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Le patrimoine mobilier

La protection des aéronefs au titre des monuments historiques

The Protection of Aeroplanes under the terms of French Legislation on Historic Monuments
Luc Fournier

Résumés

Parmi tous les domaines du patrimoine technique, le patrimoine aéronautique est celui auquel on s’est intéressé le plus difficilement et de la façon la plus chaotique. Le manque de familiarité du ministère de la Culture, joint à la méfiance des amateurs propriétaires d’aéronefs anciens à l’égard de la protection au titre des monuments historiques, a conduit pendant longtemps à une situation de carence. Par ailleurs, le peu d’intérêt pour la politique patrimoniale de la part d’institutions comme l’Armée de l’Air ou des entreprises aéronautiques a été la cause de pertes de spécimens d’aéronefs très signifiants dans l’histoire de l’aviation française. Ces faits expliquent une longue période de protection « au coup par coup », en fonction des découvertes ou de la volonté des propriétaires, de 1984 à 2009, date à laquelle le ministère de la Culture signe avec l’Aéroclub de France une convention pour le développement du patrimoine aéronautique. À ce jour, 21 aéronefs ont été classés au titre des monuments historiques. Si la production nationale représente 76 % de ce total avec des noms illustres comme Blériot, Morane-Saulnier ou Potez, les appareils étrangers ayant servi en France n’ont pas été oubliés. Le problème qui se pose à présent dans le domaine de la conservation, est d’effectuer un savant équilibre entre la notion d’authenticité liée à l’idée même de patrimoine et les contraintes techniques qui s’imposent pour le maintien d’un aéronef en état de vol.

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Texte intégral

Par la petite porte...

1Lorsqu’à la fin de 1983, la commission supérieure des Monuments historiques examine le premier dossier relatif à la protection d’un aéronef, la conclusion des débats se résume à cette phrase révélatrice : « C’est la première fois qu’un engin de cette sorte est présenté aux membres de la Commission. Mais comme il y eut des trains, des bateaux, un char, pourquoi pas un avion ? »

  • 1 - Voir dans la base Palissy : notice PM40000096.

2À la suite de quoi, le Morane-Saulnier MS 505 F-BDQM, construit en 1947 d’après un modèle allemand de la Seconde Guerre mondiale, fut classé au titre des monuments historiques le 27 février 19841... L’aéronautique faisait son entrée dans le patrimoine historique par la petite porte.

3À cette époque, au milieu des années 1980, le ministère de la Culture tente de rattraper le retard pris par la France dans la protection de son patrimoine technique et plus particulièrement, de son patrimoine aéronautique. Compte tenu de la richesse du passé de notre pays en ce domaine et de sa place dans le développement de cette technique, on a envie de dire : « Il était temps ! » Car mis à part la collection, au demeurant fort riche, du musée de l’Air et de l’Espace (Le Bourget), aucune institution publique ne s’était intéressée aux aéronefs anciens conservés in situ ou maintenus en état de vol. La « traque » du spécimen caractéristique devait cependant se montrer difficile. Ce pour plusieurs raisons.

4Tout d’abord, un défaut de familiarité évident du ministère de la Culture à l’égard de cet univers technologique avec, pour conséquence, une protection non raisonnée, au coup par coup, en fonction des découvertes fortuites ou des demandes de propriétaires.

5Corrélativement, une certaine méfiance de ces derniers à l’idée de voir intégré au corpus des monuments historiques, avec l’obligation induite de respecter des règles données, un aéronef dont la préservation a été l’affaire d’une vie ou, en tout cas, le fruit d’une passion. Ce d’autant plus que jusqu’en 2007, les objets privés ne pouvaient qu’être classés au titre des monuments historiques, toute inscription étant exclue.

6Cette méfiance était d’autant plus prégnante qu’il existait (et qu’il subsiste) une différence fondamentale d’optique entre le ministère de la Culture, habitué à gérer des œuvres d’art, et les propriétaires ou collectionneurs d’aéronefs en état de vol : la restauration des œuvres d’art impose qu’on ne remplace un élément qu’avec la plus grande prudence et en s’entourant de garanties techniques et documentaires solides. La restauration d’un aéronef en état de vol suppose le respect de conditions de sécurité très strictes qui impliquent l’adaptation, voire le remplacement d’éléments entiers : structure de la cellule, revêtement des ailes, pièces constitutives du moteur, etc. Ces normes doivent composer avec les règles fixées par le Code du patrimoine et ses textes d’application pour la restauration des objets protégés au titre des monuments historiques. Les deux ne sont pas incompatibles. Mais leur articulation manque encore, à ce jour, d’être parfaitement définie. J’aurai l’occasion d’y revenir.

7Enfin, les trois décennies des Trente Glorieuses ont été catastrophiques pour la conservation du patrimoine technique et surtout aéronautique. L’absence de sensibilisation de l’opinion publique française mais aussi des professionnels, tant publics que privés, à l’égard de l’histoire des techniques, a eu pour conséquence la disparition radicale d’un certain nombre de spécimens caractéristiques : très peu d’avions français de l’entre-deux-guerres à la fin des années 1950, en passant par la Seconde Guerre mondiale, ont survécu. La plupart ont disparu dans l’indifférence générale de l’après-guerre puis l’euphorie « moderniste » de la décennie suivant la Libération. Cette situation est d’autant plus dommageable que les cinquante années qui vont de 1920 à 1970 ont connu un essor considérable de l’industrie aéronautique et, de manière corrélative, une multiplication des prototypes et des productions de série. Prenons quelques exemples : des deux types d’avions français les plus construits de la Seconde Guerre mondiale, le chasseur Morane-Saulnier 406 et l’avion polyvalent Potez 63, aucun exemplaire n’a été conservé. Les derniers Potez ont disparu à la fin des années 1940. Quant au Morane 406, si un exemplaire vole aujourd’hui, il s’agit d’un dérivé helvétique, patiemment restauré par des amateurs de ce pays.

8Si l’usine Marcel Bloch de Déols (Indre) existe toujours et, même, a été protégée au titre des monuments historiques2, aucun appareil Bloch, pour lesquels elle avait été édifiée, ne peut être présenté entre ses murs (fig. 1).

Figure 1

Figure 1

Le chasseur Morane-Saulnier 406 a été construit à plus de 1 000 exemplaires avant 1940. Aucun n’a été préservé en France. Le seul existant à ce jour est un dérivé helvétique D 3801 (Morane-Saulnier 412). Il est présenté ici sous les couleurs françaises.

Phot. Christian Ravel. © Espace Air Passion-Angers.

9L’histoire aéronautique de la France d’après la Libération est passionnante car l’époque était consacrée à revitaliser la flotte aérienne tout en tenant compte des immenses progrès accomplis depuis 1940, notamment le passage à la propulsion par turbine, dont l’industrie française n’avait pu recueillir les fruits pour cause d’occupation et de détournement de la production au profit des fabrications de la puissance occupante. La décennie 1945-1955 va être entièrement dévolue à rattraper ce retard ; il en résulte une véritable floraison de prototypes, plus ou moins réussis, mais chacun d’entre eux témoigne de l’acharnement des ingénieurs à trouver des solutions permettant de maintenir le pays au niveau de la concurrence internationale. À ce jour, il ne demeure que bien peu de vestiges de cette époque : le prototype SO 6000 Triton, premier avion français à réaction, mis à l’étude de manière clandestine dans une villa de Mérignac (Gironde) par une équipe sous la direction de Lucien Servanty (1909-1973), présenté aujourd’hui au musée de l’Air et de l’Espace, ou le SE 5000 Baroudeur, appareil sans train d’atterrissage décollant d’un chariot largable, étudié par l’ingénieur d’origine polonaise Wsiewolod Jakimiuk (1902-1991). Mais par ailleurs, le prototype de chasseur à réaction embarqué Nord 2200 n’a pu être restauré en raison du mauvais état général de sa cellule et a été détruit en 2014, donc très récemment (fig. 2).

Figure 2

Figure 2

Le prototype de chasseur Sud-Est 5000 « Baroudeur » (1953) a été conçu pour décoller sur un chariot à roulettes largable au décollage. Représentatif de l’inventivité des constructeurs français d’après la Libération, il appartient aujourd’hui à l’association « les Ailes anciennes » du Bourget et est, aujourd’hui, présenté en statique.

© Les Ailes anciennes.

10Il résulte de ce constat d’appauvrissement et d’incertitude que le processus de protection au titre des monuments historiques d’éléments du patrimoine aéronautique a connu deux phases : dans la première, le ministère de la Culture continue, à faible dose et de manière totalement empirique, la protection des spécimens. Dans un second temps, à partir de 2009, s’instaure un partenariat avec l’Aéro-club de France qui aboutit à une accélération des mesures de protection corrélativement à un meilleur échantillonnage.

Premiers tâtonnements

11Il a été brièvement évoqué, au début de ce texte, l’histoire du classement au titre des monuments historiques, en 1984, du premier aéronef, un Morane 505, version construite en France de l’avion d’observation Fieseler Storch de la Luftwaffe. Il allait falloir attendre quatorze ans pour assister au classement d’un second aéronef, le 8 septembre 1998. Durant les dix années qui séparent cette seconde mesure de protection de la signature d’une convention de développement du patrimoine aéronautique avec l’Aéro-club de France (AéCF), six appareils sont classés au titre des monuments historiques.

  • 3 - Voir dans la base Palissy : notice PM49001398.

12En 1998, donc, entre dans le cercle très restreint des aéronefs classés un planeur Weihe, lui aussi d’origine allemande, appartenant au musée régional de l’Air « Espace Air Passion » d’Angers-Marcé (Maine-et-Loire)3. Ce type de planeur a été dessiné en Allemagne en 1938 par Hans Jacobs (1907-1994), lui-même élève d’Alexander Lippisch (1894-1976), grand pionnier allemand de l’aérodynamique. Il convient de remarquer que l’exécution des clauses du traité de Versailles, qui interdisait la pratique du vol motorisé en Allemagne, eut pour conséquence l’essor extraordinaire du vol à voile. L’exemplaire présenté a été construit en Allemagne en 1943 par le constructeur/la société Jacobs-Schweyer. Les qualités de vol reconnues des planeurs allemands amènent la France, à la fin du second conflit mondial, à en confisquer un nombre certain au titre des dommages de guerre. L’appareil présenté a reçu le no 3, ce qui correspond au troisième Weihe répertorié par l’État français et n’est en aucun cas un numéro de série. Légué par le musée de l’Air et de l’Espace au musée d’Angers-Marcé, cet appareil est l’unique survivant, sur le territoire français, d’une série qui compta plus de 300 exemplaires. En effet, une consigne de navigabilité du 2 novembre 1965 soumettait à certaines restrictions l’utilisation de planeurs anciens dont la structure était collée grâce à des colles à base d’urée-formol, ce qui aboutit à la destruction de la plupart des Weihe utilisé en France. L’exemplaire proposé au classement, le F-CRMD, a échappé à la destruction car il avait été reconstruit à l’aide de colles françaises homologuées à base de caséine. Ce planeur est en état de vol mais sa rareté fait qu’il sort peu et que son pilotage n’est confié qu’à des pilotes confirmés.

  • 4 - Voir dans la base Palissy : notice PM91000604.

13Troisième aéronef sur la liste mais premier de conception française, le Morane 138 immatriculé F-AZAJ de la collection Salis de La Ferté-Alais (Essonne)4. Il s’agit d’un monoplan à aile parasol, conçu en 1928 et utilisé comme avion d’école et d’entraînement par l’Armée française qui en compta 403 exemplaires dans ses rangs. L’avion proposé au classement avait été mis à la disposition des écoles de pilotage civil sous l’immatriculation F-AQDN. Retiré du service en 1939, il fut caché pendant la guerre à Brioude (Haute-Loire). On le retrouve en 1947 à l’aéro-club de cette ville où il vole de nouveau, toujours équipé de son moteur rotatif fonctionnant à l’huile de ricin. Trente ans plus tard, apprenant que l’aéro-club s’apprête à le vendre à un amateur américain, Jean Salis, son actuel propriétaire, se rend d’urgence sur place et en fait l’acquisition. Il attache en effet à ce type d’avion un intérêt sentimental, sa mère ayant passé son baptême de l’air sur un appareil de ce type. Depuis, en dépit d’un accident en 1996, l’avion vole toujours pour des meetings, des commémorations ou des tournages de films.

14Avec le cinquième appareil classé, le Leduc RL-21, on reste dans le registre de l’aviation légère. Le 18 septembre 2000, Mme Lucette Leduc demandait le classement au titre des monuments historiques de l’avion de record RL-21, création de son mari, René Leduc, décédé en 1990.

15Né en 1907 à Saint-Père-en-Retz (Loire-Atlantique), René Leduc est l’homonyme d’un autre René Leduc (1898-1968), célèbre dans les années 1940 et 1950 pour ses travaux sur le statoréacteur. Le René Leduc nantais œuvrait dans un registre totalement différent, l’avion léger de record de vitesse produit avec des moyens artisanaux. Le RL-21, monoplan léger à aile basse et à train d’atterrissage fixe, fut construit en 1956 dans l’appartement du concepteur. En 1960, l’avion est monté sur le terrain de Nantes-Château Bougon. Doté d’un moteur en ligne Snecma-Régnier de 135 chevaux et pesant moins de 500 kilos, le RL-21 bat, entre 1960 et 1966, sept records de vitesse allant de 313 à 350 km/h. Après ces succès, l’avion fut ramené à Saint-Père-en-Retz où René Leduc le présentait souvent aux écoliers.

16Le RL-21 a été classé au titre des monuments historiques le 7 janvier 20035. Sans doute, ce qu’on a voulu saluer, en prenant cette mesure de protection, c’est le génie d’un inventeur (ou bricoleur ?) solitaire qui, disposant de peu de moyens, réussit à mettre au point une machine de record, fine et élégante qui renouait avec la tradition des bolides Caudron de l’entre-deux-guerres.

17L’aéronef suivant, dans l’ordre chronologique, est d’une tout autre taille : il s’agit d’un quadrimoteur de transport américain Lockheed Super Constellation L-1049 C immatriculé F-BRAD garé sur l’aéroport de Nantes-Atlantique. Il a été classé le 31 juillet 20076.

18Le Super Constellation a été conçu en 1943 par la firme américaine Lockheed pendant la Deuxième Guerre mondiale, en 1943. Il figure, sans nul doute, parmi les appareils les plus élégants de sa catégorie. Cet avion, destiné aux liaisons transatlantiques, est associé à l’essor des communications aériennes de l’après-guerre. L’arrivée sur les lignes des jets long-courriers comme le Boeing 707, au début des années 1960, met fin à quinze années d’hégémonie de cet appareil. L’avion conservé à Nantes est complet, tant au niveau de la cellule que de la motorisation et de ses aménagements internes, ce qui en fait un spécimen exceptionnel. Mis en service par la compagnie Air France en 1953, il fut affecté aux lignes Paris-New York, Paris-Chicago et Dakar-Rio de Janeiro. Il témoigne ainsi du passé prestigieux d’une compagnie aérienne célèbre pour ses liaisons transatlantiques. Après avoir servi dans le transport régulier, l’avion présenté fut acheté en 1967 par la compagnie de charters Air Fret. En 1968, il fut affrété par la Croix-Rouge française afin de réaliser des missions lors de la guerre du Biafra, qui voit éclore le concept d’intervention humanitaire, et il participe à de nombreuses reprises à l’évacuation de femmes et d’enfants. C’est l’un des rares témoins de cette guerre civile oubliée.

19À l’époque de son classement, des 513 exemplaires construits, il n’en restait que deux en France et dix-huit dans le reste du monde, la moitié seulement étant préservée dans des conditions correctes. L’un survivait à l’état d’épave au Portugal et deux étaient sauvegardés en Allemagne. Hors Europe, un avion effectuait encore des vols aux États-Unis.

20Le classement de cet avion est également intéressant dans la mesure où il est, comme on l’a noté, d’une tout autre taille et complexité que les précédents aéronefs classés. De telle sorte qu’en dépit de son intérêt technologique évident et de ses qualités intrinsèques, on peut se poser la question de la finalité d’un tel classement : conservation au sol ? Conservation en vol ? Est-ce un hasard si l’inspecteur des monuments historiques qui a donné un avis sur le dossier « souhaite pour l’avenir la définition de critères permettant une véritable politique de protection des avions au titre des monuments historiques » ? (fig. 3)

Figure 3

Figure 3

Le Lookheed « Super-Constellation » est un avion de ligne caractéristique du dynamisme de la production américaine d’avions long-courriers d’après la Seconde Guerre mondiale. Celui-ci, exposé de manière statique à Nantes (Loire-Atlantique) appartient à une association. Classé au titre des monuments historiques, il est le dernier représentant des 24 exemplaires vendus à la compagnie Air-France.

Phot. Christian Ravel. © Espace Air Passion-Angers.

  • 7 - Voir CRANGA, Yves. « L’avion Noratlas de Marignane ». Patrimoine(s) en Provence-Alpes-Côte d’Azur(...)
  • 8 - Voir dans la base Palissy : notice PM13001585.

21Le sixième appareil bénéficiant d’un classement au titre des monuments historiques est représentatif de la production aéronautique française des années 1950 : il s’agit de l’avion Nord 2501 communément dénommé « Noratlas7 ». Avion de transport militaire à double dérive motorisé par deux moteurs Snecma Hercules construit sous licence britannique, le Noratlas est livré à l’Armée de l’air à 208 exemplaires à partir de 1953. L’appareil remporte un beau succès à l’exportation car il en est construit, toutes versions confondues, 425 exemplaires qui vont équiper les aviations militaires d’Allemagne, de Grèce, d’Israël et du Portugal. L’exemplaire classé a volé pour la première fois le 24 mai 1956 et a accompli toute sa carrière dans l’Armée de l’air. Propriété de l’association « Le Noratlas de Provence », il est basé, en état de vol, à Marseille-Marignane et participe à de nombreux meetings aériens. Son arrêté de classement porte la date du 21 février 20078.

22Le Hurel-Dubois HD-34 est un autre produit de l’industrie aéronautique florissante de la fin des années 1950. Conçu par les ingénieurs Maurice Hurel et Jacques Dubois, cet appareil accomplit son premier vol le 26 février 1957. Une dizaine d’exemplaires furent construits, destinés aux travaux de cartographie de l’Institut géographique national (IGN) ainsi qu’à des missions pour le compte du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE) auxquelles sa grande envergure (45,30 m) et ses volets hypersustentateurs, qui permettent l’utilisation de terrains rudimentaires et exigus, le rendent particulièrement approprié.

  • 9 - Voir dans la base Palissy : notice PM77002250.

23Il ne subsiste, de la petite série fabriquée, que trois exemplaires : l’un au musée de l’Air et de l’Espace, un autre en exposition statique sur la base de Creil, et le présent F-BHOO, classé au titre des monuments historiques le 15 décembre 20089, qui se trouve être le dernier en état de vol.

Vers une protection raisonnée

24Le 1er juillet 2009, l’Aéro-club de France (AéCF) et le ministère de la Culture et de la Communication (direction de l’Architecture et du Patrimoine) ont signé une convention visant au développement et à la mise en valeur du patrimoine aéronautique français.

25La signature de cet acte fait suite au constat que le patrimoine aéronautique français protégé au titre des monuments historiques, dans sa composante mobilière, est sous-représenté car il n’est, à ce jour, riche que de six spécimens, ce qui constitue une situation choquante compte tenu de la place de notre pays dans la genèse et le développement de cette technique.

26L’objectif premier de cette convention est la mise en place d’un collège d’experts formé de membres de l’AéCF où le ministère de la Culture et de la Communication est représenté par un délégué. La compétence de cet organisme couvre l’ensemble du champ patrimonial à caractère mobilier, c’est-à-dire les archives, les monuments historiques et les musées dans les activités de recensement, de conservation et de mise en valeur des spécimens. Dans le secteur des monuments historiques, la signature de cette convention marque un nouveau départ pour la protection des engins volants : de 2009 à 2016, onze appareils sont venus enrichir le corpus des aéronefs classés.

27À ce titre, les grandes collections privées ont été mises à contribution. Deux d’entre elles ont été particulièrement sollicitées : la collection Salis, de La Ferté-Alais (Essonne), et la collection Espace Air Passion d’Angers-Marcé (Maine-et-Loire).

28Axée sur l’histoire mondiale de l’aviation, bien que le patrimoine français y soit fort bien représenté, la collection Salis apporte sept appareils : 5 Morane-Saulnier, un Blériot et une « forteresse volante » Boeing.

  • 10 - Voir dans la base Palissy : notice PM91000776.

29Dans la seconde moitié de 1917, Léon Morane et Raymond Saulnier mettent au point le Morane-Saulnier AI, chasseur monoplan à aile haute, doté d’un fuselage arrondi au profil aérodynamique. Sélectionné par l’Aéronautique militaire, l’appareil devient opérationnel au mois de janvier 1918. L’avion n’est pas un franc succès : sa cellule présente des faiblesses structurelles et son moteur Gnome n’est pas un modèle de fiabilité. En dépit de ses défauts, l’appareil bénéficie d’une excellente manœuvrabilité, ce qui en fait un appareil particulièrement bien adapté à l’acrobatie aérienne et, à ce titre, il équipe, en 1927, la première formation acrobatique au monde : la Patrouille tricolore animée par Jean-Baptiste Salis (1896-1967), Alfred Fronval (1893-1928) et le lieutenant Charles Robin (1897-1926). L’exemplaire classé appartient à la collection Salis de La Ferté-Alais10. Il est l’un des six exemplaires existants à ce jour dans le monde (fig. 4).

Figure 4

Figure 4

Le Morane AI est un chasseur français construit à la fin de la Première Guerre mondiale. Sa voilure « parasol » est typique des productions de la firme Morane jusqu’à la seconde moitié des années 1930. L’exemplaire illustré appartient à la collection Salis de la Ferté-Alais (Essonne). Classé au titre des monuments historiques, il est en état de vol.

© « Les Casques de cuir » - Salis Aviation.

  • 11 - Voir dans la base Palissy : notice PM91000778.

30L’avion d’entraînement et de liaison Morane-Saulnier 23011 est le résultat d’une fiche-programme émise en 1928 par l’Aéronautique militaire française pour un avion d’entraînement, d’école et de voltige. Il se présente comme un monoplan parasol biplace, de construction mixte faisant appel au métal pour la partie avant du fuselage ; les longerons de voilure et d’empennage, ainsi que la partie arrière du fuselage, reçoivent un revêtement entoilé. D’autres parties de l’appareil sont en bois.

31Grâce à sa facilité de pilotage, sa maintenance aisée et sa polyvalence, l’avion s’avère, d’emblée, une réussite. Construit à 1 156 exemplaires, toutes variantes confondues, à partir de 1929 et jusque dans les années 1940, le MS 230 se retrouve sur tous les cieux où combattent les forces aériennes françaises. À la fin de 1942, lors de l’entrée en guerre de la France combattante, les MS 230 poursuivent leur travail habituel de formation et de liaison sur les bases d’Afrique du Nord. Cet avion sera aussi l’un des grands succès à l’exportation de l’industrie aéronautique française : acheté, construit sous licence ou capturé, il équipe les forces aériennes d’Allemagne, de Belgique, du Brésil, de Grèce, de Roumanie, de Tchécoslovaquie et de Turquie. Sept exemplaires du MS 230 volent encore aujourd’hui de par le monde.

  • 12 - Voir dans la base Palissy : notice PM91000779.

32Conçu en 1934, le Morane-Saulnier 34112 est un avion biplace d’entraînement à la voltige. Monoplan à aile parasol, il est pourvu d’un petit moteur Renault 4 cylindres en ligne 4Pdi de 140 ch qui lui confère une vitesse maxi de 200 km/h. L’histoire du MS 341 est marquée par les exploits des premières femmes pilotes françaises qui surent exploiter la maniabilité et la vitesse de ce modèle :

33- Maryse Bastié (1898-1952), détentrice de nombreux records de vitesse et de durée de vol, première femme à traverser l’Atlantique sud en 1936 ;

34- Maryse Hilsz (1901-1946), l’une des pionnières de l’aviation française, également détentrice de nombreux records de vitesse et de distance ;

35- Hélène Boucher (1908-1934), autre aviatrice française ayant battu des records de vitesse ;

36- Jacqueline Auriol (1917-2000), première femme pilote d’essai et détentrice de nombreux records de vitesse, effectua son baptême de l’air de voltige.

37Le MS 341 devient, à la fin des années 1930, l’appareil qui équipe l’Aviation populaire, institution mise en place par le ministre de l’Air Pierre Cot afin de permettre aux pilotes privés d’obtenir un brevet militaire en trois ans.

  • 13 - Du nom d’Albert Speer (1905-1981), ministre de l’Armement et de la Production industrielle du III(...)

38En 1935, la firme allemande Fieseler conçoit un avion d’observation et de liaison à décollage et atterrissage courts (ADAC) qui ne nécessite que 25 mètres pour décoller et 50 mètres pour atterrir grâce à la présence de becs de bord d’attaque et volets à fentes. On lui attribue la dénomination de Fi 156 « Storch » (« cigogne »). Cet appareil équipe la Luftwaffe tout au long de la Seconde Guerre mondiale. La grande utilité du Storch conduit les autorités allemandes à le faire produire, durant l’Occupation, par l’industrie aéronautique française. Suite aux accords économiques Speer-Bichelonne de 194313, la construction du Fi 156 est confiée aux usines Morane-Saulnier de Puteaux (Hauts-de-Seine). Après la débâcle allemande, la production se poursuit sous l’appellation Morane-Saulnier 505 « Criquet » jusqu’en 1965. Le modèle sert en Indochine comme avion de réglage d’artillerie et avion-ambulance. Il fait, dans les années 1960, plusieurs apparitions au cinéma dans la scène finale de La Grande Vadrouille (1966) de Gérard Oury ou des Tribulations d’un Chinois en Chine (1965) de Philippe de Broca. Le Criquet de la collection Salis constitue l’un des rares rescapés des 1 066 appareils construits.

  • 14 - Voir dans la base Palissy : notice PM91000777.

39Le Morane-Saulnier 185, dit « Avionnette Morane »14, est un avion monoplace de sport construit en 1928/1930. Il évoque une réduction du Morane-Saulnier 230 dont il reprend l’allure générale.

40Le MS 185 se présente sous la forme d’un petit avion monoplace à train fixe, robuste, léger et économique, apte à la voltige. Il s’adresse à une clientèle d’amateurs passionnés d’aviation sportive. C’est une sorte de « gros jouet » des années folles, destiné à une clientèle avertie et fortunée.

41Sans être un « foudre de guerre », le MS 185 se pilote très facilement et sans risque pour son pilote, témoignage de ce que peut réaliser une grande firme aéronautique quand elle se penche sur le monde de l’aviation sportive. Une vingtaine d’appareils ont été construits en 1928. Un seul subsiste.

42La restauration de cet exemplaire appartenant à la collection Salis a demandé 1 700 heures de travail, entre nettoyage, tri des pièces avec confection des éléments manquants, entoilage et mise en peinture.

43Le Blériot XI est surtout connu pour avoir servi de « monture » à Louis Blériot (1872-1936) lors de sa traversée historique de la Manche, le 25 juillet 1909. On a tendance à oublier qu’il fut, par la suite, construit pour l’Armée de l’air à plus de 100 exemplaires qui servirent durant la Première Guerre mondiale pour des missions de reconnaissance, l’appareil n’étant, de construction, pas armé.

44Cet appareil a fait la réputation de Louis Blériot, premier véritable industriel de l’aéronautique. Il s’agit d’un avion monoplan avec moteur à l’avant, empennages à l’arrière et fuselage entoilé, dispositions qui préfigurent les nouveaux appareils. Il possède une envergure de 11 mètres pour une longueur de 9 mètres. Le train d’atterrissage est équipé de roues de bicyclette avec amortisseurs à sandows et d’une double béquille de queue. La « cloche Blériot » permet de commander d’une main la direction et la profondeur. L’inclinaison de l’appareil est obtenue par le recours au gauchissement des ailes auxquelles on fait subir une torsion. Ce système est abandonné depuis longtemps.

  • 15 - Conservé à La Ferté-Alais. Voir dans la base Palissy : notice PM91000781.

45L’appareil avec lequel Blériot accomplit la traversée de la Manche se trouve aujourd’hui exposé au Conservatoire national des arts et métiers (Paris). L’exemplaire classé au titre des monuments historiques le 5 septembre 2012 est l’ultime Blériot XI15 de série (no 889) construit en 1924 par les usines Blériot de Suresnes (Hauts-de-Seine) (fig. 5).

Figure 5

Figure 5

Le Blériot XI n°899, classé en 2012, appartient à la collection Salis. Maintenu en état de vol, cet ultime exemplaire de la série constitue une contrepartie patrimoniale au Blériot XI qui servit à la traversée historique de la Manche le 25 juillet 1909 et se trouve exposé au Conservatoire national des arts et métiers de Paris.

© Salis Aviation.

46Avec le spécimen suivant, nous quittons l’époque héroïque de l’aviation et ses fragiles aéronefs pour un gros quadrimoteur entièrement métallique et à revêtement travaillant. En 1934, la firme Boeing répond en 1934 à une commande pour un bombardier lourd, chargé (isolationnisme oblige !), de repousser une flotte d’invasion débarquant sur l’une ou l’autre façade maritime des États-Unis. La firme de Seattle propose le XB-15, très gros avion de plus de 45 mètres d’envergure, jaugeant 32 tonnes. En reprenant le concept général du B-15, Boeing met au point un appareil plus petit, le modèle 299 (envergure de 31 mètres et 17 tonnes de poids normal au décollage) devenu le Boeing B-17 « Flying Fortress » (« Forteresse volante »). Il s’agit d’un quadrimoteur à aile basse, entièrement métallique, disposant d’un train d’atterrissage escamotable et croisant à une vitesse de 470 km/h. Ce prototype, qui vole pour la première fois le 28 juillet 1935, peut emporter une charge de 3 600 kg de bombes et est protégé par 5 mitrailleuses de 7,62 mm. Pour l’époque, c’est une véritable prouesse technologique.

47Lors de l’entrée en guerre des États-Unis, fin 1941, la version « E » commence à sortir des chaînes de montage. Avec sa grande dérive prolongée par une longue arête dorsale, l’avion prend la silhouette avec laquelle il est entré dans l’histoire. Le modèle le plus construit est la version « G » avec 8 670 exemplaires sortis des chaînes. C’est l’avion des bombardements américains sur l’Allemagne nazie.

  • 16 - Voir dans la base Palissy : notice PM91000782.

48Après la guerre, les B-17 subsistants furent reconvertis en avions de transport, de remorquage de cibles ou de sauvetage en mer. D’autres furent vendus au titre de surplus. C’est dans ce cadre que l’Institut géographique national (IGN) acquit à partir de 1947 14 Boeing B-17 pour assurer ses missions de photographie aérienne, parmi lesquels le B-17G-85VE c/n 8246, serial AC 44-8846, F-AZDX3 « The Pink Lady ». Il a été construit par Lockheed-Vega à Burbank (Californie) fin 1944 et a été réceptionné par les forces aériennes de l’Armée de terre des États-Unis (USAAF) le 15 janvier 1945. Ce B-17 a participé, après sa démilitarisation, aux tournages du film La Grande Vadrouille en 1966 et Memphis Belle du réalisateur britannique Michael Caton-Jones en 1990. Ce dernier B-17 présent sur le sol français a été classé au titre des monuments historiques le 5 septembre 201216.

49La protection du patrimoine aéronautique français s’est poursuivie avec deux planeurs à hautes performances construits ou conçus durant l’occupation allemande, époque à laquelle toute étude ou réalisation de nouveaux aéronefs à moteur était interdite. Ces deux exemplaires, d’une grande rareté, font partie des collections du musée Espace Air Passion d’Angers-Marcé, entièrement consacré à l’aviation légère française.

  • 17 - Voir dans la base Palissy : notice PM49001955.

50L’Avia 40P no 11717 a été construit en 1942 par Roche Aviation à Riom (Puy-de-Dôme). L’appareil est en contreplaqué d’okoumé. Considéré comme un planeur à hautes performances, il est utilisé par le Centre de sport aérien de Clermont-Ferrand. Fin 1942, la zone dite « libre » est envahie et le planeur Avia est envoyé en Allemagne dans un centre aérien pour la formation de jeunes intégrés aux Jeunesses hitlériennes. En juin 1945, il est récupéré, avec trois autres appareils identiques, par les troupes d’occupation britanniques. Les Anglais sont eux aussi intéressés par les performances des Avia 40P et les envoient en Grande-Bretagne. Dans les années 1970, l’Avia 40P n’est plus considéré que comme planeur d’entraînement aux hautes performances et en 1974, le no 117, en mauvais état, est arrêté après 526 heures de vol et 664 lancers. Il est restauré par des amateurs anglais du Cornish Gliding Club, en Cornouaille.

51En 1991, il fait l’objet d’une nouvelle campagne de restauration générale par Mike Birch, à Londres, qui dure trois années. En 1996, Mike Birch le rapatrie en France où il vole un peu à Saint-Auban-sur-Durance (Alpes-de-Haute-Provence), commune où se trouve situé le Centre national du vol à voile. L’Avia participe au meeting du Vintage Glider Club d’août 2006 à Angers, où il accomplit deux vols. Après être revenu à Saint-Auban, son nouveau propriétaire, François Ragot, propose d’en faire don au musée régional d’Angers-Marcé. Il est l’un des deux Avia 40P existant encore au monde, l’autre figurant dans la collection du musée de l’Air et de l’Espace du Bourget. Compte tenu de sa rareté, il ne vole plus et est présenté au public en statique lors de manifestations à caractère aéronautique (fig. 6).

Figure 6

Figure 6

Le planeur à hautes performances Avia 40 P a été conçu dans les années 1940, à une époque où les autorités d’occupation prohibaient le développement de tout aéronef français motorisé. Construit après la guerre à 125 exemplaires, l’Avia 40 P s’est taillé une réputation flatteuse dans les aéroclubs de France mais aussi d’Allemagne et de Grande-Bretagne. Deux exemplaires ont survécu dont le n°117 qui appartient au musée « Espace Air Passion » d’Angers-Marcé et est classé au titre des monuments historiques depuis 2014.

Phot. Christian Ravel. © Espace Air Passion-Angers.

52L’Arsenal Air 100 est le symbole de la renaissance de l’aviation sportive française après la Libération. Entre les deux guerres, l’Allemagne, qui s’était vu interdire, par les dispositions du traité de Versailles, de posséder une aviation militaire, avait beaucoup développé le domaine du vol à voile. Les planeurs allemands étaient donc devenus très performants et raflaient de nombreux records dans les meetings. Les autorités françaises en tirèrent les conséquences et, dans le cadre du secrétariat d’État à l’Aviation civile, des groupes d’ingénieurs, parmi lesquels Georges Abrial, s’intéressèrent aux « planeurs de performance » qui faisaient cruellement défaut aux vélivoles français.

53Avec l’invasion allemande de juin 1940, le groupe de Georges Abrial se retrouve en zone libre, près de Toulouse, et poursuit son travail. En novembre 1942, les Allemands envahissent la zone placée sous la souveraineté du gouvernement de Vichy et interdisent tout travail sur les aéronefs. À la Libération, les autorités françaises souhaitent sensibiliser la jeunesse à la culture de la 3dimension en lui offrant un planeur à la pointe de la modernité.

54La fin du conflit oriente les recherches aéronautiques vers le secteur civil. Le premier concours vélivole d’après-guerre se déroule en 1947 à Wichita Falls, au Texas. Le secrétaire d’État à l’Aviation civile Max Hymans (1900-1961) estime qu’il est indispensable que la France soit présente. Deux exemplaires du planeur Arsenal Air 100 sont envoyés outre-Atlantique. Les Français ne connaissent pas l’Amérique, n’ont que des rudiments d’anglais, sont à peine familiarisés avec leur planeur et se trouvent sans directeur technique. En dépit de ce contexte incertain, lors du 4e vol, le pilote Adrien Valette bat le record de France de distance en couvrant une distance de 386 km. Lors du 5e vol, le pilote Éric Nessler (1898-1976) décroche le record de distance des États-Unis en 7 heures avec 500 km en vol libre ; l’événement fait la une des journaux américains. À l’issue du meeting, Valette décroche la 5e place du palmarès et Nessler figure à la 8e place.

55À la suite de ces succès sportifs, la production en série de l’Air 100 est lancée et 60 machines sont commandées pour les aéro-clubs français. Compte tenu des qualités de la machine et par un jeu de mots facile, l’Air 100 est surnommé le « pur-sang ». L’appareil connaît par ailleurs un succès à l’exportation en Afrique du Sud, en Égypte, aux États-Unis et en Suède.

56Après le concours de Wichita Falls, l’Air 100 no 01 est acquis par un spécialiste canadien du vol à voile, Alexandre Voïnovsky-Krieger, qui s’en servira comme plate-forme volante pour tester différents dispositifs dont il est l’inventeur. Le planeur vole au Canada jusqu’en 2009 avant d’être interdit de vol. Mais le propriétaire canadien est conscient qu’il possède une machine d’exception et songe à faire revenir l’Air 100 no 01 en France. Dans ce but, il contacte le musée Espace Air Passion de Marcé, qui accepte le don. Le planeur est démonté, embarqué sur le porte-conteneurs Alyssa et débarqué au Havre. Il arrive à Marcé le 15 novembre 2013. L’appareil est dans son état d’origine, mis à part la verrière, le tableau de bord et la ceinture de sécurité. Toutefois, la verrière, la ceinture et le tableau de bord d’origine ont été conservés.

57D’autres mesures de protection sont prises pour des aéronefs enracinés, à des degrés divers, dans la région où ils se trouvent exposés : c’est le cas du Potez 36 de Montélimar (Drôme) et du Douglas C-47 SNAFU Special exposé à Merville-Franceville (Calvados), sur le littoral normand où il achemina des parachutistes le 6 juin 1944.

58Le Potez 36 est un avion de tourisme construit par la société Potez de 1929 à 1933 et dont le premier vol eut lieu le 27 septembre 1928. Il s’agit d’un monoplan à aile haute haubannée et à train d’atterrissage fixe dont le fuselage en spruce (épicéa) comporte une cabine fermée, biplace côte à côte, pour un pilote et un passager. Équipé d’un moteur de 95 ch, le Potez 36 peut atteindre une vitesse maximale de 148 km/h. Plus de 260 exemplaires ont été construits, toutes versions confondues.

59L’avion présente certaines dispositions très originales comme les ailes repliables, qui le rendent plus facile à stocker ou à tracter par un véhicule routier. Des becs de bord d’attaque fixes, dits « becs de sécurité », améliorent la portance aux grands angles et aux basses vitesses. Stable et facile à piloter, le Potez 36 a équipé beaucoup d’aéro-clubs dans l’Entre-deux-guerres et a participé à de nombreux raids touristiques en Afrique et au Moyen-Orient.

60Un certain nombre de Potez 36 furent requis par l’Armée de l’air à la déclaration de guerre de 1939 pour servir en tant qu’avions de liaison. Certains furent perdus au cours de la campagne de France de mai-juin 1940.

  • 18 - Voir dans la base Palissy : notice PM26000488.

61Le Potez 36-13 F-AMEI, construit en 1932 et qui n’a jamais quitté le département de la Drôme, appartient à l’association « musée européen de l’Aviation de chasse » de Montélimar. Il a été classé le 12 décembre 201218.

  • 19 - Voir dans la base Palissy : notice PM14001330.

62Avec le Douglas C-47 matricule 43-15-073 SNAFU Special19, c’est à la fois un spécimen technique et une longue séquence d’histoire commune de l’ancien et du nouveau monde qui sont consacrés par la mesure de classement.

63L’épopée commence le 17 décembre 1935, jour où la firme américaine Douglas Aircraft Company, installée à Santa Monica (Californie), fait voler pour la première fois le bimoteur de transport DC 3. En 1939, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, 90 % des voyageurs des compagnies aériennes à travers le monde volent sur ce bimoteur. Parallèlement, l’aviation militaire américaine (US Army Air Corps), dans l’hypothèse de son engagement dans un conflit futur, passe commande d’une version militaire destinée aux opérations de parachutage et à l’acheminement de matériel, dénommée C-47 Skytrain.

64Après l’entrée en guerre des États-Unis, 9 283 exemplaires du C-47 sont construits entre 1941 et 1945, sur trois sites de montage qui, en 1944 produisent à une cadence de deux par heure. L’avion, simple et rapide à fabriquer, montre une étonnante robustesse et devient l’appareil de transport standard des armées alliées. Le « Dakota », comme le surnomment les Britanniques, est l’avion emblématique du Débarquement de Normandie, le 6 juin 1944.

65Le Douglas C-47 matricule 43-15-073 est livré à l’US Air Force le 29 janvier 1944. Il est affecté, fin février, à la 8e, puis début mai, à la 9e Army Air Force, auprès du 95e escadron basé à Exeter au sein du 440e « troup carrier group ». Il reçoit de son équipage le surnom de « SNAFU Special », SNAFU étant l’acronyme de « Situation normal: all fucked up » (« Situation normale : c’est le bordel ! »), message donné en réponse par les pilotes en mission pour signifier que tout va bien. Le SNAFU Special participe à toutes les campagnes pour la libération de l’Europe et même aux opérations d’évacuation de l’après-guerre. Après une séquence sous les couleurs de la compagnie aérienne nationale tchécoslovaque Czech Airlines (CSA), la France l’acquiert le 1er mars 1960 et il reste sous immatriculation française jusqu’en 1971, année où il est revendu à l’Armée de l’air yougoslave.

66Mitraillé au sol pendant le conflit des Balkans sur la base de Rajlovac (Bosnie-Herzégovine), il est sauvé de justesse des ferrailleurs par les soldats de l’Aviation légère de l’Armée de terre (ALAT) qui décident d’y installer leur « popote ». Ayant fait l’objet d’un don à la ville de Merville-Franceville (Calvados) située dans le périmètre du Débarquement de Normandie, l’avion est acheminé depuis Sarajevo en une dizaine de jours.

67L’opération de restauration est difficile : il faut d’abord boucher, à l’aide de rustines en aluminium, comme le faisaient les Américains durant la Seconde Guerre mondiale, les 250 impacts de balles faits par les soldats yougoslaves qui s’amusaient à prendre l’épave de l’avion pour cible. Ce sont, en partie, les jeunes du Centre de formation des apprentis de l’industrie de Caen qui, enthousiasmés par l’épopée du « Dakota », se chargent de cette mission, encadrés par leurs professeurs.

68Le mois de mai 2007 est consacré au remontage de l’avion et aux finitions. Le 2 mai, c’est l’assemblage de la cellule au plan central. Le 9 mai, les moteurs sont reposés sur leurs bâtis. Le 19 mai, le SNAFU Special retrouve ses ailes. Les marquages sont reproduits. L’avion a été restauré avec un grand souci du respect de la mémoire : même les pare-flammes, montés sur les échappements à l’occasion des vols nocturnes du D-Day, sont installés. Seul l’intérieur reste à restaurer.

69En 2013, l’un des deux pilotes encore en vie, Eugene Noble, âgé de 91 ans, vient à Merville s’asseoir dans le siège du pilote et faire les mêmes gestes que 69 ans auparavant. C’est un moment d’émotion intense pour toutes les personnes présentes (fig. 7).

Figure 7

Figure 7

La patrimonialisation du Douglas C 47 « SNAFU-Spécial », classé en 2014, répond au double objectif de célébrer la phase aéronautique du Débarquement de Normandie et de préserver un exemplaire d’un des plus célèbres avions de transport du xxe siècle, présent sur le sol français après avoir été rapatrié de Sarajevo (Bosnie) peu après la fin de la guerre de Yougoslavie à la fin du siècle dernier.

Phot. Christian Ravel. © Espace Air Passion-Angers.

Quelles perspectives ?

70Le devenir du patrimoine aéronautique français protégé au titre des monuments historiques doit être envisagé sous deux axes : celui de la protection et celui de la conservation.

71Sur le plan de la protection, il est certain que nous ne sommes qu’au début du travail d’inventaire et de prospection qui permettra d’enrichir, à terme, la collection des aéronefs protégés au titre des monuments historiques. Cette proposition doit être tempérée par le fait que, comme il a été exposé plus haut, de trop nombreux témoignages de notre histoire aéronautique ont disparu. Mais nous ne sommes pas à l’abri d’heureuses surprises, que ce soit en France ou à l’étranger, compte tenu de la présence d’aéronefs français hors de nos frontières, situation résultant soit des succès à l’exportation de notre industrie, soit des aléas de l’histoire. Par ailleurs, il convient de se souvenir du conservateur des monuments historiques chargé d’instruire le dossier du Super Constellation de Nantes qui souhaitait « […] la définition de critères permettant une véritable politique de protection des avions au titre des monuments historiques ». Autrement dit, toute demande de protection au titre des monuments historiques devrait être sous-tendue par un « contexte culturel » défini par un équilibre entre l’intérêt patrimonial de l’objet, son état matériel et l’argent que l’on peut investir dans sa préservation. Le type de préservation déterminé par ce constat (en état de vol ou au sol) ne nécessitera ni les mêmes compétences, ni les mêmes sommes.

72La conservation soulève des problèmes encore plus fondamentaux : le passage de plusieurs dossiers de protection devant la commission nationale des Monuments historiques a été l’occasion d’échanges assez serrés sur la notion d’« authenticité » des aéronefs qui, pour la plupart du temps, ont été présentés dans leur état « post-restauration ». Il est certain qu’une méthodologie de conservation spécifique aux objets techniques reste à définir. Celle-ci doit être un savant dosage entre une logique « fonctionnelle » qui vise à tout refaire à neuf en tenant compte des prescriptions de la direction générale de l’Aviation civile (DGAC) pour le cas où l’aéronef est maintenu en état de vol, et une logique « culturelle » qui impose de documenter de manière précise les travaux entrepris et de conserver une partie de la « substance » de l’exemplaire préservé, sachant qu’aucune règle absolue ne peut être édictée en ce domaine et que les choix de restauration et de conservation ne peuvent être pris qu’au cas par cas.

73Le travail en cours mené conjointement par l’Aéro-club de France et le ministère de la Culture pour définir des « Unités du patrimoine aéronautique vivant », autrement dit labelliser des ateliers jugés aptes à accomplir un travail de restauration et de conservation sur des aéronefs à caractère historique dans cette double approche fonctionnelle et culturelle constitue un premier pas dans cette voie.

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Notes

1 - Voir dans la base Palissy : notice PM40000096.

2 - Le 29 mars 1991. Voir le site : http://inventaire-patrimoine.regioncentre.fr/home/etudes/etudes-ponctuelles/usine-marcel-bloch-deols.html [consulté le 12/07/2018].

3 - Voir dans la base Palissy : notice PM49001398.

4 - Voir dans la base Palissy : notice PM91000604.

5 - Voir le dossier : http://www2.culture.gouv.fr/public/mistral/palissy_fr?ACTION=CHERCHER&FIELD_98=AUTR&VALUE_98=Leduc%20Ren%E9%20&DOM=Tous&REL_SPECIFIC=3.

6 - Voir le dossier : http://www2.culture.gouv.fr/public/mistral/dapapal_fr?ACTION=RETROUVER&FIELD_98=LOCA&VALUE_98=%20Nantes&NUMBER=1&GRP=0&REQ=%28%28Nantes%29%20%3aLOCA%20%29&USRNAME=nobody&USRPWD=4%24%2534P&SPEC=3&SYN=1&IMLY=&MAX1=1&MAX2=1&MAX3=50&DOM=MH.

7 - Voir CRANGA, Yves. « L’avion Noratlas de Marignane ». Patrimoine(s) en Provence-Alpes-Côte d’Azur, no 41, mars 2018. Voir sur le site : http://www.infos-patrimoinespaca.org/index.php?menu=9&num_article=54&mp=2&cptcom=0#!prettyPhoto [consulté le 12/07/2018].

8 - Voir dans la base Palissy : notice PM13001585.

9 - Voir dans la base Palissy : notice PM77002250.

10 - Voir dans la base Palissy : notice PM91000776.

11 - Voir dans la base Palissy : notice PM91000778.

12 - Voir dans la base Palissy : notice PM91000779.

13 - Du nom d’Albert Speer (1905-1981), ministre de l’Armement et de la Production industrielle du IIIe Reich et Jean Bichelonne (1904-1944), secrétaire d’État à la Production industrielle du gouvernement de Vichy.

14 - Voir dans la base Palissy : notice PM91000777.

15 - Conservé à La Ferté-Alais. Voir dans la base Palissy : notice PM91000781.

16 - Voir dans la base Palissy : notice PM91000782.

17 - Voir dans la base Palissy : notice PM49001955.

18 - Voir dans la base Palissy : notice PM26000488.

19 - Voir dans la base Palissy : notice PM14001330.

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Table des illustrations

Titre Figure 1
Légende Le chasseur Morane-Saulnier 406 a été construit à plus de 1 000 exemplaires avant 1940. Aucun n’a été préservé en France. Le seul existant à ce jour est un dérivé helvétique D 3801 (Morane-Saulnier 412). Il est présenté ici sous les couleurs françaises.
Crédits Phot. Christian Ravel. © Espace Air Passion-Angers.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/insitu/docannexe/image/17047/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 364k
Titre Figure 2
Légende Le prototype de chasseur Sud-Est 5000 « Baroudeur » (1953) a été conçu pour décoller sur un chariot à roulettes largable au décollage. Représentatif de l’inventivité des constructeurs français d’après la Libération, il appartient aujourd’hui à l’association « les Ailes anciennes » du Bourget et est, aujourd’hui, présenté en statique.
Crédits © Les Ailes anciennes.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/insitu/docannexe/image/17047/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 852k
Titre Figure 3
Légende Le Lookheed « Super-Constellation » est un avion de ligne caractéristique du dynamisme de la production américaine d’avions long-courriers d’après la Seconde Guerre mondiale. Celui-ci, exposé de manière statique à Nantes (Loire-Atlantique) appartient à une association. Classé au titre des monuments historiques, il est le dernier représentant des 24 exemplaires vendus à la compagnie Air-France.
Crédits Phot. Christian Ravel. © Espace Air Passion-Angers.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/insitu/docannexe/image/17047/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 132k
Titre Figure 4
Légende Le Morane AI est un chasseur français construit à la fin de la Première Guerre mondiale. Sa voilure « parasol » est typique des productions de la firme Morane jusqu’à la seconde moitié des années 1930. L’exemplaire illustré appartient à la collection Salis de la Ferté-Alais (Essonne). Classé au titre des monuments historiques, il est en état de vol.
Crédits © « Les Casques de cuir » - Salis Aviation.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/insitu/docannexe/image/17047/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 224k
Titre Figure 5
Légende Le Blériot XI n°899, classé en 2012, appartient à la collection Salis. Maintenu en état de vol, cet ultime exemplaire de la série constitue une contrepartie patrimoniale au Blériot XI qui servit à la traversée historique de la Manche le 25 juillet 1909 et se trouve exposé au Conservatoire national des arts et métiers de Paris.
Crédits © Salis Aviation.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/insitu/docannexe/image/17047/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 124k
Titre Figure 6
Légende Le planeur à hautes performances Avia 40 P a été conçu dans les années 1940, à une époque où les autorités d’occupation prohibaient le développement de tout aéronef français motorisé. Construit après la guerre à 125 exemplaires, l’Avia 40 P s’est taillé une réputation flatteuse dans les aéroclubs de France mais aussi d’Allemagne et de Grande-Bretagne. Deux exemplaires ont survécu dont le n°117 qui appartient au musée « Espace Air Passion » d’Angers-Marcé et est classé au titre des monuments historiques depuis 2014.
Crédits Phot. Christian Ravel. © Espace Air Passion-Angers.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/insitu/docannexe/image/17047/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 1,1M
Titre Figure 7
Légende La patrimonialisation du Douglas C 47 « SNAFU-Spécial », classé en 2014, répond au double objectif de célébrer la phase aéronautique du Débarquement de Normandie et de préserver un exemplaire d’un des plus célèbres avions de transport du xxe siècle, présent sur le sol français après avoir été rapatrié de Sarajevo (Bosnie) peu après la fin de la guerre de Yougoslavie à la fin du siècle dernier.
Crédits Phot. Christian Ravel. © Espace Air Passion-Angers.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/insitu/docannexe/image/17047/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 828k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Luc Fournier, « La protection des aéronefs au titre des monuments historiques »In Situ [En ligne], 35 | 2018, mis en ligne le 14 septembre 2018, consulté le 09 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/insitu/17047 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/insitu.17047

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Auteur

Luc Fournier

Adjoint au chef du BCPMI, chargé de mission pour le patrimoine technique, sous-direction des monuments historiques et des espaces protégés, direction générale des Patrimoines luc.fournier@culture.gouv.fr

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