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Jardins littéraires

Une greffe vénéneuse : Leopardi jardinier de Buzzati

Perle Abbrugiati
p. 275-297

Résumé

L’article examine un cas d’intertextualité entre Buzzati et Leopardi. À partir du célèbre texte du Zibaldone qui prend le jardin comme paradigme de la souffrance universelle, on relève les images et stylèmes typiquement léopardiens dont Buzzati truffe la description de ses jardins dans les nouvelles du recueil Il colombre. Dans un jeu de référents plus ou moins affichés ou plus ou moins cachés dans les buissons de son écriture, Buzzati étoffe ainsi son fantastique d’un pessimisme à résonance métaphysique.

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XIXe, XXe
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Texte intégral

All’indomani chiamai il giardiniere, il suo nome era Giacomo. Gli dissi : « Che cosa hai fatto in giardino, nel prato c’è come una gobba ».

  • 1  Dino Buzzati, Le gobbe nel giardino, in Il Colombre, Milano, Mondadori, 1966, éd. de 1973, p. 319.

1Ces mots tirés de la nouvelle intitulée Le gobbe nel giardino1laissent entendre que la première des bosses du jardin de Buzzati, c’est celle de Giacomo Leopardi. Nous reviendrons en détail sur la nature des bosses de ce jardin buzzatien, et sur le rôle de cet étrange jardinier nommé Giacomo, mais disons d’emblée que, malgré toute la distance littéraire qui sépare ces deux auteurs, ils se rejoignent dans des jardins bien contigus. Une contiguïté venant de leur valeur métaphorique et de leur caractère négatif, à rebours de toute tradition voulant que le jardin soit lieu de délices, de paix et de jouissance.

  • 2  Zibaldone, [4175], texte écrit à Bologne, 19-22 avril 1826.

2Si, des textes mythiques et bibliques jusqu’à la pastorale qui s’en inspire, du romantisme entiché de nature jusqu’au XXe siècle où le jardin reste havre à l’abri du temps historique, le jardin est lieu clos, protégé, épargné, esthétique, où se retrouvent les amoureux pour badiner, les intellectuels pour deviser ou les poètes pour méditer, Leopardi en a fait au contraire au sein du Zibaldone – le texte est connu – un lieu de souffrance, image en miniature de la cruauté du monde. Le pessimisme du passage est d’autant plus violent qu’il repose sur une inversion du topos du jardin2.

  • 3  Buzzati, op. cit., respectivement pp. 191-197 ; 319-325 ; 443-449.

3Nous partirons donc d’une relecture de ce texte avant de montrer l’influence qu’il a dû exercer sur Buzzati au moment de la rédaction du Colombre. Nous examinerons trois nouvelles de ce recueil, pour vérifier que l’intertextualité est flagrante et fortement signalée par le romancier fantastique : elles s’intitulent respectivement Dolce notte, Le gobbe nel giardino, et Il giardino3.

4On ne s’étonnera pas de l’utilisation a contrario du thème du jardin : si celui-ci est, par tradition, une sorte de concentré de vie, il n’est pas surprenant que la remise en cause de la valeur de la vie, dans le cas de Leopardi, de notre vie, dans le cas de Buzzati, instrumentalise ce lieu pour démentir les valeurs véhiculées par l’arché-type. Nous examinerons selon quelles modalités pour chacun d’eux, sans bien sûr subordonner un auteur à l’autre, mais en évaluant les rapports entre ces deux démonstrations, limitrophes mais distinctes, elles aussi contiguës.

1. Du Zibaldone à Dolce notte

5Le texte léopardien de référence s’inscrit, pour l’illustrer, dans une réflexion qui constitue l’un des sommets du pessimisme absolu de Leopardi. Elle commence par le célèbre « Tutto è male ». Radicalisation du discours sur le non-être, le passage débute par une profession de foi pessimiste, péremptoire et sans appel. Cet incipit a l’aspect non d’un début mais d’une conclusion, celle d’une réflexion longuement menée et ici synthétisée :

  • 4  Giacomo Leopardi, Zibaldone di pensieri, Milano, Mondadori, 1996, vol. 2, p. 1095.

Tutto è male. Cioè tutto quello che è, è male ; che ciascuna cosa esista è un male ; ciascuna cosa esiste per fin di male ; l’esistenza è un male e ordinata al male ; il fine dell’universo è il male ; l’ordine e lo stato, le leggi, l’andamento naturale dell’universo non sono altro che male, né diretti ad altro che al male. Non v’è altro bene che il non essere : non v’ha altro di buono che quel che non è ; le cose che non son cose : tutte le cose sono cattive.4

  • 5  Ibidem.

6Ce concentré de “léopardisme” se poursuit par une relativisation de l’existence, si petite par rapport à l’infini du Néant, un simple « neo » de l’univers : « L’esistenza, per sua natura ed essenza propria e generale, è un’imperfezione, un’irregolarità, una mostruosità »5.

7Leopardi raille l’optimiste leibnizien en prenant son contre-pied ironique :

  • 6  Ibidem.

Non ardirei però estenderlo a dire che l’universo esistente è il peggiore degli universi possibili, sostituendo all’ottimismo il pessimismo. Chi può conoscere i limiti della possibilità ?6

8Il n’est pas inutile de préciser que ces considérations s’accom-pagnent, dans cette page du Zibaldone, d’un projet d’écriture : « Si potrebbe esporre e sviluppare questo sistema in qualche frammento che si supponesse di un filosofo antico, indiano, ec. ». On reconnaît ici le noyau de ce que sera le Frammento apocrifo di Stratone da Lampsaco, qui figurera dans les Operette morali publiées l’année suivante. Dans la suite du passage, la nécessité du malheur est plus que jamais affirmée, et généralisée à l’univers :

  • 7 Ibidem, p. 1096.

Non gli uomini solamente, ma il genere umano fu e sarà sempre infelice di necessità. Non il genere umano solamente ma tutti gli animali. Non gli animali soltanto ma tutti gli altri esseri al loro modo. Non gli individui, ma le specie, i generi, i regni, i globi, i sistemi, i mondi.7

9Toutes ces citations sont parmi les plus connues de Leopardi et ne seraient pas rapportées ici si elles ne fournissaient le contexte immédiat de la métaphore du jardin. On le voit d’après la précédente citation, le texte procède par absolutisation et par élargissement. Jamais le pessimisme leopardien n’a été si “cosmique”. C’est pourtant juste après l’énumération vertigineuse passant des individus aux espèces, aux genres, aux règnes, aux globes, aux systèmes, aux mondes, que sans transition l’auteur passe dans l’espace clos du jardin.

10Tout semble indiquer que Leopardi, pour confirmer ses affirmations, choisit délibérément l’image la plus paisible et la plus joyeuse qui soit pour la détruire et lui substituer une contre-image, celle d’un contre-jardin qui sera vecteur de son renversement de valeurs. Ainsi, il part d’un présupposé conforme au topos, en interpellant ses lecteurs et en insistant sur les caractéristiques a priori souriantes du lieu :

  • 8  Ibidem.

Entrate in un giardino di piante, d’erben di fiori. Sia pur quanto volete ridente. Sia nella più mite stagione dell’anno.8

11On vérifie aussitôt que cette insistance est au service d’un paradoxe :

Voi non potete volger lo sguardo in nessuna parte che voi non vi troviate del patimento. Tutta quella famiglia di vegetali è in istato di souffrance, qual individuo più, qual meno.

12Les « piante », « erbe », « fiori » de la première phrase du passage sont donc ici les protagonistes de l’état de souffrance – que le terme français fait ressortir – dont Leopardi veut faire la preuve qu’il est universel. Même les « individus » appartenant au règne végétal, à l’état « végétatif » de la vie, sont susceptibles de souffrir, en fait souffrent nécessairement et constamment. C’est pour affirmer que l’univers, dans son ensemble et dans ses moindres détails, est souffrant, que le niveau du “ras des pâquerettes” est ici montré à la loupe. En effet, les “personnages” de la scène ensuite décrite sont des plantes (on appréciera la personnalisation contenue dans le mot « famiglia »), dont les déboires, mutilations et tortures sont minutieusement détaillées, selon la perspective mouvante du « sguardo » suggéré dans la citation plus haut rapportée : un travelling de la douleur, ponctué par des termes comme « là... là… », « quel giglio », « quella pianta », « quell’albero… quello… quest’altro… quello », « qua », « l’una », « l’altra »…

13Une énumération de plantes, fleurs ou arbres brisés, piétinés, parasités, fânés prend alors place, procédant par arrêts sur image successifs, chacun jouant sur un procédé rhétorique. Par exemple l’accumulation – celle des verbes de souffrance, ou des verbes d’agression, ou des noms de prédateurs :

  • 9 Ibidem.

Quella rosa è offesa dal sole, che gli ha dato la vita ; si corruga, langue, appassisce.9

  • 10 Ibidem.

Quell’albero è infestato da un formicaio, quell’altro da bruchi, da mosche, da lumache, da zanzare, questo è ferito nella scorza, e cruciato dall’aria o dal sole che penetra nella piaga ; quello è offeso nel tronco, o nelle radici ; quell’altro ha più foglie secche ; quest’altro è roso, morsicato nei fiori ; quello trafitto, punzecchiato nei frutti.10

  • 11 Ibidem, p. 1097.

Intanto tu strazi le erbe co’ tuoi passi ; le stritoli, le ammacchi, ne spremi il sangue, le rompi, le uccidi.11

14Ailleurs, c’est le procédé du contraste qui est utilisé, par exemple entre deux maux opposés mais équivalents comme source de douleur :

  • 12 Ibidem, p. 1096.

Quella pianta ha troppo caldo, questa troppo fresco ; troppa luce, troppa ombra ; troppo umido, troppo secco.12

15Ou encore il s’agit du contraste créé entre une image traditionnelle, douce et bucolique, et une réalité brutale, cruelle, sans pitié :

  • 13 Ibidem.

Là quel giglio è succhiato crudelmente da un’ape, nelle sue parti più sensibili, più vitali. Il dolce mele non si fabbrica dalle indu-striose, pazienti, buone, virtuose api senza indicibili  tormenti di quelle fibre delicatissime, senza strage spietata di teneri fiorellini.13

16C’est bien sur un contraste que se termine le passage, celui entre l’apparence et la réalité des choses, « réalité » se confondant avec « douleur » comme, on l’a vu plus haut, « choses » se confond avec « mal » :

  • 14  Ibidem, p. 1097.

Lo spettacolo di tanta copia di vita all’entrare in questo giardino ci rallegra l’anima, e di qui è che questo ci pare essere un soggiorno di gioia. Ma in verità questa vita è trista e infelice, ogni giardino è quasi un vasto ospitale…14

  • 15  La sera del dì di festa, in Canti, Torino, Einaudi, p. 109.
  • 16 Ultimo canto di Saffo, ibidem, p. 83.

17C’est également sur le contraste entre l’apparence et le réel que repose la nouvelle de Buzzati Dolce notte. Le titre lui-même présente une filiation léopardienne – on pense, par exemple à l’incipit de La sera del dì di festa, « Dolce e chiara è la notte e senza vento »15, ou à celui de l’Ultimo canto di Saffo, « Placida notte e verecondo raggio… »16, où le « raggio » est bien sûr un rayon de lune.

18C’est aussi un clair de lune qui s’étend sur le jardin paisible qui sert de scène à la nouvelle buzzatienne. Un jardin nocturne que le protagoniste regarde de sa fenêtre, tel un Leopardi accoudé à celle du « paterno ostello » de Recanati, comme dans Le ricordanze :

  • 17 Le ricordanze, ibidem, p. 177.

Vaghe stelle dell’Orsa, io non credea
tornare ancor per uso a contemplarvi
sul paterno giardino scintillanti,
e ragionar con voi dalle finestre
di questo albergo ove abitai fanciullo,
e delle gioie mie vidi la fine.17

19Dans Dolce notte, un couple est en train de se coucher, après être arrivé dans sa maison de campagne. L’homme, encore debout, écoute avec sollicitude les anxiétés de sa compagne, déjà au lit, qui ressent des présences inquiétantes dans le jardin. Il se met à la fenêtre pour vérifier que nul voleur de grand chemin n’est susceptible de les déranger, et ne contemple que le paisible spectacle d’un jardin calme et serein sous la lune.

20Le premier des contrastes est donc celui qui oppose l’état d’esprit inquiet de l’épouse et celui, détendu, du mari. L’inquiétude métaphysique léopardienne et le sens de la contemplation propre au poète se dissocient ici en deux personnages, la première laissant place à une inquiétude plus “instinctive”, féminine, voire “hystérique”, donc plus propre à susciter chez le lecteur l’appréhension propre au fantastique :

  • 18  Dino Buzzati, op. cit., p. 193.

« Carlo » chiamò Maria dal letto, inquieta, vedendo che lui stava là immobile a guardare. « Chi c’è ? »
Egli chiuse la finestra lasciando aperte le persiane e si volse :
« Nessuno, cara. C’è una luna stupenda. Non ho mai visto una simile pace ».18

  • 19  Giacomo Leopardi, Canti,cit., p. 111.

21Cette paix servira de “refrain” à la nouvelle, ponctuant le récit angoissant par ce contraste de sérénité apparente, en écho à celle que Leopardi fait régner dans La sera del dì di festa (« Tutto è pace e silenzio, e tutto posa / il mondo »19).

22Le jardin tel qu’il nous est présenté dans un premier temps est en effet un paysage très “récanatais” :

  • 20  Dino Buzzati, op. cit., p. 192.

« Ti prego, Carlo, dà un’occhiata. »
Egli si alzò, aprì vetri e persiane, guardò fuori, restò attonito. Nel pomeriggio c’era stato un temporale ed ora, in un’atmosfera di quasi incredibile purezza, la luna di tre quarti illuminava straordinariamente il giardino, immobile, deserto, e silenzioso perché i grilli e le rane fanno parte appunto del silenzio.20

  • 21  Giacomo Leopardi, Canti, cit., p. 197.

23Point n’est besoin d’être grand clerc pour reconnaître une allusion à La quiete dopo la tempesta (« Nel pomeriggio c’era stato un temporale… » renvoyant à « Passata è la tempesta »21).

  • 22 Ibidem, p. 269.

24Quant à la lune d’une clarté extraordinaire qui surplombe un lieu désert et silencieux, elle renvoie à l’évidence au Canto notturno di un pastore errante dell’Asia, où la lune a la même « incredibile purezza », puisque elle y est dite tour à tour « vergine » ou « intatta ». Ou encore, si l’on préfère, au Tramonto della luna, où l’astre brille « sovra campagne inargentate ed acque »22.

25Des eaux qui sont forcément ici présentes puisqu’on entend des grenouilles, ces mêmes grenouilles sans doute que Leopardi signale dans Le ricordanze :

  • 23 Ibidem, p. 177.

Quante immagini un tempo, e quante fole
creommi nel pensier l’aspetto vostro   [delle finestre di questo albergo]
e delle luci a voi compagne ! allora
che, tacito, seduto in verde zolla,
delle sere io solea passar gran parte
mirando il cielo, ed ascoltando il canto
della rana rimota alla campagna !23

26La contemplation du jardin par le protagoniste permet d’une part une description du lieu, où l’on appréciera des éléments typiquement léopardiens, tels qu’une haie (allusion à L’infinito, évidemment), ou la superposition de l’idée de nature avec l’impression de mystère. Cette contemplation conduit d’autre part le protagoniste à glisser progressivement dans la dimension du souvenir, puisqu’il s’agit du jardin de son enfance, un souvenir à la saveur de « rimembranza » léopardienne, « simbolo di perdute felicità » :

  • 24  Dino Buzzati, op. cit., p. 192.

Era un giardino molto semplice, fatto di un prato liscio con un vialetto di ghiaia bianca che formava anello, irraggiandosi in varie diramazioni : e solo intorno c’era una bordatura di fiori. Ma era pure il giardino della sua infanzia, un dolente pezzo della sua vita, un simbolo di perdute felicità, e sempre, nelle notti di luna, sembrava parlare a lui con appassionate e indecifrabili allusioni. A levante, controluce e perciò nera, una barriera di carpini traforata ad archi, a sud una bassa siepe di bosso, a nord la scala che menava all’orto e il romantico edificio del granaio, a occidente la casa. Tutto riposava in quel modo ispirato e meraviglioso con cui la natura dorme sotto la luna e che nessuno è mai riuscito a spiegare. Tuttavia, come sempre, lo spettacolo gli dava uno struggimento profondo, quasi per una bellezza espressiva ch’egli poteva sì contemplare, ma non avrebbe mai potuto far sua.24

27Le clin d’œil donné par l’expression « indecifrabili allusioni » nous autorise à poursuivre cette analyse d’une intertextualité avouée, voire même revendiquée. L’aspect le plus intéressant de cette inspiration léopardienne réside en effet dans la description de ce qui se passe dans le jardin à une autre échelle, tandis que le protagoniste se livre à cette rêverie poétique.

28Comme Leopardi dans le Zibaldone, Buzzati descend en effet au cœur du jardin et y rencontre ses habitants souffrants. Cependant, il le fait avec une double différenciation : d’une part, le récit dégage un malaise fantastique avant qu’une conclusion ne lui donne son sens exemplaire (on se souvient que le contraire advenait dans le texte de Leopardi, où l’enseignement était donné d’emblée tandis que l’illus-tration par le jardin venait ensuite) ; d’autre part il ne va pas s’agir pour Buzzati de décrire le monde végétal, mais de mettre en scène le monde animal. Ainsi le jardin, qui n’est visible que comme une calme globalité par le personnage accoudé à la fenêtre, devient au niveau microcosmique le théâtre d’une violence inouïe qui se décline sur toute la chaîne des espèces :

  • 25 Ibidem, p. 193.

Aggrappata a uno stelo una cavalletta bambina riposava, beata, il tenero addome verde palpitando con grazia al ritmo della respirazione. Gli uncini del ragno-botola le si affondarono con rabbia nel torace, squarciandolo. Il corpicino si divincolò facendo scattare le lunghe gambe posteriori, una volta sola però. Già gli orridi rampini avevano divelto il capo e ora si immergevano nel ventre. Dagli squarci sgorgò il succo addominale che il carnefice si mise a succhiare avidamente.25

  • 26 Ibidem, p. 195.

29On reconnaît un peu la succion des abeilles du Zibaldone, mais avec un expressionnisme encore plus écœurant. Buzzati ne nous épargne aucun détail d’une succession de mises à mort correspondant à la chaîne des prédateurs : après que l’araignée a mangé la sauterelle, un crapaud mange l’araignée, une larve mange un escargot, un arachnide mange la larve, un scarabée mange une luciole, un oiseau de nuit mange le crapaud. « Ma a guardare, non si vedeva niente. Tutto, nel giardino, era poesia e quiete divina »26. Ainsi, le refrain vient-il encadrer les épisodes morbides. Tous les crimes commis le sont avec rapidité, indifférence, cruauté. Parfois, Buzzati souligne le pathétique des situations, comme dans le cas de la luciole mâle amoureuse d’une femelle, mais il le fait avec une ironie qui rend encore plus expéditive la narration des morts soudaines :

  • 27 Ibidem, pp. 194-195.

Poco più in là, tenero idillio. Con la sua lanterna a intermittenza accesa al massimo, un lucciolone girava intorno al fisso lume di una appetitosa femminuccia, languidamente distesa su una foglia. Sì o no ? Sì o no ? Le si portò accanto, tentò una carezza, lei la-sciava fare. L’orgasmo dell’amore gli fece dimenticare quale inferno fosse un prato in una notte di luna. Nell’atto che abbracciava la sua donna un carabo dorato con un solo colpo lo sventrò definitivamente, spalancandolo da qui fin qui. Il suo fanalino continuava a palpitare chiedendo sì o no, e il predone l’aveva già mezzo ingoiato27.

30Comme Leopardi, Buzzati utilise les contrastes et les énumérations, les accumulations de termes pour rendre son tableau saisissant. Il enchaîne les visions d’horreur et utilise des pluriels généralisants, qui à la fois emphatisent et banalisent les situations de prédation :

  • 28 Ibidem, p. 195.

La kermesse della morte era cominciata al calare delle tenebre. Adesso era al colmo della frenesia. E sarebbe continuata fino all’alba. Dovunque era massacro, carneficina, supplizio. Scalpelli che sfondavano crani, uncini che scavezzavano gambe, scoperchiavano squame e rimestavano nelle viscere, tenaglie che schiantavano scaglie, punteroli che infilzavano, denti che trituravano, aghi che inoculavano veleni e anestetici, fili che imprigionavano, succhi erosivi che liquefacevano gli schiavi ancora vivi.28

31Après une longue série de tableaux tous plus atroces les uns que les autres et de nomenclatures visant à englober dans la boucherie collective le plus grand nombre d’espèces, Buzzati termine sur une universalisation plus léopardienne que nature :

Terrore, angoscia, strazio, agonia, morte, per mille e mille altre creature di Dio è il sonno notturno di un giardino di trenta metri per venti. E lo stesso avviene nelle campagne intorno, e lo stesso al di là dalle montagne che risplendono di vitrei riflessi alla luna, pallide e misteriose. E per l’intera superficie del mondo è lo stesso dovunque, appena scende la notte : sterminio, annientamento, e carnaio. […] Così è stato dal tempo dei tempi e così sarà per i secoli dei secoli, fino alla consumazione del mondo.

  • 29  Giacomo Leopardi, Canti, cit., p. 105.
  • 30  Dino Buzzati, op. cit., p. 197.

32On ne peut s’empêcher de rapprocher cette généralisation, froide et prophétique, précisément du Frammento apocrifo di Stratone da Lampsaco dont Leopardi prévoyait l’écriture dans le passage du Zibaldone étudié, un texte qui se termine précisément sur une vision d’apocalypse. Le texte buzzatien se termine d’une façon plus douce, conformément au titre de la nouvelle, au moyen de nouveaux stylèmes léopardiens (on reconnaîtra la « profondissima quiete » de L’infinito29 dans la « quiete immensa »30 qui clôt le texte).

33C’est cependant une douceur qui se connote rétrospectivement d’une angoisse omniprésente et d’autant plus effrayante qu’elle provient d’événements appartenant à une sphère invisible – cette angoisse que justement ressentait confusément l’épouse depuis le début, comme réveillée instinctivement par un sentiment de présence hostile et menaçante :

Il mondo giace in una quiete immensa, inondato dalla luce di luna. Ancora quel senso di incantesimo, ancora quell’arcano struggimento.
« Dormi tranquilla, cara, non c’è anima viva, non ho mai visto tanta pace ».

34La circularité apparente n’en est donc pas vraiment une, puisque si les termes sont à peu près les mêmes que ceux employés plus haut par le personnage, leur résonance est absolument différente, imprégnée maintenant d’un second degré d’une ironie grinçante : la paix du jardin où tout repose est devenue celle d’un cimetière où l’on espère que tout repose en paix.

2. Les boursouflures d’un jardin intérieur

35Ce jardin ravagé, image d’un monde souffrant sous des apparences trompeuses, trouve un pendant psychologique dans un autre jardin buzzatien. Dans Le gobbe nel giardino, le narrateur annonce de façon ambiguë que le jardin dont il sera question n’est pas seulement matériel :

  • 31 Ibidem, p. 319.

Quando è scesa la notte a me piace fare una passeggiata nel giardino. Non crediate io sia ricco. Un giardino come il mio lo avete tutti. E più tardi capirete il perché.31

36Dans l’attente de comprendre de quoi il nous parle vraiment, nous suivons donc le narrateur dans sa promenade nocturne. À nouveau, nous nous retrouvons dans une atmosphère qui tient le milieu entre les Ricordanze et le Canto notturno de Leopardi :

  • 32 Ibidem.

Nel buio, ma non è proprio completamente buio perché dalle finestre accese della casa un vago riverbero viene, nel buio io cammino sul prato, le scarpe un poco affondando nell’erba, e intanto penso, e pensando alzo gli occhi a guardare il cielo se è sereno e, se ci sono le stelle, le osservo domandandomi tante cose. Però certe notti non mi faccio domande, le stelle se ne stanno lassù sopra di me stupidissime e non mi dicono niente.32

37Inévitablement, on pensera aux vers léopardiens :

  • 33  G. Leopardi, Canto notturno di un pastore errante dell’Asia, in Canti, cit., p. 192.

e quando guardo in ciel arder le stelle ;
dico fra me pensando :
a che tante facelle ?
che fa l’aria infinita, e quel profondo
infinito seren ?33

38Mais on voit que Buzzati s’amuse de son modèle, en introduisant avec ironie l’idée d’une stupide inertie s’opposant à la contemplation léopardienne. C’est peut-être pour mieux montrer que si l’on ne pense pas aux choses, les choses s’imposent à vous : en effet, le narrateur, jeune encore, va “buter” au sens propre sur un problème métaphysique, en trébuchant sur une bosse qui s’est incompréhensiblement formée dans son jardin :

  • 34  Dino Buzzati, op. cit., p. 319.

Ero un ragazzo quando facendo la mia passeggiata notturna inciampai in un ostacolo. Non vedendo, accesi un fiammifero. Sulla liscia superficie del prato c’era una protuberanza e la cosa era strana. Forse il giardiniere avrà fatto un lavoro, pensai, gliene chiederò ragione domani mattina.
All’indomani chiamai il giardiniere, il suo nome era Giacomo. Gli dissi : « Che cosa hai fatto in giardino, nel prato c’è come una gobba, ieri sera ci sono incespicato e questa mattina appena si è fatta luce l’ho vista. È una gobba stretta e oblunga, assomiglia a un tumulo mortuario. Mi vuoi dire che cosa succede ? »
« Non è che assomiglia, signore » disse il giardiniere Giacomo « è proprio un tumulo mortuario. Perché ieri, signore, è morto un suo amico ».34

39Le narrateur, qui croit un instant qu’on a enterré son ami décédé dans son jardin, est vite détrompé : il n’est pas là matériellement.

  • 35 Ibidem, p. 320.

 « …Ma qui nel giardino il prato si è sollevato da solo, perché questo è il suo giardino, signore, e tutto ciò che succede nella sua vita, signore, avrà un seguito precisamente qui. »
« Va’, va’, ti prego, queste sono superstizioni assurde » gli dissi « ti prego di spianare quella gobba. »
« Non posso signore » egli rispose « neppure mille giardinieri come me riuscirebbero a spianare quella gobba ».35

40Ainsi, nous apprenons à la fois que la bosse du terrain a une cause surnaturelle, et que ce jardin lui-même, nous pouvons le subodorer maintenant, est un jardin métaphorique et intérieur, dont le jardinier, ce Giacomo laconique et péremptoire, est la présence tutélaire : dans sa discrétion, il est le personnage qui sait, et en tant que tel a une aura fantastique, voire inquiétante.

41Dans les promenades que continue à faire le narrateur, la protubérance du jardin a maintenant un rôle important. Elle polarise un espace auparavant neutre et ramène le promeneur au souvenir de son ami défunt. Il s’y habitue comme à quelque chose qui appartient désormais à son quotidien. Cependant, au bout d’un certain nombre d’années, le phénomène se reproduit :

  • 36 Ibidem, p. 321.

Tuttavia molti anni passarono ed ecco che una sera, nel corso della passeggiata, proprio nell’angolo opposto del giardino, inciampai in un’altra gobba.
Per poco non andai lungo disteso. Era passata mezzanotte, tutti erano andati a dormire ma tale era la mia irritazione che mi misi a chiamare : Giacomo, Giacomo, proprio allo scopo di svegliarlo. Si accese infatti una finestra, Giacomo si affacciò al davanzale.36

  • 37  Giacomo Leopardi, A Silvia, in Canti, cit., p. 172.

42On appréciera le détail de la fenêtre qui crée un lien avec le jardin de Dolce notte, mais aussi avec l’attitude du Leopardi se penchant « d’in su i veroni del paterno ostello »37 par exemple dans A Silvia, poème du deuil s’il en est. Bien sûr, le jardinier apprend au narrateur un nouveau décès ; et il en sera de même tout le long de la nouvelle. Plus le narrateur avance en âge, plus le nombre de bosses augmente dans son jardin, changeant sa topographie intérieure :

  • 38  Dino Buzzati, op. cit., p. 322.

Passarono quindi alcuni anni abbastanza tranquilli ma a un certo punto la moltiplicazione delle gobbe riprese nel prato del giardino. Ce ne erano di piccole ma ne erano venute su anche di gigantesche che non si potevano scavalcare con un passo ma bisognava veramente salire da una parte e poi scendere dall’altra come se fossero delle collinette. Di questa importanza ne crebbero due a breve distanza l’una dall’altra e non ci fu bisogno di chiedere a Giacomo che cosa fosse successo.38

43Ainsi, au fur et à mesure que le récit avance, la métaphore devient claire, assumée, et le jardin se fait spirituel dans le même temps qu’il prend l’aspect d’un cimetière :

  • 39 Ibidem, p. 323.

A poco a poco il mio giardino, dunque, che un tempo era liscio e agevole al passo, si è trasformato in campo di battaglia, l’erba c’è ancora ma il prato sale e scende in un labirinto di monticelli, gobbe, protuberanze, rilievi e ognuna di queste escrescenze corrisponde a un nome, ogni nome corrisponde a un amico, ogni amico corrisponde a una tomba lontana e a un vuoto dentro di me.39

44Du jardin au cimetière, du cimetière au labyrinthe, du labyrinthe au vide intérieur, voilà un espace qui se construit par déformation, par saturation aussi. La bosse, obstacle qui occupe de l’espace, correspond aussi à un vide, une création d’espace, l’espace de l’angoisse qui grandit avec la vie. La virginité du jardin initial, sa linéarité plane, s’oppose au terrain accidenté qu’est l’âme du personnage devenu mûr ou vieux. Le paradoxe est que la saturation de l’espace correspond à une “saturation du vide”, qui n’est pas loin du sentiment du Néant léopardien. Les effets comiques du texte (personnage butant comme Charlot ou Zeno dans un espace en transformation, puis appelant à tue-tête le jardinier qui n’en peut mais) laissent place à une méditation de plus en plus désenchantée.

45Au personnage-narrateur se substitue d’ailleurs l’écrivain lui-même, puisque le texte se fait “autodiégétique” (la nouvelle se termine par le nom de Dino Buzzati) au moment où l’auteur accentue sa fonction conative – il interpelle ses lecteurs et livre ouvertement le sens de la métaphore :

  • 40 Ibidem, p. 324.

Ora non ditemi, vi prego : perché vai discorrendo di queste orribili tristezze, la vita è già così breve e difficile per se stessa, amareggiarci di proposito è cretino ; in fin dei conti queste tristezze non ci riguardano, riguardano solo te. No, io rispondo, purtroppo riguardano anche voi, sarebbe bello, lo so, che non vi riguardassero. Perché questa faccenda delle gobbe del prato accade a tutti, e ciascuno di noi, mi sono spiegato finalmente, è proprietario di un giardino dove succedono quei dolorosi fenomeni. È un’antica storia che si è ripetuta dal principio dei secoli, anche per voi si ripeterà. E non è uno scherzetto letterario, le cose stanno proprio così.40

46Le texte procède ici aussi par élargissement. En écho au « Così è stato dal tempo dei tempi e così sarà per i secoli dei secoli, fino alla consumazione del mondo » qui figurait dans Dolce notte, on trouve ici : « È un’antica storia che si è ripetuta dal principio dei secoli ». Il a également une valeur explicitement didactique (« anche per voi si ripeterà »). Et peut-être aussi catartique, s’il est vrai qu’il se termine sur le secret espoir que sa propre disparition, à lui Dino Buzzati, soit à l’origine d’une petite, même toute petite, bosse dans le jardin de quelqu’un.

3. Il giardino ou l’enfer du progrès

  • 41 Ibidem, p. 277.

47Que les jardins buzzatiens aient un rapport à la mort, le troisième que nous examinerons le confirme. Il giardino clôt le recueil du Colombre en même temps qu’il termine la section Viaggio agli inferni del secolo. Conformément au titre de la section, il se connote d’une critique de société. Il est tentant de penser au « secol superbo e sciocco » dont Leopardi faisait la critique dans La Ginestra41.

  • 42  Dino Buzzati, op. cit., p. 194.

48On peut y entendre aussi un écho de Dolce notte, où Buzzati nous rappelait « quale inferno fosse un prato in una notte di luna »42.

49Mais l’enfer n’est pas ici le jardin, il est autour du jardin, menacé par une urbanisation sauvage. L’enfer, c’est celui de la modernité, tandis que le jardin a ici toutes les caractéristiques idylliques du lieu paradisiaque, conformément à la tradition : il n’y manque ni la vieille dame très douce qui en est propriétaire, ni la fillette qui y joue, ni le petit lapin qui l’habite. Mais l’évolution de la ville vient le circonscrire et l’étouffer peu à peu par amputations successives.

50Ainsi, la douceur du jardin traditionnel se sera-t-elle opposée à la mort selon trois “directions” spatiales : dans Dolce notte l’opposition se fait sur le plan vertical : au jardin serein vu d’en haut s’oppose le jardin cruel des insectes à ras de terre ; dans Le gobbe nel giardino, l’opposition se fait sur le plan horizontal : le plan lisse du jardin se charge d’obstacles qui entravent la progression du promeneur ; dans Il giardino, c’est une opposition entre l’intérieur et l’extérieur qui est effectuée, où le jardin, cerné par des forces aussi modernes que diaboliques, rétrécit comme une peau de chagrin.

51Il est d’abord décrit presque comme un paradigme de jardin – jardin-nature, jardin-enclos, jardin-printemps, jardin-île :

  • 43 Ibidem, p. 443.

Era un vero giardino fatto di prati, alberi, aiuole e fontanelle, recinto da un alto muro ; bellissimo per la festa della vegetazione all’irrompere della calda primavera. Una stupefacente isoletta di pace, riposo, speranze, buona salute, buoni odori e silenzio.43

  • 44 Ibidem.

Mais cet aspect traditionnel et intact est d’emblée compromis par deux éléments : ce qui suit et surtout ce qui précède. Ce qui suit est une observation sur un phénomène presque surnaturel de pureté lié à la lumière particulière, qui fait du jardin un lieu plus fantastique que familier :
Ancora più strano il seguente fenomeno : mentre la restante metropoli era stancamente illuminata dal flaccido e putrido sole della metropoli, il giardino risplendeva di luce pura come quella delle montagne. Quasi esistesse un invisibile tubo che mettesse in diretta comunicazione il giardino con l’astro, riparando quel breve tratto di città dalle pestilenze e dai furori dell’aria circo-stante.44

52Ce qui précède, plus encore, confère au jardin un statut d’exception : voici en effet comment commence la nouvelle :

Non è tutto infernale all’Inferno.

  • 45 Ibidem.

In uno degli schermi di Mrs. Belzeboth vidi laggiù, nel colmo del groviglio urbano, un giardino, era un vero giardino fatto di prati… etc.45

53C’est donc l’idée que le jardin est une île dans un enfer qui est tout d’abord annoncée. L’étrangeté de cette présence vierge de modernité est soulignée de plusieurs façons : le lieu où elle s’insère (« nel colmo del groviglio urbano ») ; la façon dont on la perçoit : sur un écran, qui l’encadre, qui filtre l’image par un support moderne, à la fois média et “cornice” ; le lieu d’où le narrateur-spectateur voit la scène, infernal puisque l’écran appartient à Mrs Belzeboth, dont le nom démoniaque est encore plus moderne du fait qu’il est anglicisé. Un jardin-éden, donc, comme représentation d’un enfer in fieri :

  • 46 Ibidem, p. 444.

Io mi volsi alla signora Belzeboth che seguiva le mie esplorazioni, e le dissi : « Come la mettiamo, signora ? Sarebbe questo l’Inferno ? »
Da un angolo della sala il sussurrio delle ancelle. E la regina delle amazzoni rispose : « L’Inferno non esisterebbe, ragazzo mio, se prima non ci fosse il Paradiso ».
Detto così, mi invitò a un altro schermo…46

On a donc affaire à un enfer de science-fiction, doté de toute la technologie de pointe, d’où l’on observe la vie sur des écrans différents qui la fractionnent et la trahissent tout en la révélant.
Sur le premier écran, se déroule une scène d’une délicieuse désuétude, au charme suranné avec la vieille dame jouant du piano et la petite fille jouant avec son lapin. Sur un autre, surgit la scène de la commission municipale où la langue de bois politico-écologique cache les ambitions d’une stratégie urbaine brimant les valeurs anciennes que le jardin résumait et objectivait : « pace, riposo, speranze, buona salute, buoni odori e silenzio ».

54Ainsi, un promoteur aux accointances douteuses vient exproprier la bonne dame au désespoir sur un troisième écran :

  • 47 Ibidem,p. 445.

Per potervi costruire una rimessa per autobus, assolutamente necessaria nella zona, una fetta del giardino venne espropriata.47

55Sur les différents écrans ponctuant la nouvelle, le narrateur verra tour à tour les scènes intimistes (la vieille dame chez elle), les scènes politiques (meetings et décisions), les scènes bucoliques (la fillette et son lapin), les scènes de travaux (où le bulldozer rappelle un peu le scarabée de Dolce notte) :

  • 48 Ibidem, p. 446.

Una specie di rinoceronte meccanico sfondava il muro di cinta del giardino e con le sue braccia a forma di falce, di tenaglia, di denti, di odio e di distruzione, si avventò sugli alberi, sui cespugli e sulle aiuole della striscia prefissata trasformando tutto, nel giro di pochi minuti, in una poltiglia di terra e di fango.48

  • 49 Ibidem, p. 448.

56Il va de soi que la première expropriation est suivie d’autres, pendant lesquelles successivement la fillette réussit à sauver, à resauver, puis à voir mourir son lapin, s’habituant à la situation nouvelle mais avec aux coins de la bouche « una piccola piega dura »49, tandis que le jardin se transforme en trou noir :

  • 50 Ibidem, pp. 447-448.

La signora Belzeboth e le sue vallette erano adesso intorno a me e sorridevano beate dell’impresa. Era una serena giornata di settembre, il giardino non esisteva più, al suo posto un funesto buco, un angusto pozzo nudo e grigio sul cui fondo, con impressionanti contorsioni, riuscivano a entrare e a uscire certi furgoncini. Laggiù il sole non sarebbe arrivato mai più nei secoli dei secoli, e neppure il silenzio, né il gusto di vivere.50

57On retrouve le ton emphatique/prophétique déjà employé dans les autres textes (« mai più nei secoli dei secoli »). Et ce parking décrit comme un « funesto buco » ne ressemble-t-il pas à l’une des entrées de l’enfer décrit par Leopardi dans ses Paralipomènes ?

  • 51  Giacomo Leopardi, Paralipomeni della Batracomiomachia, VII, 44-46, in ed. a cura di Marco A. Bazzo (...)

Girava il monte più di cento miglia
e per tutto il suo giro alle radici
eran bocche diverse a maraviglia
di grandezza tra lor ma non d’uffici.
[…]
E son disposti
quei fori sì che de’ maggiori allato
i minori per ordine son posti.
[…]
Porte son questi d’altrettanti inferni
che ad altrettanti generi di bruti
son ricetti durabili ed eterni
dell’anime che i corpi hanno perduti.51

58L’éden transformé en enfer par contamination du contexte environnant n’aurait pu être un sujet développé par Leopardi, en tout cas pas à partir de l’idée de l’urbanisation telle que le XXe siècle l’a connue. C’est néanmoins bien dans l’esprit de la Palinodia al marchese Gino Capponi que se situe le texte de Buzzati dénonçant l’enfer du progrès :

  • 52  Giacomo Leopardi, Canti, cit., p. 265.

al canto
del secolo i bisogni omai non penso
materia far ; che a quelli, ognor crescendo,
provveggono i mercati e le officine
già largamente52

59Il est en tout cas indéniable que la réflexion sur la disparition de ce jardin d’innocence conduit Buzzati à une universalisation, léopardienne… en diable :

  • 53  Dino Buzzati, op. cit., p. 449.

Ora mi si chiederà di rettificare, poiché all’inferno non possono esistere bambini. Invece ce ne sono, e come. Senza il dolore e la disperazione dei bambini, che probabilmente è la peggiore di tutte, come potrebbe esserci un Inferno comme-il-faut ? E poi, a me stesso che ci sono stato, non è ben chiaro se l’Inferno sia proprio di là, o se non sia invece ripartito fra l’altro mondo e il no-stro. Considerando ciò che ho potuto udire e vedere, mi domando anzi se per caso l’Inferno non sia tutto di qui, e io mi ci trovi ancora, e che non sia solamente punizione, che non sia castigo, ma semplicemente il nostro misterioso destino.53

  • 54  Ibidem, p. 444.

60Ainsi se termine Il Colombre, par une phrase extrêmement “zibaldonienne”. Or, dans la dernière nouvelle examinée nous aurions pu signaler que le jardin comportait une dépendance : « Su un lato del giardino sorgeva una casupola di stile garbatamente rustico per il custode, che faceva anche il giardiniere »54. Ne pourrait-il s’agir d’un double du jardinier Giacomo de Dolce notte ? Nul doute en tout cas qu’il n’y ait dans le jardin buzzatien une véritable dépendance et que, si le jardinier de Buzzati s’appelle Giacomo, ce ne soit Dino qui, entre les lignes, cultive son Leopardi.

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Notes

1  Dino Buzzati, Le gobbe nel giardino, in Il Colombre, Milano, Mondadori, 1966, éd. de 1973, p. 319.

2  Zibaldone, [4175], texte écrit à Bologne, 19-22 avril 1826.

3  Buzzati, op. cit., respectivement pp. 191-197 ; 319-325 ; 443-449.

4  Giacomo Leopardi, Zibaldone di pensieri, Milano, Mondadori, 1996, vol. 2, p. 1095.

5  Ibidem.

6  Ibidem.

7 Ibidem, p. 1096.

8  Ibidem.

9 Ibidem.

10 Ibidem.

11 Ibidem, p. 1097.

12 Ibidem, p. 1096.

13 Ibidem.

14  Ibidem, p. 1097.

15  La sera del dì di festa, in Canti, Torino, Einaudi, p. 109.

16 Ultimo canto di Saffo, ibidem, p. 83.

17 Le ricordanze, ibidem, p. 177.

18  Dino Buzzati, op. cit., p. 193.

19  Giacomo Leopardi, Canti,cit., p. 111.

20  Dino Buzzati, op. cit., p. 192.

21  Giacomo Leopardi, Canti, cit., p. 197.

22 Ibidem, p. 269.

23 Ibidem, p. 177.

24  Dino Buzzati, op. cit., p. 192.

25 Ibidem, p. 193.

26 Ibidem, p. 195.

27 Ibidem, pp. 194-195.

28 Ibidem, p. 195.

29  Giacomo Leopardi, Canti, cit., p. 105.

30  Dino Buzzati, op. cit., p. 197.

31 Ibidem, p. 319.

32 Ibidem.

33  G. Leopardi, Canto notturno di un pastore errante dell’Asia, in Canti, cit., p. 192.

34  Dino Buzzati, op. cit., p. 319.

35 Ibidem, p. 320.

36 Ibidem, p. 321.

37  Giacomo Leopardi, A Silvia, in Canti, cit., p. 172.

38  Dino Buzzati, op. cit., p. 322.

39 Ibidem, p. 323.

40 Ibidem, p. 324.

41 Ibidem, p. 277.

42  Dino Buzzati, op. cit., p. 194.

43 Ibidem, p. 443.

44 Ibidem.

45 Ibidem.

46 Ibidem, p. 444.

47 Ibidem,p. 445.

48 Ibidem, p. 446.

49 Ibidem, p. 448.

50 Ibidem, pp. 447-448.

51  Giacomo Leopardi, Paralipomeni della Batracomiomachia, VII, 44-46, in ed. a cura di Marco A. Bazzocchi e Riccardo Bonavita, Roma, Carocci, 2002, pp. 219-220.

52  Giacomo Leopardi, Canti, cit., p. 265.

53  Dino Buzzati, op. cit., p. 449.

54  Ibidem, p. 444.

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Pour citer cet article

Référence papier

Perle Abbrugiati, « Une greffe vénéneuse : Leopardi jardinier de Buzzati »Italies, 8 | 2004, 275-297.

Référence électronique

Perle Abbrugiati, « Une greffe vénéneuse : Leopardi jardinier de Buzzati »Italies [En ligne], 8 | 2004, mis en ligne le 01 juillet 2009, consulté le 14 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/italies/1776 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/italies.1776

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Auteur

Perle Abbrugiati

Université de Provence

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