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Résumé

La conceptualisation de l’Océan comme ressource et comme surface navigable, si elle est aussi ancienne que tenace, repose sur un rapport utilitaire entre les humains et humaines d’un côté et un espace, un territoire, de l’autre. Elle est contestable si l’on cherche à rendre compte d’une relation vivante – entendue comme symbiotique, avec l’Océan. Elle exclut de fait la possibilité de l’empathie vis-à-vis de celleux qui le peuplent : animaux, végétaux, minéraux, plastiques, écosystèmes divers. En allant à la recherche des conceptualisations qui sous-tendent les représentations de celleux qui peuplent l’Océan, l’enjeu est de déceler ce qui dans l’histoire des humains et humaines les a amené·es à invisibiliser des entités essentielles à la survie de la biosphère.

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Texte intégral

1Dans un contexte d’urgence écologique et en acceptant la nécessité de la représentation comme point d’accès au non-humain (Haraway, 1976, 2016 ; Latour, 1991 ; Coccia, 2020), l’identification des invariants représentationnels de celleux qui peuplent l’Océan apparaît comme un préalable indispensable à une entreprise de reconceptualisation nécessaire de l’Océan (Casati, 2022). Reconceptualiser l’Océan, c’est nécessairement en proposer de nouvelles représentations visuelles. La conceptualisation de l’Océan comme ressource et comme surface navigable (Steinberg, 2011), si elle est aussi ancienne que tenace, implique un rapport utilitaire entre les êtres humain·es d’un côté et un espace, un territoire, de l’autre (Ingersol, 2016). Réduire l’Océan à une ressource, c’est s’interdire de rendre compte des relations vivantes – symbiotiques – qui lient les habitant·es des Océans. C’est exclure de fait l’empathie vis-à-vis de celleux qui le peuplent : animaux, végétaux, minéraux, plastiques, écosystèmes divers. C’est à l’histoire de ces représentations extractivistes et des antidotes qui s’y sont opposés que ce texte se dédie.

2Il ne s’agit pas dans cette contribution de faire l’histoire de la représentation de l’Océan et de ses habitant·es, mais bien de dégager de manière transversale, dans l’art et les représentations populaires, certains motifs récurrents et de tirer les fils de leurs origines et de leurs conséquences en termes sémiotiques comme « bio-politique ». L’enjeu est de déceler ce qui a amené à invisibiliser des entités pourtant essentielles à la survie de la biosphère en postulant que cette invisibilisation est consubstantielle à l’absence d’empathie à leur égard.

3Les images, qu’elles soient artistiques, médiatiques ou populaires, sont traversées des concepts qui les structurent et qui se trouvent, en retour, structurés par elles. Elles sont de ce fait à la fois des guides dans l’identification des concepts et des biais qui régissent nos savoirs et, sans doute aujourd’hui plus que jamais, des supports de diffusion essentiels pour les nombreuses propositions conceptuelles qui émergent pour repenser l’Océan.

4Le sens commun, comme la plupart des géographes, distingue les mers des océans. Les premières sont considérées comme des étendues d’eau salée, accessibles et fermées sur elles-mêmes. Les seconds seraient beaucoup plus étendus, délimitant des continents. Cette distinction est à l’origine de mécompréhensions tenaces autour de l’eau sur Terre qui ont nourri les politiques comme les rapports des humain·es à cet élément. L’océan « global », ou « mondial », qui est notre terrain, englobe, lui, toute l’étendue d’eau salée ininterrompue encerclant les continents et les archipels autour de la planète Terre. Il intègre conceptuellement l’intégralité du cycle de l’eau sur Terre, sous ces trois états et dans sa circularité.

5En traversant l’histoire occidentale de la représentation de l’Océan, il s’agit de mettre en lumière les systèmes de pensées qui sous-tendent les images individuelles et de déceler ce qui, dans certaines tentatives, est de nature à servir d’intercesseur vers de nouvelles façons de les appréhender.

Hors du temps et de l’espace, le royaume des sirènes

  • 1 Les premières représentations connues de l’univers marin sont des pétroglyphes datant de 5 000 à 10 (...)

6Des premières traces de l’Océan1 dans les peintures rupestres du Mésolithique aux dessins datant du Moyen Âge, la représentation de la vie sous-marine, telle qu’elle nous est parvenue, est relativement pauvre et principalement symbolique. Ne sont initialement représentés que les navires et les humain·es qu’ils transportent. Lorsque l’eau apparaît, c’est sous la forme de lignes ondulées parallèles, symboles plus qu’icônes d’une étendue qui semble sans profondeur. Jusqu’à la fin du Moyen Âge, la représentation de la vie sous-marine est peu présente alors même que les poissons font l’objet d’un commerce prospère et d’une étude ichtyologique déjà avancée, comme en témoigne L’histoire des animaux d’Aristote (-343 av. J.-C.). Si la pêche et la vente de poissons sont des pratiques courantes rapportées dans de nombreux récits, les individus représentés sur les peintures, gravures et mosaïques sont principalement des créatures mythiques.

7Dès le ve siècle av. J.-C., des sirènes sont abondamment peintes ou dessinées sur les objets. Elles sont considérées comme les habitantes des profondeurs et répondent à la conceptualisation de l’Océan comme un lieu étranger à l’homme, sans limite et hors du temps. On retrouve ces représentations jusqu’au Moyen Âge dans les nombreux bestiaires illustrés d’histoire naturelle dans lesquels elles apparaissent avec un buste et une tête de femme tenant un instrument de musique et attirant les marins vers les abysses. Dans la Cosmographie universelle de Sebastian Munster (1544), les planches qui traitent de l’Océan illustrent, selon une perspective hiérarchique, une vision du monde marin à la fois magique et effrayante. Certains individus portent cornes et collerettes, attestant de leur filiation diabolique. Iels sont représenté·es plus grand·es que les humain·es, elleux-mêmes plus grand·es que les arbres, en fonction d’une conception symbolique plaçant les humains et humaines en dessous des divinités mais dominant la nature. Les motifs de la sirène et du monstre marin sont courants et correspondent alors aux craintes laissées sans réponse par la science. L’intégralité de l’Océan mondial n’a pas encore été cartographiée et la mer paraît un horizon sans fin.

  • 2 On retrouve notamment de nombreuses représentations de sirènes dans les gravures religieuses shinto (...)
  • 3 Michel Cazenave, dans son Encyclopédie des symboles (1996), indique que la sirène représente égalem (...)

8La figure de la sirène est présente au Moyen Âge dans de nombreuses croyances2, qu’elle ait une dimension folklorique comme pour les peintres musulmans (Clément, 2010) ou qu’elle fasse l’objet d’un culte comme dans la religion shintoïste au Japon. La religion chrétienne symbolise quant à elle la mer comme un lieu de passage entre la vie et la mort. Les monstres et sirènes sont dans l’imaginaire chrétien les symboles des péripéties de la navigation mais aussi de l’expérience humaine3. On retrouve issue de cette conceptualisation symbolique l’idée encore fertile que l’Océan est le lieu de l’extrême ailleurs. De la science-fiction aux recherches de la NASA sur la possibilité de coloniser la masse océanique, l’océan fascine, comme un espace inaccessible, profondément étranger et hostile aux humain·es. Malgré les progrès techniques et technologiques, et si l’on est aujourd’hui capables de descendre à plus de 10 000 mètres de profondeur, il reste impossible aux humain·es de survivre durablement sous l’eau. Du reste, les voyages extraplanétaires ont emporté plus d’humain·es dans l’espace que les sous-marins n’en ont conduit dans les grandes profondeurs. Jules Michelet introduit dans un livre retraçant l’histoire de la relation de l’homme à la mer par ces mots :

L’eau, pour tout être terrestre, est l’élément non respirable, l’élément de l’asphyxie. Barrière fatale, éternelle, qui sépare irrémédiablement les deux mondes. Ne nous étonnons pas si l’énorme masse d’eau qu’on appelle la mer, inconnue et ténébreuse dans sa profonde épaisseur, apparut toujours redoutable à l’imagination humaine. (Michelet, 1983, p. 63)

  • 4 Voir par exemple : la série télévisée d’animation Bob l’éponge (United Plankton Pictures & Nickelod (...)

9L’imagination humaine continue de peupler l’Océan de créatures effrayantes et redoutables, aussi dangereuses pour l’homme que la pieuvre géante de Victor Hugo, dessinée à l’encre par l’auteur de Travailleurs de la mer en marge du chapitre « Le monstre » (Hugo, 1866). La peur viscérale que provoquent certains animaux marins persiste, parfois en dépit de leur caractère inoffensif pour nous. Le terrible Alien de Ridley Scott emprunte ainsi sa morphologie à un amphipode des abysses, Phronima sedentaria, qui, s’iel est un·e carnivore qui parasite la carapace des salpes après s’en être nourrie, ne mesure pourtant que quelques centimètres. Sa stratégie de survie, que Ridley Scott a rendue célèbrement terrifiante, est la même que celle du bernard-l’ermite (ou pagure) qui, pour ne pas appartenir au monde sans lumière des profondeurs, est considéré comme un animal amusant et sympathique, comme en témoigne sa présence dans plusieurs dessins animés4.

10La conceptualisation de l’Océan comme ailleurs radical est à l’origine d’une distanciation cognitive très puissante qui n’a que peu faibli depuis les premiers rapports des humain·es à cet espace. Des récits alternatifs existent pourtant. Les recherches de Lynn Margulis (1985, 1998) sur l’endosymbiose, reprises par Stefan Helmreich (2009) et Donna Haraway (2016b) sont à l’origine de récits dans lesquels les individus animaux, végétaux et microbiens sont les acteurs d’une histoire de la vie, liant leur destin à celui, économique, politique et philosophique de l’humanité. Échappant encore largement à la représentation visuelle en dehors des laboratoires, les bactéries et autres microplanctons sont ce monde « alien » (Helmreich, 2009), radicalement étranger et pourtant intimement lié aux humains et humaines. L’enjeu d’une représentation visuelle, artistique, poétique, laissant place à l’expérience, même médiatisée, est immense. Il s’agit de figurer des interactions, mais aussi des ontologies, remettant radicalement en cause le récit humano-centré que l’on se fait du monde, récit qui fait aujourd’hui obstacle au rapprochement cognitif nécessaire à une empathie englobant l’ensemble du vivant.

Les fonds marins à l’épreuve du paysage

11La surface de l’eau, la navigation et les bords de mer ont été érigés en genre pictural à part entière : la (peinture) marine. En revanche, les fonds marins sont très largement sous-représentés dans les arts visuels. Dans la peinture occidentale, depuis les premières représentations picturales jusqu’au milieu du xxe siècle, la représentation de la mer par les peintres s’articule autour de trois conceptualisations : l’Océan comme voie de transit, comme territoire et comme ressource.

12Initialement considéré comme un espace de transit, voie marchande entre les terres émergées, l’Océan n’a longtemps été représenté que surmonté de navires. En tant que route commerciale, il est avant tout une surface que l’homme traverse, même si cela ne se fait pas sans péril comme le dépeignent les innombrables tableaux figurant des batailles navales ou des naufrages. À l’exception des êtres symboliques dépeints jusqu’à la fin de Moyen Âge, les populations marines sont très largement absentes de la représentation.

13La conceptualisation de la mer comme territoire, qui s’élabore à partir du xviie siècle avec la notion de frontière, va accompagner l’essor du paysage. Le terme « territoire » va alors permettre « de qualifier le passage des limites aux frontières, c’est-à-dire d’un espace donné à un territoire dominé » (Drisch, 2015, p. 129) et d’instituer l’autorité politique et économique des États. La représentation de la mer par les peintres suit la même élaboration. D’une vision surplombante héritée de la tradition chrétienne qui montre la mer comme vue du ciel, on passe progressivement à une perspective humaine. Le point de vue s’abaisse à la proue des bateaux puis à hauteur d’humain, depuis le port, le bord de mer. Au xixe siècle, Gustave Courbet peint la mer depuis la côte, pour elle-même et dans toutes ses variations perceptibles. Elle est alors un territoire soumis aux êtres humains, qui n’existe qu’à travers ce qu’iels peuvent en observer, depuis le rivage et son point de vue distant.

Figure 1

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Illustration réalisée par A. Neuville et E. Riou en 1870 pour une édition de Vingt mille lieues sous les mers écrite par Jules Verne, parue en 1871 chez J. Hetzel (Paris).

Source : Gallica, BnF.

14C’est lorsque le développement technologique, financé par les espérances économiques des États, rend possible l’exploration et la cartographie sous-marine que l’on voit apparaître les premières représentations du monde adoptant un point de vue sous-marin. La mer n’échappe pas à l’essor du paysage et les fonds marins sont illustrés selon les mêmes principes picturaux que les paysages terrestres. Les illustrations d’Alphonse de Neuville et Édouard Riou (fig. 1) accompagnant le roman Vingt mille lieues sous les mers de Jules Verne (1870) représentent une vallée sous-marine dans laquelle marchent trois plongeurs en scaphandres, faisant fi des contraintes physiques de l’environnement sous-marin, entourés de méduses qui semblent elles aussi soumises à une gravité toute terrestre, leurs tentacules tombant verticalement vers le bas. Dans The Valley in The Sea (fig. 2), souvent considérée comme la première peinture des fonds marins, Edward Moran, connu pour ses tableaux de l’histoire marine des États-Unis et de l’Ouest américain, applique les codes de la peinture de paysage. On y voit au premier plan une vallée recouverte d’organismes animaux et végétaux, éponges, anémones, coraux, difficilement identifiables, qui semblent directement éclairés par les rayons d’un soleil couchant. À l’arrière-plan, l’immensité bleue est comme divinement éclairée par ce qui ressemble à une aura autour des reliefs. On distingue des poissons nageant au loin. Les effets de lumière et de perspective évoquent une nature grandiose et sublime qui rappelle le style de la Hudson River School qui s’attachait à transcrire picturalement quelque chose de la philosophie du sublime d’Edmund Burke. Moran, principalement connu pour ses paysages désertiques, indiqua avoir été inspiré par l’événement qu’a représenté en 1858 la pose du premier câble télégraphique sous-marin. Comme pour ses représentations de Yellowstone ou du Colorado, il s’inscrit dans le courant du luminisme, faisant fi de l’expérience réelle de l’observation sous-marine. La cartographie des fonds marins entreprise au xixe siècle fait concorder les intérêts scientifiques et économiques. Si elle suscite le fantasme de certains, elle a principalement un aspect commercial. On mesure les données gravimétriques du plancher océanique afin de cartographier les emplacements des gisements de matières fossiles. La mer devient un territoire à conquérir, fantasmé et craint, mais aussi une promesse de révolution industrielle. Dans ces paysages, la présence des animaux est anecdotique et la mise en avant de la nature se fait au détriment de la représentation de la vie.

Figure 2

Figure 2

Peinture de E. Moran réalisée en 1863 et intitulée The Valley In the Sea.

Source : Indianapolis Museum of Art Collection.

15À la même période, quelques rares explorateurs se passionnent pour la vie sous-marine qu’ils découvrent grâce à l’apparition de dispositifs spécifiques à l’immersion. Eugène Van Ranconnet-Villez et Zarh Pritchard font tous deux l’expérience de la plongée et se font construire des équipements pour pouvoir peindre sur motif, sous l’eau. Leurs œuvres font exception mais préfigurent ce que pourrait être un point de vue aquatique. Au milieu du xixe siècle, Eugène Van Ranconnet-Villez, diplomate et peintre, n’accède qu’à des zones peu profondes, protégées par une cloche de verre à taille humaine, et dessine ce qu’il peut observer au bord des côtes. Au début du xxe siècle, Zarh Pritchard, muni d’un scaphandre et d’une combinaison de plongée, passe des heures sous l’eau et s’attache à reproduire ce qu’il voit. Ces œuvres offrent les premières représentations fidèles de l’expérience sous-marine. La vie sous l’eau n’a rien à voir avec la vie sur terre, et la vision sous-marine est très différente de celle expérimentée en dehors. Les couleurs intenses et variées des organismes observés dans les aquariums tendent, à partir d’une certaine profondeur, vers une gamme de bleus. En descendant sous le niveau de la mer, l’absorption sélective des longueurs d’onde induit l’impossibilité de percevoir très rapidement le rouge, puis le jaune. Le vert et le bleu persistent, jusqu’à environ 90 mètres, puis la lumière disparaît, laissant place à l’obscurité. Les œuvres de Zarh Pritchard transcrivent picturalement cette expérience sous-marine. Les couleurs se font ternes, comme délavées, le bleu et le gris dominent. Derrière un premier plan relativement lisible, où l’on voit apparaître poissons et reliefs rocheux, l’environnement se brouille jusqu’à se fondre dans un lavis trouble. Les perspectives sont obscurcies par l’impossibilité de la lumière à pénétrer en profondeur dans l’eau. Les silhouettes sont incertaines, comme l’est la vue de l’explorateur dont le corps est soumis au mouvement du courant. Les œuvres de Pritchard comme celles de Van Ranconnet-Villez ont connu un relatif succès d’estime, principalement dans les milieux scientifiques où elles ont été reconnues comme des représentations réalistes de la vie sous-marine, représentations qui aujourd’hui encore et malgré l’apparition de médiums tels que la photographie ou la vidéo, ne sont que trop peu présentes dans l’art, les médias et l’imaginaire collectif.

Les espèces emblématiques au détriment des autres

16La photographie et la vidéo ont aujourd’hui largement pris en charge les représentations de la vie sous-marine. En cherchant à résoudre les limites de l’observation aquatique (par ailleurs rendue possible par les dispositifs de plongée individuels ou motorisés) comme la faible pénétration de la lumière dans l’eau et la disparition progressive d’une partie du spectre des couleurs, la photographie a importé sous l’eau ses techniques d’éclairage. Le flash, les lampes LED et les filtres de couleurs (aujourd’hui appliqués en postproduction) sont largement utilisés dans les photographies sous-marines. Ces techniques induisent des images où le premier plan est comme détaché de l’environnement, captant une telle intensité lumineuse que l’arrière-plan est laissé dans l’obscurité. L’arrière-plan est inexistant : masse bleue ou noire où rien ne se passe. Lorsque c’est le fond marin qui est photographié, comme c’est le cas pour les photographies de coraux, il l’est au détriment de l’étendue d’eau qui l’entoure. On peut s’interroger sur les conceptualisations qui sous-tendent les solutions techniques adoptées pour répondre aux inévitables contraintes physiques. La recherche de représentation de certaines espèces a sans doute conditionné le développement de certains dispositifs techniques plus que d’autres.

17Les photographies primées ces huit dernières années par le prix Underwater Photograph of the Year5 donnent une bonne idée des centres d’intérêt de la photographie sous-marine professionnelle. Les sujets représentés ainsi que la façon de les représenter procurent un aperçu de l’intérêt sélectif des photographes mais aussi de celleux à qui ces photographies sont destinées à travers les médias de presse grand public ou spécialisés.

  • 6 L’appellation ne recouvre pas celle d’espèces « protégées », qui donne un cadre juridique à la prés (...)

18Un peu plus de six images primées sur dix ont pour sujet un requin, une tortue, une baleine, une raie de grande taille ou un mammifère (marin ou terrestre, puisque près de 20 % des images récompensées représentent un·e être humain·e). Ces espèces, aussi appelées « espèces phares » (Frazier, 2005) ou « espèces emblématiques » bénéficient d’une représentation positive de la part du grand public et sont mises en avant par les associations afin de faciliter les mobilisations en faveur de leur milieu6. Cette stratégie, à l’origine au croisement du marketing et du militantisme, a conduit à une surreprésentation médiatique et artistique de certains individus et de certaines espèces au détriment des autres. Elle est sous-tendue par une tradition néo-darwinienne évolutionniste qui place les mammifères en haut de l’échelle évolutive, là où la phylogénétique cladistique a, depuis plusieurs décennies, démontré que les poissons, végétaux, planctons, bactéries et microbes ne sont pas moins évolués. La mise en avant d’espèces étendards joue sur l’empathie provoquée par la description de leur habitat, décrit à partir des normes occidentales anthropocentrées de la maison comme foyer et du récit de leurs modes de vies autour des étapes iconiques de la constitution de la famille hétérosexuelle (accouplement, naissance, aide à la progéniture).

19En 2022, la totalité des quatre photographies récompensées par ce même prix au titre de « photographies de l’année » représentait un mammifère. Dans la catégorie « Manières de vivre » récompensant les photographies ayant pour sujet les interactions entre les individus, les mammifères représentent encore plus de la moitié des espèces. Si ces individus sont mis en avant dans les récits des associations de protection de l’environnement, dans les programmes de recherche et les représentations visuelles, c’est que leur prétendue proximité physiologique les rend plus à même d’être identifiés comme des « semblables » que le reste des êtres non humains marins. Les légendes accompagnant les photographies primées insistent, quitte à tendre vers la fiction, sur cette proximité fantasmée.

Le bébé baleine nageait curieusement, tandis que la mère baleine se tenait fièrement et doucement à côté de son enfant. J’ai photographié leurs queues pour capturer l’image saisissante de la mère et de l’enfant.

Avoir mon long objectif macro était un avantage car je pouvais m’éloigner suffisamment du récif pour éclairer leur maison afin que nous puissions tous voir leurs petits visages un peu perplexes. Meilleurs copains à coup sûr7 !

  • 8 Giuseppe Recco peint au xviie siècle de nombreuses natures mortes dont une remarquable, Nature mort (...)

20Les caractéristiques mises en avant dans les images et dans les récits sont le plus souvent le fruit d’un anthropomorphisme médiatique qui ne s’appuie pas sur des données biologiques ou des observations comportementales. Leur prétendue proximité avec l’être humain·e les protège partiellement du statut de ressource qui incombe à la grande majorité des poissons qui sont eux souvent représentés morts et gisants dans les filets ou sur les étals8.

21Le traitement médiatique de certains animaux emblématiques comme le phoque You ayant grandi parmi les surfeurs de la côte atlantique ou le dauphin Zafar retrouvé mort sur les côtes hollandaises, deux cas analysés par le socioanthropologue Fabien Clouette (2022), tend vers le portrait comme mise en récit biographique et représentation visuelle. Ces récits de vie tronqués s’appuient sur des poncifs non vérifiés et donnent une vision simpliste et erronée de ces animaux : on met en avant leur capacité à endosser l’étoffe du héros – figure individuelle et patriarcale – au détriment d’une vision plus large, englobant le milieu, l’arrière-plan, et les relations interespèces (Gumbs, 2020).

22Lorsque les poissons apparaissent, ils sont le plus souvent à contre-jour, en banc entier. S’ils sont représentés seuls, c’est qu’ils possèdent des couleurs très vives. Ils sont alors nommés poissons clowns, poissons chirurgiens ou encore poissons perroquets et font l’objet d’une fascination aquariophile. Ceux-ci sont photographiés soit la tête vers l’objectif, à la manière d’un portrait, soit en duo, dans des situations d’accouplement ou plus rarement d’affrontement. L’ensemble des photographies primées a été réalisé à l’aide de lumière additionnelle. La lumière du flash ou du projecteur, en plus d’isoler un sujet au premier plan, est calibrée pour que les couleurs correspondent au spectre le plus large possible de la vision humaine. Habitués que nous sommes à voir les poissons tropicaux, coraux et anémones aux couleurs chatoyantes dans les aquariums, on est tenté, résurgence des sciences naturalistes, de les retranscrire tels quels en photographie. On a bien du mal à trouver une image où le bleu domine et vient contaminer animaux et végétaux. C’est pourtant ainsi que l’œil humain voit sous l’eau. La disparition d’une partie du spectre de la lumière étant une réalité dépendante du milieu, c’est également ainsi que les espèces aquatiques possédant une vision oculaire perçoivent les couleurs, lorsqu’elles les perçoivent. La dominante du vert et du bleu n’est donc pas une contrainte qu’il s’agirait de dépasser mais bien une réalité phénoménologique qu’il convient de retranscrire. Les formations à la photographie sous-marine, relayées par des sites internet spécialisés, font pourtant de l’utilisation des filtres de couleurs et de la retouche de chromie une étape indispensable à la réalisation d’une « bonne » photographie sous-marine, c’est-à-dire d’une photographie dont les couleurs correspondent à une vision aérienne. Il serait néanmoins tout à fait envisageable de concevoir une photographie qui, dans la continuité des dessins de Ranconnet-Villez et des peintures de Pritchard, viendrait donner à voir un monde sous-marin réaliste non anthropocentré. Les technologies d’éclairage et de capture numérique existent pour rendre visible la diversité des populations océaniques, les interactions entre les espèces ou les relations symbiotiques à l’échelle des individus comme des milieux.

Conclusion

23Notre vision de l’Océan, l’idée que l’on s’en fait, est étroitement liée aux images qui circulent pour le représenter ; les deux s’alimentent mutuellement et sont sous-tendues par des conceptualisations qui se sont construites au fil de l’histoire humaine et qui, si elles ont évolué, semblent aujourd’hui incapables de représenter les récits et les images que l’enjeu écologique appelle et que certaines politiques cherchent à déployer. L’invisibilisation des habitant·es de l’Océan, portée par la difficulté de représenter ce que l’on tue et mange et masquée par la surmédiatisation d’une poignée d’espèces emblématiques, rend quasi impossible le sentiment d’empathie à l’égard de la plupart des espèces marines, ou confine cette empathie dans les limites étroites de l’individualisme et de l’hétéronormativité du foyer et de la reproduction. Il s’avère pourtant que la collaboration avec ces espèces fait déjà partie de notre quotidien. Les cycles du carbone, de l’azote, de l’oxygène, du phosphore et du soufre lient intimement nos vies aux leurs. Nos déchets sont leur nourriture, et leurs déchets sont ce qui assure nos conditions de survie atmosphérique. Ce n’est pas qu’ils nous sont utiles ou qu’ils nous aident, mais bien que nous sommes interdépendant·es, elleux et nous, si tant est que la distinction soit encore valable, les interpénétrations, à l’échelle de nos corps, étant multiples. Nos microbiotes intestinaux sont en fait des symbiotes et le séquençage ADN est en train de montrer que plusieurs des espèces bactériennes avec lesquelles nous cohabitons sont les descendantes de celles présentes dans l’Océan.

  • 9 Le travail de Christian Sardet sur les planctons a été exposé à la biennale sociale et environnemen (...)

24Les représentations visuelles de l’Océan sont à la fois l’expression et le moteur des conceptualisations à l’œuvre. Une fois celles-ci analysées, il s’agit bien sûr d’en tirer les conséquences et d’amorcer un nécessaire travail de reconceptualisation. En s’inspirant de la théorie de la négociation conceptuelle (Casati, 2011), l’enjeu actuel serait de créer et de tester de nouvelles images pour représenter les individus marins. Si celles-ci naissent dans les sphères académiques ou artistiques, qu’elles n’y soient pas cantonnées et aient pour vocation à être vues par le plus grand nombre. Les récentes propositions curatoriales autour du vivant ont laissé entrevoir un intérêt pour le monde des planctons9 qui participe à rendre visibles des individus autrefois impensés. Il reste à mettre en cohérence les savoirs biologiques et écologiques, les récits conceptuels et les techniques mises en œuvre à leur représentation afin de ne pas reproduire, à une autre échelle, la starification d’individus au détriment du caractère symbiotique, ontologiquement trouble, de la vie. Il s’agit de ne pas craindre l’échec des mécanismes d’identification que l’on comprend nécessaires à l’empathie, mais de donner leur chance à des liens plus discrets, renonçant à l’illusoire dualisme nature/culture.

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Notes

1 Les premières représentations connues de l’univers marin sont des pétroglyphes datant de 5 000 à 10 000 av. J.-C., représentant des bateaux autour de la mer Caspienne. Il faut attendre l’Antiquité grecque et -500 av. J.-C. pour voir apparaître l’eau en tant que telle.

2 On retrouve notamment de nombreuses représentations de sirènes dans les gravures religieuses shintoïstes et bouddhistes, dans le vaudou haïtien, ainsi que dans les peintures musulmanes médiévales.

3 Michel Cazenave, dans son Encyclopédie des symboles (1996), indique que la sirène représente également un symbole alchimique qui évoque l’union du soufre naissant et du mercure commun (le poisson et la vierge), soit le travail du grand œuvre lui-même.

4 Voir par exemple : la série télévisée d’animation Bob l’éponge (United Plankton Pictures & Nickelodeon Productions & Rough Draft Studios, épisode 11, saison 8, 2011-2012) ; le personnage de Sébastien dans le film d’animation La Petite Sirène (Walt Disney Pictures, 1989) ; le court-métrage d’animation Piper (Pixar Animation Studios & Walt Disney Pictures, 2016).

5 Le prix Underwater Photograph of the Year (UPY) est reconnu par la profession comme le prix le plus important en photographie sous-marine, par le nombre de candidatures et sa très grande exposition médiatique. Il récompense chaque année depuis 1965 les meilleures photographies sous-marines dans environ dix catégories. Très populaire parmi la profession et les amateurs et amatrices, il nous semble être à ce jour le meilleur indicateur de l’évolution de la pratique et de ses caractéristiques récurrentes. Les remarques sont le résultat d’une analyse quantitative des signes sémiologiques des images primées entre 2014 et 2021, isolant notamment les sujets représentés (en nombre et en espèce), le cadrage, l’utilisation du flash, de filtres photographiques et le traitement numérique.

6 L’appellation ne recouvre pas celle d’espèces « protégées », qui donne un cadre juridique à la préservation de certains individus en raison de leur disparition possible et programmée.

7 Citations extraite du catalogue UPY 2022.

8 Giuseppe Recco peint au xviie siècle de nombreuses natures mortes dont une remarquable, Nature morte aux poissons, crustacés, huîtres et coraux, où il représente un fond marin avec ses reliefs comme cadre à son travail. Un véritable charnier gît au fond de l’eau où une grande diversité d’espèces sont entassées, comme à la criée. La juxtaposition du genre de la nature morte et du paysage, si elle est très imparfaite, montre bien la vision des individus marins comme simple nourriture, qu’il ne s’agit pas d’imaginer vivante.

9 Le travail de Christian Sardet sur les planctons a été exposé à la biennale sociale et environnementale de la photographie Photoclimat, au Grand Hôtel-Dieu à Lyon et à la fondation Cartier à Paris. Christian Sardet est à l’origine du site Chroniques du Plancton, et l’auteur avec son fils Noé Sardet de portraits de planctons.

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Table des illustrations

Titre Figure 1
Légende Illustration réalisée par A. Neuville et E. Riou en 1870 pour une édition de Vingt mille lieues sous les mers écrite par Jules Verne, parue en 1871 chez J. Hetzel (Paris).
Crédits Source : Gallica, BnF.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hybrid/docannexe/image/3879/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 997k
Titre Figure 2
Légende Peinture de E. Moran réalisée en 1863 et intitulée The Valley In the Sea.
Crédits Source : Indianapolis Museum of Art Collection.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hybrid/docannexe/image/3879/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 131k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Alice Cuvelier, « Quelles représentations pour l’Océan ? »Hybrid [En ligne], 11 | 2024, mis en ligne le 15 avril 2024, consulté le 16 mai 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hybrid/3879 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/hybrid.3879

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Auteur

Alice Cuvelier

Alice Cuvelier est doctorante en arts au sein de l’Institut ACTE (Arts, sciences, sociétés) de l’université Paris 1 et du laboratoire LLCP (Logiques contemporaines de la philosophie) de l’université Paris 8. Diplômée des Arts déco de Paris en photographie et de l’EHESS (CRAL), elle enseigne des pratiques de sémiologie de l’art à l’université Paris 1 et coordonne des ateliers de pratiques photographiques dans plusieurs structures médico-sociales. Elle est actuellement artiste en résidence à l’Observatoire de Villefranche-sur-Mer où elle travaille sur une approche visuelle de la reconceptualisation de l’Océan à travers notamment la représentation des individus planctoniques. Elle fait partie du collectif de rédaction de la revue Multitudes.

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Droits d’auteur

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