « percent » l’espace comme des lignes qui brisent les courbes et les volumes, percent l’enveloppe aérienne et se détachent des dynamiques marquées par l’impulse des femmes.

18Le motif de la perforation est un geste que j’ai identifié dans la danse des femmes juste après l’apparition des hommes. Il est dansé autant par le groupe que comme dans le solo de l’Élue. Dans le groupe, il apparaît vers le milieu de la pièce et se répète plusieurs fois : de leur coude droit, elles frappent les entrailles et leur souffle accentue les mouvements. La séquence dure environ une minute, mais elle semble beaucoup plus longue car l’épuisement du groupe se fait sentir. Cette figure se détache complètement des gestes qui avaient été dansés auparavant par les femmes. L’impact introduit par la percussion du coude contre les côtes perce l’enveloppe aérienne, altère le flux de leur respiration et fait apparaître l’épuisement à travers une forme de répétition qui transforme le geste. D’une part, par le souffle qui montre comment, malgré la répétition de la figure du mouvement, le geste revisité n’est jamais le même : il change à chaque reprise et s’intensifie constamment par la fatigue. D’autre part, le geste se modifie pour survivre à l’épuisement, en se laissant s’affecter par la respiration. Comme si les femmes se battaient contre le mouvement, car elles doivent résister à la fatigue et c’est par le souffle qu’elles récupèrent l’énergie pour continuer la séquence. Nous le voyons dans le récit de la danseuse Chrystel Guillebeaud :

  • 17 Entretien personnel avec Chrystel Guillebeaud, réalisé à Wuppertal, le lundi 9 septembre 2013. Iné (...)

Avant de commencer la phrase, il y a une espèce de course très très longue sur scène. J’essaye de la faire le plus précisément possible […] et puis après, cela se transforme dans une espèce de transe. On répète et on répète, et on doit aller toujours plus, toujours aux limites, toujours plus dans l’extension, avec le souffle. Donc à la fin, c’est forcément un peu un combat avec soi-même, avec ses limites… Il y a aussi le problème qu’avec la fatigue on perd la stabilité des pieds à un moment. Parce que même si on doit aller toujours de plus en plus [avec les bras], il faut garder les pieds au sol. Après, je pense plus au point où je dois arriver et moins au dessin de la chorégraphie17.

19Ce motif réapparait dans le solo de l’Élue avec des variations. Au cours de la progression de la danse, les mouvements ne s’accomplissent pas jusqu’au bout. Le dessin de leur forme s’affaiblit, l’accent disparaît, la vitesse et la force se perdent. Mais il ne s’agit pas d’un decrescendo régulier. Parfois, l’Élue reprend le souffle. Cela lui permet d’arriver à finir certains gestes que l’on pensait déjà défaits. En revanche, il y a des gestes qui s’effacent petit à petit jusqu’à ce qu’ils ne soient plus possibles. Le motif de la perforation introduit dans le solo une sensation d’épuisement, d’essoufflement et l’image d’une blessure. Elle danse en perdant peu à peu son existence : « c’est d’ailleurs toujours dans l’essoufflement que se révèle à nous la puissance de la machine pneumatique ; spasmes, thorax agité jusqu’au chaos, corps et conscience totalement mobilisés par la vague irrépressible et affolement du diaphragme », écrit Laurence Louppe (2004 : 89). Ainsi, l’Élue meurt vidée de son air, vers le bas, par terre, après la chute, vaincue par sa fatigue.

Se (con)fondre avec la terre : ce que la danse peut apporter à l’écofeminisme et vice-versa

  • 18 Voir notamment Shiva (2016). Voir aussi : « Les enseignements du mouvement Chipko de l’Inde : un c (...)

20Bien que Pina Bausch parte du livret originel du Sacre et de son idée sur le sacrifice, elle s’émancipe complètement de l’œuvre de Nijinski : dans la mise en scène des corps, dans le type de corporéité développé par la chorégraphie, dans le rapport des danseuses et danseurs avec la nature. En effet, dans la pièce de Pina Bausch, on ne domine pas la terre depuis l’extérieur, on ne maîtrise pas non plus sa force. On se fond et on se (con)fond avec elle. Femmes et hommes se laissent affecter dans tous les termes et sens possibles. Et même si la corporéité-articulaire qui, pourrait être associée à la présence masculine des danseurs, « tue » en quelque sorte la corporéité féminine, à travers l’image de l’enveloppe – notamment dans le geste de perforation dans le cas de l’Élue –, c’est la terre qui « gagne » : sur les corps, sur l’air, sur l’épuisement, et que nous voyons spécialement dans le corps de l’Élue, à la fin de la pièce, comme figure d’une mort qui retourne à la terre. Une (con)fusion femme-terre-nature, semblable à celle des femmes-enlaçant-les-arbres à Chipko18, dans les années soixante-dix, pour les sauver de l’abattage de l’usine et du marché, prêtes à sacrifier leur vie pour la forêt et pour leur communauté.

21Du latin confusio, cette confusion est liée à l’« action de mêler », au désordre, au trouble des sentiments et de la pensée. En partant de son préfixe con-, on pourrait désigner aussi un état d’être « avec » et d’être « ensemble ». Par cette manière d’écrire le mot (con)fusion et son verbe (con)fondre je fais référence à l’idée du devenir-avec de Donna Haraway. Cette idée exprimerait, dans le cadre de cette analyse, la singularité dont les femmes et la terre « deviennent ce qu’[elles] sont et qu’[elles] sont au sein de mondes en formation, à travers tout ce que cela implique en termes relationnels et matériels-sémiotiques. Il n’y a ni nature, ni culture, ni sujet ni objet qui préexistent à cet entrelacs » (Haraway 2020 : 26). Dans ce sens, en regardant en détail le devenir gestuel de la corporéité des femmes en dansant avec la terre, nous pouvons resignifier leur rapport d’un point de vue écoféministe. Cette ré-appropriation de la terre comme élément fondamental de l’interprétation et de l’expression artistique pourrait s’associer également à la notion de reclaim. Ce geste fondateur de l’écoféminisme cherche à inverser le stigmate dans lequel les femmes ne veulent pas être comparées à une nature qui les condamnerait à une situation d’infériorité, voire même primitive. Car, selon Émilie Hache, dans cette nouvelle articulation positive entre les femmes et la nature, « […] l’enjeu consiste au contraire à tenir les deux ensemble [femmes et nature], en retrouvant une conception de la nature non appauvrie, non naturalisée, une version pourrait-on dire écologique de la nature intelligente, sensible, pour pouvoir revenir sur le lien femmes/nature autrement qu’en le rejetant » (2016 : 22), comme nous pouvons le voir à travers l’expérience de ces danseuses vis-à-vis de la terre.

  • 19 Par exemple : « La chorégraphe allemande Pina Bausch a fait des rapports entre les hommes et les f (...)
  • 20 « Pina Bausch fut en quelque sorte féministe malgré elle (…) Elle amorça un bouleversement des men (...)
  • 21 « L’homme et la femme, les rapports amoureux, nos comportements, nos pulsions, nos impuissances (… (...)
  • 22 « Pina Bausch est une chorégraphe d'hommes. Avec une poigne de femme. Elle montre d’eux quelque ch (...)
  • 23 « Cette recherche entre l’espace entre deux, à la fois, l’abîme entre les sexes et aussi la source (...)
  • 24 « Pourtant, c’est bien de lutte de sexes qu’il s’agit dans son œuvre » (Böhmisch 2014 : 154).
  • 25 Alonge (1995 : 98). Le journaliste Hervé Gauville publie un article en 1979 au sujet de la présent (...)

22Un autre aspect à soulever dans le cadre de ces questions, serait la relation femme/homme qui, tout au long de sa carrière, a nourri l’œuvre de Pina Bausch dans différents contextes et différentes modalités : par la diversité de ses interprètes ; par les possibilités de rapports entre les groupes de danseurs et danseuses (souvent dans une forme de confrontation) ; par le jeu les danseurs en travestis ; ou encore par un travail sur les identités de genre et la représentation gestuelle de la féminité ou de la masculinité. Au niveau de sa réception, journalistique et théorique, cela a suscité de multiples discussions. La majorité des auteur·es sont d’accord sur la place importante que cette relation19 occupe dans les pièces. Certain·es considèrent l’artiste comme « féministe20 » ; certain·es parlent d’un « rapport à l’humanité21 », dont l’un des sujets principaux serait l’exploitation de la « femme par l’homme dans un monde organisé selon des conceptions masculines » (Schmidt 1995) ; ou encore de la recherche d’un « au-delà22 », d’un « entre-deux » ou d’un « abîme23 » ; pour d’autres, Pina Bausch nous met toujours devant la « lutte24 » ou la « guerre des sexes25 ». Ces énoncés réduisent les danses à un jugement qui obstrue ce qui se passe dans la relation des femmes avec des hommes, des femmes avec des femmes ou des hommes avec des hommes, en termes chorégraphiques. Quelle est la façon dont la corporéité de femmes et d’hommes réagit dans les pièces ? Comment s’accomplit cette représentation réciproque dans l’espace où elles et ils se retrouvent, se croisent, s’accordent, s’enlacent, se confrontent ou disparaissent ? Cependant, dans la plupart de ces critiques, la description du geste dansé est remplacée soit par des actions de mouvement basiques ou des adjectifs généraux, soit par une obsession pour expliquer les danses uniquement par des thématiques, concepts et symboles : une pratique qui essaye de s’emparer de la danse avec des modèles extérieurs à elle.

  • 26 Voir notamment Cook (2016 : 285).

23L’écoféminisme me semble également se (con)fronter et résister, à un autre niveau, à ce problème. Celui du combat contre le réductionnisme de ses paroles et manifestations dans une sorte de catégorie26 qui lui permettrait de rentrer dans le débat académique, avec un certain statut ou forme de savoir reconnus. Face à la diversité et pluralité des théories et pratiques écoféministes, je me retrouve dans l’impossibilité de restreindre ces paroles à un seul registre et type de discours. Car ce sont la multiplicité d’entrées, de réflexions, de pratiques et de manières d’agir qui représentent la richesse de ce mouvement.

  • 27 Cette idée fait référence aussi au savoirs situés des femmes défendus par Donna Haraway tout au lo (...)
  • 28 Concernant cette problématique, voir Marquie et Nordera (2015).

24Penser la danse et l’écoféminisme en partant du geste, des corporéités et de « l’expérience des femmes27 » me semble indispensable pour le développement de nos regards et de nos imaginaires prisonniers des paradigmes occidentaux. Ces raisons m’ont conduit aujourd’hui à penser Le Sacre du printemps de Pina Bausch depuis une perspective qui me semble écoféministe à double titre. D’abord, car elle pense l’expérience des femmes dans un rapport esthétique – corporel et affectif – avec une forme de rapport à la nature, dans ce cas précis, avec la terre. Ensuite, parce qu’elle pense le travail de danseuses et d’un art considéré traditionnellement comme « un métier de femmes28 » et dépourvu des catégories linguistiques, qui n’a pas suscité l’intérêt nécessaire dans nos sociétés. C’est dans ce sens que danse et écoféminisme nous ouvrent à de nouvelles possibilités car, comme souligne Violeta Salvatierra, « [l]e prisme du genre contribue à transformer autant la pensée du geste, en approfondissant sa dimension politique, que la pensée des normes hégémoniques du corps, lorsqu’elles sont confrontées aux puissances d’invention en danse » (Salvatierra García de Quirós 2016 : 210-211).

  • 29 Jim Cheney cité par Cook (2016).

25À travers cette analyse, nous voyons comment la dimension et le vécu de notre corporéité féminine, tout en considérant l’amplitude et la multiplicité de cette expression, se nourrissent du travail de danseuses qui, (con)frontées et (con)fondues avec la terre, arrivent à construire un état de corps précis pour l’interprétation de cette œuvre. Les paroles et les gestes de ces femmes rendent compte de leur perception en dansant vis-à-vis de la terre : ce qui constituerait d’après l’expression de Jim Cheney, un « langage qui provienne de l’expérience29 ». C’est ainsi qu’un regard sur la danse depuis cette perspective peut contribuer à alimenter la pensée écoféministe. Et vice-versa, car il y a dans ce mouvement des pensées qui élargissent et enrichissent notre corporéité des femmes. En effet, « les idées écoféministes n’ont pas vocation à être exactes, rigoureuses, complexes ou sophistiquées. Elles veulent produire des effets », écrit Jeanne Burgart (2020 : 128). Et cela me semble aussi être la force de ces discours, dont les études en danse peuvent aussi se (con)fondre. Car la dénomination et la réflexion sur nos affects et nos expériences représentent aujourd’hui l’un des plus grands défis face aux crises et transitions auxquelles sera (con)frontée à vivre chacune de nos communautés.

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Bibliographie

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Notes

1 L’analyse d’œuvre à l’origine de cet article fait partie de ma thèse Une corporéité de la solitude. Pour une esthétique de la danse de Pina Bausch, thèse de doctorat en danse, sous la direction d’Isabelle Ginot, Université Paris 8, soutenue au Centre national de la danse en juin 2019. Ce travail a été financé par l’Agence Nationale pour la Recherche et le Développement (ANID) / Programme de bourses / Doctorat Becas Chile / 2013-72140162.

2 En ce qui concerne l’usage de la notion d’œuvre tout au long de cet article, j’emploierai le terme en deux sens : Le premier fait allusion à celui de « pièce », pour indiquer chacune des productions artistiques de la chorégraphe. Le deuxième, singulier et masculin, se réfère à l’ensemble des créations – « tout son œuvre ».

3 «[…] Nijinski élabore une danse à la mesure du chaos produit par les phrases musicales et les rythmes irréguliers : contretemps, répétitions de blocs sonores, multiplication des métriques variées, le tout ressaisi par une pulsation entêtante » (Perrin 2015 : 15). Cette nouvelle esthétique était très différente des habitudes perceptives et des références artistiques du public à l’époque.

4 Nicolas Rœrich conçoit également la scénographie, avec une toile de fond qui « […] dévoile un site singulier :, décrit Roland Huesca, celui du paganisme slave et de ses symboles. Une colline dressée, un cercle de pierres. En une fusion allégorique des éléments de l’univers, la terre côtoie le ciel » (op. cit. : 6).

5 Depuis 1913, une liste non exhaustive de 204 versions de la pièce ont été répertoriées par la basse de données du projet “Stravinsky the Global Dancer. A Chronologie to the Music of Igor Stravinsky” du Centre for Dance Research de l’Université de Roehampton, [en ligne], http://urweb.roehampton.ac.uk/stravinsky/short_musicchronologicalcomposition.asp, consulté en décembre 2022.

6 Selon la surface du théâtre, la pièce peut être interprétée par un groupe qui va entre 24 danseurs (douze femmes et douze hommes) et 32 interprètes. Le nombre d’interprètes dépend de la taille du plateau : 30+1 ou 32+1. Le « 1 » est souvent le Sacrificateur, qui ne danse pas toujours avant le moment de la désignation (entretien personnel avec Bénédicte Billiet pendant ma recherche de doctorat, lors des spectacles du Sacre du Printemps à Nîmes, le 6 juin 2016).

7 Voir la critique Vandana Shiva sur le « mauvais développement » produit par la modernisation : « Un mauvais développement conspire contre cette égalité dans la diversité et superpose la catégorie de l’homme technologique occidental – idéologiquement construite – comme une mesure uniforme de la valeur des classes, des cultures et des genres » (1988 : 33 [je traduis]).

8 J’entends par « nature » un ensemble de relations vivantes à l’intérieur duquel l’être humain fait partie au même titre que les autres espèces. Aujourd’hui, un nombre important de penseur·ses de l’écologie préfèrent le terme de « vivant », pour abandonner la distance avec une nature de laquelle on se différencie et que l’on considère inférieure. Je continuerai à employer le terme de nature, tout en considérant ce point de vue inclusif. Voir notamment l’anthologie de textes Penser le vivant, Paris, Les liens qui Libèrent, 2021.

9 La notion d’« état de corps » fait partie du vocabulaire pratique des danseur·s·es. Elle évoque un état dynamique et affectif qui émerge directement de la perception et l’interprétation d’un geste, autant dans sa forme comme dans sa qualité. Pour Philippe Guisgand, « [l]’état de corps dansant relève d’une corporéité d’action, teintée avant tout par la sensation et l’intention » (2012 : 33).

10 Pour le détail des villes où la pièce a été présenté voir : https://www.pina-bausch.de/de/stuecke/detail/das-fruehlingsopfer.

11 Suite à la cession ou à la vente des droits, avant et après la mort de la chorégraphe. Dans le cas de cette pièce, nous avons notamment la reprise par l’Opéra de Paris à partir de 1997 (avec des spectacles en 1997, 1998, 2010, 2015 et 2017) ; ou récemment la reprise par l’École de Sables au Sénégal en 2020 (avec des spectacles en 2021).

12 Fondée en 1927 par Kurt Jooss et Sigurd Leeder, l’école de danse est fondée au sein de la Schule für Ausdruckskunst (littéralement, « École pour l’art expressionniste ») qui enseignait la Musique, la Danse, le Théâtre, et incorporait aussi l’Histoire de l’art et toutes les disciplines liées aux arts visuels, comme la peinture, la sculpture, la photographie et le dessin.

13 Entretien personnel avec Ruth Amarante, réalisé à Wuppertal, le 11 octobre 2015. Inédit. Ruth Amarante a dansé le rôle de l’Élue pendant plusieurs années.

14 “You learn all of the movements and when you come on the set you have such a different relationship with those movements. I remember the first couple of times I danced on earth. I thought, 'Oh my God, I can’t dance’. But you realize the more you let yourself go and feel the earth, the easier the movements become. You rely on the feeling of the earth and the music. And the smell, you know, is so important. You don’t only dance, hear the music, feel the earth underneath your feet, you smell it. It gets in your mouth, you taste it, you feel it on your skin. I mean, it’s wonderful.” Julie Shanahan à Faynia Williams (2013 : 107-108 [je traduis]).

15 Fondé principalement sur les théories autour du concept de « Moi-peau » de Didier Anzieu (1985 : 127).

16 Extrait de mon Journal de bord pendant le Festival Pina40, à Wuppertal. Notes réalisées après le spectacle du Sacre du Printemps (1975), le 9 octobre 2013 (répétition générale).

17 Entretien personnel avec Chrystel Guillebeaud, réalisé à Wuppertal, le lundi 9 septembre 2013. Inédit.

18 Voir notamment Shiva (2016). Voir aussi : « Les enseignements du mouvement Chipko de l’Inde : un combat pour le féminisme et l’écologie », https://wrm.org.uy/fr/les-articles-du-bulletin-wrm/notre-opinion/les-enseignements-du-mouvement-chipko-de-linde-un-combat-pour-le-feminisme-et-lecologie/, consulté en septembre 2020.

19 Par exemple : « La chorégraphe allemande Pina Bausch a fait des rapports entre les hommes et les femmes l’essentiel de son théâtre » (Frétard 1991). « Pina Bausch s’approche alors des thèmes fondamentaux qui fonderont son travail : le rapport entre l’homme et la femme, leur recherche tragi-comique du bonheur » (Servos 2001 : 19).

20 « Pina Bausch fut en quelque sorte féministe malgré elle (…) Elle amorça un bouleversement des mentalités, conditionnées depuis toujours au sujet de l’[attribution] des rôles dits féminins ou masculins, en choquant les sens par des images et des symboles insolites » (Soline 2010). « Cette esthétique est féministe puisqu’elle travaille sur la complexité des rapports hommes-femmes, puisqu’elle souligne l’importance du genre dans nos rapports sociaux et dans le formatage de nos corps » (Böhmisch 2014 : 155).

21 « L’homme et la femme, les rapports amoureux, nos comportements, nos pulsions, nos impuissances (…) voilà ce dont parlent les tableaux de Pina Bausch »(Bentivoglio et Carbone 2007 : 18). « Les hommes, dans son théâtre, peuvent se travestir en femmes […]. Plus que d’hommes ou de femmes, la chorégraphe allemande préfère nous parler d’humanité » (Frétard 1991).

22 « Pina Bausch est une chorégraphe d'hommes. Avec une poigne de femme. Elle montre d’eux quelque chose qui n’a rien à voir avec leur part féminine, tarte à la crème des magazines psy, quelque chose d’infiniment plus subtil et sensuel, comme un effluve, qui est au-delà des genres et des chromosomes. Ils dansent au-delà de ce qu’ils sont, au-delà de leurs rêves, irrésistibles » (Frétard 2008 [je souligne]).

23 « Cette recherche entre l’espace entre deux, à la fois, l’abîme entre les sexes et aussi la source de la vie […] Mettre en scène l’abîme mais aussi les tentatives de se rapprocher de l’autre […] » (Böhmisch 2012 [je souligne]).

24 « Pourtant, c’est bien de lutte de sexes qu’il s’agit dans son œuvre » (Böhmisch 2014 : 154).

25 Alonge (1995 : 98). Le journaliste Hervé Gauville publie un article en 1979 au sujet de la présentation des Sept péchés capitaux (1976) qui prévoit la présentation suivante de Barbe-bleue (1977) au Théâtre de la Ville : « Son prochain programme est Barbe-bleue. Parions que c’est encore l’histoire d’une femme qui a besoin d’être libérée… Ah ! Cette guerre des sexes ! Comme la guerre des classes, interminable. » « Pina Bausch : la réussite d’un échec », Le Monde, 29 janvier 1982.

26 Voir notamment Cook (2016 : 285).

27 Cette idée fait référence aussi au savoirs situés des femmes défendus par Donna Haraway tout au long de son œuvre. Voir Puig de la Bellacasa :« Si la manière dont on en parle est situable, l’engagement dans une production de sens pour l’expérience de femmes double cette construction d’une exigence de pertinence » ( 2014 : 119).

28 Concernant cette problématique, voir Marquie et Nordera (2015).

29 Jim Cheney cité par Cook (2016).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Valentina Morales Valdés, « Danser et se (con)fondre avec la terre »Itinéraires [En ligne], 2021-1 | 2022, mis en ligne le 06 avril 2022, consulté le 06 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/itineraires/10298 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/itineraires.10298

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Auteur

Valentina Morales Valdés

Université Paris 8, Laboratoire Musidance

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Droits d’auteur

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