Une frontière ouverte à tous les vents : la construction de l’identité collective de l’île de Kinmen
Résumés
L’île de Kinmen, située à seulement 10 km au large des côtes chinoises, en face de Xiamen (capitale de la province du Fujian), fut envahie par Tchang Kaï-Chek en 1949 après son exil à Taïwan, et transformée en base militaire de reconquête de la Chine continentale. En 1992, le gouvernement de Taïwan mit fin à la loi martiale, et métamorphosa l’île en un lieu touristique pour les Taïwanais ainsi que pour les nouveaux touristes venus de Chine continentale. Les touristes viennent à la fois profiter d’espaces préservés de l’expansion urbaine et frissonner devant les images d’un conflit possible entre les deux Républiques de Chine qui continuent de s’ignorer mutuellement du point de vue juridique mais ne cessent d’intensifier leurs échanges. À l’aune de cette conjoncture frontalière, Kinmen semble être un excellent terrain d’observation des recompositions des notions de patrimoine naturel et culturel chinois. À partir d’enquêtes ethnographiques sur les pratiques patrimoniales mises en œuvre sur cette « île-bordure » entre la Chine et Taïwan, nous établirons qu’il a été possible de conserver un héritage architectural autrefois menacé par la guerre, et que ce défi s’est incarné dans l’aphorisme « Le vent Wen souffle fort » (Wen feng ding sheng, 文風鼎盛). Nous mettons ici en évidence que cet adage est la résultante de longs débats qui révèlent peu à peu l’attachement viscéral des autochtones à leur passé et à leur environnement, et une évolution du concept même d’architecture traditionnelle. Cet article nous permet d’expliquer plus profondément le concept du Wen à la lumière du contexte marginal de l’île, ensemble situé au milieu de deux espaces économiques et politiques antagonistes. Après observation, il paraît évident que les habitants de Kinmen ont la volonté de construire et défendre leur identité en faisant souffler fort le vent « Wen ».
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Mots-clés :
frontière, écriture, identité collective, ancêtre, lignage, lettré, concours impérial, architecture, éducation moderne, ZhuXi, Parc national, sentinelle écologiqueKeywords:
Frontier, writing, collective identity, ancestor, heredity, literate, imperial competition, architecture, modern education, ZhuXi, national park, ecological sentinelPlan
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Introduction1
- 1 - Je tiens à remercier M. Frédéric Keck qui m’a proposé d’étudier le patrimoine de Kinmen et m’a en (...)
- 2 - FRESNAIS, Jocelyne. La Protection du patrimoine en République populaire de Chine (1949-1999). Par (...)
- 3 - EDMONDSON, Robert. Memories of the Future: National Identity Issues and the Search for a New Taïw (...)
1Il n’existe pas de réel équivalent chinois au terme français de « patrimoine »2, que ce soit dans le cadre plus large des politiques culturelles menées en Chine populaire ou dans celui du processus engagé à Taïwan visant à la construction d’une identité politique nationale nouvelle3. On trouve deux mots pour le traduire :
2– le mot moderne yichan (遺產), qui signifie « héritage provenant des ancêtres » et se rapproche plutôt du sens originel du français « patrimoine » (issu du latin patrimonium, « héritage provenant du père », qui désigne les biens hérités des ascendants paternels),
3– mais également parfois le mot guji (古蹟), qui, lui, signifie « traces du passé » et correspond davantage à la notion de patrimoine au sens où on l’entend à l’échelle européenne, y intégrant la composante matérielle historique d’un site ou d’un monument marqué par le passé.
- 4 - LIU, Ming-Feng. “Land in the Construction of Translocal Chinese Community: The Ideal-type of Land (...)
4Sur l’île de Kinmen, à la frontière entre la Chine et Taïwan où je mène des recherches ethnographiques, les habitants emploient deux autres termes pour définir cette notion : zuchan (祖產) – ou tsóo-sán en langue min-nan – qui désigne la propriété ancestrale et s’applique à la terre et à l’immobilier4, et wenzi (文資) qui qualifie les ressources de la civilisation. C’est à ces différents sens que cet article s’attachera pour examiner la notion de patrimoine sur le territoire de Kinmen.
- 5 - SZONYI, Michael. Cold War Island: Quemoy on the Front Line. Cambridge/New York : Cambridge Univer (...)
- 6 - Cette ville était autrefois nommée Amoy par les colons européens qui s’y établirent au xixe siècl (...)
5L’île de Kinmen, connue au xixe siècle sous le nom de « Quemoy » par les observateurs européens qui faisaient du commerce sur la côte du Fujian, fut le siège de terribles batailles qui opposèrent dans la seconde moitié du xxe siècle l’armée de la Chine communiste et l’armée de Tchang Kaï-chek. Après la victoire de Mao Zedong en 1949, Tchang Kaï-chek, réfugié à Taïwan avec son armée, avait l’idée de reconquérir la Chine continentale à partir de Kinmen5. Il y installa entre 150 000 et 200 000 soldats et occupa l’île où, durant les années 1950, furent menés de très violents combats qui firent des milliers de morts enterrés sans aucune cérémonie. La loi martiale fut imposée par le gouvernement de Taïwan qui interdit aux habitants de Kinmen de s’approcher des rivages, de pêcher au large, et a fortiori, d’avoir des contacts avec la population des côtes de Chine continentale, particulièrement avec leurs « voisins » de la ville de Xiamen6, située juste en face, à 9 kilomètres de leur île. Kinmen devint alors une frontière entre deux États qui s’opposaient, revendiquant chacun le titre de représentant légitime de la Chine traditionnelle, des deux côtés de la mer de Chine.
6En 1992, la guerre froide prit fin avec la levée de la loi martiale par Tchang Ching-kuo, fils de Tchang Kaï-chek, mort dix-sept ans auparavant, et auquel il avait succédé à la tête de la République de Chine à Taïwan. Ce fut en 1995 que le gouvernement de Taïwan décida de créer un vaste parc national dans l’île de Kinmen afin de protéger l’environnement, mais aussi de conserver et de mettre en valeur des anciennes maisons traditionnelles et des temples de type min-nan de l’époque des Ming et des Qing. Ceux-ci subsistent sur son territoire, sous la responsabilité de l’État et des habitants de l’île. Kinmen devint alors une destination touristique très prisée des Taïwanais. En 2002, depuis la pacification des relations avec la Chine populaire, c’est un lieu de villégiature que privilégient tout particulièrement les nombreux touristes de Chine continentale, qui viennent visiter ce territoire propice à la détente à partir de la ville de Xiamen.
- 7 - BILLIOUD, Sébastien. « Éditorial ». Perspectives chinoises [en ligne], 2008/3 | 2008, mis en lign (...)
7Durant les 43 ans qu’a duré l’interdiction de circulation des hommes et des biens à Kinmen, l’île de Taïwan a construit un modèle démocratique original et a connu une croissance économique qui lui a permis de compter parmi les quatre « dragons » asiatiques (dits aussi NPIA, nouveaux pays industrialisés d’Asie). Durant ce temps, la Chine continentale, qui avait mené sa réforme économique en 1978, a impulsé une dynamique expansionniste qui apparaît aujourd’hui encore comme une menace pour les pays voisins7. En face de Kinmen, la ville de Xiamen connaît quant à elle un réel essor économique et démographique favorisé par le statut de « zone économique spéciale » dont elle bénéficie depuis 1980. Ce développement a eu des conséquences négatives, particulièrement sur l’environnement naturel de Kinmen (fig. 1).
8Depuis 2002, la menace écologique due au tourisme de masse a supplanté la menace militaire aux yeux des habitants de l’île. La vie sur ce territoire-frontière ne se caractérise pas seulement par un attachement primordial à l’origine des peuples – les habitants revendiquent en effet leur descendance directe des peuples du Fujian – mais aussi à un attachement à la terre elle-même ainsi qu’aux ressources naturelles de l’île, aujourd’hui mises en danger par l’affluence des touristes en provenance directe de Xiamen. Kinmen est devenue, malgré elle, la frontière entre deux États antagonistes qui n’envisagent pas l’écologie de la même façon. Comment ses habitants réagissent-ils aujourd’hui à la destruction de leur écologie par l’évolution économique de la Chine continentale ?
9À partir d’une enquête de terrain sur les pratiques patrimoniales mises en œuvre à la frontière entre Taïwan et la Chine, je montrerai qu’il a été possible de conserver un héritage architectural autrefois menacé par la guerre, et que ce défi s’est incarné dans l’aphorisme « Le vent Wen souffle fort » (Wen feng ding sheng, 文風鼎盛). Cet adage est la résultante de longs débats qui ont révélé l’attachement viscéral des autochtones à leur passé et à leur environnement, et a joué un rôle prépondérant dans la manière dont est appréhendée dès lors l’architecture traditionnelle.
10Dans cet article, je me suis employée à expliquer le concept du Wen à la lumière du contexte marginal de l’île de Kinmen, frontière malgré elle entre deux espaces économiques et politiques antagonistes, et comment ses habitants construisent et défendent leur identité en faisant souffler le vent Wen.
Kinmen : du lieu sauvage initial (manyi, 蠻夷) au « vent civilisateur qui souffle fort » (Wen feng ding sheng, 文風鼎盛)
11Pour comprendre ce à quoi se rapporte Wen à Kinmen et ce qu’il englobe, il faut avant tout situer l’île géographiquement et culturellement. Pour le sinologue Marcel Granet (donner référence), l’expression désignant la conception impériale de l’espace :
“tout sous le Ciel” (tianxia, 天下) est chargé[e] de la connotation suivante : le Ciel étant rond et la Terre carrée dans la cosmologie chinoise, les quatre coins de la Terre qui ne sont pas couverts par le Ciel (ni donc circonscrits par les cycles du Soleil et les pérégrinations de l’Empereur) sont conçus comme des territoires incultes peuplés d’êtres non civilisés.
- 8 - FREEDMAN, Maurice. Lineage Organization in Southeastern China. Londres : University of London Ath (...)
12Dans la Chine antique, on employait les mots yi (夷), man (蠻), di (狄) et rong (戎) pour désigner les quatre parties géographiques non civilisées par opposition au Céleste Empire (天朝). La province du Fujian, située dans le sud-est de la Chine et à laquelle appartient Kinmen, était considérée comme man yi (蠻夷). Employés ensemble, ces deux mots qualifiaient un lieu ou un peuple non civilisé, dans la Chine antique. La situation a évolué à mesure que se diffusa la politique en faveur des lignages et grâce au concours impérial. Zhu Xi (朱熹,1130-1200), fonctionnaire néo-confucéen qui mena sa carrière politique principalement dans la province du Fujian, joua un rôle fondamental dans ce processus8.
13Si la province du Fujian a longtemps été considérée comme un lieu non civilisé, l’île de Kinmen était perçue comme plus marginale encore. C’est la dynastie des Song qui permit qu’il en soit autrement. Selon les Annales du district de Kinmen,
- 9 - « … 一邑禮俗之良窳,繫乎文風之興替,然亦隨時代風氣而轉移。金門民風純樸,夙有『海濱鄒魯』之稱,宋以前草萊初闢,民習勤勞,宋以後受朱子化,民尚禮義,明則文風興盛,涵詠詩書…… »。voir l (...)
les ancêtres des habitants de Kinmen étaient des immigrants venus des plaines centrales […] Avant l’époque des Song, l’île a été explorée, les habitants étaient des travailleurs. Après les Song, elle a reçu l’influence transformatrice de maître Zhu, les habitants se sont alors pris de passion pour les rites. Avec la dynastie des Ming, « le vent civilisateur a soufflé fort » dans l’île, les habitants récitaient des livres et des poèmes9 […].
- 10 - LIN, Chun-hung, professeur de l’histoire de la pensée politique de l’université de Taïwan.
- 11 - Voir YANG, Ch’ing-kuo. Haibin zoulu zhuzi dao-jinmen Wenjiao xianying. Cultural Affairs Bureau of (...)
14« Le vent civilisateur/littéraire souffle fort » (Wen feng ding sheng, 文風鼎盛) est une expression tirée de l’ouvrage Le Cœur de la littérature et la Sculpture des dragons (Wenxin Diaolong, 文心雕龍) de Liu Xie (465-521), considéré comme le texte le plus important sur l’esthétique littéraire chinoise. Composée de quatre mots, cette expression est souvent employée comme un adjectif. D’après Lin Chun-hung10, à l’époque ancienne elle décrivait un lieu ou une période qui valorisait le concours impérial, qui avait pour socle la culture confucéenne. Récemment, Yang Ch’ing-kuo (楊清國), ancien directeur d’un lycée de Kinmen et auteur d’un ouvrage sur l’histoire de la culture et de l’éducation dans l’île, écrivait dans sa préface : « Bien que Kinmen se trouve dans un lieu marginal, de nombreux talents y sont nés […] Alors on le surnomme Zoulu (鄒魯) dans sa version maritime11. » Comme Confucius est né dans la province du Shandong, également appelée Lu, et Mencius dans la ville de Zou, Zou et Lu ont été réunis pour désigner un lieu où des sages sont nés et qui valorise le développement culturel. À travers l’architecture des maisons et des sépultures de l’époque ancienne qui ont été conservées à Kinmen, on peut retracer la prospérité de l’entreprise Wen sur l’île au cours de son histoire.
De la propriété ancestrale au patrimoine
L’architecture de la maison et de la sépulture à l’époque ancienne
15Comme l’île de Kinmen faisait partie de la province du Fujian, son architecture est principalement de style min-nan (閩南). Min-nan (閩南) désigne l’aire culturelle du sud du Fujian qui comprend trois villes : Zhangzhou (漳州), Quanzhou (泉州) et Xiamen (廈門). Une grande partie de l’architecture traditionnelle de ces régions a été détruite à l’époque de la révolution culturelle et une autre a disparu avec le développement économique de la Chine continentale. Kinmen, grâce à son histoire spécifique, a pu éviter ce désastre et conserver beaucoup d’anciennes maisons des dynasties des Ming (1368-1644) et Qing (1644-1912). Ainsi, et grâce à la présence de ces anciennes maisons, l’île de Kinmen est devenue le témoin de la culture min-nan alors que dans son foyer d’origine, la culture min-nan a perdu de son originalité du fait des destructions de la révolution culturelle et du développement économique actuel.
- 12 - Le concours pour sélectionner l’administration /les fonctionnaires de l’État fut créé en 605 et s (...)
16La société locale de Kinmen est organisée autour de quelques grands lignages. Chaque lignage possède des propriétés ancestrales (祖產), c’est-à-dire des maisons héritées et des temples lignagers. Le village de Qionglin (瓊林), situé au centre de l’île, correspond à l’un des plus grands lignages de Kinmen. C’est dans ce village que l’on trouve le plus grand nombre d’exemples architecturaux datant de l’époque ancienne conservés sur l’île, lesquels remontent à 1840 pour le plus récent et jusqu’à 1522-1566 pour le plus ancien. Qionglin était connu sous le nom de Pinglin (平林). Le lignage des Cai (蔡) est arrivé sur l’île à la fin de la dynastie des Tang (618-907). Sous la dynastie des Ming, trois membres de ce lignage, Cai Gui-yi (蔡贵易), Cai Xian-chen (蔡獻臣) et Cai Shou-yu (蔡守愚) ont réussi le concours impérial12, obtenant ainsi le titre de jinshi (進士, terme désignant les candidats qui ont réussi au concours impérial). Répondant à la demande du préfet de la province du Fujian, l’empereur Xizong (熹宗, 1605-1627) décida d’octroyer le nom de Qionglin (瓊林) au village du lignage des Cai. Qionglin (瓊林), au sens littéral, signifie « forêt en jade » mais sert en fait à désigner le paradis. De 984 à 1112, le banquet offert par l’empereur aux candidats qui réussissaient le concours impérial fut nommé « le banquet Qionglin » (瓊林宴). Ce nom fut donné au village afin de souligner que de nombreux talents y étaient nés (fig. 2).
- 13 - CAO, Chunping. 曹春平, L’Architecture traditionnelle de Min-nan, « 闽南传统建筑 ». Université de Xiamen, 厦 (...)
- 14 - Un habitant de Kinmen que j’ai interrogé décrit l’architecture min-nan avec cette formule : 金是圓-富 (...)
17Après avoir reçu cet honneur impérial, le lignage Cai fut de plus en plus prospère. Sous les Ming et les Qing, on comptait six jinshi et sept juren (舉人, titre utilisé pour les candidats qui ont réussi le concours impérial d’un statut inférieur à celui de jinshi). Jusqu’à nos jours, dans le village de Qionglin, 188 maisons et 8 temples lignagers ont été construits dans le style strictement min-nan, correspondant aux constructions de type « toits en forme de queue d’hirondelle ou de selle de cheval » (yanwei mabei, 燕尾馬背)13. La « queue d’hirondelle » est réservée au temple lignager et aux maisons des familles les plus prestigieuses. La « selle de cheval » apparaît plus souvent dans les maisons des familles ordinaires. Il faut souligner que la « selle de cheval » se présente sous cinq formes différentes qui correspondent aux cinq éléments des cosmologies chinoises traditionnelles : bois, feu, terre, métal et eau. Chaque élément porte un sens spécifique : le métal se représente sous la forme ronde, il engendre la richesse ; le bois se dresse verticalement, il symbolise l’avancement de la carrière d’un fonctionnaire ; la surface de l’eau qui court signifie que tout se passe bien comme de l’eau qui coule sans obstacle ; la flamme du feu peut repousser les esprits malfaisants ; la terre se présente comme en carré et sert à désigner la fertilité14. En observant l’apparence de l’architecture, on peut aussi identifier la position du lignage dans la hiérarchie sociale. Par exemple, le bois est peu présent car seuls ceux qui possédaient le titre de fonctionnaire pouvaient construire leur maison avec ce matériau. La terre et le métal sont le plus communément employés, car fertilité et richesse représentent ce que demande le plus grand nombre (fig. 3).
Figure 3
Détail architectural du style « selle de cheval » qui représente le symbole du métal.
Phot. Chung Li-wai, 2018. © Chung Li-wai.
18La position sociale se voit également à la sépulture des ancêtres. Autrefois, les sépultures de l’empereur, des aristocrates, des hauts fonctionnaires et des roturiers étaient bien distinctes.
- 15 - FAURE, David. « La solution lignagère. La révolution rituelle du xvie siècle et l’État impérial c (...)
Le nombre de générations pour lesquelles le sacrifice aux esprits des ancêtres devait être observé correspondait au style architectural de la sépulture : les empereurs sacrifiaient à autant d’ancêtres que pouvait en contenir le sanctuaire impérial qui leur était consacré ; les aristocrates et les hauts dignitaires publics sacrifiaient à un nombre d’ancêtres qui allait décroissant avec leur rang, dans des temples connus sous le nom de « temples familiaux », et dont le style de construction était défini par la loi ; les roturiers, enfin, ne pouvaient sacrifier qu’à trois générations seulement d’ancêtres, sur leurs autels domestiques15.
- 16 - CHANG, Jianhua. 常建华, Le système du rite de sacrifice lignager et sa transformation à la dynastie (...)
19Un temple lignager plus spacieux et visible devient le symbole d’une position sociale plus élevée. Le concours impérial d’État était le seul moyen d’avancement social16. Dès cette époque, le « vent civilisateur » avait déjà commencé « à souffler » sur l’île de Kinmen. Beaucoup d’habitants se consacraient à l’étude des classiques confucéens afin d’honorer leur lignage. En effet, selon le guide Roger Yang, on compte 44 jinshi provenant de Kinmen, dont 6 sous la dynastie des Song, 31 sous les Ming, et 7 sous les Qing (fig. 4).
Figure 4
Architecture de type « queue d’hirondelle », maison transformée depuis en chambre d’hôtes.
Phot. Chung Li-wai, 2018. © Chung Li-wai.
20L’abondance actuelle de l’architecture min-nan sur l’île témoigne de cette histoire. Du fait de « sa longue histoire, de ses symboles culturels de l’époque ancienne et de son artisanat populaire », le gouvernement taïwanais a reconnu en 1985 le village de Qionglin et tous ses ensembles architecturaux comme patrimoine national. Le parc national de Kinmen, créé en 1995, a ensuite intégré cet ensemble patrimonial. Ainsi est-il l’un des seuls qui comporte des éléments de culture militaire et d’architecture min-nan (les maisons historiques du village), et pas uniquement des richesses naturelles, comme c’est le cas des huit autres parcs nationaux de Taïwan. L’un des descendants du lignage Cai, Cai Qunsheng (蔡群生) a publié La grâce impériale - Qionglin (« 御赐里名-琼林 »), ouvrage dans lequel il présente l’histoire de ses ancêtres – dans la collection « Histoire villageoise de Kinmen » (« 金門村史 ») éditée par le bureau municipal des Affaires culturelles.
Le bâtiment Chen Jinglan et l’éducation moderne
21(fig. 5)
Figure 5
Bâtiment Chen Jinglan, aujourd’hui musée très fréquenté par les touristes.
Phot. Chung Li-wai, 2018. © Chung Li-wai.
22L’architecture de Kinmen a longtemps été caractérisée par le seul style traditionnel min-nan. Vers la fin du xixe et au début du xxe siècle, un autre style d’architecture inspiré de l’architecture de style occidental a été introduit à Kinmen par ceux de ses habitants qui avaient travaillé à Singapour et en Malaisie. Ce style d’architecture est appelé yanglou (洋樓), ce qui signifie « bâtiment occidental », reflétant ainsi la colonisation des deux pays par l’Angleterre. Parmi les exemples de cette architecture, le bâtiment le plus fameux est appelé Chen Jinglan (陳景蘭洋樓), du nom de son mécène. Ce bâtiment servait d’école privée gratuite pour tous les descendants du lignage Chen. Il est intéressant de noter que l’initiative de sa construction revient également au lignage Cai de Qionglin. Alors que le lignage Cai était prospère, le lignage Chen était constitué de pêcheurs. Les deux lignages furent néanmoins longtemps alliés, avant que leurs liens matrimoniaux ne s’interrompent et qu’ils ne s’affrontent en un combat à main armée.
23Chen Jinglan (1881-1943), descendant du lignage Chen, étudia les classiques confucéens dans une école privée (Sihu, 私塾) lorsqu’il était enfant. Ses études furent interrompues par la guerre qui éclata à la fin de la dynastie des Qing, et comme beaucoup de jeunes gens de sa génération, il choisit de quitter l’île. À 21 ans, il embarqua pour Singapour où il gagna de l’argent dans le négoce et où ses affaires furent florissantes. Pour partager sa bonne fortune, de retour dans sa région natale, il décida d’aider son lignage et en 1917, il utilisa un projet architectural dessiné par un Occidental (selon ses indications) pour fonder l’école Shang-qing (尚卿). La construction fut achevée en trois ans. Il fit venir des enseignants de Xiamen. Le nom de cette école est révélateur car il évoque le rêve de nombreux habitants de Kinmen de devenir fonctionnaires grâce à l’éducation : shang signifie « apprécier » et qing est un titre de fonctionnaire de haut niveau en Chine impériale. Trois élèves sortirent de cette école avec le titre de docteur. Le bâtiment fut utilisé comme hôpital pendant la guerre civile. En 2005, il a été restauré par le gouvernement taïwanais et est devenu un musée, l’un des lieux les plus visités de l’île.
24Le village Qionglin et le bâtiment Chen Jinglan ne sont pas seulement des exemples représentatifs de l’architecture que l’on trouve à Kinmen, ce sont aussi deux remarquables témoins de l’entreprise de Wen dans l’histoire de l’île, souvent présentés aux touristes. Aujourd’hui, les habitants et les autorités locales se mobilisent aussi pour faire inscrire leur île sur la liste du Patrimoine mondial de l’Unesco. Des séries de conférences, des colloques sur le sujet se sont succédé à Kinmen. Cependant, ce projet n’a aucune chance d’aboutir étant donné que Taïwan n’est pas autorisé à ratifier la convention du Patrimoine mondial de l’Unesco puisque la Chine populaire s’y oppose. Pourquoi les autorités et les habitants ont-ils choisi de fermer les yeux face à cette évidence ? Nous tenterons de comprendre plus précisément les motifs de cette volonté de construire le patrimoine du point de vue des habitants eux-mêmes et pas seulement des autorités.
La ressource de Wen de nos jours
La rénovation des monuments historiques et la réactivation d’un personnage ancestral
25Le vent Wen qui souffle sur l’île ne se contente pas de protéger les constructions architecturales traditionnelles mais favorise aussi la production culturelle contemporaine. L’épanouissement des entreprises culturelles à Kinmen est largement tributaire du soutien du gouvernement taïwanais. Le bureau municipal des Affaires culturelles de Kinmen a été créé en 2004. Son premier directeur, Lee Chu-feng (李炷峰), a lancé de grands événements culturels lors de son mandat, parmi lesquels la rénovation de l’académie de Yan-nan (Yan-nan shuyuan,燕南書院) est un cas représentatif. Selon la presse locale et les habitants, cette académie aurait probablement été créée par Zhu Xi à l’époque des Song (960-1279). Ce dernier se serait en effet rendu à Kinmen (même si aucune source ne le confirme). Sa rénovation a été décidée en 2006, pour un coût de 110 millions de dollars taïwanais (soit 3,40 millions d’euros). Dans le même temps s’est constituée autour de cette académie une zone culturelle (Yan-nan wenhua yuanqu,燕南山文化園區). Lee Chu-Feng avait entrepris ces travaux dans une volonté à la fois de protection du patrimoine matériel et de développement culturel et touristique. L’académie fut ensuite inaugurée une nouvelle fois en 2015 par le maire Chen Fu-Hai (陳福海) (fig. 6).
Figure 6
Académie de Yan-nan, au style « queue d’hirondelle ».
Phot. Chung Li-wai, 2018. © Chung Li-wai.
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26L’ancien directeur du Journal de Kinmen, Yang Shu-qing, a été nommé premier directeur de l’académie. Dans son discours de prise de fonction, il a annoncé que l’académie de Yan-nan allait développer des expositions et des enseignements, créer une bibliothèque pour les collections d’études sur Zhu Xi au sein de l’académie et organiser régulièrement des conférences et une formation pour étudier les classiques chinois. En 2016, l’académie de Yan-nan a co-organisé un festival culturel sur Lin Hsi-yuan (林希元, 1481-1565) avec l’académie de Xi-yuan de l’île Da-deng (希元書院)17. Ce disciple de Zhu Xi, originaire de l’île de Da-deng18, est aujourd’hui un personnage reconnu comme étant originaire de Xiamen. Plus récemment, lors d’une réunion interne, le 1er décembre 2016, le maire de Kinmen, Chen Fu-hai (陳福海), a proposé de relancer le sacrifice en l’honneur de Zhu Xi et de créer un festival annuel qui lui soit consacré afin que Kinmen devienne un centre d’études sur Zhu Xi et sur la culture traditionnelle (fig. 7).
Figure 7
Statue de Zhu Xi, à l’intérieur de l’académie Yan-nan.
Phot. Chung Li-wai, 2018. © Chung Li-wai.
- 19 - BOLTANSKI, Luc et ESQUERRE, Arnaud. Enrichissement. Une critique de la marchandise. Paris : Galli (...)
27Lors de mon enquête de terrain, le nom de Zhu Xi était très souvent mentionné par les personnes avec lesquelles je me suis entretenue, tout comme je le rencontrais fréquemment dans les documents officiels. Pour les habitants de Kimmen, le nom de Zhu Xi est une sorte de carte de visite qui contribue à donner à l’île une image de marque. Cependant, personne ne parlait de l’école néo-confucéenne dont Zhu Xi est l’un des représentants. En réalité, la majorité des habitants n’a pas de vraie connaissance de sa pensée. Autrement dit, cette innovation patrimoniale qui s’appuie sur Zhu Xi incarne une volonté du gouvernement et des élites locales qui se hâtent de construire une image identitaire depuis que l’île est devenue un lieu touristique19.
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28Pourquoi ont-ils choisi Zhu Xi ? D’abord parce que son identité de « lettré » est acceptable du point de vue politique, pour être exposée au marché touristique du continent. Ainsi, la réactivation du culte de Zhu Xi de Kinmen fait écho à l’engouement pour la culture traditionnelle qui progresse en Chine continentale20. D’après un de mes interlocuteurs, l’académie de Yan-nan a déjà noué une alliance avec plusieurs académies du continent, comme l’académie de la Grotte du cerf blanc (白鹿洞書院) de la province du Jiangxi21, ainsi que l’académie de Da-guan (大觀書院) et celle de Xi-yuan (希元書院) dans la province du Fujian. L’alliance entre ces académies relève d’un intérêt commun : la promotion de la culture traditionnelle en vue de développer le tourisme. Par ailleurs, tous ces événements culturels témoignent du fait que le gouvernement taïwanais et les élites de Kinmen œuvrent plus que la Chine continentale à faire connaître le patrimoine culturel dont l’île a hérité et qu’elle a conservé. Autrement dit, Kinmen se revendique comme la dépositaire de l’identité culturelle chinoise. Rappelons à ce titre que la culture confucéenne fut particulièrement visée par la révolution culturelle (fig. 8).
Figure 8
Statue de Zhu Xi, à l’intérieur de l’académie Wu-Jiang.
Phot. Chung Li-wai, 2018. © Chung Li-wai.
L’écriture comme technologie de préservation
29Depuis la levée de la loi martiale à Kinmen en 1992, les habitants voient dans la culture traditionnelle une opportunité pour se construire une nouvelle identité. Or le moyen d’acquérir ce titre de « lettré » est d’écrire des livres. Les enseignants à la retraite souhaitent continuer à porter ce titre honorifique et participent ainsi activement à l’écriture. Le titre de « travailleur de l’histoire et de la culture » (Wen shi gongzuo zhe文史工作者) est reconnu par la société de Kinmen et assimilé à une profession respectable. Depuis la création du bureau municipal des Affaires culturelles, et avec son concours, 364 livres ont été publiés (ce chiffre n’inclut pas les revues). Afin de mieux comprendre à quoi correspond plus profondément ce vent Wen pour les habitants de l’île, il est nécessaire de s’intéresser aux auteurs de ces livres.
- 22 - Le titre de « professeur » est employé dans la société chinoise par politesse et même avec défére (...)
Prenons le cas de M. Lin, qui, à 54 ans, est considéré comme un expert de Wen, et revendique l’identité de « travailleur de l’histoire et de la culture ». Ces « travailleurs » n’appartiennent à aucune organisation concrète, et ne forment en réalité aucune corporation, aucun corps de métier. Ils participent régulièrement à des projets de recherche, à des publications qui sont lancés par le bureau municipal des Affaires culturelles ou touristiques ou par le parc national, donnent des conférences, etc., et peuvent de ce fait porter ce titre, dont ils sont très fiers. Ces personnes, principalement d’anciens militaires, enseignants de lycée ou de collège à la retraite, ont une bonne connaissance de la localité mais n’ont pas forcément de formation universitaire dans la matière concernée22.
30En consultant le site Internet du bureau municipal des Affaires culturelles et en cliquant sur le nom de M. Lin, j’ai découvert la liste de ses travaux : il apparaît ainsi qu’entre 2005 et 2010, il a écrit 4 ouvrages et dirigé 4 projets de recherche. En parallèle, il est à la tête ou membre de 6 associations de Kinmen, qui touchent différents domaines : la culture, l’architecture, la fête religieuse, la céramique, le documentaire, la photographie, etc. En tant qu’expert de Wen, il donne régulièrement des conférences pour le grand public de Kinmen. Je l’ai interrogé au sujet de son parcours universitaire. Voici ce qu’il m’a répondu :
Mes ancêtres étaient des experts dans les domaines traditionnels, je m’intéresse à l’histoire depuis tout petit, j’ai appris les beaux-arts et la photographie au lycée. Je suis allé à Taïwan pour faire mes études en 1992, je suis retourné à Kinmen en 1995. Depuis 1994, je suis systématiquement allé dans les différentes villes du continent pour faire des échanges culturels. La culture, l’art et l’histoire sont mes passions. J’étudie spontanément, par les enquêtes de terrain et l’archéologie. J’ai beaucoup appris. Ma famille est comme une miniature de l’histoire moderne. Écrire sur l’histoire de Kinmen, pour moi, est comme raconter l’histoire de ma propre famille, pour laquelle j’ai un attachement profond et où se trouvent mes racines. L’école ne peut pas fournir la même formation et la même expérience que la société. Je travaille souvent avec ma femme, elle aussi est une travailleuse en littérature et en histoire.
31Finalement, j’ai trouvé son curriculum vitae sur un appel à projets du bureau des Affaires culturelles de Kinmen. Il y est écrit que Lin ? a une licence en rédaction (équivalent de Bac +3) de l’université Shih Hsin (世新大學) à Taipei. Après sa licence, il n’est pas entré au service du gouvernement ou dans une entreprise pour commencer un vrai métier mais il a activement participé à des travaux de rédaction, d’édition ou de formation relatifs à l’histoire et la culture, lancés par l’administration locale ou le parc national de Kinmen.
32L’autre personne à laquelle les habitants de Kinmen font régulièrement référence comme étant un expert de Wen s’appelle M. Tsuang, professeur de biologie à la retraite ayant exercé au lycée de l’île. Il vient pratiquement tous les jours se promener autour du lac Cihu (慈湖), qui se trouve au nord-ouest de l’île. Il m’a raconté que, du début du mois d’octobre à la fin du mois de mars, environ 13 000 à 15 000 cormorans arrivent de Sibérie pour séjourner entre Xiamen et Kinmen. Il a observé qu’ils quittaient Kinmen chaque matin entre 9 et 10 heures en direction de Xiamen où ils restaient la journée pour se nourrir (Xiamen possédant un banc de sable plus large), puis qu’ils rentraient aux environs de 15-16 heures de Xiamen pour aller passer la nuit à Kinmen (car l’excès de lumière artificielle de Xiamen les perturbe). Ces allers-retours à travers le détroit se justifient donc pour trouver de meilleures conditions de vie... Des arbres filaos (Casuarina equisetifolia Forst) plantés par les militaires durant la guerre froide en raison de leur grande adaptabilité à tous les types de sols et pour leur fonction de « coupe-vent » fournissent aujourd’hui des lieux d’accueil parfaits pour les cormorans (fig. 9).
- 23 - Voir le site : http://www.kmnp.gov.tw/ [consulté le 11/01/2019].
33M. Tsuang est diplômé en biologie de l’université normale de Taïwan. D’après lui, à son époque, l’une des conditions pour entrer à l’université était d’appartenir au Kuomingtang (« Parti nationaliste chinois »), ce qui n’était pas son cas. De ce point de vue, il fait donc figure d’exception. Grâce à son prénom, Si-ging, qui signifie « aller vers l’ouest », synonyme de « assaillir le continent », il était considéré comme « politiquement correct ». Ce prénom lui a permis d’entrer à l’université sans aucune difficulté et de trouver facilement un travail au lycée de Kinmen. Il fonda la Société des observateurs d’oiseaux de Kinmen en 1992. Depuis la création du parc national, il participe régulièrement aux projets de recherche et de formation. Sur le site internet du parc23, la rubrique « Protection et Recherche » présente de nombreux travaux sur l’écologie et l’environnement signés de son nom. L’un de ses livres, intitulé Observer les oiseaux à Kinmen (« 鸛鳥金門 »), disponible dans tous les services publics de l’administration locale, présent dans tous les hôtels ainsi que dans toutes les bibliothèques particulières des résidents, est devenu un ouvrage de référence sur l’île.
- 24 - KECK, Frédéric. « Sentinels for the Environment: Birdwatchers in Taiwan and Hong Kong ». China Pe (...)
34Même après sa retraite, Tsuang continue bénévolement à faire le tour de son île pour identifier les menaces écologiques. C’est lui qui a découvert que l’extraction du gravier par les bateaux de Xiamen en vue de la construction d’un nouvel aéroport avait provoqué l’effondrement de la ligne côtière de Kinmen. Il ramasse souvent les déchets laissés par les touristes. Grâce à son assiduité, il est considéré comme la sentinelle écologique de l’environnement de Kinmen24. Lorsqu’il « patrouille », il photographie les oiseaux et enregistre leur chant. Il précise :
C’est une habitude que j’ai prise lorsque j’enseignais au lycée, j’ai fait cela pour mes élèves, je n’aimais pas utiliser les manuels scolaires qui ne sont pas assez dynamiques, je préférais me servir d’outils de travail que je produisais moi-même : ils provenaient de l’île, de chez nous, et mes élèves les acceptaient et s’y adaptaient plus facilement.
35Les entretiens que j’ai eus avec ces hommes et la lecture de leurs travaux m’ont permis de tirer deux enseignements principaux. Premièrement, leurs connaissances ont été majoritairement accumulées à partir de l’histoire orale de leurs propres familles et de leur expérience personnelle, qu’ils trouvent plus légitimes que la formation universitaire ou l’enseignement scientifique. Certains ont fait mention d’un ouvrage écrit par un historien de l’université de Harvard présent sur leur île, traduit en 2012 en chinois, dans lequel ils avaient repéré quelques erreurs relatives à des informations factuelles (concernant le nombre de morts, notamment), accusant cet historien de Harvard de ne pas connaitre suffisamment l’île de Kinmen, n’étant pas lui-même un autochtone. Leur critique, fondée sur des erreurs de chiffres qu’ils jugent rédhibitoires, témoigne surtout de leurs lacunes et de leur niveau de formation, qui ne leur permettent guère de s’inscrire dans un débat scientifique. Deuxièmement, tous les sujets traités sont en rapport avec la localité, car les projets sont lancés par l’administration locale qui les délimite autour de ce qu’elle connaît, à savoir la localité. C’est aussi la raison pour laquelle la majorité de ces travaux sur l’île sont subjectifs et apologétiques. Ils ne font la plupart du temps référence à aucun travail de recherche scientifique et sont souvent répétitifs et strictement informatifs : ainsi, la moitié du contenu d’un ouvrage sur l’histoire de l’île plagie littéralement les Annales de Kinmen.
- 25 - L’obus d’argent désigne un métal précieux, qui fut utilisé comme monnaie d’échange en Chine ancie (...)
- 26 - VIDAL, Fernando et DIAS, Nélia (éd.). Endangerment, Biodiversity and Culture. Londres : New York, (...)
36Dans les deux cas, toutes les connaissances sur Kinmen constituent la ressource de Wen, autrement dit le patrimoine naturel et culturel de Kinmen. Mais le développement économique de la Chine et le tourisme représentent de grandes menaces pour le patrimoine de Kinmen. Un des habitants de l’île que j’ai interrogé m’a d’ailleurs dit que Kinmen, qui avait résisté à l’artillerie, allait bientôt être conquise par l’« obus d’argent »25. Sur ce point, tous ont conscience du fait que la diversité culturelle et biologique de Kinmen est « en danger »26. L’écriture peut être considérée ici comme une technique de préservation par le biais de laquelle les habitants ont mis en œuvre leurs connaissances, leurs idées et leurs émotions. Ainsi, écrire est un acte « civilisateur » qui résiste à la modernité, synonyme de développement industriel et d’exploitation abusive de l’environnement.
Le non-dit sur la passion d’écrire
- 27 - La première librairie de l’île, la librairie « Je suis » (我在), qui vend des livres d’occasion, a (...)
37En réalité, la passion d’écrire témoigne ironiquement de la limite des ressources culturelles et universitaires de Kinmen. D’un côté, les auteurs sont souvent âgés de plus de 50 ans et n’ont pas bénéficié de conditions idéales pour étudier en raison de la guerre qui a duré de 1949 à 1987. D’un autre côté, la plupart de ceux qui ont pu aller à Taïwan pour faire des études ont décidé d’y rester. Aujourd’hui encore, la majorité des jeunes de Kinmen partent effectuer leurs études supérieures à Taïwan. C’est la raison pour laquelle on en rencontre peu dans l’île. Une jeune femme m’a confié qu’elle préférait rester à Taipei après ses études, car elle considère que Kinmen est sous-développée (落後) : « Nous ne pouvons même pas y trouver une librairie »27 m’a-t-elle dit. L’académie de Wu-Jiang (浯江書院) (fig. 10), récemment restaurée, affiche sur son mur un tableau d’honneur avec la liste des personnalités locales titulaires d’un diplôme de doctorat. Cependant, ces docteurs résident aujourd’hui majoritairement hors de l’île. Avec la fuite des élites, les projets de publications sur l’île ne sont plus menés que par des personnes peu qualifiées ou qui n’ont pas la formation nécessaire. La qualité de leurs ouvrages ne fait en général pas l’objet de discussions, les auteurs et les examinateurs appartenant souvent au même groupe.
38Comme il n’y a pas de librairie dans l’île, comment circulent ces livres ? D’après Roger Yang, guide du bureau touristique de Kinmen, la publication des livres n’a pas pour objectif de produire une valeur culturelle et ne s’effectue pas dans un intérêt économique. Selon lui, chaque livre est édité en un nombre d’exemplaires limité (entre 200 et 300 exemplaires), une partie est offerte à l’auteur et le reste gardé par l’initiateur du projet (le bureau des Affaires culturelles ou le parc national). « J’ai souvent l’occasion de faire visiter le bureau des Affaires culturelles à des personnages importants » déclare-t-il, poursuivant : « Les livres s’entassent et forment des montagnes dans les stocks, et beaucoup sont tombés par terre. » Je me suis étonnée : « Cela signifie que tous ces livres n’ont presque pas de lecteurs ? » À quoi il a répondu : « Si, toi et moi, puisque tu fais des recherches sur Kinmen, ce sont des sources de première main. Et moi je lis ces livres pour développer mes connaissances en tant que guide. Je ne peux pas imaginer que d’autres puissent trouver un intérêt à ces livres. »
39Si les livres n’ont pas de lecteurs, comment en tirer un bénéfice économique pour l’auteur et l’éditeur ? En consultant le site du bureau des Affaires culturelles, on trouve facilement des appels à projets. Un projet sur l’histoire villageoise de Kinmen est doté d’un budget de 500 000 dollars taïwanais (soit 15 400 euros). Le candidat peut être une personne originaire de Kinmen ou y séjournant, à titre individuel ou collectif. Ainsi, les aides ne sont pas seulement attribuées pour des projets de publications mais aussi pour l’écriture de mémoires et de thèses. Tous les étudiants originaires de Kinmen ou écrivant sur Kinmen peuvent demander ce financement en étant assurés de l’obtenir. Il est de 80 000 dollars taïwanais (2 465 euros) pour un mémoire, 500 000 dollars taïwanais pour une thèse. Pourquoi le gouvernement est-il si généreux à l’égard de ces entreprises culturelles ?
40Depuis 1992, la production de liqueur de sorgho (Kinmen kaoliang,金門高粱) a été transférée au gouvernement civil. Chaque année, l’entreprise remet entre 4 et 5 milliards de dollars taïwanais (soit 123-154 millions d’euros) à la mairie de Kinmen. Les différents départements conçoivent des projets pour employer cet argent. Le bureau des Affaires culturelles et le bureau des Affaires touristiques lancent des appels à publications qui se superposent ou se confondent. À la différence de la France, un candidat peut simultanément postuler aux aides de chacun des bureaux, rendant ardue la distinction entre les productions de ces deux entités.
41Après la publication d’un livre, l’auteur devient automatiquement « travailleur en histoire et en littérature » ou plutôt expert de Wen. Il pourra ensuite être recruté temporairement comme conférencier ou formateur par le gouvernement lors de différents événements. Son salaire est de 1 650 dollars taïwanais (soit 50 euros) de l’heure, ce qui représente une somme bien supérieure à celle qu’un jeune diplômé à Taipei peut gagner (généralement 22 000 dollars taïwanais – soit 677 euros – par mois, en moyenne). C’est l’intérêt économique qu’elle suscite qui pousse de nombreux habitants de Kinmen à se lancer activement dans l’écriture, contribuant ainsi à faire prospérer l’entreprise de Wen (fig. 11).
Une frontière ouverte à tous les vents
42Comment comprendre l’emploi de l’expression locale zuchan (祖產), propriété ancestrale, face à l’expression générale yichan (遺產), patrimoine ?
- 28 - Le comité lignager est un pur produit de la société confucéenne. C’est une association des représ (...)
43Selon les locaux, la propriété ancestrale représente uniquement les biens immobiliers dont on a hérité de son ancêtre pour assurer sa propre subsistance. Ils servaient comme outils de production et n’ont jamais été considérés comme des objets précieux destinés à être préservés ou collectionnés. Leur propriétaire peut être une famille ou un lignage, ou aujourd’hui souvent un comité lignager, c’est-à-dire que le propriétaire n’est pas une seule personne mais un groupe28.
- 29 - THORAVAL, Joël. « La mort en Chine ». Dans GODELIER, Maurice (dir.). La Mort et ses au-delà. Pari (...)
44La famille ou le lignage désignait dans la société chinoise tous les ancêtres ainsi que tous les membres de la même famille vivant sous le même toit29. L’ancêtre étant considéré comme un esprit ou un dieu de la famille, il confère à la terre et à l’édifice une historicité et une spiritualité, qui deviennent un objet sanctifié, que l’on est obligé de traiter avec piété. Dans ce contexte, la préservation de l’architecture à Kinmen n’est pas seulement une démarche culturelle et esthétique comme ailleurs, elle est aussi religieuse.
- 30 - DESCOLA, Philippe. « À qui appartient la nature ? ». La Vie des Idées, 21 janvier 2008. Voir le s (...)
45Cependant, avant que Kinmen ne devienne une frontière entre la Chine et Taïwan, l’île était une petite société assez fermée, les contacts avec les autres étaient assez limités. L’altérité, pour les habitants, était la présence d’un autre lignage, d’où le conflit qui opposa le lignage Cai au lignage Chen. Mais avec la guerre civile, le conflit déclenché entre les puissances belligérantes qui avaient fondé deux États antagonistes changea la donne. Kinmen, sous la gouvernance de Taïwan, a dû affronter la menace de la Chine continentale. C’est la raison pour laquelle la propriété ancestrale doit obligatoirement être transmise comme patrimoine, et c’est ce qui explique l’obstination manifestée par les habitants et les autorités locales pour que leur île soit inscrite sur la liste du Patrimoine mondial de l’Unesco. Si la propriété ancestrale de Kinmen venait à être considérée comme le bien commun mondial, sous le nom de « patrimoine », elle bénéficierait du plus haut degré de préservation possible30. Ce serait aussi une autre manière d’affirmer l’identité nationale et internationale des habitants de Kinmen.
- 31 - LÉVI, Jean. Réflexions chinoises : lettrés, stratèges et excentriques de Chine. Paris : Albin Mic (...)
46Cette motivation encourage le gouvernement et les habitants à utiliser Zhu Xi comme levier pour développer le tourisme. Ils dépensent la totalité du budget octroyé par le gouvernement, ce qui engendre un engouement pour l’entreprise Wen sur l’île. Si le mot Wen se traduit par « littéraire », il échappe cependant à l’opposition entre nature et culture, car il désigne toutes les connaissances sur leurs habitats que les insulaires de Kinmen sont en train de « patrimonialiser ». Même si les autorités locales et les habitants s’efforcent de faire le lien avec la tradition chinoise et avec l’identité du « lettré », leurs manières d’apprendre et d’écrire ne sont pas les mêmes que celles des lettrés de la Chine ancienne. Le lettré était généralement formé dans les académies privées (私塾) depuis son plus jeune âge pour apprendre le corpus des textes classiques et la rhétorique confucéenne, en vue de passer le concours impérial31. Les experts Wen de Kinmen, eux, n’ont pas eu la chance d’accéder à cette éducation, ayant vécu leur enfance et leur adolescence à l’ombre de la guerre civile, puis de la guerre froide. D’ailleurs, aucun de leurs travaux n’a trait aux classiques chinois.
- 32 - LIU, Lydia He. Translingual practice: Literature, national culture, and translated modernity. Chi (...)
- 33 - LÉVI, Jean. Op. cit.
- 34 - Ciyuan 辞源 (Source de la rhétorique chinoise : Dictionnaire encyclopédique), p. 1482.
47Pourtant, cette fièvre littéraire n’a rien à voir avec ce que l’on appelle « littérature » en Occident, et elle ne s’oppose pas à la « science ». Le concept de « science » n’existait pas avant le xixe siècle en Chine. Il est entré en Chine à partir du Japon par l’intermédiaire d’intellectuels chinois, et fut traduit par kexue (科學)32. Avant cette époque, le domaine du savoir en Chine correspondait principalement à la pensée, à l’histoire, aux annales et aux traités sur les rites, qui faisaient l’objet des sujets du concours impérial. C’est en marge de ces domaines que les Chinois s’intéressaient à la technologie et à l’astrologie. Tous ensemble, ils constituent le patrimoine immatériel chinois. Ainsi, la littérature fournissait un chemin pour changer de statut social33 : grâce à la lecture et à l’écriture, le roturier devenait le lettré, et aujourd’hui les habitants s’improvisent experts de Wen ou « travailleurs en histoire et en culture » selon l’expression locale. Dans ce cas-là, Wen peut aussi être compris comme le « non-martial »34, c’est-à-dire comme désignant une identité collective que les habitants ont commencé à construire après la guerre.
48Toutes ces actions revêtent des formes traditionnelles fondées uniquement sur les traditions orales, les archives historiques ou des expériences personnelles, et n’obéissent pas aux critères de l’analyse moderne des traditions culturelles et patrimoniales (critique des sources, vérifications des faits, etc.). Ces actions Wen répondent certes à un besoin moderne : le développement du tourisme par la culture et la promotion de l’image de l’île par le rattachement à une grande figure intellectuelle de l’Empire chinois (Zhu Xi). Les habitants de l’île profitent ainsi de leur situation frontalière en bénéficiant à la fois du développement économique de la Chine continentale et du développement démocratique de Taïwan. Mais ils le font en se contentant de puiser sans cesse dans leur tradition locale et dans la tradition chinoise des références obligées à de grandes figures du passé liées à l’État chinois, tel Zhu Xi, pour répondre à des demandes très modernes comme le tourisme de masse ou le nouveau nationalisme chinois.
- 35 - HATHAWAY, Michael J. Environmental winds: Making the global in Southwest China. Berkeley/Los Ange (...)
- 36 - KECK, Frédéric. « Lévi-Strauss et l’Asie. L’anthropologie structurale “out of America” ». Écho Gé (...)
49Par ailleurs, le vent désigne quelque chose qu’il est difficile de comprendre au sens où on l’entend en Occident. La notion de « vent » a déjà été examinée par Michael Hathaway dans son ouvrage Environmental winds35. Il l’interprète comme un mouvement social qui combine une perception locale de l’environnement renforcée par des influences exogènes comme l’arrivée du WWF (World Wide Fund for Nature ou Fonds mondial pour la nature) à Yunnan. Ainsi, ce « vent » n’est pas proprement local, ni totalement occidental, ce n’est pas le produit de la politique imposée seulement par le gouvernement, mais les habitants se sont engagés pour le porter. Leur position géographique permet aux habitants de Kinmen d’affronter tous les vents, selon leurs orientations variables36. Finalement, la frontière de l’île de Kinmen est à la fois sous le contrôle et hors du contrôle de ses habitants : hors de contrôle puisque l’île est en effet envahie par le tourisme de masse de Chine continentale, et soumise à l’État taïwanais qui cherche à l’utiliser pour construire son identité, mais dans le même temps, les autochtones gardent le contrôle en décidant eux-mêmes de faire de leur île un lieu exceptionnel, à la frontière des deux Chines.
Notes
1 - Je tiens à remercier M. Frédéric Keck qui m’a proposé d’étudier le patrimoine de Kinmen et m’a encouragée dans l’écriture de cet article. Je voudrais également adresser mes remerciements à M. Chung Li-wai et M. Hsu Chin-hsi, sources précieuses d’informations sur l’île de Kinmen. Tous deux m’ont notamment fourni les illustrations jointes, dont la majorité ont été prises expressément pour cet article.
2 - FRESNAIS, Jocelyne. La Protection du patrimoine en République populaire de Chine (1949-1999). Paris : Éd. du CTHS, 2001. ZHANG, Liang. La Naissance du concept de patrimoine en Chine, xix-xxe siècles. Paris : Éditions Recherches/Ipraus, 2003.
3 - EDMONDSON, Robert. Memories of the Future: National Identity Issues and the Search for a New Taïwan. Éd. Stéphane Corcuff. Armonk, New York/Londres : M.E. Sharpe, 2002 ; et DENTON, Kirk A. Exhibiting the past: Historical Memory and the Politics of Museums in Postsocialist China. Honolulu : University of Hawai’i Press, 2014.
4 - LIU, Ming-Feng. “Land in the Construction of Translocal Chinese Community: The Ideal-type of Land Attachment and Its Demonstration in the Case of Quemoy” (土地在跨域華人社群中的地位: 對土地依附之理念型及其在金門個案中的表現). Translocal Chinese: East Asian Perspectives, 2016, vol. 10, no 2, p. 293-315.
5 - SZONYI, Michael. Cold War Island: Quemoy on the Front Line. Cambridge/New York : Cambridge University Press, 2008.
6 - Cette ville était autrefois nommée Amoy par les colons européens qui s’y établirent au xixe siècle.
7 - BILLIOUD, Sébastien. « Éditorial ». Perspectives chinoises [en ligne], 2008/3 | 2008, mis en ligne le 1er juillet 2008, consulté le 30 novembre 2017, URL : http://perspectiveschinoises.revues.org/5033.
8 - FREEDMAN, Maurice. Lineage Organization in Southeastern China. Londres : University of London Athlone Press, 1958 ; SCHIPPER, Kristofer. La Religion de la Chine. La tradition vivante. Paris : Fayard, 2008, p. 284-285.
9 - « … 一邑禮俗之良窳,繫乎文風之興替,然亦隨時代風氣而轉移。金門民風純樸,夙有『海濱鄒魯』之稱,宋以前草萊初闢,民習勤勞,宋以後受朱子化,民尚禮義,明則文風興盛,涵詠詩書…… »。voir les Annales du district de Kinmen,《 金門縣誌 - 人民志 》, éditées par la mairie de Kinmen, 金門縣政府出版社, 2009, p. 94.
10 - LIN, Chun-hung, professeur de l’histoire de la pensée politique de l’université de Taïwan.
11 - Voir YANG, Ch’ing-kuo. Haibin zoulu zhuzi dao-jinmen Wenjiao xianying. Cultural Affairs Bureau of Kinmen County : 2013. 杨清國,《 海濱鄒魯朱子島──金門文教顯影 》,「金門雖僻處海隅,卻人才輩出,出了四十四位進士,宋代六位、明代三十一位、清代七位,文風、科第特盛,遂有『海濱鄒魯』之譽。」
12 - Le concours pour sélectionner l’administration /les fonctionnaires de l’État fut créé en 605 et supprimé en 1905. Voir GERNET, Jacques. « Le pouvoir d’État en Chine ». Actes de la recherche en sciences sociales, « Genèse de l’État moderne », juin 1997, vol. 118, p. 19-27.
13 - CAO, Chunping. 曹春平, L’Architecture traditionnelle de Min-nan, « 闽南传统建筑 ». Université de Xiamen, 厦门大学出版社, 2006.
14 - Un habitant de Kinmen que j’ai interrogé décrit l’architecture min-nan avec cette formule : 金是圓-富貴滿盈,木是直-扶搖直上,水是曲-諸事順利,火是銳-避邪止煞,土是方-五榖豐登.
15 - FAURE, David. « La solution lignagère. La révolution rituelle du xvie siècle et l’État impérial chinois ». Annales. Histoire, sciences sociales, 2006/6, p. 1291-1316.
16 - CHANG, Jianhua. 常建华, Le système du rite de sacrifice lignager et sa transformation à la dynastie des Ming, 《 明代宗族祠庙祭祖礼制及其演变 》, Journal de Nankai, no 3, 南开学报 3, 2001, p. 60-67.
17 - L’académie de Xi-yuan à Da-deng a été créée en 2011 grâce à un investisseur privé de Xiamen. C’est depuis la présidence de Hu Jintao (2002-2012) que le gouvernement chinois a contribué à la renaissance de la culture traditionnelle.
18 - L’île de Da-deng, aujourd’hui devenue le district Xiang’an (翔安區) de Xiamen, est géographiquement la plus proche de Kinmen. Les deux îles firent partie de la même circonscription administrative jusqu’à la fin des Qing.
19 - BOLTANSKI, Luc et ESQUERRE, Arnaud. Enrichissement. Une critique de la marchandise. Paris : Gallimard, 2017.
20 - BILLIOUD, Sébastien et THORAVAL, Joël. Le sage et le peuple. Le renouveau confucéen en Chine. Paris : CNRS Éditions, coll. « Bibliothèque de l’anthropologie », 2014.
21 - L’académie de la Grotte du cerf blanc (Jiujiang, Jiangxi) fut fondée sous la dynastie des Tang (618-907) puis reconstruite et agrandie par Zhu Xi lorsqu’il était préfet à Nankin.
22 - Le titre de « professeur » est employé dans la société chinoise par politesse et même avec déférence ou parfois de manière flatteuse pour désigner des personnes qui n’exercent pas forcément le métier d’enseignant ; il peut être utilisé entre deux personnes de même statut social, mais il l’est le plus souvent lorsqu’une personne jeune s’adresse à une personne âgée, ou un employé à son patron, à un supérieur hiérarchique.
23 - Voir le site : http://www.kmnp.gov.tw/ [consulté le 11/01/2019].
24 - KECK, Frédéric. « Sentinels for the Environment: Birdwatchers in Taiwan and Hong Kong ». China Perspectives, 2015, 2, p. 41-50.
25 - L’obus d’argent désigne un métal précieux, qui fut utilisé comme monnaie d’échange en Chine ancienne (砲彈擊不沉的金門島,正在被BOT銀彈攻陷).
26 - VIDAL, Fernando et DIAS, Nélia (éd.). Endangerment, Biodiversity and Culture. Londres : New York, Routledge, 2015, p. 1-38.
27 - La première librairie de l’île, la librairie « Je suis » (我在), qui vend des livres d’occasion, a ouvert ses portes lors de mes enquêtes de terrain, le 17 février 2017.
28 - Le comité lignager est un pur produit de la société confucéenne. C’est une association des représentants d’un même lignage (Zong qin hui, 宗親會) constituée dans le but de maintenir la solidarité entre des membres. Il exerce une certaine autorité sur les sacrifices, le droit foncier, etc. Ce type de comité a presque disparu en Chine continentale après la révolution culturelle mais continue d’exister à Kinmen et dans quelques endroits à Taïwan. Le nombre des membres d’un tel comité peut varier de quelques personnes pour les petits lignages à plus d’un millier pour les grands lignages.
29 - THORAVAL, Joël. « La mort en Chine ». Dans GODELIER, Maurice (dir.). La Mort et ses au-delà. Paris : CNRS Éditions, « Bibliothèque de l’anthropologie », 2014, p. 201-240.
30 - DESCOLA, Philippe. « À qui appartient la nature ? ». La Vie des Idées, 21 janvier 2008. Voir le site : http://www.laviedesidees.fr/A-qui-appartient-la-nature.html [consulté le 11/01/2019].
31 - LÉVI, Jean. Réflexions chinoises : lettrés, stratèges et excentriques de Chine. Paris : Albin Michel, 2011.
32 - LIU, Lydia He. Translingual practice: Literature, national culture, and translated modernity. China, 1900-1937. Stanford : Stanford University Press, 1995.
33 - LÉVI, Jean. Op. cit.
34 - Ciyuan 辞源 (Source de la rhétorique chinoise : Dictionnaire encyclopédique), p. 1482.
35 - HATHAWAY, Michael J. Environmental winds: Making the global in Southwest China. Berkeley/Los Angeles/Londres : University of California Press, 2013.
36 - KECK, Frédéric. « Lévi-Strauss et l’Asie. L’anthropologie structurale “out of America” ». Écho Géo, 2008, no 7. Voir le site : https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/echogeo/9593#quotation [consulté le 11/01/2019].
Haut de pageTable des illustrations
Titre | Figure 1 |
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Légende | Vue de Xiamen depuis l’île de Kinmen. |
Crédits | Phot. Chung Li-wai, 2016. © Chung Li-wai. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/insitu/docannexe/image/20126/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 732k |
Titre | Figure 2 |
Légende | Entrée du village Qionglin. |
Crédits | Phot. Chung Li-wai, 2018. © Chung Li-wai. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/insitu/docannexe/image/20126/img-2.jpg |
Fichier | image/jpeg, 876k |
Titre | Figure 3 |
Légende | Détail architectural du style « selle de cheval » qui représente le symbole du métal. |
Crédits | Phot. Chung Li-wai, 2018. © Chung Li-wai. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/insitu/docannexe/image/20126/img-3.jpg |
Fichier | image/jpeg, 808k |
Titre | Figure 4 |
Légende | Architecture de type « queue d’hirondelle », maison transformée depuis en chambre d’hôtes. |
Crédits | Phot. Chung Li-wai, 2018. © Chung Li-wai. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/insitu/docannexe/image/20126/img-4.jpg |
Fichier | image/jpeg, 688k |
Titre | Figure 5 |
Légende | Bâtiment Chen Jinglan, aujourd’hui musée très fréquenté par les touristes. |
Crédits | Phot. Chung Li-wai, 2018. © Chung Li-wai. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/insitu/docannexe/image/20126/img-5.jpg |
Fichier | image/jpeg, 880k |
Titre | Figure 6 |
Légende | Académie de Yan-nan, au style « queue d’hirondelle ». |
Crédits | Phot. Chung Li-wai, 2018. © Chung Li-wai. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/insitu/docannexe/image/20126/img-6.jpg |
Fichier | image/jpeg, 640k |
Titre | Figure 7 |
Légende | Statue de Zhu Xi, à l’intérieur de l’académie Yan-nan. |
Crédits | Phot. Chung Li-wai, 2018. © Chung Li-wai. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/insitu/docannexe/image/20126/img-7.jpg |
Fichier | image/jpeg, 332k |
Titre | Figure 8 |
Légende | Statue de Zhu Xi, à l’intérieur de l’académie Wu-Jiang. |
Crédits | Phot. Chung Li-wai, 2018. © Chung Li-wai. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/insitu/docannexe/image/20126/img-8.jpg |
Fichier | image/jpeg, 836k |
Titre | Figure 9 |
Légende | Des cormorans s’envolent autour du lac Ci-hu. |
Crédits | Phot. Chung Li-wai, 2017. © Chung Li-wai. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/insitu/docannexe/image/20126/img-9.jpg |
Fichier | image/jpeg, 404k |
Titre | Figure 10 |
Légende | Académie Wu-Jiang. |
Crédits | Phot. Chung Li-wai, 2018. © Chung Li-wai. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/insitu/docannexe/image/20126/img-10.jpg |
Fichier | image/jpeg, 696k |
Titre | Figure 11 |
Légende | Entrée de l’usine de liqueur de sorgho. |
Crédits | Phot. Chung Li-wai, 2018. © Chung Li-wai. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/insitu/docannexe/image/20126/img-11.jpg |
Fichier | image/jpeg, 703k |
Pour citer cet article
Référence électronique
Xiyan Wang, « Une frontière ouverte à tous les vents : la construction de l’identité collective de l’île de Kinmen », In Situ [En ligne], 38 | 2019, mis en ligne le 15 février 2019, consulté le 13 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/insitu/20126 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/insitu.20126
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