Quelles musiques joua Belli ?
Résumés
Écrivain romantique associé aux milieux artistiques et musicaux dans la Rome du XIXe siècle, Giuseppe Gioachino Belli (1791-1863) est l’auteur d’un Zibaldone, d’écrits épistolaires (en français notamment), ainsi que de diverses et volumineuses compositions en prose ou en poésie italiennes. Cet article se fonde sur le corpus de plus de deux mille sonnets qui sont considérés, aujourd’hui encore, comme son œuvre majeure : une poésie exclusivement en dialecte romain, oubliée (tue ?) pendant longtemps par la critique italienne, bien qu’elle fût saluée dès l’origine par d’illustres hommes de lettres étrangers, tels Charles Sainte-Beuve ou Nicolas Gogol, et constituât, sans tarder, un objet d’étude pour de nombreux philologues européens. L’analyse se concentre sur la façon dont se tissent les relations entre le thème particulier de la musique et les Sonetti de Gioachino Belli. La musicalité de Belli, telle que la conçoit l’écrivain Giorgio Vigolo (1894-1983), responsable de la première édition intégrale et critique de ses poèmes qui ne sera publiée en Italie qu’en 1952, servira d’axe de lecture pour tenter de comprendre la place de la musique dans la vie et l’œuvre dialectale de celui qui figure indéniablement parmi les principaux représentants de la tradition littéraire du romanesco et l’un des plus musiciens d’entre eux.
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- 1 Giorgio Vigolo, « La Poesia di G. G. Belli », Il Mondo, vol. III, no 28, 1er février 1924, p. 3, (...)
[…] Bisogna por mente a quel singolare carattere del dialetto romanesco che a differenza d’ogni altro dialetto italiano non è par[la]ta comune a tutti i ceti dall’infimo al più elevato, come avviene del veneto, del napoletano, del siciliano e del lombardo, ma idioma esclusivo del popolo più umile. Dimodochè, mentre in veneto e in napoletano, il Goldoni o il Di Giacomo, per dirne due, hanno potuto esprimere sentimenti gentilissimi e più presto borghesi che non popolareschi, e il Bojardo poté scrivere in lombardo liriche delicate e tutt’affatto aristocratiche, il romanesco invece è dialetto per eccellenza antiletterario in quanto non comporta senza decisa riluttanza, temi e sviluppi che non siano schiettamente di popolo1.
- 2 Poète, essayiste, nouvelliste, traducteur autant que musicologue, critique musical et littéraire (...)
1Cette affirmation de la nature « anti-littéraire » du romanesco comme d’un « idiome » voué quasi-exclusivement à l’expression de sujets et préoccupations populaires, à la différence de nombreux autres dialectes italiens, est issue d’un écrivain et musicologue du vingtième siècle, ayant toujours vécu à Rome, sa ville natale : Giorgio Vigolo (1894-1983)2.
- 3 Voir par exemple Claudio Marazzini, La Lingua Italiana, Storia, Testi, strumenti, Bologna, Il Mul (...)
- 4 Ibid., p. 133-135.
- 5 Ibid., p. 171.
- 6 Ibid., p. 183-184.
- 7 Giovanni Camillo Peresio (1628-1696), Giuseppe Berneri (1634-1701), Benedetto Micheli (1699-1784) (...)
2Et l’histoire de la langue italienne3 de confirmer à bien des égards cette assertion : alors que des œuvres littéraires en toscan naissent dès le Primo Rinascimento italien4, que le Seicento peut être considéré comme la période au cours de laquelle émerge une littérature dialectale en tant que telle5 et qu’au siècle suivant, Carlo Goldoni signe déjà des exemples fameux d’œuvres théâtrales en vénitien6, une évolution analogue, s’agissant du romanesco, semble longtemps s’être fait attendre. À en croire le même Vigolo, si de nombreux écrivains romains, bien avant le milieu du dix-neuvième siècle7, intégraient déjà le romanesco à leurs compositions littéraires, de tels emprunts dialectaux présentaient les traits de pastiches, certes savoureux, mais destinés à imiter avant tout les moyens d’expression du peuple, sans prétendre aucunement ni à la rigueur ni à l’authenticité linguistiques qui se pourraient attendre à l’égard d’auteurs lettrés. Le dialecte romain sera-t-il exclu pour longtemps des courants artistiques dominants, en se réservant définitivement à l’usage des catégories sociales plus humbles du peuple de Rome ?
- 8 Francis Darbousset, dans sa préface intitulée « Belli, le clandestin », in Giuseppe Gioachino Bel (...)
3Celui qui allait véritablement propulser le romanesco dans l’histoire littéraire nationale, en figurant parmi les premiers écrivains à le transcrire sur la page blanche, observant avec exactitude les formes phonétiques, lexicales et linguistiques pour en exprimer la réalité crue de la vie populaire, au sein de la plus volumineuse production de poésie dialectale italienne du dix-neuvième siècle, n’a pourtant rien d’un auteur issu des classes les plus pauvres. Fils d’un père comptable de riches familles romaines et d’une mère aisée issue d’un milieu de banquiers, Giuseppe Gioachino Belli (1791-1863) mena lui-même une carrière honorable de comptable et d’agent au service de l’administration pontificale. Dès quinze ans, il rédige de nombreux écrits en langue italienne, aux formes diversifiées (théâtre, prose, poésie, écrits épistolaires, Zibaldone). Ce n’est principalement qu’entre les années 1827 et 1849, notamment après la découverte décisive de l’œuvre dialectale du Milanais Carlo Porta (1775-1821), que Belli, devenu écrivain « bourgeois cossu et poète à succès mondain8 », se décide à rédiger en romanesco un ensemble de plus de deux mille poèmes (2 279 exactement), tous sous forme de sonnet : les Sonetti.
- 9 Vicenzo Tizzani (1809-1892), ecclésiastique et homme de lettres, membre en particulier de l’Accad (...)
- 10 Francis Darbousset, dans sa préface « Belli, le clandestin », in Giuseppe Gioachino Belli, Rome U (...)
En dix ans (1827-1837) […] il écrira, souvent par grappes, par bouquets pyrotechniques, dans un processus cyclique de création, près de deux mille sonnets – dont deux avant 1827 ; puis, de 1837 à 1847, et quoique les ayant reniés et condamnés, par testament, le 19 août 1837, à être brulés à sa mort, il en écrivit 320 autres (le dernier en vérité en 1849). L’ami exécuteur testamentaire, monseigneur Tizzani9, ne livra pas la cassette aux flammes. C’est ainsi que nous possédons ces sonnets, auxquels Belli n’a pas donné de titre collectif, mais dont chacun a un titre aux effets d’interface titre/texte le plus souvent piquants, vertes feuillaisons sur ces fruits clandestins, qui, mis à l’étal, eussent valu, telle la pomme croquée, l’expulsion du paradis, ici : de la bonne société10.
4Car, pendant plus d’un siècle, du dix-neuvième au milieu du vingtième, ces poèmes demeurent bel et bien des œuvres clandestines, exclues, même en Italie, de toute édition officielle, complète et originale. Celles-ci ne circulent qu’oralement ou recopiées sous le manteau, puis font l’objet de publications partielles, tronquées, triées et expurgées à l’origine par les intimes mêmes de Belli, puis par la censure vaticane :
- 11 Luigi Morandi, I Sonetti romaneschi di Giuseppe Gioachino Belli pubblicati dal nipote Giacomo, Ci (...)
- 12 Francis Darbousset, dans sa préface « Belli, le clandestin », in Giuseppe Gioachino Belli, Rome U (...)
Les Sonetti romaneschi, procurés par Luigi Morandi11, en 1886-1889, rassemblent enfin tous les sonnets alors connus, en texte inaltéré : l’Italie, qui a dû conquérir Rome par les armes n’a pas en odeur de sainteté Sa Sainteté du Vatican ; toutefois, les sonnets indécents sont parqués dans le volume 6, sous enveloppe close12.
- 13 Ernest Bovet, Le Peuple de Rome vers 1840 d’après les sonnets en dialecte transtévérin de G. G. B (...)
5Les Sonetti dépeignent des sujets fort éloignés des conventions de la « bonne société » romaine : y sont représentés notamment, avec force satire, réalisme et comique, l’ordre social et religieux ainsi que les us et coutumes populaires de la Rome de l’Ottocento13.
- 14 Giuseppe Gioachino Belli, I Sonetti, edizione critica completa (con note e un saggio sul Belli), (...)
- 15 Voir notamment : Giorgio Vigolo, « La Poesia di G.G. Belli », art. cit., p. 3, cité par Andrea Gi (...)
6Il revient au crédit de l’écrivain Giorgio Vigolo le double mérite d’avoir supervisé la première édition intégrale et commentée des Sonetti, publiée seulement en 195214, et d’en avoir souligné, outre la qualité littéraire15, la musicalité intrinsèque.
- 16 Pietro Gibellini, « Una Lezione sempreverde », dans sa préface intitulée « Il Genio del Belli, il (...)
- 17 Pour un aperçu des différences linguistiques entre le romanesco de l’époque de Belli et l’italien (...)
- 18 « Bibliografia degli scritti sul Belli di Giorgio Vigolo », in Giorgio Vigolo, Il Genio del Belli(...)
- 19 Dans la réédition en 2016 de la publication de référence de 1952 (Giorgio Vigolo, Il Genio del Be (...)
- 20 Giorgio Vigolo, Il Genio del Belli, op. cit., chapitre X, « La musicalità », p. 107-119 ; « Volum (...)
7Aussi le présent article propose-t-il une présentation synthétique de la place de la musique dans la vie de Giuseppe Gioachino Belli et de la musicalité de son œuvre, en s’inspirant des écrits du musicologue romain Vigolo qui en demeure aux yeux des commentateurs actuels comme l’un des plus importants critiques16. Ce travail permet une approche des connaissances actuelles sur les sources musicales du romanesco littéraire moderne17, dont Belli demeure assurément le poète fondateur. Parmi l’ensemble disparate des écrits de Vigolo sur Belli (essais, commentaires thématiques, articles de quotidiens, de revues ou de dictionnaire, préfaces, notes, compte rendu d’exposition, discours d’hommage), la plupart des publications confrontent divers aspects de l’œuvre dialectale du maître, au regard en particulier de la tradition littéraire de langue italienne (Dante, Leopardi) ou française (Rimbaud)18. Le Saggio sul Belli, publié en 1952 en préface à l’édition de référence19, présente la rare particularité de comporter spécifiquement un développement étroitement lié au thème de la musique chez Belli : il constituera une source documentaire majeure de ce travail dont il guidera le parcours analytique, puisque son chapitre X intitulé « La musicalità20 » aborde la place de la musique dans la vie du poète dialectal, avant d’étudier plus amplement en elle-même l’écriture des Sonetti.
« In pieno clima di melodramma »
8Dès les premières lignes de ses commentaires sur la musicalité des Sonetti, le critique Giorgio Vigolo introduit Giuseppe Gioachino Belli sous les traits d’un « italiano del primo Ottocento, vissuto in pieno clima di melodramma, fra i teatri d’opera di Roma ». Une telle périphrase rappelle que la vie de Belli et la période de naissance du romanesco littéraire, contemporaine de l’écriture de la majeure partie des Sonetti, sont étroitement liées au contexte historique et opéristique de la Rome de la première moitié du dix-neuvième siècle. Or, comme le précise le musicologue Fabrizio Della Seta :
- 21 Fabrizio Della Seta, Italia e Francia nell’Ottocento, Torino, EDT, 1991, p. 3-4.
[…] l’Italia dell’Ottocento si presenta, non meno di quella del secolo precedente, con una molteplicità di centri e d’istituzioni locali, le più importanti delle quali sono i teatri d’opera che costituiscono una rete capillarmente diffusa, dalla capitale di stato alla minuscola cittadina di provincia. La qualifica di centro d’importanza primaria non è però detenuta da una sola città: Venezia, Milano, Roma e Napoli, dove vide la luce la quasi totalità dei capolavori dell’Ottocento italiano, costituiscono, come nel Settecento la struttura portante del sistema operistico21.
- 22 Ibid., p. 12.
- 23 Ibid., p. 18-55.
9Della Seta remarque combien, durant cette époque et davantage qu’en France, la Péninsule reste culturellement attachée au lien avec la tradition opéristique du dix-huitième siècle : « I più importanti autori di libretti d’opera del primo Ottocento sono infatti quasi tutti fedeli continuatori, a volte polemici difensori, della tradizione settecentesca ; i loro idoli sono ancora Metastasio e Goldoni […]22 ». Et l’historien de poursuivre des développements sur les institutions musicales italiennes23, qui nous permettent de mieux comprendre l’importance de l’opéra dans la Rome de Belli, où des traditions séculaires fondent encore la vie culturelle, indépendamment des mutations politiques et sociales, contemporaines en Europe à la Révolution française. Parmi celles-ci figurent l’enseignement musical – qui s’appuie avant tout sur l’expérience d’anciennes institutions locales, telles l’Accademia di Santa Cecilia de Rome – le relatif désintérêt du grand public romain, comme italien en général, à l’égard de la musique instrumentale et l’organisation particulière des multiples théâtres d’opéra qui fleurissent dans la cité papale. Ces derniers sont le plus souvent la propriété de riches familles aristocratiques : leur administration est déléguée à un gestionnaire professionnel, l’impresario, qui organise la production musicale au rythme de « saisons », privilégiant la sélection et la rémunération des chanteurs, au détriment des instrumentistes et compositeurs. À ces traditions archaïques persistantes s’ajoute le relatif isolement de Rome à l’égard des mutations socio-culturelles contemporaines intéressant la musique, constatées par contraste en France et dans le Nord de l’Italie, telles : l’expansion de l’industrie éditoriale (à l’image de l’entrepreneur milanais Giovanni Ricordi), la naissance progressive d’un nouveau statut juridique et financier reconnu aux compositeurs ou le renouveau d’une critique musicale, véhiculée par des revues périodiques spécialisées.
- 24 Giorgio Vigolo, Il Genio del Belli, op. cit., p. 107.
- 25 Giovanni Orioli, « Giuseppe Gioachino Belli », « Dizionario biografico degli italiani – volume 7 (...)
- 26 Guido Zavadini, Donizetti, Vita, Musiche, Epistolario, Bergamo, Istituto italiano d’arti grafiche (...)
- 27 Giorgio Vigolo, Il Genio del Belli, op. cit., note 2, p. 118.
10Giorgio Vigolo relève plusieurs détails dans l’existence de Giuseppe Gioachino Belli, pour démontrer l’influence artistique prépondérante que joua sur lui, en son temps, la musique d’opéra. Le critique mentionne la tradition du carnaval, point culminant de chaque saison musicale, à laquelle participa personnellement Belli, déguisé en comte, en compagnie de Gioacchino Rossini (1792-1868) et de Gaetano Donizetti (1797-1856) « che probabilmente lo accompagnavano con la chitarra mentre l’arguto poeta diceva o cantava i suoi frizzi24 ». L’histoire retient en particulier le carnaval de l’année 1828, contemporain au début d’écriture des Sonetti : au cours de cette fête collective, récitant un monologue écrit par lui-même, intitulé Ciarlatano, Belli joua publiquement le personnage d’un charlatan, du nom de Gambalunga, vantant une liste d’effets prétendument miraculeux en faveur d’un remède magique capable de guérir toute sorte de maladies. Donizetti se serait inspiré de ce discours pour composer le célèbre récitatif du Docteur Dulcamara dans son opéra Don Pasquale (1843)25. Giorgio Vigolo s’appuie sur une monographie du musicologue Guido Zavadini (1868-1958)26 qui reproduit en particulier la correspondance de Donizetti avec son beau-frère, Antonio Vasselli, riche mélomane romain et ami de Belli, pour souligner l’amitié régulièrement entretenue entre le poète et le célèbre compositeur27.
- 28 Les informations biographiques sur G.G. Belli sont extraites de : Giovanni Orioli, « Giuseppe Gio (...)
- 29 Cette académie, créée en 1824 par le compositeur Muti Papazzuri (1801-1858) dans le but initial d (...)
11Mais de nombreuses anecdotes musicales, non décrites par Vigolo, jalonnent, tout au long de son cours, l’existence de Belli : elles témoignent autant des relations étroites du fondateur du romanesco littéraire avec l’opéra que de l’intensité de ses rapports avec la musique en général28. Il est établi que Giuseppe Gioachino Belli, doté d’une insatiable curiosité encyclopédique, s’intéresse à la musique et signe très tôt de multiples écrits littéraires sur le sujet, dont une œuvre mêlant chanson et poésie en imitant les tournures originales du romanesco populaire et intitulée Istoria bellissima di Ernesto ed Alice (1824), ou encore une Canzone (1825) qui fait allusion à la polémique divisant le milieu musical romain, en particulier les membres de la Filarmonica Romana29.
12Dès cette époque, l’écrivain se trouve certainement confronté à l’abondance de genres musicaux allant bien au-delà de la seule musique d’opéra. Parmi ceux-ci, figure indubitablement la musique sacrée, à laquelle ne peut rester insensible le poète, par ailleurs homme pieux, pour un temps orphelin recueilli au couvent des Capucins et employé, depuis l’adolescence et toute sa vie durant, comme fonctionnaire au service de l’État pontifical. La diffusion de la musique sacrée, dans une région d’Europe où la pratique religieuse fait encore partie intégrante de la vie collective, fleurit à chaque coin des rues de la ville où réside Belli, faisant résonner les bâtiments publics sous administration papale, les multiples églises historiques et basiliques, comme autant de lieux d’une intense activité liturgique.
- 30 Fabrizio Della Seta, Italia e Francia nell’Ottocento, op. cit., p. 22.
Così, dalla cattedrale cittadina fornita di un proprio corpo di cantori e strumentisti alla pieve di campagna servita da un modesto organista (spesso lo stesso parroco), nell’Italia ottocentesca si compone e si esegue musica che oggi ingombra in gran quantità gli scaffali degli archivi capitolari in attesa di venire indagata30.
- 31 Belli signa par exemple trois pièces de théâtre publiées dès 1815-1816 : I Finti Commedianti, I F (...)
- 32 Fabrizio Della Seta, Italia e Francia nell’Ottocento, op. cit., p. 36.
- 33 Ibid., p. 34 : « In Italia, nell’Ottocento come nel secolo precedente, i balli costituivano una c (...)
- 34 Belli se maria en 1816 avec Maria Conti (1781-1837), riche et vieille héritière romaine, veuve la (...)
- 35 Belli et son épouse donnèrent naissance en 1824 à un fils prénommé Ciro.
- 36 Belli participa à de nombreux carnavals romains : Giorgio Vigolo, Il Genio del Belli, op. cit., p (...)
- 37 Fabrizio Della Seta, Italia e Francia nell’Ottocento, op. cit., p. 36.
13Les musiques de bal et de spectacle sont aussi largement répandues et constituent un autre genre musical avec lequel, Belli, spectateur et auteur lui-même de théâtre31, se trouve assurément mis en présence à Rome. Certes, contrairement à l’opéra ou à la musique sacrée, celles-ci sont généralement exécutées par des artistes locaux, ne contiennent que rarement des morceaux de création originale et constituent principalement une adaptation des airs d’opéra préférés du grand public. Comme le rappelle Fabrizio Della Seta, « in tutta questa vicenda l’aspetto propriamente musicale ha una parte tutto sommato secondaria32 ». Les pièces musicales jouées lors des spectacles de théâtre, d’opéra ou de danse (ballets) ne font pas partie intégrante des représentations en elles-mêmes, au sein desquelles, à tout le moins en Italie33, elles demeurent distinctes et secondaires. Un bon nombre de musiques de bal, notamment la valse, d’origine allemande, sont soumises qui plus est à la censure et parfois prohibées en raison de motifs religieux ou moraux : le contact direct des danseuses et danseurs ainsi que leurs allées et venues incessantes et explicites ont tôt fait, en particulier dans la ville du pape, d’être associés aux rapports érotiques. Mais les danses de société n’en accompagnent pas moins de leurs chants et traditions populaires les nombreuses fêtes familiales (mariage34, naissance35) ou collectives (événement religieux, carnaval36) et possèdent indéniablement des caractéristiques stylistiques propres : « la rigorosa organizzazione in periodi di quattro o otto battute », « la geminazione delle frasi » ou « il ricorrere delle cadenze37 ».
- 38 Ibid., p. 57-88.
- 39 Ibid., p. 30 : « Dopo il 1830 il disinteresse della maggior parte del pubblico per la musica sinf (...)
14De plus amples incertitudes pèsent sur l’influence des représentations de musique instrumentale dans la vie de Belli. On sait combien le poète, qui s’adonna enfant à la pratique de la flûte, tira avantage de l’aisance matérielle acquise grâce à sa noble épouse, pour réaliser de multiples voyages en Italie et y découvrir la vie intellectuelle foisonnante de villes telles que Naples (1823), Florence (1824), Venise (1827) et surtout Milan (1827, 1828, 1829). Il est possible qu’à cette occasion, ce dernier en ait profité pour enrichir ses expériences et influences musicales à l’égard des innovations contemporaines relatives autant à l’opéra (« l’età rossiniana38 ») qu’aux compositions instrumentales, dont une diffusion riche et notoire, toute relative cependant39, demeurait surtout l’apanage, hors de Rome, des autres grandes cités où le poète séjourna. Toujours est-il que, retournant de ses voyages à partir des années 1830 pour fréquenter avec assiduité les milieux culturels romains, Belli continuera jusqu’à sa mort à signer régulièrement divers écrits ayant pour objet ou source d’inspiration la musique. Dans les années 1830, l’écrivain compose des poésies satiriques et morales destinées, outre aux auteurs et aux acteurs, à fournir des textes de représentation pour les chanteurs de théâtre, ainsi que des chroniques musicales publiées jusqu’en 1836 dans une revue romaine bimensuelle, Lo Spigolatore. Dans les années 1850, tandis qu’il rédige des articles d’appréciation politique et morale pour le compte des services de la censure de l’État pontifical, en regard en particulier aux opéras contemporains de Giuseppe Verdi et de Gioacchino Rossini, Belli publie un long poème intitulé Litanie della Vergine, que mettra aussitôt en musique le compositeur Domenico Capranica (1792-1870).
15Ainsi, dans la partie de ses écrits critiques touchant étroitement au thème de la musique, Giorgio Vigolo consacre-t-il un aperçu succinct à la place qu’exerça celle-ci dans l’existence de Belli. Le critique n’y mentionne que l’influence de l’opéra et passe rapidement sur le sujet : son intérêt se porte plus amplement sur la question musicale au sein même de la poésie de Belli. Le moment est donc venu de suivre Giorgio Vigolo dans la trace de ce nouveau parcours analytique.
« La qualità in sé del vernacolo »
16La partie du Saggio del Belli spécialement consacrée à la musicalité des Sonetti prend pour point de départ la conviction critique selon laquelle l’auteur dialectal se montra particulièrement attentif en son temps aux qualités inhérentes à la « langue » romanesca de sa poésie. Vigolo en veut pour preuve les notes laissées par Belli dans lesquelles celui-ci commenta ses propres vers :
- 40 Giorgio Vigolo, Il Genio del Belli, op. cit., p. 107-108.
Eccone una per esempio, pertinentissima, nel sonetto Er zoffraggio (8 dicembre ’32). Spiegando che cosa sono i “mandatarii” delle confraternite e parlando poi di quello di S. Gregorio Taumaturgo, protettore dei casi disperati, egli dice che questo mandatario ha un suo modo di cantare sotto i balconi de’ devoti uno speciale Deo-gratias coi fiocchi. “Il Deo-gratias di quest’ultimo è il più solenne e stirato che si possa desiderare. Il tempo musicale di esso ha il valore di due buone massime”40.
- 41 Ibid., p. 107.
17Témoin de l’expressivité des Sonetti qui en découle, en lien avec la musique, une longue liste de leurs caractéristiques stylistiques est élaborée par Giorgio Vigolo et résumée dans l’épigraphe du chapitre X « La Musicalità41 ».
- 42 Ibid., p. 110.
18Cherchant à classer ces divers éléments, afin d’en clarifier le contenu et d’en proposer une présentation synthétique, l’analyse identifie une première catégorie d’entre eux, réunie par Vigolo en raison de la qualité musicale intrinsèque du dialecte romain véhiculé par la poésie de Belli. Ainsi, censés attester « la qualità in sé del vernacolo42 », y trouve-t-on rassemblés les caractères des Sonetti que le critique appelle : « Cantabili, serenate, ritornelli », « Valori musicali autonomi », « Gusto musicale per i languaggi alterati, disintegrati o in crisi », « Balbuzie foniche e balbuzie mentali » et « Onomatesia favolosa ».
- 43 Ibid., p. 108.
19Le premier sous-groupe au sein d’entre eux repose, selon Vigolo, sur la parenté stylistique entre le romanesco et la poésie chantée et improvisée : « Non deve dunque far meraviglia se il verso di Belli è così vicino al canto spiegato che sta quasi sul punto di essere intonato come un’aria o una cavatina43 ». Le champ lexical de l’opéra sert à désigner certains de ces sonnets, sous le nom de « cantabili », en raison d’une assimilation aux paroles d’un chant, aria ou cavatina, dont la rime est souvent suspendue sur une voyelle tronca, comme dans l’exemple extrait du sonnet Un fattarello curioso :
- 44 Ibid., p. 296-297.
La padroncina mia da un mese e ppiù
Sgrinfiava cor un certo petimé,
E spesso lo fasceva venì ssù
De sera, e lo serrava in d’un retrè44.
20Le critique commente une série d’autres poèmes du même groupe, en employant des analogies typiques de l’univers de la chanson, telles la serenata, caractérisée par un vocalisme ouvert et déployé, illustrée par le sonnet homonyme (La serenata) :
- 45 Ibid., p. 293.
Vièttene a la finestra, o ffaccia bbella,
Petto de latte, bbocca inzuccherata,
Ch’io te la vojjo fà la serenata,
Te la vojjo sonà la tarantella…45.
21Appartiennent au même esprit de la chanson, les passages poétiques comportant un ritornello, où se répètent des expressions (le « te la vojjo » du poème précédent), voire des vers presque complets (Er zitellesimo) :
- 46 Ibid., p. 297.
È zzitella la fijja de Chichì?
Indovinela-grillo si sse pò,
Ce sò cquelli che ddìcheno de sì
Ce sò cquelli che ddìcheno de no46.
- 47 Ibid., p. 109.
22« Ma a parte queste forme più specificamente vicine allo stornello, allo strambotto […]47 », Vigolo introduit un second ensemble de caractères du dialecte romain, dénommé « valori musicali autonomi » en vertu de leur « espressività indipendente dal significato logico delle parole » : « Per il popolo oscuro che il Belli fa parlare, prima è il suono, poi la cosa […] ». Il s’agit notamment de traits dialectaux à part entière, tels le « tipico consonantismo romanesco (raddoppi, geminazioni, rotacismi) », « l’amplificazione dei suoni » ou le « conseguente prolungamento vocalico », dont un cas extrême est illustré par le « famoso sonetto del balbuziente », intitulé Er tartajjone arrabbiato :
- 48 Ibid., p. 317.
Che cche annate sspaargenno ch’io me-mmeno
Sch-schia-sschiaffi e ppuu-ppuggni a Mma-Mmaria?
Chi cchi v’iinforma si a cca-ccasa mia
Ce cce cce ceno o nnu nnu nnun ce-ceno48?
23Outre les bégaiements présents dans le poème précédent, des prononciations hachées se retrouvent dans le sonnet Er bijjetto d’invito, qui trahit l’hésitation du déchiffrement syllabique des mots par une jeune fille sachant à peine lire :
- 49 Ibid., p. 308.
C-a-cà, r-i-rí, cari, n-a-nà, carina,
V-e-vè, n-i-ní, vení, t-e-tè, venite
D-o-dò, m-a-mà, doma, n-i-ní… ssentite?
Me disce c’ho dd’annacce domatina49.
24Des tics de langage sont volontiers reproduits sous des formes voisines à celles d’onomatopées, comme par exemple les « Sto ppe ddì » du poème Le Mormorazione de Ggiujano :
- 50 Ibid., p. 320.
Sto ppe ddì, ssarv’ er vero, che Ggiujano
Fa assai male a sparlà ccontr’ er Governo;
E, ssarv’ er vero, quer lòtono eterno,
Sto ppe ddì, nnun è azzione da romano50.
25Ce second ensemble comporte en somme de nombreuses tournures fausses, altérées, déformées ou dégénérées du fait linguistique, dont la poésie romanesca de Belli sublime la musicalité en y ayant fréquemment recours, au contraire de la lingua colta :
- 51 Ibid., p. 109-110.
[…] Nel dialetto si sa poi quale particolare attrattiva esercitassero su di lui [Belli] le ancor più tipiche balbuzie mentali degli errori, delle tenebrose idiozie, dei falsi etimologismi, degli storpiamenti; dove, cioè, il fatto linguistico ritorna, per involuzione, alle origini della onomatesia favolosa e i suoni riacquistano una forza alogica di puro contatto fra suono e fantasia […]51.
« Il Genio del Belli »
- 52 Ibid., p. 110.
26En suivant le raisonnement de Giorgio Vigolo, les éléments stylistiques des poèmes précédemment présentés reposaient avant tout sur les propriétés musicales intrinsèques du dialecte véhiculé par la poésie de Belli. L’analyse propose de regrouper une seconde catégorie de caractéristiques poétiques relevant, selon le même critique, non plus des qualités du romanesco, mais, avant tout, du talent d’expressivité musicale de Belli : « Questo per quanto riguarda la qualità in sé del vernacolo. Vi è poi la musicalità propria dell’artefice, vi è l’orecchio addestrato e affinato del Belli con il suo speciale sonetto che quel parlare cantato esprimeva come tale52 ».
27Peuvent être ici rassemblés la plupart des traits de musicalité des Sonetti que le critique identifie et étudie dans la suite de son chapitre, parmi lesquels un premier groupe renvoie, par analogie, à des formes préexistantes de musique vocale. La sensibilité musicale exceptionnelle et le génie du poète expliquent, selon Vigolo, que l’opéra lui ait d’abord inspiré la composition de sonnets épousant l’apparence de « recitativi del distratto, dello smemorato, del ricordo », de « crescendo » ou de « cantilene dei numeri ». Les premiers, appelés « récitatifs », semblent suivre de manière inédite la mélodie discursive du parler romanesco, tout en recourant à des phrases et expressions typiquement dialectales. Un exemple presque comique, fourni par le sonnet Lo scordarello, traduit le monologue à haute voix de celui qui, dans un effort progressif et laborieux, cherche à se rappeler le nom d’une personne qu’il a sur le bout de la langue :
- 53 Ibid., p. 111.
Dí, t’aricordi ggnente Fidirico,
Chi era quello ch’er mastro de scòla
Dice c’a ttempi sui fesce sciriola
Ar Papa e lo trattò ccome nnimmico?
L’ho ssu la punta de la lingua dico,
Eppuro… Aspetta un po’, ffiniva in ola.
Andrea? no Andrea; ’na spesce de Nicola
Co un antro nome de casato antico.
Cristo! sarà ddu’ ora che cce penzo!
Zitto, zitto, ché vviè: Cola da… Ccazzo!
L’ho ttrovo, eccolo cqua: Ccola d’Arienzo53.
- 54 Ibid., p. 113.
- 55 Ibid., p. 340.
28Le « crescendo » qui caractérise certains autres sonnets, par le contraste brutal entre l’accélération de leur rythme et leurs soudaines rupture et gravité de ton, les rapproche stylistiquement des compositions musicales de Gioacchino Rossini : « “Crescendo” di frasi incalzanti e sempre più rapide che possono bene considerarsi in G. Gioachino Belli l’analogo poetico dei famosi “crescendo” del coetaneo Gioacchino Rossini […]54 ». Il en est ainsi du poème Chi ccerca trova55, dont un tercet produit un effet de suspension et d’attente :
Come io lo vedde cor cortello in arto
Co la spuma a la bbocca e ll’occhi rossi
Cúrreme addosso pe vvenì a l’assarto
29rendant d’autant plus nette et incisive la rupture provoquée par le vers suivant : « M’impostai cor un zercio e nnun me mossi ».
- 56 Ibid., p. 114.
Si noti: tutta l’onda collerica dell’alterco si è gonfiata, è cresciuta fino a far blocco in questo verso massiccio come una diga, di una fermezza di basalto: “M’impostai cor un zercio e [n]nun me mossi”. Segue una pausa, un silenzio, carico di imminenza drammatica. È una delle più impressionanti battute vuote di tutto il Belli56.
30Quant aux « cantilene di numeri », l’expression peut être associée aux mélodies vocales et lyriques de l’opéra du XIXe siècle, en relation aux suites de chiffres et de nombres que Belli insère parfois dans ses compositions et que le critique interprète comme autant de lentes mélodies qui expriment, seulement avec le son, « la linea dinamica di un sentimento » :
- 57 Ibid., p. 114.
[…] molti esempi si potrebbero dare, oltre ai sonetti L’abbichino delle donne (26 dicembre ’32), Er conto dell’anni (24 novembre ’31) e Un carcolo prossimativo (12 dicembre ’34), dove dopo un lungo computo di ciò che un cardinale mangia e beve, conclude così:
« Dunque, l’Eminentissimo s’iggnotte
Drent’a ddiescianni trentasei vaccine,
Quinisci rubbia, e cquarantotto bbotte57. »
- 58 Ibid., p. 339 : « È il famoso Miserere a nove voci di Gregorio Allegri (1584-1652), splendido ese (...)
- 59 Ibid., p. 339.
31Mais, en complément des formes musicales issues de l’opéra, d’autres compositions vocales inspirent le poète. Tandis que le critique assimile plusieurs Sonetti, qu’il appelle « polifonie basilicali », aux chants sacrés et aux madrigaux, il en apparente d’autres, dénommés « Novene e pastorali di Natale » ou « musica goduta in dormiveglia », aux pastorales et aux oratorios de la Nuit de Noël. Composés de plusieurs voix et lignes de discours, les polyphonies sacrées et madrigaux produisent « un effetto polifonico, madrigalesco con giuoco di echi ». Dans un exemple intitulé Er miserere de la Settimana Santa, Belli fait référence à la fameuse polyphonie Miserere, composée par le prêtre et chantre romain Gregorio Allegri58. À la lecture du dernier tercet de ce sonnet (« Prima l’ha ddetta un musico, poi dua, / Poi tre, ppoi quattro; e ttutt’er coro allora / J’ha ddato ggiù: mmisericordiam tua59 »), Giorgio Vigolo commente :
- 60 Ibid., p. 340.
[…] è da notare come i timbri, i chiaroscuri della voce e le scansioni ampie, solenni del romanesco vadano qui naturalmente a rifare certi effetti dello stile polifonico “a cappella”. Prima l’ha ddetta un musico, poi dua… Il suono dell’u sui due maggiori accenti del verso ricorda veramente certi echi lunghi del miserere per le immense navate della Basilica Vaticana già invase dalle ombre serali, quando l’ultimo cero dell’officiatura delle tenebre è ormai spento. Poi tre, ppoi quattro… Sembra di sentire le entrate delle varie voci, i bassi, i tenori, i soprani: il ritmo rallenta, trattenuto perché più atteso giunga lo scoppio del coro: E [t]tutt’er coro allora… E la cadenza aspettata precepita sulla netta cesura del J’ha ddato ggiù 60.
32De leur côté, les sonnets rapprochés aux formes de pastorales et d’oratorios de Noël se distinguent par leur ton mêlant fable et liturgie ainsi que par leur inspiration puisant aux sources de la nature, à l’instar du poème Li ventiscinque Novemmre évoquant les usages, coutumes et superstitions liés au jour de la fête de Sainte-Catherine :
- 61 Ibid., p. 117.
E ccominceno ggià li piferari
A ccalà da montaggna a le maremme
Co cqueli farajjoli tanti cari.
Che bbelle canzoncine! Oggni pastore
Le cantò spiccicate a Bbettalemme
Ner giorno der presepio der Ziggnore61.
- 62 Ibid., p. 112.
33Plusieurs traits musicaux des Sonetti peuvent enfin constituer un second et dernier sous-ensemble : n’étant plus associés par analogie à des formes déterminées de musique vocale, ils naissent exclusivement, au sein de dialogues entre personnages, grâce au talent du poète pour exalter les propriétés naturelles de la voix humaine, dont la musicalité ressort de ses modulations et de ses différences de timbre ou d’intonation. Vigolo donne en la matière trois catégories spécifiques d’exemples. Les premiers reproduisent le ton de voix projetant des appels à distance, comme dans la composition Le chiamate dell’appiggionante qui comporte les tirades d’un protagoniste conversant par fenêtres interposées : « Sora Sabbella. – Ée – Ssora Sabbella, / Affacciateve un po’ ssu la loggetta…62 ». Le poème Le seccature der primo piano traduit pour sa part la résonance d’une voix féminine, entendue depuis une cage d’escalier :
- 63 Ibid., p. 112.
Disce: « Nina è bbussato, annàt’a uprí ».
Io me finisco d’allaccià er corzè,
Curro a la porta e ddimanno : « Chi è? »
Disce: « Amici ». – « Chi vvò? » – Disce: « Er Balí »63.
34Enfin, la poésie Er ceco est emblématique de la sonorité de certains sonnets cherchant à adopter le timbre singulier de certaines voix, en particulier la voix légère de fausset d’un aveugle chantant à son épouse :
- 64 Ibid., p. 344.
Co’ na voscetta liggèra liggèra
Incomincia a ccantà: Ccrielleisonne,
Ccrielleisonne…, e cquela strega nera
De la mojje sbavijja e jj’arisponne64.
Les Musiques de Belli
- 65 Ibid., p. 110.
- 66 Giorgio Vigolo, Il Genio del Belli, op. cit., « Volume II. Tematica dei Sonetti. Testi e commenti(...)
- 67 Voir par exemple des poètes romains tels que : le peintre Cesare Pascarella (1858-1940) et le jou (...)
35Au terme d’un aperçu, sous l’égide du critique romain Giorgio Vigolo, des influences de la musique sur Giuseppe Gioachino Belli, une pluralité de parcours musicaux se fait jour pour décrire la vie du poète autant que l’œuvre édificatrice du romanesco littéraire moderne. Vigolo souligne l’empreinte indéniable de l’opéra dans la cité papale et des liens de connaissance ou d’amitié tissés avec certains de ses compositeurs contemporains les plus talentueux. C’est aussi aux bals, aux danses, aux chants sacrés, voire aux évolutions de la musique instrumentale de son époque, que renvoie probablement l’univers dans lequel s’épanouit Belli, écrivain dont on connaît si peu la vie aujourd’hui encore, dont on sait pourtant qu’elle n’en demeura pas moins celle d’un artiste avide d’expériences culturelles nouvelles, vécues au hasard de promenades ou de multiples voyages à Naples et dans les grandes cités du Nord de l’Italie. Une telle diversité d’influences se retrouve dans le texte même de la poésie dialectale qui fera sa renommée et que le critique Vigolo nous invite alors à étudier en suivant une perspective exclusivement stylistique : « Due musicalità che s’incontrano; come sempre la sua poesia è un incontro di ciò che viene dal popolo con ciò che viene dalla sua innata propensione65 ». La musicalité, ou plutôt « les » musicalités de Belli, s’expriment dans une série de caractéristiques formelles et s’opèrent d’abord par la médiation du dialecte romain, « langue » dont sont identifiées et reconnues à part entière les propriétés musicales. Si l’expressivité du romanesco repose sur le mérite du dialecte du peuple romain lui-même, d’autres traits musico-littéraires rapprochent la poésie de genres divers, du chant aux récitatifs, des polyphonies sacrées aux oratorios, et témoignent combien les qualités sonores de l’« idiome » tirent aussi et surtout avantage du « genio del Belli », écrivain fondateur sans le talent duquel n’aurait pu être transcrite la finesse authentique des modulations, des intonations et des timbres de voix. Mais des recherches semblent encore nécessaires : approfondissant la musicalité des Sonetti au regard des développements que Vigolo réserve spécifiquement à certains poèmes dans le second volume de ses écrits critiques66, elles apprécieraient notamment, d’un point de vue thématique et non plus stylistique, les liens entre la musique et l’œuvre autant qu’elles justifieraient peut-être de l’intensité exceptionnelle de l’expérience musicale de Belli, en comparaison à celle vécue et écrite par les auteurs essentiels de la littérature romanesca qui viendront après lui67.
Notes
1 Giorgio Vigolo, « La Poesia di G. G. Belli », Il Mondo, vol. III, no 28, 1er février 1924, p. 3, cité par Andrea Gialloreto, Questo Mio Guscio di Favole. Giorgio Vigolo e il suo tempo, Asti, Prospero Editore, 2018, p. 409-410.
2 Poète, essayiste, nouvelliste, traducteur autant que musicologue, critique musical et littéraire italien : Magda Vigilante, L’Eremita di Roma, Vita e opere di Giorgio Vigolo, Roma Ostiense, Fermenti Editrice, 2010. Le 28 octobre 1966 à la Villa Sciara de Rome, pour l’Istituto Italiano di Studi Germanici de Rome, Giorgio Vigolo consacra une conférence intitulée Quali musiche suonò Hölderlin? aux relations entre la musique et la vie et l’œuvre du poète souabe de langue allemande, Friedrich Hölderlin (1770-1843), contemporain du romain Giuseppe Gioachino Belli (1791-1853). Le texte de ce discours est transcrit dans la revue internationale Studia Theodisca (Studia Theodisca Hölderliniana I, 2014, p. 21-34). Sur les liens entre Belli et Hölderlin dans l’œuvre critique de Giorgio Vigolo: Giorgio Vigolo, « Belli e Hölderlin », in Il Genio del Belli, Roma, Lit. Edizioni, 2016, note 10, p. 31-33.
3 Voir par exemple Claudio Marazzini, La Lingua Italiana, Storia, Testi, strumenti, Bologna, Il Mulino, 2010.
4 Ibid., p. 133-135.
5 Ibid., p. 171.
6 Ibid., p. 183-184.
7 Giovanni Camillo Peresio (1628-1696), Giuseppe Berneri (1634-1701), Benedetto Micheli (1699-1784) ou Giovanni Giraud (1776-1834) cités par : Giorgio Vigolo, Il Genio del Belli, op. cit., p. 57.
8 Francis Darbousset, dans sa préface intitulée « Belli, le clandestin », in Giuseppe Gioachino Belli, Rome Unique Objet ou les Sonnets Clandestins, trad. Francis Darbousset, Paris, Les Belles Lettres, 2000, p. XVII.
9 Vicenzo Tizzani (1809-1892), ecclésiastique et homme de lettres, membre en particulier de l’Accademia Tiberina, institution créée en 1813, pour promouvoir les sciences, les lettres latines et italiennes et l’histoire de la ville de Rome et dont Belli participa à la fondation.
10 Francis Darbousset, dans sa préface « Belli, le clandestin », in Giuseppe Gioachino Belli, Rome Unique Objet ou les Sonnets Clandestins, op. cit., p. XXI-XXII.
11 Luigi Morandi, I Sonetti romaneschi di Giuseppe Gioachino Belli pubblicati dal nipote Giacomo, Città di Castello, Lapi, 1886-1889.
12 Francis Darbousset, dans sa préface « Belli, le clandestin », in Giuseppe Gioachino Belli, Rome Unique Objet ou les Sonnets Clandestins, op. cit., p. XXIII. Pour une synthèse historique plus détaillée de la publication des Sonetti en Italie et en France, voir par exemple : ibid., p. 259-262.
13 Ernest Bovet, Le Peuple de Rome vers 1840 d’après les sonnets en dialecte transtévérin de G. G. Belli, Neuchâtel, 1897. Depuis cette thèse du chercheur suisse Ernest Bovet, qui constitue le premier ouvrage de référence en la matière, et jusqu’au lendemain de la seconde Guerre mondiale, sous l’influence du courant néo-réaliste italien, la critique littéraire, en particulier dans les milieux universitaires, tout en reconnaissant l’intérêt de l’œuvre dialectale de Belli, tendait à la réduire au rôle d’une source sociologique documentaire, au détriment de sa propre qualité littéraire, cf. Pietro Gibellini, dans sa préface « Il genio del Belli, il genio di Vigolo », in Giorgio Vigolo, Il Genio del Belli, op. cit., p. II-III.
14 Giuseppe Gioachino Belli, I Sonetti, edizione critica completa (con note e un saggio sul Belli), a cura di Giorgio Vigolo, Milano, Mondadori, 1952.
15 Voir notamment : Giorgio Vigolo, « La Poesia di G.G. Belli », art. cit., p. 3, cité par Andrea Gialloreto, op. cit., p. 407-414.
16 Pietro Gibellini, « Una Lezione sempreverde », dans sa préface intitulée « Il Genio del Belli, il genio di Vigolo », in Giorgio Vigolo, Il Genio del Belli, op. cit., p. XIII-XV.
17 Pour un aperçu des différences linguistiques entre le romanesco de l’époque de Belli et l’italien contemporain : Francis Darbousset, dans sa préface « Belli, le clandestin », in Giuseppe Gioachino Belli, Rome Unique Objet ou les Sonnets Clandestins, op. cit., p. XXXIII-XXXIV.
18 « Bibliografia degli scritti sul Belli di Giorgio Vigolo », in Giorgio Vigolo, Il Genio del Belli, op. cit., p. 165-166.
19 Dans la réédition en 2016 de la publication de référence de 1952 (Giorgio Vigolo, Il Genio del Belli, op. cit.), l’ouvrage comporte deux tomes, « Volume I » et « Volume II. Tematica dei Sonetti. Testi e commenti » : le « Saggio del Belli » est désormais intégré dans la seconde partie du premier volume (« Volume I » : « Parte Prima. Esperienza belliana », « Parte Seconda. Saggio sul Belli »). Dans sa préface à l’ensemble de l’ouvrage, Pietro Gibellini explique les raisons d’une telle structure : « Il Genio del Belli, il genio di Vigolo », ibid., p. I-II.
20 Giorgio Vigolo, Il Genio del Belli, op. cit., chapitre X, « La musicalità », p. 107-119 ; « Volume I », « Parte Seconda. Saggio sul Belli », p. 35-166.
21 Fabrizio Della Seta, Italia e Francia nell’Ottocento, Torino, EDT, 1991, p. 3-4.
22 Ibid., p. 12.
23 Ibid., p. 18-55.
24 Giorgio Vigolo, Il Genio del Belli, op. cit., p. 107.
25 Giovanni Orioli, « Giuseppe Gioachino Belli », « Dizionario biografico degli italiani – volume 7 (1970) », https://www.treccani.it/enciclopedia/giuseppe-gioachino-belli_%28Dizionario-Biografico%29/ consulté le 7 septembre 2021.
26 Guido Zavadini, Donizetti, Vita, Musiche, Epistolario, Bergamo, Istituto italiano d’arti grafiche, 1948.
27 Giorgio Vigolo, Il Genio del Belli, op. cit., note 2, p. 118.
28 Les informations biographiques sur G.G. Belli sont extraites de : Giovanni Orioli, « Giuseppe Gioachino Belli », « Dizionario biografico degli italiani – volume 7 (1970) », https://www.treccani.it/enciclopedia/giuseppe-gioachino-belli_%28Dizionario-Biografico%29/ consulté le 7 septembre 2021.
29 Cette académie, créée en 1824 par le compositeur Muti Papazzuri (1801-1858) dans le but initial de promouvoir de manière indépendante la diffusion de concerts de musique vocale et instrumentale, subit la même année la mainmise du pouvoir pontifical en devenant d’autorité « istituzione ufficiale dello Stato ponteficio ».
30 Fabrizio Della Seta, Italia e Francia nell’Ottocento, op. cit., p. 22.
31 Belli signa par exemple trois pièces de théâtre publiées dès 1815-1816 : I Finti Commedianti, I Fratelli alla Prova et Il Tuttor Pittor.
32 Fabrizio Della Seta, Italia e Francia nell’Ottocento, op. cit., p. 36.
33 Ibid., p. 34 : « In Italia, nell’Ottocento come nel secolo precedente, i balli costituivano una componente fondamentale delle stagioni teatrali, sia nella forma estesa in tre o quattro atti (ballo grande), sia in quella ridotta che occupava l’intervallo fra due atti d’opera o la conclusione della serata, come complemento della rappresentazione operistica ma sempre ben distinta da quella ; in Francia vigeva invece l’uso del divertissement, l’interludio coreografico inserito nell’azione della tragédie lyrique ».
34 Belli se maria en 1816 avec Maria Conti (1781-1837), riche et vieille héritière romaine, veuve la même année du Comte Giulio Pichi d’Ancona installé à Rome.
35 Belli et son épouse donnèrent naissance en 1824 à un fils prénommé Ciro.
36 Belli participa à de nombreux carnavals romains : Giorgio Vigolo, Il Genio del Belli, op. cit., p. 107.
37 Fabrizio Della Seta, Italia e Francia nell’Ottocento, op. cit., p. 36.
38 Ibid., p. 57-88.
39 Ibid., p. 30 : « Dopo il 1830 il disinteresse della maggior parte del pubblico per la musica sinfonica e cameristica appare diffuso, come dimostra tra l’altro il fallimento del tentativo di Paganini di creare a Parma, nel 1835-36, un’orchestra ducale stabile sul modello di quella parigina del Conservatoire. Tutta da esplorare è però la diffusione della musica “classica” tramite le edizioni che a quanto pare si smerciano anche in Italia (a Milano, per esempio, i negozianti di musica pubblicizzano la loro disponibilità di edizioni viennesi), e di cui futuri operisti come Donizetti, Bellini e Verdi si servono nei loro anni di studio ».
40 Giorgio Vigolo, Il Genio del Belli, op. cit., p. 107-108.
41 Ibid., p. 107.
42 Ibid., p. 110.
43 Ibid., p. 108.
44 Ibid., p. 296-297.
45 Ibid., p. 293.
46 Ibid., p. 297.
47 Ibid., p. 109.
48 Ibid., p. 317.
49 Ibid., p. 308.
50 Ibid., p. 320.
51 Ibid., p. 109-110.
52 Ibid., p. 110.
53 Ibid., p. 111.
54 Ibid., p. 113.
55 Ibid., p. 340.
56 Ibid., p. 114.
57 Ibid., p. 114.
58 Ibid., p. 339 : « È il famoso Miserere a nove voci di Gregorio Allegri (1584-1652), splendido esempio di polifonia romana ; non si poteva ricopiare e Mozart lo ritenne e trascrisse poi a memoria. Ne parla con entusiasmo anche Goethe nella Italienische Reise, III (Rom, 22. Mdrz 1788) definendo la musica di quel coro “inconcepibilmente bella” […] ».
59 Ibid., p. 339.
60 Ibid., p. 340.
61 Ibid., p. 117.
62 Ibid., p. 112.
63 Ibid., p. 112.
64 Ibid., p. 344.
65 Ibid., p. 110.
66 Giorgio Vigolo, Il Genio del Belli, op. cit., « Volume II. Tematica dei Sonetti. Testi e commenti ».
67 Voir par exemple des poètes romains tels que : le peintre Cesare Pascarella (1858-1940) et le journaliste Carlo Alberto Salustri dit Trilussa (1871-1950).
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Référence papier
Guillaume Etandin, « Quelles musiques joua Belli ? », Italies, 26 | 2022, 27-44.
Référence électronique
Guillaume Etandin, « Quelles musiques joua Belli ? », Italies [En ligne], 26 | 2022, mis en ligne le 24 mars 2023, consulté le 12 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/italies/9951 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/italies.9951
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