Résonances warburgiennes en France dans les années 1930
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Focillon, influence, tradition, mythologie, humanisme, Renaissance italienne, Nachleben der AntikeTexte intégral
- 1 J. Adhémar, Influences antiques dans l'art du Moyen-âge français : recherches sur les sources et le (...)
- 2 J. Seznec, La Survivance des dieux antiques : essai sur le rôle de la tradition mythologique dans l (...)
1La question de la réception de Warburg en France dans la première moitié du XXe siècle reste, aujourd’hui encore, un problème épineux. Pourtant, dans cette France souvent considérée comme indifférente, voire sceptique, à l’égard des idées défendues par Aby Warburg et ses disciples, sont publiés à la fin des années 1930 deux ouvrages directement liés aux centres d’intérêt de l’Institut récemment créé à Londres. Il s’agit des thèses de doctorat de Jean Adhémar, Influences antiques dans l’art du Moyen Age français. Recherches sur les sources et les thèmes d'inspiration 1, et de Jean Seznec, La Survivance des dieux antiques. Essai sur le rôle de la tradition mythologique dans l’humanisme et dans l’art de la Renaissance 2, qui traitent non seulement du thème, central pour le fondateur de la Kulturwissenschaftliche Bibliothek, de la Survivance de l’Antiquité au Moyen Age et à la Renaissance, mais qui ont en outre toutes deux été publiées dans la collection des Studies of the Warburg Institute, aux volumes VII et XI.
- 3 Cf. J. Thuillier, « La Vie des formes : une théorie de l’histoire de l’art ? », in G. Kubler et al.(...)
2Les deux ouvrages présentent par ailleurs un autre trait commun, celui d’avoir été associé, de façon plus ou moins directe, à la figure d’Henri Focillon, celui-là même à qui l’on impute parfois une part de la mauvaise fortune du courant warburgien en France, et qui affichait tout au moins une véritable méfiance vis-à-vis d’une histoire de l’art jugée trop « kabbalistique »3.
3Est-il dès lors permis de penser qu’au-delà de ce qui est communément admis, Warburg aurait bénéficié d’un certain écho en France, et que ses successeurs y auraient trouvé des disciples pour relayer leurs théories ? Et si tel était le cas, peut-on parler d’un courant warburgien français, au sein duquel la notion de survivance trouverait une définition propre, distincte des voies ouvertes au même moment dans les pays germaniques ou anglo-saxons ?
4Pour tenter de répondre à ces questions, c’est d’abord aux circonstances qui ont présidé à la rédaction des Influences antiques dans l’art du Moyen Age français et de La Survivance des dieux antiques qu’il convient de s’intéresser. Jean Adhémar et Jean Seznec ont tous deux entrepris une thèse de doctorat à la Sorbonne en 1931. En dépit de la parenté des sujets abordés et du fait qu’ils ont été déposés la même année dans la même institution, les motivations des deux chercheurs et les enjeux de leurs travaux sont pourtant bien différents.
- 4 H. Focillon, L’Art des sculpteurs romans, Paris, 1931.
- 5 Ibid., p.59.
5En 1931, Jean Adhémar est un jeune diplômé de l’Ecole des Chartes, où il vient de soutenir « brillamment » un premier travail sur la question de l’influence antique dans l’art médiéval sous la direction de Marcel Aubert et Paul Deschamps. Désirant poursuivre ses travaux à l’université, il se tourne vers Henri Focillon, alors titulaire de la chaire d’art médiéval à la Sorbonne, qui encourage le jeune chercheur à pousser plus avant des recherches sur une thématique dont il a lui-même esquissé les grandes lignes dans L’Art des sculpteurs romans, paru la même année4. Le travail d’Adhémar se voit ainsi dès l’origine orienté vers la question, chère à Focillon, de l’influence des monuments « fameux et admirés » de l’ancienne Gaule5 sur la création du vocabulaire architectural roman, et plus particulièrement sur son décor sculpté.
- 6 WIA, GC – Seznec, 29 mai 1930. Lettre reproduite dans E. Sears, « Seznec, Saxl and La Survivance de (...)
- 7 WIA, GC – Seznec, 10 juin 1937.
- 8 Cf. WIA, GC – Seznec, 10 juin 1937 : « Focillon qui (Grâce à vous) m’a reçu à bras ouverts, m’a pr (...)
- 9 Cf. WIA, GC – Seznec, 11 janvier 1938 : « vous avez avec vous M. Saxl, m’a-t-il dit, cela me suffit (...)
- 10 WIA, GC – Focillon, 14 juillet 1937, Lettre de F. Saxl : « I am greatly indebted to you for the rad (...)
6Jean Seznec, quant à lui, décide de s’engager dans une thèse de doctorat à l’issue d’un séjour de deux ans à l’Ecole Française de Rome, à la fin duquel il a présenté, à l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres, dirigé par Emile Mâle, un mémoire sur « les fresques mythologiques dans les Palais Italiens au XVIe siècle – dans leurs rapports, particulièrement, avec les traités d’Iconographie »6. S’il choisit lui aussi d’inscrire son sujet à la Sorbonne, c’est bien en tant qu’élève de Mâle, et sous la direction conjointe de celui-ci, ainsi que de René Schneider et de Gustave Cohen, qu’il entend entreprendre ses recherches. Ce n’est que plus tard, en 1937, que Focillon, en qualité de rapporteur de la thèse, sera amené à intervenir dans le projet, à la suite d’un incident administratif dû au fait que Seznec n’avait pas été admis sur la liste des futurs professeurs de faculté par les professeurs de littérature, ceux-ci l’ayant jugé « indigne de l’enseignement supérieur »7. Toutefois, s’il apparaît que Focillon fut d’un réel soutien pour l’étudiant lors de ses déboires administratifs8, l’intérêt qu’il portait aux travaux de Seznec semble très relatif9, alors qu’il a manifesté une attention constante à l’égard des recherches d’Adhémar10.
7Les deux étudiants entretiennent donc un rapport différent à Focillon, mais qu’en est-il de leurs relations avec les membres du Warburg Institute ? Comment les liens se sont-ils noués ? Quelle fut, ensuite, la teneur de leurs contacts ?
- 11 WIA, GC – Seznec, Lettre à Gertrud Bing, 31 janvier 1931.
- 12 WIA, GC – Seznec, Lettre à Fritz Saxl, 4 mars 1931.
- 13 WIA, GC – Seznec, plusieurs lettres entre le 9 novembre et le 7 décembre 1934. Séminaire en 2 séanc (...)
- 14 Sur les 3 séjours que Seznec a projeté de faire à Londres, en 1934, 1935 et 1936, un seul a pu abou (...)
- 15 Ainsi, « M. Lenchantin, Nuovi frammenti di Filocoloro, Rivis. Filol. Istruz. Class. 10, 1932, p.41- (...)
- 16 J. Seznec, « Youth, Innocence and Death: Some Notes on a Medallion on the Certosa of Pavia », Journ (...)
8Nous le devinons, Focillon tenait d’avantage Seznec qu’Adhémar pour un véritable warburgien et, de fait, c’est bien ainsi qu’il était également considéré à l’Institut : en janvier 1931, à la suite d’un premier séjour de recherche à Hambourg, la Kulturwissenschaftliche Bibliothek Warburg lui avait en effet décerné le titre de « Fernschüler »11. Au-delà de ce simple « titre honorifique », c’est en lien étroit avec les intérêts du futur Institut Warburg que Seznec envisage, dès le départ, la poursuite de ses recherches. Il prend contact avec Fritz Saxl dès le mois de mai 1930, alors qu’il est boursier de l’Ecole française de Rome et qu’il cherche un sujet pour son mémoire. L’année suivante, lorsqu’il décide de transformer ce premier texte en une thèse de doctorat, c’est encore vers Saxl qu’il se tourne, lui demandant même de l’autoriser à reprendre le titre d’un de ses ouvrages sur Zucchi, « Les dieux antiques à la fin de la Renaissance »12. Dès lors, une étroite collaboration s’instaure entre les deux hommes, comme en atteste l’abondante correspondance qu’ils ne cesseront d’échanger pendant les dix années qui les séparent de la publication du travail de Seznec, et même au-delà. Seznec cherche, en outre, par l’intermédiaire de Saxl, à obtenir un poste de « lecturer » à l’Université de Hambourg pour le second semestre 1932, afin de profiter des fonds mis à disposition par la bibliothèque. Il n’y parvient toutefois pas, en raison des troubles qui commencent à agiter l’Allemagne à cette époque. C’est à Londres, après le déménagement de l’Institut, qu’il renoue avec celui-ci, tantôt pour y donner un séminaire sur « le rôle des mythographes de la Renaissance dans l’humanisme et dans l’art »13, tantôt pour se consacrer à ses propres recherches14. En 1936, il participe activement à la Bibliography of the Survival of the Classics, pour laquelle il rédige plusieurs comptes rendus15, et il collabore au Journal of the Warburg Institute dès les premiers numéros, en publiant des articles dans ses deux premiers volumes16.
- 17 WIA, GC – Adhémar, Lettre à F. Saxl, 2 août 1934.
- 18 WIA, GC – Adhémar, Lettre de F. Saxl, 10 septembre 1934.
- 19 WIA, GC – Adhémar, Lettre à F. Saxl, 6 mai 1936.
- 20 WIA, GC – Adhémar, Lettre à F. Saxl, 29 octobre 1937.
- 21 Il y rédige deux comptes rendus : « R. Forrer, Les frises historiées de l’église romane d’Andlau, C (...)
9Une fois encore, les choses se passent tout à fait différemment pour Jean Adhémar, puisqu’il prend contact avec l’Institut bien plus tard, en août 1934, pour « signaler ses études» à Fritz Saxl et lui « demander si, un jour, lorsqu’elles seront terminées, on ne pourrait pas songer à les faire paraître dans une des publications de [l’]institut »17. Malgré une réponse positive de Saxl18, il ne se manifeste à nouveau qu’en mai 1936, après s’être entretenu avec Seznec de l’orientation de leurs recherches respectives. Son travail est alors « presque achevé »19 car Adhémar, accaparé par ses fonctions à la Bibliothèque Nationale depuis 1932, s’appuie essentiellement sur une documentation réunie entre 1930 et 193220. S’il contribue lui aussi au vaste projet de Bibliography21 et offre un texte à Saxl pour ses « Festschrifte », les relations qu’il tisse avec l’Institut et ses principaux membres n’égaleront jamais les amitiés que Seznec y a nouées. On peut d’ailleurs noter qu’il ne s’est jamais rendu à Londres pour profiter des ressources que pouvait lui offrir la bibliothèque.
- 22 WIA, GC – Seznec, Lettre de F. Saxl, 28 mars 1938 : « Would it not be simply ideal to have M. Adhém (...)
10De cette polarité Focillon/Warburg, qui s’exerce chez les deux chercheurs selon des modalités différentes, naissent toutefois deux ouvrages qui se répondent sur bien des plans. Ne serait-ce que dans l’esprit de Saxl, leur publication procède d’une même intention. Il écrit à ce sujet : « Ne serait-il pas vraiment idéal que le livre de M. Adhémar constitue en quelque sorte un premier volume, auquel le vôtre ferait suite. Il ne serait d‘ailleurs pas nécessaire qu’ils soient publiés en tant que volumes I et II, mais tout le monde considèrerait ces livres comme une sorte d’ouvrage unique couvrant toute la période qui va de l’Antiquité à la fin de la Renaissance. Je souhaite que ce rêve puisse se réaliser »22.
- 23 WIA, GC – Adhémar, Lettre à F. Saxl, 6 mai 1936.
- 24 WIA, GC – Seznec, Lettre à F. Saxl, 26 février 1936.
11Adhémar lui-même évoque « la collaboration qui rendrait nos deux livres l’un le complément de l’autre »23, tandis que Seznec explique que « le plan d’Adhémar [l]’a aidé à bien délimiter [son] propre sujet »24.
- 25 L. Pressouyre, « Préface », dans Les Influences antiques…, 2005, op. cit., p.XI-XII.
- 26 Lettre de Seznec à Carcopino, 28 novembre 1937, citée par E. Sears, op. cit., p.4.
12L’originalité de leur approche pour des lecteurs français leur attire par ailleurs des critiques similaires. Lors de la soutenance de Jean Adhémar, en mars 1938, Louis Halphen, un des médiévistes les plus en vue à ce moment, critique le parti et la méthode adoptés par le jeune chercheur, au motif qu’ils ne se conforment pas au modèle classique de la thèse de doctorat en raison du trop grand nombre de champs disciplinaires auxquels ils se réfèrent25. On se souvient par ailleurs des difficultés que Seznec a rencontrées auprès des professeurs de littérature de la Sorbonne. Dans une lettre adressée à Jérôme Carcopino en novembre 1937, il les impute au fait que son « sujet embrasse nécessairement plusieurs domaines : philologie, archéologie, histoire de l’art et littérature comparée », conférant à son travail un « caractère hybride, qui ne permet pas de le ranger dans une catégorie. De là, des déboires que je n’avais pas prévus. »26
13Complémentaires dans l’esprit de Saxl, les deux thèses sont, il faut bien le dire, dissonantes, les divergences entre-elles étant nombreuses.
14Pour la période chronologique que couvrent les deux ouvrages, tout d’abord. Tandis que Jean Adhémar aborde l’influence de l’Antiquité du Ve siècle jusqu’à l’aube du XVe siècle, dans ce qu’il nomme le « préhumanisme », en privilégiant nettement l’époque romane, Jean Seznec retrace la survivance de la matière mythologique antique pendant tout le Moyen Age pour mieux pouvoir évaluer sa réintégration à la Renaissance et les développements de son utilisation jusqu’à la Contre Réforme.
- 27 J. Seznec, La Survivance…, op. cit., Livre II, Chapitre III, « L’influence des manuels », p.327-371
15Pour l’aire géographique considérée par chacun des textes, également. Adhémar, suivant en cela une habitude de Focillon, s’attache exclusivement à la France dans ses frontières contemporaines, alors que Seznec cherche à déterminer l’influence des manuels mythographiques italiens dans toute l’Europe – en France, en Angleterre, en Allemagne et en Espagne – même s’il accorde bien évidemment une place prépondérante à l’Italie.27
- 28 Ibid., Introduction, p.8.
16Par ailleurs, les deux auteurs axent leur étude des influences antiques sur des domaines différents. Ainsi, Seznec privilégie une approche fondée sur les manuscrits et se concentre sur les milieux érudits, expliquant à ce propos ce qui le distingue d’Adhémar dans l’introduction de La Survivance des dieux antiques : « nous envisageons le problème sous un angle différent ; nous cherchons à démontrer que les dieux ont survécu, au Moyen Age, dans des systèmes d’idées déjà constitué à la fin du monde païen »28. C’est donc sur le plan des idées qu’il se situe, alors qu’Adhémar, en accordant une place prépondérante à la question des monuments hérités de l’Antiquité, met l’accent sur les apports d’une certaine culture populaire au sein de la civilisation médiévale, qui ne se limite pas au monde des clercs.
- 29 WIA, GC – Adhémar, Lettre à F. Saxl, 22 décembre 1936 : Focillon « m’a demandé d’[…]ajouter un cha (...)
17Inévitablement, les œuvres choisies par les deux auteurs comme objets d’étude sont, elles aussi, différentes. Même s’il s’est vu contraint par Focillon de consacrer un court chapitre de sa thèse aux mosaïques et aux labyrinthes, ainsi qu’aux peintures murales et aux manuscrits29, Jean Adhémar concentre l’essentiel de son propos sur la sculpture. Seznec, en revanche, bien qu’il ait certes évoqué ce support à plusieurs reprises, privilégie l’étude des arts figuratifs.
18Mais au-delà de ces divergences touchant aux périodes et aux médiums artistiques, c’est principalement dans le traitement accordé à l’information récoltée, et donc sur le plan de la méthode, que l’on peut faire contraster ces deux livres.
- 30 WIA, GC – Seznec, Lettre à F. Saxl, 17 mars 1931 : « […] il a raison – à condition qu’on aille enco (...)
- 31 A. Warburg, « Art italien et astrologie internationale au Palazzo di Schifanoia à Ferrare », Essais (...)
- 32 Cf. Rembrandt Duits, « The Waning of Renaissance », Images of the Pagan Gods…, op. cit., p.21-39.
- 33 Cf. P. Morel, Mélissa : magie, astres et démons dans l'art italien de la Renaissance, Paris, Hazan, (...)
- 34 J. Seznec, La Survivance…, op. cit. p.91 et 242-246 et plus précisément p.242.
- 35 A. Warburg, « Art italien… », op. cit., p.211.
19Si Seznec se réclame d’Emile Mâle, il prend conscience très tôt qu’il est nécessaire de dépasser l’orientation que celui-ci a donnée aux études iconographiques en France30, et c’est donc chez les warburgiens qu’il puise les fondements théoriques de sa réflexion. De fait, Warburg lui-même est cité à plusieurs reprises dans son ouvrage. Il reprend ainsi dans une large mesure l’idée, développée par Warburg dans sa conférence sur Art italien et astrologie internationale au Palazzo di Schifanoia à Ferrare, de la « double tradition [astrologique et mythographique] de la représentation des dieux antiques » au Moyen Age31 dans les chapitres 2 et 3 de sa première partie (« la tradition physique » et « la tradition morale »), même s’il ne semble pas, contrairement à son prédécesseur, les considérer comme des traditions typiquement médiévales32. D’une façon plus précise, Seznec prolonge l’analyse de certains exemples développés par le « maître », tel celui des fresques du Palazzo Schifanoia de Ferrare, dont il accepte sans discussion l’interprétation iconographique des « maîtres des mois »33, mais qu’il envisage comme « le terme de l’évolution » de la réintégration des dieux sous une forme « classique » à la Renaissance34 quand Warburg n’y trouvait, quant à lui, que les « premiers symptômes d’une restitution artistique complète de l’Olympe »35.
- 36 E. Panofsky et F. Saxl, « Classical Mythology in Medieval Art », Metropolitan Museum Studies, IV, 2 (...)
- 37 WIA, GC – Seznec, Lettre à F. Saxl, 30 avril 1938.
- 38 WIA, GC – Seznec, Lettre de R.Hincks, 21 juin 1939. Cité dans E. Sears, op. cit., p.14 : « in a num (...)
20Toutefois, l’influence des travaux de Panofsky et Saxl, et notamment de leur article sur la mythologie classique dans l’art médiéval36, se fait sentir de manière bien plus prégnante encore. Le chapitre sur les Métamorphoses des Dieux qui, selon les dires mêmes de Seznec, lui « doit les 9/10e de sa documentation et de ses idées »37, n’en constitue en réalité qu’une longue glose. Seznec y évoque les mêmes idées, se servant des mêmes exemples, à telle enseigne qu’il lui a même été demandé par Robert Hincks d’opérer certains changements dans le choix des illustrations car « dans un certain nombre de cas, les illustrations choisies figuraient déjà dans beaucoup d'autres de nos publications et il devrait être possible de les remplacer par des images moins connues sans nuire à votre argumentation » 38.
- 39 J. Seznec, « Erudits et graveurs au XVIe siècle », Mélanges d’archéologie et d’histoire, 1930 ; « U (...)
21L’essai de Seznec n’en demeure pas moins une œuvre résolument personnelle, qui marque l’aboutissement de recherches menées par l’historien au cours des années précédentes et dont il avait déjà livré quelques clés dans ses articles pour le Journal of the Warburg Institute, mais aussi dans plusieurs textes parus dans les Mélanges d’archéologie et d’histoire dès le début des années trente39.
- 40 Cf. E. Sears, op. cit., p.14.
22Associant aux résultats des recherches de Seznec ceux des principales enquêtes récentes sur le sujet, et plus particulièrement de celles engagées dans le cercle du Warburg Institute, La Survivance des dieux antiques apparaît donc comme un ouvrage de synthèse original, qui opère une sorte de bilan de la question à la fin des années 193040.
- 41 J. Adhémar, Les influences…, op. cit., « Introduction », p.XXVII.
- 42 Cf. G. Didi-Hubermann, L’image survivante. Histoire de l’art et temps des fantômes selon Aby Warbur (...)
- 43 J. Adhémar, Les influences…, op. cit., « L’Ecole de Provence », p.236.
- 44 Ibid., p.XV-XVI.
23« Aux livres de M. Henri Focillon, à son enseignement et à ses conseils nous devons de précieuses leçons de méthode qui nous ont à chaque instant guidé »41. Par « précieuses leçons de méthode », il entend la façon dont Focillon lui a enjoint de placer, par l’étude de l’influence des monuments de l’ancienne Gaule sur l’histoire de l’évolution de la sculpture au Moyen Age, la question de l’influence antique sur le terrain de l’histoire des formes. Usant de l’idée de survivance pour l’adapter à une réflexion formaliste42, Adhémar se refuse, il faut le noter, à employer le terme conceptualisé par Warburg - qui n’apparaît à aucun moment dans son développement -, lui préférant la notion, moins idéologiquement connotée « d’influence », ainsi que l’idée d’une « mort », puis d’une « renaissance » des formes artistiques. Ainsi, dans son chapitre sur « l’Ecole de Provence » pouvons-nous lire : « il semble donc que l’art antique d’Arles soit mort au IVe siècle. […] L’art de Provence ne renaîtra que bien plus tard, après l’art de Bourgogne […]. Il renaîtra lorsque, à l’exemple des artistes des autres provinces, les sculpteurs du midi s’inspireront des sarcophages »43. De fait, c’est autour de cette notion de Renaissance qu’il articule l’ensemble de son texte. Dès l’introduction, il s’en sert pour justifier ses deux premières parties sur « Les études classiques et l’humanisme au Moyen Age » et « La connaissance de l’art antique ». Il explique : « ces recherches étaient nécessaires. Une renaissance – en entendant ce mot dans le sens d’imitation volontaire et consciente de l’Antique – n’est possible et viable qu’à deux conditions : l’amour des lettres classiques connues d’après les originaux, un vif sentiment de la beauté des monuments. L’un et l’autre vont de pair, et se prêtent une force mutuelle. […] Guidé par ces principes, nous étudierons les « Renaissances » successives au cours du Moyen Age ».44
- 45 Ibid., p.XXIV.
24Par ailleurs, il n’est pas anodin que, lorsqu’il évoque la publication à venir de la thèse de son camarade, c’est très spontanément à un autre formaliste qu’il se réfère : « M. Jean Seznec […] prépare une thèse sur l’image des dieux antiques en rapport avec les manuscrits mythologiques illustrés, qui montrera l’intérêt et la portée de cette curieuse tradition signalée déjà par Wölfflin »45.
- 46 WIA, GC – Focillon. Lettre à F. Saxl, 2 août 1937.
25S’il n’est assurément pas un warburgien au sens fort du terme, Adhémar n’en est pas pour autant un formaliste comme le sont, à leur manière, Baltrusaïtis ou Grodecki par exemple. Focillon lui-même, s’il reconnaît les mérites du travail de son élève, qui « contient des textes et des faits nouveaux », est « bien construit » et « rendra service », est contraint d’admettre, dans une lettre qu’il envoie à Saxl : « Je suis bien content de l’opinion que vous avez et que vous me dites, en termes très amicaux, de la thèse d’Adhémar. Entre nous, elle m’a donné quelque souci… »46.
- 47 J. Adhémar, Les influences…, op. cit., « Introduction », p.XXIII.
- 48 « Cet important phénomène fait l’objet des études du WI, après avoir fait celui des recherches de s (...)
26Pour Adhémar, en effet, « l’influence de l’art antique sur la sculpture du Moyen Age n’est qu’un aspect de la question »47, auquel il faut ajouter celui, « très différent et bien important aussi » de la destruction de la forme ou du thème antique par des artistes qui cherchaient à les adapter à un contenu chrétien. En ce sens, il se situe dans la droite ligne des travaux du Warburg Institute, qu’il cite abondamment dans son introduction48.
- 49 WIA, GC – Adhémar. Lettre de F. Saxl, 26 octobre 1937 : « Reading through the proofs I became suspi (...)
- 50 WIA, GC – Seznec. Lettre de F. Saxl, 6 janvier 1938 : « I cannot deny that we have had and will hav (...)
27Néanmoins, dès que l’on va plus avant dans la lecture de son texte, on se rend compte que son argumentation repose presque exclusivement sur la tradition intellectuelle française, ou même exclusivement sur des sources françaises, ce qui n’a pas été sans poser de sérieux problèmes lors de la publication de l’ouvrage. Saxl critique ainsi Adhémar en ces termes : « En parcourant les épreuves, j'ai commencé à avoir des doutes lorsque j'ai découvert que la majeure partie de votre texte était basée sur des auteurs anciens et pas tout à fait appropriés »49, et il va même jusqu’à avouer à Seznec que : « je ne peux pas nier que nous avons eu, et aurons encore, de nombreux problèmes avec [le] livre [d'Adhémar]. Ses citations sont tout simplement désespérément inexactes et il ne connaît pas très bien la littérature critique autre que française. Bien que j'aime beaucoup son livre, je ne suis pas disposé à le publier tant que ces légères imperfections n'auront pas été éliminées. Elles nuiraient à notre réputation en Angleterre, où les citations erronées sont vues d'un très mauvais œil »50.
28Cette phrase ne peut manquer de surprendre le lecteur actuel des Influences antiques dans l’art du Moyen Age, car elle laisse apparaître que si, pour d’aucuns, l’ouvrage d’Adhémar pêche par sa faiblesse méthodologique et théorique, pour Saxl, les principaux enjeux de sa publication se situaient sur un tout autre registre. Plus qu’à la contribution de l’ouvrage à l’histoire d’une discipline, c’est en effet à la portée internationale du texte que s’attache Saxl lorsqu’il évoque le problème des sources exploitées par l’auteur.
29L’exemple d’Adhémar est en cela, nous semble-t-il, particulièrement révélateur de l’état d’esprit qui animait, à la fin des années 1930, les membres du Warburg Institute. Peut-être pour tenter d’assurer une certaine pérennité à une institution dont le sort était encore bien incertain à l’époque, ceux-ci s’étaient en effet engagés dans ce que l’on pourrait appeler une réelle politique de diffusion de leurs travaux et de validation collective du programme du Nachleben der Antike.
30Dès lors, le fait qu’Adhémar et Seznec aient ainsi, avec leur sensibilité différente, développé les concepts d’ « influence » ou de « survivance » selon des modalités divergentes ne doit pas nous étonner. Ils ne faisaient d’ailleurs en cela que s’inscrire dans une mouvance large, car la notion de « Nachleben », telle qu’elle avait été conçue à l’origine par Warburg, avait été reprise, à l’époque, bien au-delà du cercle de ses disciples, par nombre de chercheurs aux intentions les plus diverses, qui lui avaient parfois substitué de nouveaux concepts. Il apparaît ainsi clairement que, contrairement à d’autres disciplines qui reposent sur des appareils théoriques stricts et ordonnés, l’histoire de l’art semble entretenir à l’époque un certain désordre sémantique, qui autorise le paradigme de survivance à revêtir des significations très différentes selon les auteurs, tandis que se développent au des notions en apparence distinctes qui se réfèrent en réalité à une idée identique.
- 51 E. Wind, « Introduction », Bibliography of the Survival of the classics…, 1. Bd. Die Erscheinungen (...)
31C’est dans cette perspective que l’on peut envisager le projet de « Bibliographie de la Survivance de l’antique » orchestré par Edgar Wind, dont deux volumes ont été publiés en 1934 et 1938. En choisissant de rassembler des textes dont les sujets et les méthodes étaient très différents51– et dont la qualité, il faut l’avouer, était aussi très inégale – l’Institut Warburg entendait notamment illustrer l’ampleur du champ d’étude qui lui était directement associé.
- 52 R. Krautheimer, “The carolingian revival of early christian architecture”, The Art Bulletin, 24.194 (...)
- 53 Ibid., p.3.
- 54 Ibid., p.2.
32On peut du reste observer que le glissement du champ sémantique de la survivance de l’antique vers de nouvelles acceptions s’opère même chez des chercheurs liés de façon directe à l’Institut. Un historien comme Richard Krautheimer choisit ainsi comme objet d’étude en 1942 « The Carolingian Revival of Early Christian Architecture »52. S’il se situe bien dans le spectre des recherches warburgiennes par une argumentation fondée sur la question des raisons idéologiques à l’origine de ce « revival » et du rôle qu’il a joué dans le phénomène que l’on appelle communément la Renaissance carolingienne53, c’est tout à fait sciemment qu’il refuse, comme Adhémar l’avait fait avant lui, le terme de survivance. Ainsi, à propos de la reprise du plan basilical romain en Europe après le Ve siècle, il explique : « it represents not a survival but a revival of some kind »54. On retrouve de la sorte chez Krautheimer, adaptée à l’architecture carolingienne, l’idée déjà présente chez Adhémar que la reprise de motifs hérités de l’Antiquité constitue un véritable « retour à la vie » de traditions anciennes et non leur prolongement sous des formes nouvelles.
- 55 « Again and again, one is struck with admiration by the amazing amount of information which Mr. Adh (...)
- 56 « One would like to know more precisely why certain themes were taken up in medieval art, while oth (...)
33Il n’est pas inintéressant de noter que le même Krautheimer avait d’ailleurs rédigé deux ans plus tôt un compte rendu très élogieux de l’ouvrage de Jean Adhémar55, dans lequel il déplorait toutefois le manque d’explications de l’auteur quant aux raisons qui avaient poussé les artistes médiévaux à privilégier tel thème antique plutôt qu’un autre, en insistant notamment sur la figure de Constantin56 et en introduisant donc la question à laquelle il répond deux ans plus tard, lorsqu’il indique dans le texte de 1942 que l’empereur constituait un parfait modèle aux yeux de la cour de Charlemagne parce qu’il représentait tout à la fois l’empire romain et la chrétienté.
- 57 E. Panofsky, « Renaissance and Renascences », The Kenyon Review, vol.6, n°2 (Spring, 1944), p.201-2 (...)
- 58 E. Panofsky, La Renaissance et ses avant-courriers dans l’art d’Occident, Paris, Flammarion, 1993 [ (...)
- 59 Ibid., note 1, p.172.
34Comment ne pas évoquer également ici les « Renascences » médiévales telles qu’elles ont été pensées par Panofsky dans son article de 1944 « Renaissance and Renascences »57, repris dans La Renaissance et ses avant-courriers dans l’art d’Occident58. Ici encore, dans une perspective que l’on pourrait penser proche de celle d’Adhémar,– dont Panofsky pense que l’ouvrage « malgré les limitations topographiques exprimées dans son titre, mérite d’être considéré comme une étude générale du problème »59, l’auteur s’attache à mettre en évidence les phénomènes de « renaissance » qui ont animé l’Europe avant l’avènement de la « grande » Renaissance italienne ». Cependant, alors que le texte français manquait parfois de contenu théorique, c’est à une démonstration à forte connotation idéologique que se livre Panofsky. L’intérêt qu’il affiche pour « la Renovatio carolingienne » et les mouvements de « proto-renaissance » et « proto-humanisme », termes par lesquels il conceptualise le regain d’intérêt pour les formes antiques et l’humanisme classique aux XIe et XIIe siècles, ne lui sert en réalité qu’à « prouver » la suprématie de la Renaissance dans l’acception première du terme. Toujours selon Panofsky, les « renaissances » (« renascences ») médiévales se distinguent, par leur caractère transitoire et limité – en l’occurrence l’absence d’originalité avec laquelle la civilisation carolingienne a repris des motifs antiques, et la façon dont l’Antiquité a été assimilée par « décomposition », selon un principe de disjonction lors de la seconde vague de retour à l’antique – du mouvement né au XVe siècle qui, grâce à la distance historique avec laquelle il embrasse l’Antiquité dans son ensemble, aurait réussi à se maintenir jusqu’à nos jours.
- 60 Voir F.-R. Martin, « Le roman des origines. Survivances et structures chez Henri Focillon dans les (...)
- 61 H. Focillon, « Préhistoire et Moyen Age », dans Moyen Age : Survivances et Réveils, Montréal, Valiq (...)
- 62 H. Focillon, « Une survivance de l’art hellénistique, le personnage sous arcade », L’Art des sculpt (...)
35En France, le terme même de survivance, négligé, nous l’avons vu, par Adhémar, est pourtant utilisé par Henri Focillon et certains de ses élèves, mais il s’y applique à un champ d’étude totalement différent60. Focillon conceptualise en effet la survivance comme la réintroduction par « tradition passive », « métamorphose » ou « réveil » de formes anciennes dans un vocabulaire plastique nouveau61 mais il refuse d’associer une quelconque dimension symbolique ou idéologique à ce phénomène. Ainsi, par exemple, le personnage sous arcade, héritage de la sculpture hellénistique qui devient un élément prédominant dans les premières sculptures romanes ne représente, selon lui qu’« un essai, d’ailleurs limité, d’adaptation de la figure humaine à l’architecture »62. Pour l’auteur français, c’est donc sur un plan formel, et strictement formel, que se pose la question de la survivance, qui n’apparaît dès lors que comme la reprise de modèles anciens dans la résolution de problèmes nouveaux.
- 63 A. Goldschmidt, « Das Nachleben der antiken Formen im Mittelalter », Vorträge der Bibliothek Warbur (...)
- 64 Ibid., p.42.
36L’Allemagne, berceau originel du « Nachleben warburgien», donnera également de nombreuses interprétations de la notion discutée ici. On trouvait par exemple une même acception formelle du concept chez Adolph Goldschmidt, qui publie en 1922 dans les Vorträge der Bibliothek Warburg un article sur « Das Nachleben der antiken Formen im Mittelalter »63, dans lequel il explique que l'Antiquité a continué à vivre au Moyen Age sous trois formes: par son héritage littéraire, par les éléments monumentaux qui ont pu être repris en architecture et dans les arts figuratifs, et enfin en tant que tradition toujours vivace, mais transformée au fil du temps64. Adoptant un schéma tripartite dans lequel on serait tenté de voir une préfiguration, à un stade embryonnaire, des notions de « tradition », « réveil » et « métamorphoses » telles qu’elles seront conceptualisées par Focillon, Goldschmidt insiste en outre dans son texte sur l’idée d’un « Wiederaufleben der Antike » au Moyen Age.
- 65 F. von Bezold, Das Fortleben der antiken Götter im mittelalterlichen Humanismus, Bonn, 1922.
37Chez Friedrich von Bezold, en revanche, le « Nachleben » devient « Fortleben », dans un ouvrage paru la même année sur Das Fortleben der antiken Götter im mittelalterlichen Humanismus65, et s’oriente de ce fait vers la question de la continuité, de l’absence de rupture avec laquelle les dieux antiques ont survécu au Moyen Age.
- 66 A. Von Salis, Antike und Renaissance. Ueber Nachleben und Weiterwerken der alten in der neueren Kun (...)
- 67 Voir à ce sujet W. Heckscher, « Review », American Journal of Archaeology, vol.52, n°3 (Jul. – Sept (...)
38Pour Arnold von Salis, la survivance de l’antique s’exerce à la Renaissance par « Nachleben », mais aussi par « Weiterwerken », comme il l’explique dans un ouvrage intitulé Antike und Renaissance. Ueber Nachleben und Weiterwerken der alten in der neueren Kunst66, dans lequel il néglige au contraire toute la tradition médiévale et son influence, en tant que vecteur de transmission de modèles classiques, sur l’art de la Renaissance67.
- 68 R. Hamman-Mc Lean, « Antikenstudium in der Kunst des Mittelalters », Marburger Jahrbuch für Kunstwi (...)
39Enfin, chez un chercheur comme Richard Hamann-McLean qui, dans son article sur « Antikenstudium in der Kunst des Mittelalters », paru en 1950, se réfère à de nombreuses reprises à l’ouvrage d’Adhémar, la question de l’influence de l’antique, analysée dans le rapport que les artistes du Moyen Age entretenaient avec les monuments antiques et leur étude, ne se posera plus en termes de « survivance », mais de « relation dialectique entre assimilation directe ou indirecte [de motifs anciens] » et d’ « Antikennähe und Antikenferne »68.
40Nombreuses on le voit étaient alors les variantes du concept, particulièrement dans les années 1930, différences dans le lexique, mais surtout définitions antagonistes de la chose elle-même, la survivance. Aujourd’hui nous avons évidemment tendance à voir dans ces applications, et particulièrement celles d’historiens de l’art tels que Seznec ou Adhémar, de simples déclinaisons, sur un mode érudit c’est-à-dire mineur, de la lettre warburgienne. Si ce rigorisme est sans doute nécessaire, ce retour au texte de Warburg lui-même, cette juste appréciation de la prodigieuse complexité du Nachleben, cela ne doit pas se faire en faisant disparaître les tâtonnements des élèves et des successeurs ou encore les travaux moins aboutis. Ce retour, encore une fois, ne doit pas jeter dans l’ombre cette phase de diffusion des objets, des concepts et des méthodes warburgiens, dont Saxl et Wind furent d’inlassables promoteurs. Qu’ils aient pu accueillir les travaux de Seznec et d’Adhémar montre, en définitive, qu’ils n’obéissaient pas de manière inconditionnelle à un organon de concepts et de méthodes trop rigoureusement définis, qui aurait sans doute eu pour effet de produire un effet de fermeture prématurée. L’élasticité des définitions, la disponibilité de ces mêmes concepts à des recherches très diverses, y compris celles de Focillon qui avait été invité par Wind à prononcer une conférence à Londres, caractérisent ce moment du warburgisme sans Warburg. On peut même croire qu’ils constituaient, dans l’esprit d’un Saxl notamment, sa correspondance relative aux deux Français en témoigne, une condition de l’invention, autant que l’observance de l’arsenal de moyens théoriques dont ils étaient les héritiers.
Notes
1 J. Adhémar, Influences antiques dans l'art du Moyen-âge français : recherches sur les sources et les thèmes d'inspiration, Londres, The Warburg Institute, 1937. Dernière édition : préf. Léon Pressouyre, Paris, Editions du C.T.H.S., 2005 [1996].
2 J. Seznec, La Survivance des dieux antiques : essai sur le rôle de la tradition mythologique dans l'humanisme et dans l'art de la Renaissance, Londres, The Warburg Institute, 1940. Dernière édition : Paris, Flammarion, 1993.
3 Cf. J. Thuillier, « La Vie des formes : une théorie de l’histoire de l’art ? », in G. Kubler et al., Relire Focillon, Paris, 1998, p.75-96, p.96 ; repris par F.-R. Martin, « La migration des idées, Panofsky et Warburg en France », Revue germanique internationale, 13, 2000, p.239-259, p.246.
4 H. Focillon, L’Art des sculpteurs romans, Paris, 1931.
5 Ibid., p.59.
6 WIA, GC – Seznec, 29 mai 1930. Lettre reproduite dans E. Sears, « Seznec, Saxl and La Survivance des dieux antiques », Images of the Pagan Gods, Papers of a Conference in Memory of Jean Seznec, Warburg Institute Colloquia 14, Londres, 2010, p.3-20, p.19.
7 WIA, GC – Seznec, 10 juin 1937.
8 Cf. WIA, GC – Seznec, 10 juin 1937 : « Focillon qui (Grâce à vous) m’a reçu à bras ouverts, m’a promis de me faire inscrire, a été chaleureux et réconfortant au possible, et m’a laissé plein d’espoir. »
9 Cf. WIA, GC – Seznec, 11 janvier 1938 : « vous avez avec vous M. Saxl, m’a-t-il dit, cela me suffit. »
10 WIA, GC – Focillon, 14 juillet 1937, Lettre de F. Saxl : « I am greatly indebted to you for the radical change for the better which the book has undergone. It shows the master’s corrections and I am full of admiration for the manner in which you guide your pupils. »
11 WIA, GC – Seznec, Lettre à Gertrud Bing, 31 janvier 1931.
12 WIA, GC – Seznec, Lettre à Fritz Saxl, 4 mars 1931.
13 WIA, GC – Seznec, plusieurs lettres entre le 9 novembre et le 7 décembre 1934. Séminaire en 2 séances, fin avril 1935 : « Sources mythologiques lointaines et récentes du XVIe siècle » et « Diffusion et influence de l’iconographie des dieux ».
14 Sur les 3 séjours que Seznec a projeté de faire à Londres, en 1934, 1935 et 1936, un seul a pu aboutir. Il séjourne à l’institut du 15 août au 20 septembre 1935, et dira par la suite « J’ai conscience d’avoir plus appris et compris de choses auprès de vous, en ces cinq semaines, que partout ailleurs en un an… ». Cf. WIA, GC – Seznec, Lettres à F. Saxl, 7 septembre et 24 octobre 1935.
15 Ainsi, « M. Lenchantin, Nuovi frammenti di Filocoloro, Rivis. Filol. Istruz. Class. 10, 1932, p.41-57» ; « M. Castelain, Démogorgon ou le barbarisme déifié, Bull. Assoc. Guillaume Budé, 36, 1932, p.22-39 » ; « L.-F. Flutre, Les Manuscrits des Faits des Romains, Paris, Hachette, 1932 et Li Fait des Romains dans les littératures française et italienne du XIIIe au XVIe siècle, Paris, Hachette, 1932 » ; « K. Sneyders de Vogel, La date de la composition des Faits des Romains, Neophilologus, 17, 1932, p.213-214, La date de la composition des Faits des Romains précisée, Ebda, p.271 et Les Vers dans les Faits des Romains, Mélanges de philosophie offerts à J. Salverda de Grave…, Wolters, 1933, p.293-305 » ; « R. van Marle, Iconographie de l’art profane, vol.2, La Haye, Nijhoff, 1932 » ; « E. Mâle, L’Art religieux après le Concile de Trente, Paris, Colin, 1932 » ; « F. Vincent, Les Parnassiens. L’esthétique de l’école. Les œuvres et les hommes, Paris, Beauchesne 1933 » ; J. Vianey, Les poèmes barbares de Leconte de Lisle, Paris, 1933 » ; A Bibliography on the Survival of the Classics, Second volume : The Publications of 1932-1933, Londres, The Warburg Institute, 1938, n°120, 124, 144, 145, 147-149, 410, 1126, 1210, 1219, 1220, 1245.
16 J. Seznec, « Youth, Innocence and Death: Some Notes on a Medallion on the Certosa of Pavia », Journal of the Warburg Institute, Vol. 1, No. 4 (Apr., 1938), pp. 298-303. (Il s’agissait d’un texte rédigé pour une « Festschrift » en l’honneur de Fritz Saxl), et « Apollo and the Swans' on the Tomb of St. Sebaldus », Vol. 2, No. 1 (Jul., 1938), p. 75.
17 WIA, GC – Adhémar, Lettre à F. Saxl, 2 août 1934.
18 WIA, GC – Adhémar, Lettre de F. Saxl, 10 septembre 1934.
19 WIA, GC – Adhémar, Lettre à F. Saxl, 6 mai 1936.
20 WIA, GC – Adhémar, Lettre à F. Saxl, 29 octobre 1937.
21 Il y rédige deux comptes rendus : « R. Forrer, Les frises historiées de l’église romane d’Andlau, Cahiers d’archéologie et d’histoire d’Alsace, 22-23, 1931-32, p.53-79 » et « D. Krencker, Von Ausklang der Antike in der Gotik. Betrachtungen zum Wandel d. Form am Strasburger Münster, Elsass-Lothringisches Jahrb., II, 1932, p.22-54 », A Bibliography…, vol.2, op. cit.,n°772-774, p.204-205.
22 WIA, GC – Seznec, Lettre de F. Saxl, 28 mars 1938 : « Would it not be simply ideal to have M. Adhémar’s book as a sort of volume I and yours as its sequel, not that they need necessarily be printed as volumes I and II, but everybody would regard the books as a sort of unit covering the whole period from antiquity up to the end of the Renaissance. I wish this dream could be fulfilled. […] »
23 WIA, GC – Adhémar, Lettre à F. Saxl, 6 mai 1936.
24 WIA, GC – Seznec, Lettre à F. Saxl, 26 février 1936.
25 L. Pressouyre, « Préface », dans Les Influences antiques…, 2005, op. cit., p.XI-XII.
26 Lettre de Seznec à Carcopino, 28 novembre 1937, citée par E. Sears, op. cit., p.4.
27 J. Seznec, La Survivance…, op. cit., Livre II, Chapitre III, « L’influence des manuels », p.327-371.
28 Ibid., Introduction, p.8.
29 WIA, GC – Adhémar, Lettre à F. Saxl, 22 décembre 1936 : Focillon « m’a demandé d’[…]ajouter un chapitre sur les mosaïques, à cause d’une autre thèse assez proche de la mienne, et à laquelle mon travail ne doit pas ressembler. J’écris ce chapitre, mais je pense qu’il sera inutile, que M. Focillon me permettra de le supprimer, ce qui, n’est-ce pas, vous conviendrait mieux. D’ailleurs si vous jugiez ce chapitre intéressant, on pourrait en faire un excursus. »
30 WIA, GC – Seznec, Lettre à F. Saxl, 17 mars 1931 : « […] il a raison – à condition qu’on aille encore plus loin et plus profondément que lui. »
31 A. Warburg, « Art italien et astrologie internationale au Palazzo di Schifanoia à Ferrare », Essais florentins, Paris Klincksieck, 1990 (2e tirage 2003), p.197-220, p. 201.
32 Cf. Rembrandt Duits, « The Waning of Renaissance », Images of the Pagan Gods…, op. cit., p.21-39.
33 Cf. P. Morel, Mélissa : magie, astres et démons dans l'art italien de la Renaissance, Paris, Hazan, 2008.
34 J. Seznec, La Survivance…, op. cit. p.91 et 242-246 et plus précisément p.242.
35 A. Warburg, « Art italien… », op. cit., p.211.
36 E. Panofsky et F. Saxl, « Classical Mythology in Medieval Art », Metropolitan Museum Studies, IV, 2, mars 1933 ; traduction française La Mythologie classique dans l’art médiéval, Brionne, Gérard Montfort, 1990.
37 WIA, GC – Seznec, Lettre à F. Saxl, 30 avril 1938.
38 WIA, GC – Seznec, Lettre de R.Hincks, 21 juin 1939. Cité dans E. Sears, op. cit., p.14 : « in a number of cases the material duplicated that of many of our other publications, and […] it might be possible to substitute, without prejudice to your argument, less familiar matter ».
39 J. Seznec, « Erudits et graveurs au XVIe siècle », Mélanges d’archéologie et d’histoire, 1930 ; « Un essai de mythologie comparée au début du XVIIe siècle », ibid., 1933 ; « Les manuels mythographiques italiens et leur diffusion en Angleterre à la fin de la Renaissance », ibid., 1933 et « La mascarade des dieux à Florence en 1565 », ibid., 1935.
40 Cf. E. Sears, op. cit., p.14.
41 J. Adhémar, Les influences…, op. cit., « Introduction », p.XXVII.
42 Cf. G. Didi-Hubermann, L’image survivante. Histoire de l’art et temps des fantômes selon Aby Warburg, Paris, Les éditions de minuit, 2002, p.95.
43 J. Adhémar, Les influences…, op. cit., « L’Ecole de Provence », p.236.
44 Ibid., p.XV-XVI.
45 Ibid., p.XXIV.
46 WIA, GC – Focillon. Lettre à F. Saxl, 2 août 1937.
47 J. Adhémar, Les influences…, op. cit., « Introduction », p.XXIII.
48 « Cet important phénomène fait l’objet des études du WI, après avoir fait celui des recherches de son fondateur : outre d’importants ouvrages sur les métamorphoses historiques de certains thèmes de l’Antiquité, le professeur Saxl, son directeur, et M. Panofsky ont publié un article sur ce sujet ; M. Liebeschütz a analysé, avec beaucoup de savoir et de perspicacité, l’action des mitologiae de Fulgence de Ruspe sur les images mythologiques du XIVe siècle […] », Ibid., p.XXII.
49 WIA, GC – Adhémar. Lettre de F. Saxl, 26 octobre 1937 : « Reading through the proofs I became suspicious when I found that most of your text is based on old and not quite adequate authors. »
50 WIA, GC – Seznec. Lettre de F. Saxl, 6 janvier 1938 : « I cannot deny that we have had and will have much trouble with his [Adhémar’s] book. His quotations are simply hopelessly incorrect, and his knowledge of critical literature other than French is not very wide. Although I like his book very much, I am not prepared to publish it before these minor imperfections are removed. They would give us a bad name in England, where people take a very serious view of wrong quotations. »
51 E. Wind, « Introduction », Bibliography of the Survival of the classics…, 1. Bd. Die Erscheinungen des Jahres 1931, Berlin-Leipzig, Teubner, 1934, p.IX : « the subjects and the methods related to this problem are very divergent ».
52 R. Krautheimer, “The carolingian revival of early christian architecture”, The Art Bulletin, 24.1942,1, p. 1-38.
53 Ibid., p.3.
54 Ibid., p.2.
55 « Again and again, one is struck with admiration by the amazing amount of information which Mr. Adhémar has gathered from all corners of France and elsewhere » R. Krautheimer, « Review », The Art Bulletin, vol.22, n°4, (dec., 1940), p.280-281.
56 « One would like to know more precisely why certain themes were taken up in medieval art, while other ones which were as well known through extant Roman monuments were entirely disregarded. […] Why Constantine? (the explanation given that the pilgrims returned from Rome with small copies of the Marcus Aurelius-Constantine statue near the Lateran is not convincing). » Ibid., p.281.
57 E. Panofsky, « Renaissance and Renascences », The Kenyon Review, vol.6, n°2 (Spring, 1944), p.201-206.
58 E. Panofsky, La Renaissance et ses avant-courriers dans l’art d’Occident, Paris, Flammarion, 1993 [1960, 1e édition française 1976].
59 Ibid., note 1, p.172.
60 Voir F.-R. Martin, « Le roman des origines. Survivances et structures chez Henri Focillon dans les années trente », Henri Focillon, textes réunis par Pierre Wat, Paris, Kimé, 2007, p.37-51.
61 H. Focillon, « Préhistoire et Moyen Age », dans Moyen Age : Survivances et Réveils, Montréal, Valiquette, 1945, p.14.
62 H. Focillon, « Une survivance de l’art hellénistique, le personnage sous arcade », L’Art des sculpteurs romans, Paris, PUF, 1982 [1931], p.77-78.
63 A. Goldschmidt, « Das Nachleben der antiken Formen im Mittelalter », Vorträge der Bibliothek Warburg, 1921-1922, p.40-50.
64 Ibid., p.42.
65 F. von Bezold, Das Fortleben der antiken Götter im mittelalterlichen Humanismus, Bonn, 1922.
66 A. Von Salis, Antike und Renaissance. Ueber Nachleben und Weiterwerken der alten in der neueren Kunst, Zürich, Eugen Rentsch Verlag, 1946.
67 Voir à ce sujet W. Heckscher, « Review », American Journal of Archaeology, vol.52, n°3 (Jul. – Sept., 1948), p.421-423, p.422.
68 R. Hamman-Mc Lean, « Antikenstudium in der Kunst des Mittelalters », Marburger Jahrbuch für Kunstwissenschaft, XV, 1949-50, p.157-251.
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Référence électronique
Marie Tchernia-Blanchard, « Résonances warburgiennes en France dans les années 1930 », Images Re-vues [En ligne], Hors-série 4 | 2013, mis en ligne le 28 janvier 2013, consulté le 13 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/imagesrevues/2917 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/imagesrevues.2917
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