De l’art délicat des interventions architecturales sur le patrimoine théâtral
Résumés
À l’occasion de la publication par AAM du livre consacré par Clé Millet Architectes au théâtre Marigny, Stéphane Millet détaille dans cet article les difficultés inhérentes aux opérations de restauration nécessitées par ce type d’édifice. Établir en concertation avec les acteurs des directions régionales des Affaires culturelles (Drac) un état des lieux distinguant les composants patrimoniaux intangibles de ceux qui peuvent évoluer en constitue le délicat prélude. Ce dernier est suivi par la mise au point des solutions conciliant la sauvegarde de l’intégrité de l’architecture et de ses décors avec les contraintes réglementaires, qu’elles relèvent des domaines structurel, thermique, sécuritaire, scénographique en perpétuelle évolution ou, plus prosaïquement, de la stabilité de la construction. C’est cet aspect de la mission de sauvegarde d’un équipement public inscrit qui est principalement développé tant la réhabilitation-extension du théâtre Marigny a accumulé de challenges techniques associant les structures traditionnelles de Charles Garnier à des matériaux et des mises en œuvre contemporaines et prospectives.
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Mots-clés :
décors, lanterneau, reprofilage, accessibilité, équipements scénographiques, extension, pastiche, staffsKeywords:
decoration, skylight, reprofiling, accessibility, stage equipment, extension, pastiche, staffPlan
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1Dès lors qu’un bâtiment patrimonial est en activité, il est exposé à des altérations de tous ordres. C’est une fatalité. La première démarche qui s’impose à l’architecte, quotidiennement confronté à cette réalité et chargé d’une intervention sur ce type de bâtiment, est d’évaluer si celle-ci constitue une opportunité ou un danger. Opportunité de restaurer des désordres ou des dégradations antérieures, danger de subir des demandes programmatiques préjudiciables.
2Dans le cas des lieux de spectacle, cette problématique prend une acuité particulière. Aboutissement de nombreuses mutations, ce genre d’édifice pose d’emblée la question de l’état référent dont il convient d’assurer la préservation. Cette évaluation est complexe. Elle engage durablement la vie active d’une construction en la suspendant ou en lui affectant une nouvelle évolution.
3De manière concrète, et à titre d’illustration, la conservation intégrale d’un espace scénique et de ses équipements originels peut lui fermer l’accès aux productions contemporaines : pente et dimensions du plateau incompatibles, machineries obsolètes, inadaptation aux fiches techniques des spectacles de tournées ; autant de contraintes qui mènent toutes à une inéluctable muséification. Inversement, consentir à de profondes altérations peut s’avérer difficilement réversible en raison de la faible fréquence des investissements consentis et de leurs limites.
4À cet égard, le cas du théâtre Marigny, à Paris, est exemplaire. D’abord simple pavillon sur les Champs-Élysées des années 1850 dénommé « salle Lacaze », puis « Panorama » conçu par Charles Garnier en 1880 avant d’être reconverti en théâtre au xxe siècle, ce théâtre comprenant deux salles, la petite étant appelée « salle Popesco » puis « studio Marigny », présente une genèse d’une rare complexité [fig. 1]. S’y ajoutent les questionnements inhérents aux contraintes structurelles, aux évolutions réglementaires de tous ordres, aux fonctions scénographiques évoquées plus haut, aux exigences de confort et à tout un concert de données techniques où s’entremêlent les questions énergétiques, acoustiques ou, plus trivialement, économiques. Ces différents enjeux requièrent de nombreux arbitrages, souvent laissés entre les mains de maîtres d’ouvrage dont ce n’est ni la compétence ni la fonction.
Figure 1
Le théâtre Marigny, d’hier à aujourd’hui. Extrait de Théâtre Marigny. Histoire, architecture & spectacles, Clé Millet Architectes, Ante Prima / AAM Éditions, 2024.
© Clé Millet Architectes / Ante Prima / AAM Éditions.
5Avant de développer ce cas particulier, revenons de manière critique au cas général. Pour remplir au mieux une mission d’expertise, nous l’avons dit, la première question soulevée est celle de l’état de référence, question indissociable du degré de précision dont on disposera pour son évaluation. Dès ce stade, nous constatons que les outils manquent pour l’ensemble de ce type de restauration. En dépit des moyens de relevé dont bénéficie notre époque, il n’existe pas d’inventaires régionaux ou nationaux répondant à des critères communs de support, d’échelle comme de précision. D’emblée, ce manque ouvre la porte à toutes les formes d’évaluations contradictoires auxquelles s’expose un lieu patrimonial, fût-il dûment protégé.
- 1 Le théâtre fait l’objet d’une inscription partielle (25 septembre 1990) https://www.pop.culture.gou (...)
6Pour parer à ce défaut, j’ai vite acquis la certitude qu’à chaque intervention sur un site patrimonial, quelles qu’en soient la nature et la taille, il convenait d’établir un état des lieux en trois dimensions suivant un protocole convertible en la plupart des formats logiciels. Cette base de données est fondamentale, car elle entérine un état à partir duquel les professionnels, maîtres d’œuvre occasionnels et architectes du patrimoine, pourront conjointement arbitrer des choix d’intervention. En fonction des données du classement1, elle permettra aussitôt de figer avec les acteurs des Drac l’état réputé « conforme », surtout dans les cas où le classement a saisi le bâtiment dans une évidente incomplétude.
7C’est cette même base de données qui est ensuite transversalement utilisée par les différents spécialistes qui contribuent aux transformations imposées par les impératifs scénographiques, techniques ou fonctionnels. Elle évite le découplage entre des approches qui doivent rester complémentaires et facilite le travail de synthèse qui est au cœur de la mission de l’architecte. Pour donner un autre exemple concret, grâce à cette base, l’impact du travail de l’ingénierie acoustique sur les décors se trouve instantanément mesurable et tangible. Il est décryptable par les autres acteurs du débat en une interprétation interactive favorisant ladite synthèse.
8Ce n’est pas un détail anecdotique. Il va permettre de trancher entre ce qui est intangible, ce qui est licite sous réserve de possibles restitutions ultérieures et ce qui est modifiable sans réserve.
9Si nous revenons au cas du théâtre Marigny, l’arrêt sur image aurait pu être effectué selon différentes temporalités. Officiellement, c’est la date de son classement, en 1990, qui figea un état avec les limites de précision que nous avons énoncées. En l’espèce, au moment de l’intervention du cabinet d’architecture Clé Millet, à partir de 2015, il subsistait de l’édifice originel de Charles Garnier le dodécagone central vidé de tous ses décors originaux et passablement altéré en termes de volumes par les greffes successives accumulées depuis le début du xxe siècle. En vérité, l’œuvre était dramatiquement dégradée, son cortège d’ornements et de sculptures avait disparu. Pour sa restauration, plusieurs postures doctrinaires étaient envisageables : un retour à l’état du Panorama qui eût exclu les fonctions théâtrales, une restitution de la salle des années 1925, le retour à l’état des années 1960 ou une évolution contemporaine qui n’aurait été déterminée que par le cahier des charges de l’appel d’offres.
10Pour apprécier avec justesse ces différentes options, le recours à un deuxième processus était inéluctable, avec la constitution d’un dossier exhaustif des sources iconographiques et documentaires disponibles. Là aussi, nous nous heurtons trop souvent à la dispersion et au caractère lacunaire de fonds documentaires susceptibles d’éclairer les différents choix et de les illustrer visuellement sur la maquette numérique. Laborieux et chronophage, ce travail est très rarement valorisé dans les missions contractuelles. Reposant sur la conscience professionnelle et le volontarisme du maître d’œuvre, il reste dépendant d’une planification où l’urgence des résultats s’avère souvent incompatible avec un travail d’inventaire exhaustif.
- 2 Création d’une extension sur une architecture patrimoniale.
11Dans le cas de Marigny, la suspension de l’exploitation du théâtre sur notre demande et pour des raisons de sécurité ouvrit le champ temporel nécessaire (de l’ordre d’une année). Cette exégèse documentaire, réalisée en interne, rendit évident que l’intérêt architectural du lieu ne ressortissait pas d’une facture significative d’un style ou d’une époque mais de la stratification progressive d’adaptations commandées par de successives exigences d’exploitation. Vu de l’extérieur comme de l’intérieur, le théâtre exposait la compilation de greffes2 légitimées par les recommandations programmatiques de chaque époque traversée. Cette situation est banale. Elle reflète l’essentiel des cas tant il est rare de trouver la globalité d’une œuvre conservée « dans son jus ». À Marigny, le « jus » en question relevait d’un brouet indigeste. Il posait avec insistance la question d’un respect strict de l’état du classement ou de son détournement. À commencer par la question des façades confrontées à la demande programmatique d’une augmentation de l’emprise d’environ 500 m2…
Interventions extérieures
12La tentation était forte de porter l’essentiel des efforts sur l’architecture originelle riche des ornements et de la polychromie exaltée par le maître de l’Opéra. Plusieurs freins s’y opposaient : l’amputation de la plupart des motifs de façade durant l’après-guerre, le coût exorbitant d’une telle restitution, mais aussi les sources iconographiques et documentaires illustrant sculptures, mosaïques et cartouches ornementés, trop lacunaires, voire incohérentes.
13Forts de ce constat et au terme d’une triple concertation avec les services d’Urbanisme de la Ville et avec la Drac d’Île-de-France, la première réponse apportée au projet fut de redonner une part de ses modénatures et de sa cohérence au tambour dodécagonal de Garnier, lequel demeure le fil conducteur et l’ordonnateur d’une composition résolument radiale et symétrique. La seconde fut d’inscrire les travaux d’agrandissement dans cette même logique de croissance concentrique qui, depuis la petite salle Lacaze, avait présidé aux adaptations successives.
14S’agissant des fameux décors extérieurs – une combinaison de sculptures, de peintures et de mosaïques –, une nouvelle tentation se fit jour : celle d’une réinterprétation de la luxuriance ornementale habitant les cartouches du dodécagone. Avec Jean-Michel Wilmotte, auquel avait été confiée l’architecture intérieure des extensions du rez-de-chaussée dans le cadre d’une sous-traitance, je suggérai des mises en lumière dynamiques contemporaines sur chacune des facettes en mémoire de la précoce électrification qui avait valu au théâtre Marigny le titre de « lanterne des Champs-Élysées ». Cette électrification avait en son temps contribué à l’aura de la Ville Lumière.
15Redoutant un blocage du secteur associatif, la Ville de Paris préféra contourner l’obstacle. Il fallut donc se résoudre à une transcription des seuls croquis au crayon de Garnier figurant sur ses esquisses préparatoires. De fait, l’élaboration des guerrières wagnériennes couronnant les cartouches s’effectua dans la douleur faute de dessin originel, au fil d’un travail collaboratif mené avec un sculpteur avant d’en effectuer les moulages en résine de staff. Catherine Combin, architecte des bâtiments de France, eut la bonté de valider cette réinterprétation. Aujourd’hui, à peine quatre ans plus tard, l’intégration est indiscutable au point que nul ne doute qu’il s’agisse des originaux.
Interventions intérieures
16Plusieurs interventions majeures de notre restauration concernaient les aménagements intérieurs [fig. 2], autant la stabilisation du lanterneau sommital, dont nous avions dénoncé la fragilité en phase de diagnostic, que l’amélioration des conditions de visibilité dans les salles, l’intégration d’un traitement d’air jusqu’alors inexistant ou encore la mise en accessibilité des deux salles et la réfection intégrale de leurs outils scénographiques. Au sein du groupement intégrant Vinci construction, Clé Millet et le groupe Pinault, postulant pour la concession du Marigny, en tant que concepteurs nous avions l’entière responsabilité de ces interventions. Elles réclamaient des concertations et des arbitrages tant avec la Ville, propriétaire des murs, qu’avec les instances instructrices, un exercice rapidement compliqué par le changement de l’entreprise puis par celui de l’exploitant de la salle, passant des mains d’Artémis, représentant le groupe Pinault, à celles du groupe Fimalac.
Figure 2
Repérage des principales interventions du cabinet Clé Millet Architectes au théâtre Marigny. 1. Entrée du studio Marigny. 2. Bureaux de direction. 3. Entrée des artistes. 4. Loges. 5. Foyer du balcon 1. 6. Gril supérieur. 7. Gril principal. 8. Gril du lointain. 9. Passerelle des moteurs. 10. Passerelle du dôme. Extrait de Théâtre Marigny. Histoire, architecture & spectacles, Clé Millet Architectes, Ante Prima / AAM Éditions, 2024.
© Clé Millet Architectes.
Stabilisation du lanterneau
17Si, assez vite, l’exploitant se rendit à notre demande de sécuriser la coupole par la mise en œuvre d’un filet et à celle de renforcer les arbalétriers de la charpente, il fut moins aisé de convaincre la Ville des dangers encourus. La chute de staffs dans le vestiaire des ouvreuses – hors période d’usage – motiva la décision de fermer le théâtre pendant les travaux [fig. 3 et 4]
Figure 3
Effondrement des staffs déclenchant la fermeture du théâtre Marigny (Paris), août 2015.
© Clé Millet Architectes.
Figure 4
Réparation de staffs in situ au théâtre Marigny (Paris), février 2016.
© Clé Millet Architectes.
- 3 Installation consistant à échafauder la salle jusqu’au niveau du dôme central puis à dresser sur ce (...)
18Après un débat avec le voyer en chef et avec la Drac, il fut arbitré que les travaux ne sauraient justifier la dépose du lanterneau. L’équipe de maîtrise d’œuvre lui substitua le principe d’une reprise depuis l’intérieur, un tabouret en forme de diabolo confortant l’ouvrage au terme d’un délicat vérinage [fig. 5 et 6] et d’une stabilisation particulièrement complexe de charpentes frettées et dédoublées à cet effet3. Une vue filaire des interventions livre un aperçu de la complexité d’une opération où la cinématique d’introduction des composants métalliques donnait lieu à des manipulations sophistiquées préalablement simulées en trois dimensions [fig. 7].
Figure 5
Opération de vérinage de la charpente du théâtre Marigny (Paris) par le diabolo métallique, octobre 2016.
© Clé Millet Architectes.
Figure 6
Nouveaux arbalétriers, systèmes de mise en tension et diabolo, théâtre Marigny (Paris), octobre 2016.
© Clé Millet Architectes.
Figure 7
Restitution 3D de la structure du lanterneau sommital du théâtre Marigny (Paris), mars 2015.
© Clé Millet Architectes.
Reprofilage de la salle
19Sans altérer la composition des assises et devant être fidèles au modèle tant pour le parterre que pour les balcons, il nous fallut améliorer la courbe de visibilité de la salle en rechargeant progressivement le niveau des sols tout en y intégrant les réseaux aérauliques du soufflage d’air [fig. 8]. Cet exercice, qui, seul, permettait de concilier le confort thermique des spectateurs avec un soufflage silencieux et limité à de très faibles vitesses, était essentiel. Les règles d’isolement coupe-feu compliquent singulièrement ce type de mise en œuvre en un bâti ancien. L’intégration des bouches de soufflage précédentes n’est que la partie la plus apparente des installations liées aux fonctions de chauffage et de ventilation. Le plus complexe réside dans l’insertion de la production de chaleur et de froid, dans celle de réseaux vertueux où recyclages et échangeurs sont inclus, et dans la prise en compte des fonctions de désenfumage, en l’espèce, mécaniques. Sans parvenir à une totale innocuité volumétrique, le projet a permis de concilier les contraintes techniques avec une intégration des réseaux aérauliques satisfaisante aux décors intérieurs comme aux façades. C’est notamment le cas des grilles de prise d’air et de rejet insérées en partie supérieure des parois du dodécagone derrière les cartouches portant les noms des compositeurs discrètement détachés de leurs supports.
Figure 8
Plan de reprofilage du parterre de la salle du théâtre Marigny (Paris).
© Clé Millet Architectes.
Accessibilité
- 4 L’accessibilité aux fauteuils roulants limite les pentes et la hauteur des ressauts qui existent gé (...)
20Sujet complexe s’il en est, l’accessibilité d’un théâtre aux personnes à mobilité réduite se heurte aux anciennes conventions pour lesquelles les emmarchements revêtaient une fonction architecturale et statutaire de mise en valeur. Question d’autant plus tendue que la salle Popesco (studio Marigny) se situe en étage et qu’il est délicat de trouver des emplacements combinant la proximité d’une issue avec la qualité de la vue sur la scène. Afin de ne pas dénaturer l’architecture intérieure, il fut décidé pour la grande salle d’aménager des emplacements dans les loges de parterre moyennant des seuils appropriés4 à l’adaptation d’huisseries isophoniques dans une continuité parfaite avec le niveau de la circulation annulaire. Le studio Marigny, quant à lui, a dû consentir des dérogations portant sur le nombre d’emplacements et sur les moyens d’évacuation afin de ne pas modifier ses doubles volées d’escaliers croisées.
Les équipements scénographiques
21Si ces agencements essentiels du projet n’avaient concerné que la scène, les choses eussent été simples, mais l’enjeu était de doter la grande salle d’un équipement remplissant l’équivalent d’une passerelle à 45°. En d’autres termes, il fallait insérer dans le volume du dôme un pont-lumière suspendu dont les élingues traversent les décors en staff et qui dispose en comble des palans et des enrouleurs de câbles appropriés. Faire coïncider les percements aux décors peints et à la structure porteuse fut un autre exercice de style. Il s’agissait de préserver l’intégrité complète du dôme, un emplacement généralement occupé dans les théâtres à l’italienne par l’inévitable lustre à pampilles, une sujétion qui rend souvent insoluble la mise en œuvre des éclairages techniques de salle.
- 5 Les poursuites sont des projecteurs destinés à suivre les déplacements d’un acteur sur le plateau. (...)
22La réfection complète du dôme imposée par celle de la charpente a également été l’occasion non seulement de mettre en place ce pont-lumière à tout moment déposable, mais aussi une galerie technique masquée dans le tambour du dôme et dotée du recul permettant l’usage de projecteurs à longue portée, les poursuites étant intégrées au second balcon du côté cour et du côté jardin5.
23À partir de cet exposé rapide sur la rénovation du théâtre Marigny, nous pouvons élargir la réflexion et conclure sur une vision plus générale.
24Qu’il s’agisse d’une véritable greffe ou d’une simple altération répondant à des contraintes conjoncturelles, l’exercice est, en réalité, le même. Il requiert les mêmes intuitions, la même délicatesse. En effet, il n’existe pas de règles et chaque intervention est différente. Dès lors que l’objet patrimonial est modifié, on pourra osciller entre la radicalité d’une suture contemporaine brutaliste et la complaisance d’un pastiche fusionnel en passant par toutes les options intermédiaires, selon que seront privilégiés le respect d’un climat, celui d’une matérialité, d’une lumière ambiante ou de tout autre critère dont l’évidence n’apparaîtra qu’en cas de réussite [fig. 9].
Figure 9
Détail de décor du cadre de scène restauré, théâtre Marigny (Paris), juin 2015.
© Clé Millet Architectes.
25D’autre part, lorsque l’enjeu scénographique est fort, posons-nous cette question à propos du plateau scénique : quels principes nous retiennent de transgresser les anciennes règles de la scénographie ? Du xve au xixe siècle inclus, pièces à machines comprises, ce sujet n’a pas été traité puisqu’il n’existait pas de régie de salle, chacun occupant son territoire : au public la salle, aux artistes le plateau. Aux premiers l’univers frémissant des parterres, des balcons, des promenoirs où chacun vaquait librement, aux seconds celui de l’imaginaire paradoxalement tramé par ses machineries. Aux uns le libre foisonnement des rituels mondains, aux autres la rigueur d’un ordre conditionné par la convention des rues, des costières et des châssis hérités de la Renaissance, mais un ordonnancement que l’on savait malléable, transformable, car réalisé pour l’essentiel en bois.
26Aujourd’hui, ce modèle est obsolète ; le pilotage informatisé des machineries comme des éclairages et de la sonorisation prévaut. Il faut en tirer les leçons en intégrant ces équipements scénographiques indispensables tout en protégeant sans concessions l’identité et le caractère des salles, avec tout ce qui concourt à leur singularité, authentique témoignage mémoriel d’une époque, d’une culture.
27N’oublions jamais que le spectacle vivant n’habite ni un cinéma, ni un poste de télévision, ni une boîte noire et que le cadre dans lequel il évolue compte autant que les contenus qui s’y donnent.
Notes
1 Le théâtre fait l’objet d’une inscription partielle (25 septembre 1990) https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/merimee/PA00088886 [lien valide en juin 2024].
2 Création d’une extension sur une architecture patrimoniale.
3 Installation consistant à échafauder la salle jusqu’au niveau du dôme central puis à dresser sur cet appui provisoire une ceinture de vérins supportant un tabouret en forme de polygone. La mise en pression progressive des anciennes charpentes par ce biais permit de rééquilibrer leurs appuis de façon symétrique et de supprimer les anciennes charges indûment appliquées dans les années 1920 aux arbalétriers de l’époque de Charles Garnier.
4 L’accessibilité aux fauteuils roulants limite les pentes et la hauteur des ressauts qui existent généralement entre les coursives et les loges ou baignoires. Leur nivellement ainsi que le respect des largeurs utiles comme celle des rayons de giration constituent des casse-têtes où conformité et respect patrimonial entrent en conflit permanent.
5 Les poursuites sont des projecteurs destinés à suivre les déplacements d’un acteur sur le plateau. Les expressions « côté cour » et « côté jardin » sont à l’univers du théâtre ce que bâbord et tribord signifient pour les marins. Elles font référence à la première salle du palais des Tuileries où les accès au plateau étaient signalés par le côté cour du carrousel et par le côté jardin des Tuileries que nous identifions encore.
Haut de pageTable des illustrations
Titre | Figure 1 |
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Légende | Le théâtre Marigny, d’hier à aujourd’hui. Extrait de Théâtre Marigny. Histoire, architecture & spectacles, Clé Millet Architectes, Ante Prima / AAM Éditions, 2024. |
Crédits | © Clé Millet Architectes / Ante Prima / AAM Éditions. |
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Titre | Figure 2 |
Légende | Repérage des principales interventions du cabinet Clé Millet Architectes au théâtre Marigny. 1. Entrée du studio Marigny. 2. Bureaux de direction. 3. Entrée des artistes. 4. Loges. 5. Foyer du balcon 1. 6. Gril supérieur. 7. Gril principal. 8. Gril du lointain. 9. Passerelle des moteurs. 10. Passerelle du dôme. Extrait de Théâtre Marigny. Histoire, architecture & spectacles, Clé Millet Architectes, Ante Prima / AAM Éditions, 2024. |
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Titre | Figure 3 |
Légende | Effondrement des staffs déclenchant la fermeture du théâtre Marigny (Paris), août 2015. |
Crédits | © Clé Millet Architectes. |
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Titre | Figure 4 |
Légende | Réparation de staffs in situ au théâtre Marigny (Paris), février 2016. |
Crédits | © Clé Millet Architectes. |
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Titre | Figure 5 |
Légende | Opération de vérinage de la charpente du théâtre Marigny (Paris) par le diabolo métallique, octobre 2016. |
Crédits | © Clé Millet Architectes. |
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Titre | Figure 6 |
Légende | Nouveaux arbalétriers, systèmes de mise en tension et diabolo, théâtre Marigny (Paris), octobre 2016. |
Crédits | © Clé Millet Architectes. |
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Titre | Figure 7 |
Légende | Restitution 3D de la structure du lanterneau sommital du théâtre Marigny (Paris), mars 2015. |
Crédits | © Clé Millet Architectes. |
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Titre | Figure 8 |
Légende | Plan de reprofilage du parterre de la salle du théâtre Marigny (Paris). |
Crédits | © Clé Millet Architectes. |
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Titre | Figure 9 |
Légende | Détail de décor du cadre de scène restauré, théâtre Marigny (Paris), juin 2015. |
Crédits | © Clé Millet Architectes. |
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Pour citer cet article
Référence électronique
Stéphane Millet, « De l’art délicat des interventions architecturales sur le patrimoine théâtral », In Situ [En ligne], 53 | 2024, mis en ligne le 10 juillet 2024, consulté le 02 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/insitu/42292 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/122pq
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