Navigation – Plan du site

AccueilNuméros6Compte rendusArnaud Sabine, L’invention de l’h...

Compte rendus

Arnaud Sabine, L’invention de l’hystérie au temps des Lumières (1670-1820)

Paris, EHESS, 2014
Nicole Edelman
p. 116-118
Référence(s) :

Arnaud Sabine, L’invention de l’hystérie au temps des Lumières (1670-1820), Paris, EHESS, 2014, 348 p.

Texte intégral

1Si l’hystérie n’est pas un propos nouveau en matière d’histoire culturelle, d’histoire des sciences ou d’histoire de la médecine, le livre de Sabine Arnaud intitulé L’invention de l’hystérie au temps des Lumières (1670-1820) déploie sur ce thème des approches novatrices en bien des domaines et, à l’encontre du livre au titre presque homonyme de Georges Didi-Huberman, il montre réellement « l’invention » de l’hystérie ! L’auteure s’attache en effet à la construction de cette catégorie médicale entre 1670 et 1820 puisque dès la fin du XVIe siècle nombre de théorisations sont élaborées, interprétant en termes de pathologies hystériques divers phénomènes physiologiques inexpliqués. À ce moment, quelques médecins s’inquiètent aussi des accusations de possessions formulées par les autorités ecclésiastiques à l’encontre de femmes dont les vies sont alors gravement mises en danger. Puis, l’intérêt médical pour le corps féminin se développe au XVIIe et, plus encore, au XVIIIe siècle ainsi que le souci d’élaborer un diagnostic et de le classer au sein d’une nosologie. Cela conduit à de multiples formulations et interprétations des signes des troubles dits « hystériques » : il s’agit de « vapeurs, de suffocations de la matrice, de mal de mère, d’affections utérines… » Et romans, pièces de théâtre, pamphlets, correspondances s’en emparent avec délice ou les créent ! Toutes ces images, caricatures, descriptions précises ou lieux communs vont participer à la construction de la catégorie « hystérie » que les théorisations médicales utilisent, contredisent ou adoptent en totalité ou partiellement.

2Jusqu’en 1820, le terme d’hystérie recouvre ainsi des trajectoires fort diverses puis, après cette date, se stabilise autour de deux interprétations médicales : soit, liée à l’utérus, cette maladie est une spécificité des femmes, soit (beaucoup plus rarement) liée à une pathologie de l’encéphale, elle peut alors être partagée par les deux sexes. Sabine Arnaud étudie cependant peu ces premières décennies du XIXe siècle puisque son propos n’est pas d’étudier l’évolution de la maladie « hystérie » et encore moins son devenir « cérébral ». Ce qui l’intéresse c’est de comprendre comment à un certain moment, des troubles sont devenus « de l’hystérie » et plus précisément comment l’hystérie est devenue « une maladie de femmes ». Le nom même d’« hystérie » avec sa référence claire à l’utérus, organe absolument féminin, étant déjà « une prise de position à l’origine d’une série de déterminations dans le champ du savoir. [Le] livre vise à décrire un exemple de formation de savoir, avec ce que ce parcours a de paradoxal : il cherche à en capturer le mouvement, tandis qu’il se définit, transforme ses objets et les manières de les approcher. [Sabine Arnaud] veut ressaisir les tâtonnements, les décalages, les oublis et les résurgences éventuelles de conceptions et d’imaginaires. » (p. 21) Sabine Arnaud montre ainsi que la conceptualisation de l’hystérie est une sorte de collage de références et cherche à comprendre comment non seulement l’écriture médicale peut créer une maladie, mais aussi comment la diffusion de savoirs médicaux développés autour de cette catégorie participe à l’histoire sociale et à l’épistémologie médicale.

3Pour ce faire, Sabine Arnaud analyse sur plus d’un siècle et demi de très nombreux textes d’une extrême diversité, connus ou peu connus, à la fois anglais et français, et trace avec une grande érudition une histoire de l’énonciation de ces écrits. Ces textes sont rassemblés non par la similarité de symptômes, qui conduirait à prendre en compte d’autres maladies comme le tétanos ou l’épilepsie, non plus par les thérapeutiques adoptées, ni par les types de patients concernés qui varient selon les époques touchant chaque sexe, confession et classe sociale, mais, pour Sabine Arnaud, ces textes sont reliés par « un réseau de références communes reprises d’un texte à l’autre. L’évocation – même brève ou infidèle – de théorisations de médecins précédents, les citations, les convergences forcées attestent que leurs auteurs pensent contribuer à l’édification d’un même savoir ». L’auteure montre ainsi qu’à « travers l’usage des diagnostics assimilés rétrospectivement à l’hystérie, on ne désigne ni ne théorise la même chose en 1575, 1670, 1730 ou 1820. Les troubles mis en récit à chacune de ces époques n’ont pas la même place dans la société. » (p. 21) Sabine Arnaud parvient à montrer les changements des critères de la pathologie hystérique en les liant aux enjeux sociaux et épistémologiques des moments qu’elle étudie. Elle organise son étude autour de formes diverses des pratiques d’écriture qui se déploient à foison autour de l’hystérie : l’usage des diagnostics, les métaphores et les répertoires d’images, les mises en écrit de la maladie ou encore les emprunts à d’autres genres rhétoriques (dialogue, autobiographie, correspondance…), etc.

4Ces évocations donnent aussi à lire une nouvelle image des rapports médecins/malades, différente de la dureté souvent évoquée en histoire des sciences à travers « la révolution clinique » qui fait du sujet malade un simple corps – objet entre les mains et le savoir d’un médecin tout puissant. L’invention de l’hystérie au temps des Lumières propose en effet une mise en scène de l’ensemble des acteurs concernés par la catégorie médicale « hystérie », qu’ils soient médecins, patients ou lecteurs et les suit dans les réseaux sociaux, mais aussi dans les réseaux de sens. À travers ces multiples écrits sont interrogés les codes et les fonctions du narratif et leur rôle dans la redéfinition de la médecine et du médecin. L’ouvrage est organisé en six chapitres : « 1. De l’usage des diagnostics, des divisions du savoir ; 2. Les métaphores ou comment donner figure à l’indéfinissable ; 3. Mises en écrit d’une maladie et pratiques de diffusion. L’emprunt de genres rhétoriques ; 4. Code, vérité ou ruse ? Descriptions littéraires de troubles en quête de lecteurs ; 5. Mise en récit de cas et création d’énigmes. Les fonctions du narratif ; 6. Jeux de rôles et redéfinitions de la médecine. » Cet ensemble d’études et d’analyses textuelles conduit à démontrer que ces écritures permettent de déchiffrer toute une société dans ses modes d’être, de penser et de sentir, de représenter le corps et ses gestes, d’établir des normes. Il montre par exemple que l’hystérie dans sa forme vaporeuse est à certains moments un code social, tandis qu’elle devient au tournant de la Révolution française un danger pour la nation en touchant l’utérus, la matrice des mères et leurs capacités de reproduction. L’ouvrage nous montre ainsi combien la seule écriture nosologique classiquement étudiée dans les histoires de la médecine n’est pas suffisante pour comprendre son rôle social. Débordant du social et en lien avec lui, la richesse et l’abondance des analyses littéraires auraient cependant pu aussi permettre une approche du politique bien trop peu abordé dans le livre. Sabine Arnaud évoque seulement en quelques lignes l’usage du diagnostic hystérique dans la vie politique française et anglaise, « des Révolutionnaires aux French prophets » (p. 10), de même des relations hypothétiques entre Révolution, jansénisme et mesmérisme. On aurait aimé en savoir plus sur ces thèmes même si l’auteure analyse plus avant les liens entre sphère médicale et sphère religieuse à propos des convulsionnaires parisiens du début du XVIIIe siècle. Toutefois, le cœur du propos de l’ouvrage demeure la compréhension du fonctionnement du savoir médical entre 1670 et 1820 et l’analyse textuelle de l’hystérie n’est pas d’abord étudiée en tant que symptôme social et encore moins politique, mais en tant qu’exemple de fonctionnement d’un savoir, Sabine Arnaud cherchant toujours à répondre à la question : « qu’est-ce qui se joue dans l’écriture de ce diagnostic ? »

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Nicole Edelman, « Arnaud Sabine, L’invention de l’hystérie au temps des Lumières (1670-1820) »Histoire, médecine et santé, 6 | 2015, 116-118.

Référence électronique

Nicole Edelman, « Arnaud Sabine, L’invention de l’hystérie au temps des Lumières (1670-1820) »Histoire, médecine et santé [En ligne], 6 | automne 2014, mis en ligne le 24 mai 2017, consulté le 22 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hms/743 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/hms.743

Haut de page

Auteur

Nicole Edelman

Université Paris Ouest Nanterre La Défense

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search