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Hommage au maître hétéroclite

Éditorial
Vincent Durand-Dastès et Valérie Lavoix

Texte intégral

1Jacques Pimpaneau s’en est allé le 2 novembre 2021, son éternelle cigarette plantée au coin des lèvres, presque jusqu’au dernier instant. Goûtant peu funérailles et autres monuments, il donna son corps à la science, et les seuls tombeaux qui porteront son nom resteront de papier… ou de pages électroniques, comme celles que nous vous invitons à découvrir aujourd’hui.

  • 1 Notamment sur le site internet de l’Inalco : « Disparition de Jacques Pimpaneau, sinologue et profe (...)

2Plusieurs textes d’hommage suivirent rapidement sa disparition1, et rappelèrent l’étonnant parcours du jeune amateur de lettres classiques, son apprentissage du chinois à l’école des langues orientales vivantes, s’échappant du bureau qu’il partageait avec Robert Antelme à l’Encyclopédie de la Pléiade, encouragé alors dans son apprentissage sinologique par l’équipe de Raymond Queneau ; son amitié avec Georges Bataille, son travail comme secrétaire de Dubuffet ; surtout, en 1958-1960, sa découverte de la vie en Chine comme étudiant boursier – pays dont il revint tout aussi amoureux de son art et de sa littérature qu’il avait pris instantanément en grippe le régime autoritaire et puritain qui le régentait. Cette inclination comme cette aversion ne devaient jamais plus le quitter ! On rappela aussi sa découverte des arts de la scène chinois, lors d’un séjour à Hong-Kong (1968-1971) et de voyages à Taiwan, qui le conduisirent à s’initier au théâtre de marionnettes traditionnel, en savant chroniqueur mais aussi en praticien ; sa rencontre du marionnettiste taiwanais Li Tianlu 李天祿 (1910-1998) et de l’aficionado de théâtre hongkongais Kwok On 郭安, ce dernier lui confiant la collection à partir de laquelle Pimpaneau devait fonder en 1972 à Paris le Musée du même nom. Ce fut aussi le point de départ de nombreux voyages en Chine et dans d’autres pays d’Asie grâce auxquels Pimpaneau ne cessa pendant toute sa vie d’enrichir sa collection ethnographique, tant sous forme de livres, peintures et objets que de documentaires réalisés avec l’aide de l’équipe audio-visuelle de l’Inalco. On rappela aussi son amitié, pendant son séjour hongkongais, avec René Viénet et Pierre Ryckmans, amitié qui joua un rôle non négligeable dans la transformation du second en Simon Leys, féroce dénonciateur du maoïsme. Enfin, on se souvint des presque quarante années pendant lesquelles il enseigna la langue et la littérature chinoises à l’Inalco, selon sa vocation, comme il aimait dire, « d’instituteur de chinois ».

3Nous fûmes des générations d’étudiants à nous être à jamais liés à la Chine et à sa civilisation grâce à cet entremetteur à la fois bourru et délicat. Au lendemain de sa disparition, l’une d’entre nous, Pascale Wei-Guinot, écrivait ces lignes :

Élèves de Pimpaneau nous sommes partis en Asie. Peintres, marionnettistes, enseignants, traducteurs, libraires, et j'en passe... nous sommes revenus. Tous revenus avec le sentiment d'appartenir à une même fratrie. Dans combien d'aventures parfois rocambolesques, mais toujours captivantes, Jacques nous aura entrainés ! Une chose est certaine : la confiance qu'il nous a témoignée nous a donné des ailes. Les chemins de traverse qu'il nous a fait prendre ont souvent été déterminants pour nos vies. Les contes, les légendes, les airs d'opéra, les faits et gestes de la Chine ancienne sont devenus à son contact les textes fondateurs de nos existences.
Pas très académique tout cela, voilà que la sinologie accouchait de saltimbanques ! Des saltimbanques toujours prêts à restituer une expérience organique de la Chine, pour qui le passage par les entrailles de ce pays leur a parfois demandé de côtoyer la présence de fantômes et d'esprits malicieux. Autant d’esprits et de petits démons qui, me semble-t-il, ont toujours gardé sur nous un œil bienveillant ... Comme il est de coutume dans les montagnes du Hunan, auprès de Jacques nous avons appris à croire dans les fantômes, autant, si ce n’est plus que dans les divinités.
Cette nuit résonne dans ma tête une mélopée qui n’a pas son pareil : celle de la voix de Pimpaneau parlant chinois. Mais d’où tenait-il cet accent dont il avait le secret ? Une chose est sûre, ce « mandarin » revisité nous montrait à quel point il avait embrassé la culture de ce pays sans se faire engloutir, fidèle à la libre pensée qui l'animait et que nous aimons.

  • 2 Vincent Durand-Dastès, Valérie Lavoix (dir.), Une robe de papier pour Xue Tao. Choix de textes inéd (...)

4Voici quelques années, un petit groupe parmi ces anciens élèves et amis fidèles avait déjà réuni un petit bouquet de traductions qu’ils se préparaient en secret à lui offrir. Averti par une fuite, Pimpaneau refusa mordicus l’hommage, et voulut plutôt le voir consacré à une figure qui lui paraissait mieux mériter d’être célébrée, Xue Tao 薛濤 (770-832), parce qu’elle était femme, courtisane, poétesse et artisane2. Alors pourquoi réitérer aujourd’hui une entreprise qu’il n’aurait sans doute pas approuvée ?

  • 3 On trouvera une liste — non exhaustive — de ces travaux et ouvrages dans le billet « Les Bonnes feu (...)

5D’abord, les fleurs de ce nouveau bouquet n’ont pas été cueillies par les mêmes mains. Si l’on retrouve parmi les contributeurs de notre numéro spécial quelques membres du groupe initial, ainsi que des amis ou élèves qui avaient échappé à la première publication, nous avons été rejoints par une nouvelle génération d’amateurs d’histoires, de poèmes et de jeux théâtraux chinois. Beaucoup parmi ces jeunes et moins jeunes contributeurs n’ont pas connu Pimpaneau, mais ont grandi dans leur connaissance de la Chine à travers la lecture de ses manuels, études, essais, traductions, catalogues, romans mais aussi de ses films documentaires – tous travaux et ouvrages qu’il mettait un point d’honneur à destiner au grand public3. Nous osons penser qu’il n’aurait pas été mécontent de voir de nouveaux jeunes saltimbanques de la sinologie prendre la plume pour présenter aux lecteurs d’Impressions d’Extrême-Orient des œuvres qu’il aurait lui-même aimé voir traduites. Enfin, si Pimpaneau détestait les hommages, il goûtait au plus haut point la désobéissance… et n’aurait du reste certainement pas voulu adopter la pause du mort revêche et mal embouché !

6Parmi les nombreuses choses chinoises que Pimpaneau affectionna et s’employa à faire connaître, on peut citer le théâtre – d’acteurs comme de marionnettes – la littérature et les arts populaires, la poésie et la prose classiques, les histoires dynastiques, les récits érotiques, l’esthétique littéraire, la religion populaire… Il partagea avec élégance et gouaille son savoir de « spécialiste hétéroclite » – il se définit un jour comme luanqibazao de zhuanjia 亂七八糟的專家 – avec des générations d’étudiants et de curieux. On retrouvera dans le numéro qui va suivre cet éclectisme et cette richesse, et le lecteur reconnaîtra d’ailleurs, au fil des intertitres de ce numéro, des clins d’oeils à certains titres de livres du corpus pimpanesque.

  • 4 Promenade au jardin des poiriers : l’opéra chinois classique. Paris : Musée Kwok On, 1983 (rééditio (...)
  • 5 Isabella Falaschi, « Le drame des Yuan ″Pluie sur la Xiao et la Xiang″ », Impressions d’Extrême-Ori (...)
  • 6 Rainier Lanselle, « Un drame politique au XVIIe siècle. Li Yu 李玉, Qingzhong pu 清忠譜 (Le chant des pu (...)

7À tout seigneur tout honneur, on visitera d’abord le jardin des poiriers4 et ses comédiens, avec les traductions de deux pièces classiques du théâtre chinois. Isabella Falaschi5 nous propose de lire le troisième acte d’une pièce zaju 雜劇 du XIIIe siècle, Xiao Xiang yu 瀟湘雨 (Pluie sur les rivières Xiao et Xiang). Dans cette scène, on voit l’héroïne Cuiluan, mise à la cangue, marcher sous les coups et les horions du geôlier qui l’escorte vers un funeste destin. Cette scène inspirera bien des pièces ultérieures, dont le célèbre opéra de Pékin Yutang chun 玉堂春. Rainier Lanselle a choisi pour sa part une des « pièces d’actualité » shishi (xi)qu 時事(戲)曲 attaquant l’eunuque tyrannique de la fin des Ming, Wei Zhongxian 魏忠賢 (1568-1627). Dans la scène ici traduite, « Insultes à la statue », extraite du chuanqi 傳奇 Qingzhong pu 清忠譜, « Le chant des purs et des loyaux » de Li Yu 李玉 (1602 ?-après 1676), on voit le vertueux lettré Zhou Shunchang 周順昌 (1584-1626) agonir d’insultes la statue de l’eunuque que, avec une infinie arrogance, Wei Zhongxian entend faire honorer par tous de son vivant6. Comme on entre sans s’en apercevoir dans une discrète arrière-cour, le lecteur attentif trouvera, après la longue et érudite introduction à la pièce de Li Yu, une touchante évocation par Rainier Lanselle du Musée Kwok On à l’époque où il occupait les locaux d’un ancien atelier, à l’arrière du numéro 41 de la rue des Francs Bourgeois. Nul doute que tous ceux qui ont connu cette époque, longtemps avant le départ de la collection pour les rives du Tage, seront émus par ces lignes. Que notre camarade soit remercié ici de les avoir jointes à notre hommage !

  • 7 En lointain écho aux Jeux des nuages et de la pluie. L’art d’aimer en Chine, par Michel Beurdeley, (...)
  • 8 Julie Gary-Bonte, « Sans instrument : récital en plein vent », Impressions d’Extrême-Orient [En lig (...)
  • 9 Lucas Humbert, « Une bêtise à glorifier pour dix mille générations », Impressions d’Extrême-Orient (...)
  • 10 Han Jingjing, « Fausse biographie, authentique fable : la Biographie de Mao Ying », Impressions d’E (...)
  • 11 Lettre à une jeune fille qui voudrait partir en Chine. Arles : Éditions Philippe Picquier, 1998.
  • 12 Axelle Mariavale, « Trois poèmes de Li Ye 李冶 », Impressions d’Extrême-Orient [En ligne], 16 | 2024. (...)
  • 13 Su Dongpo, Sur moi-même, traduit par Jacques Pimpaneau. Arles : Éditions Philippe Picquier, 2003.
  • 14 Michèle Métail, « Perspicacité d'esprit ? », Impressions d’Extrême-Orient [En ligne], 16 | 2024. UR (...)
  • 15 Cécile Reverdy, « Tromper un gabelou en se faisant passer pour un taoïste », Impressions d’Extrême- (...)

8« Jeux des vers et de la prose »7 s’ouvre par un magistral concert de musique sans instrument, avec la traduction de la « Rhapsodie sur le sifflement » (« Xiao fu » 嘯賦) de Chenggong Sui 成公綏 (231-273) par Julie Gary-Bonte8. La description poétique (intégralement versifiée) de cette sorte de « souffle sonorisé », pratiqué par les maîtres en sciences occultes, les quêteurs de longue vie et les lettrés excentriques des Six Dynasties, le dote des mêmes qualités, pouvoirs et valeurs que ceux des instruments de musique sujets d’autres rhapsodies. Mais la naturalité ou primitivité du sifflement fait paradoxalement du poème – eu égard à sa virtuosité générique – une apologie de la simplicité. Presque à l’autre bout de l’histoire de la Chine impériale, l’art subtil du fu trouve un autre représentant, avec le « Fu de la loche et des anguilles » (« Qiushan fu » 鰍鱔賦, en prose), de Wang Gen 王艮 (1483-1541), une des figures de l’école confucéenne de Taizhou, dont Lucas Humbert9 reconstitue méticuleusement le contexte historique et philosophique. On sait que le grand poète et prosateur des Tang Han Yu 韓愈 (768-824) s’essaya lui aussi au genre du fu : son inventivité et son humour firent aussi de lui l’initiateur du genre de la biographie imaginaire. Han Jingjing10 nous propose ici la traduction d’une pièce qui résiste particulièrement à l’exercice, « la Biographie de Mao Ying » 毛穎傳 : un chapelet de jeux de mots et d’allusions, ici soigneusement décryptés en notes, nous fait peu à peu comprendre que l’illustre personnage dont on nous retrace la carrière mandarinale n’est autre… qu’un pinceau !
Cette section consacrée aux jeux des vers et de la prose ne pouvait certes ignorer la poésie classique proprement dite, à laquelle Jacques Pimpaneau fut toujours sensible. On se souvient notamment de son pétillant cours de traduction poétique « Lettre à une jeune fille qui voudrait partir en Chine »11. Axelle Mariavale12, nous rappelant combien il fut toujours attiré par les poétesses de la Chine impériale, lui dédie la traduction de trois poèmes de Li Ye 李冶 ( ?-784), que la postérité consacra, aux côtés de Xue Tao, comme l’une des « quatre grandes poétesses des Tang ». Mais comment le traducteur peut-il emplir les espaces laissés en blanc, les réseaux d’allusions graphiques de la poésie classique, surtout lorsqu’il s’agit de restituer un poème dit « de perspicacité d’esprit » (shenzhiti 神智體), une sorte de rébus visuel dû au « facétieux Su Dongpo » 蘇東坡 (1037-1101) — une autre vieille connaissance de Jacques Pimpaneau13 ? Michèle Métail14, elle-même poétesse de langue française, se souvient qu’elle fut sinologue et oulipienne pour avancer ici quelques étourdissantes propositions destinées à offrir ce poème à l’œil du lecteur francophone. Jeu d’esprit et de talent, on sait combien la poésie chinoise fut rarement affaire d’inspirés solitaires. C’est à une piquante scène de sociabilité poétique chinoise que nous convie Cécile Reverdy15 avec sa traduction d’une histoire du chapitre « Tromperies poétiques » (Shicipian 詩詞騙) du recueil d’anecdotes Dupian xinshu 杜騙新書 (Nouveau livre pour en finir avec la tromperie). On nous conte par quelle brillante entourloupe poétique le célèbre Tang Yin 唐寅 (1470-1524) et un compère détournèrent à leur profit le contenu de la cassette d’un trop naïf gabelou.

  • 16 En souvenir de la traduction par Pimpaneau d’un roman de Feng Menglong, Royaumes en proie à la perd (...)
  • 17 Rubén Almendros, « Le pavillon des égarements (« Milou ji » 迷樓記) », Impressions d’Extrême-Orient [E (...)
  • 18 Vincent Durand-Dastès, « Les plateaux de glace ou comment les fleurs de jade furent vengées  », Imp (...)
  • 19 Valentin Guichard, « Variations sur un thème du Xiyou ji », Impressions d’Extrême-Orient [En ligne] (...)
  • 20 Chloé Musso, « Quête d’une orpheline au mont Tai », Impressions d’Extrême-Orient [En ligne], 16 | 2 (...)
  • 21 Pierre Kaser, « Si on jouait au mandarin ? », Impressions d’Extrême-Orient [En ligne], 16 | 2024. U (...)
  • 22 François-Karl Gschwend, « Du quotidien animé de la ville de Lou », Impressions d’Extrême-Orient [En (...)

9La section « Romanciers en proie à la perdition »16 nous invite à un voyage éclectique à travers récits vernaculaires ou classiques. La figure de l’empereur Yang des Sui 隋煬帝 (r. 604-618), poète, bâtisseur et jouisseur, qui entraîna la chute de sa propre dynastie et permit ce faisant l’avènement de glorieux successeurs, les Tang, est représentée ici par deux textes rédigés à plusieurs siècles de distance. Rubén Almendros17 nous livre la traduction intégrale du Milou ji 迷樓記, récit classique des Song qui fit entrer dans la légende le palais de perdition inventé, dit-on, pour que les débauches impériales puissent avoir toute licence. Vincent Durand-Dastès18 nous propose à la suite la traduction d’un chapitre du roman de la fin des Ming consacré à l’empereur libertin, « L’Histoire galante de l’empereur Yang des Sui » (Sui Yangdi yanshi 隋煬帝艷史). On y apprend comment les dieux punirent son insolence en lui administrant un bien fatal aphrodisiaque… Nous entrons ensuite au légendaire Pays des femmes, bien connu des lecteurs de la « Pérégrination vers l’Ouest » (Xiyou ji 西遊記) ou de « Destinées des fleurs dans le miroir » (Jinghua yuan 鏡花緣). C’est vers une terre des femmes moins connue, et tout à fait inédite en traduction occidentale, que nous emmène Valentin Guichard19, avec deux extraits du roman Ming « Voyage sur les mers d'Occident de l'eunuque aux trois joyaux », Sanbao taijian Xiyang ji tongsu yanyi 三寶太監西洋記通俗演義. A contrario, c’est pour voyager librement dans les espaces masculins que la jeune héroïne du « Rêve du retour au lotus », Guilian meng 歸蓮夢, roman du XVIIe siècle, adopta l’habit viril et devint la cheffe d’une puissante secte populaire. Chloé Musso20, en traduisant le chapitre initial de ce roman, retrace pour nous les premiers pas de la jeune orpheline dans un monde hostile et sa rencontre avec le moine étrange et le gibbon blanc qui l’initièrent aux arts religieux et magiques. Une autre histoire d’enfance fait l’objet de la contribution de Pierre Kaser21. Un enfant génial, héros du roman éponyme Lin’er bao 麟兒報 (« La rétribution de l’enfant prodige ») nous est montré discutant des carrières mandarinales du monde adulte avec de bien cyniques petits compagnons. Cette section s’achève avec deux micronouvelles d’un écrivain contemporain, Ling Dingnian 凌鼎年. François-Karl Gschwend22 nous y fait visiter un étrange jardin et nous invite à banqueter avec un maître de la cuisine médicinale, dans deux textes qui montrent un art consommé de l’alliance du récit et de l’image, et dont le style composite fait bien souvent écho à celui des romanciers de l’époque impériale.

  • 23 En souvenir de Dragons et merveilles. Arles : Éditions Philippe Picquier, 2000.
  • 24 Depuis son Chanteurs, conteurs, bateleurs (Paris : Centre de publication Asie Orientale, 1978, rééd (...)
  • 25 Vincent Durand-Dastès, « Xu Wei et le moine fantôme », Impressions d’Extrême-Orient [En ligne], 16  (...)
  • 26 Traduites par Jacques Pimpaneau. Paris : Kwok On, 1995.
  • 27 Alain Rousseau, « Deux maris pour une femme-renarde », Impressions d’Extrême-Orient [En ligne], 16  (...)
  • 28 Bernard Allanic, « L’histoire du roi Dragon noir », Impressions d’Extrême-Orient [En ligne], 16 | 2 (...)
  • 29 Blanche Chia-Ping Chiu, « Trois contes contemporains sur le thème du Petit Chaperon rouge », Impres (...)
  • 30 Linisa Bessaoud, Émilie Boyer, Marie Escure, Maeva Sandri et Song Jinke, « Atlas des créatures de T (...)

10« Dragons et merveilles »23 aborde la tradition orale chinoise vivante, que Jacques Pimpaneau défendit et illustra avec passion toute sa vie24. Si le premier texte qu’on y rencontre, traduit par Vincent Durand-Dastès25, fut rédigé en langue classique par Feng Menglong 馮夢龍 (1574-1645), il ne fait guère de doute que le grand amateur de littérature en langue vulgaire qu’était ce dernier n’ait ici noté une des légendes entourant la figure de Xu Wei 徐渭 (1521 - 1593), célèbre poète, calligraphe et excentrique, telles qu’on pouvait les entendre à la fin des Ming. Ceux qui ont connu le maître hétéroclite savent combien la condition animale d’ici et de là-bas fut pour lui un souci constant : aussi nous a-t-il paru logique que la suite de cette section soit consacrée à des animaux plus ou moins magiciens. On rencontrera d’abord un choix d’histoires vulpines réinventées par Ji Yun 紀昀 (1724-1805) avec l’humour et l’ironie qui caractérisent l’auteur des Notes de la chaumière des observations subtiles26 : Alain Rousseau27 les a choisies parmi celles que Jacques Pimpaneau avait laissé de côté pour sa propre sélection. Bernard Allanic28 nous donne ensuite la primeur de « l’Histoire du dragon noir », telle qu’elle lui fut racontée, à la fin des années 1990, par un vieux moine du Mont Jizu 雞足山 au Yunnan. Ce sont également des contes populaires contemporains, recueillis par les folkloristes chinois, que Blanche Chia-Ping Chiu29 a choisi de nous offrir. Se souvenant d’un goûteux et discret opus pimpanesque de 1986, Le Petit chaperon rouge, version chinoise, sans rouge, ni chaperon, elle nous entraîne vers d’étonnantes et cruelles variantes chinoises de la légendaire confrontation entre le fauve et les enfants. Enfin, pour parachever ce bestiaire fabuleux, Linisa Bessaoud, Émilie Boyer, Marie Escure, Maeva Sandri et Song Jinke30, réunis par Gwennaël Gaffric à l’occasion d’un séminaire de traduction, ont joint leurs forces pour nous inviter à une excursion à travers « l'Atlas des créatures étranges de Taïwan », Yaoguai Taiwan ditu 妖怪臺灣地圖, de Ho Ching-yao 何敬堯 (2019).

  • 31 En souvenir de la traduction du Xijing zaji 西京雜記 par Pimpaneau, sous le titre Notes diverses sur la (...)
  • 32 Paolo Santangelo, « Eudaemonistic Nature as Dynamic and Vital Force for Happinessand Individual Aut (...)
  • 33 John A. Chaney, « Les tribulations d’un fonctionnaire dans la Chine du XIXe siècle  », Impressions (...)
  • 34 Zhang Rui, « L’an vingt-deux de l’ère Jian’an et au-delà », Impressions d’Extrême-Orient [En ligne] (...)
  • 35 François Picard, « Une autre robe pour l’hiver de maître Jacques », Impressions d’Extrême-Orient [E (...)

11Notre dossier se clôt par une section, « Notes diverses du cabinet du lettré »31 qui comprend quatre contributions, pour la plupart plus disertes et pour certaines un peu moins centrées sur les traductions. Paolo Santangelo32, ami de longue date du maître hétéroclite et qui partageait avec lui sa passion…. des passions chinoises, nous propose, dans l’unique contribution de langue anglaise de notre volume, un essai sur la valeur du bonheur comme moyen de salut chez Li Zhi 李贄 (1527–1602), lettré bien souvent voué aux gémonies et considéré comme hérétique. Aucunement hérétique en revanche ne fut le mandarin Zhang Jixin 張集馨 (1800-1878). Toutefois, en lisant la traduction par John Chaney33 de fragments de l’autobiographie chronologique (zixu nianpu 自敘年譜) qu’il nous a laissée, nous sommes invités à une plongée fascinante dans le quotidien d’un officier de l’Empire à l’époque de la sanglante guerre des Taiping, entre héroïsme et lâchetés, moments d’extrême violence et menus détails de la vie de tous les jours. Zhang Rui34 retrace le processus par lequel les témoins de l’épidémie qui décima en 217 l’illustre Pléiade de l’ère Jian’an 建安 (196-220) — de fait auteurs de ce que l’histoire littéraire a retenu comme prémices de la critique littéraire — ont imposé la littérature et la critique elle-même comme moyens d’immortalité et panacée contre l’oubli. De Cao Pi 曹丕 (187-226) et Cao Zhi 曹植 (192-232) à Xie Lingyun 謝靈運 (385-433) et Xiao Yi 蕭繹 (508-554) qui les imitèrent et réinventèrent, s’opère la fabrique même de la postérité. François Picard35, en une sorte de coda musicale, nous propose quelques pièces sur le chant ou les instruments de musique extraits du Mengxi bitan 夢溪筆談 (Notes au fil du pinceau de la rivière des Rêves) de Shen Gua 沈括 (1031-1095).

  • 36 En allusion finale à deux beaux opus pimpanesques : Mémoires de la Cour céleste, Mythologie populai (...)

12Que soit ici remerciée toute la petite troupe de traducteurs saltimbanques qui a contribué ou concouru à ce numéro d’Impression d’Extrême-Orient. Et puisse le maître hétéroclite lui pardonner, quelle que soit la cour céleste ou infernale où il poursuit ses observations, d’avoir sans permission manipulé son fantôme36 !

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Notes

1 Notamment sur le site internet de l’Inalco : « Disparition de Jacques Pimpaneau, sinologue et professeur à l'Inalco de 1965 à 1999 », mis en ligne le 1 février 2022 à l’URL : https://tinyurl.com/ysxkn75n ; par Pierre-Antoine Donnet, « Jacques Pimpaneau, grand spécialiste de la civilisation chinoise, est mort » Le Monde, 12 novembre 2021, consultable à l’URL : https://tinyurl.com/yfts5x2y ; par Brigitte Duzan, « Jacques Pimpaneau, 1934-2021 », consultable à l’URL : http://www.chinese-shortstories.com/Sinologues_Pimpaneau.htm. Brigitte Duzan a eu l’excellente idée de publier à la suite de son propre hommage ceux d’Hevé Denès, Catherine Despeux, Michelle Zedde, Isabella Falaschi, ainsi que celui de Pascale Wei-Guinot, en partie repris dans notre éditorial; on lira également l’hommage des « camarades de casse » Martine et Olivier sur leur blog Langue sauce piquante, à l’URL : https://tinyurl.com/4c6b4t5k ; celui de Jean-Marie Pradier sur le carnet de la Société Française d’Ethnoscénologie (SOFETH), « Hommage à Jacques Pimpaneau (1934-2021) » à l’URL : https://sofeth.hypotheses.org/199.

2 Vincent Durand-Dastès, Valérie Lavoix (dir.), Une robe de papier pour Xue Tao. Choix de textes inédits de littérature chinoise. Paris : Espaces & Signes, 2015, 242 p.

3 On trouvera une liste — non exhaustive — de ces travaux et ouvrages dans le billet « Les Bonnes feuilles du disciple de Monsieur Kwok On, ou Jacques Pimpaneau et ses livres », Le Carreau de la BULAC, 10 novembre 2021, consultable à l’URL : https://bulac.hypotheses.org/35541

4 Promenade au jardin des poiriers : l’opéra chinois classique. Paris : Musée Kwok On, 1983 (réédition aux Belles Lettres, malheureusement avec sensiblement moins d'illustrations).

5 Isabella Falaschi, « Le drame des Yuan ″Pluie sur la Xiao et la Xiang″ », Impressions d’Extrême-Orient [En ligne], 16 | 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ideo/3614

6 Rainier Lanselle, « Un drame politique au XVIIe siècle. Li Yu 李玉, Qingzhong pu 清忠譜 (Le chant des purs et des loyaux) », Impressions d’Extrême-Orient [En ligne], 16 | 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ideo/3584

7 En lointain écho aux Jeux des nuages et de la pluie. L’art d’aimer en Chine, par Michel Beurdeley, Georges Bataille, Kristofer Schipper, Tchang Fou-Jouei et Jacques Pimpaneau (Paris : Bibliothèque des Arts/Fribourg : Office du Livre, 1969).

8 Julie Gary-Bonte, « Sans instrument : récital en plein vent », Impressions d’Extrême-Orient [En ligne], 16 | 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ideo/4172

9 Lucas Humbert, « Une bêtise à glorifier pour dix mille générations », Impressions d’Extrême-Orient [En ligne], 16 | 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ideo/3943

10 Han Jingjing, « Fausse biographie, authentique fable : la Biographie de Mao Ying », Impressions d’Extrême-Orient [En ligne], 16 | 2023. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ideo/4118

11 Lettre à une jeune fille qui voudrait partir en Chine. Arles : Éditions Philippe Picquier, 1998.

12 Axelle Mariavale, « Trois poèmes de Li Ye 李冶 », Impressions d’Extrême-Orient [En ligne], 16 | 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ideo/3867

13 Su Dongpo, Sur moi-même, traduit par Jacques Pimpaneau. Arles : Éditions Philippe Picquier, 2003.

14 Michèle Métail, « Perspicacité d'esprit ? », Impressions d’Extrême-Orient [En ligne], 16 | 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ideo/3933

15 Cécile Reverdy, « Tromper un gabelou en se faisant passer pour un taoïste », Impressions d’Extrême-Orient [En ligne], 16 | 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ideo/3669

16 En souvenir de la traduction par Pimpaneau d’un roman de Feng Menglong, Royaumes en proie à la perdition. Chroniques de la Chine ancienne. Paris : Flammarion, 1985.

17 Rubén Almendros, « Le pavillon des égarements (« Milou ji » 迷樓記) », Impressions d’Extrême-Orient [En ligne], 16 | 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ideo/3809

18 Vincent Durand-Dastès, « Les plateaux de glace ou comment les fleurs de jade furent vengées  », Impressions d’Extrême-Orient [En ligne], 16 | 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ideo/3689

19 Valentin Guichard, « Variations sur un thème du Xiyou ji », Impressions d’Extrême-Orient [En ligne], 16 | 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ideo/3834

20 Chloé Musso, « Quête d’une orpheline au mont Tai », Impressions d’Extrême-Orient [En ligne], 16 | 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ideo/3827

21 Pierre Kaser, « Si on jouait au mandarin ? », Impressions d’Extrême-Orient [En ligne], 16 | 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ideo/3984

22 François-Karl Gschwend, « Du quotidien animé de la ville de Lou », Impressions d’Extrême-Orient [En ligne], 16 | 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ideo/3849

23 En souvenir de Dragons et merveilles. Arles : Éditions Philippe Picquier, 2000.

24 Depuis son Chanteurs, conteurs, bateleurs (Paris : Centre de publication Asie Orientale, 1978, réédité sous le titre Chine, littérature populaire : chanteurs, conteurs, bateleurs. Arles : Éditions Philippe Picquier, 1991) jusqu’aux Contes chinois racontés à Helen (Arles : Éditions Philippe Picquier, 2007).

25 Vincent Durand-Dastès, « Xu Wei et le moine fantôme », Impressions d’Extrême-Orient [En ligne], 16 | 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ideo/4108

26 Traduites par Jacques Pimpaneau. Paris : Kwok On, 1995.

27 Alain Rousseau, « Deux maris pour une femme-renarde », Impressions d’Extrême-Orient [En ligne], 16 | 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ideo/3704

28 Bernard Allanic, « L’histoire du roi Dragon noir », Impressions d’Extrême-Orient [En ligne], 16 | 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ideo/3678

29 Blanche Chia-Ping Chiu, « Trois contes contemporains sur le thème du Petit Chaperon rouge », Impressions d’Extrême-Orient [En ligne], 16 | 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ideo/3962

30 Linisa Bessaoud, Émilie Boyer, Marie Escure, Maeva Sandri et Song Jinke, « Atlas des créatures de Taïwan », Impressions d’Extrême-Orient [En ligne], 16 | 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ideo/4075

31 En souvenir de la traduction du Xijing zaji 西京雜記 par Pimpaneau, sous le titre Notes diverses sur la capitale de l'Ouest. Paris : Les Belles Lettres, coll. « Bibliothèque chinoise », 2016.

32 Paolo Santangelo, « Eudaemonistic Nature as Dynamic and Vital Force for Happinessand Individual Authonomy », Impressions d’Extrême-Orient [En ligne], 16 | 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ideo/3629

33 John A. Chaney, « Les tribulations d’un fonctionnaire dans la Chine du XIXe siècle  », Impressions d’Extrême-Orient [En ligne], 16 | 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ideo/3820

34 Zhang Rui, « L’an vingt-deux de l’ère Jian’an et au-delà », Impressions d’Extrême-Orient [En ligne], 16 | 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ideo/4158

35 François Picard, « Une autre robe pour l’hiver de maître Jacques », Impressions d’Extrême-Orient [En ligne], 16 | 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ideo/3859

36 En allusion finale à deux beaux opus pimpanesques : Mémoires de la Cour céleste, Mythologie populaire chinoise. Kwok On, 1997 ; Fantômes manipulés : le théâtre de poupées au Japon. Paris : Université Paris 7 Centre de publication Asie Orientale, 1987.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Vincent Durand-Dastès et Valérie Lavoix, « Hommage au maître hétéroclite »Impressions d’Extrême-Orient [En ligne], 16 | 2024, mis en ligne le 30 juin 2024, consulté le 24 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ideo/4150 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11z7w

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Auteurs

Vincent Durand-Dastès

Vincent Durand-Dastès est professeur de littérature chinoise prémoderne à l’INALCO et membre de l’IFRAE. Il consacre ses travaux à l’étude du rapport à la religion et au surnaturel de la littérature narrative de l’âge impérial tardif. Il a notamment publié « Divination, Fate Manipulation, and Protective Knowledge : The Wedding of the Duke of Zhou and Peach Blossom Girl, a Popular Myth of Late Imperial China » (2018) ; « Une ardente alchimie ou l’immortalité par les cuisines » (2019) ; « Corps impénétrables et nonnes entremetteuses : destins romanesques de la ‘fille de pierre’ (shinü 石女) » (2022) « 鬼 Gui, démon, revenant - esthétique spectrale, paradigme démoniaque et hantise des disparus » (2022), et « Une matinée au théâtre des enfers : les incrustations narratives dans les rouleaux verticaux des Dix rois du monde des ténèbres de la Chine moderne » (2022). Il a dirigé Empreintes du tantrisme en Chine et en Asie orientale : imaginaires, rituels, influences (2016) et co-dirigé Fantômes dans l’Extrême-Orient d’hier et d’aujourd’hui (2017, avec Marie Laureillard) et Récits de rêve en Asie Orientale (2018, avec Rainier Lanselle).

Articles du même auteur

Valérie Lavoix

Valérie Lavoix est maître de conférences en langue et littérature classiques chinoises à l’Inalco, membre titulaire de l’IFRAE (UMR 8043) et membre associée du CRCAO (UMR 8155). Ses travaux portent principalement sur la critique littéraire (Wenxin diaolong, « Esprit de littérature en dragon ciselé ») et la poésie (fu, exposition poétique) de la Chine du haut Moyen Âge (iii-vie siècle), mais également sur l’histoire socioculturelle et le bouddhisme laïc de cette même période.

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