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Fabriquer les masculinités

Masculinités honorées ou brisées. L’expertise médicale des blessures de guerre comme révélateur des luttes entre masculinités au cours de l’Empire napoléonien

Honored or Broken Masculinities: Medical Expertise on War Wounds as a Revealer of Struggles Between Masculinities during the Napoleonic Empire
Masculinidades honradas o quebradas. El peritaje médico de las heridas de guerra como revelador de la lucha entre masculinidades durante el Imperio Napoleónico
Thomas Ramonda
p. 101-119

Résumés

Étudier la place des médecins dans l’institution d’une norme militaro-virile permet de mieux saisir le rôle de la médecine dans les rapports de domination, de subordination et de marginalisation entre différentes masculinités dans la France du Premier Empire. L’un des objectifs du régime napoléonien est l’inculcation de la virilité militaire, perçue comme ressource pour organiser la reproduction d’une société hiérarchique et militariste. Dans ce processus, les acteurs médicaux de l’armée jouent un rôle spécifique. Leurs interventions participent à sauver les soldats blessés, à empêcher certaines simulations, tout en entretenant la formation de masculinités subordonnées à une masculinité blessée valide. Les soldats soignés et fortement invalides restent astreints à des rôles de bénéficiaires d’aides sociales, là où les soldats blessés encore valides jouissent de promotions et de décorations. Dans les deux cas, l’expertise médicale sert à alimenter, par une objectivation scientifique des traces du sacrifice de ces hommes, ces systèmes d’avancement et de pensions.

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Texte intégral

  • 1 Il me faut remercier les personnes qui, par leurs relectures attentives et leurs critiques, ont la (...)
  • 2 John A. Lynn, Women, Armies and Warfare in Early Modern Europe, Cambridge, Cambridge University Pr (...)
  • 3 Colin Jones, « The Welfare of the French Foot-Soldier », History, vol. 65, no 214, 1980, p. 193-21 (...)
  • 4 Hervé Drévillon, « Des virilités guerrières à la masculinité militaire (France, xviie-xviiie siècl (...)
  • 5 Mathieu Marly, « L’armée rend-elle viril ? Réflexions sur le “modèle militaro-viril” à la fin du x (...)
  • 6 Annie Crépin, Histoire de la conscription, Paris, Gallimard, 2009.
  • 7 Natalie Petiteau, « La Contre-Révolution endiguée ? Projets et réalisations sociales impériales », (...)

1Au cours du xviiie siècle, l’armée connaît d’importants changements liés au processus de centralisation d’une monarchie absolue1. Pour imposer son pouvoir sur l’armée, l’État participe à la masculinisation de l’institution en repensant sa logistique2. La concentration des soldats dans des casernes permet de limiter les violences envers les populations civiles3. Le rapprochement des officiers avec leurs hommes, dans des lieux éloignés du monde civil, déclenche une uniformisation de cultures viriles guerrières hétérogènes, telles que celles de l’officier élégant et courageux ou du soldat rustique et paillard, en une virilité martiale commune à la fin du xviiie siècle, un modèle militaro-viril4. Ce modèle culturel associe des normes et des valeurs proprement militaires, telles que l’obéissance absolue et la possibilité de donner ou recevoir la mort, à la virilité comprise comme accomplissement des vertus masculines5. La Révolution, par l’instauration de la conscription, diffuse cette acception culturelle de la virilité auprès de l’ensemble de la population française6. Le général Bonaparte s’appuie sur ce modèle militaro-viril pour légitimer sa prise de pouvoir. En effet, comme ce modèle a pu réunir officiers et soldats, Bonaparte entend lier les forces de l’Ancien Régime et de la Révolution au sein de l’Empire7. Pour ce faire, il se fonde sur l’association de la nation à l’armée, se plaçant ainsi simultanément à la tête de ces deux entités. Par ce mécanisme de légitimation, le modèle militaro-viril se diffuse au sein de la société à travers la mainmise impériale sur les arts, la presse, l’administration des récompenses militaires et civiques et les événements publics.

  • 8 Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine et Georges Vigarello (dir.), Histoire de la virilité, t. 2, Le (...)
  • 9 Odile Roynette, « La fabrique du soldat », dans Une histoire de la guerre : du xixe siècle à nos j (...)
  • 10 Robert A. Nye, Masculinity and Male Codes of Honor in Modern France, New York/Oxford, Oxford Unive (...)
  • 11 David A. Gerber (dir.), Disabled Veterans in History, Ann Arbor, University of Michigan Press, 201 (...)
  • 12 Luc Capdevila, « L’identité masculine et les fatigues de la guerre (1914-1945) », Vingtième Siècle (...)

2Les études de cette norme de virilité militaire sont au croisement de divers champs disciplinaires. La recherche historique autour de la guerre et du fait militaire (war studies) a montré le lien entre la discipline physique inculquée aux recrues et leur soumission hiérarchique, voire politique8. Elle se focalise principalement sur le moment de l’entrée des individus dans l’armée et sur les différents processus d’association des vertus militaires à la virilité9. Or, la vie militaire exige le sacrifice de soi, et ce sacrifice s’incarne par la mort ou les blessures. Néanmoins, les études sur les liens entre virilité et blessure interrogent avant tout leur rapport à l’honneur, dans le cadre de la pratique des duels10. Les enquêtes sur les blessés analysent principalement leur trajectoire et leur réinsertion sociale11. Plusieurs ouvrages sur les conflits mondiaux attestent cependant de la fécondité scientifique de cette démarche consistant à appréhender les liens entre blessures et modèles de virilité sous le prisme du genre12.

  • 13 Haude Rivoal, « Virilité ou masculinité ? L’usage des concepts et leur portée théorique dans les a (...)
  • 14 Raewyn Connell, Masculinités. Enjeux sociaux de l’hégémonie, Paris, Éditions Amsterdam, 2014, p. 2 (...)

3Examiner les liens entre normes de virilité martiales et blessures de guerre avec les outils des masculinities studies implique de distinguer la notion de virilité de celle de masculinité13. La virilité est une forme d’idéal, liée ici à la performance militaire, physique et mentale, associée aux attributs masculins dans le but de renforcer la domination masculine. La masculinité peut être simultanément comprise comme un lieu au sein des rapports de genre, un ensemble de pratiques par lesquelles des individus s’engagent dans ce lieu, et les effets de ces pratiques sur l’expérience corporelle, la personnalité et la culture14. Il existe ainsi plusieurs types de masculinité, en relation les uns avec les autres. L’un de ces types peut, dans un contexte précis, être glorifié culturellement et imposer son hégémonie sur d’autres masculinités. Nous appliquons ici cette acception du terme de masculinité, définie par Raewyn Connell, pour étudier les rapports de domination, de subordination et de marginalisation des masculinités au cours de la période de l’Empire. L’hégémonie ne peut s’établir que s’il existe une correspondance entre idéal culturel et pouvoir institutionnel ; ainsi, au sein de l’Empire napoléonien, l’armée et le gouvernement déploient un modèle militaro-viril qui permet d’asseoir la prépondérance d’un type de masculinité.

  • 15 Mark Harrison définit le processus de médicalisation de la guerre comme « l’extension graduelle de (...)

4Cette hégémonie étant constamment remise en cause, l’étude de la prise en charge des blessés de guerre par l’armée et le régime napoléonien révèle les modalités de cette lutte pour la prévalence. Pour ce faire, le recours aux archives médicales et militaires est inévitable, car ce sont avant tout les officiers de santé de l’armée qui ont la charge d’attester de l’intégrité physique des recrues et de la gravité des blessures reçues au combat. Le recours au double concept de médicalisation de la guerre et de militarisation de la médecine est alors utile pour mesurer l’autorité qu’exerce le discours médical au sein de l’institution militaire15.

5Dans quelle mesure la médicalisation à l’œuvre au sein de l’armée napoléonienne participe-t-elle à la diffusion d’une certaine masculinité hégémonique liée au modèle militaro- viril prôné par l’armée sous le Premier Empire ?

Un modèle militaro-viril normatif inatteignable

Un corps valide mais couvert de blessures

  • 16 Alain Pigeard, « La conscription sous le Premier Empire », Revue du souvenir napoléonien, no 420, (...)
  • 17 Mathieu Dumas, Instruction générale sur la conscription, Paris, Firmin-Didot, 1811.
  • 18 AD Haute-Garonne, 2R17, Certificats médicaux des conscrits et volontaires réformés du département (...)

6En 1798, la loi sur la conscription est votée. Dans chaque commune, l’administration municipale affiche la liste des conscrits. Leur examen physique est fait par un jury qui inclut un officier de santé. L’effectif total appelé sous l’Empire s’élève à 2 432 335 hommes16. Le contrôle qui s’applique lors de l’examen des conscrits est la première étape du processus de création d’un modèle de virilité militaire visant à distinguer les masculinités des membres de l’armée des masculinités des civils. L’instruction générale sur la conscription du 1er novembre 1811 prévoit une liste de causes de réforme reposant sur des caractéristiques physiques : « une taille inférieure à 1,488 m, la privation totale de la vue, la perte d’un bras, d’une jambe, d’un pied, d’une main, la claudication bien marquée, l’atrophie d’un membre, etc.17 ». Ces instructions générales sont mises en application par l’intermédiaire des officiers de santé. Les livrets de revues de soldats réformés définitivement présentent les motifs de cette décision ainsi que les signatures des officiers de santé chargés de l’inspection des corps18. La sélection médicale permet d’assurer aux membres de la communauté militaire que chacun est entré en bonne santé et physiquement intègre. Chaque blessure invalidante présente sur un corps militaire a donc été reçue au cours de l’expérience guerrière, puisqu’il n’en présentait aucune avant son entrée dans l’armée. La première injonction du modèle militaro-viril napoléonien est donc corporelle : il s’agit de disposer d’une masculinité valide.

  • 19 Hubert Camon, La guerre napoléonienne. Les systèmes d’opérations, théories et techniques, Paris, E (...)

7Pour bien saisir les injonctions comportementales exprimées par le modèle de virilité napoléonien, il faut le replacer dans son contexte stratégique. Le système militaire napoléonien vise à déplacer rapidement de grandes masses d’hommes pour s’emparer d’un espace clé situé en arrière des lignes ennemies19. Ainsi l’issue d’une bataille est-elle avant tout liée à la prise ou à la conservation d’une position par une armée. Le modèle militaro-viril sous l’Empire se construit en réponse à ces enjeux tactiques en héroïsant les comportements qui permettent de tenir ou de prendre une position malgré le feu ou les charges ennemies. Philippe de Ségur en fournit un exemple dans ses mémoires. Il est envoyé à la charge lors de la prise de la passe de Somosierra. Lorsque le général annonce l’ordre de l’Empereur de charger, un officier lui répond que c’est impossible et, pour le lui prouver, lui montre le terrain :

  • 20 Phillipe de Ségur, De 1800 à 1812. Un aide de camp de Napoléon. Mémoires du général comte de Ségur(...)

Alors joignant à l’avis la preuve, et dépassant le rocher il me montra, au travers d’une grêle de balles, dont aussitôt nos équipements furent criblés, la montée rapide du chemin sur cet amphithéâtre hérissé de rocs, la redoute de seize canons qui le couronnait, et vingt bataillons déployés de façon à converger, de front et de flanc, tous leurs feux sur une attaque qu’on ne pouvait effectuer qu’en colonne et sur la route. Il y avait bien là quarante mille coups de fusil et plus de vingt coups de mitraille à recevoir par minute ! Rien n’était plus convaincant sans doute ; mais l’ordre avait été trop impératif, il n’y avait plus à reculer. « C’est égal m’écriai-je ; l’Empereur est là, et il veut qu’on en finisse ! Allons, commandant, à nous l’honneur, rompez par pelotons, et en avant […]. » Déjà je m’étais senti frappé moi-même ; plusieurs balles venaient de percer mon chapeau, le collet de mon manteau et tous mes vêtements, mais elles m’avaient à peine contusionné. […] Enfin, presque au même instant, un coup de feu dans le côté droit m’ayant coupé la respiration, je m’arrêtai et regardai autour et derrière moi. […] il me fallut franchir ou éviter tous nos malheureux compagnons morts, ou se débattant avant de mourir, sur ce glorieux mais bien triste champ de bataille20 !

8Écrit a posteriori, ce passage offre une mise en récit de l’expérience militaire et de la blessure qui permet d’entrevoir l’idéal militaro-viril à travers une obéissance absolue aux ordres et une capacité de résignation face à la violence des combats. Il requiert en ce sens un comportement qui ne peut être attesté que par l’incarnation de ses conséquences : les blessures physiques.

9Le modèle militaro-viril napoléonien érige en norme une masculinité physiquement valide, mais présentant de nombreuses blessures, témoignant du courage dont l’individu fait preuve au cours des batailles.

Une médicalisation du soldat salvatrice mais mutilante

  • 21 Jean-François Lemaire, Les blessés dans les armées napoléoniennes, Paris, Lettrage-Distribution, 1 (...)
  • 22 Musée du Service de Santé des Armées du Val-De-Grâce (MSSAVDG), carton 107, dossier Y, Observation (...)
  • 23 Vincent Laforge, La chair et le plomb, Paris, L’Harmattan, 2019.

10La modernisation des armées qui a lieu à partir de la fin du xviiie siècle modifie l’expérience individuelle de la guerre et de la blessure de plusieurs manières. Les études approfondies des blessures de guerre de la période, réalisées à partir des comptes rendus des visites médicales conservées dans les dossiers personnels des combattants, révèlent que les armes d’alors restent relativement peu létales, mais néanmoins fortement mutilantes21. Les armes blanches marquent les corps plus qu’elles ne tuent. Ces mutilations s’avèrent aussi bien superficielles que parfois lourdement handicapantes. L’officier de santé Vierney note que Pascal Bouvier, ayant reçu un coup de sabre à la tête, a perdu entièrement la vue depuis le moment de sa blessure. Il relève aussi que son œil s’atrophie par la suite au point de causer « une difformité frappante »22. Les armes à feu, dont les plus avancées utilisent le système Gribeauval23, confèrent une faible célérité aux balles, ce qui explique une moindre létalité des impacts et les importants dommages causés aux corps. Le rapport de l’officier de santé sous-aide Marquet sur le cas d’Antoine Deshommes l’illustre :

  • 24 MSSAVDG, carton 123-1, Papiers Larrey, dossier « Plaies multiples ».

Le nommé Antoine Deshommes, soldat du 144e régiment de ligne, reçut le 19 mai 1813 un coup de feu qui pénétrant à la partie intérieure de l’arcade du pubis du côté droit se dirigea obliquement et pénétra dans les fessiers près de leurs insertions aponévrotiques sur le sacrum. Il paraît qu’au moment où le malade a été blessé la vessie se trouvait vide et par conséquent affaissée sur elle-même. […] il s’ensuit que le malade urine très souvent et peu à la fois, que même lorsqu’il marche un peu, il se fait un écoulement involontaire semblable à l’incontinence d’urine24.

11Un troisième type de blessures concerne celles liées à l’artillerie. L’innovation majeure des guerres de la Révolution et de l’Empire réside dans l’emploi massif et continu de cette catégorie d’armes. Certains boulets de canon tuent sur le coup, mais la plupart brisent les corps en frappant les troncs, emportant les extrémités, roulant sur les membres inférieurs ou projetant des éclats dans les chairs. L’expérience de la guerre comporte de fortes chances de mutiler les attributs physiques associés au modèle militaro-viril.

12À partir de l’inauguration de l’Académie royale de chirurgie à Paris en 1731, la pratique de la chirurgie a connu une évolution notable en France. Par la suite, des écoles de chirurgie ont été créées dans les grandes villes du pays, permettant une circulation plus large et plus rapide des pratiques chirurgicales dans le domaine civil. Ces avancées ont ainsi contribué à améliorer l’efficacité des pratiques les plus répandues. En ce sens, la médicalisation de l’armée permet de sauver un grand nombre de soldats atteints de blessures légères, dont ils conserveront les marques. Larrey, en poste dans les hôpitaux de Madrid, où affluent les blessés provenant de la plupart des zones d’Espagne, donne un aperçu de sa confiance :

  • 25 Dominique-Jean Larrey, Mémoires de chirurgie militaire et campagnes, t. 3, Paris, J. Smith, 1812, (...)

Depuis l’ouverture de l’hôpital […], nous avons reçu […] six cents malades qui ont été traités successivement avec un tel avantage, qu’il n’en est mort que dix […]. Il en est plusieurs qui, par la gravité de leurs blessures, ont exigé des opérations délicates. L’amputation du bras à l’épaule droite a été faite par moi au jeune Barre (de Castelnaudary, Haute-Garonne). Elle était nécessitée par une gangrène traumatique qui avait frappé de mort tout le membre blessé. Un second blessé au bas ventre avec issue de l’épiploon et lésion à l’estomac est également guéri, ainsi qu’un troisième, blessé au bassin avec lésion de la vessie et de l’intestin rectum ; enfin un quatrième, qui a subi l’opération du trépan pour une plaie avec fracture au crâne, est en voie de guérison […]25.

13D’autres extraits permettent aussi d’affirmer qu’une certaine prise en charge dans l’urgence des blessures par boulet permet de sauver les soldats blessés. Le témoignage du chirurgien d’Héralde au siège de Badajoz est sur ce point éloquent :

  • 26 Jean-Baptiste d’Héralde, Mémoires d’un chirurgien de la Grande Armée, Teissèdre, Paris, 2002 [1821 (...)

Un ou deux sous-aides étaient toujours de garde dans les tranchées afin de donner les premiers soins aux blessés ; ils indiquaient comment on devait me les porter, aidaient à les placer sur les brancards, dans la position voulue, avec la précaution de toujours placer des tourniquets ou des garrots à ceux qui avaient un membre emporté ou brisé par un boulet, un éclat de bombe ou d’obus, dans la crainte d’une hémorragie. Ils avaient l’attention de toujours placer des attelles aux fractures de cuisse, de jambe, de bras, afin que les blessés puissent arriver jusqu’à moi avec le moins de douleurs possible26.

  • 27 L’inspecteur Percy qualifie souvent les jeunes recrues de « chirurgiens de pacotille ». Pierre-Fra (...)
  • 28 Francisco Etxeberria et Luis Herrasti, « War Injuries in a Field Hospital Dating the Beginning of (...)

14Toutefois, les soins s’avèrent fréquemment mutilants. Les progrès théoriques de la médecine d’urgence sous l’Empire doivent être nuancés par la pratique réelle des officiers de santé. Plusieurs sources nous permettent de cerner le niveau de compétence de ce personnel et sa propension à pratiquer des opérations aussi bien salvatrices que mutilantes27. Les fouilles archéologiques de l’hôpital militaire français établi à Tolosa, en Espagne, ont mis au jour un nombre important de membres de jeunes hommes enfouis derrière le bâtiment. Les os des bras et des jambes étaient alors désarticulés (coupés à l’articulation) ou sciés (les marques de coups de scie sur les os en attestent)28.

15Que ce soit par la cause des armes blanches, des armes à feu, de l’artillerie, des opérations médicales ou encore de la rudesse du quotidien, l’expérience de la guerre moderne et de la chirurgie militaire brise les corps.

Le rôle du service de santé dans la promotion de comportements virils

  • 29 Général F. Gambiez, « La peur et la panique dans l’histoire », dans Serge William Serman et Jean-P (...)
  • 30 De nombreux exemples sont donnés et étudiés dans François Houdecek, « Combattre sous l’Empire : de (...)
  • 31 Rory Muir, Tactics and the Experience of Battle in the Age of Napoleon, New Haven, Yale University (...)
  • 32 MSSAVDG, carton no 10, dossier no 13, « Organisation des ambulances, projet de Larrey (1813) ».
  • 33 Voir le rapport de Larrey pour soutenir les « Marie-Louise » dans la controverse des amputations d (...)
  • 34 Service historique de la Défense (SHD) Xr 12, « Règlements du Service de santé des Armées ». Sur l (...)

16L’exaltation des valeurs de courage et de sacrifice par le modèle militaro-viril napoléonien a pour conséquence le fait que la peur ne peut être avouée, dite ou même écrite29. Ceux qui ne parviennent pas à la surmonter doivent alors trouver un moyen de s’éloigner de leur unité avant ou pendant les affrontements. La simulation est le moyen le plus courant30. Napoléon, durant les campagnes de 1805 et 1809, tente de limiter les absences volontaires pour raison d’escorte31. Le rôle que joue la médicalisation de l’armée dans le renforcement des comportements idéalisés par le modèle militaro-viril est difficile à déterminer, mais plusieurs éléments peuvent être soulignés. En un sens, elle lutte contre les comportements de simulation de blessure par une prise en charge en urgence au plus près des combats. L’Empire connaît l’apparition des « chirurgiens de l’avant », formule utilisée pour désigner les officiers de santé envoyés sur le front, immédiatement après ou pendant les combats, dont le matériel est transporté par les « ambulances volantes ». Ils procèdent au ramassage des blessés, dispensent les soins les plus urgents, ou du moins permettent leur transport jusqu’aux ambulances de l’arrière. Les infirmiers, aussi appelés « soldats d’ambulances », sont principalement chargés de transporter les blessés32. Le service de santé réprime ainsi les comportements de simulation de blessures, mais aussi d’automutilation. En effet, l’expertise médicale acquiert une autorité particulière dans les procès à l’encontre de soldats accusés d’automutilation pour juger des intentions de ces derniers33. Néanmoins, le service de santé est souvent négligé par Napoléon, qui considère qu’il ralentit la mobilité des troupes34.

  • 35 Dominique-Jean Larrey, Mémoires et campagnes (1786-1840), Paris, Tallandier, 2004, 2 vol., p. 661- (...)

17Enfin, les comportements masculins peuvent aussi être modifiés par des blessures psychiques. Parmi ces blessures, le « vent du boulet » est l’une des plus récurrentes décrites par les mémorialistes, directement en lien avec la peur. Larrey évoque l’un de ses patients à Wagram, un grenadier pris de sidération alors qu’un boulet finit sa course à quelques mètres de lui et qui en perd la parole35. L’apparition d’un embryon de discours médical sur les chocs post-traumatiques fournit un diagnostic sur les comportements considérés comme peureux, et participe à la formulation d’une masculinité traumatisée. À rebours d’une définition hégémonique de la masculinité associée au soldat sain d’esprit après l’épreuve bouleversante du combat, cette masculinité fragilisée apparaît, d’après l’expertise médicale, comme inférieure ou subordonnée à la première dans la hiérarchie des masculinités.

Les visites médicales comme instruments de l’appareil administratif napoléonien

La certification des blessures, argument de promotion et d’appartenance au groupe

  • 36 Victoire, conquêtes, désastres, revers et guerres civiles des Français, de 1792 à 1815, Paris, Pan (...)
  • 37 Les fastes de la gloire, ou Les braves recommandés à la postérité, Paris, Raymond, 1818-1822, 5 vo (...)
  • 38 Fastes de la Légion d’honneur. Biographie de tous les décorés accompagnée de l’histoire législativ (...)
  • 39  François Houdecek, « Combattre sous l’Empire… », art. cit. D’après un décompte de Claude Jacir cit (...)
  • 40 Nous nous appuyons ici sur « Proposition d’avancement à la légion d’honneur », Archivo general mil (...)

18La masculinité hégémonique est ce qui garantit la position dominante des hommes qui s’y conforment et la subordination d’autres hommes ou femmes. Cela ne revient pas à dire que ceux qui incarnent de manière ostensible la masculinité hégémonique sont toujours les personnes les plus puissantes. Ils peuvent être des modèles ou des figures imaginaires. Dans notre cas, ce modèle est décrit dans les divers instruments de la propagande napoléonienne. Victoires et conquêtes36, les Fastes de la gloire37, les Fastes de la Légion d’honneur38 mettent en avant des hommes qui accomplissent, au mépris du danger, des exploits qui leur valent récompenses ou promotions. Cependant, si ces actes ont été largement mis en valeur et exploités durant tout le xixe siècle pour nourrir le patriotisme et la glorification de l’armée, ils ne sont l’œuvre que d’une minorité de soldats39. La rareté des Légions d’honneur décernées est pensée pour ne pas rabaisser la valeur de la décoration et créer l’émulation. Conservés avec les faits d’armes rapportés par les supérieurs hiérarchiques dans les « états de services », les certificats médicaux attestent des différents « sacrifices physiques » consentis par l’aspirant à la décoration. Raewyn Connell s’interroge sur l’efficience d’une norme que quasiment personne ne parvient à incarner. Bien qu’il puisse paraître impossible de cumuler les blessures tout en restant valide, la norme militaro-virile fixe cependant les règles d’avancement et de promotion au sein de l’institution militaire, ainsi que d’appartenance au groupe que constitue l’armée. Dans les propositions pour l’admission à la Légion d’honneur des officiers, sous-officiers et soldats, s’observe une mise en avant des comportements d’individus qui obéissent aux ordres reçus au péril de leur vie, ainsi que des blessures reçues40. Le modèle militaro-viril n’est pas imposé d’en haut par une élite militaire sur une masse de soldats malléables, mais réapproprié, matérialisé, adapté et diffusé par ces mêmes soldats pour justifier de leur avancement ou de leur place au sein du groupe.

  • 41 Elzéar Blaze, La vie militaire sous le Premier Empire, Paris, Librairie illustrée, 1888.
  • 42 Dossier personnel et correspondance du maréchal Oudinot, duc de Reggio, cité dans Jean-François Le (...)

19Les normes du modèle de masculinité deviennent des marqueurs d’identification collective et d’appartenance au groupe qui permettent aussi de le délimiter, et ce selon plusieurs catégories de dynamiques. La première catégorie relève des dynamiques collectives de punition. Cela passe par toute une série de rituels collectifs. Comme le dit le capitaine Blaze, « lorsqu’un soldat ne faisait pas franchement son devoir un jour de bataille ou qu’il restait en arrière sans que sa maladie fût constatée, il recevait la savate à son retour, de la main de ses camarades41 ». Le rôle des officiers de santé dans ces dynamiques est celui de juger la « véracité » de la maladie ou de la blessure. La deuxième catégorie concerne les dynamiques de surenchère. Le nombre et la gravité des blessures apparaissent comme un curseur permettant de jauger la qualité d’un individu par rapport à ses camarades. L’exemple du maréchal Oudinot illustre le paroxysme de cette fierté. Son dossier personnel fait mention de vingt-deux blessures, la plupart attestées par des certificats médicaux42. Cette mise en scène se retrouve dans d’autres textes, comme chez le grenadier Pils, qui décrit sa rencontre avec Oudinot, à Wagram :

  • 43 François Pils, Journal de marche du grenadier Pils (1804-1814), Paris, Ollendorff, 1895, p. 82.

Le général descend du cheval que lui avait prêté le lieutenant-colonel du 57e de ligne pendant l’action ; il est tête nue, ses vêtements sont en lambeaux et couverts du sang échappé de deux blessures ; il vient d’avoir la cuisse droite traversée par une balle. Piquant sa vaillante épée dans la terre qu’il a conquise ; il s’appuie sur le pommeau de cette arme, pendant que le docteur Campiomont arrête le sang avec des tampons de charpie et lui bande la cuisse43.

20Les mots du grenadier Pils laissent entrevoir son admiration face au sang-froid et à la réputation du maréchal. Dans la culture de l’époque, ce journal a contribué, a posteriori, à la diffusion d’un idéal performatif de virilité militaire, étroitement lié à l’image d’un corps blessé, mais néanmoins préservé dans ses attributs masculins et sa capacité à incarner la virilité. L’admiration des camarades permet de jouir de certains avantages. C’est le cas du capitaine de Rocalde : sa réputation est telle qu’il bénéficie alors de faveurs au regard de ses blessures. Le médecin en chef de la place de Vittoria écrit au général en chef de l’armée du nord le 14 juillet 1812 :

  • 44 AGMM 7348.24, Correspondance du comte de Caffarelli, août 1812.

J’ai l’honneur de vous remettre une lettre que j’ai reçu [sic] hier du capitaine de Rocalde du 34e régiment de ligne, lequel demande une autorisation de votre part pour toucher la ration de fourrage et de pain dans l’armée du nord. Je vous prie d’accéder à cette demande qui est d’autant plus juste, qu’indépendamment de sa blessure qu’il reçut à la bataille d’Albufera ; ses infirmités et son âge attestent de sa grande bravoure44.

21Si le modèle militaro-viril met en avant la blessure comme source de fierté, voire comme norme pour un militaire, l’absence de blessure est cause de suspicions. Le lieutenant Desmont, alors qu’il vient de se faire amputer de deux doigts après une blessure à la main à la bataille du Piave, confie à sa mère :

  • 45 Adrien Clergeac, La carrière militaire du général Demonts sous le Consulat et l’Empire : 1800-1815(...)

Jamais je ne me relèverai des pertes que j’ai faites, mais je ne sais pourquoi, jamais je n’ai pris mon parti avec autant de résignation, à peine suis-je sensible à tout cela, pas même à la perte de mes doigts, car j’étais en vérité honteux d’avoir fait la guerre pendant neuf ans et d’être encore intact. J’espère bien que j’aurai la satisfaction de porter deux croix45.

  • 46 Nebiha Guiga mentionne également le cas de Chevillet, obtenant une pension qu’il est allé demander (...)

22Ce témoignage atteste de la honte que peuvent ressentir les militaires dont les corps ne présentent aucune blessure. Sur ce point, Nebiha Guiga fait un lien intéressant entre blessure et dédommagement honorifique46.

23Une blessure incapacitante est perçue comme le synonyme d’un manque de revenu, dans un monde où les corps sont avant tout des outils de travail. Pour y remédier, le système d’avancement et de décoration se transpose au sein de la sphère civile à travers un système de mesures sociales.

Les mesures sociales destinées aux blessés de guerre, dividendes de l’hégémonie

  • 47 AD Aude, RW 1073, Lettre du ministre de la Guerre au commissaire ordonnateur de la 10e division mi (...)
  • 48 D’après l’arrêté du 25 fructidor an IX : « Art. 1. Les gardes champêtres des communes seront, à l’ (...)
  • 49 Correspondance de Napoléon : Minute, Archives nationales, AF IV 888, janvier 1811, no 171 [17301 (...)
  • 50 AD Aude, 1M364. Décrets du 3 octobre et 9 décembre 1809, lettre de l’intendance générale du domain (...)
  • 51 De 1 200 à 6 000 francs, selon les années de service, pour les officiers supérieurs et les générau (...)

24La majorité des mesures sociales prises par Napoléon sont destinées aux soldats : soldes de réforme, de retraite, de vétérance et admission aux Invalides. Chacune de ces mesures sociales bénéficie à des militaires qui ont été visités par des officiers de santé et ont obtenu des certificats de visite, afin d’attester de leur incapacité à retourner au combat et de leur grave diminution physique. Les consultations s’effectuent sous une surveillance administrative ou militaire constante. Le ministre de la Guerre rappelle ainsi aux commissaires ordonnateurs de chaque division militaire leurs obligations : « Je joins à cet envoi autant de certificats de visite qu’il y a dans votre arrondissement de militaires en retraite pour cause d’infirmités provenant de blessures, vous rappelant à cette occasion à la surveillance que vous devez exercer sur les officiers de santé qui procèdent aux visites47. » Reprenant un décret de la Convention, Napoléon envisage en 1805 de donner aux anciens combattants la possibilité de compléter leur pension par un salaire dans la fonction publique48. Décision à double effet, les vétérans étant récompensés et les conscrits encouragés à bien servir. Cette mesure est amplifiée en 181149. Ces emplois peuvent encore être cumulés avec d’autres dotations extraordinaires. Le 15 août 1809, Napoléon décrète : « les militaires, du lieutenant au simple soldat, qui ont perdu un membre aux batailles de 1809 […] ont une rente de 500 francs50 ». Souvent modeste pour les officiers subalternes, la pension permet de survivre dans une honnête médiocrité51.

25Ces mesures permettent d’assurer le maintien d’un certain statut social aux hommes blessés au combat. Les pensions, financées par le trésor de guerre, reflètent les dynamiques de solidarité entre une masculinité militaire hégémonique et une masculinité militaire invalide, cette dernière étant subordonnée à la première, car elle dépend de l’institution militaire pour bénéficier de ressources économiques et sociales. Ces ressources constituent des dividendes de l’hégémonie.

Limites et contestations d’une masculinité hégémonique en lien avec le modèle militaro-viril napoléonien

Les contradictions internes d’une masculinité hégémonique

  • 52 Daniel Welzer-Lang, Chantal Zaouche-Gaudron, Masculinités : état des lieux, Toulouse, Érès, 2011.
  • 53 Teresa Michals, Lame Captains and Left-Handed Admirals: Amputee Officers in Nelsons Navy, Charlot (...)
  • 54 Charles Mullié, Biographie des célébrités militaires des armées de terre et de mer de 1789 à 1850, (...)

26Les militaires blessés incarnent l’idéal militaro-viril jusqu’à un certain point, lorsqu’ils sont gravement mutilés et invalides. Les mutilés de guerre entrent dans cette catégorie paradoxale des « vulnérabilités au masculin », qui englobe les hommes qui ont perdu leur force corporelle52. La médecine de l’époque intervient très peu dans la rééducation des blessés de guerre. Or, le modèle militaro-viril s’oppose à la résignation : un homme doit se battre, travailler pour conserver ce statut viril. Les travaux de Teresa Michals sur les amputés de l’armée britannique au cours des conflits napoléoniens abordent la question du changement de perception des blessés de guerre par l’institution militaire53. Ces analyses concluent qu’une blessure traditionnellement perçue comme incapacitante (la perte d’un membre) n’est pas pour autant signe de perte de virilité tant que son porteur s’avère victorieux. Les soins peuvent alors permettre à certains soldats de transformer une blessure honteuse en marque de résilience et de bravoure. Teresa Michals s’appuie essentiellement sur le parcours de l’amiral Nelson et des officiers de l’armée britannique. Côté français, nous pouvons par exemple citer le cas de Pierre Daumesnil : l’historien Charles Mullié indique que « Daumesnil était un de ces braves grenadiers qui donnèrent une preuve si touchante de leur dévouement héroïque au général en chef de l’armée d’Égypte, en le couvrant de leurs corps pour le garantir des éclats d’une bombe tombée à ses pieds54 ». Daumesnil est fait baron de l’Empire et est blessé à la jambe gauche sur le champ de bataille de Wagram. Amputé, il survit et poursuit une longue carrière. Sa blessure devient un signe distinctif : il est surnommé « jambe de bois », et sa statue commémorative érigée à Vincennes, inaugurée en 1873 sous le Second Empire, le met en scène pointant fièrement du doigt sa prothèse.

  • 55 AD Landes, H dépôt 1H2, Demandes de jambe de bois par les militaires amputés de l’hôpital militair (...)
  • 56 Dominique-Jean Larrey, Mémoires et campagnes (1786-1840), Paris, Tallandier, 2004, 2 vol., p. 641.
  • 57 Nebiha Guiga, « Refuser l’amputation dans l’Europe napoléonienne », Trajectoires, no 11, 2018, DOI (...)
  • 58 Cité dans Natalie Petiteau, « La Contre-Révolution endiguée ?… », art. cit., p. 101.

27Ces rares exemples permettent justement de mesurer le décalage qui existe entre la situation des militaires mutilés les plus aisés (Daumesnil jouit de sa rente de baron), qui font figure d’idéal, et l’immense majorité des soldats de la troupe. Les archives des hôpitaux militaires de Dax et de Saint-Éloi conservent une grande quantité de demandes de jambe de bois pour les militaires rapatriés d’Espagne au cours de la retraite de 1814. Les correspondances des médecins de l’armée avec la direction de l’hôpital attestent du manque évident de secours fournis à ces soldats55. La détresse de ne plus pouvoir se servir de son corps comme outil de travail ne trouve parfois aucune compensation en matière de gloire ou d’honneur. Les mémoires de Larrey citent un exemple de suicide causé par la crainte de ne plus pouvoir subvenir à ses besoins chez un blessé amputé d’un bras56. Dans un article qui développe la question du refus de l’amputation, Nebiha Guiga montre la prégnance, d’une manière générale, d’une conception traditionnelle de la virilité, c’est-à-dire qui comprend l’intégrité physique, dans les arguments des soldats pour refuser une amputation, ces derniers préférant mourir intègres plutôt que vivre invalides57. Dans son étude des trajectoires des vétérans des campagnes napoléoniennes, Natalie Petiteau souligne le dénuement économique et moral dans lequel sont plongés les anciens soldats de Napoléon. Lorsque le général Dupont, interpellé à la chambre des députés, le 5 juillet 1828, à propos des nombreuses demandes de secours, reconnaît que les montants des pensions de retraite sont peu élevés, car ils « ont été fixés, comme les traitements d’activité, d’après ce principe que l’honneur est le premier but de la carrière des armes ». Il témoigne ainsi que la gloire s’obtient en faisant don de soi, mais passe sous silence les conséquences pratiques et économiques handicapantes des blessures de guerre auxquelles la contrepartie glorieuse ne fournit aucune solution58.

Concurrences entre types de masculinités et instrumentalisation de la rhétorique médicale

  • 59 Les liens entre la médicalisation de l’armée napoléonienne et les perceptions de masculinités étra (...)

28La médicalisation de l’armée intervient dans les rapports d’infériorisation d’une masculinité militaire invalide envers un type de masculinité hégémonique. Nous supposons qu’elle joue également un rôle dans les processus de marginalisation de masculinités qui s’écartent de la norme militaro-virile napoléonienne59.

  • 60 Michael Broers, The Napoleonic Mediterranean. Enlightenment, Revolution and Empire, New York, Bloo (...)

29Michael Broers soutient que la représentation mentale des militaires français qui occupent les territoires de l’Empire traduit leurs perspectives culturelles à l’égard des populations soumises à la domination impériale. Avant tout, les Français pensent que les sociétés de l’inner empire, en Europe continentale, sont gouvernées par la raison plutôt que la tradition60. Selon le modèle impérial napoléonien, la tradition n’est pas là pour être respectée aveuglément, mais pour être rejetée si elle est non éclairée, ou pour être adaptée au nouveau régime si elle correspond à ses normes. La « civilisation » napoléonienne a un noyau régional, mais au-delà de ce noyau, au sein de l’outer empire, elle a une mission civilisatrice qui s’applique particulièrement aux espaces méditerranéens. Du point de vue des combats, les théâtres méditerranéens comme le Portugal, l’Espagne et l’Italie voient se dérouler plusieurs scènes de violences extrêmes. Nicolas Cadet, dans son analyse de la campagne de Calabre, oppose le système d’honneur des sociétés méditerranéennes méridionales (calabraise, andalouse) à celui répandu au sein des armées anglaise et française. Le décalage entre ces conceptions de l’honneur serait à l’origine de ces moments de violences paroxystiques. Les gravures des Désastres de la guerre de Francisco de Goya, par exemple, montrent des corps mutilés, déshumanisés, et des routes devenues le théâtre d’expositions macabres. Le capitaine François, quant à lui, est témoin le 22 juin 1808 du massacre de l’hôpital de Manzanares :

  • 61 Journal du capitaine François, dit le dromadaire d’Égypte (1792-1830), texte établi par Charles Gro (...)

Les habitants de la ville réunis à ceux des villages circonvoisins se portèrent à l’hôpital, où se trouvaient 1 200 et quelques malades, qu’ils égorgèrent et coupèrent en morceaux (j’ai vu des membres) ; un espagnol de la ville me dit qu’un officier qui s’y trouvait avait été conduit par ces canailles sur la place Mayor ; là, après lui avoir coupé les sourcils des yeux, et arraché les ongles, on l’avait scié par morceaux et jeté aux cochons ; que les soldats moins malades avaient été lapidés, coupés en pièces et jetés à la voirie ; qu’un seul s’est échappé à ce supplice et sauvé par un habitant, ayant déjà les oreilles coupées61.

  • 62 Dossier de Légion d’honneur de Muller Léonard, base Léonore, dossier LH/1964/68 ; dossier de Légio (...)
  • 63 Nicolas Cadet, Honneur et violence de guerre au temps de Napoléon : la campagne de Calabre, Paris, (...)

30Ces violences se rapportent à un idéal de virilité traditionnel, faisant directement concurrence à la norme militaro-virile napoléonienne. Le certificat médical adjoint aux états de service de Léonard Muller rapporte qu’il fut « mutilé de la tête aux pieds par les révoltés » lors des émeutes du 2 mai 1808 à Madrid, celui de François Bouvier qu’il reçut « un coup de crosse de fusil sur le testicule gauche après être tombé au pouvoir de l’ennemi » en Espagne62. L’analyse de Nicolas Cadet rappelle que la mutilation faciale est une marque de déshonneur, une atteinte aux fondements de l’identité individuelle63. Les émasculations renvoient directement aux attributs masculins et visent à priver l’ennemi de toute descendance. Face au symbolisme de la perte des attributs virils selon une acception traditionnelle de la virilité, les termes médicaux permettent d’objectiver la blessure :

  • 64 Dossier de Légion d’honneur de Bouvier François, base Léonore, dossier LH/342/90.

Nous officier de santé en chef de l’hôpital militaire d’Arras, chargé par M. l’inspecteur général de contre visiter en sa présence monsieur Bouvier François ci-dessus désigné, avons reconnu qu'il est effectivement atteint de plusieurs blessures ; un coup de bayonnette [sic] à la partie inférieure et antérieure du bras droit et deux au poignet, qu'il est porteur d'un sarcocèle assez volumineux au testicule gauche. Nous certifions que par ses infirmités et sa mauvaise santé il est absolument hors d’état de servir activement dans l’arme du dragon et qu’il ne peut pas servir dans les vétérans64.

31À travers la remise de la Légion d’honneur, l’institution militaire cherche à relégitimer la masculinité de ces corps atteints dans leurs attributs virils. Les termes scientifiques, cliniques, anatomiques inscrits sur le certificat médical écartent toute interprétation symbolique d’une perte des attributs virils et participent, dans une logique transactionnelle, à rétribuer les masculinités blessées par des attributs militaro-virils selon l’acception napoléonienne : les décorations, symboles d’une gloire immatérielle.

32Les définitions normatives de la masculinité sont confrontées à un problème, en ce que peu d’hommes en atteignent les standards. Le nombre d’hommes qui adhèrent rigoureusement au modèle hégémonique dans son ensemble est assez limité, et bien que certaines masculinités subordonnées bénéficient des dividendes de son hégémonie, plusieurs contradictions accélèrent la remise en question de cette position dominante par les masculinités militaires napoléoniennes. Il est important de noter que chaque masculinité est positionnée simultanément au sein de plusieurs structures de rapports sociaux qui peuvent suivre différentes trajectoires historiques, ce qui la rend susceptible de contradictions internes et de perturbations historiques. Cette contradiction interne est particulièrement forte dans le modèle de masculinité hégémonique, et sa domination est contestée et s’effondre lorsque celle-ci est mise en question. Dans le cadre de cette analyse, l’angle d’observation de la médecine s’est avéré le plus intéressant, dans la mesure où dans une société pré-anesthésique, pré-antiseptique, proto-scientifique, l’état des connaissances était peu à même de résoudre la contradiction propre à la masculinité hégémonique militaire : s’exposer au feu tout en restant valide. La médecine n’a donc guère pu intervenir dans la réadaptation des invalides, et son rôle s’est limité à un rôle symbolique, pour justifier de la prévalence d’attributs virils immatériels, tels que la gloire, sur les attributs virils traditionnels. L’effondrement de l’hégémonie de ce type de masculinité a été concomitant avec la perte de son soutien institutionnel et avec la chute du régime.

33Il est important de souligner que pour mieux comprendre les dynamiques de genre et de classe dans l’Empire napoléonien, les recherches croisant ces deux axes d’analyse doivent nécessairement être approfondies. Il serait également pertinent d’examiner la façon dont la logique militaire impériale napoléonienne a alimenté, en quelque sorte, la logique colonialiste du xixe siècle, en particulier en ce qui concerne la construction des masculinités militaires colonialistes. Une telle exploration pourrait contribuer à élargir notre compréhension des enjeux de pouvoir et de domination à l’œuvre dans la construction des masculinités dans l’histoire.

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Notes

1 Il me faut remercier les personnes qui, par leurs relectures attentives et leurs critiques, ont largement contribué à l’élaboration de ce texte : Anne Carol, Esther Cazin et Agathe Meridjen, ainsi que les relectrices et relecteurs de la revue Histoire, Médecine et Santé.

2 John A. Lynn, Women, Armies and Warfare in Early Modern Europe, Cambridge, Cambridge University Press 2008.

3 Colin Jones, « The Welfare of the French Foot-Soldier », History, vol. 65, no 214, 1980, p. 193-213.

4 Hervé Drévillon, « Des virilités guerrières à la masculinité militaire (France, xviie-xviiie siècles) », dans Anne-Marie Sohn (dir.), Une histoire sans les hommes est-elle possible ? Genre et masculinités, Lyon, Éditions de l’École normale supérieure, 2014.

5 Mathieu Marly, « L’armée rend-elle viril ? Réflexions sur le “modèle militaro-viril” à la fin du xixsiècle », Clio. Femmes, Genre, Histoire, no 47, 2018, p. 229-247.

6 Annie Crépin, Histoire de la conscription, Paris, Gallimard, 2009.

7 Natalie Petiteau, « La Contre-Révolution endiguée ? Projets et réalisations sociales impériales », dans Jean-Clément Martin (dir.), La Contre-Révolution en Europe : xviiie-xixe siècles. Réalités politiques et sociales, résonances culturelles et idéologiques, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2001.

8 Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine et Georges Vigarello (dir.), Histoire de la virilité, t. 2, Le triomphe de la virilité. Le xixe siècle, Paris, Le Seuil, 2011. Cette idée a auparavant été développée par George Mosse dans The Image of Man, The Creation of Modern Masculinity, New York/Oxford, Oxford University Press, 1996 ; Arnaud Guinier, L’honneur du soldat. Éthique martiale et discipline guerrière dans l’Europe des Lumières, Paris, Champ Vallon, 2014.

9 Odile Roynette, « La fabrique du soldat », dans Une histoire de la guerre : du xixe siècle à nos jours, Paris, Le Seuil, 2018.

10 Robert A. Nye, Masculinity and Male Codes of Honor in Modern France, New York/Oxford, Oxford University Press, 1993 ; Ute Frevert, Men of Honour. A Social and Cultural History of the Duel, Cambridge, Polity Press, 1995 ; François Guillet, La mort en face. Histoire du duel de la Révolution à nos jours, Paris, Aubier, 2008 ; Steven C. Hughes, Politics of the Sword. Dueling, Honor, and Masculinity in Modern Italy, Columbus, Ohio State University Press, 2007.

11 David A. Gerber (dir.), Disabled Veterans in History, Ann Arbor, University of Michigan Press, 2012.

12 Luc Capdevila, « L’identité masculine et les fatigues de la guerre (1914-1945) », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, vol. 75, no 3, 2002, p. 97-108 ; Michael S. Maier, « La masculinité vaincue. Transformations de la masculinité dans les récits autobiographiques de deux anciens soldats autrichiens de la Wehrmacht (1945-1960) », dans Anne-Marie Sohn (dir.), Une histoire sans les hommes est-elle possible ?, op. cit. ; Mark Humphries, « War’s Long Shadow: Masculinity, Medicine, and the Gendered Politics of Trauma, 1914-1939 », The Canadian Historical Review, vol. 91, no 3, 2010, p. 503-531 ; Joanna Bourke, Dismenbering the Male: Men’s Bodies, Britain and the Great War, Chicago, University of Chicago Press, 1996.

13 Haude Rivoal, « Virilité ou masculinité ? L’usage des concepts et leur portée théorique dans les analyses scientifiques des mondes masculins », Travailler, vol. 38, no 2, 2017, p. 141-159.

14 Raewyn Connell, Masculinités. Enjeux sociaux de l’hégémonie, Paris, Éditions Amsterdam, 2014, p. 288.

15 Mark Harrison définit le processus de médicalisation de la guerre comme « l’extension graduelle de l’autorité médicale […] sur la planification et la conduite des opérations militaires », processus double qui induit une « adoption par les professions médicales des valeurs et des formes d’organisation militaire ». Mark Harrison, « Medicine and the Management of Modern Warfare, an Introduction », dans Roger Cooter, Mark Harrison et Steve Sturdy (dir.), Medicine and Modern Warfare, « Wellcome Institute Series in the History of Medicine », Amsterdam/Atlanta, Rodopi, 1999, p. 3-4.

16 Alain Pigeard, « La conscription sous le Premier Empire », Revue du souvenir napoléonien, no 420, 1998, p. 3-20.

17 Mathieu Dumas, Instruction générale sur la conscription, Paris, Firmin-Didot, 1811.

18 AD Haute-Garonne, 2R17, Certificats médicaux des conscrits et volontaires réformés du département de la Haute-Garonne.

19 Hubert Camon, La guerre napoléonienne. Les systèmes d’opérations, théories et techniques, Paris, Economica, 1997, p. 381-385.

20 Phillipe de Ségur, De 1800 à 1812. Un aide de camp de Napoléon. Mémoires du général comte de Ségur, t. 1, Paris, 1894, p. 406-408.

21 Jean-François Lemaire, Les blessés dans les armées napoléoniennes, Paris, Lettrage-Distribution, 1999.

22 Musée du Service de Santé des Armées du Val-De-Grâce (MSSAVDG), carton 107, dossier Y, Observation de blessure à la face par l’officier Vierney.

23 Vincent Laforge, La chair et le plomb, Paris, L’Harmattan, 2019.

24 MSSAVDG, carton 123-1, Papiers Larrey, dossier « Plaies multiples ».

25 Dominique-Jean Larrey, Mémoires de chirurgie militaire et campagnes, t. 3, Paris, J. Smith, 1812, p. 229-231.

26 Jean-Baptiste d’Héralde, Mémoires d’un chirurgien de la Grande Armée, Teissèdre, Paris, 2002 [1821], p. 148.

27 L’inspecteur Percy qualifie souvent les jeunes recrues de « chirurgiens de pacotille ». Pierre-François Percy, Journal des campagnes du baron Percy, chirurgien en chef de la Grande Armée (1754-1825), Paris, Plon, 1904, p. 398.

28 Francisco Etxeberria et Luis Herrasti, « War Injuries in a Field Hospital Dating the Beginning of the Nineteenth Century in the Basque Country (Spain) », International Journal of Osteoarchaeology, vol. 1, 1991, p. 279-282.

29 Général F. Gambiez, « La peur et la panique dans l’histoire », dans Serge William Serman et Jean-Paul Bertaud, Vie et psychologie des combattants et gens de guerre (1635-1945), Paris, Imprimerie nationale, 1970, p. 98.

30 De nombreux exemples sont donnés et étudiés dans François Houdecek, « Combattre sous l’Empire : de la peur du conscrit à la médaille du héros », Napoleonica. La Revue, vol. 27, no 3, 2016, p. 84-99.

31 Rory Muir, Tactics and the Experience of Battle in the Age of Napoleon, New Haven, Yale University Press, 2000, 2e éd., p. 203.

32 MSSAVDG, carton no 10, dossier no 13, « Organisation des ambulances, projet de Larrey (1813) ».

33 Voir le rapport de Larrey pour soutenir les « Marie-Louise » dans la controverse des amputations digitales qui l’opposa au maréchal Soult en 1814. Ce rapport fut décisif pour éviter la cour martiale et le peloton d’exécution à de jeunes conscrits. Soult défendait l’idée selon laquelle ces amputations étaient auto-infligées pour obtenir le retrait du front et Larrey démontra qu’elles étaient sans doute accidentelles et liées à l’inexpérience des jeunes recrues mal formées et au rechargement complexe de leur fusil. MSSAVDG, carton 130.

34 Service historique de la Défense (SHD) Xr 12, « Règlements du Service de santé des Armées ». Sur le champ de bataille, la division d’ambulance se place « en arrière » du centre de l’armée et aussi près qu’il est possible sans compromettre « la sûreté » d’après le règlement du 30 floréal an IV.

35 Dominique-Jean Larrey, Mémoires et campagnes (1786-1840), Paris, Tallandier, 2004, 2 vol., p. 661-662.

36 Victoire, conquêtes, désastres, revers et guerres civiles des Français, de 1792 à 1815, Paris, Panckoucke, 1817-1821, 27 vol.

37 Les fastes de la gloire, ou Les braves recommandés à la postérité, Paris, Raymond, 1818-1822, 5 vol.

38 Fastes de la Légion d’honneur. Biographie de tous les décorés accompagnée de l’histoire législative et réglementaire de l’ordre, Paris, Bureau de l’Administration, 1844-1847, 5 vol.

39  François Houdecek, « Combattre sous l’Empire… », art. cit. D’après un décompte de Claude Jacir cité par F. Houdecek, ils représentent environ 1,45 % des quelque 2 300 000 hommes qui ont servi sous l’Empire.

40 Nous nous appuyons ici sur « Proposition d’avancement à la légion d’honneur », Archivo general militar de Madrid (AGMM) 7348.109. Mais il existe de nombreux rapports de ce type au SHD ou dans les rapports au ministre de la Guerre des archives de la Secrétairerie impériale (AN AF IV).

41 Elzéar Blaze, La vie militaire sous le Premier Empire, Paris, Librairie illustrée, 1888.

42 Dossier personnel et correspondance du maréchal Oudinot, duc de Reggio, cité dans Jean-François Lemaire, Les blessés…, op. cit., p. 33.

43 François Pils, Journal de marche du grenadier Pils (1804-1814), Paris, Ollendorff, 1895, p. 82.

44 AGMM 7348.24, Correspondance du comte de Caffarelli, août 1812.

45 Adrien Clergeac, La carrière militaire du général Demonts sous le Consulat et l’Empire : 1800-1815, Auch, F. Cocharaux, 1925, p. 74, cité dans Nebiha Guiga, Le champ couvert de mort sur qui tombait la nuit : être blessé au combat et soigné dans l’Europe napoléonienne (1805-1813), thèse de doctorat en histoire, Paris, EHESS, 2021, p. 550.

46 Nebiha Guiga mentionne également le cas de Chevillet, obtenant une pension qu’il est allé demander à l’Empereur pour son bras arraché et ses services, ou encore celui, décrit par Victor Dupuy, d’un brigadier amputé des deux bras recevant des mains de l’Empereur la Légion d’honneur – et une pension de retraite. Nebiha Guiga, Le champ couvert de mort…, op. cit., 2021, p. 550.

47 AD Aude, RW 1073, Lettre du ministre de la Guerre au commissaire ordonnateur de la 10e division militaire, Paris, le 1er octobre 1812.

48 D’après l’arrêté du 25 fructidor an IX : « Art. 1. Les gardes champêtres des communes seront, à l’avenir, choisis parmi les vétérans nationaux et autres anciens militaires. Art. 2. Le ministre de la Guerre enverra à chaque préfet l’état nominatif des vétérans et anciens militaires résidant dans le département et en état de remplir les fonctions de garde champêtre. Les préfets feront passer aux sous-préfets la liste des vétérans et anciens militaires de leur arrondissement. » Cité dans Julien-Michel Dufour de Saint-Pathus, Répertoire raisonné pour les préfets, sous-préfets, maires, adjoints, conseillers municipaux, juges de paix, Longchamps, Paris, 1811, p. 153.

49 Correspondance de Napoléon : Minute, Archives nationales, AF IV 888, janvier 1811, no 171 [17301]. Disponible en ligne : https://www.napoleonica.org/collections/correspondance. « Paris, 27 janvier 1811. Au général comte Andréossy, président de la section de la guerre au Conseil d’État, à Paris. Réunissez la section de la guerre et proposez-moi un projet pour récompenser les militaires retirés et blessés, en leur donnant de préférence les places des administrations forestières, des postes, des tabacs, des contributions, enfin par toute espèce de places que les militaires, officiers et soldats retirés sont susceptibles d’occuper ; car il est contre mon intention et la justice de donner ces places à des gens qui n’ont rien fait. Je me rapporte au zèle et à l’intelligence de la section pour me proposer les mesures convenables. »

50 AD Aude, 1M364. Décrets du 3 octobre et 9 décembre 1809, lettre de l’intendance générale du domaine extraordinaire au préfet de l’Aude sur le versement de la pension à des militaires n’ayant pas participé aux campagnes d’Autriche qui doivent rendre la somme.

51 De 1 200 à 6 000 francs, selon les années de service, pour les officiers supérieurs et les généraux, et de 350 à 1 800 francs pour les officiers subalternes (minimum trente ans de service, maximum cinquante ans de service). Cette pension est accordée à tous les militaires blessés à la défense de la patrie. Acte constitutionnel de l’an VIII, art. 86.

52 Daniel Welzer-Lang, Chantal Zaouche-Gaudron, Masculinités : état des lieux, Toulouse, Érès, 2011.

53 Teresa Michals, Lame Captains and Left-Handed Admirals: Amputee Officers in Nelsons Navy, Charlottesville, University of Virginia Press, 2021.

54 Charles Mullié, Biographie des célébrités militaires des armées de terre et de mer de 1789 à 1850, Paris, Poignavant, 1851, 2 vol. ; voir aussi Didier Mireur, Daumesnil, d’Arcole à Vincennes, Église-Neuve-d’Issac, Cyrano Éditions, 2015.

55 AD Landes, H dépôt 1H2, Demandes de jambe de bois par les militaires amputés de l’hôpital militaire de Dax. AD Héraut, Hôtel-Dieu Saint-Éloi, E72.

56 Dominique-Jean Larrey, Mémoires et campagnes (1786-1840), Paris, Tallandier, 2004, 2 vol., p. 641.

57 Nebiha Guiga, « Refuser l’amputation dans l’Europe napoléonienne », Trajectoires, no 11, 2018, DOI : <10.4000/trajectoires.2582.>

58 Cité dans Natalie Petiteau, « La Contre-Révolution endiguée ?… », art. cit., p. 101.

59 Les liens entre la médicalisation de l’armée napoléonienne et les perceptions de masculinités étrangères ne peuvent être établis dans le cadre de cette étude. La consultation des archives médicales des campagnes de Saint-Domingue, de Guadeloupe et d’Égypte nous a uniquement permis d’analyser les rapports épidémiologiques de ces campagnes, et non d’étudier la question des blessures de guerre. Il serait donc pertinent d’approfondir cette question pour compléter nos pistes de réflexion.

60 Michael Broers, The Napoleonic Mediterranean. Enlightenment, Revolution and Empire, New York, Bloomsbury, 2021.

61 Journal du capitaine François, dit le dromadaire d’Égypte (1792-1830), texte établi par Charles Grolleau, Paris, Charles Carrington, 1904, p. 698.

62 Dossier de Légion d’honneur de Muller Léonard, base Léonore, dossier LH/1964/68 ; dossier de Légion d’honneur de Bouvier François, base Léonore, dossier LH/342/90.

63 Nicolas Cadet, Honneur et violence de guerre au temps de Napoléon : la campagne de Calabre, Paris, Vendémiaire, 2015, p. 308-309.

64 Dossier de Légion d’honneur de Bouvier François, base Léonore, dossier LH/342/90.

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Pour citer cet article

Référence papier

Thomas Ramonda, « Masculinités honorées ou brisées. L’expertise médicale des blessures de guerre comme révélateur des luttes entre masculinités au cours de l’Empire napoléonien »Histoire, médecine et santé, 25 | 2024, 101-119.

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Thomas Ramonda, « Masculinités honorées ou brisées. L’expertise médicale des blessures de guerre comme révélateur des luttes entre masculinités au cours de l’Empire napoléonien »Histoire, médecine et santé [En ligne], 25 | été 2024, mis en ligne le 01 juillet 2024, consulté le 23 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hms/8242 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/1217g

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Auteur

Thomas Ramonda

Aix-Marseille Université

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