L’an vingt-deux de l’ère Jian’an et au-delà
Résumé
En l’an vingt-deux de l’ère Jian’an, une épidémie dévastatrice a sévi, laissant une empreinte profonde sur le paysage littéraire en emportant cinq des Sept Lettrés de Jian’an. Cet événement majeur, souvent négligé dans les récits historiques, a durablement marqué l’histoire littéraire.
Cette étude explore la réflexion de Cao Pi sur l’immortalité à travers l’écriture, en examinant dans quelle mesure sa rétrospection nostalgique vers les membres de son cénacle perdus lors de cette épidémie a contribué à la remémoration et à la « fabrique » de l’ère littéraire Jian’an dans l’histoire chinoise, tout en anticipant les prémices de la critique littéraire. Elle met en évidence que ce processus est collectif, impliquant à la fois les auteurs de l’ère Jian’an et les lettrés des Six Dynasties qui les commémorent, imitent, réinventent, évaluent, révisent et compilent, cherchant à perpétuer leur mémoire tout en enrichissant leur propre écriture, pour lutter contre la mort et prévenir l’oubli.
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- 1 Cet article a bénéficié des relectures méticuleuses et des conseils éclairés de Valérie Lavoix et J (...)
La littérature […] est une cause grandiose qui ne périt jamais.
––– Cao Pi
- 2 Fan Ye 範曄 (398-445), Hou Han shu 後漢書 (Livre des Han postérieurs). Beijing : Zhonghua shuju, 1965 (c (...)
- 3 Il pourrait s’agit de la malaria.
- 4 Les Sept Lettrés de Jian’an 建安 (196-220), Kong Rong 孔融 (153-208), Wang Can 王粲 (177-217), Chen Lin 陳 (...)
- 5 Conservée dans le « Weishu » 魏書 (Chronique de Wei) du Sanguo zhi 三國志 (Chroniques des Trois Royaumes (...)
1« En l’an vingt-deux de l’ère Jian’an sous le règne de l’empereur Xian, une grande épidémie [a éclaté] » (獻帝建安二十二年,大疫2). Cette mention lapidaire dans le Hou Han shu 後漢書 (Livre des Han postérieurs) effleure l’un des événements qui a le plus significativement marqué l’histoire de la littérature chinoise. Nous étions en l’an 217, alors que la dynastie Han touchait à sa fin. Cette « grande épidémie » (dayi 大疫), dont la nature demeure peu certaine3, a emporté les cinq des Sept Lettrés de Jian’an 建安 (196-220) qui étaient encore en vie4 : « [Xu] Gan, [Chen] Lin, [Ying] Yang, [Liu] Zhen décédèrent en l’an vingt-deux » (幹、琳、瑒、楨二十二年卒5). C’est ce que relate succinctement le Sanguo zhi 三國志 (Chroniques des Trois Royaumes) dans la biographie consacrée à Wang Can 王粲 (177-217), une autre victime ayant succombé un peu plus tôt cette année-là.
- 6 Tian Xiaofei accorde également une attention spéciale à l’épidémie dans son exploration de la « con (...)
2Si les récits historiques ont tendance à survoler cette épidémie, son impact reste profond et multiple. Cette étude se concentre principalement sur son influence dans l’histoire littéraire, en se penchant d’abord sur une sélection de textes des frères Cao, Cao Pi 曹丕 (187-226) et Cao Zhi 曹植 (192-232), deux figures majeures de l’ère Jian’an. Nous examinons en particulier les lettres échangées par Cao Pi avec son entourage pour comprendre comment cette épidémie, malgré sa présence discrète dans les archives historiques, a façonné l’image littéraire de l’ère Jian’an transmise à la prospérité. Elle aurait joué un rôle considérable dans l’émergence du premier essai d’esthétique littéraire de l’histoire chinoise6. De plus, nous explorons le rôle des belles-lettres — ou de l’écriture — comme moyen de résistance à l’impermanence. Enfin, nous analysons l’impact durable de la vision littéraire de Cao Pi, nourrie en partie par ses méditations sur la vie et la mort, la mémoire et l’oubli, exacerbées par les pertes et les souffrances causées par l’épidémie. Nous étudions ainsi les répercussions que cette vision a suscitées chez les générations suivantes pendant les Six Dynasties.
L’épidémie de l’an vingt-deux de l’ère Jian’an
- 7 Tels que vivement décrits par Cao Cao dans son célèbre poème « Haoli xing » 蒿里行 (Chant du Village d (...)
- 8 Yang Junqi 楊鈞期, Sang Donghui 桑東輝, « Hanmo ‘dayi’ yu Jian’an wenxue jiyi shuxie ji Wei-Jin wenxue zo (...)
3Le déclin de la dynastie des Han a entraîné des décennies de guerres incessantes, souvent accompagnées d'épidémies. Les déplacements massifs de réfugiés, conséquence directe des conflits, ont propagé les maladies à travers le pays, tandis que les champs, après les batailles, se retrouvaient jonchés de cadavres7, créant ainsi des conditions favorables à la propagation des épidémies. En effet, depuis l’accession au trône de l’empereur Guangwu 光武 (r. 25-57) en l’an 25 jusqu’à la chute de l’empire en l’an 220 sous le règne de l’empereur Xian 獻 (r. 190-220), une dizaine d’épidémies dévastatrices ont été répertoriées pour la période des Han orientaux8.
4En 208, soit la treizième année de l’ère Jian’an, Cao Cao 曹操 (155-200), le fameux seigneur de guerre qui usurpait le pouvoir de l’empereur Xian et agissait en son nom, lança une expédition punitive contre Sun Quan 孫權 (182-252), futur fondateur du royaume de Wu. Cette campagne militaire culmina lors de la célèbre bataille des Falaises rouges (Chibi 赤壁), où une épidémie éclata dans l’armée de Cao, précipitant ainsi la fin des hostilités.
- 9 Sanguo zhi, j. 31, p. 645 : « L’armée du Seigneur Cao a subi une défaite aux Falaises rouges et a é (...)
- 10 Sanguo zhi, j. 47, p. 827 : « Le seigneur (Cao Cao) a fait brûler les autres navires et s’est retir (...)
5Cette épidémie, qui modifia le cours d’un combat décisif pour le destin des Trois Royaumes, est mentionnée dans le Shushu 蜀書 (Chronique de Shu)9 et dans le Wushu 吳書 (Chronique de Wu)10 du Sanguo zhi. Cependant, une autre épidémie qui s’est déclarée quelques années après la bataille des Falaise rouges, en l’an vingt-deux de l’ère Jian’an, et qui a causé encore plus de victimes, est presque passée sous silence : aucun passage ne figure dans les annales historiques pour nous éclairer sur son ampleur. C’est grâce à un fragment de Cao Zhi 曹植 (192-232), conservé dans le Taiping yulan 太平御覽 (Encyclopédie impériale de l’ère Taiping) sous le titre « Shuo yiqi » 說疫氣 (Propos sur l’épidémie), que nous avons accès à quelques aspects de l’événement :
- 11 Nourriture grossière des gens du peuple.
- 12 Demeures humbles.
- 13 Li Fang 李昉 (925-995) et al., Taiping yulan 太平御覽, j. 742, « Jibing bu – Yili » 疾病部·疫癘 (Maladie – Épi (...)
En l’an vingt-deux de l’ère Jian’an, une épidémie sévit. Dans chaque foyer, règnent la douleur de voir des cadavres se raidir et la tristesse chargée de cris et de pleurs : ici toute une famille en est anéantie, là tout un clan en est décimé. Certains pensent que l’épidémie est l’œuvre de démons et d’esprits. Or les victimes du malheur sont principalement des gens qui s’habillent d’étoffe grossière, se nourrissent de feuilles de haricot11 et habitent des chaumières aux portes de vergerettes12. Ceux qui vivent dans de grands hôtels où les repas sont servis dans des tripodes, qui portent des doubles fourrures et s’assoient sur des nattes épaisses sont rarement touchés. En réalité, c’est le fait que le yin et le yang sont troublés dans leur emplacement et que le froid et la chaleur manquent à leur saison qui donne naissance à l’épidémie. Pourtant, les petites gens ignorants suspendent des amulettes pour la réprimer ; c’est bien risible.13
建安二十二年,癘氣流行。家家有僵屍之痛,室室有號泣之哀。或闔門而殪,或覆族而喪。或以為疫者,鬼神所作。夫罹此難者,悉被褐茹藿之子,荊室蓬戶之人耳!若夫殿處鼎食之家,重貂累蓐之門,若是者鮮焉!此乃陰陽失位,寒暑錯時,是故生疫。而愚民懸符厭之,亦可笑也。
- 14 Cette croyance remonte au Shanhai jing 山海經 (Livre des monts et des mers), où l’épidémie est présent (...)
6Ces quelques lignes suffisent à nous faire imaginer l’atmosphère lugubre qui régnait en ce temps-là. Si Cao Zhi n’a pas tort d’ironiser sur les ignorants qui attribuent l’épidémie aux démons14, il est cependant inexact de prétendre que toutes les victimes étaient uniquement des gens pauvres et d’humble condition. En effet, parmi les Sept Lettrés de Jian’an, membres de son entourage proche, cinq ont succombé à cette calamité.
- 15 En réalité, cette grande épidémie à la fin de la dynastie des Han ne s’est pas limitée à l’an vingt (...)
7Au début de l’an vingt-deux de l’ère Jian’an, l’épidémie qui se déclenche dans le nord de la Chine sera l’une des plus importantes épidémies survenues durant la fin des Han orientaux15. Vers la fin de la première lune, Wang Can, le plus éminent de la Pléiade, décède sur le chemin du retour vers la capitale Ye 鄴, à l’âge de 41 ans. Pour honorer sa mémoire, Cao Zhi compose le « Wang Zhongxuan lei » 王仲宣誄 (Éloge funèbre pour Wang Zhongxuan), dans lequel il n’évoque pourtant point l’épidémie. Sans doute Wang Can était-il l’une des premières victimes du fléau qui se manifestait alors de manière encore peu visible et dont la nature échappait à la conscience des gens. Pour ne citer que la préface et les vers qui précèdent l’éloge funèbre :
En l’an vingt-deux de l’ère Jian’an, au vingt-quatrième jour de la première lune, entre trois heures et cinq heures de l’après-midi, messire Wang, ancien gentilhomme du palais des Wei, marquis de l’intérieur des passes, est décédé. Hélas ! Quelle affliction !
建安二十二年,正月二十四日戊申,魏故侍中關內侯王君卒。嗚呼哀哉!
- 16 Littéralement, « même promesse [de la mort] ».
- 17 Référence à la célèbre maxime de Confucius : « Si l’on entend le Tao le matin, on peut mourir le so (...)
- 18 San Cao shiwen, p. 1028.
皇穹神察, 哲人是恃, 如何靈祗, 殲我吉士。 誰謂不庸, 早世即冥; 誰謂不傷, 華繁中零。 存亡分流, 夭遂同期, 朝聞夕沒, 先民所思。 何用誄德, 表之素旗; 何以贈終, 哀以送之。 |
Le Ciel auguste, dans sa divine sagacité, Est ce à quoi se fient les sages. Pourquoi donc les dieux et les esprits Ont-ils pris la vie de notre homme de vertu ? Qui peut dire que ce n’est pas douloureux De sombrer précocement dans les ténèbres, Qui peut dire que ce n’est pas affligeant De faner en pleine floraison ? Subsister ou périr, deux voies distinctes ; Vie brève ou longévité, même destin16. Entendre [le Tao] le matin et mourir le soir17, Telle était la pensée des anciens. Comment pouvons-nous louer ses mérites ? Avec des inscriptions sur une simple banderole ; Comment pouvons-nous lui faire nos adieux ? Rien d’autre que notre profonde tristesse…18 |
- 19 Selon une anecdote relatée dans le Shishuo xinyu 世說新語 (Nouveaux propos mondains), à cette occasion, (...)
8En l’an vingt-deux de l’ère Jian’an, à l’âge de 41 ans, Wang Can trouva la mort en cours de route lors d’un retour vers le nord avec Cao Cao, après une expédition au sud contre Sun Quan. De son vivant, il avait su maintenir des relations étroites avec les deux frères Cao, naviguant habilement à travers les conflits croissants qui les opposaient concernant la succession au pouvoir, sans se compromettre. Cao Pi lui-même a présidé la cérémonie funèbre de Wang Can19.
- 20 Référence au poème « Huangniao » 黃鳥 (Loriot) du Shijing, où les vers suivants apparaissent à trois (...)
- 21 Le « Lunwen » fait partie du Dianlun 典論 (Discours modèles), rédigé vraisemblablement lorsque Cao Pi (...)
- 22 Voir notamment Donald Holzman, « Literary Criticism in the Early Century A.D. », et Liu Yuejin 劉躍進, (...)
9« Pourquoi donc les dieux et les esprits, Ont-ils pris la vie de notre homme de vertu ? » Cette interrogation, renforcée par l’emploi du verbe jian 殲, qui dépeint souvent une mort violente, impitoyable et cruelle20, reflète intensément le choc ressenti par Cao Zhi. Face à la perte soudaine de l’un des piliers de son cénacle, Cao Pi a ressenti le même choc que son cadet. Il n’aurait pas imaginé que cette disparition serait suivie de la chute simultanée des quatre autres membres de la Pléiade la même année. Par son célèbre traité intitulé « Lunwen » 論文 (De la littérature)21, il fut l’un des premiers à leur rendre hommage. En dehors de cet essai, ses réflexions littéraires transparaissent également dans sa correspondance. Bien que la plupart de ses textes soient aujourd’hui bien connus et étudiés22, notre intérêt réside dans l’examen de la manière dont l’an vingt-deux de l’ère Jian’an, marqué par la disparition de la Pléiade, a inauguré cette ère dans l’histoire littéraire chinoise.
La correspondance de Cao Pi avec son entourage
- 23 Deux vers extraits d’un poème perdu de Cao Pi, voir Liu Dianjue 劉殿爵, Chen Fangzheng 陳方正, He Zhihua (...)
10Au dixième mois de cette année, Cao Pi, âgé de trente ans, est nommé héritier présomptif, cependant qu’à ses côtés il ne restait plus aucun des Sept Lettrés : « Me retournant vers l’arrière, à la ronde, Je ne vois aucun de mes vieux amis » (回頭四向望,眼中無故人)23. Le Weishu 魏書 (Chronique de Wei) du Sanguo zhi conserve une lettre que Cao Pi adressa à Wang Lang 王朗 ( ?-228). Ce dernier, après avoir occupé plusieurs postes importants sous Cao Cao, continua à bénéficier de la confiance de Cao Pi, qui le promut au poste de Grand Censeur (Yushi dafu 御史大夫), peu de temps après son accession au trône :
- 24 Autrement dit, quand il était prince héritier.
- 25 Sanguo zhi. Beijing : Zhonghua shuju, 1959, j. 2, p. 88.
Jadis, lorsque l’empereur résidait au palais de l’Est24, une épidémie dévastatrice éclata, causant de nombreuses pertes parmi ses contemporains. Profondément touché, l’empereur écrivit à Wang Lang, alors Juge suprême, qu’il respectait depuis toujours : « Vivants, nous avons une stature de sept pieds ; morts, nous ne serons que poussière dans un cercueil. Seuls l’établissement de la vertu et la renommée qu’elle engendre peuvent nous rendre impérissables. À défaut, rien n’est comparable à la composition d’œuvres. L’épidémie a frappé à maintes reprises, [tant de] lettrés ont péri… Qui suis-je donc pour avoir pu seul préserver ma vie ? » C’est pourquoi il a rédigé des essais sur des classiques ainsi que des poèmes, totalisant plus d’une centaine de textes, et a réuni des érudits à la porte des remparts Su, où ils ont discuté des grands principes avec zèle et sans relâche.25
帝初在東宮,疫癘大起,時人彫傷,帝深感歎,與素所敬者大理王朗書曰 :「生有七尺之形,死唯一棺之土,唯立德揚名,可以不朽,其次莫如著篇籍。疫癘數起,士人雕落,余獨何人,能全其壽 ?」故論撰所著典論詩賦,蓋百餘篇,集諸儒於肅城門內,講論大義,侃侃無倦。
- 26 Zuozhuan 左傳, « Xianggong ershi si nian » 襄公二十四年 (L’An vingt-quatre du règne du duc Xiang), voir Yan (...)
11Par l’expression buxiu 不朽, impérissable, Cao Pi fait évidemment référence à un passage célèbre du Zuozhuan 左傳 (Commentaire de Zuo)26, dans lequel il est question des trois moyens permettant d’acquérir une renommée éternelle (san buxiu 三不朽, littéralement « trois impérissabilités ») : la voie ultime est d’édifier sa vertu, lide 立德, c’est-à-dire d’être reconnu comme exemplaire par sa conduite morale ; ce qui vient en second lieu, c’est d’accomplir des exploits, souvent des exploits politiques, ligong 立功 ; enfin, le dernier recours est de laisser derrière soi des paroles — des enseignements sages — qui passeront à la prospérité, liyan 立言.
12Ceci démontre que très tôt, les lettrés chinois ont aspiré à atteindre une sorte d’immortalité morale ou intellectuelle dans la mémoire collective. Dans ce processus, l’établissement de la vertu (lide) et l’accomplissement d’exploits (ligong), qu’ils fussent politiques ou militaires, prenaient le pas sur la transmission de paroles sages (liyan). En ce sens, Cao Pi avait une vision différente. Pour lui, si l’on ne pouvait pas briller par une conduite morale exemplaire, rien n’était plus précieux que la création d’œuvres pour perdurer dans la mémoire des hommes. Cette idée est exprimée par la phrase : « Seuls l’établissement de la vertu et la renommée qu’elle engendre peuvent nous rendre impérissables. À défaut, rien n’est comparable à la composition d’œuvres » (唯立德揚名,可以不朽,其次莫如著篇籍), dont il est possible de faire deux interprétations différentes. Soit cette phrase recouvre les trois moyens du passage du Zuozhuan, et yangming 揚名remplace ligong, ce qui pourrait éventuellement affaiblir la hiérarchie entre lide et ligong (équivalant à yangming) ; soit, à l’inverse, Cao Pi élimine ligong (et lide yangming 立德揚名devient une amplification de lide), laissant seulement deux moyens. Dans cette dernière hypothèse, l’écriture occupe la deuxième place en tant que voie pour atteindre une renommée impérissable. Dans tous les cas, la substitution de zhu pianji 著篇籍 à liyan 立言 est remarquable.
- 27 Lunyu, 7.1, p. 84. La traduction proposée par Couvreur est : « Je transmets [les enseignements des (...)
13En effet, l’expression liyan, de même que lide et ligong, dénote une attitude édifiante, visant à transmettre des connaissances et des enseignements à travers les mots ou les propos (yan 言). Mais Cao Pi introduit une nuance à cette leçon des anciens rois, en utilisant l’expression zhu pianji 著篇籍, qui signifie « composer des œuvres », incluant potentiellement des compositions littéraires. Cao Pi célèbre l’acte même de l’écriture, se distinguant du principe de Confucius qui déclarait « relater sans composer » (述而不作)27.
- 28 Wenxuan 文選 (Sélection de textes littéraires), une des plus célèbres anthologies de la littérature c (...)
14Les conceptions littéraires de Cao Pi seront plus amplement développées dans sa lettre adressée à Wu Zhi 吳質 (177-230), citée dans la biographie de Wang Can conservée dans le Sanguo zhi, et incluse dans le Wenxuan 文選 (Sélection de textes littéraires)28 sous le titre « Yu Wu Zhi shu » 與吳質書 (Lettre à Wu Zhi) :
- 29 Le troisième couplet du poème « Dongshan » 東山 (Mont de l’Est) du Shijing décrit un soldat en expédi (...)
- 30 Allusion à Xu You 許由, un reclus légendaire qui aurait vécu sous le règne de l’empereur Yao 堯. Xu Yo (...)
- 31 Selon l’anecdote racontée dans le Liezi 列子, le célèbre musicien Bo Ya 伯牙 (ca 387-299 av. J.-C.) rom (...)
- 32 Zilu 子路 (524-480 av. J.-C.), ou encore Zhong You 仲由, fut l’un des disciples les plus célèbres de Co (...)
- 33 Référence à un célèbre dicton de Confucius : « Les générations futures sont à craindre ; comment sa (...)
- 34 Liu Xiu 劉秀 (5 av. J.-C.-57, r. 25-57), premier empereur des Han orientaux.
- 35 Formule de modestie, pour suggérer des dons naturels médiocres.
- 36 Wenxuan, j. 42, pp. 1896-1898. Voir Donald Holzman, « Literary Criticism in China in the Early Thir (...)
Au troisième jour de la deuxième lune, Pi dit :
Le temps passe si vite et voilà quatre ans depuis notre dernière rencontre. Trois années de séparation sont déjà trop longues pour que l’on soupire dans le poème « Mont de l’Est »29, d’autant que nous avons dépassé cette durée ! Nos pensées réciproques peuvent-elles être supportées ? Même nos lettres échangées ne parviennent pas à apaiser ma peine.
L’autre année, l’épidémie ravageuse a frappé, emportant nombre de nos proches et amis. Xu [Gan], Chen [Lin], Ying [Yang], Liu [Zhen], tous sont partis en même temps : ma douleur est-elle dicible ? À nos anciens jours de promenade, nous étions char contre char quand nous nous déplacions, natte contre natte quand nous nous arrêtions, jamais séparés même un instant ! À chaque fois que les coupes passaient de main en main, que les instruments à cordes et à vent résonnaient en harmonie et que nous étions enivrés par le vin et nos oreilles échauffées, nous levions la tête pour réciter des poèmes. À ce moment-là, ignorants de notre bonheur, nous ne nous en rendions pas compte. Nous nous disions que nous avions encore cent ans devant nous et que nous pourrions nous préserver mutuellement pendant longtemps. Comment aurais-je pu imaginer qu’en quelques années, je les perdrais tous ? Combien en parler me brise le cœur ! Récemment, j’ai transcrit les textes qu’ils ont laissés et les ai regroupés en un recueil. Leurs noms, que j’observe maintenant, forment déjà une liste des défunts. Je me remémore nos promenades d’antan qui demeurent vivaces devant mes yeux et dans mon cœur, alors que leurs êtres ne sont plus que débris et cendres. Que puis-je encore dire ?
En observant les lettrés d’hier et d’aujourd’hui, la plupart ne s’attachent pas aux détails de leur conduite et rares sont ceux qui parviennent à se distinguer par leur réputation et leur intégrité morale. Mais Weichang (Xu Gan), lui seul embrassait autant l’élégance littéraire que l’élévation du caractère ; avec une quiétude désintéressée, modéré dans ses désirs, il portait l’aspiration du mont Ji30 : on peut le qualifier de véritable gentilhomme. Ses quelque vingt textes sous le titre « Traité du Milieu » constituent une doctrine personnelle et, grâce à leur élégance classique autant que par leur expression et leur signification, ils méritent d’être transmis à la postérité : [le nom de] ce maître restera donc impérissable ! Quant à Delian (Ying Yang), brillant dans son style littéraire, il a toujours nourri l’intention de créer des œuvres et possédait le talent ainsi que l’érudition nécessaires pour le faire, mais son ambition noble n’a pas été pleinement réalisée, ce qui est profondément regrettable.
En privé, quand je parcours les textes de ces maîtres, je verse des larmes. Ayant pleuré pour les défunts, je vais maintenant exprimer mes propres pensées. Kongzhang (Chen Lin) était particulièrement adroit dans la rédaction des rapports et des mémoires bien que son style fût quelque peu sophistiqué. Gong’gan (Liu Zhen) [écrivait] avec une grâce aérienne quoiqu’il manquât de rigueur ; ses pentasyllabes les plus remarquables surpassent de loin ceux de nos contemporains par leur ingéniosité. La correspondance de Yuanyu (Ruan Yu) est élégante et d’une saveur réjouissante, tandis que Zhongxuan (Wang Can) brillait de manière exceptionnelle dans la composition poétique ; malheureusement, sa santé fragile l’empêcha de développer pleinement son talent littéraire, mais dans ce domaine où il excellait, il n’avait rien à envier aux anciens. Jadis, Bo Ya brisa les cordes [de sa cithare] en hommage à Zhong [Zi]qi31, Confucius versa du hachis de viande à la mémoire de Zilu32 ; ainsi, on déplore la rareté de rencontrer un connaisseur en musique ou un disciple [digne]. Ces maîtres, bien que leurs vertus ne fussent pas égales à celles des anciens, étaient les talents éminents de leur époque. Ceux qui survivent de nos jours ne leur sont pas comparables. Les générations futures portent en elles des promesses33 et il est difficile de dénigrer ce qui est à venir, mais je crains que vous et moi n’ayons pas l’occasion d’en être témoins.
Arrivé à l’âge mûr, mille pensées tourbillonnent dans mon esprit, parfois les soucis me privent de sommeil toute la nuit durant… Quand ma volonté et mon enthousiasme retrouveront-il leur force d’antan ? Me voici déjà un vieillard, même si mes cheveux n’ont pas encore blanchi. Comme le disait l’empereur Guangwu34 : « J’ai plus de trente ans, et j’ai passé dix ans dans l’armée. Ce qui a changé en moi n’est pas seulement une question [d’âge] ». Je ne le vaux point en termes de vertu, mais l’égale maintenant en âge. Avec des dons naturels de chien ou de bouc35, je me suis paré de motifs de tigre et de léopard ; sans la clarté des astres, j’ai emprunté la lumière du soleil et de la lune. Chaque geste, chaque mouvement [de ma part] est scruté ; quand cette situation changera-t-elle enfin ? Je crains de ne plus jamais pouvoir me promener comme auparavant. Il ne faut vraiment pas ménager ses efforts quand on est jeune et vigoureux. Une fois l’âge avancé, comment peut-on rattraper le temps perdu ? Les anciens avaient bien raison de vouloir déambuler la nuit avec une bougie à la main.
Comment vous divertissez-vous ces temps-ci ? Avez-vous écrit de nouvelles compositions [littéraires] ? Moi, je contemple l’Est, et vous écris cette lettre pour épancher mon cœur.
Pi.36
二月三日,丕白:
歲月易得,別來行復四年。三年不見,《東山》猶嘆其遠,況乃過之,思何可支!雖書疏往返,未足解其勞結。
昔年疾疫,親故多離其災,徐、陳、應、劉,一時俱逝,痛可言邪?昔日遊處,行則連輿,止則接席,何曾須臾相失!每至觴酌流行,絲竹並奏,酒酣耳熱,仰而賦詩,當此之時,忽然不自知樂也。謂百年己分,可長共相保,何圖數年之間,零落略盡,言之傷心。頃撰其遺文,都爲一集,觀其姓名,已爲鬼錄。追思昔遊,猶在心目,而此諸子,化爲糞壤,可複道哉?
觀古今文人,類不護細行,鮮能以名節自立。而偉長獨懷文抱質,恬淡寡欲,有箕山之志,可謂彬彬君子者矣。著《中論》二十餘篇,成一家之言,詞義典雅,足傳於後,此子爲不朽矣。德璉常斐然有述作之意,其才學足以著書,美志不遂,良可痛惜。
間者歷覽諸子之文,對之技淚,既痛逝者,行自念也。孔璋章表殊健,微爲繁富。公幹有逸氣,但未遒耳;其五言詩之善者,妙絕時人。元瑜書記翩翩,致足樂也。仲宣獨自善於辭賦,惜其體弱,不足起其文,至於所善,古人無以遠過。昔伯牙絕弦於鍾期,仲尼覆醢於子路,痛知音之難遇,傷門人之莫逮。諸子但爲未及古人,自一時之儁也,今之存者,已不逮矣。後生可畏,來者難誣,然恐吾與足下不及見也。
年行已長大,所懷萬端,時有所慮,至通夜不瞑,志意何時復類昔日?已成老翁,但未白頭耳。光武言:“年三十餘,在兵中十歲,所更非一。”吾德不及之,而年與之齊矣。以犬羊之質,服虎豹之文,無衆星之明,假日月之光,動見瞻觀,何時易邪?恐永不復得爲昔日遊也。少壯真當努力,年一過往,何可攀援,古人思秉燭夜遊,良有以也。
頃何以自娛?頗復有所述造不?東望於邑,裁書敘心。丕白。
15Après avoir échangé quelques courtoisies d’usage, Cao Pi aborde directement le sujet de l’épidémie qui le tourmente encore. Il évoque les moments passés en compagnie de ses amis lettrés, désormais teintés d’une nostalgie poignante. Cette réminiscence profonde le pousse à rassembler les écrits laissés par ces défunts. Pour lui, cette compilation n’est pas seulement un moyen de préserver leur mémoire, mais aussi une opportunité d’évaluer de manière éclairée les qualités littéraires qui les rendaient uniques. Ainsi, l’expression « Que puis-je dire encore ? » (可複道哉?) peut être interprétée comme une forme de prétérition : maintenant qu'ils sont devenus cendres, j’ai toute latitude pour émettre des jugements de valeur, qu’ils soient critiques ou élogieux.
16Par ailleurs, il est remarquable que les commentaires de Cao Pi sur les Sept Lettrés débutent une fois de plus par la notion de buxiu 不朽, « immortalité », en commençant par évaluer Xu Gan 徐幹 (170-217). Pour Cao Pi, l’attribution exclusive du titre d’« immortel » à Xu Gan se justifie non seulement par sa distinction en tant que gentilhomme, mais également par l’ampleur de son œuvre. Son traité intitulé « Zhonglun » 中論 (Traité du Milieu) est hautement loué par Cao Pi, pour le fondement d’une « école en soi » destinée à être « transmise à la postérité ». Ce traité, de nature politique, vise à clarifier les principes de justice et à revenir aux enseignements originaux des classiques, en les réinscrivant dans la voie des sages. Il est classé comme écrit confucéen dans toutes les annales dynastiques, à l’exception du Songshi 宋史 (Histoire des Song).
17La tournure cheng yijia zhi yan 成一家之言, qui signifie « fonder une école de propos — pensée — à part entière », prend racine dans le concept de liyan 立言. Elle suggère l’idée d’élever son propre discours intellectuel pour établir une voie de pensée distincte et influente, répondant aux besoins intellectuels ou sociaux spécifiques de son époque. Cette notion est originellement introduite par Sima Qian 司馬遷 (ca 145-ca 86 av. J.-C.) dans sa préface au monumental Shiji 史記 (Mémoires du Grand historien) :
- 37 Sima Qian 司馬遷 (ca 145-ca 86 av. J.-C.), Shiji 史記 (Mémoire du Grand historien), j. 130, « Taishi gon (...)
Ainsi, [j’ai] recueilli les faits omis [par d’autres], complété les arts [oubliés dans d’autres ouvrages] afin de fonder une école en soi. (…) Je cacherai mon œuvre dans les montagnes sacrées en laissant une copie à la capitale, en attendant que les sages et les hommes de bien des générations futures [puissent la déchiffrer] …37
以拾遺補藝,成一家之言……藏之名山,副在京師,俟後世聖人君子。
- 38 顧炎武 (1613-1682), Huang Rucheng 黃汝成 (1799-1837, annoté par), Rizhi lu jishi 日知錄集釋 (Annotations colle (...)
18En effet, Sima Qian s’inscrit parfaitement dans la tradition de liyan en ce qui concerne son engagement à préserver l’histoire et à transmettre des propos éclairants à la postérité. Le Grand historien, bien qu’il s’abstienne souvent de jugements explicites, possède, comme l’observe Gu Yanwu 顧炎武 (1613-1682), la rare capacité de discerner les aspects essentiels des événements historiques à travers leur rapport même (古人作史,有不待論斷而於序事之中即見其指者,惟太史公能之)38. Dans ce sens, Le Shiji constitue une école de pensée en léguant aux générations suivantes une forme d’enseignement historique.
19Ainsi, par cette tournure, Cao Pi rappelle l’essence de liyan dans la tradition, notamment confucéenne. Notons par ailleurs que son jugement à propos de Xu Gan est précédé d’une observation sur la rareté des lettrés, tant anciens que contemporains, capables d’établir une réputation fondée sur leur conduite morale. Par cela, il souligne implicitement l’importance de s’accomplir par son écriture. Ceci entre en résonance avec sa lettre adressée à Wang Lang, où il remarque que la composition d’œuvres vient immédiatement après l’établissement de la vertu et la renommée, comme moyen d’atteindre l’« impérissabilité ».
20C’est précisément pour cette raison que Cao Pi regrette le peu d’œuvres laissées par les Sept Lettrés, citant notamment les cas de Ying Yang, qui, malgré son talent et sa vaste érudition, n’a pas pu réaliser son souhait d’écrire des ouvrages, et de Wang Can, dont la production littéraire a été compromise par sa santé fragile.
21En effet, cette lettre met en exergue le rôle majeur de l’écriture dans la vision de Cao Pi, qu’il s’agisse de textes fonctionnels tels que les mémoires et rapports de Chen Lin et la correspondance de Ruan Yu, ou de textes littéraires comme les compositions poétiques de Kong Rong. Cao Pi explore la compilation des écrits de ses amis décédés en tant que précieuse relique pour honorer leur mémoire. Son désir de perpétuer leur héritage et de transmettre leurs œuvres aux générations futures est manifeste. Dans cette perspective, la critique littéraire que Cao Pi déploie à travers ces passages, agissant comme un lien entre le passé, le présent et l’avenir, trouve sa légitimité justifiée par une double perspective.
22D’une part, cette légitimité découle d’un profond sentiment d’impermanence. L’acte d’écrire est animé par une conscience vive de la fugacité de la vie. Ainsi, la critique littéraire, qu’elle soit exercée par choix ou conférée par reconnaissance, devient une forme de consécration de l’acte d’écrire en lui-même. Elle se présente comme un moyen de préserver l’existence au-delà de la mortalité, une tentative de figer un fragment du temps à travers l’écriture. Cette valeur s’accroît d’autant plus que les générations futures portent en elles des potentiels prometteurs, et que rivaliser avec leurs accomplissements deviendrait une entreprise ardue.
23D’autre part, cette légitimité tire sa justification de la transformation fondamentale du statut de Cao Pi lui-même : élevé au rang de prince héritier, il s’affirme désormais comme l’empereur en devenir, inscrivant ainsi son nom dans la lignée des grands souverains comme l’empereur Guangwu, restaurateur des Han en l’an 25. En évoquant ce prédécesseur, Cao Pi se projette non seulement dans son rôle imminent de souverain, mais aussi dans sa capacité potentielle à incarner la continuité historique et à assumer une responsabilité morale envers la culture et les arts.
24La réponse de Wu Zhi, intitulée « Da Wei taizi jian » 答魏太子牋 (Lettre de réponse au prince héritier des Wei), semble être en parfaite concordance avec celle de son prince, mais révèle toutefois des divergences dignes d’intérêt. Elle est également conservée dans le Wenxuan :
- 39 L’expression yuxi 羽檄 désigne des dépêches militaires portant une plume de coq pour marquer leur car (...)
- 40 À savoir l’empereur Wu 武 des Han (r. 141-87 av. J.-C.).
- 41 Littéralement « chose différente, chose étrangère », l’expression signifie cadavre dans ce contexte (...)
- 42 Titre de Liu Xiu avant de monter sur le trône.
- 43 Wenxuan, j. 40, pp. 1825-1827. La tournure sizui 死罪 signifie littéralement « crime capital, mortel (...)
Le huitième jour de la deuxième lune, entre trois heures et cinq heures du matin, votre serviteur Zhi dit :
En lisant respectueusement votre lettre dans laquelle vous exprimez votre regret pour ceux qui ne sont plus et votre pensée pour ceux qui survivent, l’ampleur de votre tristesse ainsi que votre générosité transparaissent entre les lignes. Les jours et les mois se précipitent et le temps nous est compté. Autrefois, lorsque je servais à vos côtés, entouré de ces multiples talents, nous sortions pour profiter de petites promenades et une fois rentrés, nous nous réjouissions de la musique des flûtes ou des cithares. Au banquet, nous buvions à loisir et composions des poèmes à la gloire de la longévité. Nous pensions que nous pourrions toujours nous préserver l’un l’autre et que, ensemble, nous pourrions donner libre cours à notre talent pour servir un souverain éclairé. Comment aurions-nous pu imaginer qu’en quelques années, presque tous disparaîtraient ! Quel mérite ai-je pour survivre seul plus longtemps ?
Chen [Lin], Xu [Gan], Liu [Zhen] et Ying [Yang], leur talent et leur érudition sont, en effet, comme vous l’avez décrit dans votre lettre. Il est déplorable qu’ils n’aient pas réalisé leurs aspirations, et vivement on s’en afflige ! Ces maîtres, avec toute leur prestance, furent certes dignes de vous accompagner. Cependant, si d’aventure des dangers survenaient aux frontières, si des agitations régnaient parmi vos serviteurs, si des rapports militaires s’entassaient en vous arrivant, et que des dépêches39 circulaient au galop, ces talents n’étaient pas ceux à qui nous aurions pu confier une mission. Jadis, sous l’ère de l’empereur Xiaowu40, les belles-lettres étaient florissantes, mais des individus comme Dongfang Shuo et Mei Gao ne pouvaient pas soutenir leurs arguments — ce sont des équivalents de Ruan [Yu] et Chen [Lin] — ; seuls Yan Zhu et [Wuqiu] Shouwang participaient aux affaires politiques, mais ils étaient tous les deux imprudents en ce qui concerne leur personne : bien qu’excellents conseillers pour l’État, ils ont fini par subir des revers, voire la mort. En secret, je ressens du dédain envers eux. Quant à Sima Changqing (Xiangru), il prétendait être malade pour éviter les affaires et s’adonnait à la composition d’œuvres — il en va presque de même pour Xu [Gan]. À présent que [ces messires] sont tous morts, ils sont devenus des êtres appartenant à un autre monde41. Cependant, les gens des générations à venir sont vraiment à craindre [avec admiration].
Je pense à votre majesté qui déambule librement dans la bibliothèque des classiques et se repose dans le jardin des belles-lettres. Lorsque vous prononcez un discours ou défendez une argumentation, vous poussez votre raisonnement jusqu’au bout, en relevant les moindres détails. Vos expressions sous votre pinceau semblent les esquisses d’un phénix ou d’un dragon envolé. Si vous égalez le prince Xiao42 en âge, vous le surpassez mille fois par votre talent. C’est pourquoi l’opinion de cette assemblée [de vos serviteurs] converge vers [vous, notre] auguste [prince], et que partout, que ce soit proche ou lointain, nous partageons une même voix. Cependant, les années passent inexorablement, et maintenant, à l’âge de quarante-deux ans, mes cheveux blancs apparaissent, mes préoccupations grandissent chaque jour, et je ne suis vraiment plus ce que j’étais autrefois. Je souhaite simplement me conduire avec discipline, éviter de commettre des erreurs, afin de ne pas être un fardeau pour mes amis proches.
Les plaisirs des promenades et des banquets sont difficiles à retrouver ; une fois passée, la jeunesse florissante ne peut être reprise. Votre serviteur, aussi médiocre soit-il, a eu la chance de vivre à une époque où se réunissaient des génies. Malgré mon âge avancé, je suis encore désireux d’affronter [les ennemis aux frontières], la poitrine offerte et la tête levée, afin de déployer pleinement ma valeur [en faveur de l’État] quitte à me faire briser. Il m’est impossible d’exprimer pleinement ma dévotion. Après avoir pris pleine connaissance de votre lettre, je me suis permis de partager quelques-unes de mes pensées les plus intimes. [Veuillez pardonner à] Zhi [cette impertinence, qui mérite] mille morts.43
二月八日庚寅,臣質言:
奉讀手命,追亡慮存,恩哀之隆,形於文墨。日月冉冉,歲不我與。昔侍左右,廁坐眾賢,出有微行之游,入有管弦之歡,置酒樂飲,賦詩稱壽。自謂可終始相保,並騁材力,效節明主。何意數年之間,死喪略盡。臣獨何德,以堪久長?
陳徐劉應,才學所著,誠如來命,惜其不遂,可為痛切。凡此數子,於雍容侍從,實其人也。若乃邊境有虞,群下鼎沸,軍書輻至,羽檄交馳,於彼諸賢,非其任也。往者孝武之世,文章為盛,若東方朔枚皋之徒,不能持論,即阮陳之儔也;其唯嚴助壽王,與聞政事,然皆不慎其身,善謀於國,卒以敗亡,臣竊恥之;至於司馬長卿稱疾避事,以著書為務,則徐生庶幾焉。而今各逝,已為異物矣。後來君子,實可畏也。
伏惟所天,優游典籍之場,休息篇章之囿,發言抗論,窮理盡微,摛藻下筆,鸞龍之文奮矣。雖年齊蕭王,才實百之。此眾議所以歸高,遠近所以同聲。然年歲若墜,今質已四十二矣,白髮生鬢,所慮日深,實不復若平日之時也。但欲保身敕行,不蹈有過之地,以為知己之累耳。游宴之歡,難可再遇;盛年一過,實不可追。臣幸得下愚之才,值風雲之會,時邁齒臷猶欲觸匈奮首,展其割裂之用也。不勝慺慺。以來命備悉,故略陳至情。質死罪死罪。
25À première vue, la lettre de Wu Zhi semble répondre point par point à celle de son prince : elle exprime des regrets pour la disparition des Sept Lettrés, émet des jugements sur leurs mérites, réfléchit sur la vie et reconnaît l’inéluctabilité du temps qui passe… Cependant, ce parallèle n’implique pas qu’il s’agisse d’un simple écho.
26Bien qu’il commence également par évoquer avec nostalgie les anciennes promenades en compagnie des Sept Lettrés, Wu Zhi élabore une évaluation personnelle de ce groupe en explorant davantage le concept de ligong, « accomplir des exploits ». Tout en reconnaissant leur talent et leur érudition, il souligne les limites de leurs compétences en matière de gestion politique et militaire en période de crise. L’idée avancée par Cao Pi pour introduire son appréciation de Xu Gan — « la plupart [des lettrés] ne s’attachent pas aux détails de leur conduite et rares sont ceux qui parviennent à se distinguer par leur réputation et leur intégrité morale » —, est amplement développée par Wu Zhi.
27Pour établir un parallèle avec les membres de la Pléiade, Wu Zhi convoque le cercle des courtisans les plus proches et favorisés de l’empereur Wu 武 des Han (r. 141-87 av. J.-C.) : Dongfang Shuo 東方朔 (154-93 av. J.-C.), Mei Gao 枚皋 (153- ?), Yan Zhu 嚴助 ( ?-112), Wuqiu Shouwang 吾丘壽王 ( ?- ?) et Sima Xiangru 司馬相如 (179-117 av. J.-C.). Son jugement s’appuie sur un passage du Han shu :
- 44 Ban Gu 班固 (32-92), Han shu 漢書 (Livre des Han). Beijing : Zhonghua shuju, 1964 (ci-après Han shu), j (...)
Parmi ceux qui étaient les plus proches et favorisés de l’empereur, figuraient Dongfang Shuo, Mei Gao, Yan Zhu, Wuqiu Shouwang et Sima Xiangru. Sima Xiangru prétendait souvent être malade pour éviter les affaires. [Dongfang] Shuo et [Mei] Gao ne soutenaient pas solidement leurs arguments et l’empereur les traitait parfois comme des amuseurs. Seuls [Yan] Zhu et [Wuqiu] Shouwang ont été employés, Yan étant en première ligne.44
其尤親幸者,東方朔、枚皋、嚴助、吾丘壽王、司馬相如。相如常稱疾避事。朔、皋不根持論,上頗俳優畜之。唯助與壽王見任用,而助最先進。
- 45 Ibid., j 65, p. 2863.
- 46 Ibid., p. 2864.
- 47 Ibid., j. 51, p. 2367.
28Ruan Yu et Chen Lin sont comparés à Dongfang Shuo et Mei Gao, pour être incapables « de soutenir leurs arguments ». Selon Ban Gu, Dongfang Shuo a été nommé Grand Maître des Cérémonies à un moment, puis a souvent servi aux côtés de l’empereur Wu, « se contentant de plaisanter et badiner » (詼啁而已)45, mais malgré l’abondance des expressions dans ses discours, ceux-ci n’ont jamais été utilisés (辭數萬言,終不見用)46. Quant à Mei Gao, qui excellait comme rhapsode à l’instar de Sima Xiangru, il regrettait ses descriptions poétiques semblables à des farces et que lui-même soit considéré comme un amuseur (為賦乃俳,見視如倡)47. Ainsi, l’appréciation de Wu Zhi envers Ruan Yu et Chen Lin n’est guère flatteuse.
29Xu Gan, quant à lui, loué par Cao Pi pour sa « quiétude désintéressée » et son « aspiration du mont Ji », est comparé à Sima Xiangru non pas pour l’éclat de son talent parmi les courtisans de l’empereur, mais pour son choix de s’éloigner des affaires et, par conséquent, de la responsabilité publique. Yan Zhu et Wuqiu Shouwang sont les seuls à avoir contribué aux affaires politiques en tant qu’« excellents conseillers », mais Yan Zhu a fini par être exécuté sur la place publique, tandis que Wuqiu Shouwang l’a été dans le cadre d’une punition collective.
30Ainsi, l’idée selon laquelle « la plupart [des lettrés] ne s’attachent pas aux détails de leur conduite », avancée par Cao Pi, a été utilisé par Wu Zhi pour développer sa propre argumentation. À la différence de Cao Pi, Wu Zhi ne se préoccupe pas principalement de l'écriture ou de la composition littéraire. Il explore plutôt la tension entre les aspirations littéraires et les défis de la réalité politique. En concluant sa lettre par une déclaration de dévotion envers son prince, Wu Zhi exprime son désir de servir l’État en mettant pleinement en œuvre ses valeurs, même au prix du sacrifice. En d’autres termes, sa réflexion gravite autour du concept de ligong, visant à accomplir des mérites ou des exploits, du début jusqu’à la fin.
- 48 Nous aborderons cette notion dans la dernière section de cet article.
31Par contraste, pour clore sa propre lettre, Cao Pi demande à Wu Zhi s’il a « écrit de nouvelles compositions [littéraires] » (頗復有所述造). L’expression shuzao 述造renvoie certainement à zhu pianji 著篇籍, « composer des œuvres », mentionné dans la lettre à Wang Lang. Cette question est accompagnée d’une demande de Cao Pi concernant les passe-temps de Wu Zhi, ziyu 自娛, un terme qui évoque la dimension esthétique voire ludique de l’écriture, plutôt que de la considérer comme chargée de vocation morale ou politique : écrire non pas pour « fonder une école en soi », mais pour le plaisir (yu 娛). Ceci laisse entrevoir une tendance au « détachement »48 de la littérature, une tendance qui se renforcera pendant la période des Six Dynasties.
- 49 Pour une traduction complète de cette lettre en anglais, voir Donald Holzman, « Literary Criticism (...)
32Dans le prolongement de cette discussion autour de ligong et zhu pianji, il convient de revenir au cadet de Cao Pi, Cao Zhi. Dans une lettre adressée à Yang Xiu 楊修 (175-219), qui a servi en tant que premier secrétaire aux armées de Cao Cao et, à l’instar de Wu Zhi pour Cao Pi, a été un partisan et conseiller de Cao Zhi dans la lutte pour la succession, il est possible de discerner des éléments clés de cette dynamique politique et littéraire. Voici un extrait de la lettre49 :
- 50 Cao Zhi, « Yu Yang Dezu shu » 與楊德祖書 (Lettre à Yang Dezu), voir Wenxuan, j. 42, pp. 1903-1904.
Bien que ma vertu soit modeste, en tant que marquis des frontières, j’espère encore consacrer mes efforts à la grandeur de l’État, apporter des bienfaits au peuple, accomplir une entreprise durable pour mille générations et laisser [le renom de] mes exploits gravé dans le bronze et la pierre. Comment pourrais-je me satisfaire de la gloire tirée de l’encre et du pinceau, ou croire que la poésie et la rhapsodie feront de moi un homme de bien ? Si mes aspirations ne se réalisent pas et que ma voie ne trouve pas son cours, alors je compilerai les chroniques des divers fonctionnaires, argumenterai sur les réussites et les échecs des mœurs contemporaines, déterminerai le véritable sens de la bienveillance et de la justice, et fonderai une école en soi. Bien que je ne puisse peut-être pas cacher cette œuvre dans les montagnes sacrées, je la transmettrai aux passionnés de la même veine. Si je ne comptais pas m’y dévouer jusqu’à mes vieux jours, aurais-je tenu de tels propos aujourd’hui ?50
吾雖德薄,位為蕃侯,猶庶幾戮力上國,流惠下⺠,建永世之業,留金石之功,豈徒以翰墨為勳績,辭賦為君子哉!若吾志未果,吾道不行,則將采庶官之實錄,辯時俗之得失,定仁義之衷,成一家之言。雖未能藏之於名山,將以傳之於同好,非要之皓首,豈今日之論乎 !
- 51 Liu Yuejin estime que cette lettre pourrait avoir été rédigée en 216, année où Cao Cao est devenu R (...)
33Cette lettre doit avoir précédé celle que Cao Pi adressa à Wu Zhi, se situant ainsi au cœur des luttes d’influence et de rivalité entre les deux frères51. Si Cao Zhi partage avec son aîné la volonté de laisser une marque dans l’histoire et de perpétuer son nom, leurs points de vue divergent quant à l’importance accordée à la littérature.
34Cao Zhi, bien que reconnu pour ses talents littéraires, semble vouloir prouver que ses ambitions vont au-delà de la poésie. Il cherche à démontrer son aptitude à gouverner et à mener des actions concrètes pour le bien de l’État, suggérant ainsi que la littérature lui est accessoire plutôt qu’essentielle : « Comment pourrais-je me satisfaire de la gloire tirée de l’encre et du pinceau, ou croire que la poésie et la rhapsodie feront de moi un homme de bien ? »
35Ici, l’expression « pinceau et encre » (翰墨) désigne spécifiquement la littérature et les textes littéraires, formant ainsi un parallèle avec « poésie et rhapsodie » (辭賦). Ces dernières sont qualifiées par Cao Zhi dans cette même lettre d’« arts mineurs » (小道), n’étant pas dignes de perdurer dans le temps car elles ne suffisent pas à « exalter les grands principes » (揄揚大義) ni à « éclairer les générations futures » (彰示來世).
36Il est pertinent de se demander dans quelle mesure cette attitude reflète les véritables convictions de Cao Zhi ou s’il s’agit d’une stratégie politique visant à réaffirmer sa dévotion à accomplir des actes significatifs au-delà des contributions littéraires. Les propos de Cao Zhi laissent entendre que seuls les écrits fonctionnels, comme les mémoires historiques, ont le potentiel de « fonder une école en soi » et méritent d’être transmis aux générations futures. Cette perspective prend tout son sens lorsqu’il fait référence à Sima Qian : « Ainsi, je compilerai les chroniques des divers fonctionnaires […] et fonderai une école en soi ».
37En évoquant l’idée de « cacher cette œuvre dans les montagnes sacrées » (藏之名山), Cao Zhi ne rappelle pas seulement la préface du Shiji mentionnée précédemment dans notre lecture de la lettre de Cao Pi à Wu Zhi, mais aussi les propos de Sima Qian dans sa célèbre lettre adressée à Ren An 任安 ( ?-29 av. J-C.), où il exprime sa détermination à réparer l’humiliation subie à cause de sa castration en achevant son œuvre monumentale :
- 52 Sima Qian, « Bao Ren Shaoqing shu » 報任少卿書 (Lettre en réponse à Ren Shaoqing), voir Han shu, j. 32 « (...)
Si je parviens vraiment à rédiger cet ouvrage, à le cacher dans les montagnes sacrées et à le transmettre aux bonnes personnes, pour qu’il soit connu dans toutes les grandes villes et cités, alors j’aurai racheté l’outrage passé.52
僕誠以著此書,藏諸名山,傳之其人,通邑大都,則僕償前辱之責。
38Lorsque Cao Zhi envisage la possibilité de compiler des mémoires historiques, c’est en cas d’échec de ses ambitions politiques — « Si mes aspirations ne se réalisent pas et que ma voie ne trouve pas son cours ». Cette attitude pragmatique montre qu’il voit dans l’écriture historique une alternative potentielle lorsque les voies politiques sont barrées, une alternative qui, éventuellement, pourrait lui permettre de compenser un regret et de laisser un héritage durable.
39En outre, pour Cao Zhi, la compilation de mémoires historiques ne correspond visiblement pas à ce qu’il entend par « pinceau et encre », terme qu’il réserve aux écrits de belles-lettres. En contraste, Cao Pi utilise ce même terme dans son « Lunwen » pour englober une gamme beaucoup plus large de significations :
- 53 « Lunwen », Wenxuan, j. 52, p. 2272.
C’est pourquoi les auteurs de jadis confiaient leur personne au pinceau et à l’encre, exprimaient leurs pensées à travers leurs écrits, sans recourir aux mots [éloquents] de bons historiens, ni au pouvoir de hauts dignitaires, et leur renommée se transmettait d’elle-même à la postérité.53
是以古之作者,寄身於翰墨,見意於篇籍,不假良史之辭,不託飛馳之勢,而聲名自傳於後。
40Ce passage met en lumière la confiance de Cao Pi en l’écriture, ou en la littérature dans son acception la plus large : pour lui, le « pinceau et l’encre » permettent aux auteurs d’exprimer pleinement leur essence. Il considère la littérature comme un moyen suffisant pour transmettre des idées et des valeurs, indépendamment de l’approbation des historiens officiels ou de la reconnaissance des hauts dignitaires. Cette autonomie suggère une intégrité intrinsèque des œuvres littéraires, capables de perdurer et d’influencer les esprits à travers le temps.
- 54 « Lunwen », Wenxuan, p. 2272.
41Cao Zhi, bien qu’appréciant la littérature, reste plus ancré dans une vision où les accomplissements politiques et pratiques prennent le pas, tandis que Cao Pi accorde une importance prépondérante à l’acte d’écrire en lui-même, allant même jusqu’à le placer au-dessus des réalisations matérielles. Il exprime son regret envers ceux qui, « affairés dans des entreprises immédiates, négligent [la possibilité de laisser derrière eux] une gloire qui aurait perduré mille années » (遂營目前之務,而遺千載之功)54. Dans ce contexte, le terme gong 功 ne se réfère pas aux honneurs acquis grâce à des exploits concrets, comme dans l’expression « exploits gravés dans le bronze et la pierre » (金石之功), mais il évoque les mérites que permet d’acquérir l’acte d’écrire.
- 55 Donald Holzman, « Literary Criticism in the Early Century A.D. », p. 135 : « Il seems to me that it (...)
42Contrairement à Cao Zhi qui place l’écriture historique au-dessus de la poésie et la rhapsodie, Cao Pi, comme l’observe judicieusement Donald Holzman, détient la perspective que la littérature, quelle que soit sa forme, partage un fondement commun dans sa capacité à transmettre des idées et des valeurs — « toute la littérature est la même en substance, bien que ses manifestations ultérieures diffèrent » (文本同而末異)55.
- 56 « Lunwen », Wenxuan, p. 2272.
43Enfin, si nous avons traduit wen 文 par « littérature », il est essentiel de comprendre ce terme dans toute sa portée, incluant non seulement les écrits philosophiques et rituels, mais aussi les écrits fonctionnels ainsi que les formes littéraires. Cette traduction est justifiée par le fait que Cao Pi a, pour la première fois dans l’histoire chinoise, élevé les belles-lettres au même niveau que d’autres formes d’écriture considérées comme plus méritantes, telles que les écrits historiques aux yeux de son frère cadet. D’autre part, alors que dans sa lettre à Wang Lang Cao Pi place l’établissement de la vertu et de la renommée (lide yangming) avant la composition d’œuvres (zhu pianji), dans son « Lunwen », il va jusqu’à énoncer cette déclaration retentissante qui restera gravée dans l’histoire littéraire : « La littérature est une entreprise majeure dans l’administration de l’État, une cause grandiose qui ne périt jamais » (蓋文章經國之大業,不朽之盛事)56.
- 57 Ibid.
44« La vie d’un homme est limitée, les honneurs et les félicités se terminent avec sa personne » (年壽有時而盡, 榮樂止乎其身), tandis que « les écrits littéraires ne connaissent pas de limites » (文章之無窮)57. Les pages suivantes explorent la mise à l’épreuve de ces propos de Cao Pi à travers la réception de l’ère Jian’an et les œuvres de ses contemporains ainsi que les siennes par les générations suivantes.
Réincarnation à travers l’écriture
- 58 Tian Xiaofei, « Yanyin yu huiyi », p. 21.
45L’héritage littéraire des Sept Lettrés de Jian’an est autant l’œuvre des cercles lettrés de l’époque, tels les frères Cao, la Pléiade et leurs contemporains, qu’un produit des réminiscences et des imaginations des lettrés ultérieurs sur cette période. Comme le remarque Tian Xiaofei, l’ère « littéraire » de Jian’an s’est, dès ses débuts, ancrée dans les souvenirs et les commémorations58.
- 59 Dans certaines anthologies, le titre « Ni Yezhong ji » 擬鄴中集 (Imitation du recueil de Yezhong, ou en (...)
46Les banquets et rencontres littéraires, évoqués avec une profonde nostalgie par Cao Pi, ont fait rêver les poètes des générations suivantes. Parmi eux, le talentueux Xie Lingyun 謝靈運 (385-433) trouve un plaisir particulier à imaginer une réunion fictive de ses éminents prédécesseurs. Pour donner vie à cette vision, il a composé une série de huit poèmes, chacun étant une tentative d’imitation de l’un d’entre eux. Ces poèmes sont regroupés dans le Wenxuan sous le titre évocateur de « Ni Wei taizi Yezhong jishi » 擬魏太子鄴中集詩59 qui, selon les différentes interprétations possibles du caractère ji 集 (« recueil » ou « réunion »), peut être compris comme « Imitation d’une collection de poèmes [de l’entourage] du prince héritier des Wei à Ye » ou encore « Poèmes imitant la réunion autour du prince héritier des Wei à Ye ». Une préface dédiée à Cao Pi précède les poèmes :
- 60 Dans la biographie de Qu Yuan 屈原 (342-278 av. J.-C.) dans le Shiji, Tang Le 唐勒 et Jing Cuo 景差 sont (...)
- 61 Xie Lingyun 謝靈運 (385-433), dans Wenxuan, j. 30, p. 1432.
Vers la fin de l’ère Jian’an, j’étais au palais de Ye, profitant des promenades matinales et des banquets nocturnes, atteignant le summum du plaisir et de la joie. Dans ce monde, où il est rare de réunir de belles journées, des paysages enchanteurs, un cœur léger et des activités agréables, nous voilà, avec mes frères, mes amis, mes collègues et quelques érudits, partageant ainsi le comble de tous ces éléments. Depuis l’antiquité [jusqu’à nos jours], de tels bonheurs n’avaient jamais été rapportés dans les livres, pourquoi ? À l’époque du roi Xiang de Chu, il y avait Song Yu, Tang [Le] et Jing [Cuo]60, et au temps du prince Xiao de Liang, il y avait Zou [Yang], Mei [Sheng], Yan [Ji] et [Si]ma [Xiangru]. Leurs rencontres étaient certainement agréables, mais leur prince n’était pas lettré. [Lors du règne de] l’empereur Wu des Han, Xu Le ainsi que d’autres talents étaient capables répondre en toutes circonstances ; mais [leur souverain étant] ambitieux, ombrageux et rempli de soupçons, auraient-ils jamais connu le plaisir d’une conversation directe ? Si l’on ne dénigre pas les générations futures, elles seront sans doute meilleures que celles d’aujourd’hui. Les mois et les années passent comme un torrent, bientôt tout se disperse et disparaît ; je compose des textes pour commémorer les défunts et ressens une tristesse accrue en pensant au passé.61
建安末,余時在鄴宮,朝遊夕讌,究歡愉之極。天下良辰美景,賞心樂事,四者難並;今昆弟友朋,二三諸彥,共盡之矣。古來此娛,書籍未見,何者?楚襄王時有宋玉、唐、景,梁孝王時有鄒、枚、嚴、馬,游者美矣,而其主不文;漢武帝徐樂諸才,備應對之能,而雄猜多忌,豈獲晤言之適!不誣方將,庶必賢於今日爾。歲月如流,零落將盡,撰文懷人,感往增愴。
47Ce passage nous replonge à la fin de l’ère Jian’an, au sein du palais de la capitale du royaume de Wei. Xie Lingyun, en se mettant dans la peau de Cao Pi, nous rappelle que, malgré l’existence passée de festins et de réunions littéraires, ces rencontres étaient constamment compromises par deux facteurs : soit le souverain qui les patronnait n’était pas doté de talent littéraire tel que le roi Xiang de Chu et le prince Xiao de Liang, soit, lorsqu’il était un amateur des belles-lettres comme l’empereur Wu des Han, il nourrissait cependant une méfiance envers son entourage, ce qui privait l’assemblée du plaisir d’une conversion franche et directe. Cette comparaison implicite entre Cao Pi et ses prédécesseurs suggère qu’il était une rareté en son genre, et que la réunion littéraire qu’il supervisait était exceptionnelle.
48Dans une certaine mesure, cette exploration littéraire de la part de Xie Lingyun semble être une tentative de remédier aux regrets de Cao Pi. Il souhaite que Cao Pi et son cercle, composé de frères, amis et érudits, puisse ensemble savourer l’apogée des quatre éléments difficiles à réunir en ce monde : de belles journées, des paysages enchanteurs, un cœur léger et des activités agréables. Il espère également que Cao Pi prenne conscience de la préciosité de ces instants, car le temps s’écoule inexorablement et « bientôt tout se disperse et disparaît » (零落將盡). C’est, certes, un regard rétrospectif de Xie Lingyun qui anticipe la chute imminente des membres de la Pléiade de Jian’an à cause de l’épidémie, mais son expression rappelle également les regrets exprimés par Cao Pi dans sa lettre à Wu Zhi :
À ce moment-là, ignorants de notre bonheur, nous ne nous en rendions pas compte. Nous nous disions que nous avions encore cent ans devant nous et que nous pourrions nous préserver mutuellement pendant longtemps. Comment aurais-je pu imaginer qu’en quelques années, je les perdrais tous ? Combien en parler me brise le cœur !
當此之時,忽然不自知樂也。謂百年己分,可長共相保,何圖數年之間,零落略盡,言之傷心。
49La préface fait écho de manière évidente aux propos ci-dessus, une grande partie de son développement visant à répondre au regret de Cao Pi. En outre, elle révèle une double voix : il s’agit certes des paroles que Xie Lingyun prête à Cao Pi, mais elles résonnent également comme les siennes, dans la mesure où, en endossant le rôle de son prédécesseur, Xie Lingyun précisément « compose des textes pour commémorer les défunts » et sans doute « ressent une tristesse accrue en pensant au passé ».
50Chacun des autres poèmes de la série commence également par une introduction, souvent une note biographique sur l’auteur incarné, qui précise l’origine, la carrière, le tempérament ou encore le talent littéraire de la personnalité concernée.
- 62 Wenxuan, j. 30, p. 1433.
- 63 Ibid., p. 1434.
- 64 Ibid., p. 1435. Formule similaire à celle de la lettre de Cao Pi, consultez la note 22.
- 65 Ibid., p. 1436. L’expression « wen zui you qi » 文最有氣 signifie littéralement « ses belles-lettres re (...)
- 66 Ibid., p. 1437.
- 67 Ibid., p. 1438.
- 68 Ibid., p. 1438.
Wang Can 王粲 |
Originaire de la région de Qinchuan, descendant d’une famille noble, il a traversé des tumultes et l’exil, se lamentant de ses nombreux tourments.62 家本秦川,貴公子孫,遭亂流寓,自傷情多。 |
Chen Lin 陳琳 |
Secrétaire au service de Yuan Benchu [Yuan Shao], il a ainsi abondamment rapporté des événements tumultueux.63 袁本初書記之士,故述喪亂事多。 |
Xu Gan 徐乾 |
Peu enclin aux affaires des fonctionnaires dès son jeune âge, il nourrissait l’aspiration du mont Ji et de la rivière Ying, ce qui se reflète dans la simplicité de ses écrits malgré son immersion dans le monde des fonctionnaires.64 少無宦情,有箕潁之心事,故仕世多素辭。 |
Liu Zhen 劉楨 |
Par sa nature excentrique et singulière, ses œuvres littéraires sont d’une vigueur remarquable, et ce qu’il produit est souvent extraordinaire.65 卓犖偏人,而文最有氣,所得頗經奇。 |
Ying Yang 應瑒 |
Lettré originaire de Ruying, errant dans un monde agité, qui exprime souvent des lamentations sur la fugacité de son existence.66 汝潁之士,流離世故,頗有飄薄之嘆。 |
Ruan Yu 阮瑀 |
Chargé de sa fonction de secrétaire, il tient des propos riches et généreux.67 管書記之任,故有優渥之言。 |
Zhi, marquis de 平原侯植 |
Le jeune messire se désintéresse des affaires du monde et préfère s’adonner à des excursions ; néanmoins, il pousse souvent des soupirs sous le poids des préoccupations existentielles.68 公子不及世事,但美遨遊;然頗有憂生之嗟。 |
51Il est à noter qu’à la différence du préambule dédié à Cao Pi, ces brèves notes adoptent toutes une perspective externe plutôt que de plonger dans l’intériorité du poète imité. De manière succincte, elles dessinent les contours des membres du cénacle le plus renommé du IIIe siècle, et dans ce processus, Xie Lingyun s’appuie souvent sur les commentaires de Cao Pi lui-même sur ces lettrés, comme lorsqu’il évoque « l’aspiration du mont Ji » de Xu Gan pour souligner son désintérêt vis-à-vis des affaires publiques.
52Puis, en adoptant successivement l’identité de chacun d’entre eux, Xie Lingyun a composé huit poèmes imitant ces figures littéraires, les mettant en scène et les ramenant ainsi à la vie. À travers cette forme sublime de réincarnation littéraire, Xie Lingyun, en prêtant son pinceau aux élites de l’ère Jian’an, les ressuscite dans ses écrits. Dans cet acte de résurrection littéraire, les belles-lettres triomphent de l’impermanence et l’écriture surmonte l’oubli.
- 69 Pour Tian Xiaofei, cette absence s’explique par le fait que Xie Lingyun suit la version de la Pléia (...)
53Cependant, notre attention est attirée par l’absence de Kong Rong parmi les membres de cette réunion fictive des Sept Lettrés aux côtés de Cao Pi, alors que Cao Zhi s’y trouve intégré. Cette omission pourrait s’expliquer par le décès de Kong Rong en 20869. En effet, le titre de Cao Zhi utilisé par Xie Lingyun dans cette série poétique, marquis de Pingyuan 平原侯, soutient cette hypothèse et place ce banquet poétique entre 211 et 214. La présence de Ruan Yu, décédé en 212, resserre encore la période, situant cette réunion fictive entre 211 et 212. De plus, cela renforce l’idée que Xie Lingyun envisageait un banquet plutôt qu’un simple recueil poétique ; autrement, Kong Rong aurait sans doute été inclus dans son tableau. Quant à la présence de Cao Zhi dans cette assemblée, elle nous ramène inévitablement à un éloge vibrant que Xie Lingyun aurait formulé en son honneur :
- 70 Li Han 李瀚 ( ?-962), Xu Ziguang 徐子光 (de l’époque des Song), Mengqiu jizhu 蒙求集注 (Cahier d’apprentissa (...)
Partout sous le ciel, les talents ne mesurent qu’un dan (dix boisseaux). Cao Zijian en obtient huit boisseaux à lui seul, tandis que j’en obtiens un, et depuis l’antiquité jusqu’à nos jours, le reste du monde se partage le dernier.70
天下才共有一石,子建獨得八斗,我得一斗,自古及今同用一斗。
54Cette déclaration va au-delà de l’éloge conventionnel envers un prédécesseur digne d’admiration ; elle témoigne plutôt d’une forme d’auto-valorisation, pour ne pas dire d’une vantardise outrecuidante. En glorifiant Cao Zhi comme étant le seul à surpasser son talent, Xie Lingyun laisse entendre vivement sa conviction quant à sa propre valeur et à sa contribution à l’éclat des belles-lettres.
- 71 Le timbre « Baima » renferme la signification suivante : un homme devrait s’efforcer de réaliser de (...)
55D’autre part, la nette préférence de Xie Lingyun pour les promenades paisibles au milieu des monts et des rivières, plutôt que pour l’immersion dans les affaires du monde, pourrait avoir teinté son commentaire sur Cao Zhi d’une certaine partialité. Son observation selon laquelle « le jeune messire se désintéresse des affaires du monde et préfère s’adonner à des excursions » manque de pertinence. En effet, il suffit de citer les vers les plus célèbres d’un chef-d’œuvre de Cao Zhi, où il proclame : « J’abandonnerai mon corps pour affronter les périls de la patrie, En voyant la mort comme un retour soudain au foyer » (捐軀赴國難,視死忽如歸71), pour mettre en lumière l’ardente ambition que le poète nourrissait dans son implication en faveur des causes de l’État.
56En soulignant le détachement de Cao Zhi et son goût pour les excursions, Xie Lingyun projette ses propres sentiments et préférences. Cela démontre également que la mémoire du passé glisse et se modifie parfois à travers la perspective d’un lettré d’une époque ultérieure. Le tableau littéraire que Xie Lingyun esquisse en empruntant la voix de Cao Pi constitue une rétrospective métatextuelle de l’ère Jian’an. Grâce à sa plume habile, il parvient à faire revivre un cénacle de figures littéraires et politiques à deux siècles de distance et participe à l’établissement de la renommée littéraire des gens de l’ère Jian’an, tout en idéalisant parfois ces figures à son prisme.
- 72 Comme Rebecca Doran le remarque, ce que Xie Lingyun imite n’est pas tant le style distinctif de cha (...)
- 73 Selon Stephen Owen, Xie Lingyun, grâce à sa fonction — quoique brève — de directeur de la Bibliothè (...)
57En d’autres termes, cette assemblée imaginée par Xie Lingyun entre Cao Pi et son cercle ne se réduit pas à un simple jeu d’imitation poétique, mais constitue aussi une forme de critique littéraire à travers cette même imitation72. L’initiative est renforcée par les préfaces et les notes qui donnent l’impression d’avoir été rédigées par Cao Pi lui-même, et répond à l’idée exprimée par ce dernier dans sa lettre à Wu Zhi de rassembler les œuvres posthumes de la Pléiade en une collection73, ce qui met en lumière son rôle en tant que connaisseur, critique et commentateur. Cette observation nous ramène à la lettre de Cao Pi et aux origines de la critique littéraire, largement attribuées à ce dernier.
Remémoration à travers les critiques
58Cao Pi occupe incontestablement une place prééminente en mettant en valeur les grandes figures littéraires de son époque à travers ses écrits. Dans sa lettre à Wu Zhi, il évoque la célèbre anecdote de Bo Ya, qui brisa les cordes de sa cithare en hommage à Zhong Ziqi, et celle de Confucius, qui versa du hachis de viande en mémoire de Zilu, pour « déplorer la rareté de rencontrer un connaisseur en musique ou un disciple [digne] » (痛知音之難遇,傷門人之莫逮).
59La remémoration de ces anecdotes, tant celle de Bo Ya et Zhong Ziqi que celle de Confucius et Zilu, révèle des intérêts, des affinités et des aspirations partagés entre Cao Pi et ces figures antiques qu’il convoque. Le terme zhyin 知音 tire son origine de l’anecdote même du cithariste qui rompit son instrument à la mort de l’unique connaisseur qui avait su comprendre son aspiration à travers ses mélodies. En rappelant cette histoire, Cao Pi qui a perdu les piliers de son cénacle s’identifie à Bo Ya qui pleure la perte d’un ami intime, mais en même temps, il ne s’identifie pas moins à Zhong Ziqi en laissant entendre qu’il est également l’« entendeur de l’harmonie » (zhiyin), à savoir le connaisseur et l’appréciateur des œuvres que ces personnalités nous ont laissées.
60Cela résonne avec le constat initial qui est le point de départ du « Lunwen » : « Les gens de lettres se déprécient mutuellement et il en est ainsi depuis les temps anciens » (文人相轻,自古而然). Dans ce contexte de dénigrement mutuel entre lettrés, une appréciation juste, authentique et sincère devient précieuse, et un véritable « connaisseur » se distingue. Tel Zhong Ziqi envers Bo Ya, Cao Pi se positionne ainsi comme le premier « entendeur d’harmonie » envers les Sept Lettrés de Jian’an. C’est à lui-même que l’on doit la désignation de cette assemblée comme la Pléiade ou les Sept Lettrés (七子qizi) :
- 74 « Lunwen », Wenxuan, p. 2271.
Ces Sept Lettrés, en ce qui concerne l’érudition, n’ont pas eu de lacunes, et en ce qui concerne l’expression littéraire, ne s’appuyaient sur aucun autre. Tous galopaient librement comme d’excellents chevaux sur mille li : la tête levée, ils avançaient de pair les uns avec les autres.74
斯七子者,於學無所遺,於辭無所假,咸以自騁驥騄於千里,仰齊足而並馳。
61Après avoir mis en garde contre le danger pour un critique de ne pas se connaître (不自見), c’est-à-dire de méconnaître ses propres défauts ou limites, Cao Pi déclare que « l’homme de bien commence par s’examiner lui-même avant de juger les autres, c’est ainsi qu’il peut éviter les embûches [de la partialité] et produire des critiques littéraires » (君子審己以度人,故能免於斯累,而作論文). Cette réflexion vise à laisser entendre son scrupule suffisant pour se prémunir contre tout parti pris dans son jugement.
- 75 Les citations de ces deux passages proviennent toutes du « Lunwen », Wenxuan, pp. 2271-2272.
62Il dresse ainsi ses observations : Wang Can excelle dans la composition poétique (長於辭賦), où il peut rivaliser avec les anciens, mais il est moins compétent dans d’autres formes littéraires (然於他文,未能稱是). Xu Gan pourrait être considéré comme l’égal de Wang Can malgré son maintien [parfois trop] posé (時有齊氣,然粲之匹也). Chen Lin et Ruan Yu sont parmi les plus éminents dans les rapports, mémoires et lettres (琳、瑀之章表書記,今之雋也). Ying Yang est doué d’une douceur naturelle, mais il manque de vigueur (應瑒和而不壯). Liu Zhen est vigoureux, mais il manque de rigueur (劉楨壯而不密). Kong Rong possède un style distingué et subtil (體氣高妙) dans son écriture, mais il a du mal à soutenir une argumentation éloquente, ses discours cédant souvent à des tournures [séduisantes] (不能持論, 理不勝辭), parsemées de moqueries et de plaisanteries (雜以嘲戲) ; cependant, dans son domaine d’excellence, il peut être comparé à Yang Xiong 揚雄 (53 AEC-18 EC) et Ban Gu 班固 (32-92) (及其所善,揚、班儔也)75.
63Comparées aux jugements qu’il a émis sur les mêmes personnalités et que nous avons lus dans la lettre adressée à Wu Zhi, ces appréciations semblent un peu moins élogieuses.
64Un autre aspect notable est que dans le « Lunwen », Wang Can est placé en tête des appréciations de Cao Pi, contrairement à sa lettrée adressée à Wu Zhi où Xu Gan est le premier à recevoir son éloge en tant que seul gentilhomme méritant le titre d’« immortel ». Dans cette nouvelle appréciation où il est comparé à Wang Can, loué spécialement pour son talent poétique, l’accent est mis sur la qualité littéraire de Xu Gan ; celui-ci est toutefois moins excellent que Wang Can dans la composition poétique, en raison de son « maintien [parfois trop] posé ».
65Le terme qiqi 齊氣 suggère ici un style d’écriture caractérisée par une expression calme, mesurée et réservée. Le caractère qi 氣, littéralement « souffle », est central dans les réflexions de la critique littéraire de Cao Pi, comme lorsqu’il évoque la grâce aérienne (yiqi 逸氣) de Liu Zhen dans la lettre à Wu Zhi, ou le « style distingué et subtil » (tiqi gaomiao 體氣高妙) de Kong Rong qu’il loue ici dans le « Lunwen ». Ces différents styles d’écriture sont animés par des « souffles » distincts, selon l’idée avancée par Cao Pi :
- 76 Ibid., p. 2272.
La littérature a pour essence les souffles. Ces souffles, qu’ils soient purs (légers) ou impurs (lourds), ne peuvent pas être atteints par la force.76
文以氣為主;氣之清濁有體,不可力強而致。
66Ces « souffles », qui sont essentiellement des énergies dynamiques, sont ce qui anime la verve littéraire des auteurs tout en reflétant leur personnalité propre. Ils découlent de la disposition naturelle de chacun et ne peuvent être obtenus — ni modifiés sans doute — par effort. Ainsi, lorsque Cao Pi loue Xu Gan pour sa « quiétude désintéressée » (恬淡) dans sa lettre à Wu Zhi, il fait référence à cette tranquillité posée. En revanche, cette qualité, lorsqu’elle est examinée comme une caractéristique littéraire, peut être moins valorisée. Cela met en évidence la différence d’approche entre les diverses formes d’écriture chez Cao Pi, que ce soit dans une lettre personnelle ou dans un traité critique.
67En conséquence, la différence entre la lettre à Wu Zhi, élogieuse et empreinte de nostalgie car centrée sur la réminiscence, et le « Lunwen », où Cao Pi cherche à être plus objectif, se justifie pleinement. Dans le « Lunwen », Cao Pi met en avant que seuls les talents complets (通才) peuvent exceller dans toutes les formes littéraires. Compte tenu de la rareté de ces talents complets — et de l’influence des différents « souffles » qui animent les écrivains —, il est naturel qu’un individu se distingue dans une forme littéraire tandis qu’un autre excelle dans une autre.
68Autrement dit, les faiblesses de Ying Yang, Liu Zhen ou encore Kong Rong dans la composition littéraire n’entraveraient guère leur reconnaissance par la postérité. Cao Pi peut être salué comme le premier véritable critique des Sept Lettrés de Jian’an, non pas parce qu’il les couvre d’éloges, mais parce qu’il sait reconnaître leurs mérites tout en discernant leurs défauts. C’est largement grâce à son discernement avisé que ces lettrés ont été établis comme les plus éminents de l’ère Jian’an.
69Cao Pi n’était pas le seul à formuler des jugements sur les lettrés de son entourage : son cadet Cao Zhi a également émis son appréciation dans sa lettre adressée à Yang Xiu, où, après avoir énoncé les noms de Wang Can, Chen Lin, Xu Gan, Liu Zhen et Ying Yang, qui jouissaient tous déjà d’une grande renommée, il observe cependant que « ces individus ne parviennent toujours pas à s’élever jusqu’à disparaître dans les hauteurs sans laisser de trace, ni à parcourir des milliers de li en un seul mouvement » (然此數子猶複不能飛軒絕跡,一舉千里). En d’autres termes, leur talent connaît des limites qui les empêchent d’atteindre l’excellence suprême. Il cite en particulier Chen Lin qu’il couvre de railleries :
- 77 Cao Pi, « Lettre à Yang Dezu », Wenxuan, j. 42, p. 1903.
Avec son talent à lui, Kongzhang (Chen Lin) n’est pas habile en description poétique, mais prétend souvent être [comparable] au style de Sima Xiangru ; incapable de peindre un tigre, il finit par dessiner un chien. Je lui avais adressé une lettre moqueuse, mais il a déclamé audacieusement que j’avais fait l’éloge de ses écrits. Zhong Ziqi avait une oreille fine et, encore aujourd’hui, il est loué pour cela. Je ne peux donc pas non plus faire des louanges à la légère, de peur que les générations futures ne se moquent de moi.77
以孔璋之才,不閒於辭賦,而多自謂能與司馬長卿同風,譬畫虎不成,反為狗也。前書嘲之,反作論盛道僕贊其文。夫鍾期不失聽,於今稱之。吾亦不能忘嘆者,畏後世之嗤余也。
70La locution « incapable de peindre un tigre, il finit par dessiner un chien » illustre l’idée que malgré les efforts déployés pour atteindre un niveau élevé, le résultat est bien en deçà des attentes, voire ridicule. Cela suggère que Chen Lin manquait de talent pour la description poétique et que ses ambitions de rivaliser avec Sima Xiangru étaient considérées par Cao Zhi comme déplacées. L’anecdote de Zhong Ziqi et de Bo Ya est également citée ici, possiblement dans le but de ridiculiser Chen Lin qui n’avait pas l’oreille assez fine pour discerner l’intention de sa lettre, ou bien, ce qui est plus probable, pour souligner la nécessité d’un critique compétent « dont l’ouïe ne faillit pas » (不失聽), c’est-à-dire, qui est capable de percevoir avec justesse et ne se trompe pas dans son jugement. C’est pourquoi Cao Zhi semble se mettre lui-même en garde : « Je ne peux donc pas non plus faire des louanges à la légère », en suggérant ainsi sa prudence quant à donner des éloges — ou des critiques — sans discernement.
71Mais si nous nous rappelons l’appréciation de Cao Pi à l’égard de Chen Lin, elle porte non sur sa création poétique mais sur sa rédaction de mémoires, de rapports et de lettres, considérés également comme faisant partie de la littérature. De plus, Cao Pi estime que les talents des auteurs peuvent naturellement s’exprimer à travers différentes formes, toutes portant l’essence de la littérature, et qu’ils excellent souvent davantage dans une forme que dans d’autres.
72Cao Zhi, pour sa part, souligne que toute œuvre est sujette à des défauts (世人之著述,不能無病), et a donc un potentiel d’amélioration ; aucune ne mérite d’échapper à la révision (應定時改定). À ses yeux, seules les Annales de Confucius sont inaltérables et immuables, dont aucun mot ne peut être changé. Dans ce contexte, il évoque avec entrain le fait que Ding Yi 丁廙 ( ?-220), l’un de ses proches, l’avait souvent sollicité pour réviser et polir ses textes. Il considère ceci comme une belle histoire à raconter (美談), suggérant que le désir de Ding Yi d’améliorer ses textes est louable, tout en laissant entendre sa propre qualité en tant qu’examinateur et connaisseur des belles-lettres.
- 78 Les citations de ces passages proviennent toutes de la lettre de Cao Zhi adressée à Yang Xiu. Ibid. (...)
73La question cruciale demeure : qui est apte à critiquer et selon quels critères ? Cao Zhi cite l’exemple de Liu Xiu 劉修 ( ?- ?), fils du seigneur de guerre Liu Biao 劉表 (142-208), qui, bien qu’il n’ait pas atteint le niveau des auteurs, se plaît à critiquer les écrits des autres en soulignant leurs faiblesses (才不能逮於作者,而好詆訶文章,掎摭利病)78. Cao Zhi suggère ainsi que Liu Xiu ne possède pas la qualification appropriée pour évaluer les autres, impliquant que seules les personnes qui ont une compréhension profonde des écrits, sans doute comme lui-même, sont légitimes pour évaluer les œuvres littéraires.
74Ce point renvoie à la notion de « connaisseur », déjà suggérée lorsque Cao Zhi évoque l'anecdote de Zhong Ziqi et son oreille fine. Les deux frères convergent dans une certaine mesure sur ce sujet, bien que Cao Zhi semble mettre davantage l’accent sur l’importance d’une expérience substantielle dans la création littéraire pour tout critique, tandis que Cao Pi souligne les pièges qu’un critique doit éviter, notamment l’ignorance de ses propres limites et défauts.
- 79 Voir Valérie Lavoix, « Le désenchantement de Liu Xie. Postures et devoirs du critique littéraire se (...)
75Presque trois siècles plus tard, la notion de zhiyin, pour désigner le « connaisseur » en critique littéraire, sera reprise et approfondie par Liu Xie 劉勰 (ca 465-ca 532)79 dans son ouvrage majeur, le Wenxin diaolong 文心雕龍 (Cœur de littérature au dragon ciselé). Ce texte marque, avec le Shipin 詩品 (Classement des poètes) de Zhong Rong 鍾嶸 (ca 468-ca 518), le sommet de la critique littéraire à la fin des Six Dynasties.
- 80 Valérie Lavoix, « Le désenchantement de Liu Xie », voir p. 37.
76Dans le chapitre intitulé précisément « Zhiyin » 知音 (Du connaisseur), Liu Xie entame son argumentation en explorant la complexité inhérente à l’évaluation des œuvres littéraires. Il débute cette exploration en citant la célèbre observation de Cao Pi : « Lorsque l’empereur Wen de Wei affirmait que ‘les gens de lettres se déprécient mutuellement’, ce n’était pas un vain mot » (魏文稱文人相輕,非虛談也)80.
- 81 Ibid. p. 38.
- 82 Ibid. p. 47.
77Conscient de son autorité mais aussi de son devoir en tant que critique littéraire, Liu Xie répond en quelque sorte à l’appel de son prédécesseur. Après avoir minutieusement analysé les raisons pour lesquelles l’appréciation des œuvres est souvent entachée d’injustice voire d’erreur — une réflexion qui résonne avec celle de Cao Pi —, Liu Xie avance une série de six critères pour évaluer ces œuvres81. Il prône ainsi une compréhension plus profonde, ou un « entendement » (au sens premier du terme zhiyin), lors de l’appréciation des auteurs. Les « postures et devoirs » du critique littéraire ainsi établis dans ce chapitre sont également les principes fondamentaux de son ouvrage, que Valérie Lavoix définit comme « un manuel du bon littérateur »82.
78Dans une certaine mesure, les œuvres littéraires obtiennent leur consécration grâce à l’intervention des critiques eux-mêmes. Ces textes doivent être lus, appréciés et reconnus non seulement par leurs contemporains, mais aussi par les générations futures. Dans cette perspective, les critiques, tout comme les anthologistes, jouent un rôle crucial dans la valorisation des œuvres et la préservation de la mémoire littéraire.
- 83 Liu Xie 劉勰 (ca 465-ca 532), Zhan Ying 詹鍈 (annoté par), Wenxin diaolong yizheng 文心雕龍義證 (Cœur de litt (...)
- 84 Zhong Rong 鐘嶸 (ca 468-ca 518), Cao Xu 曹旭 (annoté par), Shipin jizhu 詩品集註 (Recueil d’annotations du (...)
79À cet égard, il est instructif d’examiner l’appréciation des lettrés de l’ère Jian’an par les critiques de la fin des Six Dynasties, tels que Liu Xie et Zhong Rong : Liu Xie honore Wang Can du titre de « Couronne des Sept Lettrés » (七子之冠冕)83, tandis que Zhong Rong classe Wang Can, Liu Zhen et Cao Zhi dans le premier rang des poètes éminents. En revanche, Cao Pi est positionné dans la classe médiane, et son père Cao Cao, de manière quelque peu surprenante, dans la catégorie inférieure84.
- 85 Wenxin diaolong, ch. 47, p. 1801.
80Les perspectives de Liu Xie sur les deux frères diffèrent de celles de Zhong Rong. Liu Xie reconnaît les forces littéraires distinctes des deux Cao, en remettant en question les éloges passés en faveur de Cao Zhi — dans lesquels Xie Lingyun a certainement joué un rôle majeur — et les critiques envers Cao Pi. Pour Liu Xie, la montée en puissance politique de Cao Pi a potentiellement terni sa réputation littéraire (令文帝以位尊減才), tandis que les revers politiques de Cao Zhi ont pu accroître sa valeur (思王以勢窘益價) ; ainsi, l’opinion publique aurait joué un rôle décisif dans la formation d’un consensus qui a influencé la renommée littéraire de Cao Pi85.
- 86 Ibid.
81Liu Xie est en effet l’un des premiers à rendre pleinement hommage à la valeur de Cao Pi, accordant un grand intérêt non seulement à sa création littéraire — « ses poèmes yuefu sont fins et distingués » (樂府清越) — mais aussi à son œuvre critique — « ses Traités sur les classiques sont éloquents et touchent à l’essentiel » (《典論》辯要)86. En un sens, le Wenxin diaolong s’inscrit dans la continuité des réflexions littéraires de Cao Pi et met en lumière l’importance croissante des belles-lettres depuis l’ère Jian’an jusqu’à son époque.
- 87 Voir François Martin, « Pratique anthologique et orthodoxie littéraire : le cas de deux anthologies (...)
82Enfin, une forte résonance existe entre l’ère Jian’an et l’époque Qi-Liang, période où les lettrés révisent, imitent et compilent les œuvres littéraires de leurs prédécesseurs, comme en témoignent le Wenxuan et le Yutai xinyong 玉臺新詠 (Nouveaux chants pour les terrasses de jade)87, tout en appréciant les œuvres des anciens, comme en témoignent le Shipin et le Wenxin diaolong. Le cénacle littéraire entourant les frères Cao occupe ainsi une place glorieuse et dédiée dans cette tradition. Pour illustrer concrètement cet héritage, nous nous intéressons plus particulièrement à présent à l’inspiration que Cao Pi et son cercle suscitent chez les grands mécènes de la cour des Liang 梁 (502-557), éminents soutiens des lettrés de cette époque.
À la recherche du tigre en partant d’un seul poil
83La figure de Xiao Yi蕭繹 (508-554, r. 552-554), éminent représentant des cercles lettrés du VIe siècle, résonnera significativement avec celle de Cao Pi. Ils partagent de nombreuses similitudes, étant tous deux destinés au trône et fervents admirateurs des belles-lettres, dans un contexte de troubles politiques et sociaux qui accentuent la conscience de l’éphémère de la vie.
- 88 Xiao Yi 蕭繹 (508-554, r. 552-554), Jinlou zi shuzheng jiaozhu 金樓子疏證校注 (Annotation et rectification d (...)
84Par ailleurs, Xiao Yi, tout comme nombre de ses contemporains, témoigne d’un intérêt marqué pour la révision et la réception de la tradition littéraire de l’ère Jian’an. Dans un commentaire concernant Wang Can, Xiao Yi exprime son regret face à la rareté des œuvres qui restent de ce poète : « On ne peut apercevoir qu’un seul poil du tigre, sans pouvoir en connaître les rayures » (見虎一毛,不知其斑88). Le choix de ces mots n’est pas fortuit : le caractère 斑 est synonyme de wen 紋 ou wen 文, signifiant ici « motif » ou « ornement ». Ainsi, Xiao Yi met en lumière l’importance de la qualité esthétique dans les productions littéraires, plutôt que d’insister exclusivement sur le pouvoir civilisateur de l’écriture.
85En effet, il existe une forte convergence entre les perspectives littéraires de Xiao Yi et de Cao Pi. Xiao Yi reconnaît ouvertement l’impact de son prédécesseur et le mentionne expressément dans la préface de son ouvrage le plus renommé, le Jinlou zi 金樓子 (Maître du pavillon d’Or) :
- 89 Allusion à la biographie de Wang Chong 王充 (27-ca 97) dans le Hou Han shu. Il y est relaté que Wang (...)
- 90 Xiao Yi, Jinlou zi, p. 1.
Cao Zihuan (Pi) dit : « Édifier sa vertu et composer des ouvrages, ainsi peut-on rester impérissable » ; Du Yuankai (Yu) dit : « La vertu n’est pas ce à quoi je peux prétendre, mais établir des propos, je peux peut-être l’espérer ». Ainsi, avec couteaux et pinceaux suspendus près des portes et des fenêtres89, j’aspire à relater et composer.90
曹子桓云「立德著書,可以不朽」,杜元凱言「德者非所企及,立言或可庶幾」,故户牖懸刀筆,而有述作之志矣。
86Xiao Yi a succinctement résumé la citation de Cao Pi, qui affirme que l’immortalité peut être atteinte uniquement par « l’établissement de la vertu et la renommée » (立德揚名), suivis par « la composition d’œuvres » (著篇籍). Il a condensé cette idée en affirmant qu’il s’agit d’« édifier la vertu » (立德) et de « composer des ouvrages » (著書). La référence à Du Yu 杜預 (222-285) suggère une analogie entre zhushu 著書 et liyan 立言, que nous traduisons ici par « établir des propos ». À ces deux termes s’ajoute shuzuo 述作, « relater et composer », expression qui rappelle une fois de plus le principe de Confucius selon lequel « relater sans composer » est privilégié. En contraste avec l'accent du maître sur la transmission de la sagesse des anciens plutôt que sur la création d’œuvres personnelles, Xiao Yi manifeste une ambition d'inscrire durablement son nom dans l’histoire à travers ses écrits.
- 91 Jinlou zi, j. 4, p. 611.
Cinq cents ans après la mort du duc de Zhou, Confucius est apparu ; cinq cents ans après la mort de Confucius, le Grand historien est né. Cette opportunité [offerte par le destin sur une période] de cinq cents ans, comment oserais-je la décliner !91
周公沒五百年有孔子,孔子沒五百年有太史公。五百年運,余何敢讓焉!
87Tout comme Cao Pi, qui invoque Sima Qian et l’idée d’« établir une doctrine personnelle », Xiao Yi, après une allusion à Confucius, se réfère également à la préface au Shiji du Grand historien, dont il s’inspire largement pour sa propre déclaration :
- 92 Shiji, j. 130, « Préface du Grand historien », p. 3296.
Le Grand historien dit : « Mon père, de son vivant, a dit : ‘Cinq cents ans après la mort du duc de Zhou, Confucius est apparu ; cinq cents ans après la mort de Confucius, qui peut aujourd’hui poursuivre l’entreprise des sages époques, rectifier le Commentaire du Livre des mutations, continuer les Annales, et revenir aux fondements du Livre des poèmes, du Livre des documents, du Livre des rites et du Livre de la musique ?’ N’est-ce pas là son intention [que j’accomplisse les Mémoires historiques] ? N’est-ce pas là son intention ? Comment oserais-je la décliner ? »92
太史公曰:「先人有言:『自周公卒五百歲而有孔子。孔子卒後至於今五百歲,有能紹明世,正易傳,繼春秋,本詩書禮樂之際?』意在斯乎!意在斯乎!小子何敢讓焉!」
88Selon la tradition, le Roi Wen 文 des Zhou (1152-1056 av. J.-C.) aurait agencé les trigrammes par couples pour former les 64 hexagrammes, puis leur aurait attribué des noms et associé à chacun un texte appelé « Jugement » (卦辭). Son fils, le duc de Zhou (XIe s. av. J.-C.), a ensuite enrichi ces hexagrammes en ajoutant des textes qui expliquent la signification des traits individuels de chaque hexagramme. Les œuvres du père et du fils constituent ainsi le fondement du Yijing 易經 (Livre des mutations), également connu sous le nom de Zhouyi 周易.
89Quant à Confucius, il est traditionnellement crédité de la rédaction des « Shiyi » 十翼 (Dix Ailes), qui sont les dix chapitres de commentaires canoniques du Yijing. En mettant en avant le duc de Zhou et Confucius, Sima Qian s’inscrit dans la continuité des deux figures civilisatrices les plus emblématiques de la Chine antique. Cette perspective renforce l’idée que Sima Qian considère le Shiji comme une œuvre qui dépasse largement les simples registres de faits historiques.
90L’évocation par Xiao Yi de ce passage de Sima Qian ne relève pas seulement d’un simple hommage littéraire, elle trouve également sa pertinence dans le fait que, bien que Xiao Yi soit principalement connu pour ses contributions littéraires, il a également rédigé plusieurs ouvrages de commentaires sur les classiques en tant qu’érudit lettré. Parmi ces travaux figurent, précisément, le Zhouyi jiangshu 周易講疏 (Lecture et exégèse du Livre des mutations), mais aussi le Laozi jiangshu 老子講疏 (Lecture et exégèse du Laozi) et le Zhu Han shu 注漢書 (Annotations du Livre des Han). Cependant, seuls le Jinlou zi ainsi qu’une minuscule fraction de ses poèmes ont été préservés. Ainsi, l’accès à son œuvre est extrêmement limité, comme à « un seul poil du tigre », pour reprendre sa métaphore évocatrice.
91Mais un seul poil qui en dit long ! Car c’est précisément dans le Jinlou zi qu’il nous dévoile ses pensées sur l’écriture. Selon lui, il ne suffit pas seulement d’écrire, mais il faut aussi écrire sur soi-même, se raconter, zixu 自序. Aussi le Jinlou zi se conclut-il par une autobiographie de Xiao Yi qui commence de la manière suivante :
- 93 Jinlou zi, j. 6, p. 1135.
Comme notre monde est fugace ! Pareil à l’étincelle d’une pierre frappée [par un marteau], ou à l’éclair entrevu à travers une fissure, semblable à une luciole qui s’éteint après avoir vu le matin, ou à la rosée qui disparaît après avoir vu le soleil. Comment pourrait-on ne pas se raconter ?93
人間之世,飄忽幾何?如鑿石見火,窺隙觀電,螢睹朝而滅,露見日而消,豈可不自序也!
92Vu l’éphémère nature de la vie, il est impérieux d’inscrire son empreinte dans l’histoire avec son pinceau. Comparer l’approche de Xiao Yi à celle de l’empereur Taizong 太宗 (r. 626-649) des Tang, pourrait offrir une perspective enrichissante. Lorsqu’un fonctionnaire du Bureau de la compilation 著作佐郎 proposa d’organiser ses écrits en vue d’en faire un recueil, Taizong répondit :
- 94 L’expression zongshe 宗社 signifie littéralement « temple des ancêtres et temples des esprits du sol (...)
- 95 Wu Jing 吳兢 (670-749), Zhenguan zhengyao 貞觀政要 (Grandes lignes du programme politique de l’ère Zhengu (...)
Dans ma gestion des affaires d’État et dans l’élaboration de mes ordres, si quelque chose est profitable au peuple, les historiens le noteront, et cela suffira pour [que mon nom soit] impérissable. [Mais] si je ne m’inspire pas des anciens, et que je trouble l’administration et gêne [le fonctionnement des] choses, même si j’avais du beau style, je finirais par être raillé par les générations suivantes, ce n’est pas ce qu’il faut faire. L’empereur Wu des Liang ainsi que ses fils, le dernier souverain des Chen ou encore l’empereur Yang des Sui, pour ne citer qu’eux, ont tous écrit de nombreux ouvrages, mais leur conduite n’était souvent pas conforme aux normes, de telle sorte que leur État94 s’écroula avant longtemps. Ce qui importe chez un souverain, ce n’est rien d’autre que sa vertu. Pourquoi aurait-il besoin de s’adonner à la création littéraire ?95
朕若制事出令,有益於人者,史則書之,足為不朽。若事不師古,亂政害物,雖有詞藻,終貽後代笑,非所須也。只如梁武帝父子,及陳後主、隋煬帝,亦大有文 集,而所為多不法,宗社皆須臾傾覆。凡人主惟在德行,何必要事文章耶 !
- 96 Même si nous savons que l’empereur Taizong aimait également « composer par jeu des poèmes galants » (...)
93Ce qui se remarque dans les propos de Taizong, c’est sa critique explicite envers l’empereur Wu武des Liang, Xiao Yan 蕭衍 (464-549, r. 502-549), et ses fils, dont Xiao Yi justement, qu’il considère comme des exemples à ne pas suivre. Bien qu’il s’agisse d’un lieu commun, un souverain, ledit Fils du Ciel, est censé incarner la vertu suprême, reléguant les arts littéraires au second plan96. Autant cette perspective illustre l’orthodoxie rigoureuse attendue d’un souverain, autant, à l’inverse, l’importance accordée à l’écriture par Cao Pi offre une perspective intrigante dans l’histoire littéraire chinoise. D’autre part, Xiao Yi semble pousser encore plus loin les limites : alors que Cao Pi discutait du rôle des compositions dans l’administration de l’État, Xiao Yi considère que celles-ci n’avaient pas besoin de justification : la simple fugacité de la vie leur confère leur légitimité.
- 97 La biographie de Xiao Gang dans le Liang shu 梁書 (Livre des Liang) raconte que leur père Xiao Yan sa (...)
94Les frères Xiao, notamment Xiao Yi et Xiao Gang 蕭綱 (503-511, r. 549-551), se sont souvent identifiés aux frères Cao97. À l’instar de leurs devanciers, ils ont réuni autour d’eux les lettrés les plus éminents de leur époque et s’adonnaient eux-mêmes à la littérature. Pendant que Xiao Yi était encore le prince de Xiangdong 湘東, il faisait partie du cercle lettré patronné par Xiao Gang, avec qui il partageait des goûts littéraires similaires. Lorsque leur aîné, Xiao Tong 蕭統 (501-531), mieux connu sous le titre de prince héritier Zhaoming 昭明, projetait de léguer à la postérité une littérature exemplaire avec la compilation du célèbre Wenxuan, Xiao Gang, pour sa part, osait envisager une distinction entre l’acte d’écrire (weiwen 為文) et l’établissement du caractère moral (lishen 立身) :
立身之道,與文章異,立身先須謹重,文章且須放蕩。
- 99 François Martin traduit le terme fangdang 放蕩 par « détachement », voir François Martin, « Pratique (...)
- 100 À savoir le Yutai xinyong. Pour une étude attentive sur cette anthologie, voir François Martin, Le (...)
95Cette tentative audacieuse de détacher99 — ou d’affranchir — les belles-lettres de la contrainte politique et morale prend le contre-pied des dogmes de liyan, ce qui explique probablement les vives critiques qu’elle a suscitées parmi les générations suivantes. Il est également remarquable que ce soit dans l’entourage de Xiao Gang que se rassemblaient les principaux auteurs de la poésie controversée connue sous le nom de style du palais (gongti 宮體), qui deviendra synonyme de poésie galante. C’est sous son parrainage que fut compilée la première anthologie entièrement dédiée à la poésie d’amour100.
96Mais revenons à Xiao Yi, un passionné de livres et un grand bibliographe, qui, lorsque la capitale provisoire de sa cour fut encerclée, sombra dans le désespoir et ordonna l’un des plus grands autodafés de l’histoire chinoise. Ce geste dramatique remet en question l’importance même de l’écriture tout en semblant donner raison à l’empereur Taizong.
- 101 Être le dernier empereur d’une dynastie déchue.
- 102 Sima Guang 司馬光 (1019-1086), Zizhi tongjian 資治通鑑 (Miroir général pour aider à gouverner). Beijing : (...)
97En livrant des milliers de volumes aux flammes, Xiao Yi semble avoir brusquement mis en doute la prééminence de la lecture et de l’écriture. Selon le Zizhi tongjian 資治通鑑 (Miroir général pour aider à gouverner), interrogé sur son intention de brûler les livres, Xiao Yi répondit sans hésitation : « J’ai beau avoir lu une myriade d’ouvrages, je suis tout de même parvenu à ma situation actuelle101, c’est pourquoi je les brûle ! » (讀書萬卷,猶有今日,故焚之!102) Entre le soupir exprimé en regrettant le « seul poil du tigre » préservé des œuvres des anciens et cet acte de violence, émerge une désillusion profondément ambiguë. L’incendie des livres représente une forme de destruction de la mémoire et de l’histoire, mais simultanément, il témoigne d’une reconnaissance paradoxale du pouvoir ultime de l’écriture.
- 103 Voir David R. Knechtges (tr.), Wen xuan or Selections of Refined Literature, Volume I. Rhapsodies o (...)
98Enfin, pour évoquer la préservation de la mémoire de l’ère Jian’an, nous nous tournons vers Xiao Tong, l’aîné de Xiao Yi et Xiao Gang. Bien qu’il soit moins impliqué dans la création des belles-lettres que ses deux cadets, il mérite une reconnaissance particulière pour avoir grandement contribué à magnifier la gloire littéraire de l’ère Jian’an grâce à la compilation remarquable du Wenxuan103. Ce recueil n’est pas simplement une collection de textes, mais un témoignage vivant de la dynamique entre création et critique. À lui revient le mérite non seulement d’avoir préservé les poèmes et proses des figures éminentes de l’ère Jian’an, mais aussi d’avoir sauvegardé leur correspondance ainsi que le « Lunwen », et d’avoir conservé le banquet poétique conçu par Xie Lingyun à travers son imitation.
99Cette anthologie est devenue un modèle essentiel pour les écrivains et poètes dès la dynastie Tang, consacrant ainsi l’ère Jian’an comme une phase cruciale de l’histoire littéraire. Elle reflète également les intérêts, les goûts, les esthétiques et les préférences des lettrés de son époque, illustrant comment cette période a été accueillie, réinventée et ravivée par les gens de lettres des Six Dynasties. Par cet ouvrage, Xiao Tong a assuré que l’héritage littéraire de cette période prospère continue d’influencer et d’inspirer les générations futures.
Conclusion
100L’immortalité, que les souverains comme le Premier Empereur 始皇 des Qin (r. 221-207 av. J.-C.) cherchaient en vain dans les remèdes alchimiques ou les montagnes légendaires, peut-elle être atteinte d’une autre manière ? L’idée que l’écriture constitue un moyen de préserver la mémoire peut sembler une banalité, mais l’est-elle vraiment ? À travers la lecture d’une sélection de textes de genres divers, nous avons pu reconsidérer cette question essentielle en jetant un regard curieux sur l’épidémie qui a frappé l’an vingt-deux de l’ère Jian’an, dont les conséquences dévastatrices ont affecté les plus éminents lettrés de l’époque.
101Cao Pi, en tant que figure phare du cénacle et futur souverain, occupait une position privilégiée pour comprendre l’importance de l’écriture dans la construction de l’identité individuelle et collective. Sa revendication du concept de zhu pianji renouvelle la vieille leçon du liyan, marquant ainsi le début d’un processus de valorisation et d’affirmation de la littérature. Cette évolution de la perception de la littérature trouve un prolongement durant les Six Dynasties, coïncidant avec l’essor des spéculations littéraires qui ont, à leur tour, élevé le statut des belles-lettres.
102Enfin, la littérature ne se limite pas à offrir un refuge contre la mort ; elle représente plutôt la quête consciente d’une forme d’immortalité intellectuelle. Cette démarche implique non seulement l’auteur lui-même, mais également ceux qui reçoivent l’œuvre et la réinterprètent à travers de nouvelles compositions ou par l’examen critique. La « fabrique » de l’ère Jian’an dans la mémoire collective de la littérature, avec son éclat ravivé par les commémorations, les appréciations, les compilations et les imitations des générations des Six Dynasties, constitue un exemple marquant de cette entreprise littéraire qui débute avec la rétrospective nostalgique de Cao Pi, regrettant la disparition de la Pléiade emportée par une épidémie, et annonçant une ère qui semble s’effacer — alors que cette ère ne fait que commencer dans l’histoire littéraire chinoise.
Après-propos
103Notre étude a été motivée par une intention de dialoguer avec l’histoire et de comprendre comment les lettrés chinois du haut Moyen Âge ont affronté une épidémie éprouvante qui les a lourdement affectés, et comment ils ont cherché à surmonter les maux de leur époque.
104Les thèmes que nous avons abordés — l’écriture, la mémoire, l’histoire — nous ont offert la meilleure toile de fond pour rendre hommage à Jacques Pimpaneau, sinologue, traducteur, conteur, essayiste et romancier. À travers ses traductions mais aussi son écriture, il continue de nous parler, de nous éclairer, en tant que passeur entre deux langues et deux cultures, en tant que maître, en tant qu’ami.
105Car l’écriture est une forme d’existence, une panacée contre la mort, mais aussi contre l’oubli. J’écris donc je suis, ou encore — mieux — je suis et je serai encore, puisque j’ai écrit, bellement.
Notes
1 Cet article a bénéficié des relectures méticuleuses et des conseils éclairés de Valérie Lavoix et Julie Gary. Je leur adresse toute ma gratitude, accompagnée de mes sentiments d’amitié sincère et d’appréciation profonde.
2 Fan Ye 範曄 (398-445), Hou Han shu 後漢書 (Livre des Han postérieurs). Beijing : Zhonghua shuju, 1965 (ci-après Hou Han shu), j. 17, p. 3351.
3 Il pourrait s’agit de la malaria.
4 Les Sept Lettrés de Jian’an 建安 (196-220), Kong Rong 孔融 (153-208), Wang Can 王粲 (177-217), Chen Lin 陳琳 (189-217), Ruan Yu 阮瑀 (165 ?-212), Xu Gan 徐幹 (170-217), Ying Yang 應瑒 (177 ?-217) et Liu Zhen 劉楨 ( ?-217), désignés parfois comme Sept Lettrés de Ye 鄴 (Yexia qizi 鄴下七子 ou encore Yezhong qizi 鄴中七子), sont les sept talents littéraires les plus éminents de l’ère Jian’an, réunis autour de la famille Cao. Hormis Kong Rong qui a été exécuté en 208 sur l’ordre de Cao Cao 曹操 (155-220) et Ruan Yu 阮瑀 dont la mort précoce est survenue en 212, les cinq autres ont tous succombé à l’épidémie de l’an vingt-deux de l’ère Jian’an.
5 Conservée dans le « Weishu » 魏書 (Chronique de Wei) du Sanguo zhi 三國志 (Chroniques des Trois Royaumes), Voir Chen Shou 陳壽 (233-297), Pei Songzhi 裴松之 (224-271, annoté par), Sanguo zhi. Beijing : Zhonghua shuju, 1999 (ci-après Sanguo zhi), j. 21, p. 448.
6 Tian Xiaofei accorde également une attention spéciale à l’épidémie dans son exploration de la « construction » de l’ère Jian’an en tant que phase de l’histoire littéraire chinoise, bien qu’elle mette davantage l’accent sur les banquets collectifs et la nourriture dans ce processus. L’épidémie est néanmoins présentée comme le catalyseur de la rétrospective nostalgique de l’ère dite « littéraire » de Jian’an. Voir Tian Xiaofei, « Yanyin yu huiyi : chongxin sikao Jian’an » 宴飲與回憶 : 重新思考建安 (Les banquets et les souvenirs : nouvelles réflexions sur l’ère Jian’an), Zhongguo wenxue xuebao, n°1, 2010 (ci-après, Tian Xiaofei, « Yanyin yu huiyi »), pp. 21-34. Fu Gang 傅剛 va jusqu’à considérer l’épidémie de l’an vingt-deux comme un facteur direct ayant motivé l’écriture du « Lunwen » 論文 par Cao Pi. Voir Fu Gang, « Lun Jian’an wenxue piping de fasheng » 論建安文學批評的發生 (L’émergence de la critique littéraire pendant l’ère Jian’an), Wenxue pinglun, n°1, 2019, pp. 174-181, voir p. 176.
7 Tels que vivement décrits par Cao Cao dans son célèbre poème « Haoli xing » 蒿里行 (Chant du Village de l’armoise), composé sur un air ancien de chant funèbre : « Les os blancs exposés dans les champs, À mille lieues aucun chant de coq » (白骨露於野,千里無雞鳴), voir Cao Cao, Cao Cao ji 曹操集 (Recueil de Cao Cao). Beijing : Zhonghua shuju, 2012, p. 4.
8 Yang Junqi 楊鈞期, Sang Donghui 桑東輝, « Hanmo ‘dayi’ yu Jian’an wenxue jiyi shuxie ji Wei-Jin wenxue zouxiang » 漢末「大疫」與建安文學疾疫書寫及魏晉文學走向 (Les « grande[s] épidémie[s] » de la fin des Han, l’écriture de la maladie dans la littérature de Jian’an et les tendances littéraires des Wei et des Jin), Nanjing shifan daxue wenxueyuan xuebao, n°2, 2020, pp. 139-146.
9 Sanguo zhi, j. 31, p. 645 : « L’armée du Seigneur Cao a subi une défaite aux Falaises rouges et a également été ravagée par une épidémie » (會曹公軍不利於赤壁,兼以疫死).
10 Sanguo zhi, j. 47, p. 827 : « Le seigneur (Cao Cao) a fait brûler les autres navires et s’est retiré, la plupart de ses soldats sont morts de faim et de l’épidémie » (公燒其餘船引退,士卒飢疫,死者大半).
11 Nourriture grossière des gens du peuple.
12 Demeures humbles.
13 Li Fang 李昉 (925-995) et al., Taiping yulan 太平御覽, j. 742, « Jibing bu – Yili » 疾病部·疫癘 (Maladie – Épidémie), voir San Cao shiwen quanji yizhu 三曹詩文全集譯註 (Recueil complet des poèmes et des textes littéraires des Trois Cao avec annotations). Changchun : Jilin, 1997 (ci-après San Cao shiwen), p. 1019.
14 Cette croyance remonte au Shanhai jing 山海經 (Livre des monts et des mers), où l’épidémie est présentée comme allant de pair avec l’apparition d’une bête de malédiction : « Encore deux cents li vers l’est, [se situe ce que l’on] appelle le mont Tai. Là-haut abondent l’or, le jade et les bois d’œuvre. Il s’y trouve un animal qui ressemble à un taureau, avec une tête blanche, un seul œil et une queue de serpent. Il est nommé Fei. Lorsqu’il traverse des eaux, elles se tarissent ; lorsqu’il traverse des herbes, elles en meurent. À son apparition, le monde est ravagé par l’épidémie » 又東二百里,曰太山,上多金玉、楨木。有獸焉,其狀如牛而白首,一目而蛇尾,其名曰蜚,行水則竭,行草則死,見則天下大疫. Voir Yuan Ke 袁珂 (annoté par), Shanghai jing jiaozhu 山海經校注 (Livres des monts et des mers avec annotations). Shanghai : Shanghai guji, p. 1980, j. 4, p. 116.
15 En réalité, cette grande épidémie à la fin de la dynastie des Han ne s’est pas limitée à l’an vingt-deux de l’ère Jian’an, mais a perduré pendant une quinzaine d’années, causant des millions de décès.
16 Littéralement, « même promesse [de la mort] ».
17 Référence à la célèbre maxime de Confucius : « Si l’on entend le Tao le matin, on peut mourir le soir [sans regret] » (朝聞道,夕死可矣). Lunyu, 4.8, voir Li Xueqin 李學勤 (éd.), Shisan jing zhushu – Lunyu zhushu 十三經註疏 • 論語註疏 (Notes et commentaires aux treize [Livres] canoniques — Notes et commentaires des Entretiens de Confucius). Beijing : Beijing daxue, 1999 (ci-après Lunyu), p. 50.
18 San Cao shiwen, p. 1028.
19 Selon une anecdote relatée dans le Shishuo xinyu 世說新語 (Nouveaux propos mondains), à cette occasion, Cao Pi a proposé aux lettrés de son cercle d’imiter avec lui les braiments d’âne, que Wang Can aimait tant écouter de son vivant, pour commémorer son souvenir.
20 Référence au poème « Huangniao » 黃鳥 (Loriot) du Shijing, où les vers suivants apparaissent à trois reprises : « Ô ciel azuré, vous détruisez nos hommes de bien ! » (彼蒼者天,殲我良人!), exprimant la condamnation par le peuple de la pratique cruelle d’enterrer les vivants avec les morts et leur haine pour le tyran. Voir Li Xueqin 李學勤 (éd.), Shisan jing zhushu – Maoshi zhengyi 十三經註疏 • 毛詩正義 (Notes et commentaires aux treize [Livres] canoniques – Sens correct du Commentaire de Mao pour le Livre des poèmes). Beijing : Beijing daxue, 1999 (ci-après Shijing), pp. 427-429.
21 Le « Lunwen » fait partie du Dianlun 典論 (Discours modèles), rédigé vraisemblablement lorsque Cao Pi était prince héritier, et dont il ne nous reste que des fragments. Pour une traduction complète du texte en anglais, voir Donald Holzman, « Literary Criticism in China in the Early Third Century A.D », Asiatische Studien/Études asiatiques, No. 2, 1974, pp. 113-149, (ci-après Donald Holzman, « Literary Criticism in the Early Century A.D. »), voir pp. 128-131.
22 Voir notamment Donald Holzman, « Literary Criticism in the Early Century A.D. », et Liu Yuejin 劉躍進, Wenxuan xue conggao 《文選》學叢稿 (Manuscrits collectifs sur la Sélection de textes littéraires). Beijing : Zhongguo shehui kexue, 2021 (ci-après Liu Yuejin, Wenxuan xue conggao). Voir notamment dans la section III « Wenxuan zhong de wenxue piping shiliao » 《文選》中的文学批评史料 (Documents historiques de critique littéraire dans la Sélection de textes littéraires), pp. 341-429, notamment les articles sur le « Lunwen » (pp. 347-358), sur la correspondance entre Cao Pi et Wu Zhi 吳質 (177-230) (pp. 359-373), entre Cao Zhi et Wu Zhi (pp. 374-381) et entre Cao Zhi et Yang Xiu 楊修 (175-219) (pp. 382-390).
23 Deux vers extraits d’un poème perdu de Cao Pi, voir Liu Dianjue 劉殿爵, Chen Fangzheng 陳方正, He Zhihua 何志華, Cao Pi ji zhuzi suoyin 曹丕集逐字索引 (Concordance du recueil de Cao Pi : N°8 de ICS Concordances to Works of Wei-Jin and the Northern and Southern Dynasties). Hong Kong : Chinese University Press, 2000, p. 72.
24 Autrement dit, quand il était prince héritier.
25 Sanguo zhi. Beijing : Zhonghua shuju, 1959, j. 2, p. 88.
26 Zuozhuan 左傳, « Xianggong ershi si nian » 襄公二十四年 (L’An vingt-quatre du règne du duc Xiang), voir Yang Bojun 楊伯駿, Chunqiu Zuozhuan zhu 春秋左傳注 (Annotations du Commentaire de Zuo aux Annales). Beijing : Zhonghua shuju, 1981, p. 1088 : 太上有立德,其次有立功,其次有立言,雖久不廢,此之謂三不朽.
27 Lunyu, 7.1, p. 84. La traduction proposée par Couvreur est : « Je transmets [les enseignements des anciens], et n’invente rien de nouveau », voir Séraphin Couvreur (trad.), Entretiens de Confucius et de ses disciples. Paris : Club des Libraires de France, 1956, p. 60.
28 Wenxuan 文選 (Sélection de textes littéraires), une des plus célèbres anthologies de la littérature chinoise, compilée au début du VIe siècle par Xiao Tong 蕭統 (501-531), plus connu sous le titre de prince héritier Zhaoming 昭明. Notre édition de référence pour ce travail est Xiao Tong, Li Shan 李善 (630 ?-689) (annoté par), Wenxuan. Shanghai : Shanghai guji, 1986, ci-après Wenxuan.
29 Le troisième couplet du poème « Dongshan » 東山 (Mont de l’Est) du Shijing décrit un soldat en expédition, imaginant sa femme solitaire dans son gynécée, soupirant de tristesse après trois ans d’absence de son bien-aimé. Voir Shijing, p. 523.
30 Allusion à Xu You 許由, un reclus légendaire qui aurait vécu sous le règne de l’empereur Yao 堯. Xu You est célèbre pour avoir décliné l’offre de ce dernier de lui céder le trône, préférant se retirer près de la rivière Ying 潁 et du mont Ji 箕.
31 Selon l’anecdote racontée dans le Liezi 列子, le célèbre musicien Bo Ya 伯牙 (ca 387-299 av. J.-C.) rompit sa cithare qin à la mort de Zhong Ziqi 鍾子期 (ca 413-354 av. J.-C.), l’unique « connaisseur » de sa musique. Voir Yang Bojun 楊伯峻, Liezi jishi 列子集釋 (Recueil des explications du Liezi). Beijing : Zhonghua shuju, 1985, j. 5, pp. 178-179.
32 Zilu 子路 (524-480 av. J.-C.), ou encore Zhong You 仲由, fut l’un des disciples les plus célèbres de Confucius. En 480 av. J.-C., en défendant le prince qu’il servait contre une rébellion, il perdit la vie et son corps fut réduit en hachis de viande. En apprenant cette tragédie, Confucius, profondément affligé, prit la résolution de ne plus jamais consommer de viande hachée. Li Xueqin 李學勤 (éd.), Shisan jing zhushu – Liji zhengyi 十三經註疏 • 禮記正義 (Notes et commentaires aux treize [Livres] canoniques — Sens correct du Livre des rites). Beijing : Beijing daxue, 1999, j. 6, p. 174.
33 Référence à un célèbre dicton de Confucius : « Les générations futures sont à craindre ; comment savoir si ceux qui viendront ne seront pas meilleurs que nos contemporains ? » (後生可畏,焉知來者不如今也?). Ce dicton constitue un encouragement à la jeunesse pour qu’elle fasse bon usage de son temps et s’engage résolument dans la voie du progrès, car les générations futures portent en elles des promesses. Il invite à craindre leur potentiel de surpasser les gens d’aujourd’hui, une invitation à se motiver. Voir Lunyu, 9.23, p. 120.
34 Liu Xiu 劉秀 (5 av. J.-C.-57, r. 25-57), premier empereur des Han orientaux.
35 Formule de modestie, pour suggérer des dons naturels médiocres.
36 Wenxuan, j. 42, pp. 1896-1898. Voir Donald Holzman, « Literary Criticism in China in the Early Third Century A.D », pp. 123-125.
37 Sima Qian 司馬遷 (ca 145-ca 86 av. J.-C.), Shiji 史記 (Mémoire du Grand historien), j. 130, « Taishi gong zixu » 太史公自序 (Préface du Grand historien). Beijing : Zhonghua shuju, 1959, pp. 3285-3322, voir pp. 3319-3320.
38 顧炎武 (1613-1682), Huang Rucheng 黃汝成 (1799-1837, annoté par), Rizhi lu jishi 日知錄集釋 (Annotations collectées des Notes quotidiennes du savoir). Shanghai : Shanghai guji, 2006, j. 26, p. 1429.
39 L’expression yuxi 羽檄 désigne des dépêches militaires portant une plume de coq pour marquer leur caractère urgent.
40 À savoir l’empereur Wu 武 des Han (r. 141-87 av. J.-C.).
41 Littéralement « chose différente, chose étrangère », l’expression signifie cadavre dans ce contexte.
42 Titre de Liu Xiu avant de monter sur le trône.
43 Wenxuan, j. 40, pp. 1825-1827. La tournure sizui 死罪 signifie littéralement « crime capital, mortel », elle était utilisée à la fin d’une lettre comme formule de politesse.
44 Ban Gu 班固 (32-92), Han shu 漢書 (Livre des Han). Beijing : Zhonghua shuju, 1964 (ci-après Han shu), j. 64, p. 2775.
45 Ibid., j 65, p. 2863.
46 Ibid., p. 2864.
47 Ibid., j. 51, p. 2367.
48 Nous aborderons cette notion dans la dernière section de cet article.
49 Pour une traduction complète de cette lettre en anglais, voir Donald Holzman, « Literary Criticism in the Early Century A.D. », pp. 116-119.
50 Cao Zhi, « Yu Yang Dezu shu » 與楊德祖書 (Lettre à Yang Dezu), voir Wenxuan, j. 42, pp. 1903-1904.
51 Liu Yuejin estime que cette lettre pourrait avoir été rédigée en 216, année où Cao Cao est devenu Roi de Wei. Pour plus de détails sur la lettre de Cao Zhi ainsi que la réponse de Yan Xiu, voir son article intitulé « Dihe wenzhang, jizhi libing – Du Cao Zhi yu Yang Xiu de wanghuan shuxin » 詆訶文章,掎摭利病 –– 讀曹植與楊修的往還書信 (« Calomnier les écrits, critiquer les faiblesses » –– Lecture de la correspondance entre Cao Zhi et Yang Xiu), dans Liu Yuejin, Wenxuan xue conggao, pp. 382-391, voir p. 382.
52 Sima Qian, « Bao Ren Shaoqing shu » 報任少卿書 (Lettre en réponse à Ren Shaoqing), voir Han shu, j. 32 « Sima Qian zhuan » 司馬遷傳 (Biographie de Sima Qian), p. 2735.
53 « Lunwen », Wenxuan, j. 52, p. 2272.
54 « Lunwen », Wenxuan, p. 2272.
55 Donald Holzman, « Literary Criticism in the Early Century A.D. », p. 135 : « Il seems to me that it is impossible to defend the thesis that Ts’ao P’i’s position is the same as his brother’s and that his interest in literature is ultimately only in purely traditional, moralistic philosophy. Even if his essay is considered fragmentary and if his famous declaration that ‘Literature is immortal’ should be considered primarily in relation to the kind of literature he describes in the last section (I ching philosophy and ritual texts), his theoretical position, stated earlier in the essay, that ‘all literature is basically the same, although its ulterior manifestations differ’, certainly leaves the door open to further developments ».
56 « Lunwen », Wenxuan, p. 2272.
57 Ibid.
58 Tian Xiaofei, « Yanyin yu huiyi », p. 21.
59 Dans certaines anthologies, le titre « Ni Yezhong ji » 擬鄴中集 (Imitation du recueil de Yezhong, ou encore Imitation de la réunion de Yezhong) est utilisé. Voir Lu Qinli 逯欽立, Xian-Qin Han Wei Jin Nanbei chao shi 先秦漢魏晉南北朝詩 (Recueil des poèmes de l’époque préimpériale, des Han, des Wei, des Jin, des Dynasties du Nord et du Sud). Beijing : Zhonghua shuju, 1983, p. 1181.
60 Dans la biographie de Qu Yuan 屈原 (342-278 av. J.-C.) dans le Shiji, Tang Le 唐勒 et Jing Cuo 景差 sont mentionnés comme contemporains de Song Yu 宋玉 (298-222). Tous sont originaires du royaume de Chu et renommés pour leur excellence dans la description poétique fu 賦, en s’inspirant de Qu Yuan, voir Shiji, j. 84, p. 2491.
61 Xie Lingyun 謝靈運 (385-433), dans Wenxuan, j. 30, p. 1432.
62 Wenxuan, j. 30, p. 1433.
63 Ibid., p. 1434.
64 Ibid., p. 1435. Formule similaire à celle de la lettre de Cao Pi, consultez la note 22.
65 Ibid., p. 1436. L’expression « wen zui you qi » 文最有氣 signifie littéralement « ses belles-lettres regorgeaient le plus de souffle ».
66 Ibid., p. 1437.
67 Ibid., p. 1438.
68 Ibid., p. 1438.
69 Pour Tian Xiaofei, cette absence s’explique par le fait que Xie Lingyun suit la version de la Pléiade par Chen Shou dans le Sanguo zhi. Lorsque celui-ci mentionne le cénacle dans la biographie de Wang Can, il s’appuie notamment sur la lettre de Cao Pi à Wu Zhi, dans laquelle Cao Pi omet lui-même de mentionner Kong Rong, probablement en raison des divergences politiques qui l’opposaient à Cao Cao. Par ailleurs, le terme utilisé par Chen Shou est qiren 七人, qui signifie « sept personnes » et peut ne pas être considéré comme une désignation spécifique. Voir Sanguo zhi, j. 23, p. 599 et Tian Xiaofei, « Yanyin yu huiyi », p. 23.
70 Li Han 李瀚 ( ?-962), Xu Ziguang 徐子光 (de l’époque des Song), Mengqiu jizhu 蒙求集注 (Cahier d’apprentissage avec annotations recueillies), voir Wang Yunwu 王雲五, (éd.), Congshu jicheng chubian 叢書集成初編 (Première compilation des collections de livres), t. 978. Beijing : Zhonghua shuju, 1985, p. 91.
71 Le timbre « Baima » renferme la signification suivante : un homme devrait s’efforcer de réaliser des exploits et de grandes causes pour le pays, sans penser à ses propres intérêts. Pour plus de détails et pour le poème de Cao Zhi, voir Guo Maoqian 郭茂倩, Yuefu shiji 樂府詩集 (Collection des poèmes yuefu). Beijing : Zhonghua shuju, 1998, j. 63, pp. 914-915.
72 Comme Rebecca Doran le remarque, ce que Xie Lingyun imite n’est pas tant le style distinctif de chaque individu que la communauté littéraire idéale que ce cénacle représente. Voir Rebecca Doran, « Perspective and Appreciation in Xie Lingyun’s Imitations of the Crown Prince of Wei’s Gatherings in Ye », Early Medieval China, No. 7, 2011, pp. 51-73.
73 Selon Stephen Owen, Xie Lingyun, grâce à sa fonction — quoique brève — de directeur de la Bibliothèque impériale, était un lecteur favorisé et aurait été un anthologiste de poésie avant d’être un randonneur. Voir Stephen Owen, « The Librarian in Exile: Xie Lingyun’s Bookish Landscapes », Early Medieval China, No. 1, 2001, pp. 203-226, notamment pp. 203, 225-226. En ce sens, on peut supposer que Xie Lingyun aurait été parmi les premiers à regrouper les œuvres de ses prédécesseurs, dont probablement celles de la Pléiade.
74 « Lunwen », Wenxuan, p. 2271.
75 Les citations de ces deux passages proviennent toutes du « Lunwen », Wenxuan, pp. 2271-2272.
76 Ibid., p. 2272.
77 Cao Pi, « Lettre à Yang Dezu », Wenxuan, j. 42, p. 1903.
78 Les citations de ces passages proviennent toutes de la lettre de Cao Zhi adressée à Yang Xiu. Ibid., p. 1903-1904.
79 Voir Valérie Lavoix, « Le désenchantement de Liu Xie. Postures et devoirs du critique littéraire selon le chapitre “Du connaisseur” du Wenxin diaolong », Extrême-Orient, Extrême-Occident, n° 26, 2004, pp. 33-53 (ci-après, Valérie Lavoix, « Le désenchantement de Liu Xie »).
80 Valérie Lavoix, « Le désenchantement de Liu Xie », voir p. 37.
81 Ibid. p. 38.
82 Ibid. p. 47.
83 Liu Xie 劉勰 (ca 465-ca 532), Zhan Ying 詹鍈 (annoté par), Wenxin diaolong yizheng 文心雕龍義證 (Cœur de littérature au dragon ciselé avec annotations). Shanghai : Shanghai guji, 1994 (ci-après Wenxin diaolong), ch. 47, p. 1801.
84 Zhong Rong 鐘嶸 (ca 468-ca 518), Cao Xu 曹旭 (annoté par), Shipin jizhu 詩品集註 (Recueil d’annotations du Classement des poètes). Shanghai : Shanghai guji, p. 1996.
85 Wenxin diaolong, ch. 47, p. 1801.
86 Ibid.
87 Voir François Martin, « Pratique anthologique et orthodoxie littéraire : le cas de deux anthologies parallèles en Chine au VIe siècle », Extrême-Orient Extrême-Occident, n° 5, 1984, pp. 49-74 (ci-après François Martin, « Pratique anthologique et orthodoxie littéraire »), voir p. 54.
88 Xiao Yi 蕭繹 (508-554, r. 552-554), Jinlou zi shuzheng jiaozhu 金樓子疏證校注 (Annotation et rectification du Maître du pavillon d’Or, annoté et rectifié par Cheng Zhiping 陳志平, Xiong Qingyuan 熊清元, Shanghai : Shanghai guji (ci-après Xiao Yi, Jinlou zi), j. 6, p. 1088.
89 Allusion à la biographie de Wang Chong 王充 (27-ca 97) dans le Hou Han shu. Il y est relaté que Wang Chong se livrait à des méditations solitaires en fermant sa porte aux visiteurs, en renonçant aux célébrations et aux condoléances. Chaque coin de sa maison devenait un lieu d’étude, où des pinceaux et des couteaux (utilisés pour effacer les caractères inscrits sur des lamelles de bambou) étaient disposés près des portes, des fenêtres et sur les murs (戶牖牆壁各置刀筆) — pratiquement partout. Hou Han shu, j. 49, p. 1629.
90 Xiao Yi, Jinlou zi, p. 1.
91 Jinlou zi, j. 4, p. 611.
92 Shiji, j. 130, « Préface du Grand historien », p. 3296.
93 Jinlou zi, j. 6, p. 1135.
94 L’expression zongshe 宗社 signifie littéralement « temple des ancêtres et temples des esprits du sol et des céréales », elle désigne dans un sens figuré le pays, l’État.
95 Wu Jing 吳兢 (670-749), Zhenguan zhengyao 貞觀政要 (Grandes lignes du programme politique de l’ère Zhenguan), Zhongguo guji daguan : shishu zhi bu 中國古籍大觀: 史書之部 (Panorama des anciens ouvrages chinois : section des livres historiques), vol. 220, « Lun wenshi » 論文史 (Traité sur la littérature et l’histoire), Taibei : Wu’an tushu chuban, 1997, p. 505.
96 Même si nous savons que l’empereur Taizong aimait également « composer par jeu des poèmes galants » (xizuo yanshi 戲作豔詩), voir Ouyang Xiu 歐陽修 (1007-1072), Song Qi 宋祁 (998-1061), Xin Tang shu 新唐書 (Nouveau Livre des Tang). Beijing : Zhonghua shuju, 1975, j. 115, p. 3972.
97 La biographie de Xiao Gang dans le Liang shu 梁書 (Livre des Liang) raconte que leur père Xiao Yan salua Xiao Gang, lorsqu’il était encore enfant, comme « Dong’e de notre famille » (吾家之東阿), le comparant ainsi à Cao Zhi qui portait le titre de prince de Dong’e en l’an 232. Dans une lettre adressée à Xiao Yi, Xiao Gang l’appelle Zijian, prénom de Cao Zhi, suggérant ainsi qu’il s’identifie lui-même à Cao Pi. Si l’on observe une analogie plus marquée entre Xiao Yi et Cao Zhi plutôt qu’avec Cao Pi, à la fois par les frères Xiao eux-mêmes et par les critiques des époques ultérieures, c’est probablement parce que Xiao Yi, tout comme Cao Zhi, est le cadet. Voir Lin Zongmao 林宗毛, « Wenxue youyu — Zhengzhi xiqiang : Lun Xiao Yi de ‘Cao Zhi qingjie’ » 文學友於•政治鬩墻:論蕭繹的「曹植情結」 (Amitié littéraire et rivalité politique : Sur le ‘complexe de Cao Zhi’ de Xiao Yi), Xinjiang daxue xuebao, vol. 48, n° 4, 2020, pp. 101-107.
98 Xiao Gang exprime cette idée dans une lettre adressée à son fils Xiao Daxin 蕭大心 (523-551), voir Yu Yuan 郁沅 et Zhang Minggao 張明高 (éd.), Nanbeichao wenlun xuan 南北朝文論選 (Sélection de traités littéraires des Dynasties du Nord et du Sud). Beijing : Renmin wenxue, 1999, p. 345.
99 François Martin traduit le terme fangdang 放蕩 par « détachement », voir François Martin, « Pratique anthologique et orthodoxie littéraire », p. 54.
100 À savoir le Yutai xinyong. Pour une étude attentive sur cette anthologie, voir François Martin, Le Yutai xinyong et la nouvelle poésie : Une anthologie de poésie galante en Chine au vie siècle, thèse de 3e cycle, Paris : mai 1979.
101 Être le dernier empereur d’une dynastie déchue.
102 Sima Guang 司馬光 (1019-1086), Zizhi tongjian 資治通鑑 (Miroir général pour aider à gouverner). Beijing : Zhonghua shuju, 1976, j. 165, p. 5122.
103 Voir David R. Knechtges (tr.), Wen xuan or Selections of Refined Literature, Volume I. Rhapsodies on Metropolises and Capitals. Princeton : Princeton University Press, 1982, voir « Introduction: “Xiao Tong’s Life and Compilation of the Wen xuan », pp. 4-11 et « The Literary Milieu of the Liang and Xiao Tong’s View of Literature », pp. 11-21.
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Référence électronique
Rui Zhang, « L’an vingt-deux de l’ère Jian’an et au-delà », Impressions d’Extrême-Orient [En ligne], 16 | 2024, mis en ligne le 30 juin 2024, consulté le 24 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ideo/4158 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11z8i
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