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Comptes rendus

Anne Gangloff et Gilles Gorre (dir.), Le corps des souverains dans les mondes hellénistique et romain

Catherine Baroin
p. 215-218
Référence(s) :

Anne Gangloff et Gilles Gorre (dir.), Le corps des souverains dans les mondes hellénistique et romain, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2022, 422 pages

Texte intégral

  • 1 Il est aussi question des statues de Livie, de femmes de notables et de prêtresses dans l’article (...)

1Cet ouvrage, issu d’un colloque qui s’est tenu à l’université de Rennes en octobre 2018, réunit les contributions de chercheurs et d’enseignants-chercheurs français et étrangers en histoire ancienne, spécialistes des mondes grec, romain et orientaux, qui travaillent selon différentes perspectives (histoire politique, sociale, culturelle, histoire de l’art, anthropologie, archéologie) et à partir de sources variées (textes, inscriptions, graffiti, images, monnaies). Son objet est le corps des souverains, au masculin – à une exception près : celle des reines séleucides (inséparables des rois, cependant)1 –, et donc le corps abordé dans sa dimension politique, au sein de différents contextes, d’Alexandre le Grand à l’Empire romain (essentiellement la période du Haut-Empire). En quoi le corps du souverain est-il spécifique et permet-il à celui-ci de manifester, d’affirmer et de légitimer son pouvoir, vis-à-vis de son entourage et de ceux qui sont gouvernés ? Que dit-il sur la nature du régime politique ? Telles sont les questions posées dans l’introduction par les auteurs qui ont dirigé le volume. Ceux-ci soulignent le développement, depuis une quinzaine d’années, de la recherche française sur le corps antique et citent les principaux ouvrages historiques consacrés au corps du souverain, pour la période moderne et pour l’Antiquité, depuis le livre fondateur d’Ernst Kantorowicz, The King’s Two Bodies, paru en 1957, sur les deux corps du roi médiéval : corps « naturel », physique, d’un côté, et corps politique et symbolique, de l’autre (p. 9). Les deux auteurs posent comme principe que la distinction entre « corps naturel » et « corps symbolique » peut avoir une valeur heuristique pour l’étude des différents types de souverain antique (p. 11). Cependant, l’expression de « corps naturel » ne doit pas masquer que le corps est ici avant tout considéré – à juste titre – comme une « construction culturelle » (p. 14). Les trois axes de recherche sont la codification du corps des souverains et la réception de ces codes au sein des élites, les mises en scène de ce corps, et les normes et traditions en usage dans les différents mondes et périodes abordés. Les quatre parties de l’ouvrage sont organisées de façon thématique, ce qui permet les va-et-vient entre les périodes et les sujets, selon une perspective comparatiste (p. 14) et avec le souci d’établir des continuités – et des ruptures – sur le plan historique, mais aussi sur le plan géographique (entre l’Italie et la partie orientale de l’Empire romain).

2L’introduction est suivie d’un texte d’ouverture écrit par Franck Mercier, médiéviste, sur la théorie du « double corps du roi » d’E. Kantorowicz et sur le fait que celle-ci puisse être appliquée, ou non, à l’Antiquité. L’auteur conclut légitimement à la nécessité de ne pas projeter sur la période antique la notion définie par Kantorowicz pour le roi chrétien en Europe au Moyen Âge et à la Renaissance, principalement à cause de l’absence, dans l’Antiquité, de l’idée de la collectivité des citoyens ou des sujets comme « corps politique », qui serait incarné par le corps du souverain. Plusieurs contributions et la conclusion rédigée par Francis Prost reviennent plus particulièrement sur cette théorie des « deux corps du roi » et sur son intérêt pour l’étude de l’Antiquité (il semble qu’elle soit plus pertinente pour le pouvoir lagide que pour la personne de l’Empereur romain). F. Mercier renvoie aussi aux analyses de Louis Marin (1981) sur le corps figuré du roi, qui constitue un troisième corps. Cette question alimente la réflexion de plusieurs articles du volume sur les représentations des souverains.

  • 2 Anne Gangloff, Valérie Huet et Christophe Vendries (dir.), La notion de caricature dans l'Antiquit (...)

3En effet, la première partie, « Comment représenter le corps du souverain dans le monde antique ? », s’interroge sur les modes de représentation iconographique et littéraire d’Alexandre le Grand (Gwenaëlle Le Person-Rolland), des reines séleucides à la période hellénistique (Marie Widmer) et des princes romains (Christophe Badel sur les Vies des douze Césars de Suétone et l’Histoire Auguste ; Christophe Vendries), en renvoyant à la physiognomonie antique (même si, selon G. Le Person-Rolland, celle-ci n’a pas servi à construire les portraits d’Alexandre) et en utilisant la notion moderne de caricature (pour C. Vendries, qui rectifie plusieurs analyses iconographiques antérieures), notion déjà abordée dans un ouvrage de 2021 qui réunissait plusieurs auteurs présents ici2. Certaines de ces études posent aussi la question de l’écart entre un corps réel, difficile, voire impossible à saisir, et un corps qui peut être figuré en majesté et faire référence à l’iconographie divine, question qui se prolonge dans les deuxième et troisième parties.

4Le deuxième volet, intitulé « Le “sur-corps” des rois », par référence au « sur-corps » divin de Jean-Pierre Vernant, s’intéresse à la dimension spectaculaire et divine du corps du souverain : mise en scène par Démétrios Poliorcète (et quelques autres) de son apparence et de ses apparitions publiques grâce à ses vêtements et à sa parure (Florence Gherchanoc), construction de la prestance de souverains perse (Cyrus) et grecs depuis la fin de l’époque classique et de la majesté idéale de l’empereur romain, qualités à la fois physiques et morales (Anne Gangloff), désignation d’Octavien en relation avec celle des pharaons égyptiens (Damien Agut-Labordère) et figuration du même personnage, en lien avec la Res publica, sur une série de monnaies romaines (Pierre Assenmaker), enfin, iconographie du genius et du numen de l’empereur vivant qui constituent ses « doubles divins » (Valérie Huet et Emmanuelle Rosso).

5La troisième partie, consacrée à « la diffusion des représentations physiques des souverains », concerne plus précisément la dimension sociale, politique, « administrative » du corps du souverain en Asie Mineure et en Égypte. Les articles de cette section étudient ainsi les types statuaires des rois hellénistiques, des grands imperatores de la fin de la République romaine et des empereurs imités par les notables d’Asie Mineure (Henri Fernoux), la titulature des fonctionnaires dans l’Égypte lagide qui incarnent le pouvoir royal (Stéphanie Wackenier) et enfin l’iconographie des stratèges « parents du roi » qui représentent, à tous les sens du terme, le pouvoir royal lagide (Gilles Gorre).

6La dernière partie, « Corps naturel et politique », associe l’étude du corps dans sa dimension physique, voire pathologique, à sa dimension politique et idéologique, à propos d’Alexandre et des rois hellénistiques (Paul Cournarie), du roi obèse Ptolémée VIII, incarnation de la truphê caractéristique de la monarchie lagide (Panos Christodoulou), des funérailles de l’empereur romain (Stéphane Benoist), de la relation, à Rome, entre corps du prince et corps de l’État (Philippe Le Doze) et du type de régime politique manifesté par les vêtements et les insignes portés par les empereurs romains sur la longue durée (Jan B. Meister).

7Parmi les différents textes, certains contiennent des éléments particulièrement susceptibles d’intéresser les historiens de la santé, de la médecine et du corps. Ainsi, les articles de G. Le Person-Rolland, P. Assenmaker, H. Fernoux et A. Gangloff montrent à quel point les images des figures de pouvoir, qu'elles soient littéraires, monétaires ou statuaires, sont régies par des codes, qui renvoient à des modèles moraux et à des types iconographiques porteurs d’une idéologie. C. Badel, quant à lui, aborde la question de la voracité, critiquée chez les princes tyranniques alors même que ses effets sur le corps sont peu décrits, et C. Vendries, celle des moqueries corporelles. Enfin, F. Gherchanoc s’intéresse à la théâtralisation du corps associée au pouvoir, tandis que P. Cournarie tente d’accéder au corps « réel » du souverain en examinant les textes portant sur les maladies et la mort d’Alexandre le Grand et des rois hellénistiques

8Cet ouvrage est un jalon important dans l’étude actuellement en plein développement du corps du roi hellénistique et de celui de l’empereur romain. Il apporte des éclairages nouveaux sur la dimension proprement physique du pouvoir politique.

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Notes

1 Il est aussi question des statues de Livie, de femmes de notables et de prêtresses dans l’article d’Henri Fernoux.

2 Anne Gangloff, Valérie Huet et Christophe Vendries (dir.), La notion de caricature dans l'Antiquité. Textes et images, Rennes, PUR, 2021.

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Pour citer cet article

Référence papier

Catherine Baroin, « Anne Gangloff et Gilles Gorre (dir.), Le corps des souverains dans les mondes hellénistique et romain »Histoire, médecine et santé, 25 | 2024, 215-218.

Référence électronique

Catherine Baroin, « Anne Gangloff et Gilles Gorre (dir.), Le corps des souverains dans les mondes hellénistique et romain »Histoire, médecine et santé [En ligne], 25 | été 2024, mis en ligne le 01 juillet 2024, consulté le 02 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hms/8597 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/1217p

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Auteur

Catherine Baroin

Université de Rouen Normandie, ERIAC / ANHIMA

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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