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AccueilNuméros27Sorcières, guérisseuses, devinere...Les guérisseuses de Benni

Sorcières, guérisseuses, devineresses

Les guérisseuses de Benni

Parcours de soins au féminin
Judith Obert
p. 75-90

Résumés

Toujours en prise avec la société contemporaine, Stefano Benni aborde dans quelques textes la sphère de la maladie et des soins. Les malades font partie des marginaux que l’auteur affectionne tandis que les médecins sont dépeints sous un jour peu reluisant. Ils incarnent une médecine-business uniquement masculine qui perd de vue guérison et patients. Benni entend montrer la puissance de femmes guérisseuses, elles aussi en marge, et participe à sa façon à la volonté de réhabiliter une autre forme de médecine, une autre approche de la douleur, dont les femmes semblent être les dépositaires.

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Italie

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XX-XXIe
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Texte intégral

1L’univers de la maladie et celui de la médecine sont présents dans différentes œuvres de Stefano Benni. Comme il faut s’y attendre, réalité et imagination se mêlent et toutes sortes de maladies, réelles ou inventées, atteignent les personnages. Les pathologies sont fonctionnelles au récit et métaphoriques, leur représentation permet à Benni de critiquer les aspects néfastes de la société car toutes découlent d’une société malade de par ses valeurs maîtresses et son fonctionnement.

  • 1 Monica Faggionato, La rappresentazione umoristica della società italiana nella narrativa di Stefa (...)

2Les malades benniens font partie de ses personnages emblématiques1 : les marginaux, les indomptés, celles et ceux qui ne veulent pas entrer dans les cases et se rebellent contre les normes. La maladie limitant l’action, elle développe l’imagination, et on sait combien cette dernière est vitale pour l’auteur, combien elle est, avec le rêve et la mémoire, le remède aux maux qui gangrènent l’existence ; les malades apparaissent ainsi, malgré leur fragilité, comme des individus à même de soigner le monde et peut-être plus sains que les personnes en bonne santé.

3La représentation du milieu médical est signifiante par son mélange de réalisme et d’imagination critique. Benni entend démontrer que ses membres tant respectés incarnent certaines tares de la société : appât du gain, course effrénée à la modernisation, volonté de domination, indifférence à la douleur, destruction du vivant…

  • 2 Voir Mona Chollet, Sorcières. La puissance invaincue des femmes, Paris, Éditions La Découverte, 2 (...)
  • 3 Silvia Federici, Caliban et la Sorcière. Femmes, corps et accumulation primitive, Genève, Entremo (...)

4Dans ce monde de la thérapie, les hommes règnent en maîtres. À une exception près, il n’y a pas de femme médecin et les infirmières sont quasiment absentes. La médecine officielle est donc masculine ; or elle est pointée du doigt par Benni qui, à l’inverse, défend une approche différente de la maladie et partant de la santé, une médecine autre où les femmes sont largement représentées. On entre ainsi dans l’univers des guérisseuses qui bien souvent prennent les traits de sorcières : l’auteur, malgré son inventivité, est fidèle à la réalité historique en ce sens que les femmes ont longtemps été exclues de la médecine conventionnelle et que les compétences et les savoirs des guérisseuses ont été taxés de sorcellerie pour justifier leur mise au ban et imposer une hégémonie masculine, une science orthodoxe2. Cette exclusion et cette diabolisation des femmes ont connu différentes étapes historiques et n’ont pas disparu avec la société moderne, la naissance du capitalisme et d’une science arrogante méprisant le féminin et la nature comme le démontre Silvia Federici dans Caliban et la Sorcière. Femmes, corps et accumulation primitive3 ; si nous lions le sort réservé aux femmes, dans le domaine de la médecine, et le capitalisme, c’est que Benni en est un pourfendeur reconnu : ainsi s’il crée des personnages de sorcières, de femmes en marge, c’est pour attaquer sur un autre front les méfaits du capitalisme et redonner leur place aux femmes dans le monde de la santé.

  • 4 Stefano Benni, Elianto, Milano, Feltrinelli, 1996.
  • 5 Stefano Benni, Achille Piè veloce, Milano, Feltrinelli, 2003.
  • 6 Stefano Benni, La traccia dell’angelo, Palermo, Sellerio, 2011.

5Dans trois romans, Elianto4, Achille Piè veloce5 et La traccia dell’angelo6, la maladie est centrale, caractérise les personnages principaux et donne lieu à une réflexion sur le monde médical et la manière dont les malades sont pris en considération. Dans le premier, un adolescent, Elianto, est touché par le « morbo dolce », dans le deuxième Achille est un jeune adulte atteint d’une maladie incurable qui le rend difforme, l’empêche de parler et de se mouvoir mais n’entame en rien son intelligence hors du commun, enfin dans le troisième un adulte hypocondriaque, Morfeo, est malade d’avoir ingurgité trop de médicaments. Nous remarquerons que les malades sont également tous masculins.

  • 7 Nous renvoyons à notre article : Judith Obert, « Les enfants terribles de Stefano Benni », Italie (...)

6Dans Elianto, l’adolescent autrefois plein d’énergie est soigné dans la clinique Villa Bacilla (tout un programme !) ; il ne peut prendre part au combat contre Tristalia, or sans lui la victoire de son rival est courue d’avance et fera basculer le monde dans le totalitarisme le plus noir. Seul un elixir magique pourrait le sauver. Ainsi ses amis, « i ragazzi intrepidi », Iri, Boccadimiele et Rangio, partent en quête de la précieuse potion7. Benni propose deux figures antagonistes de médecins : le Dottor Satagius et le Dottor Siliconi. Si le premier éprouve de la peine pour ses patients (comme son nom le laisse comprendre, « satagius » signifiant « qui s’afflige, se tourmente ») et donne sa vie pour eux, le second est son exact contraire et voit la maladie comme une opportunité de s’enrichir : « un malato senza un rene può vivere benissimo, un malato senza libretti degli assegni no ». Siliconi est également prêt à abattre un châtaignier centenaire pour agrandir la clinique : Benni rapproche le traitement fait aux individus et celui fait à la nature ; les adeptes de Mamon, qu’ils soient capitaines d’industrie, propriétaires de chaînes télévisées, hommes d’église, journalistes, acteurs, militaires et ici médecins n’ont aucun respect pour la vie, sous toutes ses formes. C’est bien cette société basée sur l’argent qui est malade et intoxique les individus, à petit feu ou dans une grande flambée. Entre les deux blouses blanches, on trouve Talete, l’infirmier qui sauve Elianto des griffes de la mort en allant aux enfers pour prendre sa place lorsque Silicone injecte un poison mortel dans les veines du jeune garçon.

  • 8 Ce monde dévasté est en réalité une anticipation de ce que deviendra le monde des ragazzi intrepi (...)
  • 9 Stefano Benni, Elianto, op. cit., p. 267. Nous soulignons.
  • 10 Ibid.
  • 11 « Perché dovrei aiutarvi? – ghignò la vecchia. – Potrei fare di meglio: ad esempio ammazzarvi, bo (...)

7Aucune présence féminine donc dans cette clinique mais les femmes ne sont pas exclues : Boccadimiele et Iri participent à la guérison d’Elianto par leur quête pendant laquelle elles rencontrent8 un personnage haut en couleurs qui revêt les atours de la guérisseuse, Persefone. Lorsqu’ils la voient, les trois amis la reconnaissent immédiatement, mais chacun lui donne une identité différente : « Ma è la droghiera […] Ma no – disse Boccadimiele – è la vecchia portinaia di Elianto, un po’ ingrassata, la signora Selene. – Siete rimbambiti – disse Rangio – è la pazza barbona che sta sotto il ponte della ferrovia9 ». Cette créature est définie par des termes en lien avec la sorcellerie ou du moins avec l’imagerie de la sorcière ; de plus son nom, Persefone-Artemide-Saturnia, la relie au monde des morts, de la sauvagerie et de la maîtrise du temps ; elle vend des « misture alchemiche, preparati galenici, cocktail, elisir, pozioni amorose10 » et c’est elle qui fournira le remède pour Elianto, non sans avoir voulu effrayer les trois aventuriers en se faisant passer pour une cruelle sorcière11. Benni continue de se divertir, et nous avec, lorsqu’il la décrit en train de préparer la potion magique :

  • 12 Ibidem, p 269.

La vecchia si mise un cappello a cono e dei guanti di gomma. Poi con un gesto ampio e ieratico, versò il succo di huapanga in un bicchiere millimetrato e disse:
— Per i poteri del Primo Alchimista Ermete Trismegisto e per le Cinque forze elementari e per i Pantaloni del filosofo e la giustizia in Terra, chiamo a raccolta le molecole pigre e gli atomi perdigiorno, affinché nessuno manchi non facciam serendipity ma ut unum sint e si scàpen, zo bòt, ogni roccia scioglierà il mio pianto, si compia l’incanto del Senno di Elianto! Il succo di huapanga si mise a bollire e a emettere una radiazione giallognola. Il viso di Persefone si trasformò in una maschera paurosa, che la luce dell’ebollizione illuminava, e la sua voce sembrava provenire da miglia e miglia sottoterra
12.

8La suite du texte n’est pas moins comique mais Benni ne se limite pas au rire et confère à Persefone un rôle fondamental : pour sauver Elianto de la mort, elle prend le relais de l’infirmier Talete qui est son mari. Tous deux sont donc unis par deux sortes de liens : ceux du mariage et ceux de la Mort puisque l’un se rend dans le royaume des morts en défiant le temps et l’autre est la maîtresse des enfers et préside au temps (Saturnia). Benni va au-delà de la simple représentation parodique de la sorcière en faisant de Persefone une sorte de divinité multiple, sauvage (Artemide), lunaire (Selene) qui prédit l’avenir et délivre le message central du roman :

  • 13 Ibidem, p. 273-274. Nous soulignons.

La vita cercherà di cambiarvi […] dovrete lottare perché la vostra amicizia e ricchezza e fratellanza non si disperdano, perché la fiala resti trasparente, imparate dal dolore, non temete che vi abbracci e vi contagi, portate questo senno a Elianto e ditegli che la luna verrà a visitarlo ogni volta che vorrà, ditegli di continuare a sognare, ditegli di resistere. Che non dimentichi nessuna delle storie che ha inventato […] e tutto ciò che hai immaginato un giorno ti guarirà e tutto ciò che è vero un giorno ti apparirà13.

  • 14 Thierry Ribault, Contre la résilience à Fukushima et ailleurs, Paris, Éditions L’Échappée, 2021.
  • 15 Dès Baol, una tranquilla notte di regime (1990), Benni abordait la manipulation du passé, les men (...)

9La douleur doit être source d’enseignement en ce sens qu’il faut en connaître les causes pour mieux les combattre. Le rêve est assimilé à une résistance et c’est ce que Benni défend depuis ses premiers textes. L’acceptation de la douleur, le rêve-résistance ne doivent pas être confondus avec la résilience, terme-concept qui connaît un succès phénoménal dans nos sociétés mais qu’il convient d’étudier de plus près pour en comprendre les dessous comme l’explique Thierry Ribault dans Contre la résilience à Fukushima et ailleurs14 ; pour le chercheur, la résilience est une arme politique, se fait idéologie de l’adaptation, induit à consentir à la réalité existante, surtout quand elle est désastreuse, et n’est autre qu’une imposture : au lieu de tenter de comprendre les causes des problèmes pour y remédier, elle pousse à les accepter et à s’y adapter et contribue à une vision falsifiée du monde en se nourrissant d’une ignorance organisée. Les chantres de la résilience tissent des éloges à celles et ceux qui acceptent le malheur sans rechigner afin que rien ne change. Bien que le roman de Benni soit largement antérieur à l’essai de Ribault, on voit qu’il avait anticipé cette idéologie despotique, notamment quand il s’exprime sur le pouvoir délétère des médias qui manipulent des masses ignorantes et passives, guidées par la peur. La résistance passe donc par le rêve, la prise de distance du concret aliénant et non par une adaptation. L’imagination est une autre forme de résistance et permet la guérison comme l’explique également Persefone ; mais en quoi consiste cette guérison ? Dans le fait que le Vrai, fruit des rêves et de l’imagination, apparaîtra dans une sorte d’épiphanie qui mettra au jour et balaiera les mensonges et les illusions15.

10Si deux hommes, Satagius et Talete, ont un rôle clé dans le destin d’Elianto, il n’en reste pas moins que c’est une femme, Persefone, qui in fine le sauve, par l’élixir qu’elle concocte mais surtout par le message qu’elle lui transmet. Enfin la droghiera ambulante ne se contente pas de guérir l’adolescent mais, par ses prophéties et ses paroles, offre un antidote à la maladie du monde.

  • 16 Stefano Benni, Achille Piè veloce, op. cit., p. 64.
  • 17 « Nell’ultima operazione, qualche anno fa, l’ignoranza degli uomini perfezionò la crudeltà divina (...)
  • 18 « Un signore elegante, abbronzatissimo, restauratissimo. Una tintura color dobermann gli scuriva (...)

11Dans Achille Piè Veloce, aucune présence féminine parmi les personnages en lien avec le domaine médical alors que la maladie et la douleur sont au centre du roman. Le protagoniste, atteint de multiples tares qui le transforment en créature monstrueuse16, ne guérit pas : Achille meurt mais survit à travers son œuvre et son ami Ulisse. Peu de pages sont consacrées à l’univers des soins car Benni, même s’il met au cœur de son roman la douleur et la compassion, entend aborder d’autres thématiques ; toutefois il égratigne les médecins et critique ceux qui ne font pas preuve de compassion face à la maladie et la manipule par intérêt personnel. Les différents traitements subis par le jeune homme n’ont fait qu’empirer son état17 et le dernier médecin qui s’occupe de lui, le Dottor Dardani18, se montre incapable de comprendre ses pathologies car il n’est pas à l’écoute de son patient, ne conçoit la médecine que comme science codifiée :

  • 19 Ibidem, p. 69.

Il professor Paride Dardani, mio medico curante, ovverossia pagato per far credere di curarmi. Le sue tragicomiche diagnosi di miglioramento o peggioramento. La rabbia di non riuscire a codificare i miei sintomi. Le sue ricette chimiche, le sue precise dosi di veleno. Le acrobazie sintattiche quando descrive la mia malattia. Ipocrisia ammantata della bella lingua greca. Macrocranio con lesioni midollari, idrocefalo fotofobo pripaico. Paride, primario con frecce chimiche autorizzate. Zeus lo inculi con una saetta, il bastardo19.

  • 20 « Tutto questo inquieta grandemente la scienza medica e deride ogni quadro clinico consaputo. » I (...)
  • 21 Benni donne toujours des noms significatifs à ses personnages : Febo est l’exact contraire de son (...)
  • 22 Ibidem, p. 114. Ulisse qui est éditeur-écrivain, imagine un dialogue entre les deux hommes où cyn (...)

12Benni dénonce cette médecine pontifiante, méprisante avec des patients infantilisés, perdue face à des syndromes inconnus20 mais va encore plus loin lorsqu’il présente Dardani comme un nouveau Frankestein prêt à pratiquer des expériences sur Achille afin d’acquérir prestige et renommée. Le frère d’Achille, Febo21, soutient ce médecin venimeux dans le seul but de se débarrasser du jeune handicapé et pouvoir vendre l’appartement familial22. Hybris, indifférence face à la souffrance, appât du gain caractérisent ce couple de personnages face auquel seule la mère d’Achille semble opposer une faible résistance en refusant que son fils quitte leur foyer ; toutefois elle n’ose pas s’ériger contre le médecin car elle le craint et se soumet à l’autorité qu’il incarne, elle ne peut donc aider son fils et éradiquer les présences toxiques qui aggravent son mal : dans le roman la femme n’est donc pas une guérisseuse.

  • 23 Stefano Benni, La traccia dell’angelo, cit., p. 75. Lors de la présentation de son roman à Gênes, (...)
  • 24 À la suite d’un accident durant lequel il a reçu un volet sur la tête le jour de Noël, Morfeo som (...)
  • 25 « Confermo la mia diagnosi, lei è un pazzo che non si è voluto curare, non è esaurimento nervoso, (...)
  • 26 « Così era diventato il professor Angelo Maria Poiana, neurologo, oncologo e polisintomatologo, p (...)
  • 27 Ibidem, p. 52.
  • 28 Ibidem, p. 55.
  • 29 « Fu come entrare nella sala di comando della Enterprise, in 2001 Odissea nello spazio, nel bianc (...)
  • 30 Ibidem, p. 62.

13Dans La traccia dell’angelo, Benni s’en prend ouvertement à l’industrie pharmaceutique, « la terza industria del mondo, dopo le armi e il petrolio23 », qui a rendu les individus dépendants et a créé de nouvelles maladies pour s’enrichir. Morfeo, enfant puis adulte, fait de longs séjours à l’hôpital ou dans des cliniques privées, passe entre les mains de nombreux médecins qui ne comprennent pas grand-chose à son mal24 et sont présentés sous des traits négatifs, notamment le Dottor Poiana dont le nom souligne la rapacité : seul l’argent compte à ses yeux mais contrairement à une buse, il n’a pas une vision panoramique car il se laisse enfermer dans des protocoles immuables et ne voit pas plus loin que le bout de ses certitudes d’expert qui refuse de prendre en compte les remarques de ses patients qu’il gave de médicaments25. Benni condamne une fois de plus l’orgueil démesuré de certains médecins26 et cette forme d’abus de pouvoir qui les pousse à vendre leur âme au diable : « il mondo dei mercanti delle medicine aveva divorato l’anima del professor Poiana. […] Lui mi ha insegnato a tenere il malato spento, controllato col nostro potere chimico e celestiale27 ». La description de la clinique de Poiana, Villa Gemma (pierre précieuse ou bourgeon ?!), confirme la toute-puissance de la médecine-business qui promet le miracle de la guérison et « la grande truffa dei medicinali salvifici28 ». Un nouveau médecin, présenté comme une sorte de divinité, fait passer à Morfeo une batterie d’examens extrêmement sophistiqués29 qui révèlent qu’il n’a rien mais qu’il doit tout simplement se désintoxiquer. Il se tourne alors vers des remèdes naturels mais la médecine parallèle est un commerce comme un autre, une industrie « altrettanto criminale quanto l’onnipotenza chimica30 ». Course vers la modernité technologique et thérapies douces ont le même objectif : l’enrichissement sur le dos de malades aux abois.

  • 31 Le Dottor Carlini, ancien instituteur devenu le psychanalyste à la mode, son rival, le Dottor Mes (...)
  • 32 Ibidem, p. 67. Alors que par ailleurs Benni fait des sorcières des êtres positifs parce que margi (...)
  • 33 « E più pensava a quello che gli stava succedendo e più continuava a gridare: Scrivete: Prendete (...)

14Comprenant que son mal n’est peut-être pas physiologique, Morfeo fait recours à la psychiatrie et à la psychanalyse et rencontre différents épigones de Freud31. Les traitements n’y font rien, Morfeo est encore plus perdu : « Continuò per un po’ da solo ricordando ciò che aveva detto l’uno e ciò che aveva detto l’altro, mescolando benzodiezepine e erbe magiche nel pentolone della strega32 » et finit par perdre la raison alors qu’il prend enfin conscience de ce que lui ont fait subir les médecins33.

15Le parcours de soins de Morfeo semble donc arriver dans une impasse mais le salut prend les traits d’une jeune femme qui travaille dans un service de pédiatrie. Ce n’est pas la première fois que Morfeo la croise, elle est une présence récurrente dans le roman mais elle n’apparaissait que furtivement, laissant de légères traces dans l’esprit de l’écrivain, une impression de légèreté et de mystère confirmée par son identité instable, son prénom mouvant (Eleonora ou Elpis). Quand elle entre en interaction avec Morfeo elle n’est plus qu’Elpis, la personnification de l’espoir. C’est elle qui l’accompagnera sur la voie de la guérison et de la compréhension. Elpis est un ange, l’ange de l’espoir, du renouveau. On comprend donc que lorsque Benni fait intervenir les femmes dans la sphère de la médecine, il en fait des créatures étranges, surnaturelles, comme si le féminin était par nature en lien avec d’autres mondes. Ce n’est pas anodin que Benni ait choisi d’en faire une pédiatre : d’une part parce que le mal de Morfeo remonte à l’enfance et de l’autre parce que Benni a une prédilection pour les personnages d’enfants dans lesquels il place justement son espoir. Elpis n’utilise pas la « magie », elle ne guérit pas physiologiquement Morfeo qui prendra encore des médicaments mais elle guérit son âme et délivre un message universel qui transcende son cas particulier, est une sorte de panacée : le monde étant un énorme hôpital, la vie étant maladie (Zeno n’est pas loin), chaque individu voulant guérir, le seul acte noble et humain est d’apporter une goutte de soulagement aux autres, d’aider à les guérir de la vie :

  • 34 Ibidem, p. 91-92.

Ricorda Moby Dick, Van Gogh e i suoi Girasoli. Ricorda tutto quello che hai scritto, ogni tuo sacrificio. Il momento in cui ci accorgiamo che lasceremo qualcosa dietro di noi, gioia per gli altri, sollievo, un quadro, un seme, un sacrificio, una risata. Non siamo passati invano. Abbiamo guarito34.

  • 35 Ibidem, p. 71.

16C’est à une forme laïque d’amour du prochain que Benni invite ses lecteurs à travers l’ange Elpis qui bien que femme est en fin de comptes sans sexe puisqu’elle est « donna uomo creatura35 ».

17Une divinité chtonienne aux allures de pythie, un ange blond porteur d’espoir. Voilà les deux guérisseuses de Benni qui, bien que centrales, restent à la périphérie de l’histoire et sont des sortes d’exemplaires uniques alors qu’un type de personnage est fréquent : la sorcière. Quel que soit le contexte de ses histoires (passé, anticipation ou contemporanéité), quel que soit le genre employé (nouvelle, roman, théâtre) les sorcières sont des présences récurrentes à côté desquelles on croise plus rarement des sorciers. Comme pour d’autres figures appartenant au réservoir littéraire et culturel, Benni les utilise dans des buts variés : dénoncer une tare sociale, parodier les contes, enrichir sa galerie foisonnante de personnages mais aussi, selon nous, pour lier féminité, amour et guérison.

  • 36 L’auteur annonce que si les lecteurs veulent que les épisodes soient publiés chaque semaine, les (...)
  • 37 https://www.stefanobenni.it/la-maledizione-di-firmathus/.
  • 38 Une autre sorcière réellement mauvaise se trouve dans Prendiluna (2017) et c’est une nonne ! Dans (...)
  • 39 Stefano Benni, La strega, in La grammatica di Dio, Milano, Feltrinelli, 2007, p. 152-165. Sa stre (...)

18Dès Terra! (1983) les sorcières entrent en scène : les « streghe astronaute » parcourent l’univers et les siècles dans leur astronef et l’on sent l’influence du Landolfi de Cancroregina dans ces quelques pages où conte de fées et science-fiction se croisent. En 2007, sur Il Manifesto, Benni publie le premier « racconto con ricatto al lettore36 », les aventures du chevalier Magaloot. Dans l’épisode La maledizione di Firmathus37, il tourne en dérision, entre autres, l’univers de la mode : un ambitieux mannequin perd sa beauté en échange du pouvoir après avoir bu la potion maléfique de l’ignoble sorcière, Ranilda/Ranocchia ; Benni reprend tous les stéréotypes sur la sorcière38 dans cette fable in progress où chaque personnage est une caricature de types littéraires et humains. Si dans Baol Benni mettait en scène une école de sorciers, dans Spiriti (2000) il est question d’une université pour sorcières. Si l’auteur y parle de la chasse aux sorcières et des bûchers dressés par l’Inquisition c’est pour dénoncer, une fois de plus, l’exclusion des marginaux comme dans La strega39, nouvelle de La grammatica di Dio (2007), où une jeune fille découvre qu’elle appartient à une lignée de sorcières et qu’elle devra apprendre à se cacher et à résister car la société rejette les êtres différents ; la figure de la sorcière permet à Benni d’approfondir la réflexion sur les êtres en marge et les conventions sociales et, tout en réutilisant les ingrédients classiques, il la renouvelle. Grimilde Onehand tiré de Teatro 2 (2003) est un monologue de la sorcière de Blanche-Neige ; il s’agit donc de la réécriture d’un personnage précis et non plus seulement d’un type de personnages ; Benni joue au jeu de l’envers et fait de sa protagoniste la victime du mal qui se répand dans la société moderne : les pommes sont empoisonnées, mais par les pesticides, les ordinateurs et les réseaux sociaux remplacent les miroirs, les voitures sont « stregate », comme dans La caccia ai vecchi de Buzzati les vieux sont exclus et Grimilde éprouve de l’horreur face à tant de perversité. Le texte, bien que comique, est traversé par une forme de noirceur, de tension, amplifiées par l’écriture théâtrale ; Benni se sert de la sorcière la plus connue, la plus effrayante pour montrer combien la société a glissé vers le mal en inversant les rôles, combien la modernité dans ses excès empoisonne l’existence.

  • 40 Comme dans L’Orco du même recueil (p. 32-44), où Benni aborde également le thème de la pédophilie

19Rares sont donc les cas où la sorcière est perçue négativement, elle est plutôt présentée comme une victime mais n’a pas ouvertement un rôle positif et ses pouvoirs ne servent pas à guérir mais à se venger, comme pour Berenice dans La strega où Benni s’en prend au monde de la télévision et au « videocentrismo40 ».

  • 41 Stefano Benni, Giura, Milano, Feltrinelli, 2020.

20Giura41 marque donc une évolution et un aboutissement car pour la première fois l’auteur propose une sorcière beaucoup plus complexe et moins stéréotypée. Évolution car Luna est un personnage plus travaillé, elle n’est pas simplement fonctionnelle à l’histoire, n’est pas qu’une « réécriture » mais est la clé de voûte du roman. Aboutissement car Luna semble être le résultat de la réflexion de l’écrivain sur les femmes, or chez Luna l’être petite fille, jeune fille puis femme est intimement lié à son identité de sorcière.

21Le roman est divisé en quatre parties et en trente-cinq chapitres, chacun portant un titre. La narration est prise en charge alternativement par les deux personnages, Luna et Febo : avant même de lire, le lecteur sait qui est le narrateur car sous le titre apparaît soit une lune soit un soleil. Les points communs avec Saltatempo sont nombreux : nous assistons aux trajets de vie de deux jeunes gens, à leur histoire d’amour faite d’abandons, de pertes et de retrouvailles ; de façon encore plus poussée, Benni dénonce les méfaits du progrès, décrit une nature dévastée par l’inconscience et la cupidité humaines ; une touche de surnaturel parcourt les pages et la nature est un lieu magique. Mais à la différence du roman de 2001, le personnage féminin n’est pas qu’une ombre, son histoire personnelle est aussi centrale que celle de son compagnon (elle prend même l’ascendant) et c’est elle qui a un lien « merveilleux » avec la nature, tandis que celui de Febo devient « professionnel » même si tous deux restent liés, lorsqu’ils sont ensemble, aux éléments mystiques et spirituels de la nature, notamment avec les « Castagni gemelli » qui sont leurs doubles végétaux.

  • 42 Dans Margherita Dolcevita (2005), Margherita n’était « que » malade. Pour une étude des personnag (...)
  • 43 « È pallida coi capelli neri fino alle ginocchia e tutti dicono che è matta: non parla è selvaggi (...)

22Si Luna est spéciale dans la galerie des personnages benniens, c’est qu’elle est à la fois malade et guérisseuse42. Enfant, Luna est muette et a hérité « la stregaggine » de sa grand-mère. Aux yeux de tous elle est autre et instille la crainte43. Elle-même se sait et se veut différente :

  • 44 Ibidem, p. 21.

Con questi miei goffi muggiti e parole mozze ho parlato del tramonto agli uccelli e cantato il mio amore al mondo. Perché io sono la Senzavoce, la dea che comanda al silenzio, a tutti i silenzi, da quello delle stelle alla pausa del grillo, dal sonno del neonato all’ultimo fiato del vecchio.
Mi temono perché ho lo sguardo di una bestia e la faccia sporca e le gambe magre sempre piene di graffi, io cavalco i rovi e le ortiche e volo giù dal fienile e vado con la nonna Bonaria parente di Belzebù a cercare lo stramonio, l’erbadiavola e i funghi più velenosi, e lei mi insegnerà a diventare una strega perfetta e a vendicarmi
44.

  • 45 Après être passée entre les mains de différents praticiens, c’est le Dottor Marconi dit Mangiafuo (...)

23Une fois de plus, Benni s’intéresse à un être en marge qui dérange et que la société éloigne du fait, ici, de son handicap et de son appartenance à une famille étrange, « la gang del terrore » qui vit dans la Ca’strega. La jeune fille, pour vivre avec cette exclusion, semble s’inventer une identité surnaturelle et la réalité de sa « stregaggine » peut être mise en doute : elle est une sorcière aux yeux des autres et se voit donc sorcière, pour dépasser le rejet dont elle est victime, pour se protéger et se venger. Mais de quoi, de qui ? De la société conformiste mais aussi et surtout de son père qu’elle rêve de tuer car l’on comprend qu’il a abusé d’elle. Si Luna est muette, c’est qu’elle a subi une agression sexuelle et qu’on ne l’a pas écoutée ; Benni s’attaque donc à une thématique forte pour montrer la violence faite aux femmes. S’il choisit de faire de son personnage une sorcière, ce n’est pas pour la déclasser, bien au contraire, mais pour montrer le sort réservé aux femmes, la vision que la société en a et si Luna est muette c’est bien sûr parce qu’elle a perdu concrètement la parole après son viol45 mais aussi parce qu’elle n’a pas voix au chapitre et enfin parce sa mutité fait écho à la surdité de ceux qui l’entourent.

  • 46 Ibidem, p. 23.
  • 47 « È matta ma non ci facciamo caso, e poi non è con noi, […]. È muta, ci fa pena. » Ibidem, p. 29.
  • 48 « Le tre streghe mi stavano fustigando con l’ortica bianca, una pianta che sanno trovare solo lor (...)

24Seul Febo « écoute » Luna et les deux jeunes gens se jurent d’être toujours amis, de ne jamais se mentir ; le pacte entre les deux amis-amoureux prend une allure de prophétie quand Luna dit : « Non dirmi bugie o una mano di ferro mi bucherà la schiena. La nonna lo ha predetto46. » Or Febo se range du côté des moqueurs et trahit sa belle47. La prophétie se réalise : alors qu’elle joue à « voler » en se jetant dans la paille en compagnie de Febo, Luna tombe sur une fourche et perd l’usage de ses jambes. Un autre type de violence masculine, né de la lâcheté, du parjure, atteint Luna et la paralyse, au sens propre. Les hommes apparaissent comme la source du mal et des maux et les femmes se révèlent voyantes, victimes mais aussi soignantes : la grand-mère de Luna, qui est une présence constante dans le roman, tente avec ses amies sorcières de la guérir. Le trio utilise potions, onguents, herbes et amour pour tenter de refaire marcher la jeune fille. Malgré le comique, on comprend que Benni défend la médecine en lien avec la nature et la puissance des femmes48 qui ont été pendant des siècles exclues de la sphère médicale : pour justifier cette mise à l’écart, l’image de la sorcière a été créée comme le rappelle Mona Cholet. C’est par peur d’être détrônés que les médecins hommes ont diffusé dans la population une vision dangereuse des guérisseuses qui en savaient bien souvent beaucoup plus qu’eux. Si la Nonna strega accompagne toujours sa petite-fille (même après sa mort) c’est d’une part pour souligner l’importance de leur lien mais aussi pour montrer la force et la pérennité des « sorcières ».

  • 49 « È una fame antica, è una stregoneria, è la nostra notte magica e meritata, le stelle ci guardan (...)
  • 50 Ibidem, p. 128.
  • 51 On voit donc son lien avec l’Elpis de La traccia dell’angelo dont elle semble être une incarnatio (...)
  • 52 Mona Cholet, op. cit., p. 11 : « La sorcière incarne la femme affranchie de toutes les domination (...)
  • 53 « “Nous sommes les petites-filles des sorcières que vous n’avez pas réussi à brûler”, dit un slog (...)
  • 54 Starhawk, Quel monde voulons-nous ?, Paris, Éditions Cambourakis, coll. « Sorcières », 2019, p. 6 (...)
  • 55 Stefano Benni, Giura, op. cit., p. 192.

25L’être sorcière de Luna n’est pas seulement métaphorique, seulement le refuge-fantasme d’une adolescente ostracisée : c’est une vraie sorcière mais pas à l’ancienne, et c’est en cela que Benni innove. Elle est une jeune femme qui soigne les blessures psychologiques, sociales, politiques. Alors que Febo, à la fois sombre et solaire, mène une vie solitaire et égoïste et ne veut que sauver les glaciers, Luna vit en groupe et dédie sa vie aux autres. Une fois guérie de ses handicaps, elle agit concrètement et ne s’enferme pas dans un amour nostalgique pour Febo (tout en s’adonnant à des ébats endiablés et ensorcelants avec lui49 !) Son action vise à « dare un po’ di gioia a chi non ha neanche il permesso di cercarla50 », « dare sollievo agli altri51 » et même si elle a conscience qu’on peut la voir comme une « crocerossina » myope devant les dangers que court la planète, elle avance pour ne plus dépendre de personne et sauver les déshérités : elle crée un centre pour sourds-muets, pour les enfants « à problèmes », pour les migrants. À la différence de Febo, elle n’a pas d’enfants et reste célibataire. Or ces choix de vie la rapprochent de l’archétype de la sorcière tel qu’il a été construit pour condamner les femmes qui décidaient librement de leur vie : travailler, être indépendantes, ne pas enfanter, soigner différemment, autant de décisions qui effrayaient les hommes qui diabolisèrent ces attitudes et peaufinèrent l’image de la sorcière pour tenter d’étouffer toute velléité de liberté chez les femmes52. Benni inverse la donne, fait de ces « tares » une force et défend le danger salutaire que représentent les femmes comme Luna ; en ce sens il semble suivre la ligne de certaines féministes qui se qualifient de sorcières et revendiquent la puissance que les juges du passé leur attribuaient53. Luna est donc puissante, comme ses sœurs, mais il ne s’agit pas du pouvoir néfaste des hommes, de ce « pouvoir-sur » dont parle Starhawk, cette volonté de domination, mais d’un « pouvoir-du-dedans » qui est capacité de choisir, de faire et un « pouvoir-parmi » qui vise à aider autrui, à préserver l’environnement et à mener une action politique54. Le trajet de Luna est emblématique de la puissance féminine qui vise à guérir, à rassembler et à créer un monde nouveau. Les mille arbres qu’elle plante dans son « isola di speranza […] un luogo per stare insieme senza troppa paura55 », ce havre de paix pour les laissés-pour-compte, montrent son enracinement dans le concret et sa volonté d’agir alors que Febo, en allant dans la forêt amazonienne où il meurt dans un incendie criminel, ne fait que fuir. Dans ce dernier chapitre, Luna révèle qu’elle est l’unique narratrice, une sorte de Suora Teodora/Bradamante qui s’est dédoublée en homme-femme, soleil-lune :

  • 56 Ibidem, p. 193.

Io la tua parte femminile, quella che sa riflettere, capire e tradurre nella lenta magia della scrittura le emozioni di tutti i giorni. Poi c’è la tua parte maschile, l’ispirazione, l’inquietudine, le grandi idee cosmiche, il talento, anche se spesso lo hai tradotto soltanto in rabbia.
Tu hai ispirato la mia parte maschile di guerriera quotidiana. E la mia parte femminile ha sempre sognato di scrivere la nostra storia, che è la storia (minuscolo) di chi non crede che la Storia (maiuscolo) dia solo ordini, ma anche possibilità, e che il dolore non sia sempre invincibile
56.

  • 57 Ibidem, p. 194.

26Même si l’on peut remarquer un conservatisme apparent dans la répartition des qualités féminines et masculines, il n’en reste pas moins que c’est la femme qui s’impose car elle allie pragmatisme et capacités d’abstraction, de création « magique » (l’écriture) qui, unis, permettent de lutter contre la douleur aux sources multiples et la guérir. Ce n’est pas la théorie du care que Benni défend ici, il crée l’image d’une femme-guérisseuse-magicienne qui s’est nourrie de sa maladie et de son amour, même trahi, pour tenter de faire le bien et de soigner, à son échelle, le monde : « Quello che chiamiamo bene è solo una parte inspiegabilmente bendisposta del caos, è lento a apparire e ci mette alla prova, dobbiamo meritarlo57. »

27Dans l’univers de Benni, tous les médecins sont donc des hommes et tous, à part Satagius, sont dépeints comme des êtres avides et inhumains. Ainsi l’auteur ne propose pas l’image attendue des descendants d’Hippocrate qu’il n’accompagne pas d’infirmières sexy et dévouées comme elles sont bien souvent représentées.

28Benni confère aux femmes une place et une fonction bien plus nobles ; qu’il les place au cœur de l’intrigue ou à sa périphérie, elles ont un rôle de guérisseuses, sont des « sorcières », en ce sens qu’elles incarnent la résistance et la liberté et proposent une autre voie. Si l’on pense à la dichotomie entre hommes et femmes dans les textes étudiés, on comprend qu’à travers le cas de femmes en lien avec la maladie et les soins, Benni nous dit que les femmes peuvent guérir les maux qui affaiblissent les êtres, les sociétés et la planète, surtout si, comme Luna, elles prennent la plume pour montrer que l’on peut soigner l’Histoire et éradiquer la douleur.

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Notes

1 Monica Faggionato, La rappresentazione umoristica della società italiana nella narrativa di Stefano Benni, thèse de doctorat sous la direction d’Antonello Perli, soutenue à l’Université Nice Sophia Antipolis le 17 décembre 2016, p. 126 : « Contro le logiche di seduzione e di ricerca di consenso, Benni porta l’attenzione su infermi, disabili o malati, lontani dagli schemi consumistici ma capaci di vedere mondi nuovi, mondi diversi e continue alternative possibili, al fine di ristabilire il valore dell’unicità in un’uniforme e indistinta società multimediale. ».

2 Voir Mona Chollet, Sorcières. La puissance invaincue des femmes, Paris, Éditions La Découverte, 2018, p. 17 : « [Les guérisseuses] représentaient le seul recours vers lequel le peuple pouvait se tourner et avaient toujours été des membres respectés de la communauté, jusqu’à ce qu’on assimile leurs activités à des agissements diaboliques. Plus largement, cependant, toute tête féminine qui dépassait pouvait susciter des vocations de chasseur de sorcières » et p. 20 : « Des siècles de haine et d’obscurantisme semblent avoir culminé dans ce déchaînement de violence, né d’une peur devant la place grandissante que les femmes occupaient alors dans l’espace social ».

3 Silvia Federici, Caliban et la Sorcière. Femmes, corps et accumulation primitive, Genève, Entremonde et Senonevero, 2014. (Caliban and the Witch. Women, The Body and Primitive Accumulation, Automedia, 2004).

4 Stefano Benni, Elianto, Milano, Feltrinelli, 1996.

5 Stefano Benni, Achille Piè veloce, Milano, Feltrinelli, 2003.

6 Stefano Benni, La traccia dell’angelo, Palermo, Sellerio, 2011.

7 Nous renvoyons à notre article : Judith Obert, « Les enfants terribles de Stefano Benni », Italies, no 21, 2017, https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/italies/5769.

8 Ce monde dévasté est en réalité une anticipation de ce que deviendra le monde des ragazzi intrepidi si Elianto perd et si la société de consommation gagne du terrain.

9 Stefano Benni, Elianto, op. cit., p. 267. Nous soulignons.

10 Ibid.

11 « Perché dovrei aiutarvi? – ghignò la vecchia. – Potrei fare di meglio: ad esempio ammazzarvi, bollirvi e vendervi a tranci. La carne umana è molto richiesta, tra gli abitanti di Yamserius […]. Catturò un topo piccolo, tenendolo per la coda e lo intinse nel latte e se lo mangiò ». Ibidem, p. 268.

12 Ibidem, p 269.

13 Ibidem, p. 273-274. Nous soulignons.

14 Thierry Ribault, Contre la résilience à Fukushima et ailleurs, Paris, Éditions L’Échappée, 2021.

15 Dès Baol, una tranquilla notte di regime (1990), Benni abordait la manipulation du passé, les mensonges médiatiques, les illusions imposées.

16 Stefano Benni, Achille Piè veloce, op. cit., p. 64.

17 « Nell’ultima operazione, qualche anno fa, l’ignoranza degli uomini perfezionò la crudeltà divina. La malattia scoprì nuove torture e i medici nuovi farmaci. » Ibidem, p. 67. Les répliques d’Achille sont en italique car il ne parle pas mais communique par clavier interposé.

18 « Un signore elegante, abbronzatissimo, restauratissimo. Una tintura color dobermann gli scuriva i capelli. Un lifting malriuscito gli aveva ibernato il sorriso in una paresi. Un primario a prima vista. […] un anaconda abbronzato. » Ibidem, p. 109. On croit lire une description de Silvio Berlusconi !

19 Ibidem, p. 69.

20 « Tutto questo inquieta grandemente la scienza medica e deride ogni quadro clinico consaputo. » Ibidem, p. 73.

21 Benni donne toujours des noms significatifs à ses personnages : Febo est l’exact contraire de son frère. Si l’un vit dans l’obscurité et est horrible, l’autre, comme on le comprend par la référence mythologique, vit dans la lueur du soleil et est un apollon. Si l’un est un Quasimodo moderne, l’autre est la réplique du Phoebus de Victor Hugo.

22 Ibidem, p. 114. Ulisse qui est éditeur-écrivain, imagine un dialogue entre les deux hommes où cynisme, cruauté et affairisme se mêlent.

23 Stefano Benni, La traccia dell’angelo, cit., p. 75. Lors de la présentation de son roman à Gênes, l’auteur explique qu’il a voulu de nouveau aborder le thème de la douleur tout en s’attaquant à cette industrie qui dérègle les individus et détruit l’environnement et de ce fait sa critique est frontale : https://youtu.be/hqm_Aal3uP8.

24 À la suite d’un accident durant lequel il a reçu un volet sur la tête le jour de Noël, Morfeo sombre dans une forme sévère d’hypocondrie alimentée par les cures qu’il suit.

25 « Confermo la mia diagnosi, lei è un pazzo che non si è voluto curare, non è esaurimento nervoso, è ben peggio, è la sua epilessia congenita. Lo pensavo allora e non cambio idea. Si metta sotto controllo di farmaci. […] (parla Ossicino) Non prenda antiepilettici, prenda questa benzodiezepina, è il medicinale più venduto in Italia, metà dei patrioti lo prende, e neanche sa cos’è. […] Così Morfeo, raggiunse ciò che noi possiamo chiamare equilibrio, oppure divenne intossicato e dipendente senza pensarci. Visse con la scatolina portapillole sempre in tasca. Pensava che la chimica gli era amica, e non si sentiva in pericolo. » Stefano Benni, La traccia dell’angelo, op. cit., p. 45.

26 « Così era diventato il professor Angelo Maria Poiana, neurologo, oncologo e polisintomatologo, perché aveva notato che lì le medicine erano più numerose e costose che negli altri settori. » Ibidem, p. 22.

27 Ibidem, p. 52.

28 Ibidem, p. 55.

29 « Fu come entrare nella sala di comando della Enterprise, in 2001 Odissea nello spazio, nel bianco regno di monitor, delle linee pulsanti e delle consolle di comando […] Morfeo-soggetto fu predisposto, ingabbiato in un tubo verticale, tipo macchina del tempo, bisunto di creme e dardeggiato di elettrodi come un san Sebastiano. Si accorse allora che in un angolo era seduto un uomo misterioso con la barba bianca, una divinità greca, l’abitante, di un paese extragalattico. » Ibidem, p. 57-58.

30 Ibidem, p. 62.

31 Le Dottor Carlini, ancien instituteur devenu le psychanalyste à la mode, son rival, le Dottor Messeri, le Dottor Mirò, un « luminare della psichiatria farmacologica », et une psychanalyste, Malvina, « allegra e dubbiosa » (la seule femme médecin) qui tentent de le guérir de l’insomnie.

32 Ibidem, p. 67. Alors que par ailleurs Benni fait des sorcières des êtres positifs parce que marginaux, on comprend qu’ici la référence au chaudron de la sorcière sert à dénoncer les charlatans de tout poil qui sont d’autant plus dangereux qu’ils ont pignon sur rue et sont respectés comme véritables scientifiques.

33 « E più pensava a quello che gli stava succedendo e più continuava a gridare: Scrivete: Prendete questo medicinale tre mesi poi smettete per tre mesi, poi se volete ricominciate. Scrivetelo a lettere cubitali. Scrivetelo grande, corpo Bodoni 28, non nei piccoli minuscoli bugiardini da lente d’ingrandimento. Ditelo nelle scuole. Ditelo a chi ve ne parla come di una normale abitudine. E voi, padroni del mercato delle medicine, spendete per la ricerca la metà di quello che guadagnate, criminali e bastardi. Ricordate che il vostro lavoro è sacro, riguarda la guarigione, va fatto con serietà fino all’ultima goccia di sangue. » Ibidem, p. 69-70.

34 Ibidem, p. 91-92.

35 Ibidem, p. 71.

36 L’auteur annonce que si les lecteurs veulent que les épisodes soient publiés chaque semaine, les abonnements doivent augmenter.

37 https://www.stefanobenni.it/la-maledizione-di-firmathus/.

38 Une autre sorcière réellement mauvaise se trouve dans Prendiluna (2017) et c’est une nonne ! Dans La storia della strega Charlotte (Cari mostri, 2015) un marin prévient son auditoire qu’il va raconter l’histoire de la sorcière la plus terrifiante, la plus horrible, histoire qui ne vient jamais car toute la nouvelle consiste à tenir en haleine les jeunes auditeurs, à faire croître la peur et les accompagner tranquillement vers le sommeil.

39 Stefano Benni, La strega, in La grammatica di Dio, Milano, Feltrinelli, 2007, p. 152-165. Sa streghetta est la digne descendante de ses ancêtres et adapte ses pouvoirs à son époque : « Lavoravo in un’erboristeria. Mamma mi aveva insegnato i segreti delle erbe, delle tisane, dei decotti. Non vendevo filtri d’amore, ma maschere al cetriolo e creme anticellulite. Ero comunque sempre nel ramo acchiappamento e seduzione. » Telle Circé, elle transforme un homme en animal : un journaliste trop curieux qui devient un chat.

40 Comme dans L’Orco du même recueil (p. 32-44), où Benni aborde également le thème de la pédophilie.

41 Stefano Benni, Giura, Milano, Feltrinelli, 2020.

42 Dans Margherita Dolcevita (2005), Margherita n’était « que » malade. Pour une étude des personnages féminins, voir Ingle Lanslots, « Grammatica benniana: il mondo al femminile/maschile », Narrativa, no 30, 2008, p. 311-322.

43 « È pallida coi capelli neri fino alle ginocchia e tutti dicono che è matta: non parla è selvaggia non porta scarpe non vuole andare a scuola ha due occhi che spaventano il cielo ». Stefano Benni, Giura, op. cit., p. 19-20.

44 Ibidem, p. 21.

45 Après être passée entre les mains de différents praticiens, c’est le Dottor Marconi dit Mangiafuoco qui explique les causes de son mal : un mutisme sélectif dû à « un disturbo d’ansia. Qualcosa che da bambina non volevo dire, e preferii il silenzio e anche in seguito pensai che non potevo fare altro. Tu sai cos’era che non volevo dire? » Ibidem, p. 67.

46 Ibidem, p. 23.

47 « È matta ma non ci facciamo caso, e poi non è con noi, […]. È muta, ci fa pena. » Ibidem, p. 29.

48 « Le tre streghe mi stavano fustigando con l’ortica bianca, una pianta che sanno trovare solo loro. E quando ebbero finito le mie gambe erano gonfie e rosso fuoco, la Grossa si mise un paio di occhiali tirati fuori da chissà dove, mi esaminò dall’alluce alla passerina e disse: – Camminerà. E le tre si misero a ululare tutte contente. E da quella notte per un mese le mie gambe bruciarono, ma sentivo che guarivo. » Ibidem, p. 47.

49 « È una fame antica, è una stregoneria, è la nostra notte magica e meritata, le stelle ci guardano. » Ibidem, p. 130.

50 Ibidem, p. 128.

51 On voit donc son lien avec l’Elpis de La traccia dell’angelo dont elle semble être une incarnation humaine.

52 Mona Cholet, op. cit., p. 11 : « La sorcière incarne la femme affranchie de toutes les dominations, de toutes les limitations ; elle est un idéal vers lequel tendre, elle montre la voie. »

53 « “Nous sommes les petites-filles des sorcières que vous n’avez pas réussi à brûler”, dit un slogan célèbre ; ou, en Italie, dans les années 1970 : “Tremblez, tremblez, les sorcières sont revenues !” » Ibidem, p. 23.

54 Starhawk, Quel monde voulons-nous ?, Paris, Éditions Cambourakis, coll. « Sorcières », 2019, p. 63 et p. 69. (Titre original : Webs of Power: Notes from the Global Uprising, 2002).

55 Stefano Benni, Giura, op. cit., p. 192.

56 Ibidem, p. 193.

57 Ibidem, p. 194.

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Pour citer cet article

Référence papier

Judith Obert, « Les guérisseuses de Benni »Italies, 27 | 2023, 75-90.

Référence électronique

Judith Obert, « Les guérisseuses de Benni »Italies [En ligne], 27 | 2023, mis en ligne le 12 juillet 2024, consulté le 01 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/italies/11756 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12a49

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Auteur

Judith Obert

Aix Marseille Université, CAER, Aix-en-Provence, France

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