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Comptes rendus

Clare Hickman, The Doctor’s Garden. Medicine, Science, and Horticulture in Britain

Laurence Talairach
p. 219-222
Référence(s) :

Clare Hickman, The Doctor’s Garden. Medicine, Science, and Horticulture in Britain, New Haven/Londres, Yale University Press, 2021, 238 pages

Texte intégral

1L’ouvrage de Clare Hickman, The Doctor’s Garden. Medicine, Science and Horticulture in Britain, nous invite à nous plonger dans les jardins de médecins anglais au cours du xviiie siècle, pour comprendre le rôle que ces espaces privés ont joué dans l’histoire des savoirs et suivre leur évolution jusqu’à leur disparition à la fin du xixe siècle. Vue au travers du prisme de quelques figures médicales emblématiques de l’époque – John Coakley Lettsom (1744-1815), John Fothergill (1712-1780), William Pitcairn (1712-1791), John Hunter (1728-1793) et Edward Jenner (1749-1823) –, l’étude se découpe en six chapitres et aborde tour à tour l’éducation et la formation à la botanique, l’importance des réseaux de médecins dans la circulation des plantes ou encore les expériences menées dans les jardins privés.

  • 1 Hope sera, par ailleurs, en charge d’une collection de modèles anatomiques cédés à l’université pa (...)

2Comme le montre le premier chapitre, au xviiie siècle, la science ne se pratique pas seulement dans les jardins royaux de Kew. Médecins, chirurgiens ou apothicaires se forment aussi dans les jardins privés, à l’écart de la capitale. Si apprentis apothicaires et étudiants en médecine partent en excursion pour « herboriser » et se former à la médecine des simples depuis plusieurs siècles déjà, le jardin botanique devient un espace clé au fil du siècle, qui remplace parfois le voyage à l’étranger ou permet d’attirer les étudiants du continent. L’Écosse, toujours en tête des nouveaux modes d’apprentissage caractéristiques des Lumières, rend la botanique obligatoire dès 1777 dans la formation médicale. On apprend au jardin à sentir et goûter, à utiliser l’ensemble de ses sens. L’exemple de Leith Walk, créé en 1763 à Édimbourg par John Hope (1725-1786), est un modèle du genre, puisqu’au jardin est associée une salle où se déroulent les cours, juste au-dessus des appartements du jardinier. Ce dernier participe d’ailleurs à la construction du savoir médical, comme le mettent en lumière les carnets de Hope où sont consignées toutes les expériences botaniques : deux écritures apparaissent, laissant Hickman imaginer qu’il s’agit là de celle de Hope et de celle de son jardinier (John Williamson), dont les résultats seront pourtant uniquement associés à Hope. Autre cas, celui d’Andrew Fyfe, lui aussi jardinier à Leith Walk entre 1772 et 1775, mais que l’on retrouve bientôt dans les registres comme étudiant en médecine et qui réalisera des illustrations botaniques pour Hope et des manuels anatomiques illustrés1. Hickman souligne ainsi son entrée dans la production des savoirs par les arts, mais sans véritablement expliquer comment s’opère ensuite le transfert des savoirs sur le corps humain (p. 41).

3Le chapitre 2 se concentre sur le jardin privé, cette fois loin des universités et centres de formation, et davantage associé aux loisirs et aux plaisirs. Examinant les jardins de Fothergill et Pitcairn, qui pratiquaient la médecine au cœur de la capitale anglaise, Hickman retrace la circulation de certains spécimens botaniques ou d’histoire naturelle en suivant la correspondance de Fothergill et les échanges entre le médecin et ses confrères, ou encore avec des botanistes et collectionneurs. Célèbre pour le traité qui fit sa fortune (An Account of the Sore Throat Attended with Ulcers (1748)), Fothergill pose d’ailleurs, pour son portrait, avec un ouvrage de botanique à la main et un motif d’ananas bien en vue sur une chaise, illustrant ainsi son intérêt pour les plantes exotiques et la science botanique. Quant à Lettsom, qui collecta plus de deux mille spécimens issus de diverses collections, il échange régulièrement avec Pitcairn, médecin au Saint Bartholomew’s Hospital et président du Royal College of Physicians de 1775 à 1785, dont le jardin situé dans un village à l’extérieur de Londres s’inspire de celui de son ancien professeur, Boerhaave, à Leyde.

4Les deux hommes financèrent des expéditions botaniques aux Antilles, dans les Alpes ou encore en Afrique afin d’enrichir leurs collections, des collections qui incluaient également des animaux rares. William Withering (1741-1799), autre médecin botaniste installé à Birmingham, connu pour sa découverte des propriétés tonicardiaques et diurétiques de la digitale pourpre, élève nombre d’animaux exotiques, entre autres. De même, Hickman explique que John Hunter, dont les travaux reflètent ses expérimentations avec les animaux (comme celles sur la température des hérissons en période d’hibernation) mène ses expériences sur des spécimens passés de main en main de médecins.

5Un des problèmes posés par ces jardins de médecins, cependant, fut précisément leur notoriété, comme le met en lumière le chapitre suivant, moins centré sur la pratique médicale. Hickman prend l’exemple du jardin de Fothergill, dont la célébrité impliquait aussi de pouvoir gérer les foules de visiteurs, notamment dans les jardins les plus près des villes – un public avide, désireux de toucher, sentir et goûter les spécimens, n’hésitant parfois pas à repartir avec autant de souvenirs dans leurs poches, empêchant ainsi de mener à bien toute expérience scientifique. Pour Hickman, le succès de ces jardins privés explique le développement à Londres de lieux plus directement destinés au grand public, tels les jardins botaniques imaginés par William Curtis (1746-1799) en 1777 et auxquels Lettsom et Fothergill contribuèrent. L’engouement pour ces jardins privés situés en périphérie de la capitale s’explique facilement : contrairement à Oxford, Cambridge, Édimbourg ou Glasgow, où les universités avaient chacune un jardin botanique propre, Londres n’en possédait pas, alors même que l’éducation à la botanique s’imposait aussi pour la gent féminine et que la visite de jardins devenait une sortie obligée.

6Le chapitre 4, quant à lui, s’intéresse aux représentations des jardins de ces médecins et à leurs constructions comme autant de textes à lire. Agencés, classés, ordonnés, les jardins botaniques se trouvent présentés dans nombre de publications, en particulier dans The Botanical Magazine; or, Flower-Garden Displayed, fondé par Curtis en 1787. Espaces d’expérimentation (chapitre 5), ils mettent en lumière un intérêt accru pour le terrain dans lequel les plantes croissent. À Earl’s Court, sur un terrain de plus de deux acres éloigné de son école d’anatomie située au centre de Londres, John Hunter tente d’amender le sol avec du sang humain dès 1780, partageant ses expériences avec Joseph Banks ; il découvre aussi l’importance du fumier et des vers de terre. Edward Jenner s’intéresse au compost et à divers types de fertilisants dans son domaine de Berkeley dans le Gloucestershire. Lettsom, quant à lui, s’adonne à l’élevage d’abeilles, une passion, dit Hickman, qui témoigne de son intérêt pour la santé des plus pauvres, même si l’on peine à saisir les liens que l’autrice tisse ici entre l’expérimentation au jardin et le texte de Lettsom, Of the Improvement of Medicine in London, on the Basis of Public Good (1773).

7L’ouvrage s’achève sur un dernier chapitre suivi d’un épilogue. Le chapitre 6 revient sur certains domaines, expliquant comment Grove Hill sera défini par Lettsom avant tout comme un espace dédié au plaisir raisonné et non au divertissement, tandis que Jenner ouvrira un « temple de la vaccine » (« Temple of Vaccinia ») dans une maison d’été rustique plantée dans son jardin, où il proposera des vaccinations gratuites pour les plus pauvres. Ces deux exemples, qui remettent la pratique médicale et le savoir au cœur du jardin, révèlent en fait le déclin de la science botanique. Au milieu du xixe siècle, la clinique signe la fin des jardins privés : Earl’s Court sera démoli dans les années 1880, tandis que Grove Hill disparaîtra une dizaine d’années plus tard. Les collections privées sont revendues et dispersées pour la plupart d’entre elles, tandis que d’autres s’institutionnalisent et que l’on ouvre des jardins botaniques publics. En retraçant l’évolution de la figure du gentleman médecin, à la fois botaniste, jardinier et paysagiste, et son déclin au fil du xixe siècle, l’ouvrage de Hickman, richement illustré, nous fait pénétrer dans des espaces privés jusqu’ici peu étudiés. Même s’il n’est pas toujours aisé de réunir les différentes identités de ces médecins passionnés de botanique et d’histoire naturelle, ou de comprendre les liens que Hickman tisse entre pratique médicale et horticulture, l’ouvrage, passionnant et écrit dans une langue claire, permet de revisiter une partie de l’histoire de la médecine britannique du xviiie siècle.

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Notes

1 Hope sera, par ailleurs, en charge d’une collection de modèles anatomiques cédés à l’université par Alexander Monro (Secundus) en 1800.

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Pour citer cet article

Référence papier

Laurence Talairach, « Clare Hickman, The Doctor’s Garden. Medicine, Science, and Horticulture in Britain »Histoire, médecine et santé, 25 | 2024, 219-222.

Référence électronique

Laurence Talairach, « Clare Hickman, The Doctor’s Garden. Medicine, Science, and Horticulture in Britain »Histoire, médecine et santé [En ligne], 25 | été 2024, mis en ligne le 01 juillet 2024, consulté le 22 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hms/8608 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/1217q

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Auteur

Laurence Talairach

Centre Alexandre Koyré (UMR 8560) / Université Toulouse-Jean-Jaurès

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