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Comptes rendus

Rebecca Whiteley, Birth Figures. Early Modern Prints and the Pregnant Body

Laura Tatoueix
p. 209-212
Référence(s) :

Rebecca Whiteley, Birth Figures. Early Modern Prints and the Pregnant Body, Chicago/Londres, The University of Chicago Press, 2023, 312 pages

Texte intégral

1En 2018, Rebecca Whiteley a soutenu sa thèse de doctorat (University College of London) portant sur les images présentes dans les traités d’obstétrique publiés en Angleterre à l’époque moderne. De cette thèse est tiré l’ouvrage Birth Figures. Early Modern Prints and the Pregnant Body, publié en 2023. Dans ce travail, elle embrasse une chronologie large, de la première image d’accouchement (« birth figure ») présente dans un livre imprimé en anglais en 1540, à la publication d’un ouvrage majeur d’anatomie obstétricale, Anatomy of the Human Gravid Uterus, de William Hunter, paru pour la première fois en 1774.

2Cette période connaît en effet d’importants changements dans l’histoire de l’obstétrique et de sa littérature : les années 1540 marquent les débuts de la publication de manuels d’accouchement imprimés en langue vernaculaire en Angleterre, tandis que la première édition de l’ouvrage de Hunter témoigne de la consécration de la littérature obstétricale, objet nouveau de la culture savante élitiste londonienne. Alors que l’histoire de l’obstétrique, de sa littérature, mais aussi de ses acteurs et actrices (les accoucheurs et les sages-femmes) est aujourd’hui bien connue, Whiteley propose une entrée nouvelle dans cette historiographie, par les images, qui ont peu suscité d’intérêt jusqu’à la seconde moitié du xviiisiècle mais dont l’histoire ne saurait se réduire à celle des livres qui les hébergent. Entre histoire des représentations, histoire des pratiques, mais aussi histoire des savoirs, l’autrice nous offre une nouvelle perspective sur l’histoire de l’accouchement en Angleterre à l’époque moderne. L’ouvrage est composé de trois parties qui suivent une progression chronologique.

3Dans une première partie, Whiteley s’intéresse aux premières images d’accouchement publiées dans un manuel écrit par Eucharius Rösslin et traduit en anglais en 1540. Elle analyse ensuite les diverses images produites dans la littérature obstétricale jusqu’en 1672 (date de la traduction en anglais d’un ouvrage majeur du chirurgien français François Mauriceau).

4Elle montre alors que ces images forment un corpus homogène durant cette période : il s’agit des mêmes séries, souvent anonymes, représentant les fœtus dans diverses positions, que l’on retrouve dans plusieurs textes. Ces images ne sont, pour autant, pas réalistes. Si quelques détails anatomiques apparaissent parfois au cours de la période en fonction des textes (présence du cordon ombilical ou des ovaires par exemple), elles représentent le plus souvent un fœtus aux proportions d’homme, proche du chérubin, dans un utérus à la forme d’une bonbonne de verre. Alors qu’à cette époque les planches anatomiques commencent à gagner en précision et en représentation des détails, les images d’accouchement ont été décriées comme relevant d’une forme d’ignorance qui expliquerait cette réalité déformée. Whiteley démontre qu’en réalité, les deux types d’iconographie n’avaient pas le même objectif et que le but des images d’accouchement était avant tout pratique, servant de repère aux sages-femmes. Par ailleurs, elle rappelle que ce ne sont pas des images qui décrivent une réalité figée, mais qu’elles agissent aussi comme des schémas intégrant le mouvement et montrant un corps en travail.

5Elle explore ensuite spécifiquement les usages et les significations multiples qu’elles pouvaient avoir aux xvie et xviie siècles. Si l’écrit n’était pas accessible à tous, les images pouvaient toucher un public plus large. L’autrice montre notamment qu’elles passaient de main en main dans les chambres d’accouchement et étaient parfois découpées de l’ouvrage afin d’en faciliter la circulation, comme en témoignent les nombreuses éditions amputées conservées aujourd’hui. Elle explore les différentes analogies qui accompagnent les images, à l’instar des théories qui animent les représentations du corps et de la médecine : l’utérus est tantôt perçu comme un microcosme, tantôt associé à l’espace domestique. Elle montre que ces images sont paradoxales, révélant des accouchements compliqués mais dans lesquels les fœtus sont sans cesse représentés dans une forme de sérénité. Selon elle, ces images, projections idéalisées d’un nouveau-né vivant, en bonne santé et de sexe masculin, eurent également un rôle durant les accouchements en tant que supports à des prières pendant le travail, d’autant plus dans une Angleterre réformée, privée d’images de dévotion.

6Dans une deuxième partie, Whiteley s’applique à étudier les changements importants apparus à partir des années 1670 dans la littérature obstétricale et les images d’accouchement. L’autrice analyse ces évolutions dans une période allant de 1672 à 1751 (date de publication d’un important manuel par John Burton). Comme l’a montré l’historiographie, c’est une période qui voit la montée en puissance de figures masculines, les accoucheurs (« male midwives »), qui vont prendre une part nouvelle dans les accouchements, notamment au sein des élites. Alors que les traités d’obstétrique étaient jusque-là écrits principalement par des chirurgiens ou des médecins n’ayant quasiment aucune expérience directe, émerge, à la suite de Mauriceau en France, la figure de l’accoucheur-auteur qui assoit son autorité à la fois par son savoir théorique et sa pratique. Des changements épistémologiques apparaissent : en plus de la théorie, ces auteurs placent au centre de leur discours leurs propres observations. Non plus copiées, les images sont soigneusement commandées à des dessinateurs et des graveurs qui sortent de l’anonymat. Whiteley montre que ces images sont moins homogènes à mesure qu’elles gagnent en détails, mais aussi en complexité : certaines nécessitent une lecture en trois dimensions, devenant de ce fait moins accessibles. Elle revient alors précisément sur l’identité nouvelle de ces accoucheurs-auteurs, et le rôle qu’y joue le toucher. En effet, c’est au cours de cette période que les mains apparaissent dans les images d’accouchement, témoignant de la place centrale de l’accoucheur ou de la sage-femme, qui devient un véritable acteur et non plus seulement une personne chargée d’accompagner la nature. Cette question renferme des enjeux de genre – jusqu’à présent, les sages-femmes étaient celles qui touchaient les parturientes – mais aussi de hiérarchies – les médecins, du côté de l’intellect, ne touchent quasiment pas leurs patients, par opposition aux chirurgiens et accoucheurs, en position subalterne. Les discours et les images de ces ouvrages déploient alors une stratégie de valorisation des mains et du toucher. Whiteley analyse finement la façon dont ces mains sont représentées : elles témoignent d’un statut social élevé, qui s’insèrent dans des situations parfois extrêmement compliquées, mais dont les gestes ne révèlent aucune violence. En conséquence, à partir des années 1720, on assiste à une redéfinition stricte des rôles genrés autour de l’accouchement. C’est aussi à ce moment-là qu’apparaissent des images d’instruments dans les ouvrages d’accouchement écrits par des hommes, témoignages d’une obstétrique de plus en plus dépassionnée, technique et masculine.

7Dans sa troisième et dernière partie, Whiteley se concentre sur les images anatomiques de l’ouvrage de Hunter, Anatomy of the Human Gravid Uterus, publié en 1774 et ayant suscité un très fort intérêt dans l’historiographie. Selon elle, cet intérêt a contribué à donner une vision homogène des représentations a posteriori, en surestimant l’impact réel qu’avaient pu avoir les travaux de Hunter lors de leur publication. Elle propose donc de remettre ces images en perspective en analysant celles produites dans deux autres ouvrages d’accouchement importants produits quelques années auparavant, celui de John Burton et celui de William Smellie. Elle analyse les différences majeures entre les images : alors que Smellie et Burton représentent toujours des corps en mouvement, des corps vivants, Hunter prend le parti de représenter des corps immobiles et morts. Elle projette ensuite ces images dans un contexte social qu’elle analyse finement. Elles ne sont pas produites pour les mêmes raisons : l’ouvrage de Hunter étant destiné à une élite médicale et savante, il devient un beau livre de collection, quand ceux de Smellie et de Burton conservent une visée avant tout pratique. Enfin, Whiteley montre qu’au milieu du xviiie siècle, les images d’accouchement continuent d’être hétérogènes parce qu’elles ont des usages multiples et s’adressent à un public varié, scellant des ruptures entre les différents publics et, au sein même des praticiens de santé, entre sages-femmes et accoucheurs d’élite.

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Pour citer cet article

Référence papier

Laura Tatoueix, « Rebecca Whiteley, Birth Figures. Early Modern Prints and the Pregnant Body »Histoire, médecine et santé, 26 | 2024, 209-212.

Référence électronique

Laura Tatoueix, « Rebecca Whiteley, Birth Figures. Early Modern Prints and the Pregnant Body »Histoire, médecine et santé [En ligne], 26 | hiver 2024, mis en ligne le 01 novembre 2024, consulté le 25 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hms/8781 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12rit

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Auteur

Laura Tatoueix

Chercheuse associée au CeTHis (Tours)

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