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Construire l’image du prince en Occident entre 395 et 404 : les Panégyriques impériaux de Claudien et le « miroir du prince »

Bruno Bureau

Résumés

Le discours de Théodose à son fils dans le Panégyrique pour le quatrième consulat d’Honorius de Claudien est sans nul doute ce qui se rapproche le plus, dans l’œuvre du poète, d’un miroir du prince. Toutefois, ce texte ne peut être détaché des deux autres panégyriques consulaires dédiés à l’empereur, dans la mesure où les trois poèmes construisent progressivement l’image d’un prince idéal qui allie à la fidélité aux traditions les plus vénérables du mos maiorum la volonté d’un retour à un exercice romain et presque « républicain » du pouvoir impérial. Laissant de côté la réalité historique de cette « restauration », l’article se concentre sur les implications idéologiques et stratégiques de cette représentation dans l’affirmation du pouvoir d’Honorius.

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Texte intégral

  • 1 Bureau 2016.
  • 2 Pour les éléments compliqués de la succession d’Honorius, on consultera avec profit McEvoy 2010.

1Dans un précédent article publié dans la revue Interférences1, nous avons essayé de montrer comment le Panégyrique pour le sixième consulat d’Honorius (fin 403) pouvait se faire l’écho d’une réflexion sur la nature du pouvoir impérial au tournant du ve siècle, soit un siècle après de profondes modifications de la nature et de l’exercice de ce pouvoir lors des réformes menées par la Tétrarchie, puis par la dynastie constantinienne. En considérant désormais les deux autres panégyriques impériaux écrits par Claudien, nous voudrions réfléchir ici à la trajectoire qui, de 395 à 404, conduit le poète à se pencher longuement sur la nature du pouvoir impérial et qui fait que ces panégyriques, par-delà le discours convenu de l’éloge, dessinent une trajectoire politique qui aboutit en 404 avec la venue du prince à Rome et les cérémonies qui l’entourent. Après avoir rappelé quelques données factuelles importantes2, nous lirons les adresses au prince contenues dans les Panégyriques pour les troisième et quatrième consulats d’Honorius (respectivement écrits fin 395 et fin 397) pour en dégager l’image du pouvoir impérial parfait selon le poète (et ses commanditaires).

  • 3 Même si l’on peut discuter avec M. McEvoy (2010) sur l’exercice réel du pouvoir par le prince, y co (...)
  • 4 Par « non linéaire », nous entendons ici souligner que, quelles que soient par ailleurs les opinion (...)
  • 5 Pour l’ensemble du corpus, nous nous référons à l’édition de la CUF due à Jean-Louis Charlet (2000 (...)

2Même s’il semble anachronique de parler ici de miroirs du prince, le contexte de ces adresses à un prince jeune et très probablement inexpérimenté revêt une dimension pédagogique et programmatique certaine3. Les poèmes permettent en effet de définir une vision du pouvoir impérial idéal dans le contexte d’une succession vraisemblablement délicate. C’est l’aboutissement de cette vision − probablement d’ailleurs dans un processus non linéaire4 − que nous observerons pour finir, dans le dialogue entre Honorius et Rome contenu dans le Panégyrique pour le sixième consulat d’Honorius5.

Le contexte et la présence d’adresses au prince dans les Panégyriques

Le contexte des années 395-404 : une succession compliquée

3Lorsque Théodose meurt de façon inattendue, le 17 janvier 395, à l’âge de 48 ans, il n’exerce le pouvoir sur la totalité de l’Empire que depuis quelques mois à peine. Auguste depuis 379, il a d’abord régné sur l’Orient, tandis que Gratien puis Valentinien II régnaient sur l’Occident. Désireux d’établir sa domination sur la totalité de l’Occident, Maxime, proclamé à Trêves en 383, avait, en 387, chassé de Milan Valentinien II, alors âgé de 16 ans, qui s’était réfugié en Orient auprès de Théodose. Dans le but de le réinstaller sur le trône d’Occident, Théodose avait mené en 388 une campagne victorieuse contre Maxime, qui aboutissait à l’exécution de ce dernier fin 388. Réinstallé sur le trône de Milan, Valentinien II avait régné sur l’Occident jusqu’en 392, avant d’être probablement assassiné par son maître des milices, le franc Arbogast, qui avait proclamé pour lui succéder Eugène, un rhéteur et grammairien, favorable aux tenants de la religion traditionnelle, face au très chrétien Théodose. Ce dernier avait promulgué en 392 pour l’Orient une loi interdisant de fait la religion traditionnelle. Théodose, refusant de reconnaître Eugène, avait, fin 392 ou début 393, nommé Auguste son fils cadet, Honorius (né en 384), indiquant ainsi clairement, après la nomination comme Auguste de son fils aîné Arcadius en 383 (il était né en 377), qu’il entendait veiller seul à la succession sur les deux trônes d’Orient et d’Occident. Ce n’est qu’après la défaite (le 6 septembre 394) et la mort d’Eugène, qui avait bénéficié du soutien de l’aristocratie sénatoriale païenne, que Théodose put gouverner la totalité de l’Empire pour seulement quatre mois.

4Il est donc évident qu’à sa mort, lorsqu’il partage l’Empire entre ses deux fils, le pouvoir du jeune Honorius, pourvu par Théodose d’un régent en la personne de Flavius Stilicon, demeurait fragile. Même si Théodose avait tenté une politique de réconciliation avec les anciens partisans d’Eugène, le souvenir du prince défait demeurait certainement vif chez ses anciens soutiens et la légitimité du prince-enfant Honorius, certes incontestable du point de vue dynastique, se heurtait à la question de savoir qui exercerait effectivement le pouvoir.

5Le nouveau prince et ses mentors devaient sans nul doute composer avec une opposition assez virulente, dont on voit parfaitement l’illustration avec la sécession du comte d’Afrique Gildon, qui avait déjà refusé de soutenir Théodose contre Eugène et qui, en 397, décida de ne reconnaître qu’Arcadius et provoqua une grave crise d’approvisionnement en Italie.

6L’enjeu pour le panégyriste du nouveau prince et de son régent est donc extrêmement important et délicat. Il s’agit de faire accepter Honorius non seulement comme le successeur légitime au trône d’Occident, mais aussi comme un prince capable de gouverner réellement dès qu’il sera en âge de le faire. La politique de Stilicon consiste d’ailleurs dans ces années, tout en affirmant l’autorité d’Honorius sur l’Occident, à faire des concessions aux anciens soutiens païens d’Eugène, sans toutefois trop mécontenter les chrétiens, dont le prince lui-même, par des largesses trop appuyées. Que le régent ait eu également des prétentions à intervenir dans le domaine d’Arcadius, l’empereur d’Orient, ne fait aucun doute, mais nous nous contenterons ici d’examiner la manière dont Claudien s’adresse à Honorius, même s’il est indéniable que certains des traits que nous relèverons prennent, dans ces années où les relations entre les deux parties de l’Empire sont extrêmement tendues, un caractère ouvertement polémique.

7Avant d’aborder les textes, il faut se souvenir que, lorsque Claudien écrit le Panégyrique pour le troisième consulat d’Honorius, le prince a 11 ans, et qu’il en a 14 lorsqu’il écrit le Panégyrique pour le quatrième consulat. Dans ce contexte, il faudra bien prendre garde au fait que, dans le premier discours, le prince est forcément encore un gouvernant en devenir et que, dans le second, il arrive à sa majorité. Dans le Panégyrique pour le sixième consulat d’Honorius en revanche, le prince a 19 ans, soit l’âge qu’avait Octave lorsque meurt César et qu’il devient fils adoptif du dictateur assassiné.

S’adresser au prince : modalités de l’adresse dans les trois panégyriques

  • 6 Sur les circonstances de la composition, voir Charlet (éd.) 2000, p. XV-XVIII.
  • 7 Voir aussi 39-59.

8Dans le premier panégyrique6, l’adresse au prince est volontairement limitée. Dans ce poème essentiellement narratif, l’enjeu est, pour le poète, d’établir clairement la continuité dynastique et la légitimité d’Honorius, tout en soulignant que Théodose a soigneusement préparé son fils à l’exercice de la charge impériale. Claudien insiste donc sur l’éducation martiale que l’empereur régnant a donnée à son fils et sur la manière dont il a su le faire aimer des Romains. Même s’il y inclut plusieurs discours de Théodose, aucun n’est adressé à son fils, puisque le prince prononce une prière au souverain de l’Olympe (33-38) et une à Stilicon (144-162). C’est le poète, sur le mode narratif, qui s’adresse directement au prince et parfois à son frère, en une suite de constats (« tu as déjà fait cela et voici ce que tu accomplis à présent ») qui dessinent une forme de portrait virtuel d’un prince combattant. Ainsi en Claudien, carm. 7 [= paneg. dictus Honorio cos. III], 7-127 :

Tuque o qui patrium curis aequalibus orbem
Eoo cum fratre regis, procede secundis
Alitibus Phoebique nouos ordire meatus,
Spes uotumque poli, quem primo a limine uitae
Nutrix aula fouet, strictis quem fulgida telis
Inter laurigeros aluerunt castra triumphos.

« Toi qui gouvernes, avec ton frère en Orient, d’un même soin, / Le monde de ton père, avance-toi sous des auspices / Heureux, et de Phébus ouvre la nouvelle carrière, / Espoir du ciel et objet de ses vœux, toi que, dès le seuil de la vie, / La cour a nourri et couvé, toi que les camps, qui resplendissent / Des armes dégainées, ont élevé parmi les lauriers des triomphes. »

  • 8 Sur ce texte et le personnage de Théodose l’Ancien, voir Charlet (éd.) 2000, p. 173-174 ; sur ses a (...)

Il n’y a donc pas de dimension protreptique ou pédagogique explicite. Seul un discours rapporté montre Théodose évoquant pour son fils les exploits de Théodose l’Ancien quoque magis nimium pugnae inflammaret amorem (Claudien, carm. 7 [= paneg. dictus Honorio cos. III], 51-58)8 :

Quoque magis nimium pugnae inflammaret amorem,
Facta tui numerabat aui, quem litus adustae
Horrescit Libyae ratibusque imperuia Thule :
Ille leues Mauros nec falso nomine Pictos
Edomuit Scottumque uago mucrone secutus :
Fregit Hyperboreas remis audacibus undas
Et geminis fulgens utroque sub axe tropaeis
Tethyos alternae refluas calcauit harenas.

« Et, pour embraser plus encor ton amour du combat / Il énumérait les exploits de ton aïeul que redoutaient / Les rives brûlées de Libye et l’inabordable Thulé. / Il dompta les Maures agiles, les Pictes bien nommés ; / Il poursuivit le Scot avec son estoc vagabond, / L’audace de ses rames fendit l’onde hyperboréenne ; / Et d’un double trophée il resplendit d’un pôle à l’autre : / Son pied foula le sable découvert par le reflux des deux Thétys. »

  • 9 Sur le contexte de ce discours, voir Charlet (éd.) 2000, p. XXIX-XXX. Il est essentiel de noter que (...)

9C’est en revanche dans le panégyrique impérial suivant, le Panégyrique pour le quatrième consulat d’Honorius, que l’on trouve ce qui se rapproche le plus d’un miroir du prince9. En deux longs discours, Claudien fait délivrer à Honorius par Théodose lui-même un traité du bon gouvernement, qui constitue clairement un programme pour le règne qui commence et une sorte de contrat moral que le jeune prince s’engage à mettre en œuvre avec enthousiasme, au moins dans la fiction du discours. Le discours que Théodose adresse à son fils s’ouvre ainsi sur une précision sans ambiguïté (Claudien, carm. 8 [= paneg. dictus Honorio cos. IV], 212-213) :

Vt domus excepit reduces, ibi talia tecum
Pro rerum stabili fertur dicione locutus :

« Quand le palais à leur retour les accueillit, là ton père, dit-on, / Parla ainsi pour la stabilité de l’Empire du monde. »

  • 10 D’ailleurs ce passage est inséré comme jalon conduisant à la tradition des miroirs des princes par (...)

10Il s’agit de permettre au jeune prince d’assurer la stabilité politique de l’Empire en exerçant le pouvoir exactement comme ses sujets s’attendent à ce que le fasse un empereur modèle10. Et la réponse prêtée par le poète à Honorius confirme clairement cette dimension : le jeune empereur montre la ferme volonté de pratiquer (experior) dans son propre gouvernement les préceptes de cette ars regendi (Claudien, carm. 8 [= paneg. dictus Honorio cos. IV], 352-357) :

                  Dicturum plura parentem
Voce subis : “equidem, faueant modo numina coeptis
Haec effecta dabo, nec me fratrique tibique
Dissimilem populi commissaque regna uidebunt.
Sed cur non potius, uerbis quae disseris, usu
Experior ?”

  • 11 La mention d’Arcadius dans cette réponse est pleine de sens et de sous-entendus : d’un côté, Claudi (...)

« Son père allait en dire plus, il lui prit la parole : / “Pourvu que la divinité favorise mes entreprises, / J’exécuterai ce programme : aux yeux des peuples et des royaumes / Que tu m’as confiés, je ne serai pas différent de mon frère et de toi. / Pourquoi plutôt ne mets‑je pas en œuvre ton discours11 ?” »

11Avec le dernier texte, le Panégyrique pour le sixième consulat, c’est à un prince adulte et parfaitement en âge de gouverner que s’adresse Claudien. Dans ce poème complexe, où l’éloge du prince tend souvent à laisser la place à celui de Stilicon, un passage peut ici retenir toute notre attention, l’adresse de Rome à l’empereur et la réponse d’Honorius (Claudien, carm. 28 [= paneg. dictus Honorio cos. VI], 361-425), qui, par sa structure même, représente une sorte de reprise de l’entretien du prince avec son père dans le panégyrique précédent. Toutefois, les différences l’emportent sur les ressemblances. On notera que la déesse ne se présente plus comme une figure de conseil ou de mentor, mais comme une parens affligée par le peu de soin que son fils a d’elle (Claudien, carm. 28 [= paneg. dictus Honorio cos. VI], 356-360) :

Iam totiens missi proceres responsa morandi
Rettulerant, donec differri longius urbis
Communes non passa preces penetralibus altis
Prosiluit uultusque palam confessa coruscos
Impulit ipsa suis cunctantem Roma querellis :

« L’ambassade des grands n’avait si souvent rapporté / Qu’une réponse dilatoire : alors Rome ne supporta pas davantage / Ce retard aux vœux de toute la ville, elle jaillit du fond / Du sanctuaire, au grand jour révéla l’éclat de son visage / Et de ses plaintes renversa tes hésitations… »

La manière dont le poète présente alors la réaction du prince indique clairement qu’il n’est plus un souverain en devenir, ou un empereur-enfant, mais un dirigeant parfaitement conscient de son pouvoir et de son rôle (Claudien, carm. 28 [= paneg. dictus Honorio cos. VI], 426) :

orantem medio princeps sermone refouit

  • 12 On notera que, dans les deux derniers textes, le prince interrompt son interlocuteur, ce qui a pu ê (...)

« Elle en est encore à prier quand le prince la réconforte12. »

12Dans les trois textes, la figure qui incarne l’autorité évolue, certes en passant de Théodose à Rome, mais aussi dans la représentation même de l’empereur défunt. Alors que Théodose occupe une place décisive comme actant et gouvernant dans le Panégyrique pour le troisième consulat, il devient, dans celui pour le quatrième, essentiellement une incarnation de la sagesse politique, avant de disparaître de l’adresse à son fils dans le sixième, au profit de la dea Roma.

13Dans les deux cas où il apparaît, il remplit bien cependant une fonction de guide. Mais dans le poème le plus ancien, il agit aux côtés d’Honorius et accomplit la tâche guerrière quand son fils incarne purement la fonction impériale, évidemment en raison de son jeune âge. Il n’autorise pas Honorius à le suivre au combat contre l’usurpateur, mais propose la vision d’un partage du pouvoir entre fonction combattante et fonction représentative, entre règne et gouvernement (Claudien, carm. 7 [= paneg. dictus Honorio cos. III], 83-89) :

Ille uetat rerumque tibi commendat habenas
Et sacro meritos ornat diademate crines.
Tantaque se rudibus pietas ostendit in annis,
Sic aetas animo cessit, quererentur ut omnes
Imperium tibi sero datum. Victoria uelox
Auspiciis effecta tuis. Pugnastis uterque :
Tu fatis genitorque manu.

« Ton père l’interdit, mais te confie les rênes des affaires, / Et du diadème sacré qu’ils méritaient il orne tes cheveux. / Un tel sens du devoir se révéla en ta jeunesse inexpérimentée, / L’âge céda à ton grand cœur au point que tous se lamentaient / Que l’Empire te fût donné si tard. Sous tes auspices, / La Victoire accourut. Vous combattiez tous deux : / Ton père par son bras et toi par les destins. »

  • 13 Plusieurs éléments dessinent ici une forme de prééminence d’Honorius sur son frère aîné Arcadius. E (...)

Face aux exploits militaires de Théodose et de ses généraux, le poète souligne la fonction symbolique et tutélaire de la figure du jeune prince, en s’inspirant de la représentation religieuse traditionnelle du pouvoir (auspiciis tuis)13. Dans le second texte au contraire, Théodose se fait mentor du prince pour lui transmettre son art de gouverner, dans un discours censé se dérouler en 394, et donc avoir déjà porté ses fruits sur le jeune Honorius. Ainsi, lorsque le défunt empereur conclut son second discours, le poète rappelle explicitement cette fonction éducative (Claudien, carm. 8 [= paneg. dictus Honorio cos. IV], 419-423) :

Haec genitor praecepta dabat : uelut ille carinae
Longaeuus rector, uariis quem saepe procellis
Explorauit hiems, ponto iam fessus et annis
Aequoreas alni nato commendat habenas
Et casus artesque docet :

« Ton père donnait ces conseils, tel ce pilote de navire / Chargé d’années qu’a souvent éprouvé par diverses tempêtes / La mauvaise saison : déjà las et de l’âge et de la mer, / Il confie à son fils les rênes de l’aune qui vogue / Et lui apprend dangers et savoir-faire ».

On passe donc clairement, entre le troisième et le quatrième consulat, d’une logique d’anticipation (« Honorius sera un grand prince parce qu’il a été bien élevé, et il accomplira les mêmes exploits que son père ») à une logique d’accomplissement du programme fixé par Théodose, manifeste dans la manière dont Claudien, après le passage qui constitue une ars regendi, apostrophe le prince aujourd’hui défunt (Claudien, carm. 8 [= paneg. dictus Honorio cos. IV], 428-431) :

Aspice nunc, quacumque micas, seu circulus Austri,
Magne parens, gelidi seu te meruere Triones,
Aspice : completur uotum. iam natus adaequat
Te meritis et, quod magis est optabile, uincit.

« Regarde aujourd’hui, père immense, où que tu brilles, / Que l’hémisphère austral ou les Trions glacés t’aient mérité, / Regarde ton vœu accompli. Ton fils déjà par ses mérites / T’égale et, au-delà de tout souhait, il te surpasse. »

  • 14 L’empereur défunt apparaît comme celui qui a révélé à Honorius le lien indissociable entre Rome et (...)
  • 15 Cet abandon est clairement présenté par Claudien comme une faute politique puisque Rome déclare (Cl (...)

Dans le Panégyrique pour le sixième consulat en revanche, le ton est très différent, et la figure tutélaire de Théodose, sans disparaître tout à fait14, laisse la place à la mise en scène du lien particulier qu’Honorius lui-même, en tant que souverain régnant et gouvernant, entretient avec Rome, lien distendu que la Ville demande au prince de réactiver. De fait, Roma ne délivre pas un enseignement à un prince qui désormais sait comment gouverner, elle se plaint d’un possible abandon par l’empereur (360 : inpulit ipsa suis cunctantem Roma querellis)15, autrement dit d’un rejet possible par ce prince du mos maiorum qui a fait la force de l’Empire.

  • 16 Voir Bureau 2016.
  • 17 Sur ce point, voir McEvoy 2010 et les remarques très éclairantes sur les deux tendances à l’œuvre d (...)
  • 18 En effet, le thème du prince régnant et gouvernant est plus théodosien que spécifiquement occidenta (...)

14Il y a là évidemment la marque d’une progression dans le discours au prince et dans la définition de sa fonction : d’un discours qui vise à légitimer le jeune empereur, on passe progressivement à un contenu plus immédiatement politique où Claudien énonce le programme d’Honorius (ou de Stilicon), dans un contexte de redéfinition de la fonction impériale. L’adresse au prince dans les deux derniers textes prend place dans un cadre plus ouvertement polémique16 et affirme un modèle princier particulier qui se veut une forme de retour à un exercice romain du pouvoir, où le prince règne et gouverne, face à un modèle où le prince n’exercerait qu’une fonction symbolique et de représentation, sans lien direct avec la politique concrète17. En même temps, il se réinstalle, dans la représentation de la figure impériale, le souci d’un ancrage romain et occidental18. Entrons maintenant dans le détail des textes, en prenant comme pivot de notre étude les discours du Panégyrique pour le quatrième consulat d’Honorius qui, seul, contient ce qui peut se rapprocher d’un miroir du prince.

Le discours au prince de 397 (Claudien, carm. 8 [= paneg. dictus Honorio cos. IV]) : un programme de restauration ?

15Le discours de Théodose à Honorius est un ensemble complexe et composite qui couvre les vers 214 à 352, puis, après une brève réplique d’Honorius, les vers 370 à 418, soit plus de 180 vers sur les 656 que compte le texte (27,5 %). Le prince, alors âgé de 10 ans (rappelons que le discours est censé se passer en 394), reçoit des praecepta dont le but est d’obtenir une stabilis dicio rerum, allusion transparente à la nécessité pour Honorius d’asseoir la pérennité de son pouvoir non sur la seule figure de son père, mais sur la manière même dont il exerce(ra) l’Empire.

Une ars regendi topique ?

  • 19 Charlet (éd.) 2000, p. 164-165.

16Le plan de cette ars a été précisé, à la suite d’autres travaux, par J.‑L. Charlet dans son édition du poème19, et nous suivons sa division. Une première partie (v. 214-268) présente le caractère du prince idéal : le pouvoir se fonde sur la vertu et non sur l’hérédité (v. 214-228) car, parce que l’âme doit gouverner le corps (v. 229-256), le prince doit d’abord savoir se gouverner lui-même (v. 257-268). Viennent ensuite les conseils précis (v. 269-352) : que le prince soit inflexible envers lui-même, car il est le centre de tous les regards et ses actes rejaillissent sur l’univers entier (v. 269-275), qu’il soit pius, clemens comme un père, et qu’il soit juste dans sa vie personnelle et envers tous (v. 276-305). Comme Honorius gouverne des Romains et non des orientaux habitués à subir la tyrannie (v. 306-320), il devra suivre l’exemple de Trajan et se montrer un prince guerrier infatigable, proche de ses soldats et partageant leurs peines (v. 321-352). Après une intervention pleine de fougue d’Honorius, Théodose, en le rappelant à la mesure et invitant à prendre en compte son jeune âge (v. 370-395), achève sa leçon en encourageant pour le moment son fils à l’étude de l’Histoire et des exempla des héros républicains (v. 396-418).

17La clé de ce discours se trouve sans doute dans la partie centrale (Claudien, carm. 8 [= paneg. dictus Honorio cos. IV], 306-320) qui permet de comprendre le choix et la disposition des autres arguments dans la construction du portrait princier :

Non tibi tradidimus dociles seruire Sabaeos,
Armeniae dominum non te praefecimus orae,
Nec damus Assyriam, tenuit quam femina, gentem.
Romani, qui cuncta diu rexere, regendi,
Qui nec Tarquinii fastus nec iura tulere
Caesaris. annales ueterum delicta loquuntur :
Haerebunt maculae quis non per saecula damnat
Caesareae portenta domus ? quem dira Neronis
Funera, quem rupes Caprearum taetra latebit
Incesto possessa seni ? uictura feretur
Gloria Traiani, non tam quod Tigride uicto
Nostra triumphati fuerint prouincia Parthi,
Alta quod inuectus fractis Capitolia Dacis,
Quam patriae quod mitis erat. ne desine tales,
Nate, sequi.

« Je ne t’ai pas transmis des Sabéens dociles à servir, / Je ne t’ai pas établi maître du pays d’Arménie, / Je ne t’ai pas donné le peuple d’Assyrie qu’une femme a régi. / Tu dois gouverner des Romains qui dès longtemps gouvernent tout / Qui n’ont supporté la morgue des Tarquins / Ni les lois de César. Les annales te disent les crimes des anciens : / La tache en restera fixée. Qui ne condamne d’âge en âge / Les monstruosités de la famille des Césars ? À qui échapperont / Les cruels meurtres de Néron, l’horrible roche de Caprée / Qu’un vieillard impur possédait ? La gloire de Trajan / Vivra non tant parce qu’après la défaite du Tigre / Les Parthes vaincus ont formé l’une de nos provinces, / Parce qu’il est monté en haut du Capitole après avoir brisé les Daces, / Que pour sa douceur envers la patrie. Ne laisse pas de suivre / Mon fils, de tels exemples. »

18Une double opposition construit ici la figure du prince idéal :

  1. l’empereur gouverne les Romains, nation libre et fière, qui ne saurait tolérer l’exercice monarchique et tyrannique du pouvoir, et non des Orientaux dociles ou habitués à l’esclavage ;
  2. le prince doit opérer un choix entre des modèles d’empereurs, choisir s’il sera Néron ou Tibère, ou au contraire Trajan.

Les deux oppositions sont en réalité articulées l’une à l’autre. C’est parce que les Romains ont une longue tradition d’amour de la liberté et d’exercice de la vertu que les princes tyranniques ou vicieux ont été abhorrés et que le peuple a reconnu dans Trajan celui qui savait le respecter. C’est sans nul doute ce qui explique la saturation de l’ensemble des conseils par des références romaines avec un point d’aboutissement dans les lectures proposées au jeune prince.

  • 20 Sur ce point particulier, voir les observations toujours valables de Charlesworth 1943.
  • 21 Sur l’histoire de ce concept du princeps ciuis, voir Wallace-Hadrill 1982.

19Mais cette opposition rebondit sur une autre, qui s’opère à l’intérieur même de la figure de Trajan. Celui-ci n’a pas tant dû son renom d’optimus princeps à ses victoires militaires qu’à la manière dont il a su se comporter avec ses sujets (mitis erat)20. Un prince peut être un excellent guerrier et un grand conquérant, c’est bien dans le rapport qu’il entretient avec des citoyens dont il est aussi le ciuis qu’il va asseoir à la fois la force de son pouvoir et l’excellence de sa fama21.

  • 22 Il serait tentant de voir, dans cette minimisation du renom guerrier pour construire la fama du pri (...)
  • 23 Même idée chez Synésios de Cyrène, regn. 10 : ἔνθεν ἑλών, φημὶ δεῖν, ἡγουμένου θεοῦ, τὸν βασιλέα πρ (...)

20Or c’est précisément l’aspect des qualités morales (et non guerrières) du prince qui fournit les deux volets qui organisent le reste du discours de Théodose22 : le prince doit savoir se gouverner lui-même23 et il doit manifester d’authentiques vertus civiques romaines.

  • 24 Claudien, carm. 8 [= paneg. dictus Honorio cos. IV], 228-254. L’influence (néo‑)platonicienne sur c (...)

21Pour montrer à Honorius qu’il doit se gouverner lui-même, Claudien fait tenir à Théodose une digression platonicienne sur le corps et l’âme24. C’est de cette anthropologie philosophique que Théodose tire immédiatement une application politique (Claudien, carm. 8 [= paneg. dictus Honorio cos. IV], 257-268) :

Tu licet extremos late dominere per Indos,
Te Medus, te mollis Arabs, te Seres adorent :
Si metuis, si praua cupis, si duceris ira,
Seruitii patiere iugum ; tolerabis iniquas
Interius leges. tunc omnia iure tenebis,
Cum poteris rex esse tui. procliuior usus
In peiora datur suadetque licentia luxum
Illecebrisque effrena fauet. tum uiuere caste
Asperius, cum prompta Venus ; tum durius irae
Consulitur, cum poena patet. sed comprime motus
Nec tibi quid liceat, sed quid fecisse decebit
Occurrat, mentemque domet respectus honesti.

« Être adoré du Mède ou de l’Arabe efféminé ou bien des Sères, / Si tu éprouves crainte ou bien mauvais désirs, si le courroux te mène, / Tu subiras le joug de l’esclavage et porteras en toi / Des lois iniques. Mais tu tiendras tout sous ta loi / Quand tu pourras régner sur toi. La pratique du mal / Entraîne au pire et la licence pousse à la débauche. / Sans frein, elle incite à séduire. Vivre chastement est plus dur / Quand Vénus s’offre et nous avons plus de mal à brider / Notre courroux quand nous pouvons punir. Comprime tes passions ; / Ne songe pas à ce qui t’est permis, mais à ce qu’il convient de faire ; / Que la pensée du bien dompte ton âme. »

  • 25 Charlet (éd.) 2000, p. 23, souligne à juste titre l’influence stoïcienne probable du thème du rex s (...)
  • 26 Que ces vertus soient marquées dans l’idéologie théodosienne ressort clairement des propos d’Ambroi (...)

22On pourrait s’attendre à ce que la dichotomie âme/corps construise la figure du prince comme âme de l’Empire, mais il n’en est rien, et cet élément est en soi intéressant. Théodose/Claudien refuse au prince toute forme de statut divin ou transcendant, et se contente de souligner que la maîtrise de soi permet de ne pas basculer dans la tyrannie25. Les conseils que donne Théodose s’adressent donc bien à un homme présenté comme faillible, et dont la toute-puissance constitue un puissant sujet de tentations morales. Honorius doit s’en garder en pratiquant les vertus théodosiennes par excellence : pietas et clementia (Claudien, carm. 8 [= paneg. dictus Honorio cos. IV], 276-277)26 :

Sis pius in primis ; nam cum uincamur in omni
Munere, sola deos aequat clementia nobis.

  • 27 Pour l’idée comparer Sen., Cl. 1, 7, 2 : quod si di placabiles et aequi delicta potentium non stati (...)

« En premier lieu, sois bon. Alors que nous sommes vaincus / En toute autre fonction, la clémence seule aux dieux nous égale27. »

23Or ces vertus sont sociales et non purement personnelles, et elles doivent être l’objet de toute l’attention du prince, car, comme l’avait déjà également souligné Sénèque, le prince est soumis en permanence au regard et au jugement de tous. Maître de l’univers, son pouvoir est en réalité fragile, car s’il veut être aimé de ses sujets, il ne peut compter que sur sa vertu (Claudien, carm. 8 [= paneg. dictus Honorio cos. IV], 269-273 et 281-282) :

“Hoc te praeterea crebro sermone monebo,
Vt te totius medio telluris in ore
Viuere cognoscas, cunctis tua gentibus esse
Facta palam nec posse dari regalibus usquam
Secretum uitiis” […]
Non sic excubiae, non circumstantia pila
Quam tutatur amor.

  • 28 L’influence de Sénèque dans ce passage ne fait aucun doute, même si tous ces thèmes sont déjà deven (...)

« De plus – et je te le dirai et t’en avertirai souvent – / Sache que ta vie est au centre du cercle de la terre entière, / Que tes actes sont accomplis aux yeux de tous les peuples, / Qu’on ne peut jamais imposer le secret aux vices d’un roi” […] Ni gardes ni hastes dressées autour de nous / Ne protègent comme l’amour28. »

24À la lecture de tous ces éléments, une question se pose à l’évidence : avons-nous ici affaire à un discours totalement topique qui proposerait une vision idéale et stéréotypée du bon prince, ou ce discours est-il réellement ancré dans l’actualité du règne de ce prince précis, dans ce contexte précis ? Il nous semble très clairement que, malgré l’abondance des lieux communs de l’ars regendi que porte ce discours, trois éléments nous invitent à prendre en compte une probable actualité des conseils, dans le contexte de la fin 397 :

  1. la critique à peine voilée de l’Orient ;
  2. l’ambiguïté sur le statut guerrier du prince et l’étendue de ses conquêtes ;
  3. le statut donné à la culture romaine.

Un manifeste occidental et romain non sans visées polémiques envers l’Orient

25La présence de l’Orient dans ce passage demande évidemment à être étudiée de près. Parmi les nations qui se laissent facilement dompter et qui sont jugées particulièrement aptes à subir sans regimber une monarchie tyrannique, Claudien, qui pourtant est un oriental, ne place que des orientaux, les Sabéens, les Arabes, les Arméniens, les Indiens, les Parthes, et les Sères, en une sorte de catalogue des frontières orientales (réelles ou idéales) de l’Empire d’Orient.

  • 29 Sur la fiction possible de l’adresse, voir infra.
  • 30 Sur ce texte important, voir Lacombrade (éd.) 1951 ; sur les enjeux politiques du texte, voir en pa (...)

26Cette liste pourrait relever de la stricte topique si l’on ne prenait pas en compte le fait qu’au même moment ou presque Synésios de Cyrène « adresse29 » au frère d’Honorius son traité de Regno dont le contenu est proche de celui du discours de Théodose30.

  • 31 Lacombrade (éd.) 1951 et Lacombrade 1956 placent le discours à l’été 399, tandis que Cameron, Long, (...)
  • 32 Lacombrade (éd.) 1951.

27La date du de Regno est problématique31, mais elle revêt ici une certaine importance pour éclairer le discours occidental sur le pouvoir impérial. Alors que le discours était unanimement daté de 399 (et plus précisément de l’été 39932), plusieurs études récentes ont proposé de placer le texte en 398, soit quelques mois après le panégyrique de Claudien. Le changement de contexte a évidemment des conséquences importantes, mais qui n’affectent pas notre démonstration ici. En effet, que les critiques violentes contre le gouvernement oriental soient contemporaines de l’influence d’Eutrope sur Arcadius ou postérieures à sa chute ne change pas grand-chose sur le fond du discours. On retrouve clairement dans les deux textes les mêmes idées sur les vertus politiques, l’importance du contact avec les sujets et les troupes, la nécessité de se modérer soi-même. Toutefois, dans la partie consacrée aux vertus du prince, est absent du poème de Claudien le passage important consacré aux détestables habitudes orientales prises par les princes (Synésios, de Regno 14) :

φημὶ γὰρ οὐδὲν οὕτως ἔμπροσθεν ἄλλο χείρω ποιῆσαι τὰ Ῥωμαίων, ὡς τὴν περὶ τὸ βασιλικὸν σῶμα σκηνὴν καὶ θεραπείαν, ἣν ὥσπερ ἱερουργοῦντες ὑμῖν ἐν ἀπορρήτῳ ποιοῦνται, καὶ τὸ βαρβαρικῶς ἐκτεθεῖσθαι τὰ καθ’ ὑμᾶς· ὡς οὐ φιλεῖ συγγίνεσθαι φαντασία τε καὶ ἀλήθεια. ἀλλὰ σύ γε μὴ δυσχεράνῃς, ὡς τοῦτό γε οὐκ ἔστι σόν, ἀλλὰ τῶν ἀρξάντων τῆς νόσου καὶ παραδόντων τῇ διαδοχῇ τοῦ χρόνου ζηλούμενον τὸ κακόν. τοιγαροῦν ἡ σεμνότης αὕτη καὶ τὸ δεδιέναι μὴ ἐξανθρωπισθείητε σύνηθες γενόμενοι θέαμα κατακλείστους ποιεῖ πολιορκουμένους ὑφ’ ἑαυτῶν, ἐλάχιστα μὲν ὁρῶντας, ἐλάχιστα δὲ ἀκούοντας, ἀφ’ ὧν πρακτικὴ φρόνησις συναθροίζεται, μόνας ἡδομένους τὰς τοῦ σώματος ἡδονάς, καὶ τούτων γε τὰς ὑλικωτάτας, ὅσας ἁφή τε καὶ γεῦσις πορίζουσι, βίον ζῶντας θαλαττίου πνεύμονος.

« Je veux dire en effet que rien dans le passé n’a été si nuisible aux affaires de Rome que la mise en scène et le soin qui entoure le corps de l’empereur, ces marques de déférence que, comme si les courtisans se livraient à quelque culte, ils exercent à votre égard en secret, et aussi le fait d’entourer d’un appareil barbare tout ce qui vous concerne ; car la montre et la vérité ne font d’ordinaire pas bon ménage. Mais toi, ne va pas mal prendre ce que je dis, car la faute ne t’en incombe pas, elle incombe à ceux qui ont commencé à répandre ce mal, et qui ont transmis à la suite des temps cette mauvaise attitude à laquelle ils étaient attachés. Ainsi donc, la majesté elle-même et la crainte pour vous d’être considérés comme de simples humains, maintenant que vous vous êtes habitués à être en représentation, vous conduit à vous laisser enfermer et assiéger par ces comportements mêmes ; vous voyez le moins possible et entendez le moins possible des connaissances qui constituent une intelligence pratique ; vous ne connaissez que les plaisirs du corps, et encore les plus matériels, comme ceux que procurent le toucher et le goût, et vous menez une vie de mollusque ! »

  • 33 Sur les tensions entre modèle princeps et modèle basileus dans la représentation de la figure impér (...)
  • 34 Cf. supra. Il me semble difficile de ne pas voir de contradiction entre les deux passages, contradi (...)

28L’absence de cette notation peut se comprendre dans un poème où l’on veut exalter la perfection du prince, mais elle pourrait tout à fait servir à opposer Honorius à son frère et donc à le mettre en valeur. Or Claudien (qui ne peut ignorer ce reproche fait à Arcadius et au modèle oriental du prince-basileus33) en tire parti bien autrement, pour souligner, sans jamais critiquer ouvertement l’empereur d’Orient, que seul l’Occident est véritablement l’héritier du nom romain. Ainsi, si en 257-258 Théodose offre l’Empire des Mèdes, des Arabes et des Sères à Honorius (dominere)34, il revient ensuite sur une répartition exacte des provinces, Arcadius étant maître en Orient et Honorius en Occident (Claudien, carm. 8 [= paneg. dictus Honorio cos. IV], 388-395) :

         patiensque meum cum fratre tuere
Me bellante locum. uos impacatus Araxes,
Vos celer Euphrates timeat, sit Nilus ubique
Vester et emisso quidquid sol imbuit ortu.
Si pateant Alpes, habeat si causa secundos
Iustior euentus, aderis partesque receptas
Suscipies, animosa tuas ut Gallia leges
Audiat et nostros aequus modereris Hiberos.
Tunc ego securus fati laetusque laborum
Discedam, uobis utrumque regentibus axem.

« garde patiemment ma place avec ton frère / Tandis que je guerroie. Vous, soyez craints de l’Araxe non pacifié / Et du rapide Euphrate ; que tout le Nil soit vôtre / Avec tout ce que baigne le soleil à son lever. / Et si les Alpes s’ouvrent, si la plus juste cause a une heureuse issue, / Tu seras là et tu prendras en charge les contrées reprises : / La Gaule impétueuse va ainsi entendre tes lois / Et, juste, tu gouverneras nos chers Ibères. / Alors, assuré du destin et content de mon œuvre, / Je partirai et vous gouvernerez les deux moitiés du monde. »

  • 35 Lacombrade 1956, p. 22, émet une idée intéressante, et probablement en partie exacte, sur l’influen (...)

Or ce flottement est selon nous absolument voulu. Certes Arcadius règne légitimement sur l’Orient, mais il le fait à la manière d’un roi oriental, qui a devant lui des sujets faciles à gouverner. Il a donc en quelque sorte la partie facile, et peut faire l’économie des hautes exigences imposées à Honorius. En un sens, Arcadius est pour Honorius l’exact miroir de ce qu’il ne faut pas faire s’il veut se maintenir au pouvoir en Occident35.

29Un autre élément va dans ce sens : Synésios et Claudien achèvent leur ars sur une référence à la culture. Dans le discours adressé à Arcadius, Synésios propose le modèle du roi philosophe inspiré ouvertement par Platon (Synésios, de Regno 29) :

τὰ δὲ ἀνθρώπινα πράγματα, παρούσης τε αὐτῆς καὶ ἀπούσης, χείρω καὶ βελτίω καὶ παντελῶς εὐδαίμονα καὶ κακοδαίμονα γίνεται. ὑπὲρ τούτων οὖν, καὶ ὑπὲρ φιλοσοφίας ηὖγμαι. καὶ εἴη γε τυχεῖν τῆς εὐχῆς, ἣν Πλάτων εὐξάμενος οὐκ εὐτύχησεν. ἴδοιμί σε τῇ βασιλείᾳ προσειληφότα φιλοσοφίαν, καὶ οὐκέτι ἄν μου πρόσω τις λέγοντός τι περὶ βασιλείας ἀκούσεται. ἀλλ’ ὥρα γὰρ ἤδη σιγᾶν, ὡς ἑνὶ τούτῳ πάντα συνῄρηκα. κἂν γένηται τοῦτο, δέδωκά σοι ὅπερ ἀρχόμενος ᾔτησα, λόγῳ μὲν αὐτὸς ὑποσχόμενος ἀνδριάντα βασιλέως σοι δεῖξαι. καὶ γάρ ἐστι λόγος ὄντως ἔργου σκιή·

« Or les affaires humaines, suivant si la philosophie est présente ou absente, sont pires et meilleures, et parfaitement heureuses et malheureuses. C’est pour elles donc et pour la philosophie que j’ai présenté ma prière, et puisse aboutir cette prière qui, pour Platon quand il la fit, n’aboutit pas. Puissé-je te voir avoir déjà attaché à ta royauté la philosophie et plus personne alors ne m’entendra plus parler de la royauté. Mais maintenant l’heure est venue de me taire car j’ai tout dit en ce seul précepte, et si cela advient, je t’ai donné ce sur quoi portait ma requête initiale, en ayant fait de mon discours même une statue de roi à mettre devant tes yeux. Et la parole est réellement l’ombre de l’action. »

30Claudien, quant à lui, ne retient pas grand-chose de ce modèle philosophique. Il choisit, dans un geste fort d’affirmation du mos maiorum, de donner à lire à Honorius les historiens de la République (v. 396-418), signe qu’un prince romain apprend, non en lisant de la philosophie, mais en contemplant des hommes d’action. Commence alors un passage qui va voir défiler les exempla positifs de Brutus, Décius, Horatius Coclès, Mucius Scaevola, Fabius Cunctator, Camille, Régulus, Caton, Fabricius et Serranus, opposés aux errements de Mettius Fufetius et de Torquatus, et que Théodose/Claudien introduit par ces mots (Claudien, carm. 8 [= paneg. dictus Honorio cos. IV], 396-400) :

Interea Musis animus, dum mollior, instet
Et quae mox imitere legat ; nec desinat umquam
Tecum Graia loqui, tecum Romana uetustas.
Antiquos euolue duces, adsuesce futurae
Militiae, Latium retro te confer in aeuum.

« Cependant que ton cœur est tendre, applique-le aux Muses, / Lis ce que tu auras à imiter ; que jamais l’antiquité grecque / Ou romaine avec toi ne cesse de dialoguer. / Parcours les faits des anciens généraux, aux campagnes futures / Habitue-toi ; reporte-toi au passé du Latium. »

  • 36 Les deux princes vertueux pris en exemple en Synésios, Regn. 16-17 posent problème. En attribuant u (...)

31Or « l’antiquité grecque » qui doit inspirer Honorius est réduite à sa seule mention tandis que la Romana uetustas donne lieu au reste du développement. Là encore, la comparaison avec Synésios est extrêmement parlante. Le de Regno propose bien deux modèles romains à Arcadius, mais ce sont deux empereurs36. Claudien, lui, accumule les figures républicaines et ne dit rien des bons empereurs ici. C’est par cette « fiction républicaine » que s’explique la nécessité pour Honorius de lier des contacts étroits avec les soldats, de les commander sur le terrain et de partager leurs peines en véritable imperator (v. 320-352), et celle de prendre en compte qu’il est un prince jeune qui ne peut encore exercer pleinement cette activité (Claudien, carm. 8 [= paneg. dictus Honorio cos. IV], 370-373) :

                         “laudanda petisti ;
Sed festinus amor. ueniet robustior aetas ;
Ne propera. necdum decimas emensus aristas
Adgrederis metuenda uiris : […]

« “Ta requête est louable, / Mais ton désir hâtif. Viendra un âge plus robuste, / Ne te hâte pas : sans avoir encor parcouru dix moissons, / Tu entreprends ce qu’un homme redouterait.” »

  • 37 On peut être surpris par la violence du discours de Synésios adressé directement à l’empereur, mais (...)

32La fiction qui place ce discours en 394 fonctionne ici pleinement pour montrer le chemin déjà parcouru. L’ars gubernandi n’en est que plus justifiée, pour un prince de 10 ans qui doit encore tout apprendre pour réaliser les promesses qu’il porte en lui. En 397, Honorius, qui a maintenant 14 ans, a, selon Claudien, réalisé tous les espoirs que l’on mettait en lui. L’étape suivante pour Honorius sera d’inscrire dans la durée ces excellentes dispositions et de se montrer un nouveau Trajan. Claudien, non sans une redoutable habileté politique, pointe ici clairement la différence du jeune prince avec son frère qui le pourrait mais ne le fait pas, tout dépendant qu’il est de ses favoris, comme le lui rappellera, quelques mois plus tard, Synésios37.

  • 38 Au moins pour la trame générale et l’image globale du bon empereur. Sur les arrière-pensées politiq (...)
  • 39 Synésios, Regn. 1 : Ἆρα, εἰ μή τις ἐκ πόλεως ἥκοι μεγάλης τε καὶ πλουτούσης, καὶ κομίζοι λόγους γαύ (...)
  • 40 On comparera Claudien, carm. 8 [= paneg. dictus Honorio cos. IV], 652-656, avec la fin de Claudien, (...)

33Or les similitudes entre ce discours et celui de Synésios à Arcadius montrent bien qu’il s’agit là d’un programme ouvertement théodosien, autrement dit de l’image que l’empereur défunt avait voulu donner de l’Empire38. Et tout l’intérêt est que l’ars de Claudien est parfaitement motivée par le jeune âge du prince, seul d’ailleurs à l’écouter, alors que le discours de Synésios, qui se donne comme une adresse hardie de la Philosophie au prince39, s’adresse à un prince adulte (Arcadius a, selon la date que l’on assigne au texte, 22 ou 23 ans) qui de toute évidence a déjà grandement déçu ceux qui attendaient de trouver en lui l’énergie de son père40.

34En ce sens, Claudien épouse très clairement les nécessités d’années de formation pour un prince qui a encore besoin de son régent, et on peut même se risquer à dire que les trois panégyriques consulaires tracent l’histoire de l’avènement d’Honorius à la fonction princière, la métamorphose de l’enfant né dans la pourpre en un nouveau Trajan et en une figure de restauration de l’Empire. C’est ce que nous allons voir pour terminer.

Honorius, de la pourpre au triomphe : assumer l’héritage de Trajan

  • 41 Tournier 2016.
  • 42 Voir par ex. Charlet 2009.

35La figure de Trajan joue, comme C. Tournier41 l’a bien montré récemment, à la suite d’autres études42, un rôle très important dans la construction de la figure de Théodose et de celle d’Honorius. Se prétendant descendant de l’optimus princeps, Théodose, l’Espagnol qui avait passé le plus clair de sa vie en Orient, avait sans nul doute voulu imposer cette image comme gage de sa légitimité en Occident. Or cette image vient progressivement compléter le portrait d’Honorius qu’elle guide vers son plein accomplissement. Plusieurs éléments sont ici importants :

  1. la mise de côté progressive du thème de la porphyrogénèse ;
  2. la mise à leur place des valeurs guerrières de l’imperator au princeps ;
  3. la romanisation/paganisation de plus en plus marquée de la représentation du pouvoir impérial.

La question de l’empereur né dans la pourpre43

  • 43 Sur ce thème, voir l’étude fondamentale de Dagron 1994.

36Dans le Panégyrique pour le troisième consulat d’Honorius, le thème ouvre le poème, signe de son importance (Claudien, carm. 7 [= paneg. dictus Honorio cos. III], 10-17) :

Spes uotumque poli, quem primo a limine uitae
Nutrix aula fouet, strictis quem fulgida telis
Inter laurigeros aluerunt castra triumphos.
Ardua priuatos nescit Fortuna penates
Et regnum cum luce dedit. cognata potestas
Excepit Tyrio uenerabile pignus in ostro
Lustrauitque tuos aquilis uictricibus ortus
Miles et in mediis cunabula praebuit hastis.

« Espoir du ciel et objet de ses vœux, toi que, dès le seuil de la vie, / La cour a nourri et couvé, toi que les camps qui resplendissent / Des armes dégainées, ont élevé parmi les lauriers des triomphes. / Ta Fortune sublime ignore les foyers des simples citoyens / Et t’a donné le règne avec le jour. Le pouvoir, ton parent, / T’a recueilli, dépôt sacré, dans la pourpre de Tyr ; / L’armée entoura ta naissance des aigles victorieuses / Et t’offrit un berceau au beau milieu des hastes. »

  • 44 Voir Charlet (éd.) 2000, p. XVI.

37Il s’agit évidemment alors de faire reconnaître dans cet enfant le seul successeur légitime de l’empereur défunt en Occident, avec la certitude qu’une continuité dynastique écartera le spectre de la guerre civile44. Deux ans après, le thème demeure présent, mais Théodose/Claudien lui donne toute sa relativité, en en faisant un argument propre à séduire les sujets d’Arcadius, mais non ceux du maître de l’Occident (Claudien, carm. 8 [= paneg. dictus Honorio cos. IV], 214-220) :

Si tibi Parthorum solium Fortuna dedisset,
Care puer, terrisque procul uenerandus Eois
Barbarus Arsacio consurgeret ore tiaras :
Sufficeret sublime genus luxuque fluentem
Deside nobilitas posset te sola tueri.
Altera Romanae longe rectoribus aulae
Condicio. uirtute decet, non sanguine niti.

« Si, cher enfant, la Fortune t’avait donné le trône parthe, / Si, vénérée là-bas, dans les contrées orientales, / Se dressait sur ta tête d’Arsacide une tiare barbare, / Ton haut lignage suffirait et ta noblesse seule / Pourrait te protéger ; tu flotterais dans le luxe et l’oisiveté. / Mais le sort est tout autre à qui dirige / La cour de Rome. Il sied de s’appuyer sur la vertu, non sur le sang. »

38Le changement est essentiel selon nous. Au fur et à mesure que se déploie la thématique d’une éducation du prince à l’art de gouverner, la noblesse de la lignée laisse la place à la capacité du prince d’agir comme tel. Honorius se sépare désormais du modèle du basileus pour l’exercice du principat, et ses mentors adoptent pour lui clairement le modèle occidental du princeps, prince gouvernant par ses vertus civiques romaines et son courage et tirant sa légitimité du consensus d’affection dont l’entourent les libres citoyens de Rome (Claudien, carm. 8 [= paneg. dictus Honorio cos. IV], 500-507) :

Munificus largi, sed non et prodigus, auri
Perdurat non empta fides nec pectora merces
Adligat ; ipsa suo pro pignore castra laborant ;
Te miles nutritor amat. Quae denique Romae
Cura tibi ! quam fixa manet reuerentia patrum !
Firmatur senium iuris priscamque resumunt
Canitiem leges emendanturque uetustae
Acceduntque nouae

« Généreux en honneurs, tu ne gaspilles pas ton or. / Achetée, la fidélité ne dure pas ; le salaire n’attache pas / Les cœurs. Pour son enfant chéri, l’armée travaille d’elle-même ; / Comme son nourrisson, le soldat t’aime. Enfin quelle est pour Rome / Ton attention ! Quel respect constant et ferme pour les Pères ! / Le droit ancien est confirmé ; les lois retrouvent / Leur antique canitie ; celles qui ont vieilli sont réformées : / De nouvelles sont ajoutées. »

39Dans le dernier panégyrique, le thème de la porphyrogénèse se retrouve à l’ouverture du poème (Claudien, carm. 28 [= paneg. dictus Honorio cos. VI], 65-68) :

Teque rudem uitae, quamuis diademate necdum
Cingebare comas, socium sumebat honorum 
Purpureo fotum gremio, paruumque triumphis
Imbuit et magnis docuit praeludere fastis.

« Bien que tu n’aies pas encor ceint, ignorant de la vie, / Du diadème tes cheveux, il t’associait aux honneurs, te réchauffait / Sur son sein empourpré ; il te fit goûter aux triomphes / Tout jeune et il t’apprit à devancer les fastes les plus hauts. »

  • 45 Charlet (éd.) 2017, p. 371, rapproche à juste titre ce passage d’une inscription d’Honorius (CIL, V (...)

Il est cependant rapidement abandonné pour une peinture du prince enfant, mais déjà uir ciuilis accompli, et surtout amoureux de Rome45 et de l’Occident qu’il choisit lui-même de gouverner (Claudien, carm. 28 [= paneg. dictus Honorio cos. VI], 77-87) :

Hinc tibi concreta radice tenacius haesit
Et penitus totis inoleuit Roma medullis,
Dilectaeque urbis tenero conceptus ab ungue
Tecum creuit amor. nec te mutare reuersum
Eualuit propria nutritor Bosphorus arce.
Et quotiens optare tibi quae moenia malles
Adludens genitor regni pro parte dedisset,
Diuitis Aurorae solium sortemque paratam 
Sponte remittebas fratri : “regat ille uolentes
Assyrios ; habeat Pharium cum Tigride Nilum ;
Contingat mea Roma mihi.”

  • 46 On notera ici la parfaite cohérence de la pensée du poète (et de ses commanditaires). Honorius a ce (...)

« Rome dès lors s’est attachée à toi comme une racine tenace, / Solidement, et s’est profondément implantée en tes moelles ; / Conçu dès tes tendres années, l’amour de la Ville chérie / A grandi avec toi ; après ton retour, dans la citadelle, / Le Bosphore qui t’a nourri n’a pas pu te changer. / Chaque fois que ton père en s’amusant te donnait à choisir / Quels murs tu préférais comme part de l’Empire, / Spontanément tu laissais à ton frère le riche trône de l’Aurore, / Sort qui lui était réservé : “Qu’il gouverne les Assyriens / Obéïssants, qu’il ait le Nil d’Égypte avec le Tigre, / et que m’échoie ma chère Rome46.” »

40La disposition elle-même du début permet au poète de ne mentionner plus que pour mémoire le thème de la naissance dans la pourpre, dans un dispositif où le présent séjour du prince adulte à Rome prend toute la place. C’est en effet en parcourant Rome en 404 qu’Honorius reconnaît la Ville qu’il a déjà visitée dans son enfance et le poète rappelle qu’il a reçu l’Empire à la naissance par la volonté de son père (Claudien, carm. 28 [= paneg. dictus Honorio cos. VI], 53-55) :

Agnoscisne tuos, princeps uenerande, penates ?
Haec sunt, quae primis olim miratus in annis
Patre pio monstrante puer.

« Reconnais-tu, ô prince vénérable, tes pénates ? / Voici que tu gagnes les lieux que ton père si bon en ta jeunesse / Jadis montra à ton admiration. »

41Le thème n’est donc plus autonome, il s’inscrit dans une continuité, celle de la trajectoire du jeune prince dont le consulat inauguré à Rome, après un triomphe des armes romaines contre les barbares d’Alaric (402 et 403), est le couronnement parfait. L’ouverture du panégyrique ne laisse à ce sujet aucun doute, en donnant, dans une logique toute romaine, au consulat d’Honorius un lustre particulier car il est le consulat d’un imperator triumphans, qui plus est restaurateur de l’antique libertas publica (Claudien, carm. 28 [= paneg. dictus Honorio cos. VI], 1‑7) :

Aurea Fortunae Reduci si templa priores
Ob reditum uouere ducum, non dignius umquam
Haec dea pro meritis amplas sibi posceret aedes,
Quam sua cum pariter trabeis reparatur et urbi
Maiestas : neque enim campus sollemnis et urna
Luditur in morem, species nec dissona coetu
Aut peregrina nitet simulati iuris imago.

« Les anciens ont voué des temples d’or à la Fortune du retour / Pour le retour des généraux ; jamais cette déesse ne serait / Plus en droit d’exiger d’amples maisons pour ses mérites / Que lorsque Rome et la trabée ensemble ont recouvré / Leur majesté. On ne se moque plus du Champ et de l’urne annuelle / Aucune image d’étrangers qui simulent le droit n’y brille. »

  • 47 Charlet (éd.) 2017, p. 363-364, note à juste titre l’insistance sur le vote des citoyens : Stilicon (...)
  • 48 Voir à ce sujet Charlet (éd.) 2017, p. 363-364, qui rappelle ce que peut avoir d’augustéen, et donc (...)

42L’ouverture du texte sur le thème de la Fortuna Redux marque clairement que ce qui s’accomplit ici n’est pas seulement une cérémonie consulaire, fût-elle exceptionnelle en raison de la personne du consul, mais une véritable refondation de l’État romain sur les bases d’un « Empire républicain47 », qui prend sa source dans les traditions inaugurées par le premier princeps48.

Le princeps en son domaine

  • 49 Dans ce qui est bien plus qu’une digression, Claudien consacre à Stilicon et à sa campagne de 403 c (...)

43Toute la stratégie du Panégyrique pour le sixième consulat peut alors se comprendre comme l’illustration parfaite de la mise en pratique des conseils de Théodose dans le panégyrique précédent, mais on ne peut manquer d’y voir une réelle inflexion. La dimension guerrière, qui soutenait une partie de l’ars de 397, s’est désormais totalement transportée dans la figure du général en chef, Stilicon, qui a mené à bien la campagne victorieuse contre les Goths et éloigné la menace d’Alaric49. Bien plus, le poème pose, entre le prince et son général en chef, un rapport d’équivalence qui pourrait paraître presque irrévérencieux s’il n’était pas placé dans un contexte si ouvertement romain. Rome se plaint en effet à Honorius du fait que les princes dédaignent l’ancienne capitale pour vivre à Milan, mais Honorius répond doublement à ce reproche, en venant à Rome en 404 – ce qui est le sujet du poème – et surtout en rappelant l’articulation fondamentale entre le princeps et les généraux qu’il mandate, et qui combattent sous ses auspices, ce qui explique que ce soit le prince et non eux-mêmes qui généralement triomphe (Claudien, carm. 28 [= paneg. dictus Honorio cos. VI], 427-434) :

Numquam aliquid frustra per me uoluisse dolebis,
O dea, nec legum fas est occurrere matri.
Sed nec post Libyam (falsis ne perge querellis
Incusare tuos) patriae mandata uocantis
Spreuimus : aduectae misso Stilichone curules,
Vt nostras tibi, Roma, uices pro principe consul
Impleret generoque socer. uidistis in illo
Me quoque ;

« Tu ne regretteras jamais d’avoir voulu quelque chose de moi, / Ô déesse : il n’est pas permis de s’opposer à la mère des lois. / Cesse d’incriminer les tiens de plaintes non fondées. / Même après la Libye, je n’ai pas méprisé les plis de ma patrie / Qui m’appelait ; j’ai envoyé Stilicon et le consulat, / Pour me remplacer, Rome, près de toi, un consul pour un prince, / Au lieu du gendre le beau-père. En lui, c’est moi aussi / Que tu as vu. »

44Ce texte semble totalement programmatique du dernier stade de l’ars regendi qui est proposé non plus à Honorius, mais à l’émerveillement de la cité de Rome et qui se résume dans la formule qui ouvre la conclusion du panégyrique (Claudien, carm. 28 [= paneg. dictus Honorio cos. VI], 641-642) :

            iam Thybris in uno
Et Bruti cernit trabeas et sceptra Quirini

« Déjà Thybris sur la même personne / Voit réunis la trabée de Brutus et le sceptre de Quirinus. »

  • 50 Comme le souligne bien Charlet (éd.) 2017, p. 400.
  • 51 Le fait que les princes précédents, y compris d’ailleurs Théodose, soient venus à Rome pour triomph (...)

45Or précisément, cette réalisation parfaite fait écho aux plaintes de Rome qui se donnent comme un reflet de la liberté de ton caractéristique d’une forme de « républicanisme50 », mais qui ici prend un sens nouveau, dans la mesure où la venue même d’Honorius montre que le prince a déjà réalisé le programme que lui fixait sa Ville. À l’opposé de l’attitude inadmissible de la dynastie constantinienne et de Constance II51, il finit par être apostrophé du titre le plus flatteur de tous aux yeux d’un Romain, ciuis (Claudien, carm. 28 [= paneg. dictus Honorio cos. VI], 392-397 et 407-423) :

His annis, qui lustra mihi bis dena recensent,
Nostra ter Augustos intra pomeria uidi,
Temporibus uariis ; eadem sed causa tropaei
Ciuilis dissensus erat. uenere superbi,
Scilicet ut Latio respersos sanguine currus
Aspicerem ! […]

« En ces années qui recensent pour moi deux dizaines de lustres, / Je n’ai vu que trois fois les Augustes dans notre enceinte / À différents moments ; mais la raison de ces trophées était la même, / La discorde civile. Ils vinrent avec morgue, / Comme pour me montrer leurs chars éclaboussés / De sang latin »

Quem, precor, ad finem laribus seiuncta potestas
Exulat imperiumque suis a sedibus errat ?
Cur mea quae cunctis tribuere palatia nomen
Neglecto squalent senio ? nec creditur orbis
Illinc posse regi ? medium non deserit umquam
Caeli Phoebus iter, radiis tamen omnia lustrat.
Segnius an ueteres Histrum Rhenumque tenebant,
Qui nostram coluere domum ? leuiusue timebant
Tigris et Euphrates, cum foedera Medus et Indus
Hinc peteret pacemque mea speraret ab arce ?
Hic illi mansere uiri, quos mutua uirtus
Legit et in nomen Romanis rebus adoptans
Iudicio pulchram seriem, non sanguine duxit ;
Hic proles atauum deducens Aelia Neruam
Tranquillique Pii bellatoresque Seueri.
Hunc ciuis dignare chorum conspectaque dudum
Ora refer,

« Jusqu’où, je t’en prie, le pouvoir, séparé de ses lares, / Sera-t‑il exilé et l’Empire va-t‑il errer loin de son siège ? / Pourquoi mon Palatin, qui a donné son nom à tout palais, / Vieillit-il sale et négligé ? Croit-on que le monde ne peut / Être régi de là ? Jamais Phébus ne quitte son chemin / Au milieu du ciel et pourtant ses rayons illuminent tout. / Les anciens qui ont habité notre maison ont-ils tenu l’Ister, / Le Rhin, avec moins d’énergie ? Et le Tigre et l’Euphrate / Craignaient-ils moins quand le Mède et l’Indien venaient ici / Rechercher des traités en espérant de ma citadelle la paix ? / Ici ont demeuré ces hommes qui se sont choisis / Pour leur mérite, en adoptant un nom pour la cause Romaine / Et ont fourni cette belle lignée par le choix et non par le sang ; / Ici, remontant à Nerva l’aïeul, la famille Élienne / Et les paisibles Antonins et les Sévères belliqueux. / Citoyen, ne dédaigne pas ce chœur ; ramène-nous la tête / Autrefois aperçue. »

  • 52 Charlet (éd.) 2017, p. 250, note 105, conclut peut-être un peu vite que « l’histoire prouvera que C (...)
  • 53 Guipponi-Gineste 2007.

46La double dimension du pouvoir authentiquement romain trouve ici son expression la plus accomplie52. Si le prince exerce une fonction militaire, il le fait, comme c’est en pratique le cas depuis les origines, à travers ses généraux. En revanche, la source même du pouvoir qu’il représente et l’exercice du pouvoir civil qui lui revient en propre sont ici définis comme un mélange parfaitement tempéré entre la dimension monarchique et la dimension républicaine, entre le modèle du rex (et non du basileus) et celui du consul. Tout le poème se construit alors pour conduire à cette pointe qui donne la clé de la restauration dont Honorius est supposé être l’acteur : de retour à Rome, le prince-citoyen exerce désormais un pouvoir qui respecte les ordres de la cité romaine et qui replonge dans la plus profonde tradition romaine et italienne. Honorius, l’enfant né en Orient, est ainsi, devenu prince, convié par le poète, entre Ravenne et Rome, à un voyage initiatique bien étudié par M.‑F. Gineste53. Chacune des étapes de son périple italien est une plongée dans des traditions qui inscrivent le nouveau règne dans le mos maiorum : Fanum Fortunae, le Métaure, les sources du Clitumne et Narni (Claudien, carm. 28 [= paneg. dictus Honorio cos. VI], 494-519) :

Dixit et antiquae muros egressa Rauennae
Signa mouet ; iamque ora Padi portusque relinquit
Flumineos, certis ubi legibus aduena Nereus
Aestuat et pronas puppes nunc amne secundo,
Nunc redeunte uehit nudataque litora fluctu
Deserit, Oceani lunaribus aemula damnis.
Laetior hinc Fano recipit Fortuna uetusto,
Despiciturque uagus praerupta ualle Metaurus,
Qua mons arte patens uiuo se perforat arcu
Admisitque uiam sectae per uiscera rupis,
Exuperans delubra Iouis saxoque minantes
Appenninigenis cultas pastoribus aras.
Quin et Clitumni sacras uictoribus undas,
Candida quae Latiis praebent armenta triumphis,
Visere cura fuit ; nec te miracula fontis
Praetereunt, tacito passu quem si quis adiret,
Lentus erat ; si uoce gradum maiore citasset,
Commixtis feruebat aquis ; cumque omnibus una
Sit natura uadis, similes ut corporis undas
Ostendant, haec sola nouam iactantia sortem
Humanos properant imitari flumina mores.
Celsa dehinc patulum prospectans Narnia campum
Regali calcatur equo, rarique coloris
Non procul amnis abest, urbi qui nominis auctor :
Ilice sub densa siluis artatus opacis
Inter utrumque iugum tortis anfractibus albet.

« il [Honorius] dit et fait sortir ses étendards des murs / De l’antique Ravenne ; il quitte bientôt les bouches du Pô / Et ses ports fluviaux où Nérée bouillonne, étranger, / Selon des lois fixées, porte les poupes en avant soit avec le courant / Soit avec le reflux, et laisse le rivage à nu en retirant ses flots / Comme les pertes que la lune impose à l’Océan. / Puis la Fortune le reçoit, joyeuse, en son Fanum antique. / D’en haut on aperçoit dans sa vallée à pic le sinueux Métaure, / Où l’art a ouvert la montagne avec un arc perforé en plein roc, / Faisant passer la voie au cœur de la roche taillée, / Au-dessus d’un temple de Jupiter et d’autels menaçants / Sur leur rocher, qu’honorent les bergers, peuple de l’Apennin. / On se soucie aussi d’aller voir les eaux du Clitumne, / Sacrées pour les vainqueurs : aux triomphes latins elles fournissent / De blancs troupeaux. Et les prodiges de la source / Tu ne les manques pas : si l’on y va d’un pas silencieux, / Elle a un débit lent ; quand on presse le pas en parlant fort, / Elle agite et brasse ses flots. Toutes les eaux ont la même nature / Et montrent des reflets qui ressemblent aux corps ; / Seul son courant, fier d’un sort singulier, / Se hâte d’imiter le caractère humain. / Puis la haute Narni, qui regarde une large plaine, / Est piétinée par le cheval de l’empereur ; son nom lui vient / D’un fleuve à la rare couleur qui ne coule pas loin : / Sous l’yeuse dense, il est serré par d’ombreuses forêts ; / Entre les deux escarpements, il tord ses courbes blanches. »

  • 54 Sur ce voyage, voir Charlet (éd.) 2017, p. 389-390, mais surtout Guipponi-Gineste 2007. Les lieux v (...)

47Cette conclusion italienne et romaine54, qui conduit à la refondation de l’Empire, fait aboutir dans le réel (ou supposé tel) de 404 les vœux et les désirs formulés par Théodose en 397, tout en leur donnant une inflexion nouvelle, en lien avec le contexte romain.

***

48Quelques remarques pour conclure ce rapide parcours dans le maquis, assez dense il est vrai, de la représentation impériale, ou plutôt des représentations impériales véhiculées par Claudien.

49L’accession au pouvoir d’Honorius, événement imprévisible et délicat à gérer en raison de l’âge du prince, provoque un double mouvement de légitimation de la part de ses mentors : d’un côté il faut faire accepter le jeune prince dans le cadre d’une continuité dynastique, de l’autre il faut faire admettre l’idée que ce jeune garçon sera un jour capable d’assumer totalement (et sans doute mieux que son frère en Orient) le pouvoir sur l’Occident. Si le thème de la porphyrogénèse suffit dans un premier temps à remplir le premier but, il ne peut se prolonger bien au-delà du premier panégyrique, car il heurte clairement la sensibilité romaine. L’ars regnandi qui se déploie alors prend le relais de ce thème pour souligner que le futur prince n’est pas seulement le fils de son père, mais un souverain romain pétri du meilleur de la tradition impériale romaine, un nouveau Trajan en puissance, qui réussira à combiner parfaitement le pouvoir monarchique du prince et les exigences d’un peuple de citoyens. En 404, une nouvelle étape est franchie avec une tentative de matérialisation des résultats de cette ars dans le voyage à Rome qui doit sceller la refondation du règne et de l’Empire d’Occident.

50Toute la question est également de savoir si ces programmes que l’on propose à Honorius sont de simples stratégies de communication pour faire accepter le prince, ou s’ils relèvent d’une véritable éducation du jeune homme. Il est difficile de répondre en ces termes exacts qui risquent d’être anachroniques. Ce qui est certain, comme je l’ai montré ailleurs, c’est que Stilicon et son camp ont besoin que le prince ressemble au moins en partie à l’image qu’en donne Claudien, car il en va de la crédibilité du régent et donc de son maintien au pouvoir. On constate par exemple qu’Honorius, bien que fervent chrétien, use de tolérance avec la religion traditionnelle dans les années 395-400, sans nul doute pour accréditer l’idée d’un prince qui gouvernerait avec les traditions romaines et non contre elles, comme avait pu le dire la propagande anti-théodosienne après l’édit de 392. Dans ce contexte, des mots ne suffisent pas, et il faut des actes pour montrer que le prince mérite bien sa place ; c’est certainement le motif de la tentative de 404 : imposer Honorius à Rome comme un nouveau prince-citoyen, lui donner l’envergure d’un princeps de l’ancien temps, à un moment où plus personne ne peut voir en son frère autre chose qu’une marionnette incapable de gouverner. Il faut donc que le miroir renvoie autre chose qu’un vague reflet, qu’il puisse fonctionner dans les deux sens et que le prince puisse dire : c’est bien moi que tu vois dans ce miroir !

51Or tout le problème n’est évidemment pas ici dans le miroir que l’on tend à Honorius, et qui dessine un modèle qui semble correspondre aux attentes de l’aristocratie romaine et d’au moins une partie de l’armée, mais dans celui qui se reflète dans ce modèle. Personnalité faible et sans charisme, tiraillé entre (peut-être) la volonté de renouveler le principat et (sûrement) ses convictions chrétiennes, le prince, quand il vient à Rome, tente de ménager les deux versants, mécontentant finalement tout le monde : au sénat, il se trouble et peine à trouver l’attitude que l’on attendrait d’un prince-citoyen et qu’apparemment Théodose avait su retrouver, tandis qu’en déposant son diadème sur la tombe de saint Pierre, il laisse les tenants de la religion traditionnelle supposer que sa romanité ne tiendra pas longtemps devant sa foi chrétienne. Ici se trouve sans doute une limite du miroir des princes : pour qu’il réfléchisse le prince idéal, il faut qu’il y ait quelque chose à réfléchir.

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Bibliographie

Textes anciens

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Notes

1 Bureau 2016.

2 Pour les éléments compliqués de la succession d’Honorius, on consultera avec profit McEvoy 2010.

3 Même si l’on peut discuter avec M. McEvoy (2010) sur l’exercice réel du pouvoir par le prince, y compris quand il est en âge de régner, ce n’est pas tant ici la réalité de qui détient le pouvoir qui importe, que l’image que le pouvoir veut donner du prince. Nous ne nous situons pas dans la logique d’une reconstruction des mécanismes de l’exercice du gouvernement en Occident à la fin du ive siècle, mais dans celle de la construction de représentations politiques.

4 Par « non linéaire », nous entendons ici souligner que, quelles que soient par ailleurs les opinions personnelles de Claudien, qui nous échappent presque totalement, la construction de l’imagerie impériale ne se fait sans doute pas selon un projet bien arrêté au départ et définitivement fixé. Tout au plus voit-on (cf. infra) se dessiner une tendance dès le règne de Théodose. Mais ce sont au moins autant les circonstances, imprévisibles, qui dessinent, au coup par coup et en réponse à tel ou tel événement, une inflexion en un sens ou un autre du discours.

5 Pour l’ensemble du corpus, nous nous référons à l’édition de la CUF due à Jean-Louis Charlet (2000 et 2017). Nous empruntons également toutes les traductions à ces éditions.

6 Sur les circonstances de la composition, voir Charlet (éd.) 2000, p. XV-XVIII.

7 Voir aussi 39-59.

8 Sur ce texte et le personnage de Théodose l’Ancien, voir Charlet (éd.) 2000, p. 173-174 ; sur ses activités militaires, voir Demandt 1972. Le choix de ce personnage comme modèle n’est sans doute pas exempt de sous-entendus politiques. En effet, général compétent et efficace, comte de Bretagne puis chargé d’opérations en Afrique (voir Amm., 29, 5 bien contextualisé par Matthews 1971), il est cependant exécuté à Carthage en 376 pour des raisons inconnues et son fils, le futur prince, est disgracié quelque temps avant d’être rappelé et nommé par Gratien empereur pour la partie orientale en 379, après la mort de Valens. Or un certain nombre de sources contemporaines ou immédiatement postérieures (Symmaque, Ammien et ici Claudien) se taisent sur cet événement qui devait être extrêmement sensible. Plusieurs hypothèses ont été avancées (résumées dans Williams, Friell 1994, p. 14-15) dont une possible intervention de Valens, accusé déjà par certains historiens anciens d’avoir orchestré la mort de Théodose l’Ancien. Réfutée en tant que telle de façon convaincante par Demandt 1969, p. 602, il n’en demeure pas moins qu’il existe dans la propagande théodosienne des éléments hostiles à ce prince (voir Kulikowski 2012, p. 93-94) qui pourraient avoir fait de cette implication (fausse) de Valens un élément d’une construction idéologique visant à affirmer la légitimité de Théodose à succéder à Valens, déjà chargé de l’écrasante responsabilité de la défaite d’Andrinople (378). Quant aux motifs réels de l’exécution de Théodose l’Ancien, le plus vraisemblable est qu’il était jugé, en raison de la faveur dont il avait joui auprès de Valentinien, trop encombrant pour la stabilité du pouvoir de deux jeunes princes, Valentinien II (4 ans) et Gratien (16 ans) [voir Demandt 1969]. Rappeler la mémoire de cette figure dont personne à la cour ne pouvait ignorer le destin tragique était pour le panégyriste une façon de souligner qu’Honorius n’avait pas oublié la leçon de son grand-père, que ses vertus n’avaient pas suffi à protéger, et surtout de marquer l’arrivée, avec Théodose et ses fils, de temps nouveaux où la succession impériale ne rimait pas avec une forme d’épuration, mais au contraire avec une réactivation de ce que la succession dynastique avait de meilleur.

9 Sur le contexte de ce discours, voir Charlet (éd.) 2000, p. XXIX-XXX. Il est essentiel de noter que, le prince ayant atteint 14 ans et la pubertas, Stilicon ne peut plus totalement gouverner à sa place. Il convient donc de dessiner pour le jeune prince une ligne de conduite claire, et surtout de montrer au public ce que sera le règne « personnel » qui commence.

10 D’ailleurs ce passage est inséré comme jalon conduisant à la tradition des miroirs des princes par Hadot 1970, p. 580-582.

11 La mention d’Arcadius dans cette réponse est pleine de sens et de sous-entendus : d’un côté, Claudien l’occidental affirme le strict respect par Honorius de la volonté de son père et le fait qu’il est absolument loyal à Arcadius, même si la sécession de Gildon montre un visage assez déplaisant de l’Orient ; d’un autre côté, en montrant Honorius comme un prince actif et soucieux de gouverner là où tout le monde connaît l’inertie d’Arcadius, jouet de ses ministres, le poète souligne que la part la plus saine de l’Empire n’est pas chez le prior Augustus, mais chez son jeune frère tout nourri des bonnes maximes des uiri ciuiles romains. Sur ces points, voir Bureau 2016. Pour le rapport avec Claudien, carm. 7 [= paneg. dictus Honorio cos. III], 73-84, relevé par Charlet (éd.) 2000, p. 29, il me semble que c’est au contraire la différence qui est notable. Dans le premier texte, le prince, dans un mouvement enfantin, rêvait de paraître sur le champ de bataille et d’y accomplir des exploits, ici il semble être plus adulte et avoir hâte de pratiquer l’art de bien commander. On voit d’ailleurs les limites de la fiction qui place ce discours en 394, soit avant même le troisième consulat du prince.

12 On notera que, dans les deux derniers textes, le prince interrompt son interlocuteur, ce qui a pu être expliqué comme une notation de l’égalité de position entre Honorius et son père dans le Panégyrique pour le quatrième consulat (Charlet [éd.] 2000, p. 29 note c). Ici le geste est encore plus fort, car il inverse le rapport de pouvoir entre la dea Roma et le prince. C’est le prince qui réconforte la déesse et non l’inverse.

13 Plusieurs éléments dessinent ici une forme de prééminence d’Honorius sur son frère aîné Arcadius. En effet, de manière tout à fait logique (Charlet [éd.] 2000, p. 176-177), Zosime signale que c’est Arcadius et son conseiller Rufin qui reçoivent l’administration de l’Empire (4, 57, 4, à propos de Galla) : Ταύτην μὲν οὖν κατὰ τὸν Ὁμηρικὸν νόμον ὁ βασιλεὺς ἐπ’ ἤματι δακρύσας ἀπεχώρει σὺν τῷ στρατῷ τὰ κατὰ τὸν πόλεμον διαθήσων, ἀπολιπὼν Ἀρκάδιον τὸν υἱόν, ἤδη πρὸ τούτου βασιλέα καθεσταμένον, « c’est elle que selon la loi homérique l’empereur pleura durant un jour et il prit ensuite la route avec son armée pour mener la guerre, laissant en arrière son fils Arcadius, qu’il avait déjà établi empereur avant cela ». De la même façon, Claudien opère un très intéressant renversement du rapport qui unissait Tibère au prince régnant en Ov., Tr. 2, 173-174, où Tibère remportait la victoire par les auspices d’Auguste. Ici, Théodose, prince régnant, remporte la victoire par les auspices de son fils (et non de ses fils), puisqu’ils sont en charge de l’administration civile et donc de la fonction religieuse du gouvernement impérial. Dans ce contexte, le jeu sur le célèbre vers Verg., A. 1, 279 (imperium sine fine dedi) sonne comme un rappel de l’origine strictement romaine de l’Empire dans la bouche des sujets (occidentaux) du prince. Une autre manière de souligner où est le vrai imperium Romanum !

14 L’empereur défunt apparaît comme celui qui a révélé à Honorius le lien indissociable entre Rome et le prince (Claudien, carm. 28 [= paneg. dictus Honorio cos. VI], 53-64). En revanche, Honorius est clairement décrit comme celui qui peut désormais donner à son père, par ses victoires sur Gildon et Alaric, la preuve qu’il ne démérite pas et qu’il peut même accomplir des exploits que lui n’a pu mener à bien (Claudien, carm. 28 [= paneg. dictus Honorio cos. VI], 119-121) : At tibi causa patris rerum coniuncta saluti / Bellorum duplicat laurus, isdemque tropaeis / Reddita libertas orbi, uindicta parenti, « Pour toi, la cause de ton père adjointe au salut de l’État / Double les lauriers de la guerre et les mêmes trophées / Rendent la liberté au monde et à ton père la vengeance ».

15 Cet abandon est clairement présenté par Claudien comme une faute politique puisque Rome déclare (Claudien, carm. 28 [= paneg. dictus Honorio cos. VI], 361-362) : dissimulata diu tristes in amore repulsa / uestra parens, Auguste, queror, « Trop longtemps négligée, moi votre mère, Auguste, je me plains / Que mon amour, hélas ! soit repoussé ».

16 Voir Bureau 2016.

17 Sur ce point, voir McEvoy 2010 et les remarques très éclairantes sur les deux tendances à l’œuvre dans la représentation du pouvoir impérial en Wallace-Hadrill 1982.

18 En effet, le thème du prince régnant et gouvernant est plus théodosien que spécifiquement occidental, puisqu’on le retrouve à la même époque dans les propos sans ambiguïté que Synésios de Cyrène tient à Arcadius dans le discours de Regno (voir Bureau 2016 et Lacombrade [éd.] 1951).

19 Charlet (éd.) 2000, p. 164-165.

20 Sur ce point particulier, voir les observations toujours valables de Charlesworth 1943.

21 Sur l’histoire de ce concept du princeps ciuis, voir Wallace-Hadrill 1982.

22 Il serait tentant de voir, dans cette minimisation du renom guerrier pour construire la fama du prince, l’écho d’une forme de répartition du pouvoir dans lequel Honorius déléguerait les travaux guerriers (par ex. à Stilicon) et garderait pour lui l’exercice du pouvoir civil. Mais ce serait calquer sur le texte la pratique qui s’installe de fait, à supposer d’ailleurs qu’Honorius pèse à cette époque d’un quelconque poids politique. Or le texte dit bien le contraire en insistant ensuite sur le rapport particulier du prince avec les soldats. Il faut évidemment voir là à la fois une idéalisation de la figure impériale (dans le but d’imposer une lecture trajanienne du règne) et une réponse très claire à l’attitude d’Arcadius, dans le Contre Rufin 2, écrit la même année, qui ne parvient pas à se faire respecter de son ministre, ni d’ailleurs à commander quoi que ce soit aux soldats : Rufin le rudoie sans qu’il ne réagisse et les soldats décident d’agir contre le ministre sans même le consulter (Claudien, carm. 5 [= in Rufinum 2], 380-384 : Excludunt alios. cingi se feruidus ille / Nescit adhuc grauiterque apprensa ueste morantem / Increpat Augustum: scandat sublime tribunal, / Participem sceptri, socium declaret honoris / Cum subito stringunt gladios, « Tout autre est écarté. Dans son ardeur, Rufin ignore encore / Qu’il est cerné ; il saisit le manteau de l’empereur / Et lui reproche vivement de différer : qu’il monte à la haute tribune, / Qu’il le proclame associé au sceptre, uni à sa magistrature, / Quand tout à coup, ils tirent leurs épées »).

23 Même idée chez Synésios de Cyrène, regn. 10 : ἔνθεν ἑλών, φημὶ δεῖν, ἡγουμένου θεοῦ, τὸν βασιλέα πρῶτον αὐτὸν αὑτοῦ βασιλέα εἶναι καὶ μοναρχίαν ἐν τῇ ψυχῇ καταστήσασθαι, « à partir de ce point, je dis qu’il faut, sous la conduite de Dieu, que le prince soit d’abord le prince de lui-même et qu’il exerce sur son âme un pouvoir monarchique ».

24 Claudien, carm. 8 [= paneg. dictus Honorio cos. IV], 228-254. L’influence (néo‑)platonicienne sur ce passage ne fait aucun doute (Charlet [éd.] 2000, p. 165) : on notera à titre d’exemple les liens étroits qui unissent la description du rôle du poumon dans l’apaisement de la colère chez Claudien (Claudien, carm. 8 [= paneg. dictus Honorio cos. IV], 241-247) et un passage d’Apulée (Apul., Pl. 1, 15). Paradoxalement, chez Synésios cet élément est nettement moins marqué, et la comparaison menée plus rapidement.

25 Charlet (éd.) 2000, p. 23, souligne à juste titre l’influence stoïcienne probable du thème du rex sui ipsius. Voir par ex. Sen., Dial. 5 [de ira 3], 4, 4 : Non uis ergo admoneam eos qui iram <in> summa potentia exercent et argumentum uirium existimant et in magnis magnae fortunae bonis ponunt paratam ultionem, quam non sit potens, immo ne liber quidem dici possit irae suae captiuus?, « tu ne veux donc pas que j’avertisse ceux qui usent de colère dans l’exercice du pouvoir souverain et qui tirent argument de leurs forces, et placent dans les grands biens de leur grande fortune une punition toute prête, combien il n’est pas puissant et même combien il est impossible de dire libre celui qui est le captif de sa colère ». Toutefois, je ne peux souscrire à l’idée, développée ensuite par le commentateur, selon laquelle les conquêtes orientales proposées à Honorius en 398 seraient une simple défense de l’unité de l’Empire. Il s’agit pour Claudien de souligner que c’est Honorius (et lui seul) qui est l’héritier de Théodose, et qu’il pourra mener à bien la restauration impériale commencée par lui et qu’il n’a pu mener à son terme en raison de sa mort prématurée.

26 Que ces vertus soient marquées dans l’idéologie théodosienne ressort clairement des propos d’Ambroise à ce prince : Ambr., Epist. extra coll. 2, p. 178 (Zelzer) : pius es imperator, clementiam habes maximam, « tu es un empereur bon, et tu portes en toi beaucoup de clémence » ; Ambr., Epist. 10, 74 : Noui te pium clementem mitem atque tranquillum, fidem ac timorem domini cordi habentem, « je sais que tu es doux et paisible, ayant à cœur la foi et la crainte du Seigneur ». Voir également Synésios, regn. 10 : Εὐσέβεια δὲ πρῶτον ὑποβεβλήσθω κρηπὶς ἀσφαλής, ἐφ’ ἧς ἑστήξει τὸ ἄγαλμα ἔμπεδον·, « que d’abord la piété soit placée au fondement comme un socle très sûr ; c’est sur elle que sera fermement établie la statue [du prince idéal que présente l’orateur] ». On observera que Claudien élimine toute mention de la foi chrétienne du prince. Le fait que l’alliance entre la piété et la clémence dans la figure impériale ne se trouve pas telle quelle chez Sénèque et n’apparaît qu’avec Lactance souligne pourtant que cette association est marquée par le christianisme. Mais Claudien n’en dit rien et la glisse dans un contenu qui est strictement romain et marqué par l’éthique traditionnelle.

27 Pour l’idée comparer Sen., Cl. 1, 7, 2 : quod si di placabiles et aequi delicta potentium non statim fulminibus persecuntur, quanto aequius est hominem hominibus praepositum miti animo exercere inperium et cogitare, uter mundi status gratior oculis pulchriorque sit, sereno et puro die, an cum fragoribus crebris omnia quatiuntur et ignes hinc atque illinc micant, « et si les dieux se laissent apaiser et ne pourchassent pas immédiatement les puissants et leurs crimes de leurs foudres, combien il est plus équitable qu’un homme préposé au gouvernement d’autres hommes exerce son pouvoir avec douceur et se demande si l’aspect du monde est plus agréable à l’œil et plus charmant quand il fait beau et clair ou quand tout est secoué de coups de tonnerre incessants et que des éclairs luisent ici et là ».

28 L’influence de Sénèque dans ce passage ne fait aucun doute, même si tous ces thèmes sont déjà devenus des lieux communs à l’époque de Claudien. Voir par ex. Sen., Cl. 1, 8, 1 : Graue putas eripi loquendi arbitrium regibus, quod humillimi habent. “Ista” inquis “seruitus est, non imperium.” Quid ? tu non experiris istud nobis esse, tibi seruitutem ? Alia condicio est eorum, qui in turba, quam non excedunt, latent, quorum et uirtutes, ut appareant, diu luctantur et vitia tenebras habent ; uestra facta dictaque rumor excipit, et ideo nullis magis curandum est, qualem famam habeant, quam qui, qualemcumque meruerint, magnam habituri sunt, « tu t’offusques de voir que l’on enlève aux rois la liberté de parole qui appartient aux plus humbles et tu dis “c’est un esclavage, pas un pouvoir”. Quoi ? Tu ne fais pas l’expérience chaque jour que c’est nous qui avons le pouvoir et toi l’esclavage ? Différente est la condition de ceux qui demeurent cachés dans la foule dont ils ne dépassent pas, et dont les vertus, pour apparaître, luttent longtemps et dont les vices ont la protection des ténèbres ; mais vous, vos actes et vos paroles, la rumeur s’en empare, et voilà la raison pour laquelle nul ne doit plus se soucier de la réputation qui est la sienne que ceux qui (quelle que soit d’ailleurs la nature de celle qu’ils auront méritée) sont appelés à en avoir une grande ».

29 Sur la fiction possible de l’adresse, voir infra.

30 Sur ce texte important, voir Lacombrade (éd.) 1951 ; sur les enjeux politiques du texte, voir en particulier Brandt 2003 ; pour le lien avec le contexte politique, voir encore Demougeot 1946, à compléter par Gärtner 1993 et Sillitti 1979 ; pour les liens avec Claudien, voir Lacombrade 1956.

31 Lacombrade (éd.) 1951 et Lacombrade 1956 placent le discours à l’été 399, tandis que Cameron, Long, Sherry 1993 le situent un an plus tôt en 398. Ils sont suivis en cela par Chauvot 1996 et Barnes 1995.

32 Lacombrade (éd.) 1951.

33 Sur les tensions entre modèle princeps et modèle basileus dans la représentation de la figure impériale depuis les origines du principat, voir Wallace-Hadrill 1982 ; sur les questions liées à la transformation du pouvoir en présence de princes-enfants ou maintenus dans une forme d’enfance, voir McEvoy 2010.

34 Cf. supra. Il me semble difficile de ne pas voir de contradiction entre les deux passages, contradiction évidemment voulue par le poète, qui laisse planer une ambiguïté. En droit, il reconnaît clairement la légitimité d’Arcadius. En fait, c’est Honorius qui est le mieux à même d’étendre l’Empire. De là à considérer que l’Auguste occidental pourrait supplanter au moins en fait son frère oriental, il n’y a qu’un pas que le poète, soudainement étrangement légaliste, laisse son public faire tout seul. De plus, la fiction de 394 peut jouer ici à plein. Théodose a essayé de maintenir la balance égale entre ses deux fils, mais l’expérience a prouvé qu’il n’y avait pas de comparaison possible entre les capacités des deux frères.

35 Lacombrade 1956, p. 22, émet une idée intéressante, et probablement en partie exacte, sur l’influence discrète, pour ne pas dire occulte, que Stilicon aurait pu exercer sur la rédaction du de Regno : « il était conforme aux intérêts de la politique de Stilichon, soucieux de maintenir ses droits de tutelle sur les deux héritiers de Théodose, de répandre à la Cour de Constantinople les productions de son propagandiste, où ses prétentions étaient superbement affirmées ». Il me semble cependant qu’il faut se représenter les choses différemment et voir la manœuvre politique probable d’affirmation d’un pouvoir exercé more maiorum comme une fusée à deux étages : en un premier temps, la propagande occidentale envoie un signal fort dans le sens d’un exercice du pouvoir impérial more maiorum (Claudien), tandis qu’Arcadius est totalement sous la coupe de ses ministres, voire, si le texte date de 399, d’Eutrope que Stilicon déteste (Eutrope l’a fait déclarer hostis publicus). Il y a donc un intérêt à afficher le contraste entre le princeps occidental et le basileus oriental. En second lieu, si, comme le pense à juste titre Lacombrade 1956, Synésios s’est inspiré en partie de Claudien pour écrire son adresse, il ne faut sans doute pas y voir l’influence directe de Stilicon, mais bien la volonté de s’opposer à lui en imposant une nouvelle image du prince oriental. Reprendre les arguments de Claudien pour les imposer à Arcadius est ainsi de très bonne politique : l’Occident n’a plus le monopole du mos maiorum et donc l’Orient n’a plus besoin de recevoir de leçons de Stilicon et de sa propagande. En même temps, les deux moitiés de l’Empire parlent de nouveau d’une seule voix et la complémentarité des deux partes est réaffirmée.

36 Les deux princes vertueux pris en exemple en Synésios, Regn. 16-17 posent problème. En attribuant une campagne en Perse à Carin, Synésios (à moins que ce ne soient ses copistes) fait très probablement erreur, et il faut rapporter ce fait à Carus. Pour le prince qui, déguisé en ambassadeur, va explorer le territoire des ennemis, Eutrope, 9, 15, attribue ce type de comportement à Galère (Mox tamen per Illyricum Moesiamque contractis copiis rursus cum Narseo, Hormisdae et Saporis auo, in Armenia maiore pugnauit successu ingenti nec minore consilio, simul fortitudine, quippe qui etiam speculatoris munus cum altero aut tertio equite susceperit, « peu après ayant rassemblé des troupes à travers l’Illyrie et la Mésie, il combattit en Arménie contre Narsès, aïeul d’Hormisdas et Sapor, avec un immense succès et une intelligence qui ne fut pas moindre, et aussi avec courage, car il se chargea de la fonction d’éclaireur en ne prenant avec lui que deux ou trois cavaliers »), mais peut-être Synésios veut-il faire allusion à quelque fait d’un empereur plus récent.

37 On peut être surpris par la violence du discours de Synésios adressé directement à l’empereur, mais cette parrhèsia est évidemment un élément de la stratégie argumentative : Synésios s’adresse au prince comme un citoyen à un autre citoyen (fiction républicaine), et en même temps, ce n’est pas lui qui parle puisqu’il fait parler Philosophie. Tout porte à croire d’ailleurs que le discours que nous lisons est un pamphlet recomposé et non ce que Synésios a réellement dit à Arcadius (Cameron, Long, Sherry 1993). La stratégie rhétorique joue à plein, mais sans aucun risque, si l’on admet que Synésios a lu cette version devant des gens qui pensaient exactement comme lui.

38 Au moins pour la trame générale et l’image globale du bon empereur. Sur les arrière-pensées politiques, voir supra.

39 Synésios, Regn. 1 : Ἆρα, εἰ μή τις ἐκ πόλεως ἥκοι μεγάλης τε καὶ πλουτούσης, καὶ κομίζοι λόγους γαύρους τε καὶ χλιδῶντας, οἵους ῥητορικὴ καὶ ποιητικὴ τίκτουσι, πάνδημοι τέχναι πάνδημα ἔκγονα, τοῦτον, ὅταν ἐνθάδε γένηται, δεῖ κάτω νεύειν, ὡς οὐκ οὔσης αὐτῷ παρρησίας ἐν βασιλείοις οὔτε ἐρυγγάνειν, οὐκ ἔχοντι τῆς πατρίδος τὸν ὄγκον, οὔτε παρασχεῖν ἀκροαμάτων χαριέντων τε καὶ συνήθων ἡδονὴν καταδημαγωγησόντων βασιλέα τε καὶ τοὺς συνεδρεύοντας; ἢ καὶ φιλοσοφίαν ποτὲ ἐπιδημοῦσαν προσήσεσθε, καί τις αὐτὴν οὐκ ἀμφιγνοήσει δεῦρο διὰ πλείστου φανεῖσαν, ἀλλὰ ξεναγήσει καὶ κατερεῖ τι αὐτῆς ἀγαθόν, πρὸς οὓς ἄξιον;, « est-ce que, dans le cas où quelqu’un n’arriverait pas d’une cité grande et riche et n’apporterait pas les discours pompeux et efféminés que produisent la rhétorique et l’art poétique, artifices vulgaires pour des productions vulgaires, quand il arriverait ici, il devrait baisser les yeux, considérant qu’il n’a pas la permission à la cour ni de s’exprimer, parce qu’il n’a pas pour lui l’importance de sa patrie, ni de donner à entendre des sons plaisants et familiers qui lui vaudront la faveur du prince ou de son entourage ? Ou alors autoriserez-vous que la philosophie vienne résider chez vous et ne la reconnaîtra-t‑on pas quand elle paraîtra ici après si longtemps, et lui offrira-t‑on l’hospitalité et ne dira-t‑on pas quelque bien d’elle devant ceux qui méritent de l’entendre ? »

40 On comparera Claudien, carm. 8 [= paneg. dictus Honorio cos. IV], 652-656, avec la fin de Claudien, carm. 28 [= paneg. dictus Honorio cos. VI], par ex. les vers 657-660. Dans le premier cas, le poète termine sur la seule mention d’un consulat double puisqu’Arcadius est cette année-là le collègue de son frère (Tempus erit, cum tu trans Rheni cornua uictor, / Arcadius captae spoliis Babylonis onustus / Communem maiore toga signabitis annum, « Un temps viendra où toi, victorieux au-delà des bouches du Rhin, / Et Arcadius, chargé de butin par la prise de Babylone, / Marquerez ensemble l’année par une plus grande trabée »), et finit par une sorte de concession au thème de la double monarchie ; en 404, il envisage clairement les choses autrement et conclut : licet unus in omnes / Consul eas, magno sextus tamen iste superbit / Nomine : praeteritis melior, uenientibus auctor, « Même si tu es seul consul / À toutes les inaugurer, pourtant la sixième se targue / De son grand nom, meilleure que celles d’avant, garante des futures ». Certes, Honorius partage le consulat avec Aristaenetus et non avec le prince, mais l’idée que l’Occident et Rome puissent fournir le seul consul est en soi pleine de sous-entendus intéressants, dans la mesure où le consul choisi par l’Orient ne fut pas reconnu par l’Occident, et où donc, aux yeux de Claudien, Honorius exerce seul le consulat.

41 Tournier 2016.

42 Voir par ex. Charlet 2009.

43 Sur ce thème, voir l’étude fondamentale de Dagron 1994.

44 Voir Charlet (éd.) 2000, p. XVI.

45 Charlet (éd.) 2017, p. 371, rapproche à juste titre ce passage d’une inscription d’Honorius (CIL, VI, 1195) que l’on ne peut dater clairement mais qui présente une statue de bronze et d’argent du prince offerte par le sénat et le peuple pro singulari eius circa se amore atque prouidentia. La propagande romaine du prince s’est donc montrée efficace.

46 On notera ici la parfaite cohérence de la pensée du poète (et de ses commanditaires). Honorius a certes vécu en Orient, mais ce séjour ne l’a pas perverti (mutare). De plus, Arcadius a la partie la plus facile car ses sujets sont uolentes. Honorius, lui, ne gouverne pas des sujets mais des ciues.

47 Charlet (éd.) 2017, p. 363-364, note à juste titre l’insistance sur le vote des citoyens : Stilicon a-t‑il eu l’idée de faire réellement voter les Romains pour assurer au prince une totale légitimité ? Ce n’est pas impossible et cela irait parfaitement avec une double démarche : le prince vient à Rome et le consul d’Orient, nommé par le fait de l’autre prince, n’est pas reconnu car sa nomination ne s’est pas faite more maiorum.

48 Voir à ce sujet Charlet (éd.) 2017, p. 363-364, qui rappelle ce que peut avoir d’augustéen, et donc de (re)fondateur, cette mention de Fortuna redux, qui d’ailleurs accompagne tout le panégyrique puisqu’on retrouve la déesse en Claudien, carm. 28 [= paneg. dictus Honorio cos. VI], 88-89, 340-341, 500 et 578-579.

49 Dans ce qui est bien plus qu’une digression, Claudien consacre à Stilicon et à sa campagne de 403 contre Alaric les vers 127-355, soit 229 vers et plus d’un tiers du poème, puis il reviendra sur Stilicon pour souligner son attitude modeste et déférente lors du triomphe (Claudien, carm. 28 [= paneg. dictus Honorio cos. VI], 577-583).

50 Comme le souligne bien Charlet (éd.) 2017, p. 400.

51 Le fait que les princes précédents, y compris d’ailleurs Théodose, soient venus à Rome pour triompher d’usurpateurs choque évidemment le mos maiorum, qui considère comme sacrilège de triompher dans une guerre civile, où l’on a affronté des citoyens romains. Pour atténuer le scandale, on pouvait, à l’exemple de Pacatus dans son panégyrique de Théodose en 389, faire de l’ennemi un monstre bien pire que tous les barbares, il n’en demeurait pas moins que le spectacle était en contradiction avec la plus ancienne tradition. Claudien ici souligne clairement : 1. que le triomphe sur Alaric est parfaitement motivé puisque celui-ci est un barbare ; 2. que le nouveau prince tient à respecter méticuleusement la tradition et donc à annuler les débordements du siècle précédent pour revenir à un exercice plus mesuré et plus authentiquement romain du pouvoir. Voir Charlet (éd.) 2017, p. 382, et Barnes 1975.

52 Charlet (éd.) 2017, p. 250, note 105, conclut peut-être un peu vite que « l’histoire prouvera que Claudien ici ne parle » pas au nom de Stilicon, puisqu’Honorius ne reste pas à Rome. La réalité est sans doute plus complexe et repose sur des jeux d’influence autour du prince. Il semble évident qu’Honorius est plus aisément contrôlable loin de Rome que dans la capitale historique et que la cour de Ravenne peut permettre aux opposants à Stilicon de rester à la manœuvre, même si le consul de 400 semble triompher. On ne peut donc pas inférer de ce simple texte que l’intention de Stilicon en 404 n’est pas de tester ce modèle impérial. S’il y renonce, cela peut être dû autant à ces jeux d’influence dans la cour qu’à l’échec personnel d’Honorius à se montrer à la hauteur de l’image idéale que Claudien donne de lui.

53 Guipponi-Gineste 2007.

54 Sur ce voyage, voir Charlet (éd.) 2017, p. 389-390, mais surtout Guipponi-Gineste 2007. Les lieux visités par le prince relèvent certes pour certains des mirabilia, mais parlent aussi de la grandeur de Rome, de son histoire et de ses cultes. Ainsi évidemment la vallée du Métaure et Fano rappellent les victoires des Romains contre les Carthaginois qui marquent un tournant dans la deuxième guerre punique et permettent aux Romains de croire à nouveau en une possible victoire. Le tunnel de Vespasien rappelle quant à lui à la fois la puissance technique de Rome et l’aménagement de l’Italie en utilisant pour cet ouvrage les mots de Virgile pour le canal d’Agrippa (Guipponi-Gineste 2007, p. 8). Quant aux dieux, ils sont présents par le temple de Jupiter Apenninus, et par les blancs troupeaux du Clitumne destinés aux offrandes à Jupiter, mais on notera également un fort lien avec les pratiques oraculaires dans une forme de sacralisation de l’espace qui produit l’effet d’un parcours initiatique du prince, ou plus exactement d’une révélation progressive de la nature traditionnelle romaine et païenne de son pouvoir. On observera aussi le lien de ce catalogue avec celui de Silius (Sil., 8, 349-621, mais surtout 446-462) où se dressent tous les peuples italiens qui vont s’opposer à Hannibal. Honorius se pose ainsi comme celui qui revitalise l’enthousiasme italien contre les menaces extérieures.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Bruno Bureau, « Construire l’image du prince en Occident entre 395 et 404 : les Panégyriques impériaux de Claudien et le « miroir du prince » »Interférences [En ligne], 11 | 2018, mis en ligne le 26 juillet 2018, consulté le 13 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/interferences/6455 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/interferences.6455

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Auteur

Bruno Bureau

Université Jean Moulin Lyon 3, UMR 5189 HiSoMA

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