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Comptes rendus

Françoise Hildesheimer, Des épidémies en France sous l’Ancien Régime. Une relecture

Paris, Nouveau Monde éditions, 2021, 240 pages
Fleur Beauvieux
p. 175-178

Texte intégral

  • 1 La terreur et la pitié. L’Ancien Régime à l’épreuve de la peste, Paris, Publisud, 1990.

1Deux citations de Marc Bloch ouvrent et ferment le premier et le dernier chapitre de l’ouvrage de Françoise Hildesheimer, Des épidémies en France sous l’Ancien Régime. Une relecture, paru en 2021, un peu plus de trente ans après son étude la plus aboutie sur la peste à l’époque moderne1. Cette filiation entre les deux livres est importante à mentionner, puisque l’auteure les a construits de la même façon, même si le contexte de production diffère – le premier a été écrit dans les années qui ont suivi l’apparition de l’épidémie de sida en Europe, le second pendant la crise sanitaire du covid-19. Ce lien au temps présent, souvent peu mentionné dans les études historiques, est ici assumé et revendiqué tout au long de l’ouvrage, tant dans les titres de certains des chapitres ou parties (« Se confronter au temps » ; « Du présent vers le passé »), que dans l’effort fait par l’auteure de commenter à la fin de quasiment chaque section ses résultats de recherche à la lumière de l’actualité épidémique récente. Son livre présente ainsi un triple intérêt : un bilan-recherche sur les épidémies de l’époque moderne  par l’une des meilleures spécialistes de la peste en France ; une actualisation du sujet par la prise en compte des derniers travaux menés sur cette question ; une réflexion, voire une réflexivité de l’historienne sur son travail, permettant au lecteur de toucher du doigt la manière qu’ont les chercheurs en histoire de penser à la fois leur rapport aux sources, à la problématisation et au temps historique, étant souvent considérés comme des « experts » de celui-ci.

2Après une brève introduction, l’ouvrage est structuré en cinq parties, subdivisées ou non, et se termine par une conclusion qui tente un pas de côté que peu d’historiens ont osé, en brossant un parallèle avec les événements de l’année passée, survenus à la suite de l’épidémie de covid-19. Chaque partie est enrichie d’une bibliographie pour approfondir les thèmes traités, ainsi que de nombreux et longs extraits de sources de l’époque moderne, permettant de donner à lire les acteurs du passé. On peut regretter quelques manquements d’ordre formel : l’absence de pagination exacte de certaines références citées tout au long du livre (qu’il s’agisse de sources ou d’études historiques), la non-actualisation des cartes et schémas et l’oubli de quelques-uns des textes publiés dans la liste de fin d’ouvrage, auquel il manque enfin un index précis. Certaines répétitions, permettant à l’auteure de ne pas perdre le fil rouge de son propos, peuvent également être soulignées. La rapidité de publication de l’ouvrage explique sans doute ces défauts. À l’inverse, le style clair et accessible à tous en fait un livre à destination du plus grand nombre.

Une mise à jour nécessaire de travaux anciens et un bilan récent des recherches

3L’ambition de Françoise Hildesheimer, comme elle le rappelle en introduction, n’est pas de dresser un portrait de l’ensemble des épidémies françaises de l’Ancien Régime – la place manquerait –, mais bien de « relire aujourd’hui quelques épisodes localisés d’une histoire qui, ces dernières années, a été l’objet de remises en situation inédites ainsi que d’un renouvellement profond de ses sources » (p. 10), en se focalisant sur les xviie et xviiie siècles.

  • 2 Ces deux ouvrages, publiés à Paris chez Gallimard, les Éditions de l’École des hautes études en sc (...)

4On retrouve dans le cœur de l’ouvrage les principaux résultats que l’historienne a défendus pendant près de quarante ans et qu’elle réaffirme dans certaines parties : l’inefficacité de l’hôpital comme espace de soin pour une maladie contagieuse telle que la peste (chapitre 4) ; la permanence de la peur qui structure les croyances religieuses de l’Ancien Régime (chapitre 1), mais qui permet de voir yersinia pestis non pas comme un « ennemi », mais bien comme une « épreuve » à laquelle on donne une « explication rassurante et de cohésion sociale » (p. 28) ; ou encore l’aspect policier et coercitif des mesures mises en place face à l’épidémie. Ce dernier point est hérité en partie des écrits de Michel Foucault, dont la parution en 2004 à la fois de Sécurité, territoire, population et de La naissance de la biopolitique2 permet de prolonger les intuitions du philosophe, bien connues des historiens des années 1980 (chapitre 2).

  • 3 La première étude de Françoise Hildesheimer, datée de 1980, concerne le bureau de santé de la vill (...)

5Dans les exemples précis analysés, Marseille et la dernière épidémie de 1720 tiennent une place de choix, tant l’étude de cet épisode permet l’exploration de nouvelles hypothèses : sont ainsi évoquées les recherches d’Olivier Dutour et la possible, voire probable, origine locale de l’épidémie marseillaise, qui pourrait être une résurgence de la peste noire du Moyen Âge et non pas seulement un sursaut épidémique rapporté par la mer de l’Asie (p. 37-38) ; sont rappelés les débats toujours non tranchés sur le nombre total de morts provoqués ; et est réaffirmée l’importance de ce port franc comme « capitale sanitaire de la France » (p. 55), puisque c’est essentiellement par cette cité que fut expérimentée et vécue ou évitée la mort noire dans le sud de la France3. Si la peste est si présente au fil des pages, c’est bien qu’elle structure en partie les sociétés d’Ancien Régime, tant son expérience est fréquente aux xviie et xviiie siècles : elle a ainsi tendance à occulter les autres épidémies, sur lesquelles il est vrai que les études ont été moins poussées, mais qui sont tout de même mentionnées, notamment dans le chapitre 5. Françoise Hildesheimer ne se contente pas pour autant d’un bilan de recherches et l’on trouve çà et là dans son ouvrage des propositions neuves et stimulantes, ou du moins peu écrites jusqu’à présent, telles que l’absence criante de la religiosité dans le domaine des institutions sanitaires à l’époque moderne (p. 100-101), alors que l’on a tendance à l’associer à l’ensemble des domaines de la vie sociale lorsque l’on étudie ces siècles. L’ouvrage montre aussi à quel point un sujet tel que les épidémies peut être en renouvellement constant et loin d’être « dépassé », en dépit du nombre important d’études préexistantes. L’auteure pousse même ses lecteurs à aller creuser certains thèmes, comme la centralisation administrative ou encore les relations entre la monarchie centrale et les périphéries du royaume de France.

Une réflexion sur le temps et le travail de l’historien

  • 4 Voir, sur ce point, l’une des premières prises de parole sur le sujet : Guillaume Lachenal et Gaët (...)

6L’aspect le plus original – et audacieux – de l’ouvrage, qui le différencie dès lors des précédents écrits sur ce thème par l’auteure, est la mention tout au long du texte de l’épidémie récente de covid-19, notamment comme contrepoint. Cette démarche peut aussi être vue comme une nécessité et une marque d’honnêteté intellectuelle, peu courante, qui donne finalement à voir la façon dont l’historien travaille. Cela permet de souligner à quel point l’activité de celui-ci est aussi – voire surtout – d’« éclairer les aspects du passé […] à la lumière des questions contemporaines » (p. 195). Il est vrai que la profusion de discours à l’apparition de la pandémie et les sollicitations d’explications tous azimuts ont eu pour résultat un certain désœuvrement, voire un silence prudent et réfléchi, dans un premier temps, de la part des historiens et historiennes face aux demandes de « leçons » qui ont pu leur être adressées4.

7L’« anachronisme » conscient et maîtrisé de Françoise Hildesheimer – par la mention par exemple des gestes barrières, du confinement ou encore de la distanciation, et ainsi d’un vocabulaire inexistant à l’époque moderne, mais qui nous est devenu presque quotidien depuis trois ans – a différents bénéfices. Parmi ceux-ci, il permet de montrer le temps long de l’écriture de l’histoire et l’origine de certains dispositifs de maîtrise des épidémies (la peste étant, si l’on excepte l’apparition beaucoup plus récente d’Ebola, la seule maladie à avoir provoqué des mesures aussi strictes et contraignantes sur l’ensemble d’une société) – certaines récurrences en somme. Il permet également aux étudiants d’aujourd’hui de se saisir facilement de l’ouvrage, qui leur parlera, et aux chercheurs des épidémies de l’époque moderne d’apprécier l’évolution historiographique dans la façon de penser celles-ci depuis les années 1980, et ainsi le chemin parcouru. Ces allers-retours constants dans le temps, exécutés à chaque chapitre, peuvent cependant dérouter le lecteur non averti et habitué à un déroulement chronologique des phénomènes historiques. Enfin, et surtout, cet essai permet de se prémunir de la tentation de confondre les épidémies telles que la peste avec le covid-19 et de souligner à ce propos tout l’écart et « l’ampleur du changement » (p. 8) entre le xviiie siècle et ce que nous vivons, malgré un sentiment fortement éprouvé de « familiarité » (p. 7). En cela, cette évocation de l’actualité est fertile, nous aidant tant à remettre en perspective ce qui a pu advenir ces dernières années qu’à initier notre esprit critique face aux réponses gouvernementales adoptées. Replacé dans la bibliographie de l’auteure, Des épidémies en France sous l’Ancien Régime nous permet d’apprécier toute l’ampleur de son travail, mené sur plusieurs décennies, et nous fait espérer qu’il ne s’agira pas de son dernier livre sur le sujet.

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Notes

1 La terreur et la pitié. L’Ancien Régime à l’épreuve de la peste, Paris, Publisud, 1990.

2 Ces deux ouvrages, publiés à Paris chez Gallimard, les Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales et les Éditions du Seuil, sont issus des cours donnés par Michel Foucault au Collège de France en 1977-1978 et 1978-1979.

3 La première étude de Françoise Hildesheimer, datée de 1980, concerne le bureau de santé de la ville (Le Bureau de la santé de Marseille sous l’Ancien Régime. Le renfermement de la contagion, Marseille, Fédération historique de Provence, 1980). Elle a par la suite publié de nombreux articles et contributions sur la peste à l’époque moderne.

4 Voir, sur ce point, l’une des premières prises de parole sur le sujet : Guillaume Lachenal et Gaëtan Thomas, « Covid-19 : When History Has No Lessons », History Workshops, 30 mars 2020, en ligne : https://www.historyworkshop.org.uk/covid-19-when-history-has-no-lessons (consulté le 31 mars 2023).

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Pour citer cet article

Référence papier

Fleur Beauvieux, « Françoise Hildesheimer, Des épidémies en France sous l’Ancien Régime. Une relecture »Histoire, médecine et santé, 23 | 2023, 175-178.

Référence électronique

Fleur Beauvieux, « Françoise Hildesheimer, Des épidémies en France sous l’Ancien Régime. Une relecture »Histoire, médecine et santé [En ligne], 23 | printemps 2023, mis en ligne le 19 mai 2023, consulté le 21 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hms/7000 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/hms.7000

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Auteur

Fleur Beauvieux

Institut Pasteur, Centre de ressources en information scientifique (CeRIS)

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

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