Navigation – Plan du site

AccueilNuméros25Comptes rendusIsabelle Coquillard, Corps au tem...

Comptes rendus

Isabelle Coquillard, Corps au temps des Lumières. Les docteurs régents de la Faculté de médecine en l’Université de Paris au xviiie siècle

François Zanetti
p. 222-225
Référence(s) :

Isabelle Coquillard, Corps au temps des Lumières. Les docteurs régents de la Faculté de médecine en l’Université de Paris au xviiie siècle, Paris, Honoré Champion, 2022, 800 pages

Texte intégral

1Depuis les années 1980, le xviiie siècle a été un laboratoire pour la construction de ce qu’il est convenu d’appeler l’histoire sociale de la médecine. Cette histoire renouvelée s’est d’abord construite contre les médecins. Il s’agissait d’éclairer le parcours des praticiens irréguliers (« quacks »), d’adopter le point de vue des patients pour enrichir la compréhension du marché médical et de sortir ainsi la médecine d’un récit professionnel triomphaliste, pour l’intégrer comme un objet à part entière dans l’histoire générale. Cet héritage, renforcé par la défiance à l’égard du « pouvoir médical », explique la place limitée que les médecins y ont occupée. L’ouvrage d’Isabelle Coquillard participe à un mouvement d’intérêt renouvelé des historiennes et historiens de la médecine moderne pour ces acteurs paradoxalement marginalisés dans l’historiographie.

2Le point de départ de l’enquête de l’autrice n’est cependant pas la médecine ou la santé mais un groupe professionnel et social parisien qui fait le « corps » de la Faculté de médecine de Paris. C’est bien dans ce sens juridique ou institutionnel qu’il faut entendre le titre pour éviter tout malentendu. Or, dans l’histoire de la médecine du xviiie siècle, la Faculté, prétendument rétrograde, est restée dans l’ombre d’une autre institution, la Société royale de médecine, incarnant Lumières et progrès. L’autrice revient sur cette opposition surjouée et rappelle que le « groupe pilotant la nouvelle société est constitué uniquement de docteurs régents de la Faculté de médecine de Paris » (p. 23), réévaluant ainsi la place de cette dernière dans l’organisation institutionnelle de la médecine française.

3Il y a plusieurs livres dans celui qu’Isabelle Coquillard consacre aux docteurs régents de la Faculté de médecine de Paris. Cela ne tient pas seulement à l’imposant volume de huit cents pages ni à l’ampleur du chantier et des dépouillements menés par l’autrice mais aussi à la diversité des genres, des thématiques et des approches mobilisées pour étudier ce groupe professionnel et social.

4L’enquête est solidement ancrée dans l’histoire économique et sociale de la « bourgeoisie à talents » parisienne. Elle repose sur une approche prosopographique qui vise à l’exhaustivité pour les 458 docteurs régents et les sept docteurs non régents de Paris, de 1707 (date de l’édit de Marly) à la Révolution (annexe 1, p. 766-779). L’autrice exploite une grande variété d’actes notariés (contrats de mariage, liquidations, partages, baux, constitutions de rente, tutelles), au premier rang desquels les inventaires après décès (plus de deux cents pour les docteurs régents et six cents pour leurs clients). Ce matériau notarial irrigue et informe l’ensemble de l’ouvrage. Le huitième chapitre, consacré à « la vie privée des docteurs régents » éclaire ainsi les enjeux matrimoniaux et patrimoniaux au prisme des contrats de mariage et des inventaires après décès. L’étude des bibliothèques (p. 416-435) s’inscrit également dans la tradition de l’histoire sociale des pratiques culturelles. L’exhumation et la mobilisation de ce riche matériau fait assurément de l’ouvrage une référence incontournable et un instrument de travail précieux. L’articulation entre la liste des docteurs (annexe 1), l’index des noms (p. 781-791) et les références aux documents conservés au Minutier central disponibles dans les notes en bas de page permet de repérer un nombre considérable de documents utiles.

  • 1 Paul Delaunay, Le monde médical parisien au dix-huitième siècle, Paris, Jules Rousset, 1906.
  • 2 Alexandre Lunel, La maison médicale du roi. Le pouvoir royal et les professions de santé : xvie-xv (...)
  • 3 Isabelle Coquillard, « Les docteurs régents de la Faculté de médecine de Paris et la fourniture de (...)

5Isabelle Coquillard propose aussi un panorama de la médecine parisienne au siècle des Lumières, dont le point de départ revendiqué est l’œuvre de Paul Delaunay1. Comme l’identité même des docteurs régents est étroitement liée au droit d’enseigner, la question de la formation, de l’enseignement et des diplômes apparaît prioritaire dans la présentation de l’organisation corporative et professionnelle (chapitres 1 et 2) mais aussi dans d’autres institutions (Collège royal et Jardin du roi) ou dans le cadre de cours privés (chapitre 3). Dans cette présentation, l’autrice rejoint et mobilise l’approche institutionnelle des travaux menés par les historiennes et historiens du droit2. L’autrice situe le groupe des docteurs régents dans les principaux épisodes de conflits professionnels (chapitre 3) et les débats savants (chapitre 5) qui ont marqué le xviiie siècle. Elle revisite ainsi une historiographie abondante à partir du point de vue de la faculté, qu’elle remet au centre. Le chapitre 7 consacré à « la place des docteurs régents dans le marché médical » s’attache à la pratique professionnelle de ces derniers dans une perspective principalement commerciale. Si l’autrice mobilise ici encore une littérature riche, il est difficile de mesurer la singularité de la pratique des docteurs régents parisiens qui font plutôt figure de médecins comme les autres. L’éclairage des enjeux de leur intervention dans le cadre des charités paroissiales au croisement de l’assistance et du parcours professionnel (p. 460-462) est particulièrement stimulant3. Il en va de même pour l’approche spatiale et matérielle mobilisée par l’autrice au chapitre 6 pour mettre en valeur les dynamiques des lieux : ville, carrosse et bibliothèque (même si dans ce dernier cas, ce sont davantage les livres que le lieu qui sont analysés).

6L’ouvrage offre une vaste synthèse et représente une mine d’informations et de références sur l’organisation de la médecine à Paris, dans laquelle les figures individuelles apparaissent généralement de manière dispersée au sein d’un tableau aux allures souvent pointillistes.

7La dernière partie ouvre des perspectives plus larges à partir du terrain parisien – jusqu’aux espaces coloniaux (p. 684-696) – et révèle l’envergure de l’implication des docteurs régents de Paris et de leur expertise dans le domaine de la santé publique tant civile (chapitre 9) que militaire (chapitre 10). La question des hôpitaux et de leur réforme est ici centrale, qui permet à Jean Colombier (1736-1789) de bénéficier d’un traitement singulier et d’accéder à une forme d’individualité biographique.

8L’importance du travail offert par Isabelle Coquillard appelle la gratitude de la communauté des historiennes et historiens de la médecine pour les ressources précieuses qui y sont présentées. La mobilisation des outils de l’histoire économique et sociale permet de renouveler la compréhension du monde médical parisien au siècle des Lumières, pour lequel ce livre fait désormais référence. À ses périphéries, des perspectives se dessinent pour de nouveaux chantiers dont on peut souhaiter que l’ampleur ne découragera pas l’autrice.

Haut de page

Notes

1 Paul Delaunay, Le monde médical parisien au dix-huitième siècle, Paris, Jules Rousset, 1906.

2 Alexandre Lunel, La maison médicale du roi. Le pouvoir royal et les professions de santé : xvie-xviiie siècles, Seyssel, Champ Vallon, 2008 ; Céline Pauthier, L’exercice illégal de la médecine (1673-1793). Entre défaut de droit et manière de soigner, Paris, Glyphe et Biotem, 2002.

3 Isabelle Coquillard, « Les docteurs régents de la Faculté de médecine de Paris et la fourniture de soins aux “bons pauvres malades” dans les paroisses parisiennes (1644-1791) », Revue historique, no 668, 2013, p. 875-904, DOI : <https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.3917/rhis.134.0875>.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

François Zanetti, « Isabelle Coquillard, Corps au temps des Lumières. Les docteurs régents de la Faculté de médecine en l’Université de Paris au xviiie siècle »Histoire, médecine et santé, 25 | 2024, 222-225.

Référence électronique

François Zanetti, « Isabelle Coquillard, Corps au temps des Lumières. Les docteurs régents de la Faculté de médecine en l’Université de Paris au xviiie siècle »Histoire, médecine et santé [En ligne], 25 | été 2024, mis en ligne le 01 juillet 2024, consulté le 18 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hms/8617 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/1217r

Haut de page

Auteur

François Zanetti

Université Paris Cité, ICT UR 337

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search