Quin Grégory et Bohuon Anaïs (dir.), L’exercice corporel du XVIIIe siècle à nos jours, de la thérapeutique à la performance
Quin Grégory et Bohuon Anaïs (dir.), L’exercice corporel du XVIIIe siècle à nos jours, de la thérapeutique à la performance, Paris, Éditions Glyphe, 2013, 244 p.
Texte intégral
1Cet ouvrage collectif traite d’un sujet peu investi par les historiens de la médecine, celui des relations entretenues par la médecine avec l’éducation physique et la gymnastique. Grégory Quin et Anaïs Bohuon, qui ont dirigé cet ouvrage, sont tous deux spécialistes de l’histoire des activités physiques et sportives et de leurs relations avec le milieu médical. Les neuf contributions de ce livre reviennent sur les représentations du corps, les mises en œuvre de pratiques et de techniques des exercices et le rapport parfois conflictuel entre gymnastique et médecine de la seconde moitié du XVIIIe siècle jusqu’à aujourd’hui.
2C’est effectivement dès le milieu du XVIIIe siècle que le corps n’est plus perçu comme une machine, tel que pensé par Descartes, mais considéré comme ayant un « rôle dans l’expression et dans l’organisation des idées intellectuelles et morales » (p. 45). Les exercices physiques, que les siècles précédents avaient pu délaisser, sont remis à l’honneur pour leur contribution au développement de facultés physiques, morales, intellectuelles et civiques. Des philosophes, des pédagogues et des médecins – depuis Jean-Jacques Rousseau et le pédagogue suisse Johann Heinrich Pestalozzi jusqu’au « médecin-éducateur » français Jean Verdier (voir son Cours d’éducation à l’usage des élèves destinés aux premières professions et aux grands emplois de l’État, Paris, 1777) – s’emparent des pratiques d’activités physiques spécifiques et en usage (marche, exercices, jeux etc.) pour développer l’être en son entier.
3L’ouvrage resitue dans un contexte étendu les activités physiques sur plusieurs siècles ; le lien entre médecine, éducation physique et gymnastique fournissant un fil conducteur entre les différents articles. Il permet de revenir plus précisément sur des figures emblématiques du développement de la gymnastique et de son usage en médecine, comme le médecin français Charles Londe (1795-1862), auteur de Gymnastique médicale ou l’exercice appliqué aux organes de l’homme, d’après les lois de la physiologie, de l’hygiène et de la thérapeutique (1821). Son investissement dans l’usage médical de la gymnastique fait l’objet d’un article entier (p. 19-40). Georges Cabanis (1757-1808), ou le colonel espagnol et gymnasiarque Francisco Amoros (1770-1848) qui contribua à l’introduction de la gymnastique en France sont également évoqués. Ces trois figures occupent une place importante dans l’ouvrage, précisément parce qu’ils symbolisent parfaitement les liens qui peuvent unir médecine et gymnastique, notamment en la faisant entrer dans la thérapie médicale. Des aspects peu connus du rapprochement entre médecine et exercices physiques sont aussi mis en évidence, tel que le développement de l’orthopédie au XIXe siècle se caractérisant par un « marché de l’entretien de la santé et du redressement du corps » (p. 83) et montrant l’attrait grandissant des médecins pour les nouvelles techniques de transformation corporelle. Non seulement des exercices physiques se développent pour redresser le corps, mais se multiplient les lits orthopédiques, les appareils à suspension, les corsets prenant en compte la constitution, la déformation corporelle, l’âge ou le sexe.
4En même temps que la gymnastique devient obligatoire à l’école, les garçons et les hommes ne sont pas les seuls concernés par les pratiques de mise en mouvement du corps. La fin du XIXe siècle s’occupe également de l’éducation du corps des filles et des femmes. Elles ne pourront en revanche pas bénéficier des mêmes exercices : les normes de féminité interdisent toute pratique trop brusque ou de compétition, domaines réservés au masculin. Pour elles, sont privilégiés entretien et soin du corps par une gymnastique raisonnée correspondant à leur constitution jugée plus faible et fragile (p. 207).
5La fin du XIXe siècle bouleverse également les pratiques et techniques à l’échelle internationale dans un climat de peur d’une dégénérescence physique, sociale et psychique des nations, comme le précisent les contributions de Taïeb El-Boujouffi, Jacques Monet et Grégory Quin (p. 108, 159, 161). Des disciplines en interrelation associant le médical et les activités physiques voient le jour, telles l’hydrothérapie, l’électrothérapie, la physiothérapie ou encore la gymnastique médicale. Certaines sont utilisées afin de prendre en charge des affections nerveuses et mentales non soignées jusqu’alors. Ces évolutions laissent apparaitre des oppositions entre médecins qui soignent en utilisant des procédés de gymnastique et gymnasiarques qui entretiennent le corps et ne sont ni habilités, ni compétents en médecine. La science se développe et se diversifie en congrès internationaux (d’hygiène générale, d’hygiène scolaire, d’éducation physique, etc.). Ces congrès, propices aux rencontres sociales et intellectuelles entre médecins, éducateurs et ingénieurs, bénéficient d’un appui et d’une présence politiques (maires, conseillers municipaux, représentant des gouvernements, etc.). Ils sont marqués par un « ethnocentrisme culturel » où une hégémonie européenne s’affirme sur les questions de santé (p. 161). Ce contexte de « politisation de la science » et de « biologisation de la politique » (p. 182), s’accentue durant l’entre-deux-guerres, laissant se développer sur fond d’eugénisme et de « régénération de la race » des expérimentations variées sur les corps pour en améliorer les performances et l’apparence (p. 182). Les médecins gagnant la confiance des gouvernants et des populations, se voient confier la formation des éducateurs et moniteurs, ainsi que le contrôle des corps dès le plus jeune âge, par des visites plus régulières. C’est bien sur cette nouvelle formation et ce contrôle renouvelé des corps que les médecins s’opposent toujours entre eux et à d’autres acteurs qui promeuvent les activités physiques et sportives. Des médecins « pro-sports » favorables aux exploits sportifs affrontent les conceptions des « anti-sports » défenseurs d’une médecine de l’Éducation physique, convaincus que le dépassement sportif ne peut rejoindre la « réserve médicale » (p. 191-192).
6Dans l’après Seconde Guerre mondiale s’épanouissent deux conceptions du corps. Il s’agit d’un côté de rechercher le bien-être global de la personne, défini par l’OMS en 1948, grâce aux exercices corporels. De l’autre, présente dès le début du XXe siècle, la course à la performance est renforcée par l’accroissement des compétitions sportives et du culte du dépassement de soi. Celle-ci favorise le dopage se voulant de plus en plus « naturel », notamment dans le cas des hormones sexuelles ; médecine et sport s’allient ainsi dans la « fabrique des corps » (p. 224). Les articles de Baptiste Viaud, Anaïs Bohuon et Eva Rodriguez démontrent justement le retour à un corps manipulable et manipulé et les relations parfois « malsaines » entre médecine et activités physiques et sportives, ne serait-ce que par l’usage des différents produits dopants durant la seconde moitié du XXe siècle.
7Cet ouvrage collectif ne consacre pas de chapitre spécifique au rôle des différentes catégories de médecins et aux variations de leurs conceptions par rapport aux pratiques physiques d’entretien, de soin, de redressement du corps : médecins de campagne, médecins militaires, etc. Cela aurait permis de mettre davantage en évidence les oppositions récurrentes parmi les professionnels des XIXe et XXe siècles. De même un chapitre aurait pu analyser davantage les convergences et divergences sur les conceptions de l’exercice corporel entre la médecine et les institutions publiques, militaires, scolaires, ou le monde du travail par exemple, entre la médecine et le domaine privé, les familles également. Les contributions des différents auteurs n’en sont pas moins particulièrement intéressantes et l’ouvrage passionnant. Il aurait bien sûr étant impossible de donner une vision exhaustive de l’histoire des exercices corporels, tant il reste de terrains à explorer et de liens à expliciter entre éducation physique, exercices corporels et médecine.
Pour citer cet article
Référence papier
Séverine Parayre, « Quin Grégory et Bohuon Anaïs (dir.), L’exercice corporel du XVIIIe siècle à nos jours, de la thérapeutique à la performance », Histoire, médecine et santé, 7 | 2015, 130-132.
Référence électronique
Séverine Parayre, « Quin Grégory et Bohuon Anaïs (dir.), L’exercice corporel du XVIIIe siècle à nos jours, de la thérapeutique à la performance », Histoire, médecine et santé [En ligne], 7 | printemps 2015, mis en ligne le 29 mai 2017, consulté le 19 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hms/831 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/hms.831
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