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Comptes rendus

Giorgio Baroni (a cura di), Storia della letteratura dalmata italiana

Pisa-Roma, Fabrizio Serra, 2022, 440 pages
Michela Toppano
p. 415-418
Référence(s) :

Giorgio Baroni (a cura di), Storia della letteratura dalmata italiana, Pisa-Roma, Fabrizio Serra, 2022, 440 pages

Texte intégral

1Cet ouvrage se présente sans conteste comme un ouvrage pionnier, puisqu’il retrace, pour la première fois et de manière systématique, une histoire de la littérature dalmate en langue italienne des origines jusqu’à nos jours. Il a été édité en 2022 par Fabrizio Serra sous la direction de Giorgio Baroni, qui s’est occupé du cinquième chapitre (Fra il 1866 e il 1918). Il constitue l’aboutissement d’un travail déjà entamé dont un jalon significatif a été, en 2015, un colloque international consacré à la Letteratura dalmata italiana, organisé per Giorgio Baroni et Cristina Benussi. Ce volume de 440 pages est accompagné d’une anthologie au format numérique, Antologia della letteratura dalmata italiana, qui constitue un instrument extrêmement précieux pour le lecteur, puisqu’elle lui permet d’accéder à des extraits de textes souvent peu connus et difficiles à repérer.

2Par Dalmatie, on entend ici la région constituée de la côte adriatique allant de Fiume, au Nord, à l’Albanie au Sud, des îles qui lui font face, ainsi que de l’arrière-pays qui va jusqu’aux montagnes. Par auteurs dalmatiens, on entend ceux qui sont nés et ont produit leurs œuvres dans ce territoire, ceux qui y sont nés et en sont partis mais ont gardé un lien étroit avec la terre d’origine et les réseaux culturels locaux, enfin les immigrés italiens qui s’y sont installés. Le volume comprend les auteurs qui ont écrit en italien et/ou dans un dialecte italien de manière exclusive ou à côté d’autres langues (latin, langue slave, dalmate).

3L’ouvrage est composé de six parties : 1. Le origini, Il Trecento e il Quattrocento ; 2. Il Cinquecento e il Seicento ; 3. Dal 1700 al 1789 ; 4. Dal 1789 al 1866 ; 5. Fra il 1866 e il 1918 ; 6. Gli ultimi cento anni: dalmati e italiani. Il s’agit d’un ouvrage collectif, puisque chaque partie a été confiée à un spécialiste de la période à analyser, qui a pu éventuellement se prévaloir de la collaboration d’autres chercheurs.

4Dans l’espace d’un compte rendu, il n’est pas possible d’épuiser la richesse de cet ouvrage qui s’efforce de fournir un inventaire le plus exhaustif possible et une analyse critique plus ou moins développées des auteurs dalmates (poètes, essayistes, romanciers, auteurs de pièces de théâtre, linguistes, philosophes) qui ont produit des œuvres au cours de mille ans d’histoire et se sont mis à l’épreuve dans tous les genres. L’index des auteurs présent à la fin du volume peut donner une idée de l’ampleur du travail effectué. Cette histoire de la littérature répertorie aussi bien des auteurs « mineurs », sur lesquels nous disposons d’informations très sommaires – et qui appellent donc des approfondissements ultérieurs – que des auteurs désormais canoniques, comme le linguiste Giovan Francesco Fortunio (xve-XVIe siècle), le philosophe Francesco Patrizi (1529-1597), le scientifique Giuseppe Ruggero Boscovich (1711-1787), Niccolò Tommaseo (1802-1874) ou encore Enzo Bettiza (1927-2017), déjà bien étudiés par ailleurs mais qui ont été replacés ici dans le contexte d’une production littéraire liée à une région aux traits culturels et linguistiques spécifiques, dans la perspective d’une géographie littéraire. Enfin, cet ouvrage attire l’attention sur des auteurs dont la place mériterait d’être mieux appréciée non seulement dans le cadre de l’histoire de la littérature dalmate, mais aussi dans l’histoire de la littérature l’italienne : c’est le cas, par exemple, d’Arturo Colautti (1851-1914) romancier, poète, journaliste et auteur pour le théâtre, de Giuseppe Sabalich (1856-1928), poète, historien, auteur pour le théâtre, ou encore de Liana De Luca (1931-2018), journaliste, poétesse et essayiste. Au vu de l’ampleur de ce travail, il est impossible, sans tomber dans une liste fastidieuse, de présenter cet ouvrage à travers une approche « prosopographique », même si l’on choisit de se concentrer sur des personnages sélectionnés comme étant représentatifs. Je me limiterai donc à indiquer quelques-uns des fils rouges qui parcourent les pages de ce volume et à relever la manière dont cette histoire de la littérature permet de mettre en exergue certains éléments caractérisant, de manière spécifique, la production dalmate.

5En tout premier lieu, cette littérature se nourrit d’échanges incessants entre la Dalmatie et l’Italie, qui peuvent prendre des formes très variées. Ces relations reposent tout d’abord sur la circulation des hommes : depuis les origines jusqu’au XXe siècle, nombre d’intellectuels dalmates se sont formés en Italie et/ou y ont séjourné pendant des périodes plus ou moins longues. Jusqu’à la Renaissance notamment, l’Université de Padoue a été un haut lieu pour la formation de nombreux intellectuels laïcs et Rome pour celle des religieux. Par ailleurs des villes italiennes ont été souvent les centres de diffusion de la production des auteurs dalmates : plus particulièrement, jusqu’au XVIIIe siècle, Venise, qui, pour des raisons historiques et politiques, entretenait des liens privilégiés avec la Dalmatie. C’est dans la Serenissima que sont publiés en effet la plupart des ouvrages des auteurs dalmates de l’époque. En outre, les influences littéraires sont également profondes : tout au long des siècles, les écrivain(e)s dalmates témoignent d’une connaissance approfondie de la culture et des débats littéraires italiens de leur temps ou des époques précédentes. Par exemple, le dense réseau intertextuel de la poésie pétrarquiste de Domenico Ragnina (1536-1607) révèle une connaissance fine non seulement du modèle direct, Pétrarque, mais aussi de Pietro Bembo, Jacopo Sannazaro, Giovanni Della casa ou encore Guittone d’Arezzo. De même le linguiste Giovan Francesco Fortunio apporta sa pierre à la question de la langue avec son ouvrage Regole grammaticali della volgar lingua (1516) proposant un modèle fondé sur la langue des « trois couronnes ». Au XVIIIe siècle, Stefano Sciugliaga (1719-1790), fervent défenseur de Goldoni, prend part à la discussion autour de la réforme du théâtre.

6Les auteur(e)s dalmates ont participé aux principaux mouvements littéraires de la péninsule. Ainsi, la Dalmatie a-t-elle été la première région en Europe, après l’Espagne, où le pétrarquisme s’est diffusé. Cultivé notamment au sein de l’Accademia des Concordi de Raguse, le pétrarquisme était aussi un élément identitaire de la classe dirigeante dalmate au XVIe siècle. Entre la fin du XVIIIe et le début du XIXe, le néoclassicisme est alimenté par l’activité de plusieurs intellectuels, notamment des ecclésiastiques écrivant en latin, membres de l’Académie de l’Arcadie, comme Marco Faustino Gagliuffi (1765-1834).

7Au XIXe siècle, Niccolò Tommaseo, Niccolò Giaxich (1762-1841) ou Luigi Fichert sont des représentants importants du romantisme patriotique dalmate. L’idéal national est sous-jacent aussi aux études de plusieurs essayistes dalmates lorsqu’ils font de Dante, le père de la langue et de la culture italienne et symbole de l’Italie elle-même, leur objet d’étude privilégié : c’est le cas d’Antonio Lubìn (1809-1900) mais aussi d’Adolfo Mussafia. Entre le XIXe et le XXe siècle, Beatrice Speraz (1839-1923), avec le roman social La fabbrica (1894) et le roman Sulle due rive (1896), qui combine roman psychologique et roman parlementaire, s’insère parfaitement dans le courant vériste en langue italienne, alors que le futurisme est représenté par Tullio Crali (1910-1983), qui fut avant tout peintre, mais qui contribua également à la poésie futuriste avec son recueil Parole nello spazio (1938).

8Si les rapports entre les deux rives de l’Adriatique furent intenses et furent à l’origine de phénomènes d’imitation, cette production présente néanmoins des caractéristiques qui lui sont propres. Des influences de la culture et de la littérature autochtones, oscillant entre civilisation slave et latine, se ressentent lorsque ces auteurs s’approprient le modèle italien. Ainsi au XVIe siècle, le premier recueil de poésie en italien de Domenico Ragnina s’inspire-t-il d’un point de vue thématique à la poésie pétrarquiste tout en exploitant les formes métriques typiques de la poésie populaires croates. De même, certains genres qui connaissent un développement florissant en Italie présentent des inflexions spécifiques auprès de intellectuels dalmates. Par exemple, l’historiographie, au XVIe, réserve une place de choix à la question des Turcs, qui suscitent l’attention aussi ailleurs en Europe, mais acquiert une signification toute particulière ici compte tenu de la proximité de la Dalmatie à l’Empire Ottomane. Au siècle suivant, elle introduit la thématique du panslavisme dans les traités de Domenico Zavoreo (Ruina et presa del Regno di Bossina, 1602) ou de Giacomo Luccari (Il Regno degli Slavi de Mauro Orbini, 1601 ; Copioso ristretto degli annali di Ragusa, 1605). Au XIXe siècle le patriotisme romantique, qui se déploie surtout à travers la poésie, la recherche ethnographique et historique, le recueil et transcription de légendes et de la poésie populaire, les romans historiques, l’identification des origines et d’une « patrie » italienne passe aussi par la revendication de l’identité dalmate, qui, de par ses liens avec la latinité et la civilisation vénitienne, est la jauge de l’italianité de ces auteurs et de leur région.

9Une caractéristique spécifique de cette production réside aussi dans le plurilinguisme. Ces auteurs, qui ont vécu dans le contexte multiculturel et multiethnique qui est propre à la Dalmatie, carrefour de la civilisation slave et latine, dont le métissage a été revendiqué comme le trait qualifiant de la « nationalité » dalmate au moment de l’essor des nationalismes, écrivent souvent en plusieurs langues : en italien, en langue slave, en dialecte vénète ou en langue dalmate, et, avant le XVIIIe siècle, en latin. Ainsi, même si cet ouvrage réunit les auteurs dalmates qui ont écrit en italien, il ne faut pas oublier qu’ils jonglent souvent parmi des systèmes linguistiques pluriels. Ainsi, il peut arriver, par exemple, que la culture italienne soit assimilée et restituée dans une langue différente. Ce contexte est particulièrement favorable au développement de la linguistique, l’histoire de la langue, la lexicographie. Ainsi, ce volume rappelle l’importance d’une tradition dalmate dans le cadre des études linguistiques. Elle est représentée, par exemple, par Fortunio et Adolfo Mussafia au XIXe siècle (ce dernier étant considéré comme le fondateur de la philologie romane), ou par Mirko Déanovic et son élève Zarko Muliavic au XXe siècle : s’ils se sont tout particulièrement consacrés aux langues slaves et aux dialectes de Dalmatie, ils ont également promu les études italiennes dans les universités yougoslaves.

10Enfin, ce volume permet de saisir la manière dont évolue, au cours des siècles, le rapport de ces auteurs à l’« italianité » et à la langue italienne dans un contexte pluriethnique où les rapports et la hiérarchie entre les différentes langues et cultures ont évolué au gré des événements historiques, parfois traumatiques, qui se sont succédés. Cette identité plurielle n’a pas été conflictuelle jusqu’au XIXe siècle, où les différentes langues, cultures et ethnies revêtaient des fonctions sociales, politiques et culturelles distinctes mais consensuelles. Écrire en italien signifiait utiliser la langue de la culture et des notables pour des fonctions et des genres d’écriture spécifiques. Ce n’est qu’avec la naissance des nationalismes et notamment suite à la politique du divide et impera pratiquée par les autorités autrichiennes au détriment de la composante italienne, considérée comme moins fiable, après les guerres d’indépendance italiennes, que ces relations se complexifient et se tendent. Ainsi à partir du XIXe siècle, écrire en italien et/ou en dialecte vénète devient aussi un acte de patriotisme et une manière claire de revendiquer où de sauver une identité italienne qu’on perçoit comme menacée. En même temps, l’unité d’une identité dalmate, constituée de plusieurs ethnies, langues et cultures, se désagrège. Ainsi, les changements de frontières et les événements historiques (le gouvernement autrichien au XIXe siècle, la renonciation de l’État italien à la Dalmatie avec le traité de Rapallo en 1920 et surtout la répression des Italiens comme réaction aux violences fascistes qui a débuté en 1943) ont été à l’origine de plusieurs vagues d’exode. Chez tous ces auteurs, et notamment ceux qui sont nés au XXe siècle, une thématique récurrente est donc la recherche et la tentative de renouer avec leur origine, une Dalmatie plurielle, liée à la nature et aux souvenirs d’enfance, qu’ils essaient de retrouver parfois par un retour physique. Cette expérience se révélant le plus souvent décevante, car le présent ne coïncide plus avec les images du passé, c’est l’écriture poétique ou romanesque qui se charge de reconstruire, à travers la mémoire, l’image d’une Dalmatie idéale.

11Cet ouvrage apparaît donc comme un travail ambitieux : à la fois foisonnant d’informations précieuses sur les auteurs, leurs parcours, leurs réseaux, et essayant d’offrir également une présentation critique des personnalités traitées. L’ampleur de la tâche et le souci d’exhaustivité implique également quelques petits inconvénients. Pour certaines périodes, il n’a pas été possible de trouver beaucoup d’informations sur les auteurs, souvent mineurs, ce qui a amené à les répertorier sans pouvoir les encadrer dans une optique critique.

12Mais ce sont des broutilles par rapport à l’effort qui a été accompli dans la tentative d’offrir un panorama le plus ample possible d’une production protéiforme et peu connue. Un ouvrage de référence sur cette littérature hybride, de frontière et des frontières, qui a une fin en soi comme unique exemple d’histoire organique de la littérature dalmate en langue italienne, mais qui peut servir de base pour mener des recherches plus poussées.

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Pour citer cet article

Référence papier

Michela Toppano, « Giorgio Baroni (a cura di), Storia della letteratura dalmata italiana »Italies, 27 | 2023, 415-418.

Référence électronique

Michela Toppano, « Giorgio Baroni (a cura di), Storia della letteratura dalmata italiana »Italies [En ligne], 27 | 2023, mis en ligne le 12 juillet 2024, consulté le 01 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/italies/12776 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12a54

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