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Compte rendus

Knibiehler Yvonne, La virginité féminine. Mythes, fantasmes, émancipation

Paris, Odile Jacob, 2012
Nathalie Sage Pranchère
p. 120-122
Référence(s) :

Knibiehler Yvonne, La virginité féminine. Mythes, fantasmes, émancipation, Paris, Odile Jacob, 2012, 220 p.

Texte intégral

1Près de trente ans après le début de ses recherches sur les jeunes filles, initiées par le volume collectif De la pucelle à la minette, les jeunes filles de l’âge classique à nos jours (1984), Yvonne Knibiehler propose ici une synthèse précise et alerte sur la question de la virginité féminine en Europe, de l’Antiquité à nos jours. Rappelant la façon dont l’historiographie s’est saisie de cette question au début des années 1980, mettant en regard les études sur la « première fois » (1981) et celles sur le corps virginal (Sissa, 1983), l’auteure s’appuie tout au long de l’ouvrage sur une bibliographie récente et variée.

2L’organisation du propos mêle approche chronologique et thématique. L’enjeu est de montrer les évolutions du sens donné à la virginité, dans ses dimensions symbolique, morale et physique. En partant de l’antiquité gréco-romaine, Yvonne Knibiehler souligne le statut spécifique accordé dans le panthéon grec aux trois déesses vierges olympiennes (Athéna, Artémis et Hestia), déesses dont la virginité, c’est-à-dire le refus de l’union et de l’enfantement, s’ancre dans une nature divine protectrice des valeurs politiques du monde grec. La catégorie des prêtresses (pythie de Delphes, vestales romaines) est située dans une position intermédiaire entre mortels et divinités, position rendue opératoire par leur « pureté » qui les rend susceptibles d’accueillir les messages divins. La parthénia, qui débute avec les menstruations et prend fin par le mariage, correspond, pour les filles de citoyens en particulier, à un temps de participation collective au service des déesses, temps privilégié mais soumis à la volonté du père qui cherche à l’abréger le plus possible. Ce temps relève d’une définition socio-familiale et religieuse même si la parthénia interroge les médecins du temps, d’Hippocrate à Soranos d’Éphèse et à Galien sans qu’ils ne lui associent jamais de spécificité anatomique.

3La deuxième partie de l’ouvrage examine l’importance accordée par les trois religions monothéistes à la virginité. L’auteure montre l’indifférence initiale du judaïsme à la virginité qui n’est ni recherchée ni valorisée sur le plan moral, mais qui acquiert une importance sociale dans le contexte de la diaspora. Le christianisme accomplit pour sa part la révolution remarquable d’en faire une vertu morale et spirituelle et de la valoriser également pour les femmes et les hommes à travers l’exemple de Jésus. En mettant en lumière la figure de Marie, mère par l’esprit qui transmet la foi, vierge avant, pendant et après l’accouchement, le christianisme rompt avec le modèle des déesses païennes et la place à part des filles d’Ève. Le choix de la virginité comme moyen d’échapper à l’emprise de la chair paraît souhaitable, sans que soient sous-estimées ses difficultés. Deux modèles coexistent alors jusqu’au XIe siècle : celui des moniales, vivant en groupe selon une règle, et celui des pieuses laïques devenant dans le siècle des « épouses du Christ » selon un rituel symboliquement très proche de celui du mariage. Les vierges consacrées y gagnent un espace « de liberté et de gloire », à l’image de Thècle, Agnès ou Geneviève, parallèlement à l’essor du culte des vierges martyres. Dernière venue des religions monothéistes, l’islam a vis-à-vis de la virginité une position ambivalente marquée par un faible intérêt doctrinal, mais une importance concrète plus grande, issue des cultures pré-musulmanes et des coutumes du pourtour méditerranéen.

4Renouant avec le fil chronologique de son propos, Yvonne Knibiehler définit le Moyen Âge et l’époque classique comme « l’apogée de la virginité féminine ». L’intérêt que lui portent les auteurs, médecins et théologiens, aboutit à une double définition de la virginité : avant tout intention morale (Thomas d’Aquin) mais aussi progressivement intégrité du corps. Ce dernier point continue de susciter des controverses, l’idée de signes de virginité semblant communément admise (Trotula) tandis que l’existence de l’hymen à proprement parler (Albert le Grand, Vésale) est encore fortement contestée chez certains membres du corps médical (Paré). La vérification physique de la virginité s’impose néanmoins dans les procédures judiciaires, sans que la compétence des sages-femmes qui y procèdent soit mise en cause. Cela n’entraîne toutefois qu’une faible reconnaissance des cas de viol. Les conséquences de cette agression restent du ressort des familles et, plus précisément, de la réparation par les hommes de l’honneur entaché, alors que la victime se retrouve socialement marginalisée. À cette mise sous contrainte extérieure du corps des vierges, l’auteure fait répondre une mise sous contrainte choisie : celle des mystiques, de Jeanne d’Arc, la vierge guerrière, à Catherine de Sienne. Mystiques, prophétesses, vierges prédicatrices sont autant de figures médiévales progressivement disciplinées par l’avènement d’un encadrement plus strict de la vie cénobitique féminine. Les réformes des ordres féminins qui se succèdent à partir du concile de Trente sont symboliques d’un renouveau de la spiritualité féminine qui s’exprime dans deux directions : l’accentuation de la clôture d’une part (Carmel), et l’acquisition d’une certaine autonomie dans les ordres apostoliques d’autre part (Ursulines, filles de la Charité). Ce renouveau s’inscrit aussi dans un cadre démographique modifié où le mariage tardif fait naître la « jeune fille », qu’on doit garder et qui doit se garder vierge. La méfiance de l’Église envers tout ce qui peut encourager les fréquentations prénuptiales se manifeste alors plus fortement et les réponses apportées s’appuient sur le développement de l’examen de conscience et pour les classes favorisées sur l’éducation conventuelle. Le célibat féminin hors de toute entrée dans les ordres se dessine enfin dans le discours des précieuses comme un choix possible, mais seulement accessible à une élite.

5La quatrième partie de l’ouvrage suit les chemins empruntés par la désacralisation de la virginité à partir du XVIIIe siècle. L’anatomie des Lumières, sans encore trancher sur l’existence de l’hymen (Buffon, Jaucourt), lui dénie la capacité à prouver par sa présence la virginité (Cuvier). Les médecins définissent dans le même temps la pudeur comme un élément constant de la nature féminine (Roussel). Il s’ensuit la dénonciation de toutes les pratiques pouvant contrevenir à cette pudeur (masturbation) et l’établissement d’une hygiène de vie destinée à la préserver. Les périodes révolutionnaire et impériale construisent des références contradictoires, entre les vierges guerrières des allégories convoquées en renfort des réformes politiques (Raison, Liberté, etc.) et l’élaboration d’une législation qui ne protège plus les vierges en interdisant la recherche en paternité. La glorification de la virginité qui s’épanouit toutefois au cours du XIXe siècle découle du modèle apostolique né précédemment et qui produit les « bonnes sœurs » des si nombreuses congrégations ; et de l’idéalisation de la jeune fille, destinée au mariage, mais progressivement maintenue dans l’innocence ou l’ignorance pour protéger sa pudeur. Ce choix d’éducation distingue fortement les demoiselles de la bourgeoisie des jeunes filles du peuple, obligées de se placer comme domestiques ou ouvrières, et donc plus fréquemment soumises aux violences masculines. Il ôte à la virginité sa dimension morale et consciente et produit des « oies blanches » découvrant avec horreur la réalité conjugale. Pour des raisons de santé publique, ce modèle est contesté par les républicains qui souhaitent combler l’écart entre l’oie blanche et son futur époux. La généralisation de l’éducation primaire et le développement conséquent d’une éducation secondaire féminine transforment les attentes et la nécessité d’une éducation sexuelle est défendue par les féministes et les femmes médecins dès les années 1920. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la diffusion des méthodes contraceptives donne aux femmes un contrôle plus direct de leur fécondité et de leur sexualité hors mariage. La virginité semble ne plus être un enjeu, les femmes disposant librement de leur corps.

6Cette désacralisation s’est accompagnée, par la contraception et la prévention des infections sexuellement transmissibles, d’une médicalisation des débuts de la vie sexuelle, qui n’a cependant pas fait disparaître la valeur symbolique de la virginité. Yvonne Knibiehler consacre le dernier chapitre de son livre à interroger les ressorts de son importance contemporaine, réaffirmée dans la culture chrétienne (restauration du rituel de consécration des vierges) et musulmane (certificats de virginité et réfections d’hymen) ; et à évoquer l’émergence dans certains milieux d’une revendication de chasteté (mouvement « no sex »). Elle souligne enfin comment une virginité démythifiée et réappropriée par les femmes conserve son caractère de rite de passage et demeure sur le plan social, au-delà du rapport à l’autre, un élément du rapport au collectif (famille, communauté).

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Pour citer cet article

Référence papier

Nathalie Sage Pranchère, « Knibiehler Yvonne, La virginité féminine. Mythes, fantasmes, émancipation »Histoire, médecine et santé, 5 | 2014, 120-122.

Référence électronique

Nathalie Sage Pranchère, « Knibiehler Yvonne, La virginité féminine. Mythes, fantasmes, émancipation »Histoire, médecine et santé [En ligne], 5 | printemps 2014, mis en ligne le 19 mai 2017, consulté le 25 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hms/681 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/hms.681

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Auteur

Nathalie Sage Pranchère

Centre Roland Mousnier – Université Paris-Sorbonne

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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