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Compte rendus

« Quand la médecine fait le genre », dossier coordonné par Nicole Edelman et Florence Rochefort

Clio. Femmes, Genre, Histoire, n° 37, 2013
Grégory Quin
p. 129-131
Référence(s) :

« Quand la médecine fait le genre », dossier coordonné par Nicole Edelman et Florence Rochefort, Clio. Femmes, Genre, Histoire, n° 37, 2013.

Texte intégral

1Dans La Femme et les médecins, paru en 1983, les historiennes Yvonne Knibiehler et Catherine Fouquet ont fait l’histoire de l’intérêt médical pour les corps féminins, en précisant la manière dont les médecins ont défini les « fonctions » biologiques et sociales de ces corps. Pionnier, l’ouvrage a posé les frontières d’un champ de recherche situé à l’interface entre l’histoire sociale et culturelle de la modernité médicale, l’histoire des femmes et du genre et l’histoire du corps et de ses représentations, auquel se réfère encore bon nombre de chercheurs. Avec ce numéro spécial paru sous le titre « Quand la médecine fait le genre » au printemps 2013, la revue Clio. Femmes, Genre, Histoire poursuit son entreprise pluridisciplinaire de développement de l’histoire des femmes et du genre, et apporte une nouvelle contribution collective à l’histoire entamée trente ans plus tôt.

2Rassemblant les contributions d’historien·ne·s, d’anthropologues et d’ethnologues travaillant sur des périodes historiques et des aires culturelles différentes, le numéro de Clio couvre des thématiques allant du cancer à la folie, en passant par les identités sexuelles et leurs liens avec le système endocrinien, la prise d’hormones ou encore les modifications de la sexualité liées au vieillissement.

3Il s’agit autant d’analyser comment « la médecine fait le genre » que la manière dont « le genre fait la médecine ». Ainsi les travaux s’inscrivent-ils dans la pluralité des approches qui ont été développées autour de la description de la « fabrication » des corps féminins par les discours médicaux depuis les années 1990 et 2000, dans le sillage des analyses de Sylvie Chaperon, Elsa Dorlin, Delphine Gardey, Ilana Löwy ou Nicole Edelman. La plupart d’entre elles sont rassemblées par Clio, avec pour ambition de réinvestir les questions de « genre » et notamment la manière dont les « pratiques et les savoirs médicaux ont participé à l’élaboration de normes biologiques, éthiques ou politiques [et ont] validé des hiérarchies entre les sexes » (p. 10). Surtout, il semble que les auteur·e·s s’engagent à souligner les conditions dans lesquelles le discours médical quitte les traités de nosologie ou de pathologie pour prendre corps dans la société, à travers des travaux de vulgarisation ou par la promotion de nouvelles pratiques de santé. Les contributions s’articulent autour de trois « notions » : « construction », « frontières » et « pathologie », autour desquelles les liens entre genre et médecine se jouent et se rejouent au gré des recompositions de la modernité.

4Premièrement, il semble que les liens entre « genre » et « médecine » soient le produit d’une construction discursive, comme l’a proposé Michel Foucault, soit comme un ensemble de pratiques qui excède le discours au sens d’un écrit ou d’une parole, dès lors que « les textes biologiques et médicaux (…) ont contribué à fabriquer du masculin et du féminin en construisant un corps masculin et un corps féminin » (p. 23, souligné par nous). Sur ces bases, c’est bien l’entier du « dispositif » médical et même toute son histoire qui construit le genre, mais les représentations genrées déterminent également les médecins dans leurs prises de position. Comme le rappelle Aude Fauvel dans son texte, « le savoir psychiatrique n’a pas été imperméable aux réactions des malades – [les femmes] ayant réussi côté britannique à ébranler l[a] vision [des médecins] de la psyché féminine » (p. 60). Si elle concède qu’il ne s’agit que d’un exemple difficilement transposable en dehors de la Grande-Bretagne, Aude Fauvel souligne que l’acharnement des psychiatres a sans doute déterminé l’engagement féministe de certaines, mais « si les femmes […] réussirent à contester les théories du cerveau faible, celles-ci ne disparurent pas pour autant de l’arrière-plan des représentations » (p. 60). L’espace du discours médical est alors tout à la fois structurant et structuré par une modernité corporelle et technologique.

5Deuxièmement, les contributions soulignent combien le discours médical est alors un producteur de frontières entre masculin et féminin, et comment il interfère sur la manière dont les individus doivent gérer et se représenter cette frontière. De ce point de vue, l’article de Véronique Moulinié expose magistralement comment les hommes se trouvent de plus en plus soumis aux injonctions médicales sur la sexualité de leur corps vieillissant, et comment les femmes jouent un rôle décisif dans cette surveillance, en se réappropriant – sous la pression des médias – le rôle que les médecins ont eu avec elles et la ménopause. « Parmi les innombrables rôles que Femme Actuelle et consorts assignent aux femmes, il y a celui de gardienne de la santé de la famille et, en premier lieu, de leur époux, présenté, tour à tour, comme peu soucieux ou ignorant de ces questions cruciales, trop pudique ou trop fier pour les évoquer » (p. 117). La question de la frontière est aussi centrale pour Émilia Sanabria qui analyse la remise en question de la distinction entre « sexe » et « genre » par les pratiques hormonales dans le Brésil contemporain. Au-delà des clichés et par un véritable travail de terrain, les analyses montrent comment les pratiques hormonales peuvent esquisser un déplacement des frontières des sexes et un brouillage de leur binarité, « même si les hormones continuent d’être sexuées dans les pratiques scientifiques et l’imaginaire populaire selon un modèle encore largement dichotomique du sexe » (p. 102).

6Enfin, il semble que la notion de « pathologique » traverse toutes les contributions. Empreint d’évidence, cet élément rappelle que les médecins s’occupent de « pathologies » avant tout. Néanmoins de nombreux travaux historiques récents montrent qu’ils s’intéressent également au « monde sain », par le biais de l’hygiène publique et privée et de toutes les recommandations afférentes à ces discours, même s’ils n’ont jamais autant d’efficacité que lorsqu’ils discourent sur le corps malade, placé tout entier sous leur autorité. Comme un héritage des conclusions des travaux de Georges Canguilhem sur Le normal et le pathologique, les contributions du numéro spécial pointent les dimensions « pathologisantes » des discours médicaux qui créent les conditions mêmes de leur efficacité future. Ainsi, il nous faut souligner comment chez les auteur·es de ce numéro et notamment Aude Fauvel, Ilana Löwy ou Véronique Moulinié, ce sont les dysfonctionnements des corps qui engendrent la production de discours et la construction de normes sociales. Folie, cancer, ménopause ou andropause sont aussi des produits de l’avènement d’une véritable modernité médicale susceptible de les détecter plus efficacement et plus précocement. Au fur et à mesure de l’extension des capacités exploratoires et explicatives de la médecine, les frontières du masculin et du féminin évoluent. Autrefois clairement féminine, l’hystérie est ainsi devenue « aussi » masculine, avant de disparaître des discours médicaux au long du XXe siècle, tout en se réactualisant dans les représentations les plus communes.

7Ce numéro spécial constitue un véritable carrefour de recherche, indiquant autant de pistes de réflexions et d’interrogations stimulantes qu’il comporte de contributions. Pour s’y retrouver, le lecteur peut s’appuyer sur deux articles plus historiographiques, dressant un état des lieux des recherches menées entre médecine et sexualité (par Sylvie Chaperon et Nahema Hanafi) pour l’un, et posant quelques jalons sur les manières de continuer à « écrire l’histoire des relations corps, genre, médecine au XXe siècle » (par Delphine Gardey). Ces deux articles, associés au témoignage de Laurence Hérault (recueilli par Sylvie Steinberg), constituent des outils extrêmement utiles à la fois pour ceux qui chercheront dans Clio des outils pour entamer de nouvelles recherches tant sur les représentations que sur les (dys)fonctionnements des corps, entre médecine et genre, entre biologique et social, mais aussi pour ceux qui souhaitent actualiser leur connaissance d’une historiographie très internationale.

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Pour citer cet article

Référence papier

Grégory Quin, « « Quand la médecine fait le genre », dossier coordonné par Nicole Edelman et Florence Rochefort »Histoire, médecine et santé, 6 | 2015, 129-131.

Référence électronique

Grégory Quin, « « Quand la médecine fait le genre », dossier coordonné par Nicole Edelman et Florence Rochefort »Histoire, médecine et santé [En ligne], 6 | automne 2014, mis en ligne le 24 mai 2017, consulté le 17 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hms/754 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/hms.754

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Auteur

Grégory Quin

De Monfort University, Leicester

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