L’amour fou est le propre de l’homme. La folie masculine dans le discours des médecins et des clercs aux derniers siècles du Moyen Âge
Résumés
Dans les derniers siècles du Moyen Âge, la raison et la faculté de jugement sont au cœur de la construction d’un modèle de masculinité valorisé par les clercs, à destination des laïcs. Si la littérature pastorale et les sermons produits par les frères mendiants érigent en impératif la capacité des hommes à aimer leur épouse de manière mesurée, la passion amoureuse est autant condamnée par ces textes cléricaux que par les traités médicaux et les chapitres consacrés à la médecine dans les encyclopédies du xiiie siècle. Menant selon leurs auteurs à la folie et à la déraison, l’amour excessif va à l’encontre du modèle de perfection qu’incarne la masculinité. Or, la folie amoureuse et la maladie d’amour, en tant que pathologie mentale, sont spécifiquement assimilées à l’essence même de la masculinité dans ses dispositions physiologiques et sont attribuées aux hommes à la suite du commentaire de Girardus Bituricensis. Cet article instaure un dialogue entre le discours médical et les sources cléricales autour de cette ambivalence.
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- 1 Parmi de nombreuses autres études, voir notamment : Anne-Marie Sohn (dir.), Une histoire sans les (...)
- 2 Nous n’utilisons pas le terme de virilité, mais lui préférons celui de masculinité en accord avec (...)
- 3 À ce propos, nous renvoyons à Anne-Lydie Dubois, Former la masculinité. Éducation, pastorale mendi (...)
- 4 Notre traduction. Ruth Mazo Karras, From Boys to Men, op. cit., p. 3.
1En tant que construction culturelle et sociale, la masculinité est un objet de recherche dont le développement est récent parmi les études historiques. Celles qui se penchent sur le Moyen Âge sont d’autant plus nouvelles et nécessitent encore d’être développées, à plus forte raison dans le milieu francophone1. Au sein des réflexions anthropologiques produites par les clercs au xiiie siècle, la masculinité constitue un modèle de perfection, autant de corps que d’esprit2. Dans le contexte du renouveau de la pastorale et de la volonté d’encadrement des fidèles, le discours clérical prend en charge le comportement des laïcs, ainsi que leur identité sexuée. Ce faisant, il définit et construit une identité spécifiquement masculine qui se distingue de la féminité3. De nombreux textes au contenu éducatif et moral adressés aux fidèles sont composés à cette période, qu’il s’agisse de traités d’éducation ou de sermons. Les clercs prescrivent aux hommes la manière de se comporter afin d’être un homme non pas seulement par le sexe, mais aussi par les actions. Autrement dit, le sexe anatomique ne suffit pas à produire la masculinité, étant donné que celle-ci fait référence non pas au corps masculin, mais « à la signification que la société donne à une personne ayant un corps masculin4 ».
- 5 « Qui igitur libidines vincunt et virtuosis operibus se exercent et moribus seipsos exornant et or (...)
- 6 Jacqueline Murray, « Hiding Behind the Universal Man: Male Sexuality in the Middle Ages », dans Ve (...)
- 7 « Primo ergo foeminae cum possunt ut plurimum sunt intemperatae et passionum insecutrices. Nam qui (...)
- 8 Joan Cadden, Meanings of Sex Difference in the Middle Ages: Medicine, Science and Culture, Cambrid (...)
2Vers 1265-1270, le Communiloquium du franciscain Jean de Galles, offrant de la matière homilétique, est emblématique à cet égard. Son chapitre « Quales debeant esse viri » définit le statut des hommes et propose un véritable programme afin de former un comportement masculin. En substance, selon lui, les hommes accomplis (perfecti viri) sont ceux qui maîtrisent leurs désirs sexuels et se soumettent à la raison5. Dans les textes cléricaux, des comparaisons entre les deux sexes sont sans cesse effectuées en ce sens. Être un homme consiste avant tout à ne pas se comporter comme une femme en faisant montre d’une grande capacité à raisonner et à soumettre ses pulsions à sa volonté. Les femmes, quant à elles, sont décrites comme poursuivant leurs passions sans retenue, à cause de leur moins grande aptitude à raisonner6. Le lien est explicitement établi par exemple dans le De regimine principum composé par Gilles de Rome vers 1279, qui s'appuie fortement sur Aristote7. Le discours médical et naturaliste est également mobilisé par les clercs à dessein d’éduquer les fidèles selon leur sexe. Comme Joan Cadden l’a démontré, le système des humeurs permet aux médecins d’exprimer la différence des sexes. En accord avec la pensée aristotélicienne, les médecins du Moyen Âge central expliquent les moins grandes facultés intellectuelles des femmes, leur manque de raison, par la froideur qui les caractérise, tandis que les hommes sont chauds8.
- 9 Voir Danielle Jacquart et Françoise Micheau, La médecine arabe et l’Occident médiéval, Paris, Laro (...)
- 10 Benoît Beyer de Ryke, « Le miroir du monde : un parcours dans l’encyclopédisme médiéval », Revue b (...)
- 11 À propos de ces deux auteurs, voir Anne-Lydie Dubois, Former la masculinité, op. cit., p. 52-54.
3Il s’agit de construire un modèle afin d’argumenter en faveur d’une attitude masculine « naturelle », certes, mais qui reste néanmoins à conquérir et à prouver par des actes et des capacités. Parallèlement, la redécouverte du savoir gréco-arabe au Moyen Âge central participe au renouveau de la médecine9. Cette discipline s’enrichit de nouveaux concepts qui alimentent ainsi son appréhension des sexes, dans leurs caractéristiques physiologiques, mentales, affectives et émotionnelles, ainsi que dans les pathologies qui leur sont attribuées. « Âge d’or » de l’encyclopédisme10, le xiiie siècle voit la production de sommes de connaissances faisant la part belle à la médecine, dans un effort de diffusion du savoir scientifique. Les encyclopédies permettent de voir la quintessence des propos médicaux transmis à un large public, étant donné que celles citées dans cet article – celles du dominicain Vincent de Beauvais (vers 1260) et du franciscain Barthélemy l’Anglais (vers 1245) – ont été largement diffusées, avec plusieurs centaines de manuscrits conservés11. Composés au départ pour un cercle clérical, dominicain et franciscain, ces textes ont connu une large circulation au-delà. Il semble ainsi pertinent d’utiliser en miroir des traités de médecine, destinés à un public de médecins, et des chapitres encyclopédiques qui entrent en résonance avec ces traités. Les encyclopédies donnent à voir ce qui est considéré par leurs auteurs comme le plus important à retenir sur un sujet. Ces textes s’adressent à des publics variés essentiellement masculins, qu’il s’agisse d’érudits des cercles universitaires et cléricaux ou plus largement des fidèles.
4Au sein des modèles masculins construits par ces différents discours en dialogue, la capacité à aimer dans la juste mesure constitue une composante fondamentale de cette identité de genre. La raison et la maîtrise de soi sont en effet au cœur du modèle de masculinité le plus valorisé dans le discours médical, théologique ou encore pédagogique. L’amour qui mène à des actes excessifs et déraisonnables, l’amour incitant à la folie, est par conséquent condamné par les clercs autant que par les médecins. Cet article fait dialoguer le discours médical à propos de la maladie d’amour – présent dans les traités ainsi que dans les encyclopédies – et un discours éducatif, moral et théologique, afin de mettre en évidence une réflexion commune sur l’amour excessif, comme sur la folie qui en découle. Il s’agit d’éclairer la manière dont ces considérations sont révélatrices de la construction et de la représentation du modèle de masculinité prescrit aux laïcs dans les derniers siècles du Moyen Âge.
- 12 Arnaud de Villeneuve naît à Valence et étudie la médecine ainsi que la théologie à Montpellier : v (...)
5Bien que de nature hétéroclite, l’ensemble des textes cléricaux autour desquels se concentrera cet article est écrit par des auteurs issus du même milieu culturel et intellectuel : les ordres mendiants. Centres intellectuels de première importance, les studia mendiants parisiens produisent en effet de nombreux textes scientifiques et de compilation. À ces auteurs, nous ajoutons deux éminents théologiens du milieu parisien entre la fin du xiie et le xiiie siècle, Guillaume d’Auvergne et Guillaume d’Auxerre. D’autre part, les traités de médecine utilisés pour cerner les enjeux de la maladie d’amour se regroupent autour du milieu médical français universitaire entre le xiiie et le xve siècle – Bernard de Gordon, Arnaud de Villeneuve et Jacques Despars12. Cette longue durée a l’avantage de montrer l’évolution et la pérennisation des considérations sur la maladie d’amour évoquées dans la « masculinisation » qui se dessine à travers le temps.
Folie et déraison : la masculinité en péril
- 13 Le terme vir est entendu dans ce chapitre au sens de « mari », qui est l’une des acceptions de ce (...)
- 14 « Unde vir praecedit foeminam etiam ratione intellectusque perspicuitate », Barthélemy l’Anglais, (...)
- 15 « Mulierum autem mores ut plurimum quasi mores iuvenum sunt et puerorum, quodammodo enim sic se vi (...)
- 16 Voir note 7.
- 17 Laurence Moulinier-Brogi, « La pomme d’Ève et le corps d’Adam », dans Agostino Paravicini Bagliani (...)
- 18 Nous traitons abondamment de cette question dans Former la masculinité, op. cit. Parmi de nombreux (...)
6Les encyclopédies de Vincent de Beauvais (Speculum maius) et de Barthélemy l’Anglais (De proprietatibus rerum) accordent une place primordiale à la médecine, à laquelle elles consacrent de grandes sections abordant divers sujets, de la description de l’anatomie humaine au classement des maladies. Barthélemy l’Anglais s’intéresse à l’homme sexué dans trois chapitres de son livre VI, dédié à l’être humain. Il propose trois déclinaisons de la masculinité, chacune selon un aspect différent et une fonction spécifique, notamment sociale. Le premier chapitre, « De masculo », est un chapitre générique sur la masculinité qui donne à voir les spécificités corporelles, ainsi que les facultés d’esprit, caractérisant l’homme dans son opposition à la femme. L’emploi du terme masculus (à la place de vir) dévoile l’ancrage du propos dans le vocabulaire de la philosophie naturelle, tandis que les chapitres suivants se consacrent à l’homme en tant que père (« De patre ») et mari (« De viro »)13. Dans le chapitre « De masculo », la raison est l’élément central autour duquel s’articule la définition de la masculinité, ce qui distingue l’homme de la femme. L’homme est en effet doté d’un plus grand sens du discernement que cette dernière. En citant saint Augustin, le franciscain déclare que l’homme « devance la femme par la raison et la clarté de son intellect14 ». En s’appuyant sur la philosophie naturelle d’Aristote, Gilles de Rome, que nous citerons plus avant, affirme également que l’homme (vir) excelle quant à la raison (est praestantior ratione) en regard de la femme15. Cet argument explique que la femme poursuive ses passions au lieu de les soumettre à sa volonté, au contraire des hommes16. L’aptitude à raisonner est également convoquée par les exégètes pour justifier la supériorité masculine et la plus forte ressemblance de ce sexe à Dieu depuis la création d’Adam17. Les commentateurs de la Bible, et plus largement les clercs, s’accordent à dire que la femme est située du côté de la chair, tandis que l’homme est associé à la raison18.
- 19 Voir notamment Muriel Laharie, La folie au Moyen Âge. xie-xiiie siècles, Paris, Le Léopard d’Or, 1 (...)
- 20 Voir Jean-Marie Fritz, Le discours du fou, op. cit., p. 18 ; Muriel Laharie, La folie au Moyen Âge(...)
- 21 Bernard de Gordon, La fleur de cyrurgie, Paris, 1504, II ; Jacques Despars, Commentaire au Canon d (...)
- 22 Jean-Marie Fritz, Le discours du fou, op. cit., p. 128.
7Si la raison est la quintessence du comportement masculin, l’idéal de perfection par excellence, la perte de cette faculté représente une terrible menace. Elle met à mal le statut masculin, en dégradant autant le comportement de l’homme que sa santé mentale. Les mots sont nombreux pour nommer ce que nous qualifions de « folie » dans notre vocabulaire moderne. L’historiographie s’est penchée sur la question de la santé mentale et sur la folie, dans le sens d’une maladie, au Moyen Âge, notamment à travers des sources médicales19. À côté de furia et de l’adjectif furiosus, un riche vocabulaire ponctue ce discours qui se penche sur les maladies mentales : amentia, manie, mélancolie, frénésie, alienatio mentis ou encore excessus mentis20. Ces catégories se retrouvent communément, par exemple dans le traité de médecine de Bernard de Gordon, composé vers 1303, et dans celui de Jacques Despars au siècle suivant21. Elles apparaissent de même dans l’encyclopédie de Barthélemy l’Anglais, au livre V dédié à la nosologie selon le principe a capite ad calcem22, ou encore dans le très vaste Speculum maius de Vincent de Beauvais au xiiie siècle.
- 23 Anne-Lydie Dubois, Former la masculinité, op. cit.
- 24 Noëlle-Laetitia Perret, Les traductions françaises du De regimine principum de Gilles de Rome. Par (...)
- 25 La deuxième phrase concerne spécifiquement les hommes : « Nam inter uxorem et virum debet esse amo (...)
8Dans les traités mendiants qui enseignent aux hommes comment se comporter selon leur sexe23, les émotions et leur pondération, déterminant un esprit raisonnable, font partie intégrante de la définition de la masculinité. Sur le plan de la tempérance, médecine et morale se rejoignent dans les recommandations adressées aux hommes laïcs, pères de famille et maris. Les conseils concernant la sphère conjugale font de l’amour et de l’affection envers l’épouse une donnée essentielle du modèle de masculinité promu par les clercs. En tant que laïc, le mari est non seulement en devoir d’aimer son épouse, mais il est exhorté à l’aimer d’un amour magnus. Les termes abondent pour définir l’amour idéal que devrait éprouver l’homme dans sa relation conjugale. Parmi d’autres exemples, le De regimine principum de Gilles de Rome illustre bien ce devoir masculin dans le mariage. Il s’agit d’un « miroir au prince » s’adressant spécifiquement aux hommes dirigeants, mais également à « tous les citoyens » (ad omnes cives), dont le livre II est consacré aux relations familiales et conjugales24. Dans ce contexte, Gilles de Rome érige « l’amour souverain » – soit un amour très grand qualifié d’amicitia excellens ou d’amor magnus dans le texte latin – en impératif pour les maris envers leur conjointe25.
- 26 Voir la rubrique « Passions de l’âme » dans Rudi Imbach, Amours plurielles, op. cit., p. 303-306 ; (...)
9Si, pour mériter ce statut, l’homme doit être à même d’éprouver et de manifester des sentiments intenses envers sa compagne, l’amour excessif qui mène à la folie est vigoureusement condamné dans cette construction discursive. Invitant à une jalousie destructrice, la passion déraisonnable concentre en effet les blâmes26. Elle porte préjudice au modèle de masculinité inculqué par les prédicateurs et les pédagogues aux hommes laïcs. Puisque le sens du discernement permet de différencier les sexes et d’affirmer la supériorité masculine, la folie amoureuse, perte de l’esprit et de l’aptitude à juger, menace ainsi les fondements de l’identité des hommes.
- 27 Vincent de Beauvais, Speculum quadruplex sive Speculum maius, Graz, Akademische Druck-und Verlagsa (...)
- 28 Voir la notice « Furor » dans Albert Blaise, Dictionnaire latin-français des auteurs chrétiens, Tu (...)
- 29 Voir Thomas Tentler, Sin and Confession on the Eve of the Reformation, Princeton, Princeton Univer (...)
10Un chapitre de l’encyclopédie de Vincent de Beauvais, adressé à un auditoire spécifiquement masculin, est consacré à l’amour immodéré envers son épouse (« De immoderato uxoris amore »). En citant saint Jérôme, l’auteur déclare que l’amour n’est pas guidé par le jugement, mais par la furor, d’autant plus s’il est incité par la beauté de l’épouse27. Le terme furor pourrait se traduire par « l’égarement de l’esprit » ou « la folie » dans le sens violent du terme28. Ce qui est décrit comme une passion destructrice menant à l’insanité se place en opposition avec le modèle de masculinité, dont la raison et la maîtrise des sens forment la quintessence. Les fameuses Sentences de Pierre Lombard, théologien du xiie siècle, sont citées à l’appui pour reprendre ce lieu commun dans les écrits moraux et théologiques du siècle suivant : un mari qui se comporte comme un amant ardent commet un adultère avec sa propre épouse29. L’idéal de la bonne mesure sentimentale rejoint bien entendu le discours médical, qui condamne les extrêmes et prône le juste équilibre dans le corps, mais aussi dans les passions.
- 30 Voir la notice « Insaniare » dans Ronald Latham et David Howlett (dir.), Dictionary of Medieval La (...)
- 31 Vincent de Beauvais, Speculum doctrinale, XIV, ch. 59, c. 1319. Voir Jean-Marie Fritz, Le discours (...)
- 32 Danielle Jacquart, « La maladie et le remède d’amour dans quelques écrits médicaux du Moyen Âge », (...)
- 33 À propos des noms de cette maladie, voir les explications de Danielle Jacquart et Claude Thomasset (...)
- 34 Ibid, p. 93-95.
- 35 Mary Frances Wack, Lovesickness, op. cit. ; Id., « The Measure of Pleasure », p. 173-196.
11Même si l’amour est à l’origine honorable, un excès de celui-ci, une passion brûlante, rend fou. Dans le contexte de l’encyclopédie de Vincent de Beauvais, le verbe latin insaniare est employé, renvoyant à l’idée d’une infection, d’une contamination, à l’image d’une maladie30. En s’appuyant sur le médecin arabe Haly Abbas, le dominicain classe l’amour (amor) parmi les passions du cerveau, avec d’autres maladies mentales comme la manie, la frénésie, la mélancolie ou encore l’alienatio mentis31. Étroitement associée à la mélancolie, la maladie d’amour bénéficie en effet d’une attention médicale32. De fait, le lien entre amour et folie ou déraison est particulièrement saillant dans la « maladie d’amour » (amor morbus, amor hereos ou heroicus) chez les hommes33. Celle-ci est reconnue par les médecins des derniers siècles du Moyen Âge comme un « état pathologique », rangé du côté de la maladie mentale et figurant parmi les affections du corps et de l’esprit34. Sur ce point, le discours médical s’inscrit dans une longue tradition gréco-arabe, à la suite de Galien, du Viaticum d’Ibn al-Jazzar – traduit en latin par Constantin l’Africain à la fin du xie siècle –, ou encore du Canon d’Avicenne35.
- 36 À propos du lien entre masculinité et folie dans un autre type de sources, la littérature, voir Je (...)
- 37 Mary Frances Wack, « The Measure of Pleasure », art. cit., p. 179.
- 38 Dans sa Glosule super viaticum. Voir Mary Frances Wack, Ibid., p. 178 ; Danielle Jacquart, « La ma (...)
- 39 Voir Mary Frances Wack, « The Measure of Pleasure », art. cit., p. 178-179 ; Bernard de Gordon, La (...)
12Une grande part des médecins occidentaux des xiie-xve siècles décrivent cette maladie comme une affection spécifiquement masculine36. Mary Frances Wack observe qu’elle est attribuée aux femmes dans certains textes salernitains et dans la littérature circulant au début du xiiie siècle37. Toutefois, à la suite de Girardus Bituricensis, dont le commentaire du Viaticum composé avant 1237 est largement diffusé, le discours médical opère une « masculinisation » de la maladie d’amour38. Cette attribution masculine apparaît ensuite dans des œuvres telles que le Lys de la médecine (Lilium medicinæ) de Bernard de Gordon ou encore le commentaire du Canon d’Avicenne par Jacques Despars39.
- 40 « Item est a noter que ceste maladie vient plus souvent aux hommes quil ne fait aux femmes pource (...)
- 41 Maaike van der Lugt, « L’autorité morale et normative de la nature au Moyen Âge : essai comparatif (...)
- 42 Bernard de Gordon, La fleur de cyrurgie, op. cit., II, ch. 19. « Sollicitudo melancolica » dans la (...)
- 43 « Le moyen de raison est tant corrumpu que continuellement il a sa pensee a la femme », Bernard de (...)
- 44 Bernard de Gordon, La fleur de cyrurgie, op. cit., livre II, ch. 19 ; « movetur totum corpus spret (...)
- 45 « Amor est mentis insania, quia animus vagatur per inaniam crebris doloribus permiscens pauca gaud (...)
13Bernard de Gordon range cette maladie du côté masculin en déclarant qu’elle arrive plus souvent aux hommes qu’aux femmes en raison de leur complexion chaude40. Elle se manifeste chez les hommes (« mâles ») brutaux, prompts à satisfaire leur désir sexuel avec colère et fureur (furia), ce terme se rapprochant d’une déraison violente. Formant des arguments de poids, les exemples puisés parmi les animaux ancrent cette attitude dans la nature, dont l’ordre est voulu par Dieu41. Tout au long de ce chapitre, Bernard de Gordon présente l’objet aimé comme étant une femme, ce qui dit bien l’orientation de son propos vers le sexe masculin. L’œuvre du médecin de Montpellier, dont nous citons ici la traduction en ancien français, décrit l’amor ereos comme « une solicitude melancolique42 ». Cette expression souligne le rattachement de ce mal au souci, à l’inquiétude et à l’occupation de la pensée. Cette dernière est en effet sans cesse accaparée par la femme aimée43. Sous l’effet de cette maladie, « tout le corps s’esmeut sans ordre de raison », jour et nuit, sans repos44. Bernard de Gordon apparente plus directement encore l’amour à une folie de l’esprit en déclarant à la fin de ce chapitre : « amor est mentis insania », tandis que la traduction française qualifie la maladie d’amour de « forcenerie de pensee »45.
- 46 Danielle Jacquart, « La maladie et le remède d’amour », art. cit., p. 96. Voir aussi John Baldwin, (...)
- 47 John Baldwin, Les langages de l’amour, op. cit., p. 203.
- 48 Ibid., p. 98 ; Bernard de Gordon, La fleur de cyrurgie, op. cit., II, ch. 19.
- 49 Arnaud de Villeneuve, Tractatus de amore heroico, éd. Michael McVaugh, dans Opera medica omnia, Ba (...)
14Attribuant la maladie d’amour à la faculté estimative46, le médecin montpelliérain explique que le jugement de la raison se trouve alors induit en erreur47. Dans cette construction discursive d’un modèle de genre, le sens masculin par excellence – le discernement – se trouve atteint. Pour le moins la folie masculine se révèle-t-elle selon ce médecin par une altération de ce qui justement fait le masculin. Sans remède, les conséquences de la folie de l’homme amoureux sont lourdes. Elles peuvent s’aggraver à tel point que ce mal se transforme en manie chez le patient ou le mène à la mort48. Un autre traité médical du xiiie siècle, cette fois entièrement consacré à l’amour « héroïque », celui d’Arnaud de Villeneuve, décrit également l’amour entre un homme et une femme comme étant fou (amor furiosus). Proche de la furia, ce sentiment se développe avec une puissance qui soumet la raison. Le jugement – que fait perdre cet amour irrationnel – est altéré par la pensée obsessionnelle que l’être aimé accapare. L’esprit est enflammé par le plaisir lors de l’union sexuelle ou inspiré par le plaisir de ce qu’il souhaite ardemment obtenir49.
L’amour comme ravissement de l’esprit
- 50 « Debes igitur reminisci eorum quae incessanter experiris : vides quod amor quidam raptus est sicu (...)
- 51 Mary Frances Wack, Ibid., p. 180.
- 52 Ibid.
- 53 Voir citation supra : Guillaume d’Auvergne, De anima, op. cit., p. 192.
15Faisant écho aux médecins sur ce point, deux éminents théologiens du xiiie siècle, Guillaume d’Auxerre et Guillaume d’Auvergne, décrivent l’amor morbus comme une affection violente et intense, rendant fous (furiosi) les hommes qui y sont en proie50. Cet amour, qui doit être soigné par un traitement médical selon Guillaume d’Auxerre, est pensé au masculin dans ces deux descriptions. Celles-ci associent explicitement l’être aimé à une femme51. Se parant d’une nouvelle dimension, la maladie d’amour s’apparente à un ravissement mystique (raptus) sous la plume de Guillaume d’Auvergne52. En effet, selon ce dernier, celui qui aime est « ravi » par les sentiments passionnés qu’il éprouve53. Ce mal se rapprocherait alors d’une forme de « folie » positive, dans la mesure où l’esprit est accaparé par une autre réalité – l’être aimé dans le cas de la maladie d’amour et une vision divine dans le cas du ravissement – et s’abstrait des sens extérieurs.
- 54 Ibid.
- 55 Jean-Marie Fritz, Le discours du fou, op. cit., p. 18.
- 56 Ibid.
- 57 Voir par exemple sur la vision de saint Benoît : Françoise Monfrin, « Voir le monde dans la lumièr (...)
16Guillaume d’Auvergne souligne toutefois la différence existant entre une telle expérience spirituelle, le raptus qui illumine l’esprit, et cet amour qui est une furor et une folie très grave (alienatio mentis gravissima)54. L’expression « éloignement de l’esprit55 » (alienatio mentis) souligne de manière explicite la folie, le fait de s’éloigner de sa raison, de devenir étranger à soi-même56. Si cette abstraction de soi est dépeinte de manière néfaste pour l’homme habité par un amour terrestre, elle est hautement valorisée lorsque cet éloignement spirituel se fait sous l’impulsion de l’amour divin. Communication privilégiée avec Dieu, le ravissement mystique – en tant qu’expérience spirituelle – est en effet attribué à des hommes et à des femmes d’exception dans d’autres sources théologiques et hagiographiques57.
- 58 Danielle Jacquart, « La maladie et le remède d’amour », art. cit., p. 99 ; Joan Cadden, Meanings o (...)
17Par ses capacités spirituelles témoignant de sa ressemblance à Dieu, l’homme incarne la possibilité d’atteindre cette communication privilégiée avec le Créateur. Au sein du modèle de masculinité idéale construit par le discours théologique et médical, ravissement mystique et folie sont en opposition. Si l’un exalte les potentialités extraordinaires que recèle l’esprit masculin, l’autre fait apparaître les conséquences néfastes de son désir charnel. Dans les traités médicaux, la maladie d’amour est liée à une sexualité inassouvie, présentant des dangers pour la santé mentale et physique58. Sur ce point, médecine et théologie divergent, la deuxième érigeant la virginité et la continence absolue comme le statut le plus haut parmi les humains, celui des moines et des saints. En effet, les théologiens reconnaissent les méfaits de l’amour terrestre et du désir, tandis qu’ils cherchent à guider les hommes laïcs vers les réalités immatérielles.
- 59 Vincent de Beauvais, Speculum naturale, op. cit., XXVI, 2, c. 1842.
- 60 Voir la notice « Amentia » dans Albert Blaise, Dictionnaire latin-français, op. cit. : « extase, r (...)
- 61 Thomas d’Aquin élabore ce rapprochement en s’appuyant sur la Bible. Voir les explications à ce suj (...)
- 62 Vincent de Beauvais, Speculum naturale, op. cit., XXVI, 2, c. 1842. Cette réflexion intervient au (...)
- 63 Les symptômes attribués à l’épilepsie sont les mêmes que ceux associés aux possessions démoniaques (...)
- 64 Jean-Marie Fritz, Le discours du fou, op. cit, p. 132.
- 65 Ibid., p. 130-132. À propos de ce sujet complexe qui dépasse le cadre de notre propos, nous renvoy (...)
18En s’appuyant sur Aristote, le Speculum naturale de Vincent de Beauvais établit de même un rapprochement entre les mécanismes de la folie, l’amentia, évoquant une absence de raison, et le ravissement mystique (raptus)59. D’ailleurs, le terme amentia peut également se traduire par une extase ou un ravissement mystique (raptus) au sein des textes théologiques60. Cet état se rapproche aussi de l’excessus mentis, évoquant à la fois la folie dans le contexte médical et une extase ou un ravissement mystique dans le contexte théologique, par exemple chez Thomas d’Aquin61. Le Speculum naturale associe de plus les diverses sortes d’amentia à l’épilepsie et à la léthargie62. L’épilepsie correspond à une perte de raison sous l’emprise du démon63, tandis que la folie est comprise comme une léthargie, un oubli, une perte de la mémoire. Bien que différents, ces états – folie, ravissement mystique, épilepsie ou encore léthargie – se caractérisent dans ce chapitre par une fermeture des sens corporels au profit d’une activité de l’esprit et d’un mouvement d’intériorisation de l’âme. Dans les traités médicaux, la folie, dans ses différentes déclinaisons, est une maladie de la tête, localisée dans le cerveau64. Étant donné que l’activité principale de ce dernier consiste à conserver des « traces », à l’aide du discernement, la mémoire y occupe une place de première importance selon les médecins, à côté de la raison, centrale également65. L’amentia porte ainsi atteinte aux capacités essentielles de cet organe, d’autant plus lorsqu’il s’agit des hommes, chez qui ces dispositions seraient exacerbées. Elle met à mal les facultés masculines fondatrices de la différence des sexes dans ce discours. En allant à l’encontre de la construction de la masculinité, tant mentale que physiologique, la perte de la capacité de discernement est probablement la raison pour laquelle les avertissements formulés à destination des hommes au sujet de la folie, notamment par amour, se font si vigoureux et ne se trouvent pas évoqués de manière aussi évidente envers les femmes.
La folie amoureuse : un sermon aux hommes
- 66 À propos des sermons ad status de cet auteur, voir Jean Longère, « Les chanoines réguliers d’après (...)
19La passion déraisonnable est érigée en contre-exemple au sein de l’éducation sentimentale dont bénéficient les hommes laïcs par le biais de la matière homilétique. Dans la deuxième moitié du xiiie siècle, le franciscain Guibert de Tournai adresse un sermon modèle de sa collection ad status aux époux (ad coniugatos), davantage destiné aux hommes66. Il leur donne les exemples malheureux de deux maris trop épris : Adam et Hérode. Ces deux figures bibliques sont employées par le prédicateur afin de mettre en évidence les dangers de l’amour, menant à des actes déraisonnables et à des péchés aussi graves que celui de la chute.
- 67 « Sic Adam, ex nimio amore uxoris sue quam nolebat contristare, creatorem suum offendit, et precep (...)
- 68 « Unde Aristoteles et Seneca in libris de matrimonio : “Amor”, inquiunt, “forme rationis oblivio e (...)
- 69 Anne-Lydie Dubois, « Créer et recréer l’identité masculine », art. cit.
- 70 « Excessus habet amentiam. [I Esdr. 4, 25-26] : Diligit homo uxorem magis quam patrem et multi dem (...)
20En raison d’un excès d’amour envers son épouse (ex nimio amore uxoris), Adam aurait ainsi offensé le Créateur en mangeant du fruit défendu afin de ne pas attrister Ève67. Attribuer le péché originel à l’amour éprouvé pour une femme est un argument dissuasif de poids envers cet affect masculin. Les conséquences de ce trop-plein d’affection ne sont rien de moins que le bannissement du paradis, l’éloignement irrémédiable de Dieu et la perte définitive du statut d’innocence pour l’ensemble de l’humanité. Guibert de Tournai cite ensuite Sénèque et Aristote, deux autorités, afin d’affirmer que l’amour (amor) s’assimile à « une sorte d’oubli de la raison, proche de la démence68 », inadapté aux hommes sages. Les actes insensés provoqués par l’amour sont contraires à Dieu et à la raison masculine, réprimée par amour envers Ève. La faute est d’autant plus grave qu’Adam est doté de cette faculté dès sa création et que celle-ci constitue l’élément central de la masculinité idéale des origines69. Un argument d’une grande force est ici mis en avant, puisque l’amour de l’épouse et celui envers Dieu sont mis en opposition. Le prédicateur met en garde les hommes laïcs contre l’amour excessif qui mène à la privation de raison, en évoquant l’amentia et la démence70.
- 71 « Hic est exemplum de Herode qui interfecit Mariannem coniugem suam ex nimio amore quem habebat ad (...)
- 72 « Amens factus est ita ut defunctam eam non crederet, et in excessu mentis positus quasi viventem (...)
- 73 Anne-Lydie Dubois, Former la masculinité, op. cit., p. 398.
21Un autre exemple de mari insensé est mobilisé à des fins d’enseignement envers les hommes, celui d’Hérode. Guibert de Tournai explique par l’excès d’amour (ex nimio amore) de ce mari l’assassinat de sa femme71. Une fois le meurtre accompli, la folie de ce personnage biblique se manifeste par son refus de croire sa femme morte. Perdant la raison, il continue en effet à s’adresser à son cadavre, tant il est affecté par le chagrin que provoque son décès72. Cet accès de folie, qualifié d’excessus mentis chez Hérode, se manifeste par des actes insensés. Invoqué à la suite de l’exemple d’Adam, le récit de ce roi met d’autant plus en évidence l’absurdité du péché du premier homme73. Ce sermon-modèle donne ainsi à voir à ses potentiels auditeurs les dérives de l’amour démesuré, à dessein de modifier les comportements au quotidien et de former les affects masculins.
Folie et jalousie masculines
- 74 « Multi virorum in hoc videntur delinquere, quia circa uxores proprias sunt nimis zelotypi », Gill (...)
- 75 Ibid., p. 282.
22Dans la continuité de la folie qu’entraîne l’amour, la jalousie est désignée comme une conséquence déraisonnable de ce sentiment. Le discours naturaliste associe étroitement la jalousie au comportement masculin. Le traité de Gilles de Rome a presque exclusivement recours à Aristote et à la philosophie naturelle pour expliquer certains phénomènes et prodiguer des conseils de comportement aux hommes laïcs. L’auteur consacre un chapitre entier à mettre en garde les hommes (viri) contre la jalousie, en énumérant les mauvais agissements des maris jaloux74. En décalage avec la réalité, l’esprit jaloux manque de raison et de discernement selon Gilles de Rome. L’homme est alors exhorté à ne pas aimer son épouse avec excès, mais à être empreint d’une « ferveur honorable » (zelus ornatus) envers elle75.
- 76 « Sunt igitur viri foeminis calidiores et sicciores, viribus fortiores, animosiores, ingeniosiores (...)
- 77 Heater Webb, The Medieval Heart, New Heaven, Yale University Press, 2010, p. 98-112 ; Il cuore/The (...)
- 78 Le grand propriétaire de toutes choses […], trad. Jean Corbechon [1372], éd. Jean Longis, Paris, 1 (...)
23Dans son chapitre « De masculo », Barthélemy l’Anglais tisse également un lien étroit entre jalousie et identité de genre, puisque cet affect appartient à la définition de l’homme76. Puisqu’ils sont dotés d'un cœur plus grand que les femmes, et que cet organe est donc capable de produire chez eux plus de sang et de chaleur77, les hommes sont caractérisés par un ensemble de traits physiologiques se rapportant à cette qualité. La chaleur est la raison avancée ici de l’inclination masculine par nature pour les sentiments violents. Dans ce discours naturaliste, la masculinité se révèle par l’amour et la jalousie. En 1372, le traducteur de cette encyclopédie, Jean Corbechon, ajoute que les hommes sont « plains d’amour » avant d’évoquer leur grande jalousie78. Tout en dénonçant les dangers de ce sentiment, cette expression permet de souligner la capacité masculine plus forte à aimer, spécificité de cette identité de genre et marqueur de la différence des sexes.
- 79 Par exemple chez Gilles de Rome, De regimine principum, op. cit., II, part. 1, ch. 24, p. 284-285.
- 80 Ce modèle binaire des genres n’est bien entendu pas le seul. Il existe d’autres modèles, comme le (...)
24L’idée selon laquelle les femmes sont concupiscentes et poursuivent leurs passions est un lieu commun largement répandu parmi les clercs79. À l’inverse, l’identité sexuée des hommes se caractérise par leur capacité de maîtrise et une grande stabilité dans leurs émotions. Ce rapport d’opposition est au cœur de la construction de la différence des sexes et des réflexions anthropologiques de cette période80. Pourtant, les sentiments excessifs occupent une grande part des avertissements adressés aux hommes, alors qu’ils devraient être à même de les maîtriser. En s’appuyant sur les caractéristiques propres aux hommes, notamment la chaleur, le discours médical fait des grands sentiments amoureux et des actes excessifs une disposition masculine. La raison d’être de ces mises en garde se situe alors certainement dans la menace que la folie représente pour l’identité masculine. Dans le discours médical et éducatif exploré, la perte des facultés intellectuelles va à l’encontre du comportement masculin auquel dispose la physiologie. L’essence même de ce qui définit le sexe de l’homme et fonde sa supériorité se trouve ainsi mise en péril par des actes déraisonnables. L’esprit tourmenté par l’amour est décrit comme inapte au discernement, détournant les fonctions masculines au profit d’une préoccupation terrestre. La menace de l’amentia, de la folie ou de la jalousie met d’autant plus en évidence l’importance de la raison dans cette construction de genre que cette faculté constitue le socle principal de la masculinité. Malgré les dangers qu’il comporte, l’amour n’est pas pour autant banni du comportement masculin préconisé. Mesuré, il est au contraire une composante primordiale de l’identité masculine élaborée par le discours clérical. En tant que contre-exemple ou portrait en creux, la folie est alors révélatrice de la construction de l’identité masculine, à la confluence des discours médical et éducatif.
Notes
1 Parmi de nombreuses autres études, voir notamment : Anne-Marie Sohn (dir.), Une histoire sans les hommes est-elle possible ? Genre et masculinités, Lyon, Éditions de l’École nationale supérieure, 2014 ; Didier Lett, Hommes et femmes au Moyen Âge. Histoire du genre xiie-xve siècle, Paris, Armand Colin, 2013 ; Ruth Mazo Karras, From Boys to Men: Formations of Masculinity in Late Medieval Europe, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2003.
2 Nous n’utilisons pas le terme de virilité, mais lui préférons celui de masculinité en accord avec l’historiographie. Si la virilité entretient des rapports étroits avec la masculinité, elle désigne toutefois une partie plus restreinte de cette dernière. Le terme plus englobant de masculinité permet de saisir ce concept dans ses implications historiques plus larges. Voir Anne-Marie Sohn, « Introduction. Les hommes ont-ils une histoire ? », dans Une histoire sans les hommes est-elle possible ?, op. cit., p. 30-31 ; Christopher Fletcher, « “Être un homme” : manhood et histoire politique du Moyen Âge. Quelques réflexions sur le changement et la longue durée », dans Ibid., p. 47-68.
3 À ce propos, nous renvoyons à Anne-Lydie Dubois, Former la masculinité. Éducation, pastorale mendiante et exégèse au xiiie siècle, Turnhout, Brepols, 2022.
4 Notre traduction. Ruth Mazo Karras, From Boys to Men, op. cit., p. 3.
5 « Qui igitur libidines vincunt et virtuosis operibus se exercent et moribus seipsos exornant et ordinate vires inferiores et carnales appetitus regunt et rationi subiiciunt : perfecti viri sunt », Jean de Galles, Communiloquium, Strasbourg, 1489, III, dist. 1, ch. 1 (sans foliotation).
6 Jacqueline Murray, « Hiding Behind the Universal Man: Male Sexuality in the Middle Ages », dans Vern Bullough et James Brundage (dir.), Handbook of Medieval Sexuality, Londres, Garland, 2010, p. 125 ; Christiane Klapisch-Zuber, « Masculin/féminin », dans Jacques Le Goff et Jean-Claude Schmitt (dir.), Dictionnaire raisonné de l’Occident médiéval, Paris, Fayard, 1999, p. 655-668.
7 « Primo ergo foeminae cum possunt ut plurimum sunt intemperatae et passionum insecutrices. Nam quia in eis ratio deficit, non sic habent ut retrahantur a concupiscentiis, sicut vir qui est ratione praestantior », Gilles de Rome, De regimine principum, Rome, H. Samaritanius, 1607, II, part. 1, ch. 18, p. 272 ; « Illi ergo in quibus minus viget ratio (secundum quod huiusmodi sunt) magis inclinantur, ut sint passionum insecutores : pueri et mulieres (quantum est de se) magis videntur esse insecutores passionum quam viri, quia vir est praestantior ratione », Ibid., ch. 13, p. 258.
8 Joan Cadden, Meanings of Sex Difference in the Middle Ages: Medicine, Science and Culture, Cambridge, Cambridge University Press, 1993, p. 181-185.
9 Voir Danielle Jacquart et Françoise Micheau, La médecine arabe et l’Occident médiéval, Paris, Larose, 1990.
10 Benoît Beyer de Ryke, « Le miroir du monde : un parcours dans l’encyclopédisme médiéval », Revue belge de philologie et d’histoire, vol. 81, no 4, 2003, p. 1258.
11 À propos de ces deux auteurs, voir Anne-Lydie Dubois, Former la masculinité, op. cit., p. 52-54.
12 Arnaud de Villeneuve naît à Valence et étudie la médecine ainsi que la théologie à Montpellier : voir Tiziana Suarez-Nani, « Arnaud de Villeneuve », dans Dictionnaire de philosophie, Presses universitaires de France, 2002, p. 88. À propos de ces trois médecins, nous nous limitons à renvoyer à cet article, ainsi qu’à Adeline Sanchez, « De la Fleur de lis en médecine à la Fleur de cyrurgie : une stratégie éditoriale ? », dans Dominique Briquel (dir.), Écriture et transmission des savoirs de l’Antiquité à nos jours, Paris, Éditions du CTHS, 2020, disponible en ligne : https://0-books-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cths/8121?lang=fr (consulté le 4 décembre 2023) ; Luke E. Demaître, Doctor Bernard de Gordon. Professor and Practitioner, Toronto, Pontifical Institute of Mediaeval Studies, 1980 ; Danielle Jacquart, « Le regard d’un médecin sur son temps : Jacques Despars (1380 ?-1458) », Bibliothèque de l’École des chartes, vol. 138, no 1, 1980, p. 35-86.
13 Le terme vir est entendu dans ce chapitre au sens de « mari », qui est l’une des acceptions de ce mot. Voir la définition de vir dans Ronald Latham, David Howlett (dir.), Dictionary of Medieval Latin from British Sources, Oxford, Oxford University Press, 1975-2013, 3 vol. Voir la note 2 à propos de la distinction entre masculinité et virilité.
14 « Unde vir praecedit foeminam etiam ratione intellectusque perspicuitate », Barthélemy l’Anglais, De proprietatibus rerum, Francfort, éd. Wolfgang Richter, 1601, VI, 12, p. 244-245.
15 « Mulierum autem mores ut plurimum quasi mores iuvenum sunt et puerorum, quodammodo enim sic se videntur habere foeminae ad mares, sicut se habent pueri existentes in aetate imperfecta ad homines existentes in aetate perfecta. Nam secundum eundem philosophum in politi. mares plus vigent ratione quam foeminae. Est enim foemina quasi masculus occasionatus et quasi vir incompletus », Gilles de Rome, De regimine principum, II, part. 1, ch. 18, op. cit., p. 269 ; Aristote, De generatione animalium, II, 3, 737, De animalibus, 16 (Aristote, De animalibus. Michael Scot’s Arabic-Latin Translation, vol. 3, Books XV-XIX : Generation of animals, éd. A. van Oppenraaij, Leyde, Brill, 1992, p. 76).
16 Voir note 7.
17 Laurence Moulinier-Brogi, « La pomme d’Ève et le corps d’Adam », dans Agostino Paravicini Bagliani (dir.), Adam, le premier homme, Florence, Sismel Edizioni del Galluzo, 2012, p. 135-158 ; Anne-Lydie Dubois, « Créer et recréer l’identité masculine : Adam et l’idéal du “devenir homme” au xiiie siècle », dans Florian Besson, Viviane Griveau-Genest et Julie Pilorget (dir.), Créer : créateurs, créations, créatures au Moyen Âge, Paris, Sorbonne Université Presses, 2019, p. 75-92.
18 Nous traitons abondamment de cette question dans Former la masculinité, op. cit. Parmi de nombreux autres exemples, voir : « Homo superior et dignior erat, etiam ante peccatum, quam mulier, quia nobilior corpore, et firmior mente. Unde dicit Philosophus quod mulier est [m]as occasionatus », Henri de Gand, Lectura ordinaria super Sacram Scripturam, éd. R. Macken, Louvain/Paris, Presses universitaires de Louvain/Béatrice-Nauwelaerts, 1972, p. 249.
19 Voir notamment Muriel Laharie, La folie au Moyen Âge. xie-xiiie siècles, Paris, Le Léopard d’Or, 1991 ; Jean-Marie Fritz, Le discours du fou au Moyen Âge. xiie-xiiie siècles, Paris, Presses universitaires de France, 1992.
20 Voir Jean-Marie Fritz, Le discours du fou, op. cit., p. 18 ; Muriel Laharie, La folie au Moyen Âge, op. cit.
21 Bernard de Gordon, La fleur de cyrurgie, Paris, 1504, II ; Jacques Despars, Commentaire au Canon d’Avicenne, Lyon, Johannes Trechsel, 1498, III, fen. 1, tract. 4. Concernant Bernard de Gordon, voir Luke E. Demaître, Doctor Bernard de Gordon, op. cit., p. 70. Sur Jacques Despars : Danielle Jacquart, « Le regard d’un médecin sur son temps », art. cit., p. 35-86.
22 Jean-Marie Fritz, Le discours du fou, op. cit., p. 128.
23 Anne-Lydie Dubois, Former la masculinité, op. cit.
24 Noëlle-Laetitia Perret, Les traductions françaises du De regimine principum de Gilles de Rome. Parcours matériel, culturel et intellectuel d’un discours sur l’éducation, Leyde, Brill, 2011 ; Anne-Lydie Dubois, Former la masculinité, op. cit., p. 44-46.
25 La deuxième phrase concerne spécifiquement les hommes : « Nam inter uxorem et virum debet esse amor magnus, quia inter eos (ut probatur 8 Ethicorum) est amicitia excellens et naturalis. Sed cum excellens amor non possit esse ad plures, ut vult Philosophus 9 Ethicor., indecens est quoscunque cives plures habere uxores, quia eas non tanta amicitia diligerent, quanta inter coniuges esse debet maxime » : Gilles de Rome, De regimine principum, II, part. 1, ch. 9, op. cit., p. 244. Voir Bénédicte Sère, Penser l’amitié au Moyen Âge. Étude historique des commentaires sur les livres VIII et IX de l’Éthique à Nicomaque (xiiie-xve siècle), Turnhout, Brepols, 2007, p. 15 ; Anne-Lydie Dubois, Former la masculinité, op. cit., p. 388-391. À propos de l’amitié dans son sens médiéval, voir Ibid. ; la notice « amitié » dans Rudi Imbach et Iñigo Atucha, Amours plurielles. Doctrines médiévales du rapport amoureux de Bernard de Clairvaux à Boccace, Paris, Le Seuil, 2006, p. 293-296 ; Damien Boquet, « Faire l’amitié au Moyen Âge », Critique, no 716-717, 2007, p. 102-113.
26 Voir la rubrique « Passions de l’âme » dans Rudi Imbach, Amours plurielles, op. cit., p. 303-306 ; Barbara Rosenwein, Generations of Feeling. A History of Emotions, 6001700, Cambridge, Cambridge University Press, 2015, p. 157-162.
27 Vincent de Beauvais, Speculum quadruplex sive Speculum maius, Graz, Akademische Druck-und Verlagsanstalt, 1964-1965, 4 vol. (fac-similé de l’édition des Bénédictins de Douai de 1624), Speculum doctrinale, VI, 7, c. 485 en citant saint Jérôme. Voir Carla Casagrande et Silvana Vecchio, Histoire des péchés capitaux, Paris, Aubier, 2003, p. 256 ; Massimo Ciavolella, La « malattia d’amore » dall’Antichità al Medioevo, Rome, Bulzoni, 1976 ; Mary Frances Wack, « The Measure of Pleasure : Peter of Spain on Men, Women, and Lovesickness », Viator, vol. 17, 1986, p. 173-196 ; Mary Frances Wack, Lovesickness in the Middle Ages. The Viaticum and Its Commentaries, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 1990.
28 Voir la notice « Furor » dans Albert Blaise, Dictionnaire latin-français des auteurs chrétiens, Turnhout, Brepols, 1954 et Ronald Latham et David Howlett (dir.), Dictionary of Medieval Latin from British Sources, Oxford, Oxford University Press, 1975-2013, 3 vol.
29 Voir Thomas Tentler, Sin and Confession on the Eve of the Reformation, Princeton, Princeton University Press, 1977, p. 174 ; Charles Baladier, Érôs au Moyen Âge. Amour, désir et délectation morose, Paris, Le Cerf, 1999, p. 123 ; Anne-Lydie Dubois, Former la masculinité, op. cit., p. 325-330.
30 Voir la notice « Insaniare » dans Ronald Latham et David Howlett (dir.), Dictionary of Medieval Latin, op. cit.
31 Vincent de Beauvais, Speculum doctrinale, XIV, ch. 59, c. 1319. Voir Jean-Marie Fritz, Le discours du fou, op. cit., p. 128-129 ; Aurélien Robert, « Amour, imagination et poésie dans l’œuvre médicale de Gentile da Foligno », dans Gaia Gubbini (dir.), Body and Spirit in the Middle Ages. Literature, Philosophy, Medicine, Berlin, De Gruyter, 2020, p. 175-176.
32 Danielle Jacquart, « La maladie et le remède d’amour dans quelques écrits médicaux du Moyen Âge », dans Danielle Buschinger et André Crépin (dir.), Amour, mariage et transgressions au Moyen Âge, Göppingen, Kümmerle Verlag, 1984, p. 93 ; Mary Frances Wack, Lovesickness, op. cit.
33 À propos des noms de cette maladie, voir les explications de Danielle Jacquart et Claude Thomasset, « L’amour “héroïque” à travers le traité d’Arnaud de Villeneuve », dans Jean Céard (dir.), La folie et le corps, Paris, Éditions Rue d’Ulm [Presses de l’ENS], 1985, p. 150-154.
34 Ibid, p. 93-95.
35 Mary Frances Wack, Lovesickness, op. cit. ; Id., « The Measure of Pleasure », p. 173-196.
36 À propos du lien entre masculinité et folie dans un autre type de sources, la littérature, voir Jean-Marie Fritz, Le discours du fou, op. cit., ch. 4 : « Un discours au masculin singulier », p. 87-109.
37 Mary Frances Wack, « The Measure of Pleasure », art. cit., p. 179.
38 Dans sa Glosule super viaticum. Voir Mary Frances Wack, Ibid., p. 178 ; Danielle Jacquart, « La maladie et le remède d’amour », art. cit., p. 94 ; Danielle Jacquart et Claude Thomasset, « L’amour “héroïque” », art. cit., p. 158. Le Canon d’Avicenne inspire également ce propos. Le fait que ces textes soient destinés à un public cultivé, par définition davantage masculin, n’explique pas la raison de ce changement de genre attribué à la maladie d’amour. Cette dernière n’était en effet pas spécifiquement masculine dans le même genre de textes antérieurs au commentaire de Girardus Bituricensis.
39 Voir Mary Frances Wack, « The Measure of Pleasure », art. cit., p. 178-179 ; Bernard de Gordon, La fleur de cyrurgie, Paris, 1504, II, ch. 19 sans foliotation ; Jacques Despars, Commentaire au Canon d’Avicenne, Lyon, Johannes Trechsel, 1498, III, fen. 1, tract. 4, ch. 23, fol. Niii. Jacques Despars met en évidence la propension des hommes de la noblesse à contracter cette maladie, tout comme Girardus Bituricencis et Arnaud de Villeneuve. Voir Aurélien Robert, « Amour, imagination et poésie… », art. cit., p. 175-176.
40 « Item est a noter que ceste maladie vient plus souvent aux hommes quil ne fait aux femmes pource que les hommes sont plus chaulx et universellement les femmes sont plus froides », Bernard de Gordon, La fleur de cyrurgie, op. cit., II, ch. 19. À propos de cette traduction du Lilium medicinae, voir Adeline Sanchez, « De la Fleur de lis en médecine à la Fleur de cyrurgie : une stratégie éditoriale ? », art. cit.
41 Maaike van der Lugt, « L’autorité morale et normative de la nature au Moyen Âge : essai comparatif et introduction », dans Maaike van der Lugt (dir.), La nature comme source de la morale au Moyen Âge, Florence, Sismel Edizioni del Galluzo, 2014, p. 3-40.
42 Bernard de Gordon, La fleur de cyrurgie, op. cit., II, ch. 19. « Sollicitudo melancolica » dans la version latine : Lilium medicinae, éd. Antonius Lambillon et Marinus Saracenus, 1491, livre II, ch. 20 (« De amore quod hereos dicitur »), sans foliotation.
43 « Le moyen de raison est tant corrumpu que continuellement il a sa pensee a la femme », Bernard de Gordon, La fleur de cyrurgie, op. cit., II, ch. 19.
44 Bernard de Gordon, La fleur de cyrurgie, op. cit., livre II, ch. 19 ; « movetur totum corpus spreto ordine rationis », Lilium medicinae, op. cit., II, ch. 20.
45 « Amor est mentis insania, quia animus vagatur per inaniam crebris doloribus permiscens pauca gaudia », Bernard de Gordon, La fleur de cyrurgie, op. cit., II, ch. 19 ; Danielle Jacquart, « La maladie et le remède d’amour », art. cit., p. 96.
46 Danielle Jacquart, « La maladie et le remède d’amour », art. cit., p. 96. Voir aussi John Baldwin, Les langages de l’amour dans la France de Philippe Auguste : la sexualité dans la France du Nord au tournant du xiie siècle, trad. de l’anglais par Béatrice Bonne, Paris, Fayard, 1994, p. 201-205.
47 John Baldwin, Les langages de l’amour, op. cit., p. 203.
48 Ibid., p. 98 ; Bernard de Gordon, La fleur de cyrurgie, op. cit., II, ch. 19.
49 Arnaud de Villeneuve, Tractatus de amore heroico, éd. Michael McVaugh, dans Opera medica omnia, Barcelone, 1985, t. 3, p. 47. Voir Danielle Jacquart et Claude Thomasset, « L’amour “héroïque” », art. cit., p. 143-158. Voir Aurélien Robert à propos de la furor dans le commentaire du Canon d’Avicenne de Gentile da Foligno (xive siècle) sur la maladie d’amour : « Amour, imagination et poésie », art. cit.
50 « Debes igitur reminisci eorum quae incessanter experiris : vides quod amor quidam raptus est sicut ille qui dicitur, morbus eros, qui et morbus vehementissimus est, quo qui amat adeo raptus est ut praeter mulierem quam sic amat aliud cogitare difficile permittatur », Guillaume d’Auvergne, « De anima », dans Opera omnia, Paris, Aureliae, ex typographia F. Hotot, 1674, t. 2, 33, p. 192. « Item amor morbus quidam est aliquis enim ardenter adeo diligit aliquam mulierem quod languescit et tabescit : multi etiam ex huiusmodi amore furiosi sunt quando non possunt habere quod amant: et morbus iste habet curam in medicine et dieta », Guillaume d’Auxerre, Summa aurea, éd. Jean Ribaillier, Paris, CNRS Éditions, 1985, IV, tract. 18, ch. 3, p. 507. Voir Mary Frances Wack, « The Measure of Pleasure », art. cit., p. 180.
51 Mary Frances Wack, Ibid., p. 180.
52 Ibid.
53 Voir citation supra : Guillaume d’Auvergne, De anima, op. cit., p. 192.
54 Ibid.
55 Jean-Marie Fritz, Le discours du fou, op. cit., p. 18.
56 Ibid.
57 Voir par exemple sur la vision de saint Benoît : Françoise Monfrin, « Voir le monde dans la lumière de Dieu. À propos de Grégoire le Grand, Dialogues, II, 35 », dans Les fonctions des saints dans le monde occidental (iiie-xiiie siècle), Rome, École française de Rome, 1991, p. 37-49 ; Pierre Courcelle, « La vision cosmique de saint Benoît », Revue d’études augustiniennes et patristiques, vol. 13, no 1-2, 1967, p. 97-117 ; J.-P. Müller, « La vision de saint Benoît dans l’interprétation des théologiens scolastiques », dans Mélanges bénédictins publiés à l’occasion du XIVe centenaire de la mort de saint Benoît par les moines de l’abbaye de Saint-Jérôme de Rome, Saint-Wandrille, Fontanelle, 1947, p. 145-201.
58 Danielle Jacquart, « La maladie et le remède d’amour », art. cit., p. 99 ; Joan Cadden, Meanings of Sex Difference, op. cit., p. 272.
59 Vincent de Beauvais, Speculum naturale, op. cit., XXVI, 2, c. 1842.
60 Voir la notice « Amentia » dans Albert Blaise, Dictionnaire latin-français, op. cit. : « extase, ravissement (hors des sens) ».
61 Thomas d’Aquin élabore ce rapprochement en s’appuyant sur la Bible. Voir les explications à ce sujet dans Barbara Faes, « Interpretazioni tardo-antiche e medievali del sopore di Adamo », dans Agostino Paravicini Bagliani (dir.), Adam, le premier homme, op. cit., p. 42-46.
62 Vincent de Beauvais, Speculum naturale, op. cit., XXVI, 2, c. 1842. Cette réflexion intervient au sein d’un chapitre traitant du sommeil.
63 Les symptômes attribués à l’épilepsie sont les mêmes que ceux associés aux possessions démoniaques. Jean-Marie Fritz, Le discours du fou, op. cit., p. 209-212. Au sujet du lien entre folie, possession et épilepsie : Muriel Laharie, La folie au Moyen Âge, op. cit., p. 25-51 ; Aristidis Diamantis, Kalliopi Sidiropoulou et Emmanouil Magiorkinis, « Epilepsy during the Middle Ages, the Renaissance and the Enlightenment », Journal of Neurology, vol. 257, no 5, 2010, p. 691-698. Voir également, comme titre de référence sur l’épilepsie, Owsei Temkin, The Falling Sickness. A History of Epilepsy from the Greeks to the Beginnings of Modern Neurology, Baltimore, Johns Hopkins Press, 1945 (et plus particulièrement concernant l’époque médiévale, p. 81-133).
64 Jean-Marie Fritz, Le discours du fou, op. cit, p. 132.
65 Ibid., p. 130-132. À propos de ce sujet complexe qui dépasse le cadre de notre propos, nous renvoyons à cet ouvrage et à sa bibliographie.
66 À propos des sermons ad status de cet auteur, voir Jean Longère, « Les chanoines réguliers d’après trois prédicateurs du xiiie siècle : Jacques de Vitry, Guibert de Tournai, Humbert de Romans », dans Cahiers de Fanjeaux, no 24, Le monde des chanoines (xie-xiv e s.), Toulouse, Privat, 1988, p. 257-283 ; Anne-Lydie Dubois, Former la masculinité, op. cit., p. 46-48. Au sujet de l’auditoire de ce sermon, nous renvoyons à Ibid., p. 397.
67 « Sic Adam, ex nimio amore uxoris sue quam nolebat contristare, creatorem suum offendit, et preceptum suum transgressus est », Guibert de Tournai, RLS 248K dans Marjorie Burghart, Remploi textuel, invention et art de la mémoire : les Sermones ad status du franciscain Guibert de Tournai (1284), thèse de doctorat en histoire, Université Lumière Lyon 2, 2013, t. 2, p. 571. Nous employons la numérotation de Johannes Baptist Schneyer, Repertorium der lateinischen Sermones des Mittelalters, Münster, Aschendorff, 1969-1990, 11 vol. pour indiquer les sermons de Guibert de Tournai à partir de l’édition de Marjorie Burghart dans le t. 2 de sa thèse.
68 « Unde Aristoteles et Seneca in libris de matrimonio : “Amor”, inquiunt, “forme rationis oblivio est et insanie proximus et minime conveniens animo sapientium” », Guibert de Tournai, RLS 248K, p. 571 ; Anne-Lydie Dubois, Former la masculinité, op. cit., p. 398.
69 Anne-Lydie Dubois, « Créer et recréer l’identité masculine », art. cit.
70 « Excessus habet amentiam. [I Esdr. 4, 25-26] : Diligit homo uxorem magis quam patrem et multi dementes facti sunt propter uxores suas », Guibert de Tournai, RLS 248K, p. 571. Voir Muriel Laharie, La folie au Moyen Âge, op. cit., p. 70. Voir également le commentaire de la Genèse de Pierre de Jean Olieu : On Genesis, éd. David Flood, Franciscan Institute Publications, 2007, p. 148.
71 « Hic est exemplum de Herode qui interfecit Mariannem coniugem suam ex nimio amore quem habebat ad eam », Guibert de Tournai, RLS 248K, p. 571.
72 « Amens factus est ita ut defunctam eam non crederet, et in excessu mentis positus quasi viventem alloqueretur tantus erat affectus erga defunctam, sicut recitat Egesyppus », Ibid.
73 Anne-Lydie Dubois, Former la masculinité, op. cit., p. 398.
74 « Multi virorum in hoc videntur delinquere, quia circa uxores proprias sunt nimis zelotypi », Gilles de Rome, De regimine principum, op. cit., II, part. 1, ch. 22, p. 281.
75 Ibid., p. 282.
76 « Sunt igitur viri foeminis calidiores et sicciores, viribus fortiores, animosiores, ingeniosiores, constantiores, mulierum zelatores, unde animalia pugnant pro mulieribus suis, ut dicit Aristot. », Barthélemy l’Anglais, De proprietatibus rerum, op. cit., VI, 12, p. 245.
77 Heater Webb, The Medieval Heart, New Heaven, Yale University Press, 2010, p. 98-112 ; Il cuore/The heart, Florence, Sismel Edizioni del Galluzo, 2003 ; Anne-Lydie Dubois, Former la masculinité, op. cit., p. 147-152.
78 Le grand propriétaire de toutes choses […], trad. Jean Corbechon [1372], éd. Jean Longis, Paris, 1556, fol. 52r.
79 Par exemple chez Gilles de Rome, De regimine principum, op. cit., II, part. 1, ch. 24, p. 284-285.
80 Ce modèle binaire des genres n’est bien entendu pas le seul. Il existe d’autres modèles, comme le continuum mis en lumière par Jacqueline Murray : « One Flesh, Two Sexes, Three Genders ? », dans Lisa Bitel et Felice Lifshitz (dir.), Gender and Christianity in Medieval Europe. New Perspectives, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2008, p. 34-51.
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Anne-Lydie Dubois, « L’amour fou est le propre de l’homme. La folie masculine dans le discours des médecins et des clercs aux derniers siècles du Moyen Âge », Histoire, médecine et santé, 25 | 2024, 147-163.
Référence électronique
Anne-Lydie Dubois, « L’amour fou est le propre de l’homme. La folie masculine dans le discours des médecins et des clercs aux derniers siècles du Moyen Âge », Histoire, médecine et santé [En ligne], 25 | été 2024, mis en ligne le 01 juillet 2024, consulté le 23 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hms/8400 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/1217j
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