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Fabriquer les masculinités

Testicules, masculinités et normes de genre. Les récits scientifiques français sur les castrats italiens au siècle des Lumières

Testicles, Masculinities and Gender Norms. French Scientific Accounts of Italian Castrati in the Age of Enlightenment
Testículos, masculinidades y normas de género. Los relatos científicos franceses sobre los castrati italianos en el Siglo de las Luces
Nahema Hanafi
p. 61-81

Résumés

Peu présents dans la France des Lumières, les castrats italiens n’en deviennent pas moins un sujet de discussion scientifique dans le royaume en ce qu’ils incarnent un eunuchisme occidental. Mobilisée pour penser les limites éthiques du geste chirurgical, la castration musicale s’invite dans différents traités, de manière développée ou plus anecdotique, et renvoie à de multiples questionnements relatifs aux normes corporelles, aux identités de genre, aux capacités reproductives ou à la sexualité. Cet article s’emploie à observer la façon dont le tableau physique et moral des castrats élaboré par les médecins et les naturalistes français des Lumières s’inscrit dans l’effort de construction et de définition médicale du sexe en s’attachant plus particulièrement à fixer les normes du masculin. Au cours de la seconde moitié du xviiie siècle en particulier, la figure du castrat sert de support à l’énonciation des caractéristiques physiques et morales d’une masculinité hégémonique « à la Française » et, partant, des contours d’une masculinité subordonnée (italienne, méridionale, orientale) dont les chanteurs seraient l’incarnation.

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Texte intégral

  • 1 Patrick Barbier, La maison des Italiens. Les castrats à Versailles, Paris, Grasset, 1998.
  • 2 Youri Carbonnier, « Les voix de dessus à la Chapelle royale au xviiie siècle. Castrats, pages et f (...)
  • 3 La première mention d’un castrat (Atto Melani) dans un journal de voyage français est celle de Mon (...)
  • 4 Comme lors de la première querelle de la musique italienne (1702-1706) : voir François Raguenet et (...)
  • 5 Sur ce regain d’intérêt, datant de plusieurs décennies déjà, voir Michael Stolberg, « A Woman Down (...)

1À la fin du xviie siècle, les castrats italiens font sensation, notamment à Londres et à Vienne, où les mélomanes se pressent à l’opéra. À Versailles, quelques-uns de ces chanteurs se sont installés dans la Maison des Italiens et officient au sein de la Chapelle royale1, mais leur public demeure très limité2. Des Français·es ont pu les écouter dans les cours étrangères ou lors d’un voyage en Italie, mais la plupart en entendent parler dans la littérature de voyage3 ou pendant les querelles sur les musiques française et italienne, qui sont généralement l’occasion de dénigrer leurs performances vocales4. Peu présentes en France, ces incarnations d’un eunuchisme occidental deviennent pourtant un sujet de discussion grandissant dans le royaume. Les castrats retiennent en particulier l’attention des scientifiques étudiant les « mystères » de la génération et les distinctions anatomo-physiologiques entre hommes et femmes5.

  • 6 Nicolas Venette, De la génération de l’homme, ou Tableau de l’amour conjugal. Divisé en quatre par (...)
  • 7 Charles Ancillon, Traité des eunuques, dans lequel on explique toutes les différentes sortes d’eun (...)
  • 8 Pierre Dionis, Cours d’opérations de chirurgie, démontrées au jardin royal, par M. Dionis, 8e édit (...)

2Le médecin Nicolas Venette leur consacre d’ailleurs un chapitre dans son Tableau de l’amour conjugal (1686), offrant au public lettré une vue des savoirs médicaux sur la génération. La question est alors de savoir « si les eunuques sont capables de se marier et faire des enfans6 », car la sexualité reproductive constitue le prisme par lequel les castrats sont saisis par les médecins français. En 1707, c’est aussi la question du mariage et de ses finalités qui anime le juriste Charles Ancillon dans la rédaction du Traité des eunuques7. Sa préface mentionne explicitement les castrats italiens et donne le ton : les eunuques, stériles par définition, ne peuvent accéder au mariage pour des raisons morales évidentes. La même année, le chirurgien Pierre Dionis, dans ses Cours d’opérations de chirurgie (1707), prend clairement position contre la castration musicale et se défend d’en livrer la méthode8.

  • 9 On traduit aussi des auteurs qui livrent la méthode de la castration non thérapeutique des enfants (...)
  • 10 Nicolas-Philibert Adelon, article « Eunuque », dans Nicolas-Philibert Adelon et al., Dictionnaire (...)
  • 11 Kurt Sprengel, Histoire de la médecine depuis son origine jusqu’au xixe siècle, traduit de l’allem (...)
  • 12 Philibert-Joseph Roux, article « Castration », dans Nicolas-Philibert Adelon et al., Dictionnaire (...)

3Dès le début du xviiie siècle, les médecins français s’attachent comme lui à condamner les castrations non thérapeutiques – même si certains en précisent le mode opératoire9 – et les mobilisent pour penser les limites du geste chirurgical. Nombreux sont ceux qui dissertent sur les méfaits des « ignorans médicastres10 » qui, depuis l’Antiquité, castrent pour des pathologies dont il n’est pas certain qu’elles nécessitent une telle opération : la lèpre, l’épilepsie, mais aussi « l’éléphantiasis, l’aliénation mentale et la goutte, ou la podagre11 », ou encore le sarcocèle et les hernies. Les discussions sont âpres, mais au tournant du xixe siècle, un consensus s’opère : la castration constitue l’ultime possibilité thérapeutique des seules maladies mortelles du testicule12.

  • 13 Michel Procope-Couteaux, L’Art de faire des garçons, ou Nouveau tableau de l’amour conjugal, par M(...)
  • 14 Sur l’influence spécifique de Voltaire, voir Russell Goulbourne, « Entre le sexe et l’infâme : Vol (...)
  • 15 Antoine Le Camus, Mémoires sur divers sujets de médecine, Paris, chez Ganeau, 1760, chapitre VIII  (...)
  • 16 Marie-Laure Delmas, « “Le fait est certain, & cela suffit” : regard des Lumières sur l’eunuque », (...)
  • 17 Ces questions sont soulevées par le programme ANR JCJC CastrAlter, « Les castrats. Expériences de (...)

4Au siècle des Lumières, quelques voix dissonantes apparaissent toutefois, comme celle de Michel Procope-Couteaux dans son Art de faire des garçons (1748). Il est l’un des rares médecins à considérer de manière plus positive les castrats en évoquant notamment leurs « avantages » en matière de sexualité : leur stérilité susciterait un certain attrait chez les femmes13. Face à ce discours volontiers jugé immoral, ce sont davantage les représentations à charge qui dominent, comme celles de Buffon dans l’Histoire naturelle (1749) ou de Voltaire dans les articles « Testicules » et « Impuissance » des Questions sur l’Encyclopédie (1770)14. Dans la seconde moitié du xviiie siècle, tout en demeurant très peu présents au sein du royaume, les castrats deviennent d’ailleurs l’objet d’une multiplicité de discours scientifiques, mais aussi artistiques, juridiques et philosophiques, en prise avec les grands débats de l’époque. Dans les années 1760, ils incarnent par exemple le péril de la dépopulation pour Antoine Le Camus, qui met en parallèle l’eunuchisme, le célibat religieux et la diminution du nombre des sujets15. Les castrats s’apparentent dès lors à des figures repoussoirs des Lumières16, contre lesquelles se composent de nouvelles normes qui témoignent plus largement des luttes de prééminence intra-européennes17.

  • 18 Michel Delon, « Un monde d’eunuques », Europe, vol. 55, nº 574, 1977, p. 79-88.
  • 19 Les espaces européens sont alors fréquemment distingués en fonction de « degrés de civilisation » (...)
  • 20 Sylvie Mamy, Les castrats, Paris, Presses universitaires de France, « Que sais-je ? », 1998.
  • 21 Sur le modèle de masculinité hégémonique qui émerge dans l’Angleterre du xviiie siècle au sein de (...)

5En Angleterre, mais de manière plus sensible encore en France, les castrats sont en effet mobilisés pour décrire une Italie décadente (et en particulier l’Italie méridionale), engoncée dans les superstitions et la « barbarie ». Une barbarie tout orientale qui renvoie au despotisme (avec une critique des excès pontificaux, la papauté ayant officieusement soutenu le développement de la castration musicale), à la perversion des corps (contre laquelle ériger le respect de l’intégrité physique) et à l’efféminement stérile (symbole d’une dépopulation et d’une dégénérescence) ; autant de critères attachés à la figure omniprésente de l’eunuque dans les imaginaires français et au thème de la castration18. Dans cette énonciation des hiérarchies internes aux « civilisations » occidentales19, les processus de distinction à l’œuvre s’appuient clairement sur la dénonciation du « trouble » que les castrats sèmeraient dans le genre. Alors qu’ils incarnent en Italie – du moins avant les années 1760 et le plein déploiement de l’Illuminismo – un modèle de masculinité valorisé au service de l’exaltation du divin et constituent des acteurs majeurs de la musique baroque20, en France et en Angleterre, ces chanteurs bousculent les normes du masculin et servent progressivement de support à l’affirmation de modèles hégémoniques nationaux21.

Discours scientifiques et normalisation des corporéités masculines

  • 22 Sur la construction médicale du sexe et de sa binarité, on renvoie notamment aux travaux de Thomas (...)
  • 23 On se réfère ici aux théorisations de Connell et aux critiques de Demetriou : Raewyn Connell, Masc (...)

6Cet article s’emploie précisément à observer la façon dont le tableau physique et moral des castrats italiens élaboré par les médecins et les naturalistes français des Lumières participe de ce mouvement en s’inscrivant dans l’effort de construction et de définition médicale du sexe et en s’attachant plus particulièrement à fixer les normes du masculin22. Au cours de la seconde moitié du xviiie siècle en particulier, ces chanteurs semblent en effet institués en parangon d’une altérité de genre qui trouve sa traduction littéraire jusque dans le personnage de Zambinella, héros/héroïne de la nouvelle Sarrasine (1830) d’Honoré de Balzac. Je postule dès lors que la figure du castrat sert de support à l’énonciation des caractéristiques physiques et morales d’une masculinité hégémonique « à la française » et, partant, des contours d’une masculinité subordonnée (italienne, méridionale, orientale) dont les chanteurs seraient l’incarnation23.

  • 24 Lorraine Daston, L’économie morale des sciences modernes. Jugements, émotions, valeurs, Paris, La  (...)
  • 25 Un corpus de près de quatre-vingts livres de médecine ou de chirurgie (xvie siècle-première moitié (...)

7Les spécificités du corps scientifique des Lumières influencent indéniablement ces processus. Au sein de ce cénacle savant et bourgeois exclusivement masculin circulent des représentations des corps et de la sexualité traversées par des préoccupations sociopolitiques plus larges – la peur d’une dépopulation, les velléités impérialistes, le rapport à l’Orient… – qui modèlent profondément la perception de la castration. Elles mènent à replacer le récit scientifique au cœur de son « économie morale24 » et à souligner les enjeux concrets pour les médecins et naturalistes : les castrats questionnent leur propre sensibilité et rapport à la masculinité, tout comme les fondements et limites de leur éthique et de leurs pratiques professionnelles. Les ouvrages scientifiques qui constituent le cœur de cette étude25 ne sont donc pas saisis uniquement comme le lieu d’une production et d’une diffusion de savoirs, mais comme celui d’une reproduction d’un certain nombre de rapports de pouvoir (de genre notamment, par le redéploiement des rhétoriques sur l’infériorité féminine), légitimés par les modalités de la pratique et de la démonstration scientifiques.

  • 26 On pourrait de même s’étonner de l’absence d’analyses approfondies sur les eunuques ottomans, tand (...)
  • 27 Pierre Dionis, Cours d’opérations de chirurgie, op. cit., p. 386.
  • 28 Claude Rosental, « Anthropologie de la démonstration », Revue d’anthropologie des connaissances, 2 (...)

8Cette dynamique est renforcée par le fait que les castrats ne deviennent pas à proprement parler un objet d’études (et donc d’investigations) pour les médecins français26, qui s’en rapportent à des conclusions sur des hommes castrés pour raison médicale ou sur des eunuques « naturels » (nés sans testicules). La plupart n’ont jamais vu de castrat et ceux qui l’ont apparemment fait, comme le chirurgien Dionis, n’en tirent que des propos allusifs : « ils ont tout le loisir de se repentir de l’avoir soufferte [l’opération], comme je l’ai souvent ouï dire aux Italiens de la musique du Roi, lesquels sont au désespoir de se voir, pour le seul agrément de la voix qui leur reste, dans un état d’imperfection qui les sépare de la familiarité des autres, & les expose au mépris du beau sexe27 ». Dans ces écrits, le corps des castrats est observé in situ, sans être dénudé, soupesé, analysé de la même manière qu’en consultation ou dissection, opérant un déplacement du lieu de production des connaissances scientifiques. Un tel contexte invite à penser la « démonstration28 » à l’œuvre dans ces récits scientifiques et à interroger la part de réalité, de projections et de fantasmes dans les descriptions des chanteurs italiens.

9L’élaboration de la figure du castrat à partir de cas observés, ou justement jamais observés, renvoie par ailleurs à la pratique courante de la copie entre pairs, génératrice de poncifs et d’une homogénéité de points de vue. Celle-ci est d’autant plus marquée lorsqu’il s’agit moins de livrer le fait d’une observation que de composer un propos anecdotique. En effet, dans la plupart des écrits médicaux de l’époque, les castrats sont avant tout mobilisés dans le champ de l’anecdote, en commentaire, dans l’à-côté de la démonstration, tout en jouant un rôle majeur dans l’administration de la preuve et l’énonciation des normes de genre. Ces modalités spécifiques d’apparition des chanteurs italiens dans le livre scientifique français des Lumières portent à analyser les pratiques de véridiction à l’œuvre, soit les séries d’énoncés (dispositions physiques et morales notamment) qui font advenir, via la description d’une corporéité singulière et altérisée, une norme théorique qui serait caractéristique du masculin.

Les testicules ou la « fabrique du mâle »

  • 29 Nicolas-Philibert Adelon, article « Eunuque », art. cit., p. 360.
  • 30 Louis de Jaucourt, article « Testicules », dans Denis Diderot et Jean Le Rond d’Alembert, Encyclop (...)
  • 31 Rafael Mandressi, « La chaleur des hommes. Virilité et pensée médicale en Europe », dans Alain Cor (...)
  • 32 Voir notamment Elsa Dorlin, La matrice de la race : généalogie sexuelle et coloniale de la natio (...)

10« La réaction de l’appareil génital sur le reste de l’économie animale est si grande, et cette réaction chez les eunuques n’ayant jamais eu lieu, ou ayant essayé de se faire, il en est résulté en eux beaucoup d’autres changements physiques et moraux, qui méritent de fixer l’attention du médecin et du philosophe29. » Ces quelques mots du médecin et physiologiste Nicolas-Philibert Adelon, dans l’article « Eunuque » du Dictionnaire de médecine (1821), témoignent de l’importance des organes génitaux dans la fabrique du « mâle ». L’idée n’est pas nouvelle : le médecin grec Galien fait des testicules la partie la plus noble du corps et souligne leur vertu échauffante, encore admise à l’époque moderne, car, quoique ces « deux parties qui sont propres aux animaux mâles, & qui servent à la génération30 » soient froides, elles induisent la chaleur naturelle du corps31. Une chaleur pensée comme déterminante dans la sexuation des complexions : les corps chauds et secs des hommes s’opposent aux corps froids et humides des femmes32.

  • 33 Rafael Mandressi, « La chaleur des hommes », art. cit., p. 247 ; Pierre Pigray, Épitome des précep (...)
  • 34 Article « Viril », Dictionnaire de l’Académie française, 1694, p. 646.
  • 35 Voir par exemple Jacques Guillemeau dans ses Œuvres de chirurgie (1612), cité par Rafael Mandressi (...)
  • 36 Ibid., p. 246.
  • 37 Louis de Jaucourt, article « Testicules », dans Denis Diderot et Jean Le Rond d’Alembert, Encyclop (...)

11Les personnes castrées se trouvent dès lors privées du pouvoir irradiant des testicules et Pierre Pigray, dans son Epitome des preceptes de médecine et de chirurgie (1609), soutient que « le corps en pert la virilité, il demeure refroidy et effeminé, ayant changé son tempérament, son habitude et sa propre substance33 ». L’assimilation entre les testicules, la chaleur naturelle et la virilité – « ce qui convient à l’homme en tant que mâle34 » – est ainsi rappelée par les savants qui confirment qu’elle se perd après leur ablation35. C’est pourquoi Rafael Mandressi atteste de la « place décisive qu’ils occupent dans l’économie globale de la virilité, leur perte entraînant la disparition ou l’affaiblissement de l’ensemble des autres marques36 » corporelles ou morales. Louis de Jaucourt souligne d’ailleurs dans l’article « Testicules » de l’Encyclopédie que leur seule présence atteste de l’état viril : « Ils sont appellés [sic] testicules par un diminutif de testes, témoins, comme étant témoins de la virilité37 ».

  • 38 Laurence Moulinier, « La castration dans l’Occident médiéval », dans Autour de la castration : de (...)
  • 39 Georges-Louis Leclerc de Buffon, Histoire naturelle de l’homme, « De la puberté », Paris, Imprimer (...)
  • 40 Marie-Laure Delmas, « Le fait est certain », art. cit.
  • 41 Charles Ancillon, Traité des eunuques, op. cit., p. 67.
  • 42 Nicolas-Philibert Adelon, article « Eunuque », art. cit., p. 361 ; Charles Ancillon, Traité des eu (...)

12Dans ce contexte d’une valorisation des testicules dans la définition et la construction du masculin, les castrats se distinguent donc par ce qui leur manque38. Buffon, dans son Histoire naturelle de l’homme (1749), les compare ainsi à « ceux auxquels il ne manque rien39 ». Ce sont des hommes « incomplets » dans les discours médicaux, mais aussi philosophiques et littéraires des Lumières40, l’incomplétude renvoyant à l’idée d’une perversion de la nature. Charles Ancillon en fait « des créatures imparfaites, en un mot des monstres auxquels la nature n’avoit rien épargné, mais que l’avarice, la luxure, le luxe ou la malignité des hommes ont défigurés41 ». Au début du xixe siècle, le médecin Nicolas-Philibert Adelon va dans le sens du juriste en les qualifiant à son tour d’« hommes imparfaits42 ».

  • 43 Naomi Andre, Voicing Gender: Castrati, Travesti, and the Second Woman in Early-Nineteenth-Century (...)
  • 44 Todd S. Gilman, « The Italian (castrato) in London », dans R. Dellamore et D. Fischlin (dir.), The (...)
  • 45 Georges-Louis Leclerc de Buffon, Histoire naturelle de l’homme, « De la puberté », p. 486 ; Dictio (...)
  • 46 Nicolas-Philibert Adelon, article « Eunuque », art. cit., p. 364.

13Ces dénominations rompent toutefois avec l’appréciation de nombre de mélomanes européen·nes qui se délectent de leurs performances vocales et y voient au contraire une savoureuse perfection. La plupart des médecins français se gardent bien de s’étendre sur la qualité de la voix des castrats, ne soulignant que son caractère aigu ou son absence de gravité, considérée comme anormale. Dans l’opéra italien, les castrats jouent pourtant des rôles aussi bien masculins que féminins, car les voix aiguës incarnent sans difficulté aucune des personnages virils : empereurs, guerriers ou héros43. Leur art vocal entre néanmoins en dissonance avec la promotion croissante, en France comme en Angleterre, des « voix naturelles », attribuant un genre aux tessitures44. Fondamentalement opposés aux pratiques italiennes, les médecins français ne s’adonnent donc pas à l’étude de la castration comme technologie de la voix ; tout au plus conjecturent-ils sur la correspondance entre les testicules et la gorge ou le larynx45, tel Nicolas-Philibert Adelon : « Le larynx ayant chez eux conservé les petites dimensions de l’enfance, la voix reste aiguë, au lieu de devenir, comme à l’ordinaire, à la puberté, plus grave d’une octave : de là l’utilité de la castration pour avoir des voix de soprano, l’eunuque ayant la voix aiguë de l’enfant, mais avec toute l’étendue que lui fait acquérir un grand développement des cavités buccale, nasale et thoracique46. » Et, à vrai dire, la voix des castrats ne constitue à leurs yeux que l’un des signes d’une dévirilisation plus générale liée à la privation de testicules. Leur description d’une corporéité singulière – amoindrissement de la puissance physique, développement d’un embonpoint et absence de barbe notamment – renvoie autant à l’efféminement qu’à l’indistinction sexuée et trouve sa source dans l’appréhension de la puberté.

Corps impubères : l’immaturité constitutive des castrats

  • 47 Rafael Mandressi, « La chaleur des hommes », art. cit., p. 252.
  • 48 Philippine Valois, L’éveil des sens. Histoire médicale de la puberté (1750-1850), thèse de doctora (...)
  • 49 Arnulphe d’Aumont, article « Génération », dans Denis Diderot et Jean Le Rond d’Alembert, Encyclop (...)

14Dans la pensée médicale, la virilité renvoie à une « trajectoire et à un seuil47 », qui fait passer de l’enfance à la maturité (ou à la jeunesse), au cours de laquelle se déploie toute la perfection masculine, avant le déclin de la vieillesse. Si le rôle des testicules dans le déclenchement de la puberté n’est pas toujours clairement exprimé par les savants de l’époque moderne, c’est bien l’accroissement de la chaleur naturelle, produite par eux, qui fait progresser l’enfant vers l’âge viril48. La période prépubère est d’ailleurs vue comme un temps de végétation des forces encore inanimées dans l’article « Génération » de l’Encyclopédie : « jusqu’alors la nature paroit n’avoir travaillé qu’à l’accroissement & à l’affermissement de toutes les parties de cet individu […] ; il vit, ou plutôt il ne fait encore que végéter d’une vie qui lui est particulière, toujours foible, renfermée en lui-même, & qu’il ne peut communiquer ». À l’enfance, état sans chaleur, succède un éveil des sens, une « surabondance de vie, source de la force & de la santé » annonçant la fécondité49. Qu’advient-il alors quand une castration est réalisée ? Le jeune castrat demeure-t-il dans un état de froideur, comme brisé dans son élan ?

  • 50 Voir par exemple Nicolas-Philibert Adelon, article « Eunuque », art. cit., p. 362.
  • 51 Louis de Jaucourt, article « Puberté », dans Denis Diderot et Jean Le Rond d’Alembert, Encyclopédi (...)

15Ces questions passionnent les médecins, qui distinguent les effets de l’opération en fonction de l’âge à laquelle elle est pratiquée. Ils postulent que plus la castration est réalisée tôt, sur de jeunes hommes impubères, plus elle constitue un frein dans leur développement et entraîne des modifications corporelles irréversibles50. Les chanteurs étant généralement castrés autour de 8-10 ans, ils seraient ainsi privés des effets de la puberté rapportés par Louis de Jaucourt : augmentation de la taille, accroissement des parties génitales, apparition de petits boutons et de poils, changement dans le son de la voix qui devient « rauque & inégal pendant un espace de tems assez long, après lequel il se trouve plus plein, plus assuré, plus fort & plus grave qu’il n’étoit auparavant » – ce que la castration empêche justement –, mais aussi « la barbe & l’émission de la liqueur séminale51 ». Autant de caractéristiques mobilisées pour décrire l’altérité des castrats, car ils ne suivraient pas ce développement jugé normal.

  • 52 Jean-Marie Le Gall, Un idéal masculin ? Barbes et moustaches (xve-xviiie siècles), Paris, Payot, 2 (...)
  • 53 Denis Diderot et Jean Le Rond d’Alembert, Encyclopédie, op. cit. On note une reprise des Instituti (...)
  • 54 De Lignac, De l’homme et de la femme, considérés physiquement dans l’état du mariage, t. 2, Lille, (...)
  • 55 Scipion Dupleix, La curiosité naturelle rédigée en questions selon l’ordre alphabétique, Rouen, Ni (...)
  • 56 Nicolas-Philibert Adelon, article « Eunuque », art. cit., p. 362.
  • 57 Certains vont jusqu’à animaliser pleinement les castrats, tel M. de Montpinsson qui dédie ces vers (...)

16Certaines retiennent toutefois davantage l’attention des médecins, car si la voix apparaît finalement peu dans leurs propos, la pilosité des chanteurs italiens est omniprésente. Les descriptions médicales concordent en effet pour faire d’eux des hommes imberbes, tandis que la pilosité constitue un marqueur fondamental de la différenciation des sexes52 et que la barbe est pour beaucoup « la première marque de puberté53 ». Les « femmes à barbe » font ainsi l’objet d’investigations médicales, au même titre que les peuples jugés imberbes, comme les « Indiens » ou « sauvages d’Amérique54 ». L’absence de pilosité s’explique alors par un excès de froideur et d’humidité qui « empesche le poil de poindre » aux femmes « comme aux chastrez et aux enfans55 ». Une idée reprise par le Dictionnaire de médecine (1821) – « les poils qui apparaissent alors au pubis, au thorax, aux aisselles, manquent : il en est de même de la barbe » –, qui poursuit en comparant différents marqueurs : « Dans les animaux chez lesquels des cornes, ou des ergots, ou des crêtes, sont les attributs du sexe mâle, ces parties manquent aussi56. » Les châtrés de toutes espèces sont ainsi privés des signes virils qui font la fierté de l’homme, du taureau ou du coq57.

  • 58 Voir Marie-France Auzepy et Joël Cornette, Histoire du poil, Paris, Belin, 2011.
  • 59 Une désirabilité et une érotisation d’ailleurs présentes dans les discours médicaux sur la puberté (...)

17Qu’en était-il vraiment de la pilosité des chanteurs italiens ? Les portraits les laissent généralement glabres, mais il s’agit aussi d’une convention picturale propre aux xviie et xviiie siècles, car la barbe, même naissante, n’est que rarement représentée58. En définitive, les assertions médicales semblent davantage composer la figure du castrat imberbe qu’elles ne retranscrivent la variété des dispositions individuelles. L’assimilation du corps des castrats à un corps impubère – et donc fondamentalement imberbe – implique pour nombre de scientifiques leur maintien dans l’adolescence, dans un état d’imperfection pré-viril59. Or, cet état spécifique renvoie à une forme d’indistinction sexuée : le manque de chaleur corporelle explique, en lien avec une défaillance du développement pubère, les discours sur l’efféminement des castrats noyés dans l’humide froideur caractéristique des corps féminins.

Efféminements : infériorisations physiques, intellectuelles et morales

  • 60 Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine et Georges Vigarello (dir.), Histoire de la virilité, op. cit.
  • 61 Sur ces questions d’érotisation et de féminisation des Orientaux, voir notamment Edward W. Saïd, L (...)
  • 62 Nahema Hanafi, Le frisson et le baume. Expériences féminines du corps au siècle des Lumières, Renn (...)
  • 63 Jacques Duval, Des hermaphrodits, accouchemens des femmes, et traitement qui est requis pour les r (...)

18Dans la société patriarcale de la France moderne, l’efféminement est un outil de marginalisation des catégories sociales dérogeant aux normes masculines dominantes. Il s’agit de promouvoir le modèle de l’honnête homme policé et civilisé, maître de soi et de ses pulsions, alliant la délicatesse à l’urbanité, la modération à l’agilité60. Les médecins français disqualifient ainsi les « Orientaux », jugés lascifs et vicieux, pour ne pas dire « sodomites61 », ou encore les « petits maîtres » et « gens du monde » souffrant à l’image des vaporeuses d’abattements, de langueurs, engourdissements, accablements et autres délabrements62. Les mœurs jugées « efféminés » de ces hommes provoquent une féminisation physique et morale, tandis que les castrats la subissent à la suite de l’ablation des testicules. Au début du xviie siècle, le médecin Jacques Duval soutient ainsi que ceux qui « en sont destituez, se trouvent de trop plus froids, débiles, effeminez : et voit-on que leur inclination d’esprit est plus perverse, timide et leurs mœurs corrompuës63 ».

19Ces descriptions corporelles reprises au fil des siècles, aussi peu étayées que les assertions sur la pilosité des castrats, témoignent d’un basculement inévitable vers l’imperfection féminine dont Nicolas-Philibert Adelon fait encore état dans les premières décennies du xixe siècle :

  • 64 Nicolas-Philibert Adelon, article « Eunuque », art. cit., p. 363. Sur le développement d’un squele (...)

La peau est restée douce, blanche, et dépouillée de poils ; les cheveux, par contre, sont plus beaux, et persistent plus longtemps. Il y a mollesse, pâleur, flaccidité des chairs, prédominance du système cellulaire qui se charge de graisse […]. Il y a développement du système lymphatique. Le squelette lui-même se rapproche de celui de la femme ; dès lors, au lieu des formes toreuses, muselées de l’homme parfait, l’eunuque doit avoir des formes arrondies ; empâté, chargé d’embonpoint, il a le ventre mou et relâché, les cuisses grosses, les jambes gonflées, toutes les articulations comme bourrées64.

  • 65 Georges Vigarello, « La virilité moderne. Convictions et questionnements », dans Alain Corbin, Jea (...)
  • 66 Le chirurgien Jacques Guillemeau, cité par Rafael Mandressi, « La chaleur des hommes », art. cit.,(...)
  • 67 Jean-Jacques Rousseau, Dictionnaire de musique, Paris, Veuve Duchêne, 1768, p. 76-77. Ces représen (...)
  • 68 Todd Reeser, Moderating Masculinity in Early Modern Culture, Chapel Hill, University of North Caro (...)

20Le médecin reprend ici les théorisations médicales sur une corporéité féminine faite de fragilité, de lividité, mais aussi de pléthore, d’engorgement de graisses et de fluides. La silhouette des castrats constitue dès lors l’un des marqueurs de leur efféminement, tant ils semblent éloignés des normes viriles de la grâce, de la prestance et de la finesse65. Chez les médecins français, le castrat « mol, flasque66 » passe pour « faire du gras » ! Jean-Jacques Rousseau ne cache pas non plus sa répugnance : « Ils […] prennent un embonpoint dégoûtant67. » C’est que la vertu première de l’honnête homme est justement la modération68 ; elle est fondamentalement une capacité masculine à combattre l’excès, à se contrôler, y compris dans les plaisirs de la table.

  • 69 Georges-Louis Leclerc de Buffon, Histoire naturelle de l’homme, « De la puberté », op. cit., p. 67 (...)
  • 70 Nicolas-Philibert Adelon, article « Eunuque », art. cit., p. 362.
  • 71 Georges-Louis Leclerc de Buffon, Histoire naturelle de l’homme, « De la puberté », op. cit., p. 48 (...)
  • 72 Nicolas-Philibert Adelon, article « Eunuque », art. cit., p. 365.
  • 73 Sur les développements de l’histoire naturelle et l’affirmation de la primauté des humains sur le (...)

21Cette idée d’une adiposité particulière, notamment située au niveau des hanches et de la poitrine, est fréquemment reliée à la castration animale. Comme « tous les animaux mutilés », rappelle Buffon, « ils grossissent plus que ceux auxquels il ne manque rien ; les hanches surtout et les genoux des eunuques grossissent69 ». Nicolas-Philibert Adelon fait lui aussi ce parallèle : « Ainsi l’homme a souvent fait subir à ses semblables, par divers motifs également honteux, la mutilation qu’il pratique sur plusieurs animaux domestiques, dans la vue […] de rendre leur chair plus douce, plus tendre, plus chargée de graisse70. » L’engraissement renvoie également à un amoindrissement de la force physique des castrats71 ; ainsi, le médecin poursuit : « Chez les eunuques, la force physique est moindre ; ils sont moins capables de marche prolongée, d’efforts musculaires. L’on sait que la castration est, en effet, un moyen que nous employons pour dompter les animaux, et les soumettre au joug de la domesticité72. » Le bœuf s’oppose au taureau, comme le castrat à l’homme. La métaphore animale surgit non pas pour signifier une force bestiale, mais au contraire pour avancer que l’opération amoindrit la puissance physique, faisant des castrés, hommes et bêtes, des êtres dévirilisés, soumis, domestiqués. Sans cesse la comparaison animale opère comme un autre levier de marginalisation dans cette société fondamentalement spéciste73. À l’image parfaite du guerrier tendu de virilité s’oppose ainsi le flasque des chanteurs ventripotents et pesants entravés par des obstructions toutes féminines.

  • 74 Charles Ancillon, Traité des eunuques, op. cit., p. 6-10.
  • 75 Nicolas-Philibert Adelon, article « Eunuque », art. cit., p. 365.
  • 76 Pierre Dionis, Cours d’opérations de chirurgie, op. cit., p. 386.
  • 77 Nicolas-Philibert Adelon, article « Eunuque », art. cit., p. 365.
  • 78 François Fabre, Bibliothèque du médecin-praticien, Paris, Le Boucher, s. d., chapitre IX, II, « De (...)
  • 79 Nicolas-Philibert Adelon, article « Eunuque », art. cit., p. 365.
  • 80 Valeria Finucci, The Manly Masquerade: Masculinity, Paternity, and Castration in the Italian Renai (...)
  • 81 Valentina Anzani, Antonio Bernacchi. Virtuoso e maestro di canto Bolognese, thèse de doctorat, uni (...)

22Suivant la médecine moderne liant le corps à l’âme, la privation de testicules entraîne également un efféminement moral largement décrié par les médecins qui assignent aux castrats les vices jugés typiquement féminins : la crainte et la timidité74, la fourberie et « l’amour de l’intrigue75 », la dissimulation76, la bassesse77… Leurs « facultés intellectuelles très bornées78 » constituent également un poncif. À ces infériorités féminines s’ajoutent parfois des aspirations sociales spécifiques, comme un certain attrait pour les enfants, surtout mentionné au début du xixe siècle. Nicolas-Philibert Adelon fait référence au médecin allemand Franz Joseph Gall qui « dit avoir remarqué que la castration entraîne un plus grand développement du lobe postérieur du cerveau, qui, selon lui, est l’organe de l’amour maternel ; si sa remarque est vraie, cela explique le goût des eunuques pour les enfants ». Sans donner un blanc-seing au phrénologiste, il abonde dans son sens par une nouvelle comparaison avec le règne animal : « Il est certain au moins que, dans les espèces animales qui ont naturellement des eunuques, ces individus neutres sont chargés du soin de la progéniture79 ». Rappelons toutefois qu’il est interdit aux castrats d’adopter un enfant au prétexte que leur mutilation les prive des vertus morales nécessaires à l’exercice de l’autorité paternelle80, quand bien même nombre d’entre eux jouent un rôle majeur auprès de leurs neveux notamment81.

  • 82 Pierre Dionis, Cours d’opérations de chirurgie, op. cit., p. 385.
  • 83 Dictionnaire des sciences médicales, Paris, Panckoucke, 1812, vol. 4, p. 276.

23L’efféminement physique et moral des castrats n’a pas une simple valeur descriptive dans les discours médicaux, car il est également utilisé pour les déclarer inaptes à endosser des fonctions sociales masculines importantes. Au seuil du xviiie siècle, Pierre Dionis dénonce ainsi l’improductivité des castrats pour les États : « C’est pourquoi les Royaumes & les Républiques ont intérêt de s’opposer à la castration ; ceux à qui on la fait sont tous gens qui restent fort inutiles, étant incapables de faire fleurir les sciences, d’entretenir le commerce & de cultiver la terre, n’ayant aucune vigueur pour soutenir les travaux & pour résister aux ennemis82. » Au lendemain de la Révolution française, le discours n’a pas changé, car le Dictionnaire des sciences médicales (1812) assène que « la castration exclut principalement l’aptitude au mariage, au service militaire et au sacerdoce83 ». Les propos scientifiques sur les castrats constituent dès lors l’occasion de rappeler l’exclusion des femmes et de leurs assimilés d’un certain nombre de prérogatives réservées aux hommes. Ils témoignent des enjeux de l’énonciation d’une masculinité marginalisée contre laquelle énoncer les rôles, attributs et normes d’une masculinité hégémonique assurant la reproduction des sujets, la domination militaire, la capacité productive ainsi que le maintien des valeurs morales et spirituelles.

Un troisième sexe ? Castration, androgynie et puissance sexuelle

  • 84 Article « Androgyne », Dictionnaire de l’Académie française, 1re édition, 1694.
  • 85 Charles Ancillon, Traité des eunuques, op. cit., p. 1-6.

24Impubères et efféminés, les castrats semblent évoluer dans une forme d’indistinction qui vient brouiller la différence et la binarité des sexes, en même temps qu’elle rend nécessaire leur réaffirmation par les discours scientifiques. Sont-ils des hommes, des femmes ou des androgynes, ces « personnes qui sont masles & femelles tout ensemble84 » ? Si les paradigmes médicaux permettent de penser une certaine fluidité, la figure des castrats renvoie davantage à un dilemme classificatoire qu’à la volonté de penser un troisième sexe à partir des eunuques. Les médecins ne reprennent donc pas le juriste Charles Ancillon qui postule qu’ils ne peuvent être mis « ni au rang des hommes, ni au rang des femmes » et sont « une troisième sorte d’hommes85 ». « Incomplets », les eunuques sont des hommes qui dérogent aux normes viriles ; « efféminés », ils ne sauraient être pleinement assimilés à des femmes, car les médecins reconnaissent en eux des caractéristiques masculines, aussi inachevées soient-elles.

  • 86 Patrick Graille, Le troisième sexe. Être hermaphrodite aux xviie et xviiie siècles, Paris, Édition (...)
  • 87 Pierre Dionis, Cours d’opérations de chirurgie, op. cit., p. 238-239.
  • 88 Je reprends ici Russell Goulbourne, « Entre le sexe et l’infâme : Voltaire et les castrats », art. (...)
  • 89 Nicolas-Philibert Adelon, article « Eunuque », art. cit., p. 362.

25L’androgynie supposée des castrats mène les médecins français à les comparer aux « hermaphrodites », qui troublent également la binarité des sexes, mais renvoient à un processus naturel d’altérité biologique86, d’ailleurs pensé comme « réparable » par la chirurgie87. Voltaire présente ainsi l’hermaphrodisme comme un « prodige de la nature », là où le castrat est un « monstre fait à la main, produit d’un crime révoltant88 ». L’attention portée à la description de leurs organes génitaux oppose également les deux figures. Si ceux des « hermaphrodites » sont amplement commentés et donnés à voir, aussi bien par Nicolas Venette que par l’Encyclopédie, les médecins se montrent bien moins loquaces pour les castrats. Tout au plus répètent-ils que les testicules leur manquent, sans donner de plus amples informations sur les traces de l’opération. Cela est d’autant plus étonnant que les castrations musicales ne consistent pas en une ablation du scrotum, mais en une ligature du cordon spermatique suivie d’une ablation du testicule. Rares sont ceux qui, comme Nicolas-Philibert Adelon, mentionnent par exemple un resserrement du scrotum89.

  • 90 Georges-Louis Leclerc de Buffon, Histoire naturelle de l’homme, « De la puberté », op. cit.
  • 91 Nicolas-Philibert Adelon, article « Eunuque », art. cit., p. 362.

26Les descriptions du phallus des castrats sont également quasi absentes, si ce n’est pour supposer que son développement dépend étroitement de l’âge auquel l’opération a été réalisée. Faute d’observations documentées, les médecins français s’appuient sur l’idée selon laquelle les organes sexuels se développent plus particulièrement à la puberté, ce que rappelle Buffon : « Cette partie qui leur reste n’a pris qu’un très petit accroissement, car elle demeure à peu près dans le même état où elle étoit avant l’opération ; un eunuque fait à l’âge de sept ans est à cet égard à vingt ans comme un enfant de sept ans ; ceux au contraire qui n’ont subi l’opération que dans le temps de la puberté ou un peu plus tard sont à peu près comme les autres hommes90. » Nicolas-Philibert Adelon va plus loin dans sa description d’un sexe rendu inutile : « Leur pénis, flétri, atrophié, est impropre à l’érection, sans laquelle ne peut se faire aucun rapprochement91. »

  • 92 Sur l’appréhension moderne de la sexualité comme « penetrative heterosexual intercourse », voir Ti (...)
  • 93 Sylvie Chaperon, Les origines de la sexologie (1850-1900), Paris, Éditions Audibert, 2007, p. 95. (...)

27Ces conclusions donnent l’image d’un castrat inapte à l’exercice sexuel, alors que la sexualité masculine est comprise comme une « puissance », un pouvoir d’engendrement dépendant d’une mécanique sexuelle spécifique (érection, pénétration, éjaculation). La sexualité est effectivement pensée à la fois comme un élan physique pénétratif et comme une volonté de reproduction : le corps érotique ne se dissocie pas du corps reproducteur dans les représentations normatives92. Ce chevauchement entre sexualité et reproduction explique à mon sens l’ambiguïté cultivée autour des castrats à propos de leurs capacités sexuelles dans une forme de confusion entre la notion d’impuissance et celle de stérilité. La multiplication des termes relatifs à l’incapacité de génération, englobant l’inaptitude au coït et à la reproduction (frigidité, infécondité, impuissance, stérilité93…), enjoint souvent les auteurs à faire des chanteurs des exemples d’une incapacité sexuelle décriée.

  • 94 Nicolas-Philibert Adelon, article « Eunuque », art. cit., p. 361.
  • 95 Georges-Louis Leclerc de Buffon, Histoire naturelle de l’homme, « De la puberté », op. cit.
  • 96 Mélanie Traversier, « Paradoxes d’une masculinité mutilée », art. cit., p. 140. On renvoie ici not (...)

28Mais certains médecins attestent – au risque de se dédire et d’introduire des incohérences – de la capacité érectile et pénétrative des châtrés « auxquels on a enlevé les testicules par la ligature, l’excision ou la cautérisation », tel Nicolas-Philibert Adelon les jugeant « stériles », mais précisant qu’« ils peuvent encore accomplir l’acte extérieur de la génération ; et, si l’on en croit le mordant Juvénal, [qu’]ils étaient recherchés des dames romaines, quod abortivo non est opus94 ». Buffon soutient lui aussi que « les eunuques auxquels on n’a ôté que les testicules (y compris dans leur jeune âge) ne laissent pas de sentir de l’irritation dans ce qui leur reste et d’en avoir le signe extérieur, même plus fréquemment que les autres hommes95 ». Ces propos composent un tout autre discours sur la sexualité des castrats, décrits comme des hommes fougueux particulièrement convoités par les femmes soucieuses de réguler leur fécondité. Cette réputation sulfureuse est courante à l’époque et doit, comme les propos scientifiques, être nuancée, car les castrats n’échappent pas aux destinées individuelles et, comme tous les hommes, peuvent vivre des sexualités faites de capacités érectiles et d’appétits variables96.

  • 97 Helen Berry, « Queering the History of Marriage: The Social Recognition of a Castrato Husband in E (...)
  • 98 Charles Ancillon, Traité des eunuques, op. cit., p. 158.

29Dans les faits, ils ne sont autorisés ni à se marier ni à entretenir une sexualité – pensée comme intrinsèquement reproductive –, et la papauté se montre inflexible en refusant les demandes de dispense qui lui sont adressées97, ce qui porte à penser qu’ils font planer sur la société une véritable menace morale. Après avoir soutenu mordicus que les castrats n’étaient pas en mesure d’avoir des rapports sexuels, au terme de près de 160 pages de son Traité des eunuques, le juriste Charles Ancillon lâche au détour d’un paragraphe : « Il est certain qu’un eunuque ne peut satisfaire qu’aux désirs de chair, à la sensualité, à la passion, à la débauche, à l’impureté, à la volupté, à la lubricité98. » Ce n’est plus un homme infirme ou frigide qui se dessine ici, mais « simplement » un homme stérile en capacité d’avoir des relations sexuelles qui, n’étant pas destinées à la reproduction, sont jugées obscènes. Comme Ancillon, nombre de médecins se saisissent des ambivalences du terme « impuissance » pour faire sortir les castrats du champ de la sexualité et du marché matrimonial pour des raisons morales.

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  • 99 Candace West et Don H. Zimmerman, « Doing Gender », Gender and Society, vol. 1, no 2, juin 1987, p (...)
  • 100 Ces questions constituent le cœur du programme ANR JCJC CastrAlter « Les castrats. Expériences de (...)

30La prévalence des testicules dans la définition médicale de la virilité mène les médecins français à lister une variété de changements irréversibles et structurels induits par la castration musicale. Le plus évident pour les castrats et leur public, c’est-à-dire les modifications de la voix, est généralement supplanté par la focalisation sur la stérilité, particulièrement préoccupante aux yeux des médecins qui y voient la marque première d’une dévirilisation. En présupposant aussi des changements dans la force physique, la silhouette, la pilosité, les dispositions intellectuelles et morales, ils décrivent une altération des marqueurs essentiels de la virilité, qu’ils sont ainsi amenés à réaffirmer. La masculinité se fonde donc sur des critères corporels et moraux apparentés à des dispositions « naturelles », au sens de « biologiques ». Les discours scientifiques français sont d’autant plus révélateurs des dynamiques de normalisation et de naturalisation à l’œuvre qu’ils entrent en concurrence avec d’autres manières de voir. Celle des castrats italiens notamment, qui réfutent pour la plupart leur exclusion du champ du masculin : leurs propres manières de « faire le genre99 » et de définir leur masculinité ouvrent la voie à une rupture radicale avec sa stricte biologisation, comme à l’élaboration de masculinités alternatives100.

  • 101 Les performances de genre ne sont d’ailleurs pas réservées à ces chanteurs, car elles sont fréquen (...)
  • 102 Voir notamment Giuseppe Gorani, Mémoires secrets et critiques des cours, des gouvernemens et des m (...)
  • 103 Voir notamment Roger Freitas, « The Eroticism of Emasculation », art. cit ; Magali Le Mens, Modern (...)

31Dans la France des Lumières, les castrats ne semblent donc pas pouvoir incarner une virilité pleine et entière et sont renvoyés à une forme de masculinité marginalisée largement moquée ou décriée dans les productions scientifiques, mais aussi littéraires ou philosophiques. Les chanteurs italiens sont dès lors mobilisés dans une fabrique de l’altérité révélatrice d’enjeux sociopolitiques plus larges. Ils permettent tout d’abord de penser les contours du féminin et du masculin en opérant une nette biologisation des identités de genre et en réaffirmant la binarité, qui contrecarre l’appétence de certain·es pour une plus grande fluidité, notamment sur les scènes artistiques101. Les castrats invitent également à penser ce que le xixe siècle appellera l’homosexualité : il en a peu été question dans cet article s’appuyant uniquement sur les sources médicales, mais ils sont ailleurs présentés comme les objets d’une convoitise masculine, celle de gens d’Église ou de mécènes en particulier102. Dans des discours minoritaires, mais audibles, et souvent sous la plume d’hommes, les chanteurs italiens constituent d’ailleurs l’incarnation d’une beauté androgyne idéale, qui n’est pas sans lien avec l’érotisation de l’hermaphrodisme103. À même le corps des castrats se joue une confrontation des normes corporelles, sexuelles et esthétiques en construction et en mutation dans la France moderne et post-révolutionnaire.

  • 104 L’Italie apparaît ainsi comme une indigne exception au sein de la chrétienté occidentale. Voir Cha (...)
  • 105 Archivio di Stato di Napoli, Decreti originali 3, decre. no 534, 27 novembre 1806.
  • 106 Rosa Cafiero, « Istruzione musicale a Napoli fra decennio francese e restaurazione borbonica : il (...)

32Les frontières entre Occident et Orient sont également bousculées par la figure des castrats qui témoigne d’une orientalisation de certains espaces européens104, et repose à nouveaux frais la question de l’opposition entre « civilisés » et « barbares », ici autour du respect de la « nature » promue par les médecins et naturalistes. À l’issue des campagnes napoléoniennes, l’attention des Français à corriger ces errements italiens se matérialise par le choix de Joseph Bonaparte d’interdire la castration et le recrutement des castrats dans les conservatoires napolitains105. Il acte également la création d’une école de musique pour jeunes filles à qui les voix aiguës reviendront106. Ces législations marquent le triomphe de la virilité « à la française » et des idéaux des Lumières promouvant autant l’intégrité physique que la naturalisation des identités de genre. Une intégrité qui ne concerne toutefois que certains corps, car les castrats interrogent également les contours de l’animalité : le refus des castrations humaines (avec leur criminalisation dans le Code pénal de 1810) ne s’accompagne pas d’une réflexion identique pour les autres espèces animales, sur lesquelles l’opération demeure légitime.

33Enfin, les castrats posent aux scientifiques français la question de l’intervention non thérapeutique sur les corps. Ils fonctionnent, au siècle des Lumières, comme une métaphore du dévoiement du geste chirurgical qui, en ne se portant pas garant de l’intégrité physique et du respect des lois « naturelles », est à même de bouleverser l’ordre moral et politique du genre. Les chirurgiens ne sauraient en effet se prévaloir d’être les instruments d’une atteinte fondamentale à la virilité. S’opposent ainsi deux perceptions diamétralement opposées de l’intervention sur les corps : l’une méliorative visant à produire une voix spécifique au détriment de certaines dispositions biologiques (dont la reproduction), l’autre intimant au geste chirurgical de ne pas attenter au plein développement des marqueurs énoncés de la différenciation des sexes. Rien d’étonnant à ce que les castrations musicales se soient développées avec la bénédiction des autorités pontificales valorisant la virginité, la chasteté et le célibat, autant de pratiques âprement combattues par les médecins et les autorités publiques françaises qui promeuvent au contraire la puissance masculine reproductive et l’institution du mariage. Cette tension explique que quelques centaines d’hommes tout au plus aient ainsi été érigés par les discours scientifiques français à la fois comme l’incarnation d’une masculinité marginalisée et comme un modèle aberrant de la gestion du vivant : un archétype baroque pris sous le feu des raisonnements populationnistes et de la réitération des normes de genre dominantes.

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Notes

1 Patrick Barbier, La maison des Italiens. Les castrats à Versailles, Paris, Grasset, 1998.

2 Youri Carbonnier, « Les voix de dessus à la Chapelle royale au xviiie siècle. Castrats, pages et faussets (1715-1792) », Revue de Musicologie, vol. 105, no 2, 2019, p. 245-284.

3 La première mention d’un castrat (Atto Melani) dans un journal de voyage français est celle de Monconys ; cela devient ensuite un poncif de cette littérature : Balthazar de Monconys, Journal des voyages de monsieur de Monconys, Voyage d’Angleterre, Pays-Bas, Allemagne, & Italie, Sieur de Liergues, 1665.

4 Comme lors de la première querelle de la musique italienne (1702-1706) : voir François Raguenet et Jean-Laurent Le Cerf de Viéville, La première querelle de la musique italienne (1702-1706), édition établie par Laura Naudeix, Paris, Classiques Garnier, 2018.

5 Sur ce regain d’intérêt, datant de plusieurs décennies déjà, voir Michael Stolberg, « A Woman Down to Her Bones: The Anatomy of Sexual Difference in the Sixteenth and Early Seventeenth Centuries », Isis, vol. 94, no 2, 2003, p. 274-299. On renvoie également à toute la bibliographie sur la construction médicale du sexe.

6 Nicolas Venette, De la génération de l’homme, ou Tableau de l’amour conjugal. Divisé en quatre parties, par Mr Nicolas Venette, 1702 [1687], 8e édition, partie III, chapitre VI : « Si les eunuques sont capables de se marier et à faire des enfans », p. 632.

7 Charles Ancillon, Traité des eunuques, dans lequel on explique toutes les différentes sortes d’eunuques, quel rang ils ont tenu & quel cas on en a fait. On examine principalement s’ils sont propres au mariage, et s’il leur doit être permis de se marier, s. l., s. n., 1707.

8 Pierre Dionis, Cours d’opérations de chirurgie, démontrées au jardin royal, par M. Dionis, 8e édition revue par George de La Faye, Paris, Méquignon l’aîné, 1782 [1707], p. 386.

9 On traduit aussi des auteurs qui livrent la méthode de la castration non thérapeutique des enfants, tout en dénigrant la pratique : Robert James, Dictionnaire universel de médecine, traduit de l’anglais de M. James par Mrs Diderot, Eidous et Toussaint, Paris, Briasson/David l’aîné/Durand, 1747.

10 Nicolas-Philibert Adelon, article « Eunuque », dans Nicolas-Philibert Adelon et al., Dictionnaire de médecine, Paris, Béchet jeune, 1821-1828, t. 8, p. 360-368.

11 Kurt Sprengel, Histoire de la médecine depuis son origine jusqu’au xixe siècle, traduit de l’allemand sur la seconde édition par A. J. L. Jourdan, t. 9, 1815, p. 236.

12 Philibert-Joseph Roux, article « Castration », dans Nicolas-Philibert Adelon et al., Dictionnaire de médecine, op. cit, p. 345.

13 Michel Procope-Couteaux, L’Art de faire des garçons, ou Nouveau tableau de l’amour conjugal, par Mr Basset, docteur en médecine de l’université de Montpellier, Montpellier, Franc̜ois Maugiron, 1755, p. 154-155.

14 Sur l’influence spécifique de Voltaire, voir Russell Goulbourne, « Entre le sexe et l’infâme : Voltaire et les castrats », Revue Voltaire, no 14, 2014, p. 81-99.

15 Antoine Le Camus, Mémoires sur divers sujets de médecine, Paris, chez Ganeau, 1760, chapitre VIII : « Sur la conservation des hommes bien faits ». Sur les craintes d’une dépopulation, voir Caroline Blum, Croître ou périr. Population, reproduction et pouvoir en France au xviiie siècle, Paris, Institut national d’études démographiques, 2013.

16 Marie-Laure Delmas, « “Le fait est certain, & cela suffit” : regard des Lumières sur l’eunuque », Dix-huitième siècle, no 41, 2009, p. 431-447.

17 Ces questions sont soulevées par le programme ANR JCJC CastrAlter, « Les castrats. Expériences de l’altérité dans l’Europe des Lumières », ANR-21-CE41-0001.

18 Michel Delon, « Un monde d’eunuques », Europe, vol. 55, nº 574, 1977, p. 79-88.

19 Les espaces européens sont alors fréquemment distingués en fonction de « degrés de civilisation » et les marges orientales semblent ainsi avoir atteint un degré moindre de « perfection des mœurs ». Voir Antoine Lilti, « La civilisation est-elle européenne ? Écrire l’histoire de l’Europe au xviiie siècle », dans Antoine Lilti et Céline Spector (dir.), Penser l’Europe au xviiie siècle. Commerce, civilisation, empire, Oxford, Voltaire Foundation, 2014, p. 140. Voir également les « types nationaux européens » élaborés par les intellectuels et artistes : Isabel Herrero et Lydia Vasquez, « Types nationaux européens dans des œuvres de fiction françaises (1750-1789) », Dix-huitième siècle, no 25, 1993, p. 115-125.

20 Sylvie Mamy, Les castrats, Paris, Presses universitaires de France, « Que sais-je ? », 1998.

21 Sur le modèle de masculinité hégémonique qui émerge dans l’Angleterre du xviiie siècle au sein de la gentry, on lira notamment Demetrakis Z. Demetriou, « Connell’s concept of a hegemonic masculinity: a critique », Theory and Society, vol. 30, no 3, 2001.

22 Sur la construction médicale du sexe et de sa binarité, on renvoie notamment aux travaux de Thomas Laqueur et à ses critiques. On lira également, sur des questionnements proches : Katherine Crawford, Eunuchs and Castrati: Disability and Normativity in Early Modern Europe, Londres, Routledge, 2019.

23 On se réfère ici aux théorisations de Connell et aux critiques de Demetriou : Raewyn Connell, Masculinités. Enjeux sociaux de l’hégémonie, Paris, Éditions Amsterdam, 2014 ; Demetrakis Z. Demetriou, « Connell’s concept of a hegemonic masculinity: a critique », art. cit. La masculinité hégémonique qualifie « une ascendance sociale d’un groupe d’hommes sur d’autres hommes » (Connell, p. 13) et la masculinité subordonnée renvoie à des hommes considérés comme inférieurs parce qu’ils n’incarnent pas les valeurs et normes de la masculinité hégémonique.

24 Lorraine Daston, L’économie morale des sciences modernes. Jugements, émotions, valeurs, Paris, La Découverte, 2014.

25 Un corpus de près de quatre-vingts livres de médecine ou de chirurgie (xvie siècle-première moitié du xixe siècle) évoquant la castration a été analysé. Seront surtout mobilisés ici en citation les ouvrages les plus souvent repris par les auteurs en ce qu’ils semblent constituer des références (l’article « Puberté » de Buffon par exemple) ainsi que les différentes notices des dictionnaires et encyclopédies.

26 On pourrait de même s’étonner de l’absence d’analyses approfondies sur les eunuques ottomans, tandis que se développent, dans le champ de la médecine coloniale, les études et expérimentations sur les corps non blancs (mesure du crâne des momies et des Égyptien·nes lors de la campagne d’Égypte, par exemple : voir Laura Frader, « La production des savoirs sur “L’Orient” : la préhistoire du postcolonial ? », dans Anne-Emmanuelle Berger et Eleni Varikas (dir.), Genre et postcolonialismes. Dialogues transcontinentaux, Paris, Éditions des archives contemporaines, 2011, p. 26).

27 Pierre Dionis, Cours d’opérations de chirurgie, op. cit., p. 386.

28 Claude Rosental, « Anthropologie de la démonstration », Revue d’anthropologie des connaissances, 2009, vol. 3, no 2, p. 234.

29 Nicolas-Philibert Adelon, article « Eunuque », art. cit., p. 360.

30 Louis de Jaucourt, article « Testicules », dans Denis Diderot et Jean Le Rond d’Alembert, Encyclopédie, ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, etc., édition établie par Robert Morrissey and Glenn Roe, University of Chicago, ARTFL Encyclopédie Project (version de l’automne 2022), Disponible en ligne : https://0-encyclopedie-uchicago-edu.catalogue.libraries.london.ac.uk/, consulté le 22 mai 2024.

31 Rafael Mandressi, « La chaleur des hommes. Virilité et pensée médicale en Europe », dans Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine et Georges Vigarello (dir.), Histoire de la virilité, t. 1, L’invention de la virilité, de l’Antiquité aux Lumières, Paris, Le Seuil, 2011, p. 247.

32 Voir notamment Elsa Dorlin, La matrice de la race : généalogie sexuelle et coloniale de la nation française, Paris, La Découverte, 2009 [2006], p. 23-24.

33 Rafael Mandressi, « La chaleur des hommes », art. cit., p. 247 ; Pierre Pigray, Épitome des préceptes de médecine et de chirurgie, avec ample déclaration des remèdes propres aux maladies, Rouen, Jean Berthelin, 1625 [1609], p. 61.

34 Article « Viril », Dictionnaire de l’Académie française, 1694, p. 646.

35 Voir par exemple Jacques Guillemeau dans ses Œuvres de chirurgie (1612), cité par Rafael Mandressi, « La chaleur des hommes », art. cit., p. 247.

36 Ibid., p. 246.

37 Louis de Jaucourt, article « Testicules », dans Denis Diderot et Jean Le Rond d’Alembert, Encyclopédie, op. cit. On retrouve cette idée dans de nombreux textes comme Louis Lémery, Traité des aliments, Paris, Pierre Wite, 1705 [1702], p. 224 : voir Rafael Mandressi, « La chaleur des hommes », art. cit., p. 246.

38 Laurence Moulinier, « La castration dans l’Occident médiéval », dans Autour de la castration : de l’adultère à la chirurgie régulatrice, Actes du colloque de Poitiers, 2009, p. 189-216.

39 Georges-Louis Leclerc de Buffon, Histoire naturelle de l’homme, « De la puberté », Paris, Imprimerie royale, 1749, p. 505.

40 Marie-Laure Delmas, « Le fait est certain », art. cit.

41 Charles Ancillon, Traité des eunuques, op. cit., p. 67.

42 Nicolas-Philibert Adelon, article « Eunuque », art. cit., p. 361 ; Charles Ancillon, Traité des eunuques, op. cit., p. 123 : « état d’imperfection ».

43 Naomi Andre, Voicing Gender: Castrati, Travesti, and the Second Woman in Early-Nineteenth-Century Italian Opera, Bloomington, Indiana University Press, 2006 ; Michel Lehmann, « La voix du masculin : du castrat au ténor », dans Daniel Welzer-Lang et Chantal Zaouche-Gaudron, Masculinités. État des lieux, Toulouse, Érès, 2011, p. 125-135.

44 Todd S. Gilman, « The Italian (castrato) in London », dans R. Dellamore et D. Fischlin (dir.), The Work of Opera: Genre, Nationhood, and Sexual Difference, New York, Columbia University Press, 1997, p. 49-70 ; Mélanie Traversier, « Paradoxes d’une masculinité mutilée : les castrats au péril des Lumières », dans Anne-Marie Sohn (dir.), Une histoire sans les hommes est-elle possible ? Genre et masculinités, Lyon, Éditions de l’École normale supérieure, 2013, p. 140.

45 Georges-Louis Leclerc de Buffon, Histoire naturelle de l’homme, « De la puberté », p. 486 ; Dictionnaire des sciences médicales, op. cit., p. 268.

46 Nicolas-Philibert Adelon, article « Eunuque », art. cit., p. 364.

47 Rafael Mandressi, « La chaleur des hommes », art. cit., p. 252.

48 Philippine Valois, L’éveil des sens. Histoire médicale de la puberté (1750-1850), thèse de doctorat, Université d’Angers, 2021.

49 Arnulphe d’Aumont, article « Génération », dans Denis Diderot et Jean Le Rond d’Alembert, Encyclopédie, op. cit.

50 Voir par exemple Nicolas-Philibert Adelon, article « Eunuque », art. cit., p. 362.

51 Louis de Jaucourt, article « Puberté », dans Denis Diderot et Jean Le Rond d’Alembert, Encyclopédie, op. cit. Ceci fait dire à Roger Freitas que les castrats demeurent des garçons. Voir Roger Freitas, « The Eroticism of Emasculation: Confronting the Baroque Body of the Castrato », The Journal of Musicology, vol. 20, no 2, 2003, p. 204.

52 Jean-Marie Le Gall, Un idéal masculin ? Barbes et moustaches (xve-xviiie siècles), Paris, Payot, 2011.

53 Denis Diderot et Jean Le Rond d’Alembert, Encyclopédie, op. cit. On note une reprise des Institutions de médecine de Boerhaave (1740).

54 De Lignac, De l’homme et de la femme, considérés physiquement dans l’état du mariage, t. 2, Lille, J. B. Henry, 1772, p. 213 ; Cornelius De Pauw, Recherches philosophiques sur les Américains, ou Mémoires intéressants pour servir à l’histoire de l’espèce humaine, t. 1, Berlin, J. D. Becker, 1768, p. 41.

55 Scipion Dupleix, La curiosité naturelle rédigée en questions selon l’ordre alphabétique, Rouen, Nicolas Angot, 1615, fol. 102 vo-103 ro, cité par Rafael Mandressi, « La chaleur des hommes », art. cit., p. 248.

56 Nicolas-Philibert Adelon, article « Eunuque », art. cit., p. 362.

57 Certains vont jusqu’à animaliser pleinement les castrats, tel M. de Montpinsson qui dédie ces vers à ceux de la Maison des Italiens se flattant « de faire de grandes et d’illustres conquêtes » : « Je connois plus d’un fanfaron / A crête et mine fière, / Bien dignes de porter le nom / De la chaponardière. / Crête aujourd’hui ne suffit pas / Et les plus simples filles, / De la crête font peu de cas / Sans autres béatilles », cité par Charles Ancillon, Traité des eunuques, op. cit. Le coq moque ici le déclassement du chapon, mais le rappel de ce qu’il « manque » au castrat témoigne aussi d’une forme d’anxiété face à leur désirabilité.

58 Voir Marie-France Auzepy et Joël Cornette, Histoire du poil, Paris, Belin, 2011.

59 Une désirabilité et une érotisation d’ailleurs présentes dans les discours médicaux sur la puberté : voir Philippine Valois, L’éveil des sens, op. cit. Voir aussi Magali Le Mens, Modernité hermaphrodite : art, histoire, culture, Paris, Éditions du Félin, 2019.

60 Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine et Georges Vigarello (dir.), Histoire de la virilité, op. cit.

61 Sur ces questions d’érotisation et de féminisation des Orientaux, voir notamment Edward W. Saïd, L’orientalisme. L’Orient créé par l’Occident, Paris, Le Seuil, 1980 ; Irini Apostolou, L’orientalisme des voyageurs français au xviiie siècle. Une iconographie de l’Orient méditerranéen, Presses de l’université Paris-Sorbonne, 2009.

62 Nahema Hanafi, Le frisson et le baume. Expériences féminines du corps au siècle des Lumières, Rennes/Paris, Presses universitaires de Rennes/Comité des travaux historiques et scientifiques, 2017, p. 25-84.

63 Jacques Duval, Des hermaphrodits, accouchemens des femmes, et traitement qui est requis pour les relever en santé, & bien élever leurs enfans, Rouen, David Geuffroy, 1612, p. 20.

64 Nicolas-Philibert Adelon, article « Eunuque », art. cit., p. 363. Sur le développement d’un squelette féminin, voir aussi Dictionnaire des sciences médicales, Paris, Panckoucke, 1812, vol. 4, p. 268-269.

65 Georges Vigarello, « La virilité moderne. Convictions et questionnements », dans Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine et Georges Vigarello (dir.), Histoire de la virilité, op. cit., p. 181-190.

66 Le chirurgien Jacques Guillemeau, cité par Rafael Mandressi, « La chaleur des hommes », art. cit., p. 247.

67 Jean-Jacques Rousseau, Dictionnaire de musique, Paris, Veuve Duchêne, 1768, p. 76-77. Ces représentations sont aussi partagées par l’abbé de Fontenai et Louis Domairon, Le voyageur françois, ou La connoissance de l’ancien et du nouveau monde, Paris, L. Cellot, 1779, t. 26, p. 449 ; Denis Diderot, « À mon ami M. Naigeon », dans Œuvres, publication sur les manuscrits de l’auteur par Jacques-André Naigeon, Paris, Deterville, 1800, t. 9, p. 478.

68 Todd Reeser, Moderating Masculinity in Early Modern Culture, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 2006.

69 Georges-Louis Leclerc de Buffon, Histoire naturelle de l’homme, « De la puberté », op. cit., p. 67. 

70 Nicolas-Philibert Adelon, article « Eunuque », art. cit., p. 362.

71 Georges-Louis Leclerc de Buffon, Histoire naturelle de l’homme, « De la puberté », op. cit., p. 482.

72 Nicolas-Philibert Adelon, article « Eunuque », art. cit., p. 365.

73 Sur les développements de l’histoire naturelle et l’affirmation de la primauté des humains sur le reste du monde animal, voir notamment Buffon.

74 Charles Ancillon, Traité des eunuques, op. cit., p. 6-10.

75 Nicolas-Philibert Adelon, article « Eunuque », art. cit., p. 365.

76 Pierre Dionis, Cours d’opérations de chirurgie, op. cit., p. 386.

77 Nicolas-Philibert Adelon, article « Eunuque », art. cit., p. 365.

78 François Fabre, Bibliothèque du médecin-praticien, Paris, Le Boucher, s. d., chapitre IX, II, « Des signes de l’impuissance », p. 354.

79 Nicolas-Philibert Adelon, article « Eunuque », art. cit., p. 365.

80 Valeria Finucci, The Manly Masquerade: Masculinity, Paternity, and Castration in the Italian Renaissance, Durham/Londres, Duke University Press, 2014.

81 Valentina Anzani, Antonio Bernacchi. Virtuoso e maestro di canto Bolognese, thèse de doctorat, université de Bologne, 2018.

82 Pierre Dionis, Cours d’opérations de chirurgie, op. cit., p. 385.

83 Dictionnaire des sciences médicales, Paris, Panckoucke, 1812, vol. 4, p. 276.

84 Article « Androgyne », Dictionnaire de l’Académie française, 1re édition, 1694.

85 Charles Ancillon, Traité des eunuques, op. cit., p. 1-6.

86 Patrick Graille, Le troisième sexe. Être hermaphrodite aux xviie et xviiie siècles, Paris, Éditions Arkhê, 2011 ; Cathy McClive, « Masculinity on Trial: Penises, Hermaphrodites and the Uncertain Male Body in Early Modern France », History Workshop Journal, no 68, 2009, p. 45-68.

87 Pierre Dionis, Cours d’opérations de chirurgie, op. cit., p. 238-239.

88 Je reprends ici Russell Goulbourne, « Entre le sexe et l’infâme : Voltaire et les castrats », art. cit., citant l’article « Testicules » du philosophe.

89 Nicolas-Philibert Adelon, article « Eunuque », art. cit., p. 362.

90 Georges-Louis Leclerc de Buffon, Histoire naturelle de l’homme, « De la puberté », op. cit.

91 Nicolas-Philibert Adelon, article « Eunuque », art. cit., p. 362.

92 Sur l’appréhension moderne de la sexualité comme « penetrative heterosexual intercourse », voir Tim Hitchcock, « Redefining Sex in Eighteenth-Century England », History Workshop Journal, 1996, no 41, p. 72-90.

93 Sylvie Chaperon, Les origines de la sexologie (1850-1900), Paris, Éditions Audibert, 2007, p. 95. Voir également sur l’emploi des termes « anaphrodisie », « frigidité » et « impuissance » : Sylvie Chaperon, « De l’anaphrodisie à la frigidité : jalons pour une histoire », Sexologies, vol. 16, no 3, 2007, p. 189-194.

94 Nicolas-Philibert Adelon, article « Eunuque », art. cit., p. 361.

95 Georges-Louis Leclerc de Buffon, Histoire naturelle de l’homme, « De la puberté », op. cit.

96 Mélanie Traversier, « Paradoxes d’une masculinité mutilée », art. cit., p. 140. On renvoie ici notamment aux frasques de certains castrats, comme Giovanni Francesco dit Siface avec la comtesse Elena Forni, Gaetano Guadagni et la cantatrice Corallina, Domenico Cecchi dit Cortona et la cantatrice Barbaruccia…

97 Helen Berry, « Queering the History of Marriage: The Social Recognition of a Castrato Husband in Eighteenth-Century Britain », History Workshop Journal, no 74, 2012, p. 27-50.

98 Charles Ancillon, Traité des eunuques, op. cit., p. 158.

99 Candace West et Don H. Zimmerman, « Doing Gender », Gender and Society, vol. 1, no 2, juin 1987, p. 125-151.

100 Ces questions constituent le cœur du programme ANR JCJC CastrAlter « Les castrats. Expériences de l’altérité dans l’Europe des Lumières », ANR-21-CE41-0001.

101 Les performances de genre ne sont d’ailleurs pas réservées à ces chanteurs, car elles sont fréquentes dans le théâtre shakespearien, la Comédie-Italienne, le théâtre de la Foire… Voir à ce sujet Sam Abel, Opera in the Flesh: Sexuality in Operatic Performance, Londres, Westview Press Boulder and Oxford, 1996 ; Jean-François Lattarico, « Hermaphrodites et eunuques en scène. Indifférenciation et marginalité sexuelles dans le théâtre vénitien au xviie siècle », dans Christelle Bahier-Porte et Zoé Schweitzer (dir.), Autorité et marginalité sur les scènes européennes (xviie-xviiie siècles), Classiques Garnier, 2017, p. 223-238.

102 Voir notamment Giuseppe Gorani, Mémoires secrets et critiques des cours, des gouvernemens et des mœurs des principaux États d’Italie, Paris/Lyon/Marseille, Buisson/Allier et Leclerc/Mossy, 1793, 3 volumes ; Nahema Hanafi, « Le sex appeal des castrats. Sexualités non reproductives et masculinités au siècle des Lumières », dans Nahema Hanafi (dir.), Masculinités et castrations, Auxonne, Éditions du Murmure, à paraître en 2024. Il faut attendre la seconde moitié du xixe siècle pour que les castrats et eunuques soient assimilés à des homosexuels dans le corpus médical.

103 Voir notamment Roger Freitas, « The Eroticism of Emasculation », art. cit ; Magali Le Mens, Modernité hermaphrodite : art, histoire, culture, Paris, Éditions du Félin, 2019. Sur la beauté des jeunes castrats, voir les avis de Johann Joachim Winckelmann ou de Montesquieu.

104 L’Italie apparaît ainsi comme une indigne exception au sein de la chrétienté occidentale. Voir Charles Ancillon, Traité des eunuques, op. cit., p. 100-101 ; Sprengel Kurt, Histoire de la médecine, op. cit., p. 224 : « Il paraît que dès lors la castration n’était passée en usage que dans l’Italie seulement, où la vie déréglée des papes et de leurs courtisans contribuait beaucoup à la favoriser. »

105 Archivio di Stato di Napoli, Decreti originali 3, decre. no 534, 27 novembre 1806.

106 Rosa Cafiero, « Istruzione musicale a Napoli fra decennio francese e restaurazione borbonica : il Collegio di musica delle donzelle (1806-1832) », dans R. Cafiero et M. Marino (dir.), Francesco Florimo e l’Ottocento musicale, atti del convegno (Morcone, 19-21 aprile 1990), Jason Editrice, Reggio Calabria, 1999, p. 753-758.

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Pour citer cet article

Référence papier

Nahema Hanafi, « Testicules, masculinités et normes de genre. Les récits scientifiques français sur les castrats italiens au siècle des Lumières »Histoire, médecine et santé, 25 | 2024, 61-81.

Référence électronique

Nahema Hanafi, « Testicules, masculinités et normes de genre. Les récits scientifiques français sur les castrats italiens au siècle des Lumières »Histoire, médecine et santé [En ligne], 25 | été 2024, mis en ligne le 01 juillet 2024, consulté le 16 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hms/8132 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/1217e

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Auteur

Nahema Hanafi

Université d’Angers, CNRS, TEMOS (UMR 9016)

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