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Recensions

Philippe DILLMANN, Pascal LIÉVAUX, Aline MAGNIEN, Martine REGERT (dir.), Notre-Dame, la science à l’œuvre

Paris, Le Cherche midi, Ministère de la Culture, 184 p., 2022
Pierre Rouillard
Référence(s) :

Philippe DILLMANN, Pascal LIEVAUX, Aline MAGNIEN et Martine REGERT (dir.), Notre Dame de Paris, La science à l’œuvre, CNRS, Le Cherche midi, Ministère de la Culture, Paris, 2022

Texte intégral

115 avril 2019, incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris. L’émotion est immense, et en regard s’exprime la foi dans les travaux actuellement menés. L’objectif ambitieux, présenté dans un livre savant, de lecture toujours agréable et magnifiquement illustré « Notre-Dame de Paris, la science à l’œuvre », est de « transformer une catastrophe patrimoniale en opportunité scientifique » (p. 7). De fait, la cathédrale Notre-Dame est aujourd’hui le plus vaste et le plus ambitieux chantier de fouilles archéologique et de restauration.

2L’ouvrage préfacé par Patrick Boucheron, coordonné par Philippe Dillmann, Pascal Liévaux, Aline Magnien et Martine Regert, compte trois grands chapitres, « La cathédrale en feu : du choc à la mobilisation », « La cathédrale révélée : la science en action », « La cathédrale restaurée : vers une mémoire renouvelée » ; il est heureusement complété d’un lexique du vocabulaire d’architecture et des termes scientifiques ainsi que de la liste des neuf groupes de travail du « Chantier scientifique Notre-Dame de Paris » réunissant 200 scientifiques ; de plus, au fil des chapitres, sont présentés les métiers mobilisés et leurs modalités de formation. Oui, il convient de penser au futur ces expériences et leurs acquis.

3Restauration et étude des vestiges effondrés et enfouis -devenus autant de vestiges archéologiques- mobilisent une cinquantaine de laboratoires du ministère de la Culture, du Centre nationale de la recherche scientifique (CNRS), des universités et de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP). Le chantier de la cathédrale associe des chercheurs sur des aspects aussi divers que le plus infime morceau de bois, les effets du feu (et des infiltrations d’eau) sur la pierre, les vitraux, les peintures, la fonte du toit de plomb et des informaticiens notamment pour réaliser des doubles numériques. Dans tous les cas et à toutes les étapes les techniques les plus éprouvées sont mises en œuvre.

  • 1 « Faire parler les matériaux de Notre-Dame » par Léa Galanopoulo paru dans le journal du CNRS https (...)

4Le domaine le plus exploré actuellement, il est vrai par nécessité, relève de ce que l’on appelle « l’archéologie du bâti ». Notre-Dame, comme toutes les cathédrales est faite de pierre, de bois, de fer et de plomb1 pour la couverture. L’acquis des travaux actuels est essentiel et les analyses en cours livrent des données nouvelles sur chacun des matériaux, notamment sur le bois et le fer dont on découvre une place encore insoupçonnée au xiie siècle. Mais les acquis sur la construction concernent aussi la finesse des voutes (12/30 cm) quand celles des autres cathédrales gothiques présentent des épaisseurs de plus de 50 cm.

5Au-delà des datations des réalisations en bois grâce à la dendrochronologie, les enseignements que l’on peut désormais tirer sur la place du bois tiennent au volume des données : ce qu’on appelle la « forêt » de Notre-Dame est une œuvre composite qui peut être étudiée à partir des presque 10 000 fragments brulés mais conservés. Les principales avancées concernent la provenance des bois, les essences (le chêne, utilisé jeune, plus que le châtaigner), les techniques d’assemblage (avec un passage du système du mi-bois à celui des tenons-mortaises dès le xiie siècle). Au-delà de la reconnaissance du matériau mis en œuvre, « les bois carbonisés constituent une porte d’accès unique aux conditions climatiques et à l’identification de l’optimum climatique médiéval de l’an mille au xiiie siècle -une période climatique inhabituellement chaude- encore mal connue en raison de la rareté des bois de cette époque » (p. 75). Le couvert végétal de l’époque médiévale est désormais mieux connu grâce à « l’anatomie des cernes du bois et de leurs compositions chimiques, moléculaires et isotopiques » ; ceci permet d’obtenir des informations sur l’environnement et la physiologie des arbres » (p. 79). À ce jour, deux hypothèses sont avancées : des bois venant des forêts de l’évêché de Paris ou des bois transportés par voie fluviale. Pour parvenir à une localisation précise, il faudra compter sur l’étude des largeurs des cernes et sur la composition en éléments majeurs, les témoins du pH du sol.

6Archéologues et archéomètres2 se retrouvent aussi pour aborder les questions d’approvisionnement, de datation, des procédés de fabrication et des usages des métaux. Le dossier de l’usage du fer est sans doute aujourd’hui le plus nouveau, notamment en révélant un usage systématique du métal tout au long de sa construction. Dans les décombres ont été trouvées des centaines d’agrafes, longues de 20 à 98 cm, pesant jusqu’à 4 kg, destinées à fixer entre eux des blocs de pierre à divers niveaux de l’édifice, ainsi dans la partie basse et tout en haut sur les murs bahuts, supports de la charpente. Ceci est déjà une donnée essentielle, mais sa datation était importante à préciser ; la mesure a été fournie par le laboratoire de mesure du carbone 14 du CNRS (LMC 143) de Saclay : les agrafes provenant des tribunes ne sont pas « postérieures à l’année 1160 » et sont donc contemporaines de la construction au début du chantier. Celles des hauts murs sont datées des années 1200/1220, période de la construction de la charpente en 1215. Bourges, Beauvais, Tours, Soissons ont eu recours aussi aux agrafes, mais deux générations plus tard. « C’est le plus vieil usage massif du métal dans un monument gothique » (Ph. Dillmann), et Notre-Dame est un « laboratoire d’innovation » (M. L’Héritier). La recherche avance aussi sur d’autres points, en particulier sur la provenance -multiple- du matériau.

  • 4 Dans une église, le jubé est une tribune formant une clôture de pierre ou de bois séparant le chœur (...)

7Parmi les nombreux dossiers présentés dans ce livre, l’archéologue souligne celui d’une découverte majeure. Entre chœur et nef une fouille préalable à la mise en place de l’échafaudage (de 600 tonnes) nécessaire à la reconstruction de la flèche, menée par l’INRAP (qui a aussi effectué une prospection géophysique de l’ensemble du site), a permis d’exhumer les restes du jubé4 construit vers 1230, démonté au début du xviiie siècle ; les fragments sculptés et polychromes de personnages et les éléments architecturaux ont alors été « inhumés » bien rangés. Les archéologues ont aussi découvert des sarcophages, notamment un, anthropomorphe, en plomb ; se met alors en place une série d’études des vestiges organiques, de l’ADN, de la stylistique, de la polychromie, de l’iconographie (p. 56).

  • 5 Pour suivre l’avancement de travaux, lire « La fabrique de Notre Dame, journal de la restauration » (...)

8Chacun des dossiers est un travail pluri et interdisciplinaire, associant historiens de l’art, archéologues et spécialistes de chaque matériau ; ce travail exemplaire devra, ou à tout le moins devrait, ne pas manquer de susciter l’analyse d’autres monuments de notre patrimoine, ce qui sera possible au regard de toutes les expériences et de tous les acquis accumulés par des équipes particulièrement formées. Une autre leçon, plus polémique, cette fois : les recherches avancent vite sans recours à des appels d’offre pour leur financement ; il est vrai aussi que le budget est ici « ouvert »5.

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Notes

1 « Faire parler les matériaux de Notre-Dame » par Léa Galanopoulo paru dans le journal du CNRS https://lejournal.cnrs.fr/articles/faire-parler-les-materiaux-de-notre-dame, 31octobre 2019.

2 L’ouvrage recensé ici présente les pistes de travail et les premiers acquis dans les domaines évoqués. Pour suivre les dernières étapes, la contribution essentielle est celle de Maxime L’Héritier, Aurélia Azéma, Delphine Syvilay, Emmanuelle Delqué-Kolic, Lucile Beck, Ivan Guillot, Mathilde Bernard, Philippe Dillmann, Notre-Dame de Paris: The first iron lady ? Archaeometallurgy study and dating of the parisian cathedral iron reinforcements”, https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0280945, 15 mars 2023 ; voir aussi Nathaniel Herzberg, « Notre -Dame de Paris, la pionnière des dames de fer », Le Monde, 15 mars 2023. Je tiens à remercier notre collègue du CNRS, Philippe Dillmann, qui coordonne les travaux de recherche menés au profit de la cathédrale, de me signaler les travaux les plus récents.

3 https://www.insu.cnrs.fr/fr/lmc14-laboratoire-de-mesure-du-14c

4 Dans une église, le jubé est une tribune formant une clôture de pierre ou de bois séparant le chœur liturgique de la nef.

5 Pour suivre l’avancement de travaux, lire « La fabrique de Notre Dame, journal de la restauration », édité par Connaissance des arts.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Pierre Rouillard, « Philippe DILLMANN, Pascal LIÉVAUX, Aline MAGNIEN, Martine REGERT (dir.), Notre-Dame, la science à l’œuvre »Histoire de la recherche contemporaine [En ligne], Tome XII n°2 | 2023, mis en ligne le 08 septembre 2023, consulté le 13 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hrc/9925 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/gtcs

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Auteur

Pierre Rouillard

Directeur de recherche émérite au CNRS, UMR 7041, ArScAn, Maison archéologie et ethnologie, René-Ginouvès, conseiller scientifique du Labex « Les passés dans le présent, histoire, patrimoine, mémoire »

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