Celso Rocha de Barros, PT, uma história
Celso Rocha de Barros, PT, uma história
São Paulo, Companhia das Letras, 2022, 485 pages
Texte intégral
1Le retour au pouvoir du Parti des travailleurs (PT), en janvier 2022 lors de l’élection présidentielle, a pu apparaître pour beaucoup d’observateurs de la politique brésilienne comme un phénomène inédit de renaissance d’une organisation en déclin. C’est aussi l’occasion de reprendre ou de découvrir la production de la science politique brésilienne sur l’objet unique que représente le parti de masse le plus important et le plus vieux de l’histoire du Brésil. En ce sens, l’ouvrage du sociologue Celso Rocha de Barros propose une histoire du PT qui renouvelle le champ en l’enrichissant considérablement.
2Divisé en 16 chapitres qui couvrent une période allant des prodromes de la formation du parti, dans la fin des années 1970, jusqu’aux années du gouvernement de M. Jair Bolsonaro (2018-2022), l’ouvrage adopte une narration thématisée et chronologique qui échappe aux pesanteurs de la simple chronique sans tomber dans celles d’un texte trop érudit. D’une lecture facile, il n’en reste pas moins une contribution scientifique exigeante comprenant un appareil de notes et une bibliographie conséquente et actualisée. Par ailleurs, l’ouvrage a bénéficié d’une grande quantité d’entretiens que l’auteur a réalisés avec les personnages centraux de l’histoire de cet objet politique insolite. Il s’agit donc d’un travail original et assez complet qui sera précieux pour les lectrices et lecteurs brésilianistes.
3Le livre s’ouvre in medias res avec le récit de la vie de Rosalina Santa Cruz, tout juste sortie de prison en 1974 après avoir été arrêtée pour sa participation à un mouvement de guérilla urbaine contre la dictature militaire. Rosalina se tourne alors vers l’association des femmes d’une paroisse populaire, où elle fait du tricot et participe à la politisation de la communauté locale. À partir d’exemples similaires, Celso Rocha de Barros retrace l’effervescence qui travaille la société civile brésilienne de la seconde moitié des années 1970 : la formation du Movimento Negro Unificado (Mouvement noir unifié) en 1978, l’essor des mouvements féministes et homosexuel, l’impact des grèves menées par le nouveau syndicalisme ou encore l’action sociale d’une partie du clergé et des paroisses catholiques influencés par la théologie de la libération. Par ailleurs, l’éclipse des mouvements de lutte armée fournit à ces diverses formes d’engagement une génération de jeunes militant·e·s dispersé·e·s en une myriade d’organisations politiques marquées par le marxisme.
4Loin de se limiter à une liste d’événements fondateurs, l’ouvrage propose une lecture faisant la part belle aux conflits politiques et aux espoirs parfois contradictoires qui se sont concentrés sur l’objet nouveau que représente le PT à sa naissance, en février 1980. Du fait même de sa composition hétérogène, le parti se structure en tendances dont les luttes internes sont des moments épiques où théorie et pragmatisme sont invoqués, à la faveur des analyses de conjoncture et des rendez-vous électoraux difficiles de la décennie 1980. Le nouvel arrivant doit, en effet, inventer une forme politique nouvelle qui soit le fruit du dialogue de ses composantes, mais aussi une innovation vis-à-vis de ses prédécesseurs, le vieux parti varguiste (le Parti travailliste brésilien, parti de Getúlio Vargas et João Goulart), mais aussi le Parti Socialiste Brésilien, important dans les années 1950. Le dernier venu doit également trouver ses marques face à des forces concurrentes à gauche, comme la nouvelle mouture travailliste menée par Leonel Brizola (le Parti démocratique du travail) et – bien entendu – le « Partidão » [« le grand parti »], le PC. Enfin, à partir de 1988, le PT voit s’affirmer le Parti de la sociale démocratie brésilienne (PSDB) dont la figure montante est Fernando Henrique Cardoso, vainqueur de Lula aux élections présidentielles de 1994 et 1998.
5L’abordage de Celso Rocha de Barros prend ses distances avec toute téléologie en faisant valoir ce qu’il appelle les différents « PT possibles » portés par les multiples courants du parti et évoluant au gré des événements politiques nationaux : la campagne pour l’élection du président de la République au suffrage universel direct (les manifestations monstres de 1985 pour les « Diretas já » [élections au suffrage direct immédiatement]), la campagne présidentielle de 1989 où Lula est présent au second tour, la cassation du président Fernando Collor de Mello en 1992, les élections de 1994, 1998 et enfin l’accession à la présidence de Lula en 2002. La focale de l’auteur porte également sur les expériences de gestion municipale, comme à Porto Alegre ou Diadema, et surtout São Paulo entre 1988 et 1992, et sur la massification du PT au travers d’un compagnonnage constant avec les mouvements sociaux.
6L’ouvrage permet ainsi d’accompagner les évolutions du PT en fonction des enjeux de plusieurs échelles : municipale, régionale, nationale et internationale. L’effondrement du bloc soviétique et la perte de radicalité des principaux partis sociaux-démocrates dans le monde au long des années 1990 sont donc pris en compte dans l’analyse du recentrage de la ligne politique du parti jusqu’à l’élection de 2002. Selon Celso Rocha de Barros, le PT doit être interprété comme une partie du mouvement global de formation des partis ouvriers, à l’image des grands partis sociaux-démocrates européens. Il souffrirait cependant d’un retard de près d’un siècle sur ses homologues occidentaux, ainsi que d’un contexte de démocratisation récente au développement encore incertain du fait du caractère périphérique du capitalisme brésilien. Une telle lecture est suggestive et a l’avantage d’éviter l’écueil de l’exceptionnalisme en ouvrant à la comparaison avec d’autres formations politiques similaire dans le monde. Elle prête cependant le flan à une perspective linéaire assez rigide consistant à classer les formations apparues hors du « centre » européen en termes de « retard » vis-à-vis d’un modèle idéal-typique, reprenant ainsi une matrice fondée sur un idéal de « modernisation » de la périphérie.
7L’accession au pouvoir en 2002 marque une rupture pour le PT. Pris entre une tradition critique, qu’il a contribué à développer depuis sa création, et le refus d’abandonner l’orthodoxie budgétaire, le gouvernement Lula se caractérise dès 2003 par la combinaison d’une politique monétaire et budgétaire conservatrice avec une politique de redistribution très large et inédite dans l’histoire brésilienne. L’ouvrage offre un panorama assez complet des gouvernements Lula I (2002-2006), Lula II (2006-2010), Dilma I (2010-2014) et Dilma II (2014-2016). On y trouve les principales réformes conduites sous les présidences du PT (loi des quotas, programmes de réduction de la faim et de la pauvreté, programmes d’accès au logement, grands projets industriels), mais aussi les principaux scandales de corruption (Mensalão en 2005, les accusations découlant de l’opération Lava-Jato [lavage à haute pression] à partir de 2014) et les limites de la politique de redistribution dans un contexte de croissance faible dans la décennie 2010.
8On peut regretter l’inégalité de la qualité de l’ouvrage. Si les chapitres couvrant la période initiale jusqu’à l’accession au pouvoir de M. Luiz Inácio Lula da Silva, en 2003, sont exaltants, les développements portant sur les mandats présidentiels tiennent beaucoup plus de la chronique que de l’analyse. Le PT semble disparaître au profit du récit de l’action du gouvernement, se confondant ainsi avec la politique générale du pays. On entre alors dans une litanie de faits dont la problématisation est beaucoup moins claire et nettement plus fastidieuse à la lecture.
- 1 Notamment par rapport à l’ouvrage de l’historien Lincoln Secco : Secco Lincoln, História do PT: (...)
- 2 Voir les travaux d’André Singer : Singer André, Os sentidos do lulismo: Reforma gradual e pacto c (...)
9L’ouvrage n’en est pas moins indispensable par son actualité et son apport à l’historiographie du PT1 et aux travaux des politistes2.
Notes
1 Notamment par rapport à l’ouvrage de l’historien Lincoln Secco : Secco Lincoln, História do PT: 1978-2010, Cotia, Ateliê Editorial, 2011.
2 Voir les travaux d’André Singer : Singer André, Os sentidos do lulismo: Reforma gradual e pacto conservador, São Paulo, Companhia das Letras, 2012.
Haut de pagePour citer cet article
Référence électronique
Jean Ganesh Faria Leblanc, « Celso Rocha de Barros, PT, uma história », IdeAs [En ligne], 24 | 2024, mis en ligne le 01 octobre 2024, consulté le 15 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ideas/18448 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12hsq
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