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Romanciers en proie à la perdition

Du quotidien animé de la ville de Lou

Deux micronouvelles de Ling Dingnian 凌鼎年
François-Karl Gschwend

Texte intégral

  • 1 Le nom complet de cette ville est en réalité Loucheng 婁城 (ville — cheng 城 — de « Lou » 婁), mais par (...)
  • 2 Tous ces différents épisodes sont réellement abordés dans les micronouvelles de Ling Dingnian. À ce (...)

1Pas un jour sans qu’il ne se passe quelque chose dans la ville de Lou 婁1 : si ce n’est pas l’ouverture d’un nouveau restaurant, c’est la découverte fortuite d’une vieille souche pétrifiée de camphrier, ou encore le terrible saccage d’un jardin de lotus par un photographe sans vergogne… Et cela ne date pas d’hier : au moment de l’invasion mongole au XIIIe siècle ou des troubles de la seconde moitié du XIXe siècle, l’effervescence a toujours été de rigueur dans cette petite ville de province2. Dès lors, qui mieux qu’un écrivain originaire de la région pourrait nous conter tous ces événements ?

  • 3 Il existe plusieurs appellations en chinois pour désigner ce genre littéraire, mais la plus fréquem (...)

2À l’occasion de ce numéro spécial, nous souhaiterions rendre un hommage au sinologue français Jacques Pimpaneau (1934-2021) à travers la traduction de deux textes — des micronouvelles3 pour être exact — de l’auteur chinois Ling Dingnian 凌鼎年 (1951-), passé maître dans ce genre littéraire encore peu connu en Occident. Ces traductions pouvant difficilement être appréciées à leur juste valeur sans être préalablement resituées dans leur contexte, nous nous proposons ainsi de diviser le présent article en deux parties : dans un premier temps, nous esquisserons les grandes lignes de la vie de cet écrivain, avant d’évoquer les principales caractéristiques qui rendent ses micronouvelles si particulières. L’objectif de ce tour d’horizon succinct sera de faire comprendre au lecteur en quoi réside l’intérêt des traductions proposées dans la seconde partie de l’article. Dans celle-ci, nous aurons l’occasion de savourer deux épisodes hauts en couleur qui mettent à l’honneur le quotidien de la ville de Lou.

L’auteur

  • 4 Pour plus de détails concernant cet épisode de la vie l’auteur, voir par exemple : Ling Dingnian 凌鼎 (...)
  • 5 Ling Dingnian emploie des mots très forts à ce sujet, allant jusqu’à dire qu’il a « porté sur le do (...)
  • 6 Voir Ling, Jin maque huojiang zuojia wencong…, op. cit., p. 257.

3Originaire précisément de la ville de Lou, dans la province du Jiangsu, Ling Dingnian manifeste depuis sa plus tendre enfance un remarquable talent pour l’écriture. Entre autres faits notables, soulignons qu’il a obtenu la meilleure note en rédaction de son établissement en troisième année d’école primaire, de même que le deuxième meilleur résultat de sa province deux ans plus tard4. Nonobstant ces débuts couronnés de succès laissant envisager une carrière des plus prometteuses, il n’est cependant pas épargné par la Révolution culturelle : accusé d’avoir des « relations avec l’étranger »5, il est envoyé, en 1971, dans une mine de charbon au bord du lac Weishan 微山, dans le Shandong. Il y passera une vingtaine d’années, exerçant toutes sortes de professions, parmi lesquelles ouvrier, instituteur ou encore éditeur de journal, avant de retourner dans sa ville d’origine. Fort d’une riche expérience de la vie, il a toutes les clés en main pour rédiger des textes qui entremêlent astucieusement faits historiques, éléments culturels et touches humoristiques plus légères, faisant de cette combinaison a priori improbable l’un de ses traits distinctifs les plus remarquables6.

4Après s’être essayé à différents genres littéraires, dont la poésie, dans les années 1980, c’est au début de la décennie suivante qu’il fait une entrée remarquée dans le milieu des micronouvelles ; depuis lors, son succès ne s’est jamais démenti. En plus de s’être vu décerner un grand nombre de prix littéraires, il est entretemps devenu membre de l’Association des écrivains chinois (Zhongguo zuojia xiehui 中國作家協會), de même que secrétaire général de l’Association mondiale de la recherche sur les micronouvelles (Shijie huawen weixing xiaoshuo yanjiuhui 世界華文微型小說研究會). Extrêmement productif, il est régulièrement invité à participer à divers événements littéraires à travers le monde.

  • 7 Propos tenus par Shi Zhanjun 施戰軍 (1966-), critique littéraire et rédacteur en chef de la revue Renm (...)
  • 8 Jin Yong 金庸 (1924-2018), nom de plume de Zha Liangyong 查良鏞, aussi connu sous le nom de Louis Cha, e (...)
  • 9 Propos tenus par Pan Yatun 潘亞暾 (1931-), vice-président de l’Association mondiale de littérature chi (...)
  • 10 Ainsi, bon nombre d’intrigues ont pour toile de fond la ville de Lou, aussi bien de nos jours qu’à (...)
  • 11 Pour le texte complet, voir François-Karl Gschwend, « Le thé parfumé au lotus », Impressions d’Extr (...)

5Figure incontournable dans le genre des micronouvelles en langue chinoise, certains disent de lui qu’il entretient « un lien avec ses micronouvelles comparable à celui que [le poète des Tang] Li Bai [701-762] entretenait avec ses poèmes » (凌鼎年與微型小說的關係,相當於李白與唐詩的關係)7, ou qu’il est en passe de devenir « le futur Jin Yong8 du monde des micronouvelles » (凌鼎年會成爲微型文學領域中的“金庸”)9. Ces commentaires élogieux ne sont pas uniquement dus à ses plus de cinq mille textes déjà publiés. En effet, son écriture si caractéristique contribue également à sa notoriété : ses phrases remarquablement construites et rythmées, agrémentées d’un mariage redoutablement efficace entre vocabulaire savant et langue parlée, sont parsemées d’extraits de poèmes, de proverbes et autres chengyu 成語, qui ne rendent ses textes que plus vivants. Qui plus est, la majorité de ses récits ont un fondement historique et culturel fort10. Tous ces éléments permettent ainsi aux lecteurs d’entrer facilement dans ses histoires à la fois raffinées, de par la langue, et populaires, de par les thèmes abordés. Cet exercice d’écriture est d’autant plus difficile à mettre en œuvre que le principe même des micronouvelles réside dans l’extrême brièveté du format — entre 1500 et 2500 signes. Les exemples illustrant sa virtuosité sont légion, mais contentons-nous de ce passage aussi représentatif que remarquable, tiré du « Thé parfumé au lotus » (He xiang cha 荷香茶)11 :

Au début du printemps, il profitait du spectacle des « extrémités pointues des petits lotus sur lesquelles venaient aussitôt se poser des libellules » ; l’été venu, son imagination s’enivrait des « différentes teintes de rouge que prenaient les lotus au soleil » ; au cœur de l’automne, il éprouvait la passion des « derniers lotus, abîmés, écoutant le murmure de la pluie ».

開春,他欣賞“小荷才露尖尖角,早有蜻蜓立上頭”的景色;入夏,他陶醉於“映日荷花別樣紅”的意境裏;深秋,他機會“留得殘荷聼雨聲”的趣味。

  • 12 Pour plus de détails concernant les poèmes cités, voir Ibid., notes 11, 12 et 13.

6Comme nous pouvons le constater, Ling Dingnian excelle à décrire, en quelques dizaines de caractères seulement, le plaisir que l’on peut trouver dans la contemplation de la nature, en se servant habilement de trois extraits de poèmes12, ce qui suppose la maîtrise d’une solide culture poétique.

Les micronouvelles

  • 13 Pour plus de détails concernant les codes des micronouvelles, voir Grâce Honghua Poizat, « Micronou (...)
  • 14 Dans un pays où la liberté d’expression est particulièrement contrôlée, il est parfois plus efficac (...)
  • 15 Sur ce nombre, voir Poizat, Op. cit., p. 4.
  • 16 Pour un aperçu complet de l’étude du phénomène des micronouvelles en langue chinoise, voir Watanabe (...)

7C’est au début des années 1980 que le genre littéraire des micronouvelles a réellement pris son essor en Chine, porté par l’optimisme de l’ouverture du pays qui a suivi la Réforme économique (gaige kaifang 改革開放). Ces dernières peuvent être définies selon un certain nombre de critères, dont les plus fréquemment rencontrés sont les suivants13 : une chute finale inattendue, une certaine critique de la société14 et une bonne dose d’ironie. Si ces éléments peuvent se révéler quelque peu difficiles à évaluer, le sens de l’humour et l’ironie variant grandement d’un individu à l’autre, il existe cependant deux autres critères plus facilement quantifiables qui caractérisent ce genre : d’une part, le faible nombre de personnages, parfois anonymes, et d’autre part, le nombre de caractères dans la langue d’origine, en l’occurrence le chinois. Ainsi, il est généralement admis qu’un texte dépassant les 2500 signes15 n’est plus considéré comme une micronouvelle. Watanabe Haruo 渡邊晴夫 (1936-), grand spécialiste japonais des micronouvelles en langue chinoise16, a étudié la question et souligne ainsi :

  • 17 Watanabe, « Nitchū bikei shōsetsu hikaku kenkyū no kaishi – kenkyū wo furikaette » 日中微型小説比較研究の開始—研究 (...)

Les trois raisons suivantes étaient évoquées pour expliquer pourquoi les micronouvelles commencèrent à être écrites en grand nombre au tournant des années 1980. […] En ce qui concerne le nombre de caractères, il existait certes des textes dépassant les deux mille signes, mais on considérait comme préférable qu’ils en fassent moins de mille.
一九八〇年代に入って微型小説が盛んに書かれるようになった原因として、次の三点が挙げられていた。[…] 字数は二千字をこえるものもあるが、一千字以内が好ましいとされていた。17

  • 18 Voir François-Karl Gschwend, « Chūgokugo no shōto shōto no daihyōteki sakka – Ryō Teinen » 中国語のショート (...)
  • 19 Ling Dingnian suggère que les auteurs ne devraient se préoccuper d’abord et avant tout que de la be (...)

8Cependant, la limite inférieure indiquée par Watanabe Haruo nous semble un peu basse, car elle fait davantage penser à une longue prise de note qu’à un bref récit. Une petite étude18 menée sur vingt-cinq textes de Ling Dingnian révèle que leur longueur moyenne est de 1470 caractères, ponctuation incluse. Avec ces informations à disposition, il est ainsi possible d’estimer que les micronouvelles devraient idéalement se situer dans une fourchette allant de 1500 à 2500 caractères19. Les deux textes du présent article faisant respectivement 2100 et 1356 signes, ponctuation incluse, il convient donc de les intégrer dans la catégorie des micronouvelles.

9D’aucuns seront peut-être tentés d’objecter que les micronouvelles sont des écrits inévitablement simples, superficiels et peu enclins à l’expression d’un vrai style, puisqu’étant par définition des textes courts — comme pourraient l’être par exemple des notes griffonnées à la hâte sur un morceau de papier. Pour dire les choses autrement, il est parfois sous-entendu que la brièveté d’un texte a forcément une incidence peu flatteuse sur sa qualité. Or, s’il est vrai que le niveau des micronouvelles peut grandement varier selon les auteurs, il serait probablement excessif d’affirmer que les deux textes proposés ne présentent pas le moindre intérêt.

  • 20 Cette micronouvelle, achevée le 31 août 2003, fut publiée pour la première fois en 2004, dans le n° (...)

10« Le grand maître de la cuisine médicinale » (Yaoshan dashi 藥膳大師)20 nous plonge ainsi au cœur de l’extravagante et tumultueuse vie gastronomique de la ville de Lou. À l’instar de toute micronouvelle digne de ce nom, le nombre de protagonistes y est limité, et pour cause : ils ne sont que deux, par ailleurs très sommairement décrits — et c’est un euphémisme. Le premier, Qi Mengxiao 戚夢瀟, critique culinaire se piquant d’une renommée bâtie sur celle de ses ancêtres, fait preuve d’une condescendance certaine à l’endroit des établissements dans lesquels il se rend. Par trop persuadé de l’importance de ses commentaires, il se plaît à faire la pluie et le beau temps dans le monde gastronomique de la ville, imposant sa présence aussi bien aux restaurateurs qu’aux clients. Le second, Wang Yimai 王一脈, patron d’un restaurant de cuisine médicinale nouvellement ouvert, n’a apparemment que faire de cette personnalité locale : sûr de son talent, il se soucie de ce critique comme d’une guigne, ne manifestant pas le moindre intérêt à le recevoir et à lui faire découvrir ses plats.

  • 21 L’une des caractéristiques de Ling Dingnian est l’utilisation récurrente de listes de termes extrêm (...)
  • 22 Pour plus de détails concernant ces trois personnages historiques, voir respectivement les notes 29 (...)
  • 23 La région du Jiangnan 江南, littéralement « au sud du fleuve Bleu », couvre les provinces du Jiangsu (...)

11L’intrigue peut sembler fade au premier abord, mais elle devient délicieusement savoureuse une fois croquée par la plume de Ling Dingnian. Sans dévoiler toute l’intrigue, signalons par exemple l’ironie de la situation, lorsque le célèbre Qi Mengxiao est battu à froid par le petit nouveau Wang Yimai, de même que la chute finale inattendue, lorsque ce critique gastronomique, mis à quia, tente de garder la face en se drapant du peu d’honneur qui lui reste. L’autre tour de force de l’auteur, digne d’être relevé ici et qui constitue a fortiori l’un de ses traits distinctifs, est l’intégration de listes dans ses textes21. « Le grand maître de la cuisine médicinale » ne déroge pas à la règle, puisque, par trois fois, Ling Dingnian dresse un impressionnant inventaire de plats médicinaux, allant même jusqu’à rédiger un paragraphe entier composé d’adjectifs caractérisant cette cuisine. En outre, il fait référence à plusieurs personnages historiques, parmi lesquels Li Shizhen 李時珍 (1518-1593), Wang Shizhen 王世貞 (1526-1590) ou Meng Shen 孟詵 (621-713), de même qu’à plusieurs ouvrages incontournables dans le domaine, dont le Compendium de materia medica (Bencao gangmu 本草綱目)22, pour ne citer que lui. Ainsi, en à peine plus de deux mille caractères, l’auteur nous donne-t-il non seulement à voir son plaisir de l’érudition, mais aussi un très large aperçu de la richesse culturelle de la région du Jiangnan23.

  • 24 Cette micronouvelle, achevée le 4 novembre 1995, fut publiée pour la première fois la même année da (...)
  • 25 Voir note 4 ci-dessus.
  • 26 Dans le présent article, nous retenons, pour « rhapsodie », l’acception suivante, tirée du Trésor d (...)

12Le second texte, « Cet arbre, ce jardin » (Na pian zhulin, na ke shu 那片竹林,那棵樹)24, par ailleurs titre d’un recueil éponyme25, pourrait être qualifié de « rhapsodie26 littéraire », de par sa structure à première vue étonnante, composée de plusieurs éléments arrangés les uns à la suite des autres sans lien apparent. S’il reste relativement aisé de deviner quel en est le fil rouge, à savoir le jardin de bambou de la famille Zhou, l’auteur brouille les pistes en nous promenant selon son bon plaisir dans toutes les directions, évoquant aussi bien des anecdotes passées que des événements plus actuels, le tout rapporté par les journaux, la télévision locale ou les potins des habitants du coin. La narration est d’une très grande richesse, tant au niveau du vocabulaire employé qu’au niveau de la structure des phrases, à la fois courtes et percutantes, apportant de temps en temps un ton plus intimiste au récit. L’extrait suivant met parfaitement en lumière la façon dont l’auteur rythme ses phrases, à l’aide de trois structures épithètes de quatre caractères :

  • 27 Ling, Jin maque huojiang zuojia wencong…, op.cit., p. 130.

[…] Peut-être était-ce précisément parce qu’il se trouvait entre la vie et la mort, à la fois desséché et bourgeonnant, cassant et souple, […]
[…] 也許正是這半死半活,又枯又榮,半乾半濕的檀樹, […]27

13Il y aurait encore beaucoup à dire à propos de ce second texte, mais concluons ici en soulignant que même s’il n’y a objectivement qu’un seul personnage humain vaguement décrit, « Zhou le Cabot » (Zhou Agou 周阿狗), nous pourrions cependant tout à fait considérer le jardin comme étant le vrai protagoniste de l’histoire, spectateur impuissant des péripéties qui se produisent en son sein. Ici aussi, Ling Dingnian manie très habilement l’ironie : sans dévoiler toute l’intrigue, citons par exemple la déconvenue d’un nouveau riche, malgré sa grande fortune, à acquérir un champignon censé assurer une longue vie, ou encore l’échec de plusieurs villageois qui, poussés par leur cupidité, commettent des actes égoïstes les conduisant précisément à détruire ce qu’ils sont venus chercher. La chute finale, d’autant plus saisissante qu’elle est brève, clôt un épisode, parmi tant d’autres, de vie du jardin de bambous.

14Ce modeste tour d’horizon consacré à Ling Dingnian et aux micronouvelles de façon plus générale nous aura donné un aperçu de l’intérêt qu’il y a à s’intéresser à ce genre littéraire, et explique dès lors pourquoi nous avons trouvé pertinent de proposer les deux textes qui suivent.

Le grand maître de la cuisine médicinale

15Dans le monde de la gastronomie de la ville de Lou, il existe une règle tacite : tous ceux qui ouvrent un restaurant peuvent parfaitement ne pas convier les personnalités locales importantes, ni même ces nouveaux riches et ces dames fortunées qui aiment à s’afficher en public. Mais s’ils oublient d’inviter Qi Mengxiao et ne lui demandent pas de dire quelques mots élogieux à leur sujet, alors il y a fort à parier que leurs affaires ne feront pas long feu.

16Pourquoi donc ?

17Serait-il possible que cet individu soit encore plus important que le maire ? Encore plus influent que le secrétaire du Parti ?

18C’est effectivement une partie de la réponse. Surnommé le « Gourmet », c’est un personnage bien connu dans le monde de la gastronomie ! On raconte que son grand-père était cuisinier impérial à la cour des Qing, et que son père était chef cuisinier chevronné au Park Hotel de Shanghai. Quant à lui, sans être un cuisinier célèbre, il a tout de même publié un ouvrage intitulé Les mets légendaires de Lou à travers les âges, avant d’être nommé consultant pour le magazine Les Gastronomes. Par ailleurs, des journalistes de la télévision régionale ont même spécialement fait le déplacement jusque dans la ville pour réaliser un reportage spécial à son sujet, intitulé Le gourmet de Lou.

19En raison de la renommée du Gourmet, les amateurs de bonne chère de la ville sont, évidemment, extrêmement attentifs à ses déplacements. Si ce dernier se refuse à faire l’éloge d’un restaurant, alors, tout naturellement, les clients s’y feront rares. En revanche, il lui suffit d’être convaincu, assis à une table, ou lors d’un évènement, des compétences de tel chef, ou de la finesse de tel plat, pour qu’une foule innombrable se retrouve irrésistiblement attirée en ces lieux. Toutefois, c’est lorsqu’il n’a rien à faire que son influence est la plus grande : il rédige alors des textes d’un millier de mots, tantôt pour présenter tel célèbre plat traditionnel, tantôt pour faire connaître telle spécialité. Parfois, il va même jusqu’à formuler des critiques ou des éloges à l’égard d’un ou deux établissements dont le niveau aurait, selon lui, baissé, ou au contraire monté. Par conséquent, ses moindres propos et gestes ont, dans une certaine mesure, une influence sur le monde culinaire local. Voilà pourquoi aucun directeur d’hôtel, patron de restaurant ou tenancier de taverne ne se risque à ne pas le flatter. À peine est-il arrivé que des « maître Qi, maître Qi », « vénérable maître », « grand gourmet » résonnent à ses oreilles. Ceux-ci lui servent invariablement les plats les plus succulents et les soupes les plus somptueuses, le laissant juger de leur qualité tout en sollicitant ses conseils. Ils ne craignent qu’une seule chose : que le Gourmet soit traité sans égards ou qu’il se sente offensé.

20Cependant, il y a toujours des individus qui, en toute connaissance de cause, ne font preuve d’aucun tact et se moquent de faire des affaires. Voyez, le « Restaurant de cuisine médicinale “Chez Wang” », nouvellement ouvert dans la rue de l’université, n’a même pas invité le Gourmet !

  • 28 Nous proposons ici la version française d’un proverbe chinois très similaire employé par Ling Dingn (...)

21D’après les indiscrétions d’une source bien informée, il aurait été suggéré, avant l’ouverture, de n’inviter que le Gourmet, et personne d’autre. Mais qui donc aurait pu penser que le restaurateur, Wang Yimai, aurait eu le culot de répondre, semblant s’en soucier comme de colin-tampon : « À bon vin point d’enseigne !28 »

22Son acte insolite ayant suscité la curiosité des médias, les journalistes allèrent l’interroger, portés par la ferme volonté de savoir d’où lui venait son habileté extraordinaire qui lui permettait d’attirer sa clientèle.

  • 29 Li Shizhen 李時珍 (1518-1593) est un médecin, pharmacologue et herboriste chinois de la dynastie Ming (...)
  • 30 Wang Shizhen 王世貞 (1526-1590) est un lettré, penseur et historien de la dynastie Ming, originaire de (...)

23Celui-ci leur raconta qu’il y a plus de quatre cents ans, Li Shizhen29 vint rendre visite à son ancêtre Wang Shizhen30 dans la ville de Lou et qu’il lui demanda d’écrire la préface de son Compendium de materia medica. Cet ouvrage demeura chez son ancêtre pendant une dizaine d’années, jusqu’en 1590 ; c’est alors que ce dernier, juste avant de mourir, en termina la lecture et en écrivit la préface. Mais en réalité, un détail était resté inconnu de tous : Wang Shizhen avait demandé à quelqu’un de recopier la partie consacrée à la cuisine médicinale, ce qui représentait un total de plus de quatre cents recettes thérapeutiques ! Devenues le précieux héritage de la famille Wang, ces recettes se trouvaient à présent entre ses mains, ce qui lui avait permis d’ouvrir son restaurant, proposant des plats inspirés de ces écrits.

24Eh bien ! Quelle affaire ! Et voilà que l’intérêt des journalistes monta en flèche. Tous brûlaient d’envie de demander à ce restaurateur de leur raconter par le menu ses connaissances en matière de cuisine médicinale.

25Mais comment auraient-ils pu se douter qu’en posant cette question, ils toucheraient à un sujet que Wang Yimai connaissait sur le bout des doigts ? Et il se mit ainsi à parler, en toute franchise et avec assurance, de la façon de traiter les « syndromes de déficience par des méthodes de tonification », les « syndromes d’excès par des méthodes purgatives », les « syndromes de froid intérieur par des méthodes de réchauffement », ou encore les « syndromes de chaleur intérieure par des méthodes de refroidissement ». Il ajouta que les poumons avaient besoin de piquant, le cœur de douceur, la rate d’amertume et les reins de salé, avant de préciser qu’il convenait de ne pas manger de foie au printemps, de cœur en été, de poumons en automne et de rognons en hiver… Et voilà toute cette kyrielle de journalistes, pourtant dotés d’une riche expérience et de vastes connaissances, à se retrouver qui stupéfait, qui ébahi. Battant le fer pendant qu’il est chaud, Wang Yimai les invita à prendre un repas simple pour leur donner un aperçu de son savoir-faire, de crainte que le public ne pensât qu’il n’était qu’un beau parleur ne sachant rien faire !

26Séduits par ses paroles, ces journalistes aguerris avouèrent, l’eau à la bouche : « Si vous ne nous aviez pas invités à manger, nous ne serions pas partis ! »

  • 31 Le satyre voilé (Phallus indusiatus), également connu sous le nom de dame voilée, est un champignon (...)
  • 32 Le pachyme (Wolfiporia extensa), aussi appelé Poria cocos, est un champignon ayant l’aspect d’une g (...)
  • 33 Voici un exemple typique des listes dont Ling Dingnian a le secret. Dans celle-ci, pas moins de dix (...)

27Sur ce, Wang Yimai demanda à ses employés d’apporter une tortue cuite à l’étouffée dans des soies de maïs, des escargots de mer au jus de gingembre, du tofu fourré aux loches d’étang, une carpe aux racines de lys, du poulet mijoté aux asperges médicinales, des pattes de canard braisées à la peau d’orange, des rognons de porc sautés à l’arbre à gomme, des boulettes de viande aux châtaignes d’eau, ainsi que des moineaux fumés accompagnés d’un jus de baies de goji. Ils servirent, en outre, des plats végétariens, dont des graines de lotus ambrées, des boulettes aux champignons parfumés et aux radis, du pak choï sauté aux mousserons et à l’huile piquante, des poivrons farcis grillés, des noix sautées à la ciboule chinoise, du tofu aux graines de tournesol, de même que de petites collations en guise d’accompagnement, parmi lesquelles une soupe au blanc d’œuf et au satyre voilé31, ou encore des galettes de pachymes32. Enfin, chacun eut droit à un bol de poudre de nénuphar épineux et une bouillie à l’igname33.

28« C’était un vrai délice ! », s’exclamèrent-ils après ce festin.

  • 34 Nous sommes ici en présence d’un autre type d’énumération ; en effet, il ne s’agit pas de noms, mai (...)

29Se tenant à côté d’eux, Wang Yimai leur expliqua comment sélectionner, utiliser et assembler les ingrédients, comment maîtriser les couteaux, les ustensiles et les temps de cuisson, et comment faire pour avoir à la fois des formes, des couleurs, des saveurs et des goûts. Puis il ajouta, d’une seule traite, que tout devait être ni trop, ni trop peu ; ni trop mélangé, ni trop séparé ; ni trop dur, ni trop mou ; ni trop cuit, ni trop cru ; ni trop ferme, ni trop onctueux ; ni trop sec, ni trop froid ; ni trop rugueux, ni trop visqueux ; ni trop salé, ni trop fade ; ni trop brillant, ni trop sombre ; ni trop grand, ni trop petit34… Complètement stupéfaits, les journalistes écoutaient, les yeux écarquillés et la bouche bée.

30« Monsieur Wang, quel gourmet ! Quel gourmet vous faites ! » déclara avec sincérité un des journalistes, spécialisé dans la gastronomie. « Aujourd’hui, nous avons découvert de nouveaux horizons, nous nous sommes délectés des plaisirs de la bouche, et nous nous sommes repus de sons exquis. »

31Le lendemain, le quotidien de la ville publia un entretien exclusif de près d’une demi-page intitulé Entrevue avec Wang Yimai, grand maître de la cuisine médicinale, accompagné de photos.

32Puis l’émission télévisée Vie diffusa le reportage Un repas médicinal unique en son genre, bientôt suivie par la radio avec un programme intitulé Entretien avec Wang Yimai, véritable gourmet. Dans la foulée, des sites Internet mirent en ligne des photos de ses nombreux plats, dont son lièvre à la peau d’orange, sa carpe dorée étuvée aux abats de poulet et au gingembre médicinal, sa jeune tortue molle bouillie à petit feu, sa soupe de haricots mungo servie dans une pastèque vide, ses ailerons de requin aux œufs de crabe, son poulet à l’angélique et aux baies de goji ou encore sa soupe de tortue aphrodisiaque.

33À la faveur de cette effervescence publicitaire, le restaurant acquit rapidement une excellente réputation et les clients se précipitèrent à sa porte.

34Au début, le Gourmet était persuadé qu’il serait tôt ou tard convié par ce fameux restaurateur. Or, maintenant que la chose semblait hautement improbable, il ne tenait plus en place. Gastronome émérite ayant mangé dans toute la ville de Lou, l’idée de ne pouvoir savourer des plats si délicieux lui était à présent insupportable ! D’un autre côté, il brûlait d’envie de se rendre sur place pour pouvoir constater, goûter et juger si cette réputation était exagérée, ou justifiée. Pourtant, il se sentait réellement gêné de s’y rendre de sa propre initiative ; finalement, quelqu’un qui avait compris la situation l’invita à aller manger ces plats.

  • 35 L’Herbier pour la diététique (Shiliao bencao 食療本草) est un ouvrage compilé par Meng Shen 孟詵 (621-713 (...)
  • 36 L’Herbier des habitudes alimentaires (Shixing bencao 食性本草) est un ouvrage en dix volumes, compilé e (...)
  • 37 L’Herbier des régimes alimentaires (Shiwu bencao 食物本草) est une série d’ouvrages publiés sous les Mi (...)

35Avant cela, le Gourmet parcourut tout spécialement L’Herbier pour la diététique35 écrit par Meng Shen de la dynastie des Tang, L’Herbier des habitudes alimentaires36 écrit par Chen Shiliang des Tang du Sud, ou encore L’Herbier des régimes alimentaires37 écrit par Wang Ying des Ming, afin de ne pas se couvrir de ridicule le moment venu.

36On peut dire ce que l’on veut, mais le Gourmet était une authentique fine bouche, doté depuis toujours d’un palais des plus délicats. Et pourtant, lorsqu’il dégusta la gélatine de vessies natatoires aux crevettes, la gélinotte des bois croustillante, l’agneau cuit à la vapeur de saule, les concombres de mer disposés en papillon, les champignons « tête de singe » en saumure ou encore la soupe au nid d’hirondelle au gingembre, il ne prononça pas le moindre mot. Puis il se leva de son siège et cria soudainement : « Appelez-moi le patron ! »

37Son convive sursauta brusquement, craignant que le Gourmet ne tînt des propos indécents. « Mon cher maître, se hâta-t-il de dire, vous avez trop bu aujourd’hui. Partons, allons-y ! »

38Il était bien loin d’imaginer que celui-ci s’obstinerait à rester, avec la ferme intention de rencontrer Wang Yimai.

39« Toutes mes excuses ! Je vous ai manqué d’égards », s’empressa de dire le restaurateur lorsqu’il se rendit compte de qui il s’agissait.

40« Pas de langue de bois ! », rétorqua-t-il sans ambages et sans s’encombrer de manières. « Apportez-moi un pinceau et de l’encre ! »

41Une fois ces objets en main, le Gourmet se concentra un instant, leva le pinceau et écrivit : « Un bon cuisinier est comme un bon médecin. Voilà assurément un grand maître de la cuisine médicinale. » Laissant cette dédicace derrière lui, il reposa le pinceau et s’en alla sans même tourner la tête. »

Cet arbre, ce jardin

  • 38 Le ganoderme luisant (Ganoderma lucidum) est un champignon dont la couleur oscille entre le jaune e (...)

42Un titre du journal local : « Un énorme ganoderme luisant38 découvert dans le bourg de Vieux Temple. »

  • 39 Zhou Agou 周阿狗 est un membre de la famille Zhou 周, souvent citée dans les nouvelles de Ling Dingnian (...)

43Les grandes lignes de l’article en question : « Zhou le Cabot39, un villageois de Pailou, dans le bourg de Vieux Temple, a cueilli un énorme ganoderme luisant dans le jardin de bambous de sa propriété. D’après les spécialistes, ce champignon a largement plus d’une centaine d’années. La découverte d’un ganoderme luisant d’une telle taille dans la région du Jiangnan est une chose vraiment rare… »

44La télévision locale diffusa ensuite des images du simple et honnête Zhou le Cabot. Tenant à deux mains cet énorme ganoderme luisant, il expliquait aux téléspectateurs comment il l’avait découvert.

  • 40 Il est difficile de déterminer si cette herboristerie existe ou a vraiment existé sous ce nom. Si d (...)

45Comme le dit le proverbe, tant qu’on n’a pas vu, on ne sait pas, mais dès qu’on voit, on sursaute ! Oh là là ! Ce champignon géant avait la taille d’une bassine pour se laver le visage, avec des reflets rouge violacé, tel un objet sculpté dans du bois de palissandre. Le vieil apothicaire de l’herboristerie Yantianling40 de la ville de Lou, désormais à la retraite, déclara n’avoir jamais vu de ganoderme luisant aussi grand de toute sa carrière.

46Quelle bonne chose, la télévision ! Elle avait mis une image sur tous les termes journalistiques qui avaient été employés sans précision aucune dans le quotidien de la ville. Ainsi donc, c’est sur un santal poussant au bord de la rivière du jardin de bambous que Zhou le Cabot avait découvert ce champignon. Impossible de connaître l’âge de cet arbre — combien de centaines d’années ? De toute évidence, il avait été frappé par la foudre au cours de son histoire : une moitié était morte, surplombant la surface de l’eau, tandis que l’autre était immergée. Mais grâce à sa vitalité tenace, ce santal supportait encore quelques branches vert tendre sur son tronc décharné. Peut-être était-ce précisément parce qu’il se trouvait entre la vie et la mort, à la fois desséché et bourgeonnant, cassant et souple, que cet arbre constituait le plus extraordinaire des berceaux pour les ganodermes luisants.

  • 41 On retrouve cette affirmation concernant la famille Zhou dans d’autres micronouvelles de Ling Dingn (...)

47D’après les anciens, la famille Zhou était établie ici depuis fort longtemps et comptait plusieurs générations d’illustres ancêtres41 !

48Une première légende à ce sujet :

  • 42 Les pailou 牌樓, ou paifang 牌坊, sont des structures architecturales que l’on retrouve fréquemment en (...)

49La famille Zhou rendit un grand service à l’empereur, et d’après les dires, cela a justement un lien avec les ganodermes luisants. À cette époque, le souverain se retrouva mystérieusement empoisonné. La centaine de remèdes qu’il prit restèrent tous sans effet, laissant le médecin impérial impuissant face à la situation. C’est alors qu’un ancêtre des Zhou offrit un ganoderme luisant centenaire qu’il avait cueilli dans le jardin de bambous familial. Après l’avoir consommé, l’empereur recouvra rapidement la santé. Au comble de la joie, ce dernier conféra des titres de noblesse à cet ancêtre et ordonna par décret impérial que lui fût édifié un portique d’honneur42. Durant un certain temps, les membres de la famille Zhou, y compris les plus éloignés, furent comblés des grâces impériales les plus grandioses.

50Une deuxième légende :

  • 43 Le Royaume céleste de la Grande Paix (Taiping Tianguo 太平天國) fut fondé par Hong Xiuquan 洪秀全 (1814-18 (...)

51Durant rébellion du Royaume céleste de la Grande Paix43, la famille Zhou, fidèle à l’empereur, mit sur pied une milice locale en vue d’une résistance désespérée. Finalement, on retrouva le jardin de bambous jonché de corps sans vie, leur sang rouge répandu sur la terre noire. À la suite de ces événements, une atmosphère morbide finit par imprégner ce lieu les jours de pluie, tant et si bien qu’aucun villageois n’osa plus s’y aventurer. Puis le terrain devint progressivement une zone interdite. Ce jardin de bambous naquit ainsi de lui-même, et, depuis plus d’un siècle, pratiquement personne n’est venu troubler sa tranquillité.

52Une troisième légende :

53On dit que la nouvelle de la découverte d’un énorme ganoderme luisant dans le bourg de Vieux Temple fut rapportée dans pas moins d’une centaine de journaux à travers le pays. Dans la foulée, plusieurs grosses fortunes ambitionnèrent de l’acquérir en déboursant une très importante somme d’argent.

54Voici la rumeur la plus vraisemblable à ce sujet : un nouveau riche de Shenzhen se rendit personnellement dans le bourg de Vieux Temple avec une mallette sécurisée bourrée de billets de cent yuans. Il se préparait à donner l’argent d’une main, et à prendre la marchandise de l’autre. Jamais il n’aurait pu imaginer qu’un patron taïwanais, arrivé avant lui, était déjà engagé dans une négociation avec Zhou le Cabot. En concurrence sur le prix, c’est le Taïwanais qui remporta finalement la mise, de par sa plus grande fortune, repartant avec le précieux champignon pour la somme de deux cent mille yuans.

55Une quatrième légende :

56Ce même nouveau riche de Shenzhen, qui n’avait pas remporté la transaction, fit passer le message suivant : « Quiconque réussira à trouver un autre énorme ganoderme luisant recevra la mallette de billets de cent yuans que j’avais apportée. »

57Le lendemain de la diffusion de ce message à la télévision locale, deux ou trois villageois audacieux, équipés de lampes de poche, de sérums contre le venin de serpent et de faucilles, pénétrèrent avec beaucoup de courage dans le jardin des Zhou, en faisant très attention où ils mettaient les pieds, dans le but de trouver un ganoderme luisant…

58Le surlendemain, un groupe d’une vingtaine de paysans du bourg de Vieux Temple s’enfonça dans le jardin afin d’y trouver le trésor, suscitant l’effervescence de nombreux villageois de Pailou…

59Par la suite, une foule chaque jour plus nombreuse déferlait dans le jardin. Certains étaient du coin, d’autres venaient d’ailleurs, quelques-uns encore se pressaient pour tenter leur chance. Beaucoup se refusaient à abandonner avant d’avoir trouvé un ganoderme luisant. Quelques-uns passaient simplement pour observer cette scène peu banale, tandis que d’autres s’amusaient de voir l’agitation ambiante.

60Ceux qui s’aventuraient dans ce lieu allaient et venaient, ratissant l’ensemble du jardin, tels des peignes, encore et encore. Les jeunes pousses de bambou qui commençaient tout juste à pointer hors du sol furent complètement écrasées, tandis que le vieux santal, tombé dans l’oubli pendant plusieurs centaines d’années, se retrouva escaladé et examiné un nombre incalculable de fois. Puis quelqu’un arracha son écorce, expliquant qu’il allait l’emporter chez lui pour voir si elle produirait des ganodermes luisants. Dès lors, il fut impossible de contenir cet emballement, et le santal se retrouva intégralement pelé jusqu’aux racines, avant de disparaître complètement. Quel désespoir pour ceux qui arrivèrent ensuite ! Ils déversèrent alors leur terrible colère sur les innocentes jeunes pousses de bambou. Quelqu’un d’autre, de façon encore plus extrême, lâcha tout un chapelet d’injures : « Si je n’arrive pas à trouver de ganoderme luisant, ne comptez surtout pas en trouver vous non plus ! » Et en peu de temps, tous les arbres de ce fameux jardin, grands ou petits, de même que les pousses de bambou, jeunes ou plus vieilles, vécurent des moments difficiles…

61Zhou le Cabot se rendit en toute discrétion dans les studios de la télévision. Dans un premier temps, il demanda que l’énorme ganoderme luisant fût donné à l’État et que cette nouvelle ne fût pas rapportée. Dans un deuxième temps, il pria avec insistance la chaîne de diffuser l’information selon laquelle ce champignon était un faux…

62Sentant qu’ils avaient le devoir d’aider Zhou le Cabot, des journalistes d’investigation se rendirent une nouvelle fois dans ce jardin pour prendre des photos du terrain mis à sac. Le cœur affligé, le présentateur annonça : « D’après les spécialistes, aucun ganoderme luisant ne pourra plus pousser dans le jardin de bambous de la famille Zhou pour les cent prochaines années. Quel dommage, quel dommage ! »

63Et le jardin de bambous de la famille Zhou retrouva finalement sa tranquillité.

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Document annexe

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Notes

1 Le nom complet de cette ville est en réalité Loucheng 婁城 (ville — cheng 城 — de « Lou » 婁), mais par commodité pour les lecteurs francophones, nous avons choisi de le rendre systématiquement par « ville de Lou », plus simple à prononcer, dans toutes nos traductions des textes de Ling Dingnian. Il s’agit de l’un des surnoms (bieming 別名) de la ville de Taicang 太倉, située dans la province du Jiangsu. Dotée du rang de ville-district (xianjishi 縣級市), elle est placée sous la juridiction de la ville-préfecture (dijishi 地級市) de Suzhou.

2 Tous ces différents épisodes sont réellement abordés dans les micronouvelles de Ling Dingnian. À ce sujet, voir par exemple : François-Karl Gschwend, « La première souche sur Terre », Brèves, vol. 117, 2021, pp. 115-121 ; « La mort plutôt que le déshonneur », ibid., pp. 57-61 ; « La Bande du mont Yan », ibid., pp. 63-67.

3 Il existe plusieurs appellations en chinois pour désigner ce genre littéraire, mais la plus fréquemment rencontrée est « weixing xiaoshuo » 微型小說, que nous avons l’habitude d’employer dans nos travaux. On trouve également l’expression « xiao xiaoshuo » 小小說, employée aussi bien par Ling Dingnian que par Xie Zhiqiang 謝志強 (1954-), autre auteur important de micronouvelles. À propos de cette seconde appellation, voir par exemple : Xie Zhiqiang 謝志強, Xiangshou cuowu 享受錯誤 (Savourer ses fautes). Pékin : Guangming ribao, 2010, p. 197.

4 Pour plus de détails concernant cet épisode de la vie l’auteur, voir par exemple : Ling Dingnian 凌鼎年, Jin maque huojiang zuojia wencong · Ling Dingnian juan : Na pian zhulin, na ke shu 金麻雀獲獎作家文叢 · 凌鼎年卷:那片竹林那棵樹 (Collection des lauréats du prix du Moineau d’or · Ling Dingnian : Cet arbre, ce jardin). Pékin : Shijie tushu, 2013, p. 256.

5 Ling Dingnian emploie des mots très forts à ce sujet, allant jusqu’à dire qu’il a « porté sur le dos la croix des relations avec l’étranger » (背負著“海外關係”的十字架). Voir sur ce point l’entretien en ligne que l’auteur a accordé en avril 2018 au site Sina.com (Xinlangwang 新浪網). URL : https://k.sina.cn/article_1455724041_56c49609001005yzd.html. Consulté le 06/07/2023.

6 Voir Ling, Jin maque huojiang zuojia wencong…, op. cit., p. 257.

7 Propos tenus par Shi Zhanjun 施戰軍 (1966-), critique littéraire et rédacteur en chef de la revue Renmin wenxue 人民文學 (People’s Literature). À ce sujet, voir Jin Shiming 金世明, « Ling Dingnian he zhe ge chengshi » 凌鼎年和這個城市 (Ling Dingnian et cette ville), Taicang ribao 太倉日報 (Le Quotidien de Taicang), 17/09/2021, p. 8.

8 Jin Yong 金庸 (1924-2018), nom de plume de Zha Liangyong 查良鏞, aussi connu sous le nom de Louis Cha, est un célèbre auteur chinois de romans d’arts martiaux (wuxia xiaoshuo 武俠小説).

9 Propos tenus par Pan Yatun 潘亞暾 (1931-), vice-président de l’Association mondiale de littérature chinoise (Shijie huawen wenxue xuehui 世界華文文學學會). Voir Jin, Op. cit., p. 8.

10 Ainsi, bon nombre d’intrigues ont pour toile de fond la ville de Lou, aussi bien de nos jours qu’à différentes périodes plus anciennes. De plus, ces intrigues sont souvent situées dans des zones plus restreintes de cette ville, telles que le bourg de Vieux Temple (Gumiao-zhen 古廟鎮), et parfois même dans le village de Pailou (Pailou-cun 牌樓村). Passionné d’histoire, Ling Dingnian se plaît à présenter et mettre en valeur la culture locale (Loudong wenhua 婁東文化, comme le disent affectueusement les locaux) dans ses récits.

11 Pour le texte complet, voir François-Karl Gschwend, « Le thé parfumé au lotus », Impressions d’Extrême-Orient [En ligne], n° 14, 2022. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ideo/2595. Il n’est pas possible ici de relever toutes les caractéristiques du texte en question évoquées dans le présent article, mais il constitue sans doute l’un des exemples les plus représentatifs du style de Ling Dingnian.

12 Pour plus de détails concernant les poèmes cités, voir Ibid., notes 11, 12 et 13.

13 Pour plus de détails concernant les codes des micronouvelles, voir Grâce Honghua Poizat, « Micronouvelles en langue chinoise », Brèves, op. cit., pp. 4-7.

14 Dans un pays où la liberté d’expression est particulièrement contrôlée, il est parfois plus efficace de faire passer des messages de façon indirecte et subtile, la plupart des lecteurs identifiant parfaitement le sujet critiqué en filigrane. Par exemple, le sujet des enfants uniques est évoqué de façon humoristique dans « Les joies de l’indépendance » (Rang erzi duli yihui 讓兒子獨立一回), à travers l’histoire d’un fils unique, par trop couvé durant son enfance, se révélant totalement incapable de se débrouiller seul dans sa nouvelle vie d’étudiant. La critique ne porte pas tant sur l’attitude des parents qui les a finalement conduits à avoir un fils paresseux, que sur les effets pervers de la politique de l’enfant unique. Les couples, contraints par cette réglementation à n’avoir qu’un seul enfant, finissent invariablement par surprotéger celui-ci, engendrant des « petits empereurs » habitués à voir tous leurs désirs exaucés. Pour la micronouvelle en question, voir François-Karl Gschwend, « Les joies de l’indépendance », Brèves, op. cit., pp. 79-82.

15 Sur ce nombre, voir Poizat, Op. cit., p. 4.

16 Pour un aperçu complet de l’étude du phénomène des micronouvelles en langue chinoise, voir Watanabe Haruo 渡邊晴夫, Chōtanpen shōsetsu joron : Chūgoku no bikei shōsetsu to Nihon no shōhen, shōto shōto 超短編小説序論:中国の美型小説と日本の掌編、ショートショート (Introduction aux romans très courts : les micronouvelles chinoises et les « mini-nouvelles » japonaises). Tōkyō : Hakuteisha 白帝社, 2000, 216 p.

17 Watanabe, « Nitchū bikei shōsetsu hikaku kenkyū no kaishi – kenkyū wo furikaette » 日中微型小説比較研究の開始—研究をふり返って (Les débuts des études comparatives des micronouvelles chinoises et japonaises – retour sur les études). Renbu 蓮霧, vol. 9, 2016, p. 4.

18 Voir François-Karl Gschwend, « Chūgokugo no shōto shōto no daihyōteki sakka – Ryō Teinen » 中国語のショートショートの代表的作家—凌鼎年 (Ling Dingnian, un représentant des micronouvelles en langue chinoise), The Gakushuin Journal of International Studies, numéro spécial, 2023, pp. 17-29.

19 Ling Dingnian suggère que les auteurs ne devraient se préoccuper d’abord et avant tout que de la beauté de leurs textes et laisser les critiques établir eux-mêmes une limite s’ils le souhaitent, mais que, si lui-même devait donner un chiffre, il fixerait la longueur d’une micronouvelle autour de 1500 caractères. Voir Ling, Jin maque huojiang zuojia wencong…, op. cit., p. 247.

20 Cette micronouvelle, achevée le 31 août 2003, fut publiée pour la première fois en 2004, dans le n° 3 du bimensuel Weixing xiaoshuo 微型小說 (Micronouvelles). La version retenue ici est celle qui figure dans Ling, Jin maque huojiang zuojia wencong…, op. cit., pp. 27-29.

21 L’une des caractéristiques de Ling Dingnian est l’utilisation récurrente de listes de termes extrêmement spécialisés, pouvant rappeler, en Occident, les célèbres listes de Rabelais. Nous pourrions citer un grand nombre d’exemples, mais limitons-nous ici au texte « Le fou de chrysanthèmes » (Juchi 菊痴). Il y est dressé une liste d’une dizaine d’espèces différentes de chrysanthèmes, parmi lesquelles les « concubines impériales à la sortie du bain » ou les « rideaux de perles de cent pieds ». Concernant ce dernier texte, voir François-Karl Gschwend, « Le fou de chrysanthèmes », Brèves, op. cit., pp. 85-89.

22 Pour plus de détails concernant ces trois personnages historiques, voir respectivement les notes 29, 30 et 35 ci-dessous. Pour le Compendium de materia medica, voir la note 30 ci-dessous.

23 La région du Jiangnan 江南, littéralement « au sud du fleuve Bleu », couvre les provinces du Jiangsu et du Zhejiang, ainsi que certaines parties de l’Anhui et de la municipalité de Shanghai. Souvent considérée comme l’une des régions les plus développées et les plus riches de Chine, elle comprend un grand nombre de villes historiquement importantes, dont Hangzhou, Nankin, Suzhou et Wuxi. Rappelons que Ling Dingnian est précisément originaire de cette région.

24 Cette micronouvelle, achevée le 4 novembre 1995, fut publiée pour la première fois la même année dans le n° 6 du bimestriel Dangdai xiaoshuo 當代小說 (Les romans contemporains). Pour la version retenue ici, voir Ling, Jin maque huojiang zuojia wencong…, op. cit., pp. 130-132. Le titre signifie littéralement « Cette forêt de bambou, cet arbre ». Cependant, nous avons choisi de le traduire par « Cet arbre, ce jardin », pour des raisons rythmiques et euphoniques, avec l’idée de rester aussi proche que possible de la brièveté du titre chinois.

25 Voir note 4 ci-dessus.

26 Dans le présent article, nous retenons, pour « rhapsodie », l’acception suivante, tirée du Trésor de la langue française informatisé (TFLi) : « Œuvre instrumentale ou orchestrale de forme libre, composée de thèmes juxtaposés, d'inspiration populaire ou régionale. » Si dans notre cas le terme de rhapsodie ne se rapporte évidemment pas à une œuvre instrumentale ou orchestrale, notre intention réside surtout dans le fait de souligner que le texte en question en reprend cependant tous les codes, à savoir une forme relativement libre, les différents passages étant introduits par des sous-titres puisque n’ayant pas de liens logiques entre eux, le tout fortement teinté d’éléments populaires en lien avec la région natale de l’auteur.

27 Ling, Jin maque huojiang zuojia wencong…, op.cit., p. 130.

28 Nous proposons ici la version française d’un proverbe chinois très similaire employé par Ling Dingnian dans le texte originel : Jiu xiang bu pa xiangzi shen 酒香不怕巷子深, littéralement « Le vin parfumé ne craint pas les ruelles profondes ».

29 Li Shizhen 李時珍 (1518-1593) est un médecin, pharmacologue et herboriste chinois de la dynastie Ming 明 (1368-1644). Il est principalement connu pour son ouvrage, le Compendium de materia medica (Bencao gangmu 本草綱目), un traité de botanique et de pharmacopée compilé entre 1552 et 1578, qui fut ensuite publié pour la première fois en 1596. Ce dernier, considéré comme l'une des encyclopédies les plus complètes et influentes de la pharmacopée chinoise, présente, en cinquante-deux volumes, plus de 1800 entrées décrivant les propriétés médicinales, les indications, les méthodes de préparation, les dosages et les effets de chaque substance référencée. Il s’agit d’un ouvrage majeur dans le domaine de la médecine chinoise ayant exercé une influence importante sur les pratiques médicales en Asie de l’Est. Selon Jacques Gernet (Le Monde chinois. Paris : Armand Colin, 1990, p. 388.), « on y trouve mentionné pour la première fois un procédé de variolisation dont le principe ne diffère pas de celui qui devait donner naissance en Occident à la science immunologique ». Voir également Jacques Pimpaneau, Chine : Culture et traditions. Arles : Éditions Philippe Picquier, 1990, p. 137.

30 Wang Shizhen 王世貞 (1526-1590) est un lettré, penseur et historien de la dynastie Ming, originaire de Taicang. Il est entre autres l’auteur de la préface du Compendium de materia medica,

31 Le satyre voilé (Phallus indusiatus), également connu sous le nom de dame voilée, est un champignon dont le chapeau conique blanc ressemble à un voile de résille et rappelle les alvéoles des morilles. Connu en Chine sous le nom de zhusun 竹蓀 ou changqun zhusun 長裙竹蓀, il pousse dans les bambouseraies chaudes et humides, et est utilisé dans la pharmacopée traditionnelle pour traiter de nombreuses maladies inflammatoires, gastriques et neurales. On lui prête également des propriétés aphrodisiaques.

32 Le pachyme (Wolfiporia extensa), aussi appelé Poria cocos, est un champignon ayant l’aspect d’une grosse truffe noire. Appelé fuling 茯苓 en Chine, il est fréquemment utilisé dans la pharmacopée traditionnelle pour ses effets diurétiques, anti-inflammatoires et antioxydants.

33 Voici un exemple typique des listes dont Ling Dingnian a le secret. Dans celle-ci, pas moins de dix-sept plats se retrouvent ainsi énumérés les uns à la suite des autres ! Ces listes présentent au moins deux avantages : premièrement, elles permettent d’intégrer un grand nombre d’informations sans recourir à des structures grammaticales complexes, ce qui est utile dans le cas de textes aussi courts que les micronouvelles ; deuxièmement, elles agrémentent le récit d’éléments concrets, parfois même alléchants, qui renforcent l’effet d’attractivité du texte sur le lecteur, en le renvoyant au monde référentiel avec des plats ou des ingrédients qui ne lui sont pas totalement inconnus, sinon familiers. Cela aide à ancrer encore plus le récit, partiellement fictif, dans la réalité.

34 Nous sommes ici en présence d’un autre type d’énumération ; en effet, il ne s’agit pas de noms, mais d’adjectifs, ce qui est, somme toute, plus rare chez Ling Dingnian. Il n’est pas possible de les analyser un par un, faute de place, et la traduction que nous en proposons pourrait être à juste titre sujette à débat — faut-il mettre l’accent sur le côté gastronomique, ou sur le côté thérapeutique ? Il reste néanmoins intéressant de noter que la plupart de ces adjectifs sont utilisés aussi bien dans le registre technique de la cuisine que dans celui de la médecine traditionnelle chinoise. Relevons par exemple bu jian bu hua 不堅不滑 (ni trop ferme, ni trop onctueux), qui, en médecine, renvoie à une consolidation par méthode thérapeutique pour le premier et à un « pouls glissant » (typique des femmes enceintes) pour le second, ou bien bu zao bu han 不燥不寒 (ni trop sec, ni trop froid), qui sont deux des « six débordements » ou « six excès » (liuyin 六淫) qui déclenchent des maladies.

35 L’Herbier pour la diététique (Shiliao bencao 食療本草) est un ouvrage compilé par Meng Shen 孟詵 (621-713) et publié après sa mort entre 721 et 739, durant la dynastie Tang 唐 (618-907). Il recense les plantes et remèdes qui peuvent également être utilisés en tant que nourriture. Ces derniers y sont classés en catégories, et leur nom est d’abord suivi de leur nature (chaud, tiède, froid ou glacé). Puis sont précisées leur efficacité, leurs contre-indications et leurs prescriptions. Bien que l’original ait été perdu depuis longtemps, on en retrouve certains fragments dans les textes de Dunhuang 敦煌, de même que dans L’Herbier tiré des livres classiques et classé selon les cas d’urgence (Jingshi zhenglei beiji bencao 經史證類備急本草) de Tang Shenwei 唐慎微 (1056 ? – 1136 ?).

36 L’Herbier des habitudes alimentaires (Shixing bencao 食性本草) est un ouvrage en dix volumes, compilé entre 937 et 957 par Chen Shiliang 陳仕良 (?- ?), médecin ayant exercé durant la dynastie des Tang du Sud (937-975). Il recense une liste de médicaments à propos desquels il donne son avis, de même qu’une série de prescriptions les concernant.

37 L’Herbier des régimes alimentaires (Shiwu bencao 食物本草) est une série d’ouvrages publiés sous les Ming, consacrés à l’alimentation et à la médecine, dont une partie a été compilée en 1571, avant le Compendium de materia medica, et l’autre après. Plus de trois cents types de médicaments sont recensés dans la première partie, divisée en plusieurs volumes : Wang Ying 汪穎 (?- ?) est l’auteur de sept d’entre eux, à côté desquels on retrouve également quatre volumes compilés par Lu He 盧和 (?- ?) et deux volumes compilés par Xue Ji 薛己 (1487-1558).

38 Le ganoderme luisant (Ganoderma lucidum) est un champignon dont la couleur oscille entre le jaune et le brun-rouge. Poussant principalement sur les feuillus, son chapeau peut atteindre une vingtaine de centimètres de diamètre. Appelé lingzhi 靈芝 en Chine et à Taïwan, et reishi 霊芝 au Japon, il est utilisé depuis longtemps dans la médecine traditionnelle chinoise, aussi bien séché que réduit en poudre. Considéré comme un remède naturel pour renforcer le système immunitaire, il est également censé réduire les inflammations, réguler la pression artérielle et assurer une longue vie. Ling Dingnian mentionne ce champignon dans d’autres textes — preuve s’il en fallait de son importance dans la vie locale — parmi lesquels « L’élixir de longévité » (Changsheng bulao yao 長生不老藥), dans lequel il explique : « Le "ganoderme" ne meurt pas en mille ans, et ne pourrit pas en dix mille ans (千年不死,萬年不腐的“太歲”). Concernant ce dernier texte, voir François-Karl Gschwend, « L’élixir de longévité », Brèves, op. cit., 2021, pp. 103-107.

39 Zhou Agou 周阿狗 est un membre de la famille Zhou 周, souvent citée dans les nouvelles de Ling Dingnian. Son surnom se compose de a 阿, un préfixe utilisé dans les appellations de personnes, et de gou 狗 (chien). Nous avons ainsi choisi de traduire ce surnom par « le Cabot ». Le fait que Ling Dingnian fasse régulièrement appel aux mêmes familles dans ses différentes micronouvelles participe à la création de son univers littéraire tout en conférant à ses récits un plus grand ancrage dans la réalité, et par conséquent une plus grande crédibilité.

40 Il est difficile de déterminer si cette herboristerie existe ou a vraiment existé sous ce nom. Si dans cette micronouvelle l’auteur nous présente l’herboristerie Yantianling 延天齡 (« Au prolongement des années de vie ») comme une petite structure artisanale basée dans la ville de Lou, elle semble être désormais une chaîne de pharmacies basée dans le Jiangsu, se faisant appeler Jiangsu Yantianling yiyao liansuo youxian gongsi 江蘇延天齡醫藥有限公司.

41 On retrouve cette affirmation concernant la famille Zhou dans d’autres micronouvelles de Ling Dingnian, parmi lesquelles « Le thé parfumé au lotus » (He xiang cha 荷香茶). À ce sujet, voir François-Karl Gschwend, « Le thé parfumé au lotus », art. cit.

42 Les pailou 牌樓, ou paifang 牌坊, sont des structures architecturales que l’on retrouve fréquemment en Chine, mais aussi dans d’autres pays tels que Taïwan, au Viêt-Nam ou en Corée. Ils marquent généralement l’entrée d’un lieu particulier, tel qu’une ville, un quartier, un temple ou un jardin, en matérialisant ainsi une frontière entre deux espaces. Souvent construits en bois ou en pierre, ils sont formés de colonnes surmontées d’une toiture aux lignes courbes, et sont très richement décorés.

43 Le Royaume céleste de la Grande Paix (Taiping Tianguo 太平天國) fut fondé par Hong Xiuquan 洪秀全 (1814-1864), qui s’était autoproclamé frère de Jésus-Christ. Ayant existé entre 1851 et 1864, il avait pour capitale Nankin. L’un de ses objectifs était de renverser le gouvernement des Qing 清 (1644-1911). Il s’agit certainement de la guerre civile ayant fait le plus de victimes dans l’Histoire, les Taiping ayant bien failli sonner le glas des Qing. Pour plus de détails, voir Jacques Gernet, Le Monde chinois, op. cit., pp. 474-480.

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Pour citer cet article

Référence électronique

François-Karl Gschwend, « Du quotidien animé de la ville de Lou »Impressions d’Extrême-Orient [En ligne], 16 | 2024, mis en ligne le 30 juin 2024, consulté le 22 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ideo/3849 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11z88

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Auteur

François-Karl Gschwend

François-Karl Gschwend est assistant doctorant en études chinoises à l’université de Genève. Diplômé en 2014 d’un master en études est-asiatiques avec spécialisation en philologie et traduction (japonais et chinois), il a passé au total deux ans en Chine, et six ans au Japon. Il consacre actuellement une partie de son temps à la traduction des micronouvelles de Ling Dingnian 凌鼎年 et de Xie Zhiqiang 謝志強.

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