Ego histoire avec un homme historien de la folie
Texte intégral
Francesca Arena : Tu es un historien de la folie, sensible dans tes travaux aux questions de genre et de masculinités. Pourrais-tu revenir sur ton parcours, ta rencontre en tant qu’homme et historien avec la folie, le choix de tes sujets (et de tes archives) et la place du genre dans tout cela ?
- 1 Hervé Guillemain, Diriger les consciences, guérir les âmes : une histoire comparée des pratiques t (...)
Hervé Guillemain : J’ai commencé à travailler pour ma thèse sur la culture psychothérapeutique d’un grand xixe siècle, au croisement du religieux et du médico-psychologique1. Si l’on regarde quel rapport cette thèse avait avec l’histoire du genre, au fond, elle n’en avait pas a priori. Je m’intéressais à des savoirs qui avaient assez peu de considération pour les questions de genre. La question a donc émergé de manière plutôt empirique. Lorsque j’ai commencé à travailler sur mes archives en 2000, il y avait des choses qui sautaient aux yeux. Les acteurs dominants étaient uniquement masculins : des prêtres, des religieux, des exorcistes, des psychiatres, des psychanalystes… Et ils travaillaient tous sur des sujets très majoritairement féminins : des stigmatisées, des possédées, des internées. Ce déséquilibre, que l’on peut simplement ramener à une question de pouvoir, et qui était évident dans les sources, résonnait étrangement avec mon histoire. La thèse m’a permis de redécouvrir l’histoire psychiatrique masculine de ma famille. On peut donc dire que la folie masculine était, sans que je le sache vraiment alors, le point de départ de ma carrière universitaire. Il y avait cependant un hiatus entre les archives – focalisées sur la folie féminine – sur lesquelles je pouvais écrire et la question originelle et intime.
Par ailleurs, je dois dire que j’ai eu affaire à des producteurs d’archives, ou à des archivistes, qui étaient tous des hommes (les congrégations féminines que j’avais contactées sont restées silencieuses) et qui m’ouvraient parfois leurs archives pour que je confirme ou que je renforce un récit sur l’hystérie et la folie féminines. En tant qu’historien, j’avais parfois l’impression de me retrouver, malgré moi, au cœur d’une très ancienne histoire de contrôle masculin des femmes. Je l’ai vu à plusieurs reprises, notamment dans l’écriture d’un chapitre de ma thèse dans lequel je parlais d’une jeune fille nantaise, une stigmatisée de la fin du xixe siècle, Marie Julie Jahenny, dont la vie publique suscitait des dévotions populaires incontrôlables. On m’a ouvert les archives, très abondantes sur ce cas, parce que pour certains archivistes, je crois, la parole de l’historien – un homme – pouvait permettre d’écrire sur l’hystérie et la folie d’une jeune femme et donc de contribuer à l’extinction d’un culte anarchique qui se développait en dehors de l’Église officielle. À l’inverse de ce qui était attendu, cela m’a un peu conforté dans l’idée qu’il était possible de montrer les positions de pouvoir des femmes dans ce champ médico-psychologique entièrement masculin à la fin du xixe siècle. Certaines avaient des positions de pouvoir, marginales certes, mais quand même de pouvoir. D’ailleurs, c’est quelque chose que je souligne souvent lorsque je lis des travaux sur l’histoire de la folie : les femmes – les religieuses des congrégations puissantes dans le soin et l’assistance – ont été maîtresses de nombreuses institutions psychiatriques privées, mais aussi de services internes d’institutions publiques. Elles sont souvent gommées des histoires de la psychiatrie, alors qu’elles sont omniprésentes auprès des patients. Ce sont des femmes fortes et puissantes dont on a souvent caricaturé l’histoire, alors qu’elles étaient parfois formées aux techniques de pointe, les chocs par exemple.
- 2 Hervé Guillemain, La méthode Coué : histoire d’une pratique de guérison au xxe siècle, Paris, Édit (...)
Un deuxième travail où la question du genre s’est posée est celui que j’ai mené sur la méthode Coué2, qui montre un homme extrêmement célèbre à l’échelle mondiale et derrière lui – notamment sur les photos d’archives –, une armée de femmes, à la fois disciples, à la fois collègues travaillant avec lui en coulisses, notamment dans des champs traditionnellement assignés aux femmes, la psychothérapie des enfants par exemple. L’autosuggestion consciente était une forme de soin à domicile, un espace traditionnellement géré par les femmes. Et ce qui m’a paru intéressant et que je montre dans un chapitre de ce livre est que les femmes trouvent dans ces thérapies « alternatives » une place qu’elles ne peuvent pas encore avoir au début du xxe siècle, ni dans le champ religieux ni dans le champ médical. Là encore, ces femmes amatrices dans le champ du soin n’étaient guère visibles, alors qu’elles pouvaient être à la tête de réseaux de soin d’ampleur, comme celui de Marguerite Burnat-Provins sur la Côte d’Azur.
Le troisième chantier que j’ai abordé depuis ce point de vue est celui qui m’occupe depuis dix ans : la question des dossiers des patients et patientes psychiatriques. Dans les fonds d’archives hospitaliers, rappelons que le premier mode de classement des dossiers est celui du tri par sexe, avant que ce soit par classe (indigent/pensionnaire) ou par statut au moment de la sortie (décès, guérison…) : ce qui saute aux yeux c’est la division prioritairement sexuelle de l’archive ! Ce sont des institutions (hospitalières) qui ont ségrégé les populations par sexe, en France, jusqu’aux années 1970.
- 3 Hervé Guillemain, Schizophrènes au xxe siècle. Des effets secondaires de l’histoire, Paris, Alma é (...)
J’ai pu développer plusieurs pistes dans deux champs de recherche : celle sur les soldats de la Grande Guerre et celle sur les schizophrènes3. Concernant les soldats j’ai en effet travaillé sur la folie de celui qui est empêché de combattre, le cafardeux, celui qui n’est même pas capable d’être récupéré pour l’armée : que de figures masculines anti-viriles… Ce qui fait écho à mon parcours : j’ai été objecteur de conscience et pour moi, la masculinité n’a pas de rapport avec le port des armes. Une vraie rupture par rapport à la génération de mon père, qui a aimé se faire photographier au service militaire avec une mitrailleuse énorme entre les mains ! C’est d’ailleurs une photo mythique de mon histoire familiale, un souvenir qui a sans doute contribué au choix de ce sujet et au traitement que je lui ai apporté.
Et puis le dernier travail que je voudrais évoquer, c’est celui qui a été mené dans le cadre de mon habilitation à diriger des recherches (HDR) sur l’histoire de la schizophrénie du point de vue des dossiers des patients et des patientes. Quand j’ai commencé à me plonger dans cette histoire, j’avais une représentation – qui j’imagine est partagée par beaucoup – très masculine de la schizophrénie. Une représentation très anachronique, en fait, et peut-être due aux représentations cinématographiques de la maladie. Et en rentrant dans les archives, cela a été la surprise : entre 1920 et 1950, les trois quarts des malades qui étaient diagnostiqués déments précoces ou schizophrènes étaient des femmes. Cette information ne figurait nulle part, ni dans les données historiques ni dans les textes médicaux. Alors que dans les manuels de psychiatrie de l’époque, quand on voulait représenter la schizophrénie, on n’utilisait que des corps masculins : pourtant, les mêmes psychiatres n’avaient probablement affaire qu’à des femmes ! Les conséquences sur ce groupe de patientes résistantes à tous les traitements proposés étaient monstrueuses. La lobotomie a été appliquée en très grande majorité à des femmes diagnostiquées schizophrènes, en France comme ailleurs. Je ne suis pas entré dans les archives avec l’envie de montrer la violence d’une psychiatrie masculine sur les jeunes femmes singulières, mais empiriquement le phénomène s’est révélé à moi. Et il montrait une dimension structurante de la psychiatrie du milieu du xxe. J’ai donc montré qu’il y avait une schizophrénie majoritairement féminine jusqu’aux années 1960, et puis une schizophrénie masculine à partir des années 1960. Cela tient pour moi au basculement de la prise en charge, moins hospitalo-centrée et plus neuroleptisée à partir de cette époque. Les femmes et les hommes ne réagissent pas de la même manière à ce changement de paradigme : probablement, ce nouveau dispositif fondé sur l’autonomie ou le soutien des familles convient moins aux hommes qu’aux femmes. La question du genre s’est donc imposée, je crois, progressivement à moi, pour devenir structurante dans ce dernier travail. Je ne l’ai pas pensée a priori : ce sont les sources qui m’ont poussé à écrire de plus en plus sur ce thème.
Francesca Arena : Tu ne crois pas que ce soit lié au privilège d’être un historien homme et de ne pas avoir à se poser cette question du genre, alors que nous, les historiennes, on est un peu dans l’obligation de se poser cette question théorique tout le temps ?
Hervé Guillemain : Je ne sais pas si toutes les historiennes se posent réellement cette question. Je ne voudrais surtout pas transformer en position idéologique ma pratique très empirique face aux archives. Le fait que je sois un homme m’a peut-être en effet permis d’entrer dans ces fonds gigantesques sans grille de lecture préconçue, c’est un fait. De même que j’ai pu dire quelque chose d’imprévu de l’expérience des patientes et patients migrants de mon point de vue franco-centré. Ou encore, écrire le parcours d’adolescentes et adolescents ou de personnes âgées de mon point de vue de quarantenaire (à l’époque !). J’ai fini par construire une méthode de cette absence de questionnement initial (de questionnement académique s’entend). Je ne parle pas ici d’objectivité, mais plutôt de capacité à accueillir la surprise, le détail, l’indice. Donc, dans ce sens, peut-être en effet est-ce un privilège d’avoir ce luxe de l’in-orientation. Mais très honnêtement, dans le cours de l’écriture, je me demande souvent si plutôt qu’un privilège, ce ne serait pas un handicap. Le travail sur les femmes domestiques ou les migrantes polonaises m’a pris beaucoup de temps, puisque je découvrais totalement leur condition.
Francesca Arena : La psychiatrie en tant que discipline a une histoire éminemment masculine, plus que dans d’autres domaines de la médecine : les médecins, aliénistes et psychiatres sont des hommes. On peine à identifier des figures féminines… sauf dans des positions subalternes. Pourquoi ?
- 4 Hervé Guillemain, Chronique de la psychiatrie ordinaire. Patients, soignants et institutions en Sa (...)
Hervé Guillemain : Il y a des éléments objectifs : la profession a été masculine jusqu’au début du xxe siècle et les parcours féminins sont présentés comme étant extraordinaires. Dans l’institution sur laquelle j’ai travaillé, par exemple, et qui ouvre en 1834, il y a des religieuses qui dirigent des services centraux, mais il n’y a pas de femmes médecin-cheffe jusqu’en 1958 : ce n’est quand même pas rien4 ! J’ai rencontré dans mes sources une certaine Mme Plattard – c’est ainsi qu’on la nomme – qui dirige un service à la fin des années 1950. Elle doit se faire une place dans une institution où, certes, la mère supérieure est puissante, mais dans laquelle les médecins-chefs sont des hommes catholiques, parfois aux méthodes assez violentes. Les rapports rédigés par cette femme sont intéressants, car elle critique les internements d’office d’enfants, les hospitalisations abusives de vielles femmes ; elle utilise moins les chocs que ses collègues masculins ; elle soulève des problèmes jamais pensés par l’institution. Elle dé-routinise la psychiatrie locale et parle par exemple de la réhabilitation des patientes en milieu rural. Il faudrait que les jeunes générations d’historiens et historiennes s’intéressent à ces parcours féminins dans la psychiatrie, car il n’y a pas beaucoup de travaux consacrés à cette question, au-delà des figures plus connues que sont Madeleine Pelletier et Constance Pascal.
Il y a aussi des éléments subjectifs : on trouve des figures féminines de pouvoir dans la psychiatrie, mais on ne les traite pas en tant que telles, sans doute parce qu’elles sont considérées comme des buttes témoins du vieux monde. Par exemple, les religieuses dont j’ai déjà parlé : ce sont des femmes en France qui dirigent des institutions, des services, des pharmacies… Ce ne sont pas des subalternes ! Mais elles sont traitées comme subalternes par les historiens et historiennes. En fait, on considère trop souvent que l’on bascule dès le xixe siècle dans une psychiatrie publique, laïque, uniforme, mais pour moi ce système existe jusqu’aux années 1970. C’est-à-dire jusqu’à ce que l’on organise la formation des infirmières psychiatriques faute de combattantes : plus personne, dès lors, ne veut devenir bonne sœur ! L’année 1972 est aussi le moment, comme on l’a dit, où les institutions deviennent mixtes en France. Pour moi, la césure importante pour cette question du genre dans l’histoire de la psychiatrie est donc celle des années 1960-1970.
Francesca Arena : Et pourquoi, malgré l’importance de cette surreprésentation masculine dans la discipline et la profession, y a-t-il très peu de travaux sur les masculinités, la psychiatrie et la folie ?
Hervé Guillemain : C’est une vaste question ! Je vais te soumettre quelques hypothèses pour en discuter. Tout d’abord, il y a beaucoup d’hommes fous qui ont donné lieu à des études dans le monde psychiatrique, mais il s’agit souvent d’une folie géniale, célèbre, d’une folie d’homme puissant ou encore d’une folie de grand criminel. La folie masculine est souvent représentée comme de la folie héroïque quelle qu’elle soit. Ensuite, il faut dire qu’il existe bien des travaux sur la folie masculine, mais qui ne sont pas présentés en tant que tels, des travaux qui n’utilisent pas le prisme du genre. Le nombre de travaux sur la psychiatrie durant la Grande Guerre est gigantesque, mais bien peu de chapitres et d’articles passent par le prisme du genre. C’est plutôt la question politique de la désertion, du refus du combat, qui est mise en avant. Le fou de guerre est bien souvent une sorte de héros aussi.
Un autre élément de réponse est que la folie masculine n’est pas toute représentée à l’hôpital psychiatrique, mais qu’elle se passe aussi du côté carcéral : on a donc peut-être du mal à la saisir en tant que telle. Où situer les travaux portant sur les autobiographies de criminels ? Le crime et la violence masculine et féminine ne sont pas considérés de la même manière. La violence féminine est souvent déresponsabilisée, à l’inverse de celle, masculine, qui a souvent tendance à basculer dans le crime. On psychologise aussi souvent la violence des femmes : les empoisonneuses, par exemple, n’ont jamais été représentées comme des serial killers !
Et encore un autre élément très important : les dossiers d’institutions dans lesquels nous nous plongeons ne contiennent pas du tout le même type de parole selon le sexe de la personne soignée. Les dossiers des femmes sont souvent plus denses : on y trouve de la production écrite, de la verbalisation, « on les entend » ; alors que la parole des hommes, il faut souvent la capter par des éléments objectifs extérieurs. Ils parlent aussi, pas de la même manière ; ils parlent moins. Je pense donc que les historiens et historiennes se penchent d’abord sur les gros dossiers où « ça parle », pour éviter la frustration liée aux dossiers qui ne « parlent pas ». En tout cas, c’est ce que je constate pour les dossiers concernant les patients diagnostiqués « schizophrènes ».
Francesca Arena : C’est très intéressant en effet. Mais il me semble qu’il s’agit là d’un processus d’altérisation : la plupart des médecins qui compilent ces dossiers et qui écoutent les malades sont des hommes. Alors que quand les hommes sont face à des hommes, on dirait qu’il y a quelque chose qui ne passe pas…
Hervé Guillemain : Exactement. Donc, cela veut dire qu’il faut faire un effort pour écrire sur le cas d’un patient masculin : de mon côté, je dois faire beaucoup plus d’efforts pour aller chercher les indices. Vraiment. C’était particulièrement le cas dans le travail mené avec Stéphane Tison sur les soldats internés de la Grande Guerre, dont les dossiers pourtant assez riches nécessitaient un regard plus acéré. C’est-à-dire qu’il faut aller chercher des détails ailleurs que là où on les trouve plus facilement dans les dossiers concernant des femmes. Un psychiatre qui parle d’une femme dans un dossier va décrire abondamment son physique, ses relations, sa conformité au genre ou pas. Par solution de facilité, l’historien homme peut se couler dans les pas du psychiatre homme et relayer à distance son discours. La folie féminine est rendue évidente, spectaculaire par les psychiatres. Elle attire l’attention de l’historien. Alors que la folie masculine, plus cachée, rendue silencieuse par le producteur de la source, impose, je crois, un effort supplémentaire de l’historien.
Francesca Arena : Pour les aliénistes – surtout de la première génération –, le sexe (ainsi que la classe sociale, la religion, l’origine, l’âge) était une question ; la psychiatrie au cours du xxe siècle perd progressivement cette dimension. Pourquoi à ton avis ?
Hervé Guillemain : Les traités et les manuels du premier xixe siècle accordent en effet beaucoup d’importance à la question du sexe, mais la psychiatrie à partir des années 1890 veut changer et cherche à définir des entités morbides, avec des frontières bien définies. L’aveu biographique importe moins que les données en série et les données biologiques. La psychiatrie de l’entre-deux-guerres n’a ensuite aucune entrée par sexe, il n’y a que des entrées nosographiques, des entrées par maladie. En cent ans, on a expurgé les manuels de psychiatrie des individus au profit des catégories, et donc peut-être cette dimension de genre a-t-elle aussi disparu avec. En revanche, les observations des psychiatres dans les dossiers des années 1920-1930 sont bourrées de commentaires sur l’absence de virilité d’un jeune homme ou sur l’absence de féminité d’une jeune femme, en plus de multiples descriptions du système pileux idéal, de la coiffure, de la vêture… Autant d’éléments qui vont entrer dans le tableau pour établir la schizophrénie de l’individu. On a dès lors l’impression qu’on ne dit plus rien du sexe dans les manuels, alors que dans les dialogues consignés dans les dossiers, on s’étale sur le sujet et on développe tous les préjugés possibles et imaginables.
Francesca Arena : Pourquoi ce décalage entre théorie et pratique ?
Hervé Guillemain : La plupart de ces dossiers n’ont pas d’utilité pour la clinique – on ne sait pas trop à quoi ils servent, d’ailleurs, si ce n’est à satisfaire la curiosité des historiens et historiennes ! Pour moi, ils sont des reliques d’une gestion administrative de la folie. On a d’un côté le monde de la théorie et de l’autre le monde de la clinique quotidienne, pleine de préjugés sociaux, et qui souvent se résume à la gestion des flux internes et externes.
Francesca Arena : L’histoire de la folie a été genrée par les historiennes déjà à partir des années 1970, à travers notamment les women’s studies. Mais encore aujourd’hui, très peu de travaux sont axés sur la folie masculine. On dirait que l’historiographie reproduit les catégories épistémologiques de la médecine… Qu’en dis-tu ?
Hervé Guillemain : Oui, oui. Comme on l’a dit, l’historiographie sur ce sujet a d’abord été construite par des médecins et donc, plus l’historiographie a été médico-centrée, plus elle a été masculine… Les historiens hommes, qu’ils soient médecins ou non, ont fait une histoire du cœur savant de la discipline, de la psychiatrie comme science et profession. L’histoire du genre en psychiatrie est le produit de divers décentrements. Les historiennes se sont intéressées les premières à la souffrance et à la résistance des patients et patientes, et elles ont donc questionné les systèmes qui produisent cela. Elles se sont attachées aussi à décrire le personnel dit secondaire, mais qui est souvent central dans l’institution. Leurs récits ont largement contribué à démédicaliser l’histoire de la folie et à l’ouvrir sur l’histoire sociale. Je pense qu’aujourd’hui, cette confusion entre le champ psychiatrique et le champ historiographique n’est plus de mise : certaines choses se sont un petit peu équilibrées dans le projet d’une histoire sociale de la folie et de la psychiatrie. Il y a des hommes qui travaillent de manière plus sensible sur les dossiers de patients et patientes, par exemple, et qui investissent l’histoire du soin, des enfants, du personnel infirmier… Autant de domaines qui étaient – à tort – considérés comme des objets féminins.
Notes
1 Hervé Guillemain, Diriger les consciences, guérir les âmes : une histoire comparée des pratiques thérapeutiques et religieuses (1830-1939), Paris, La Découverte, 2006.
2 Hervé Guillemain, La méthode Coué : histoire d’une pratique de guérison au xxe siècle, Paris, Éditions du Seuil, 2010.
3 Hervé Guillemain, Schizophrènes au xxe siècle. Des effets secondaires de l’histoire, Paris, Alma éditeur, 2018.
4 Hervé Guillemain, Chronique de la psychiatrie ordinaire. Patients, soignants et institutions en Sarthe du xixeau xxie siècle, Le Mans, Éditions de la Reinette, 2010.
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Référence papier
Francesca Arena et Hervé Guillemain, « Ego histoire avec un homme historien de la folie », Histoire, médecine et santé, 23 | 2023, 95-102.
Référence électronique
Francesca Arena et Hervé Guillemain, « Ego histoire avec un homme historien de la folie », Histoire, médecine et santé [En ligne], 23 | printemps 2023, mis en ligne le 03 juin 2023, consulté le 14 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hms/6706 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/hms.6706
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