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Interroger les enjeux de la patrimonialisation du théâtre

Un écosystème numérique au service du patrimoine théâtral d’Ancien Régime

Le programme des registres de la Comédie-Française
A digital ecosystem dedicated to the French Early Modern theatrical heritage: The Comédie-Française Registers Project
Charline Granger, Sara Harvey et Tiphaine Karsenti

Résumés

Né en 2008, le programme « Registres de la Comédie-Française » (RCF) est l’un des premiers projets en humanités numériques portant sur l’histoire des spectacles anciens. Il repose sur la création d’un écosystème numérique mettant en valeur une partie de la collection d’archives anciennes conservées à la bibliothèque-musée de la Comédie-Française. L’objet de cet article est de présenter les questionnements qui ont conduit à la forme actuelle du programme, en revenant sur les choix et les étapes qui ont jalonné son histoire. Il s’agit aussi de s’interroger sur les apports d’une telle entreprise pour la réflexion critique sur les usages du numérique appliqué aux archives et aux sciences humaines, pour les connaissances et les méthodes en histoire du théâtre, pour la valorisation du patrimoine de la Comédie-Française et du spectacle vivant.

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Texte intégral

  • 1 Le programme RCF s’inscrit dans la continuité du plus ancien programme en humanités numériques et h (...)
  • 2 Jusqu’en 2021, l’université de Harvard était partenaire du programme, avant que NYU ne lui succède.

1Né en 2008, le programme « Registres de la Comédie-Française » (RCF) est l’un des premiers projets en humanités numériques portant sur l’histoire des spectacles anciens1. Il repose sur la création d’un écosystème numérique mettant en valeur une partie de la collection d’archives anciennes conservées à la bibliothèque-musée de la Comédie-Française. Cette collection constitue un véritable un trésor patrimonial, peu exploré jusque-là. Initié par Jeffrey S. Ravel, historien du théâtre au Massachusetts Institute of Technology (États-Unis), RCF réunit des partenaires internationaux : la Comédie-Française, l’université Paris Nanterre, l’université de la Sorbonne, l’université de Rouen, l’université de Victoria (Canada), l’université de New York2 (NYU, États-Unis). L’ensemble de ses réalisations et résultats est présenté sur un site internet bilingue, en constante évolution : www.cfregisters.org.

2L’objet de cet article est de présenter les questionnements qui ont conduit à la forme actuelle du programme, en revenant sur les choix et les étapes qui ont jalonné son histoire. Il s’agit aussi de s’interroger sur les apports d’une telle entreprise pour la réflexion critique sur les usages du numérique appliqué aux archives et aux sciences humaines, pour les connaissances et les méthodes en histoire du théâtre, pour la valorisation du patrimoine de la Comédie-Française et du spectacle vivant.

Valoriser et démocratiser le patrimoine enfoui de la Comédie-Française

  • 3 L’inventaire complet de ce fonds est disponible sur la base La Grange : https://comedie-francaise.b (...)
  • 4 À l’exception d’une année, perdue dès le xviiie siècle.
  • 5 Pour une description matérielle plus précise des registres, voir SANJUAN Agathe, « Codicologie », C (...)

3Créée par ordonnance royale en 1680, la troupe de la Comédie-Française a conservé scrupuleusement l’ensemble de ses archives comptables et administratives. Elle dispose ainsi d’un fonds de 2,7 mètres linéaires, rare par son ampleur et sa diversité3. Mais c’est surtout la continuité et la complétude de certaines de ses archives qui le rend particulièrement remarquable. Il compte en effet plusieurs séries de registres annuels, dont la plus complète est la série ininterrompue4 de ce qu’on appelle les « registres journaliers ». Quotidiennement remplis depuis 1680, ils précisent les pièces jouées, les recettes et les dépenses de la troupe. À raison d’un registre par saison théâtrale et d’une page par soirée, il nous est possible de connaître l’intégralité du répertoire, l’affluence des spectateurs (grâce au nombre de billets vendus par catégorie de places), les frais engagés par la compagnie ainsi que les bénéfices ou les dettes qu’elle tire de ces représentations. D’un point de vue matériel, les registres, majoritairement des in-folio, sont composés de feuillets reliés entre eux5. Chacun d’eux présente, au recto, la date, la ou les pièces représentées ce soir-là (deux, habituellement) ainsi que des informations relatives aux recettes ou dépenses, sous la forme d’un formulaire pré-imprimé auquel s’ajoutent des mentions manuscrites. Sur le registre de la saison 1692-1693, à la date du 18 mai, les recettes figurent dans la moitié supérieure de la page et les dépenses, dans la moitié inférieure [fig. 1].

Figure 1

Figure 1

Page de droite (no 70) du 18 mai 1692, Registre de la recette journalière, saison 1692-1693, R29, conservé à la bibliothèque-musée de la Comédie-Française, disponible sur le site RCF, https://flipbooks.cfregisters.org/​R29/​index.html#page/​70/​mode/​1up [lien valide en avril 2024].

Reproduction Comédie-Française.

4Au verso apparaissent des informations ponctuelles et variées, qui peuvent prendre la forme de notes relatives au détail des frais et à la distribution du jour, à la comptabilité du théâtre, aux loges réservées et dues par des gentilshommes, aux frais des voyages à la Cour, aux amendes dues par les comédiens, à divers événements liés d’une manière ou d’une autre à la vie de la compagnie. Sur la page ci-dessous figurent la distribution du jour et deux notes successives, l’une concernant deux comédiens mis à l’amende et l’autre, biffée, relative à un billet de parterre perdu, puis retrouvé [fig. 2].

Figure 2

Figure 2

Page de gauche (no 73) du 18 mai 1692, Registre de la recette journalière, saison 1692-1693, R29, conservé à la bibliothèque-musée de la Comédie-Française, disponible sur le site RCF, https://flipbooks.cfregisters.org/​R29/​index.html#page/​73/​mode/​1up [lien valide en avril 2024].

Reproduction Comédie-Française.

5Lorsque Jeffrey S. Ravel et Christian Biet, en 2006, ont entrepris de valoriser une partie du fonds de la Comédie-Française, ils se sont tournés vers cet ensemble sériel, cohérent et continu, formé par les registres journaliers. Leur première ambition a été de rendre disponibles par la numérisation ces ressources qui donnaient accès à l’intégralité de la programmation quotidienne du théâtre, avant de les transformer progressivement en bases de données. Pour la première fois, un calendrier complet et fiable des productions de la troupe depuis sa création allait être accessible partout dans le monde, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Car ces archives étaient jusque-là consultables uniquement dans la salle de lecture de la bibliothèque-musée de la Comédie-Française, au cœur de Paris, aux horaires d’ouverture de l’établissement. Les humanités numériques appliquées à ce fonds patrimonial répondent donc principalement, à l’origine, à une exigence d’accessibilité et de démocratisation du savoir.

6La toute première étape du projet a consisté à numériser l’ensemble de ces registres journaliers relatifs à la période 1680-1793 : les registres de la recette journalière (seul document traversant tout le siècle, permettant de reconstituer la programmation et de connaître soir après soir l’affluence du public) ; les registres de la dépense journalière (uniquement à partir de 1757, date à laquelle la troupe se met à consigner les dépenses sur des registres distincts de ceux établissant la recette journalière) ; les registres des feux (uniquement à partir de 1765, contenant le détail de la distribution pour chaque soirée et précisant la répartition des rôles entre les comédiens et comédiennes) ; les registres d’assemblées (feuillets contenant les procès-verbaux des réunions d’assemblées que tient régulièrement la troupe) ; enfin, les registres doubles (registres doublons de ceux de la recette journalière établis pour des raisons de comptabilité, contenant parfois des informations complémentaires aux registres principaux). Plus récemment, les registres des xixe et xxe siècles ont été ajoutés à ces corpus. L’intégralité de ces documents est présentée sur le site RCF sous la forme de flipbooks numériques.

Vers une histoire moins monumentale du théâtre

  • 6 Deux financements de l’Agence nationale de la recherche (ANR), un financement Émergence de l’Allian (...)

7Autour des registres numérisés, l’équipe du programme a développé au fil des ans un écosystème numérique, constitué de bases de données, d’outils de recherche et de visualisation, d’éléments de contextualisation regroupés dans un espace encyclopédique et de corpus massifs complémentaires mettant aussi en perspective la programmation du théâtre. Cet écosystème s’est progressivement déployé, grâce au soutien d’organismes de subvention nationaux et internationaux6. Plusieurs phases se sont ainsi succédé : après avoir été consacré de 2013 à 2018 aux recettes de la troupe (1680-1793), le programme a porté, de 2018 à 2023, sur les feux (1765-1793), sur les dépenses (1680-1776), sur les recettes de la période suivante (1799-1899), ainsi que sur la critique dramatique parue dans la presse à propos de la programmation de la Comédie-Française.

  • 7 Sur les conséquences induites par le passage d’un corpus de documents à un corpus de données, voir (...)

8À partir de ces différents registres ont été conçues des bases de données. Celles-ci permettent de manipuler massivement les informations extraites des registres et de répondre aux requêtes formulées par l’internaute via plusieurs interfaces automatisées7. La base des recettes permet ainsi d’explorer 113 saisons et plus de 30 000 soirées programmées, via différents outils de visualisation accessibles sur le site RCF. Ils ont été pensés pour pouvoir évaluer les recettes (calculées en livres, sols et deniers) et le nombre des représentations en fonction de différentes échelles de temps, depuis l’intégralité de la période 1680-1793 jusqu’à une soirée particulière, et en fonction de quatre variables principales, qui constituent les portes d’entrée dans la base : les auteurs ; les pièces ; les saisons ; les genres. D’autres outils de visualisation ont été conçus pour interroger la base des feux (outil graphe) ou celle des dépenses.

9Les outils de visualisation actuellement disponibles sur le site facilitent le repérage de grandes tendances au fil du temps. Lorsque les requêtes formulées sont d’ordre général, ces grandes tendances confortent souvent nos certitudes : les outils de visualisation font d’abord apparaître des évidences. Par exemple, si l’on demande à l’« outil découverte », qui est consacré à l’exploration de la base des recettes, quels sont les auteurs qui ont été les plus joués au cours des dix premières saisons, à savoir de 1680-1681 à 1689-1690, on retrouve, sans grande surprise, les grands noms que l’histoire du théâtre a retenus, Molière et Corneille, respectivement les plus joués sur huit saisons et sur deux saisons. Sur la décennie 1750-1760, les auteurs les plus joués en première partie de soirée (pour ce qu’on appelle la « grande pièce ») sont à nouveau les « grands auteurs » attendus, Molière et Voltaire, qui se partagent la vedette.

  • 8 Voir MOUHY Charles de FIEUX de, Tablettes dramatiques, contenant l’abrégé de l’histoire du Théâtre (...)
  • 9 Voir par exemple JOANNIDÈS Alexandre, La Comédie-Française de 1680 à 1900. Dictionnaire général des (...)
  • 10 Pour une mise au point sur cette question, voir RAVEL Jeffrey S., « La Comédie-Française par les ch (...)

10Ces outils seraient pourtant de peu d’intérêt s’ils ne faisaient que confirmer ce que les historiens du théâtre savent déjà. Le bénéfice qu’ils apportent à la recherche est de faire apparaître des éléments qui étaient jusqu’alors dissimulés derrière les chiffres les plus évidents, des éléments dont la mise au jour aurait nécessité à la fois une acuité particulière dans la formulation d’une hypothèse de recherche et des mois d’investigation acharnée en bibliothèque. L’analyse quantitative des données permet à la fois de révéler des récurrences qui ne sont pas immédiatement visibles mais méritent d’être remarquées et de valoriser des enjeux, qui ont pu être centraux mais qui n’avaient pas jusqu’ici retenu l’attention, faute de traces suffisantes. Par exemple, une simple recherche sur une saison à partir de l’outil découverte génère automatiquement un graphique indiquant la répartition des genres des pièces tout au long de ladite saison. Ce type de statistiques mis en perspective avec les auteurs, le nombre d’actes des pièces, les dates de représentation, ouvre la voie à de nouvelles questions quant aux stratégies de programmation mises au point par les Comédiens-Français pour attirer le public, question à laquelle l’étude et la contextualisation de ces graphiques sont susceptibles d’apporter des éléments de réponse. Quelles contraintes, quelles exigences et quels calculs président à l’association des pièces composant une soirée théâtrale ? Les critères de ces arbitrages évoluent-ils au cours du temps et si oui, pourquoi et comment ? Ces approches fondées sur la compilation des données des registres s’inscrivent dans une historiographie propre aux études sur la Comédie-Française, dont l’origine remonte au xviiie siècle8 et s’est épanouie au xxe siècle9. Mais si cette quantification a longtemps constitué le mode de lecture privilégié de la programmation de ce théâtre, les outils du programme RCF ont rendu possibles des requêtes multiples, sur une masse de données, avec des réponses rapides là où il fallait auparavant compiler des pages et des pages de registres pour parvenir au même résultat10.

  • 11 Ces trois études figurent dans GUYOT Sylvaine & RAVEL Jeffrey S. (dir.), Données, recettes, op. cit (...)
  • 12 ROCHEFORT Suzanne, Vies théâtrales. Le métier de comédien à Paris entre Lumières et Révolution, Cey (...)

11De manière générale, le programme RCF contribue à enrichir l’histoire des spectacles à Paris sous l’Ancien Régime. Il permet de réévaluer, voire, parfois, de contredire des éléments historiques que l’on croyait bien connus et qui n’avaient pas été remis en cause jusqu’à présent. La notion de « canon » dramatique a ainsi été mise à l’épreuve des données chiffrées, donnant un essor aux recherches en histoire économique appliquée au théâtre ancien. L’économiste François R. Velde, par exemple, a ainsi questionné le présumé « canon théâtral » rapporté au niveau de recettes générées et à la durabilité des pièces dans la programmation ; l’historien Thomas M. Luckett a identifié des comédies à succès, aujourd’hui oubliées, qui ont permis à la Comédie-Française de restaurer sa solvabilité au sortir de la guerre de Sept Ans (1756-1763) ; l’historienne Lauren R. Clay a nuancé le mythe, tenace, que l’historiographie théâtrale continue de véhiculer, selon lequel le xviiie siècle consacre la mort de la tragédie au profit de genres dramatiques nouveaux11. Le programme favorise aussi les études relevant de l’histoire sociale : Suzanne Rochefort s’est ainsi appuyée sur les données de RCF relatives aux feux pour établir l’histoire du métier de comédien au xviiie siècle, en étudiant les parcours individuels et en mettant au jour des stratégies de carrière12. Toutes ces analyses s’efforcent de replacer l’histoire littéraire et scénique de la première institution théâtrale française dans une histoire politique, économique, sociale et culturelle plus large : c’est précisément ce que permet le traitement quantitatif des données contenues dans les archives. Enrichissant les méthodes d’enquête en sciences humaines, le programme RCF contribue à renouveler l’historiographie théâtrale portant sur l’Ancien Régime. Il accompagne et favorise l’ouverture de nouveaux chantiers d’étude, comme celui qui constitue l’une des orientations les plus récentes de la recherche en arts du spectacle : rendre visibles les acteurs du spectacle vivant que l’historiographie a jusque-là négligés, à savoir les femmes, les dramaturges minorés, les gagistes.

Rendre compte de la complexité de la vie théâtrale : la logique quantitative face à ses limites

12Parce qu’il permet une meilleure accessibilité des archives et un traitement quantitatif rapide des données qu’elles contiennent, le programme RCF met ainsi le numérique au service de l’histoire des spectacles. Il faut pourtant se garder de l’illusion, contre laquelle les spécialistes en humanités numériques ont depuis longtemps alerté les chercheurs et les chercheuses, qui consiste à croire que la création et la récolte de données, fussent-elles nombreuses, suffisent à écrire l’histoire. D’une part, le processus de transformation des archives en données et leur mise à disposition impliquent une série d’opérations qui relèvent de la simplification, de la systématisation ou de la sélection, de sorte que non seulement les données auxquelles les usagers ont accès par le biais d’interfaces laissent de côté une part de l’information contenue dans les sources, mais les choix adoptés orientent également la lecture qui en sera faite, les questions qui leur seront posées. D’autre part, il est indispensable de croiser et d’assembler les données disponibles, puis de resituer les résultats observés dans un ensemble plus vaste de connaissances interdépendantes et interdisciplinaires pour ne pas produire d’interprétations faussées.

13Les choix faits par l’équipe RCF à ses débuts, qui apparaissaient les plus pertinents au regard de la nature des premiers registres traités, ont nécessairement réduit et limité l’appréhension des traces patrimoniales de la vie de la Comédie-Française dans les premiers siècles de son existence. Car le format comptable des registres des recettes et des dépenses se prêtait particulièrement bien à un traitement sous forme de bases de données relationnelles, qui suppose de concentrer l’attention sur les relations entre, d’un côté, les sommes chiffrées consignées quotidiennement sur chaque page des volumes et, de l’autre, les soirées, les pièces, les auteurs ou autrices, acteurs ou actrices, les catégories de places ou de dépenses qui y sont associées. Opter pour ce type d’organisation des données, par catégories et par relations, supposait d’écarter d’autres possibilités, notamment celles qui auraient consisté à considérer les pages de registre comme des textes, dont tous les éléments sont potentiellement signifiants.

14La construction de bases de données relationnelles, à partir de ces éléments contenus dans les sources, permettait d’établir facilement des statistiques ou des comparaisons quantitatives, ce qui a orienté les premières analyses vers des formes de hiérarchisation qui plaçaient au centre la notion de succès. Les premiers outils permettaient ainsi de répondre rapidement à des questions sur le nombre de représentations de telle ou telle pièce, la soirée ayant rapporté la plus grande recette sur une période donnée ou l’auteur ayant reçu la plus forte rémunération dans l’histoire de la Comédie-Française au xviiie siècle, par exemple. Si cette entreprise a occupé une part importante du temps et des efforts de l’équipe du programme, elle a rapidement révélé ses limites, dont certaines sont inhérentes à toute démarche articulant humanités et numérique tandis que d’autres sont plus propres à la nature des archives concernées.

  • 13 MORETTI Franco, « Conjectures on World Literature », New Left Review, no 1, 2000, [en ligne], https (...)

15En contribuant à ce qu’on a pu nommer la « mise en données du monde », ou « datafication », le programme RCF rend accessibles à un très vaste public des données patrimoniales relativement massives et autorise un point de vue englobant sur un large empan chronologique qui met en lumière des traits saillants, des constantes, des modèles, parfois des irrégularités ou des anomalies. Cette lecture à distance (« distant reading », comme la désigne le chercheur en littérature Franco Moretti13) permet de repérer des phénomènes jusque-là peu étudiés – les logiques de programmation de la Comédie-Française par exemple – et d’attirer l’attention sur des discontinuités qui invitent à l’enquête rapprochée. Mais elle ne se suffit pas à elle-même et trouve sa nécessaire complémentarité dans une lecture de détail, qui cherche à éclairer les mécanismes identifiés grâce aux outils quantitatifs par le recours à d’autres données, qualitatives cette fois, capables d’expliquer les phénomènes. L’arrêt brutal de la programmation d’une pièce peut être dû, par exemple, à la maladie d’un acteur ou d’une actrice ; l’accroissement du nombre de billets vendus à un changement de salle de la Comédie-Française ; l’affluence à une soirée lors de la venue d’une célébrité ce jour-là. Le 29 octobre 1768, le semainier précise ainsi que la programmation a été imposée, « par ordre », à cause de la présence du roi de Danemark [fig. 3].

Figure 3

Figure 3

« Par ordre le Misanthrope et les Fourberies de Scapin pour le Roi de Danemark », page (no 309) du samedi 29 octobre 1768, Registre de la recette journalière, saison 1768-1769, R133, conservé à la bibliothèque-musée de la Comédie-Française, disponible sur le site RCF, https://flipbooks.cfregisters.org/​R133/​index.html#page/​309/​mode/​1up [lien valide en avril 2024].

Reproduction Comédie-Française.

16Ces données complémentaires peuvent se trouver au sein même de l’ensemble documentaire patrimonial qui constitue le cœur du programme, ou en dehors de lui. Sur les registres mêmes des recettes et des dépenses, pour commencer, figurent des informations qui ne sont pas accessibles par le truchement des outils de visualisation conçus par les informaticiens et informaticiennes du projet. À côté des données chiffrées indiquant les sommes perçues ou dépensées par la troupe des comédiens, on rencontre souvent sur les pages de gauche des registres des mentions manuscrites qui indiquent des circonstances particulières. Sur la page du 14 août 1721, on apprend par exemple que les comédiens n’ont pas joué, faute de public [fig. 4].

Figure 4

Figure 4

Page (no 225) du jeudi 14 août 1721, Registre de la recette journalière, saison 1721-1722, R83, conservé à la bibliothèque-musée de la Comédie-Française, disponible sur le site RCF, https://flipbooks.cfregisters.org/​R83/​index.html#page/​225/​mode/​1up [lien valide en mai 2024].

Reproduction Comédie-Française.

17S’il n’est pas rare de voir des recettes très faibles au cœur de l’été, cette note marginale éveille néanmoins l’attention et suscite des interrogations : la salle est-elle vide à cette date en raison de l’appauvrissement des spectateurs après la crise du système financier de John Law ? Les spectateurs se sont-ils plutôt déplacés à la foire Saint-Laurent, où les Comédiens-Italiens louent alors une loge, celle de l’entrepreneur Pellegrin, en l’absence des forains, interdits de représentations depuis 1720 ? Fait-il trop chaud en ce 14 août 1721, comme cela sera mentionné à quelques reprises au cours du siècle pour expliquer une relâche ? Les premiers comédiens de la troupe se sont-ils déplacés à la Cour, laissant la scène à des interprètes de second rang, moins attendus que les vedettes ? Invitations à l’enquête, les traces laissées dans les marges imposent des détours d’attention et dessinent des parcours de recherche.

18Ces informations, qui ont été retranscrites dans les formulaires de nos bases de données, mais que les outils de visualisation traditionnels, orientés vers l’analyse quantitative, ne peuvent pas prendre en compte, poussent souvent à investiguer davantage et à aller chercher des éclairages complémentaires dans les feuilles d’assemblée, qui font partie de l’ensemble patrimonial des registres, ou ailleurs, dans la programmation des autres théâtres à Paris, dans la presse ou les correspondances de l’époque, etc.

19Le programme RCF s’est ainsi confronté au défi typique des démarches articulant humanités et numérique, qui consiste à dépasser la dichotomie entre qualitatif et quantitatif en élaborant, à partir des données chiffrées fournies par les outils numériques, des interprétations, fondées sur un travail de contextualisation passant par un assemblage documentaire et une démarche sensible et intellectuelle proprement humaine. Après avoir conçu des bases de données relationnelles et des outils de visualisation à partir des registres des recettes et des dépenses, il s’est attaché à constituer une base de données et un graphe à partir des registres des feux et il entreprend désormais de traiter les procès-verbaux des assemblées de comédiens, en utilisant cette fois la TEI (Text Encoding Initiative), de façon à pouvoir, à terme, créer un outil qui croise l’ensemble des données contenues dans les divers registres de la Comédie-Française. La nature de ces dernières sources, qui ne se prêtent pas à une approche quantitative, introduit au sein du programme un meilleur équilibre entre le distant reading et le close reading, les démarches computationnelles et interprétatives. Lors des expérimentations en recherche-création menées par ailleurs dans le cadre du projet (voir infra), d’autres formes d’interfaces, de visualisation et de restitution des données sont explorées, qui permettent de rendre compte d’aspects moins quantifiables de ce que nous apprennent les archives, et d’une réception sensible, moins mathématique, de ces découvertes.

20Aux sources patrimoniales variées conservées par la bibliothèque-musée de la Comédie-Française, le programme a en outre décidé d’associer, sur son site internet, des corpus complémentaires, qui permettent d’enrichir la perspective sur les données des registres et d’affiner le regard des historiens sur l’histoire de ce théâtre. La transcription en TEI des critiques dramatiques parues dans la presse contemporaine à propos des spectacles de la Comédie-Française est en cours, et elle sera suivie, dans les années qui viennent, d’un corpus de mémoires de comédiens et comédiennes.

21Enfin, pour éviter les erreurs de lecture et accompagner les utilisateurs du site dans leur appréhension des données, les membres du programme ont conçu une « encyclopédie RCF » en deux volets – « Les Mots des Registres » et « Le chantier encyclopédique » –, qui offre les éléments de contexte indispensables à une juste interprétation des résultats produits par les outils de visualisation. « Les Mots des Registres » sont un dictionnaire constitué d’environ 180 entrées qui donne la définition des termes employés dans les sources elles-mêmes, avec une perspective sociale et historique qui tient compte de l’évolution des usages et des règlements de la troupe en renvoyant, quand c’est possible, aux registres eux-mêmes ou aux feuilles d’assemblée. On apprend ainsi ce qu’est un « crocheteur » ou à quoi correspondent les « boues et lanternes », qui sont M. et Mme Barbier, chargés de la tapisserie et de l’affichage, ou M. Gont, qui leur succède dans ce dernier office. « Le chantier encyclopédique » réunit des articles de synthèse rédigés par des historiens et historiennes éclairant par exemple l’histoire des salles de la Comédie-Française ou étudiant la façon dont les comédiens appréhendent la rentabilité des représentations pendant la saison 1741-1742.

22Pour approcher avec toujours plus de complexité la chair d’une histoire qui fut vivante et polymorphe, le programme continue ainsi à agréger des corpus de nature différente, qui se complètent et se répondent, et invitent à varier les échelles et les points de vue – de la macro-histoire à la micro-histoire, de la computation à l’interprétation.

Pour une histoire du théâtre sans frontières ?

23Si le programme RCF figure parmi les plus anciens programmes qui mettent en lien humanités numériques et histoire du théâtre, depuis de nombreuses années, d’autres projets comparables émergent en France et en Europe, centrés sur des textes dramatiques ou critiques (comme « Théâtre Classique », NCD17) ou sur la programmation d’institutions et de lieux de théâtre en France (Theaville, Recital, Vespace) ou en Europe (« Théâtre de société », Theatronomics, « Artistic Exchanges [ArtEx]: The Royal Danish Theatre and Europe »).

24L’excellent état de conservation de la collection des registres de la Comédie-Française, de même que la quantité, la stabilité sur la longue durée et la diversité des informations contenues dans ces archives a permis au cours des dernières années de développer un véritable écosystème d’informations et de connaissances sur l’histoire au jour le jour de la programmation de ce théâtre et, plus largement, sur la vie de cette institution parisienne centrale. Or, pour contribuer pleinement à une histoire du théâtre renouvelée, si RCF est non seulement appelé à exposer l’ensemble de ses données et des liens qui existent entre elles, il doit aussi ouvrir son environnement aux autres projets pour le mettre en partage et le confronter aux autres ensembles d’informations et de connaissances produits au sein des différents projets sur l’histoire du spectacle en France et en Europe. Pour ce faire, le programme RCF a pris un nouveau tournant en adoptant les principes du web sémantique, qui repose sur l’accessibilité, la gratuité, le partage et la mise en relation systématisée des données. Une ontologie a également été créée, qui offre un modèle de structuration de l’ensemble de nos jeux de données et des liens qui existent entre elles. Cette modélisation des données, de même que leurs nouveaux modes d’accès, est un pas de plus vers une meilleure compréhension de l’histoire du théâtre et de la vie théâtrale, car ils doivent permettre à terme de créer des environnements interopérables. RCF s’inscrit à ce titre dans une démarche pleinement engagée pour l’élaboration d’une histoire du théâtre ouverte et sans frontières. Par une approche qui tient compte de la circulation, de l’influence et de la rivalité qui a pu exister entre les scènes françaises et européennes, le programme œuvre ultimement à défendre une approche collective, durable et ouverte, attachée à la nécessité qu’il y a à rendre compte d’une histoire complexe et nuancée.

Quels usages, pour quels publics ? Faire résonner le passé au présent

25Les historiens du théâtre, parce qu’ils sont les utilisateurs les plus anciens des archives de la bibliothèque-musée de la Comédie-Française, constituent le public naturel auquel sont destinés les outils proposés sur le site https://cfregisters.org. Mais l’environnement numérique, par son accessibilité, sa dimension ludique et évolutive, s’adresse aussi à des groupes plus larges. C’est ainsi que depuis ses commencements, le programme RCF développe, parallèlement aux bases de données, aux outils de visualisation et à l’encyclopédie des Registres, des projets pédagogiques et artistiques à destination du grand public, des comédiens et des étudiants, avec la conscience de la responsabilité sociale et politique qu’implique le financement d’un tel projet par des fonds publics.

  • 14 Voir GRANGER Charline, « Les Journées particulières de la Comédie-Française : Une réflexion sur l’a (...)

26Entre 2015 et 2019, à l’initiative d’Éric Ruf, administrateur général du théâtre, un cycle de soirées théâtrales, fondé sur les connaissances puisées dans les registres et leurs données, a été programmé dans la salle du Vieux-Colombier14. Chacune de ces « Journées particulières », coordonnée par Agathe Sanjuan, alors conservatrice à la bibliothèque-musée de la Comédie-Française, et dirigée artistiquement par l’un ou l’une des interprètes de la troupe, évoquait une date marquante de l’histoire ancienne du théâtre, en tressant citations de pièces, extraits d’archives et éléments de contextualisation. La première (7 novembre 2015), consacrée à la création de Charles IX, une tragédie de Marie-Joseph Chénier représentée en novembre 1789, a été suivie de treize autres, parmi lesquelles « Le Théâtre aux armées » (8 décembre 2018, sous la responsabilité de Coraly Zahonero) ou « Talma, l’art et la politique » (6 avril 2019, sous la responsabilité de Nâzim Boudjenah). Le succès rencontré par ce programme témoignait du goût du public d’aujourd’hui pour ces plongées dans le passé de l’institution, qui mettent souvent en lumière les dynamiques d’interaction entre la création artistique et la société, la façon dont le théâtre fonctionne à la fois comme caisse de résonance des grands mouvements de l’histoire et comme catalyseur des prises de conscience politiques.

27En 2022, année du quadricentenaire de la naissance de Molière, Julie Deliquet a par ailleurs créé dans la salle Richelieu le spectacle Jean-Baptiste, Madeleine, Armande et les autres…, qui donnait vie à la troupe de Molière sur la scène de la Comédie-Française. Bien que le spectacle évoque une saison antérieure à la création de la Comédie-Française, 1662-1663, la dramaturge du spectacle, Agathe Peyrard, a travaillé sur les archives de la bibliothèque-musée et sur les données des Registres, à partir du site du programme, pour rendre compte des aspects concrets de la vie des comédiens, en particulier leur fonctionnement économique, la gestion de l’hygiène et de la santé, le rapport au public et au pouvoir. Ces deux exemples montrent comment le prolongement numérique des archives permet d’élargir à des publics nouveaux – artistes et spectateurs de théâtre – l’usage des savoirs qu’elles renferment.

28Mais c’est à l’université que le programme a pu expérimenter le plus largement des formes de valorisation artistique et pédagogique des archives, à destination des étudiants et des chercheurs en études théâtrales, en littérature mais aussi en histoire, en création numérique, en graphisme ou en métiers du costume. Depuis 2016, dans le cadre d’ateliers-laboratoires croisant formation théorique, recherche sur les archives et réalisation numérique ou artistique, des étudiants ont travaillé ensemble autour des données du programme. Ils ont créé deux sites internet multimédia présentant des pièces oubliées du répertoire : le site « Bal tragique à Calais » sur Le Siège de Calais de Pierre-Laurent de Belloy (1765), et le site « Charles IX » sur la tragédie de Marie-Joseph Chénier (1789) [fig. 5].

Figure 5

Figure 5

Cartographie de la diffusion du Siège de Calais de Pierre-Laurent de Belloy, réalisée par Clara Dealberto, page « Bal tragique à Calais » sur le site RCF, disponible en ligne, https://ateliers-labo.cfregisters.org/​2017/​ [lien valide en mai 2024].

© Clara Dealberto / Ateliers-labo RCF.

29Ces sites incluent une part de création sonore et audiovisuelle visant à actualiser les enjeux, notamment polémiques, qui ont accompagné les représentations de ces spectacles. À propos de Charles IX, par exemple, les étudiants ont écrit et enregistré une émission de radio en forme de pastiche de la célèbre émission de critique de France Inter, « Le masque et la plume ». Intitulée « La foi et l’épée », réunissant des spectateurs et spectatrices de la première de Charles IX, en 1789, qui débattent de la qualité de la pièce, de ses enjeux politiques dans le contexte inflammable de la Révolution française, de la prestation d’un jeune comédien voué à un brillant avenir, François-Joseph Talma, en reprenant, sous la forme de verbatim, des propos trouvés dans les archives sur la réception de la tragédie [fig. 6].

Figure 6

Figure 6

Page du site « Charles IX ou la Saint-Barthélemy de Marie-Joseph Chénier. L’histoire mise au service de la Révolution », introduisant l’émission radiophonique « La foi et l’épée », site RCF, disponible en ligne, https://ateliers-labo.cfregisters.org/​2019/​la-foi-et-l-epee/​ [lien valide en mai 2024].

© Raoul Bouteille / Ateliers-labo RCF.

30

Vidéo du site Labo Charles IX
Introduction au site « Charles IX ou la Saint-Barthélemy de Marie-Joseph Chénier. L’histoire mise au service de la Révolution », réalisée par Esther Magne, site RCF, voir en ligne : https://ateliers-labo.cfregisters.org/2019/ [lien valide en mai 2024].
Crédits : © Esther Magne / Ateliers-labo RCF.

31D’autres ateliers ont conduit à la création de spectacles, dont la captation vidéo est visible sur le site du programme : une performance autour des plus grands succès de la Comédie-Française au xviiie siècle, « C’était comme un orage… » (2016), une mise en scène du Charles IX de Marie-Joseph Chénier (2020), une performance autour de deux pièces de Marc-Antoine Legrand (2020), un film – « Variations autour d’une bulle » – à partir des comédies inspirées par la spéculation boursière, puis le krach financier qu’on désigne sous le nom de crise de Law dans les années 1720 (2021), un spectacle autour des tragédies de l’autrice Catherine Bernard (2024).

  • 15 Voir notamment DRUCKER Johanna, Visualisation. L’interprétation modélisante, traduit par Marie-Math (...)

32Un dernier atelier (2022), enfin, a invité les étudiants à réfléchir aux enjeux de la constitution et de la visualisation des données en expérimentant d’autres façons de les interroger et de rendre compte de leurs enjeux, dans la perspective des humanités numériques critiques [fig.7]15.

Figure 7

Figure 7

Représentation alternative en 3D, avec des fils de laine, des gommettes et des cure-dents sur du carton mousse, du graphique de la courbe des recettes à la Comédie-Française réalisée par Annick Chekroun, étudiante dans le cadre de l’atelier « La fabrique du mythe de Molière », 2022. Le plan horizontal correspond à une saison (1774-1775) et le plan vertical à une décennie (de la saison 1767-1768 à la saison 1777-1778). Les gommettes vertes sur des cure-dents matérialisent les représentations des pièces de Molière. Les fils de laine indiquent, selon leur couleur, les différents événements exceptionnels, mentionnés dans les registres, qui ont eu des incidences sur la programmation et la fréquentation du théâtre : événements de politique intérieure et extérieure, événements climatiques, calendrier liturgique, problèmes de santé et décès des comédiens ou de personnalités (la mort de Louis XV le 10 mai 1774 a entraîné un mois de fermeture du théâtre).

© Anna Sollazzo.

33Ces réalisations qui croisent recherches à partir des archives et création contemporaine montrent comment la valorisation du patrimoine du spectacle vivant peut faire surgir des résonances fécondes entre sensibilités du présent et œuvres anciennes, entre questionnements actuels et débats du passé.

Conclusion

34La variété et l’ampleur des archives qui sont au cœur du programme RCF ont conduit le projet à se complexifier et à se ramifier sans cesse davantage, pour tenter de répondre toujours mieux à ses ambitions initiales : utiliser les possibilités offertes par le numérique pour enrichir les connaissances sur l’histoire du spectacle vivant, en renouvelant et en diversifiant les objets étudiés et les questions posées, en reconstituant des dynamiques et des circulations à différentes échelles – locales, nationales, internationales –, dans une logique d’ouverture et de partage qui favorise une recherche collective et collaborative ; poursuivre les échanges interdisciplinaires entamés entre des chercheurs en études théâtrales, en musicologie, en histoire des costumes et de la scénographie, en littérature, en histoire économique, en histoire culturelle, en histoire du climat ; nouer un dialogue de qualité entre ces spécialistes de sciences humaines, des informaticiens et des artistes, de façon à affronter les écueils et les difficultés de l’articulation entre des approches, des méthodes, des vocabulaires différents, de façon à ce que ce programme en humanités numériques offre à chacun l’opportunité d’avancer dans son champ propre, par l’expérimentation, le partage d’expériences et la confrontation des points de vue ; valoriser et médiatiser le patrimoine et les connaissances qui permettent d’en saisir les enjeux auprès de cercles toujours plus larges, des chercheurs aux étudiants en passant par les artistes et le public du théâtre. Au centre des perspectives qui s’ouvrent pour l’avenir se trouvent plusieurs défis, tout aussi complexes que cruciaux : l’interopérabilité entre les différents projets autour de l’histoire des spectacles, à l’échelle parisienne, française, européenne, qui pose des questions techniques, mais aussi politiques ; la pérennité des données et leur soutenabilité environnementale ; la prise de conscience et la neutralisation des biais inconscients qui opèrent dans les choix adoptés et conditionnent l’appréhension des sources et la lecture des données.

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Notes

1 Le programme RCF s’inscrit dans la continuité du plus ancien programme en humanités numériques et histoire du théâtre : CESAR. Ce projet est actuellement en cours de refonte à l’université de Grenoble.

2 Jusqu’en 2021, l’université de Harvard était partenaire du programme, avant que NYU ne lui succède.

3 L’inventaire complet de ce fonds est disponible sur la base La Grange : https://comedie-francaise.bibli.fr/ [lien valide en avril 2024].

4 À l’exception d’une année, perdue dès le xviiie siècle.

5 Pour une description matérielle plus précise des registres, voir SANJUAN Agathe, « Codicologie », Chantier encyclopédique dans la section Encyclopédie RCF du site https://www.cfregisters.org/#!/encyclopedie/chantier/c/codicologie [lien valide en avril 2024].

6 Deux financements de l’Agence nationale de la recherche (ANR), un financement Émergence de l’Alliance Sorbonne Université, mais aussi des financements canadiens du Conseil de recherche en sciences humaines (CRSH) et américains (Partner University Fund-Face de l’ambassade de France aux États-Unis).

7 Sur les conséquences induites par le passage d’un corpus de documents à un corpus de données, voir HARVEY Sara & SANJUAN Agathe, « Le projet des registres journaliers de la Comédie-Française : les humanités numériques, dialogue entre les mondes de la recherche et de la documentation », Bulletin des bibliothèques de France (BBF), 2016, no 9, p. 146-152, disponible en ligne, https://bbf.enssib.fr/matieres-a-penser/le-projet-des-registres-journaliers-de-la-comedie-francaise_66710 [lien valide en avril 2024].

8 Voir MOUHY Charles de FIEUX de, Tablettes dramatiques, contenant l’abrégé de l’histoire du Théâtre françois, l’établissement des théâtres à Paris, un dictionnaire des piéces, et l’abregé de l’histoire des auteurs & des acteurs, Paris, Jorry, 1752 ; et, du même auteur, Supplément aux Tablettes dramatiques, Paris, Vve Pissot, Jorry, Duchesne, 1753-1758. Mouhy utilise déjà les registres des recettes de la Comédie-Française comme référence pour faire le relevé des pièces jouées.

9 Voir par exemple JOANNIDÈS Alexandre, La Comédie-Française de 1680 à 1900. Dictionnaire général des pièces et des auteurs, Paris, Plon-Nourrit, 1901 ; CHAMPION Édouard, La Comédie-Française, Paris, Stock, 1927-1937 ; ou LANCASTER Henry Carrington, The « Comédie-Française », 1680-1701 : plays, actors, spectators, finances, Baltimore, Londres, Johns Hopkins Press, Oxford University Press, 1941.

10 Pour une mise au point sur cette question, voir RAVEL Jeffrey S., « La Comédie-Française par les chiffres, 1752–2020 », in GUYOT Sylvaine & RAVEL Jeffrey S. (dir.), Données, recettes & répertoire. La scène en ligne (1680-1793), Cambridge, MIT Press, 2020, [en ligne], https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.21428/671d579e.1f312ff3 [lien valide en mai 2024].

11 Ces trois études figurent dans GUYOT Sylvaine & RAVEL Jeffrey S. (dir.), Données, recettes, op. cit., [en ligne], https://0-cfrp-mitpress-mit-edu.catalogue.libraries.london.ac.uk/volume-en-francais [lien valide en mai 2024].

12 ROCHEFORT Suzanne, Vies théâtrales. Le métier de comédien à Paris entre Lumières et Révolution, Ceyzérieu, Champ Vallon, coll. « Époques », 2024.

13 MORETTI Franco, « Conjectures on World Literature », New Left Review, no 1, 2000, [en ligne], https://0-newleftreview-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/issues/ii1/articles/franco-moretti-conjectures-on-world-literature [lien valide en mai 2024].

14 Voir GRANGER Charline, « Les Journées particulières de la Comédie-Française : Une réflexion sur l’actualité et l’inactualité du répertoire », L’Esprit créateur, vol. 62, n2, 2022, p. 50-61.

15 Voir notamment DRUCKER Johanna, Visualisation. L’interprétation modélisante, traduit par Marie-Mathilde Bortolotti, Paris, B42, coll. « Esthétique des données », 2020.

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Table des illustrations

Titre Figure 1
Légende Page de droite (no 70) du 18 mai 1692, Registre de la recette journalière, saison 1692-1693, R29, conservé à la bibliothèque-musée de la Comédie-Française, disponible sur le site RCF, https://flipbooks.cfregisters.org/​R29/​index.html#page/​70/​mode/​1up [lien valide en avril 2024].
Crédits Reproduction Comédie-Française.
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Fichier image/jpeg, 317k
Titre Figure 2
Légende Page de gauche (no 73) du 18 mai 1692, Registre de la recette journalière, saison 1692-1693, R29, conservé à la bibliothèque-musée de la Comédie-Française, disponible sur le site RCF, https://flipbooks.cfregisters.org/​R29/​index.html#page/​73/​mode/​1up [lien valide en avril 2024].
Crédits Reproduction Comédie-Française.
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Fichier image/jpeg, 283k
Titre Figure 3
Légende « Par ordre le Misanthrope et les Fourberies de Scapin pour le Roi de Danemark », page (no 309) du samedi 29 octobre 1768, Registre de la recette journalière, saison 1768-1769, R133, conservé à la bibliothèque-musée de la Comédie-Française, disponible sur le site RCF, https://flipbooks.cfregisters.org/​R133/​index.html#page/​309/​mode/​1up [lien valide en avril 2024].
Crédits Reproduction Comédie-Française.
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Fichier image/jpeg, 284k
Titre Figure 4
Légende Page (no 225) du jeudi 14 août 1721, Registre de la recette journalière, saison 1721-1722, R83, conservé à la bibliothèque-musée de la Comédie-Française, disponible sur le site RCF, https://flipbooks.cfregisters.org/​R83/​index.html#page/​225/​mode/​1up [lien valide en mai 2024].
Crédits Reproduction Comédie-Française.
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Fichier image/jpeg, 343k
Titre Figure 5
Légende Cartographie de la diffusion du Siège de Calais de Pierre-Laurent de Belloy, réalisée par Clara Dealberto, page « Bal tragique à Calais » sur le site RCF, disponible en ligne, https://ateliers-labo.cfregisters.org/​2017/​ [lien valide en mai 2024].
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/insitu/docannexe/image/41435/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 137k
Titre Figure 6
Légende Page du site « Charles IX ou la Saint-Barthélemy de Marie-Joseph Chénier. L’histoire mise au service de la Révolution », introduisant l’émission radiophonique « La foi et l’épée », site RCF, disponible en ligne, https://ateliers-labo.cfregisters.org/​2019/​la-foi-et-l-epee/​ [lien valide en mai 2024].
Crédits © Raoul Bouteille / Ateliers-labo RCF.
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Titre Figure 7
Légende Représentation alternative en 3D, avec des fils de laine, des gommettes et des cure-dents sur du carton mousse, du graphique de la courbe des recettes à la Comédie-Française réalisée par Annick Chekroun, étudiante dans le cadre de l’atelier « La fabrique du mythe de Molière », 2022. Le plan horizontal correspond à une saison (1774-1775) et le plan vertical à une décennie (de la saison 1767-1768 à la saison 1777-1778). Les gommettes vertes sur des cure-dents matérialisent les représentations des pièces de Molière. Les fils de laine indiquent, selon leur couleur, les différents événements exceptionnels, mentionnés dans les registres, qui ont eu des incidences sur la programmation et la fréquentation du théâtre : événements de politique intérieure et extérieure, événements climatiques, calendrier liturgique, problèmes de santé et décès des comédiens ou de personnalités (la mort de Louis XV le 10 mai 1774 a entraîné un mois de fermeture du théâtre).
Crédits © Anna Sollazzo.
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Pour citer cet article

Référence électronique

Charline Granger, Sara Harvey et Tiphaine Karsenti, « Un écosystème numérique au service du patrimoine théâtral d’Ancien Régime »In Situ [En ligne], 53 | 2024, mis en ligne le 27 juin 2024, consulté le 13 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/insitu/41435 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/122pa

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Auteurs

Charline Granger

Université de Caen Normandie

charline.granger@yahoo.com

Sara Harvey

Université de Victoria (Colombie-Britannique, Canada)

saraharvey@uvic.ca

Tiphaine Karsenti

Université Paris Nanterre

tkarsenti@parisnanterre.fr

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Droits d’auteur

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