Dinet Marie-Claude et Beauvalet Scarlett (dir.), Lieux et pratiques de santé du Moyen Âge à la Première Guerre mondiale
Dinet Marie-Claude et Beauvalet Scarlett (dir.), Lieux et pratiques de santé du Moyen Âge à la Première Guerre mondiale, Amiens, Encrage éditions, 2013, 235 p.
Texte intégral
1Ces actes de colloque se proposent d’explorer l’histoire sociale de la médecine et de la santé en s’intéressant principalement aux lieux de santé, aux logiques spatiales de la distribution des sains et des malades dans des espaces de vie commune et aux particularités de la médecine et des soins en temps de guerre. L’ensemble des contributions souligne le recours à des professionnels des soins (médecins, chirurgiens, apothicaires patentés), mais les autres soignants (empiriques, prêtres ou autres personnes dévouées aux soins) surtout pour les périodes médiévale et moderne, n’apparaissent pas.
2Un premier ensemble de textes s’attache aux lieux. Où recevait-on des soins ? Quelles étaient les modalités de prises en charge des malades et de leurs maux selon ces lieux ? Dès l’introduction, les éditrices préviennent qu’il s’agit surtout d’examiner les « formes alternatives à l’hospitalisation ». Rappelons qu’en terme de mission, avant le XIXe siècle, l’hôpital est un lieu d’assistance et non uniquement de soins. En outre, malgré la dissémination des hôpitaux généraux et hôtels-Dieu, ces établissements sont bien incapables d’accueillir tous les pauvres malades. Ainsi les souffrants entre Moyen Âge et époque moderne sont-ils avant tout soignés à domicile, qu’il s’agisse de leur lieu de résidence habituel ou temporaire.
3Grâce à des correspondances et sources comptables, les comportements des élites du XVIIIe siècle comme la famille d’Estournel présentée par S. Beauvalet ou bien la princesse de Conti sont bien documentés. A. Chatenet-Calyste décrit le quotidien de cette grande dame, âgée de près de 50 ans, très attentive à son état de santé et qui a accès aux soins et aux professionnels sans aucune entrave économique ou sociale. Dans les années 1780, toute la vie de cette femme est contrôlée par les médecins selon l’auteure. Parfois cette prise en charge à domicile peut se faire avec l’intervention d’une association philanthropique comme les charités maternelles qui dès la fin du XVIIIe et encore au XIXe siècle tentent de prévenir les abandons d’enfants en secourant des mères de condition modeste comme le rappelle E. Berthiaud. Alors que dans un premier temps les secours interviennent au moment de l’allaitement des nouveau-nés, s’organisent peu à peu un suivi de la grossesse de ces femmes voire un accueil pour l’accouchement.
4Dans les situations particulières du couvent ou de la prison, tous les aspects de la vie quotidienne des individus sont pris en compte y compris la santé. R. Telliez, pour la fin du Moyen Âge, rend compte des mesures limitées, mais bien réelles, prises dans les administrations des geôles européennes. La libération pour les cas les plus véniels est un recours fréquent qui permet au malade de se faire soigner, sinon le prisonnier blessé ou malade peut voir son régime adouci et surtout son alimentation devenir plus riche en vin et viande pour lui redonner des forces. La santé est également une préoccupation dans un lieu comme l’abbaye de Corbie, où l’on comptait à la fin du Moyen Âge jusqu’à quatre lieux de soins différents : l’hôtellerie pour les hôtes de passage, l’hôpital pour des malades des environs, la maladrerie pour les lépreux, et l’infirmerie monastique dans la clôture pour les moines (J. Brassart). Au XVIIIe siècle, les religieux n’ont plus de fonctions médicales ou de soins. Les consultations pour les frères malades et la fourniture en remèdes se font auprès de professionnels extérieurs. Comme en prison, une nourriture réconfortante est offerte aux malades qui peuvent également jouir d’un adoucissement de la règle et sortir pour aller se faire soigner à l’extérieur.
5Il arrive, en effet, que les malades choisissent de s’éloigner de leur domicile pour recevoir des soins particuliers. À la fin du Moyen Âge et au début de l’époque moderne, les stations thermales connaissent un formidable développement d’abord en Italie et dans les régions allemandes puis la vogue des eaux minérales gagne la France surtout aux XVIIe et XVIIIe siècles. Les gens de la cour, de la noblesse en général, mais aussi les moines de Corbie, les habitants plus modestes des régions proches des sources, tous vont chercher la santé ou un mieux-être lors de séjours thermaux (G. Hurpin, A. Chatenet-Calyste, J. Brassart).
6Dès lors que les sources le permettent, les interrogations sur la consommation de remèdes et de visites de praticiens sont intéressantes pour mesurer ces pratiques de santé, les rapporter à des individus et à un contexte, mais aussi en suivre l’évolution dans le temps si possible, comme pour la princesse de Conti, bel exemple de l’importance croissante avec le vieillissement de la consommation de soins les plus divers.
7De façon plus générale, les auteurs constatent un élargissement des lieux et des activités liées à la santé. L’exercice quotidien souvent recommandé, les séjours à la campagne, mais aussi les bains et l’ingestion d’eaux thermales, jusqu’au choix alimentaires et même vestimentaires, toutes ces pratiques de santé constituent à la fois des thérapeutiques et des modes de prévention et d’hygiène courantes aux XVIIe et XVIIIe siècles.
8Quelques contributions de cet ouvrage s’interrogent sur les modalités de séparation des sains et des malades dans la société et surtout dans les établissements de vie commune. Ainsi dans le Montferrandais, un tribunal dénommé la Purge, actif à partir du XIIIe siècle, se charge-t-il de faire examiner les personnes supposées et dénoncées comme atteintes de la lèpre par des médecins. Aucun remède n’est délivré, mais les personnes diagnostiquées lépreuses doivent rejoindre une léproserie. La justice se fait instrument d’une politique de santé publique (J. Picot).
9Le même souci de prévention comme les nécessités des thérapeutiques expliquent en partie que dans des lieux de vie plus ou moins fermés où règne une certaine promiscuité, les administrateurs cherchent à catégoriser les populations, entre autres selon leur état de santé, pour les distribuer dans différents espaces. Qu’il s’agisse d’établissements pénitentiaire, hospitalier ou monastique, cette logique spatiale s’applique. Au XIXe siècle, la question se pose particulièrement dans les hospices de vieillards qui doivent prendre en charge les maux de leurs pensionnaires. Beaucoup y entrent sains, mais y meurent malades et souvent à l’infirmerie. La ségrégation spatiale des malades, voire l’évacuation des déments, indisciplinés et alcooliques vers d’autres établissements psychiatriques ou dépôts de mendicité, sont en usage. Le travail de M. Rossigneux-Meheust montre bien comment les pensionnaires des hospices participent à cette logique ou s’y opposent. Tout d’abord les vieillards sains adhèrent à la ségrégation spatiale. En dénonçant les bruits, les odeurs et la laideur des infirmes et des gâteux qui vivent à leurs côtés, ils témoignent de leur répugnance pour l’image dégradante de la vieillesse dont ces personnes sont porteuses et de leur volonté de ne pas être considérés comme des malades d’un hôpital, mais des pensionnaires d’une maison de vieux. Ensuite on peut aussi constater que des stratégies de résistance se mettent en place de la part de certains qui refusent de se voir déplacés de leur chambre particulière vers un dortoir de gâteux ou de malades.
10Un troisième thème est abordé en dernier lieu et pour les périodes les plus récentes par V. Haegele, N. Trouillet, P. Marquis. Il s’agit de la médecine en temps de guerre, une des spécialités de l’université d’Amiens qui publie ces actes, illustrée notamment avec une contribution sur les malades et blessés pendant les guerres révolutionnaires et impériales, l’autre sur les cas de troubles mentaux pendant la Première Guerre mondiale. Le service de santé des armées entre XVIIIe et XIXe siècle est scruté au travers du cas des soldats samariens malades et morts un peu partout en Europe et du fonctionnement des hôpitaux militaires dans le département de la Somme. L’adaptation aux conditions de la guerre semble particulièrement difficile, d’un côté le nombre des hôpitaux militaires sédentaires est réduit à 16, de l’autre les troupes sont plus nombreuses. L’affluence des blessés et malades est telle dans la Somme que, malgré une chaîne d’évacuation à trois niveaux, hôpitaux ambulants, temporaires et fixes, on est contraint d’envoyer des soldats dans les hôpitaux civils (N. Trouillet). Quant aux médecins aliénistes réformateurs du début du XXe siècle, ils trouvent pendant la Première Guerre mondiale l’occasion de défendre leurs théories sur la curabilité des troubles mentaux aigus à condition d’être pris en charge de façon précoce et mettent en place en conséquence des services dits « ouverts » dans les hôpitaux militaires ou les asiles départementaux civils pour accueillir les blessés psychiques des troupes. Le service du Docteur Rayneau à Fleury-les-Aubrais en est un bon exemple (P. Marquis). Les hommes atteints de troubles mentaux aigus provoqués par la guerre sont ainsi placés à part dans l’espace de l’asile. Ils y bénéficient de soins, mais aussi d’une certaine liberté de sortie pour convalescence tandis que les visites sont autorisées. Selon Rayneau, les bienfaits de cette forme d’internement sont indéniables. Néanmoins ces nouveaux services n’ont pas permis de faire reculer les préjugés sur les séjours dans de tels établissements auprès du public, et la promotion des services libres auprès de l’administration a été limitée dans les années 20.
11Enfin il est un problème difficile à passer sous silence pour le lecteur de cet ouvrage. Aucune des cartes, graphiques et autres illustrations annoncées dans les contributions ne figurent dans l’ouvrage. Renseignements pris, une édition électronique devrait à l’avenir combler cette regrettable absence.
Pour citer cet article
Référence papier
Isabelle Robin, « Dinet Marie-Claude et Beauvalet Scarlett (dir.), Lieux et pratiques de santé du Moyen Âge à la Première Guerre mondiale », Histoire, médecine et santé, 5 | 2014, 116-119.
Référence électronique
Isabelle Robin, « Dinet Marie-Claude et Beauvalet Scarlett (dir.), Lieux et pratiques de santé du Moyen Âge à la Première Guerre mondiale », Histoire, médecine et santé [En ligne], 5 | printemps 2014, mis en ligne le 19 mai 2017, consulté le 16 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hms/677 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/hms.677
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