Navigation – Plan du site

AccueilNuméros22Données médicalesLa politique des indicateurs

Données médicales

La politique des indicateurs

Usages politiques et scientifiques des indices d’aptitude militaire, France/Grande-Bretagne, 1914-1923
Indicator politics. Political and scientific uses of military suitability indices (France-Great Britain, 1914-1923)
Políticas del indicador. Usos políticos y científicos de los índices de aptitud militar (Francia y Gran Bretaña, 1914-1923)
Aude-Marie Lalanne Berdouticq
p. 105-122

Résumés

Pour intégrer les forces armées, les recrues doivent se soumettre à la sélection médicale. Les examens médicaux du recrutement sont l’occasion de recueillir un certain nombre d’informations sur la condition physique et pathologique des candidats. Ces données sont l’objet de débats et de controverses en tant qu’elles livrent des informations à la fois sur la manière dont est prélevé et réparti l’impôt du sang et sur l’état de santé de la nation. Les statistiques – sélection et agencement d’un grand nombre d’enregistrements – entendent livrer la description chiffrée d’un phénomène. En tant que statistiques médicales, elles sont perçues par leurs contemporains comme doublement objectives. Elles bénéficient d’abord de l’image d’impartialité attachée au chiffre, mais aussi de la neutralité associée au monde biologique. Pourtant, elles traduisent des constructions cognitives et actives et contribuent à donner forme à la société qu’elles entendent fidèlement refléter. La construction et l’utilisation des indices d’aptitude, qui permettent d’interpréter ces statistiques, dévoilent notamment des stratégies de contestation que de justification de la conduite de la guerre au plus haut niveau de l’État. Leur instrumentalisation politique confirme l’importance des méthodes quantitatives dans l’exercice du pouvoir. Elle prend, en France et en Angleterre, des directions diamétralement opposées. L’indice de Pignet, incorporé à la protestation hygiéniste française contre l’affaiblissement de la sélection médicale, est utilisé comme outil de surveillance sanitaire des opérations médicales du recrutement jusqu’en 1923. L’indice de Keith sert au contraire à contrôler le débat britannique d’après-guerre et à clore une séquence de crise politique.

Haut de page

Texte intégral

1En 1919, le Britannique James Galloway, sous-secrétaire d’État aux services de santé du ministère du Service national pendant la guerre, se félicite :

  • 1 James Galloway, « Medical Examination of Men for Military Service. Some of its Problems, Lessons a (...)

Depuis déjà un certain nombre d’années, l’étude du progrès social et racial souffrait de l’absence d’une masse d’informations suffisamment précises qui permette d’estimer la condition physique des individus […]. L’étude […] a été tentée plus d’une fois, mais faute de données suffisamment précises, elle n’a pu porter ses fruits. Or nous disposons aujourd’hui d’une importante quantité de données susceptibles de fournir les informations nécessaires à cette entreprise, certaines d’entre elles sont en ce moment même collectées et analysées1.

  • 2 Samuel T. Beggs, Selection of the Recruit, Londres, Baillière & Co., 1915, p. 12-27. Pour une évoc (...)

2En Angleterre, comme dans la plupart des armées européennes, le recrutement dépend du résultat de l’examen médical d’aptitude, mené par des médecins militaires. À l’issue d’une évaluation anthropométrique et diagnostique, les individus considérés comme inaptes sont écartés du rang2. À la mesure de la taille, du poids et du périmètre thoracique s’ajoutent celle de l’acuité visuelle et auditive et la recherche de malformations physiques et d’affections limitant l’aptitude du candidat aux exigences du port des armes. La procédure est l’occasion de recueillir un certain nombre de données sur la condition physique et pathologique des candidats. Ces statistiques médicales font l’objet d’une intense réflexion sur leur possible utilisation, notamment pendant et après la Première Guerre mondiale.

  • 3 Odile Roynette, « La statistique médicale de l’armée française au xixe siècle : un instrument de s (...)
  • 4 Jean-François Chanet, Claire Fredj, Anne Rasmussen, « Soigner les soldats : pratiques et expertise (...)

3La collecte de ces données s’inscrit dans le mouvement qui a vu, depuis le xviiie siècle, se répandre l’usage de la quantification dans la documentation militaire relative à l’état de santé des troupes3. Fruit d’une révolution épistémologique et politique, la généralisation de la démarche quantitative s’appuie sur la légitimité de la science pour répondre aux impératifs de transparence et d’efficacité à l’ère de l’armée de masse4. La construction et l’utilisation des statistiques médicales de guerre révèlent l’instrumentalisation politique de ces données. Elles sont en effet l’objet de débats et de controverses en tant qu’elles livrent des informations à la fois sur la manière dont est prélevé et réparti l’impôt du sang et sur l’état de santé de la nation. Elles dévoilent aussi bien des stratégies de contestation que de justification de la conduite de la guerre au plus haut niveau de l’État.

  • 5 Richard Price, An Imperial War and the British Working Class. Working-Class Attitudes and Reaction (...)
  • 6 En dehors des hommes exemptés pour raisons professionnelles ou familiales. Voir à ce sujet Keith G (...)

4En Grande-Bretagne, les données médicales du recrutement sont placées sous haute surveillance depuis la guerre des Boers (1899-1902) qui a révélé la condition physique désastreuse des recrues et suscité des inquiétudes sur l’état de santé de la nation dans son ensemble. Or, en raison des dimensions réduites de l’armée britannique, ces statistiques ne concernaient qu’un tout petit nombre de volontaires. Leur représentativité était donc sujette à caution5. La Grande Guerre représente à cet égard une importante césure. Face aux importants besoins en hommes, la Grande-Bretagne adopte la conscription en mars 1916. Le service des armes prend un caractère obligatoire pour tous les hommes valides en âge de combattre6. Dès lors, les données collectées prennent une toute autre ampleur. C’est en ce sens que les autorités britanniques considèrent l’introduction du service militaire obligatoire comme une extraordinaire opportunité statistique, celle d’obtenir enfin un juste tableau de l’état de santé de la population. En France, les données médicales du recrutement font également l’objet de commentaires scientifiques et politiques articulés autour du nécessaire maintien de la suprématie de la nation française sur sa rivale allemande.

  • 7 Anne Rasmussen, « L’hygiène en congrès (1852-1912) : circulation et configurations internationales (...)
  • 8 Sur la proximité ancienne des intellectuels français et britanniques, même si ces relations se dis (...)
  • 9 Pour une histoire comparative du service militaire et des traditions de conscription dans les pays (...)
  • 10 Robin Prior, « 1916 : batailles totales et guerre d’usure », dans Jay Winter, Annette Becker (dir. (...)

5La comparaison France-Angleterre est ici riche d’enseignements. Les débats sur la sélection médicale des recrues de l’armée s’élaborent en effet depuis des décennies dans un espace européen marqué par la discussion scientifique internationale7. Or, si la guerre donne un coup d’arrêt à la pratique des congrès et à la discussion avec l’ennemi outre-Rhin, elle n’interrompt pas pour autant la circulation des savoirs et des pratiques de sélection entre les alliés que sont la France et la Grande-Bretagne, dont les élites entretiennent une longue tradition d’échanges et de relations8. En outre, les bouleversements que subit le système de recrutement britannique, passé du volontariat à la conscription, le poussent à s’inspirer explicitement du modèle français, où la conscription est la modalité principale de recrutement des troupes depuis l’abolition du tirage au sort en 19059. La politique de recrutement des deux pays suit ensuite une trajectoire similaire pendant le conflit. Les opérations de triage des recrues sont en effet rapidement soumises à rude épreuve. Il s’agit de reconstituer des effectifs décimés par un conflit meurtrier. Les grandes offensives se soldent par des pertes importantes et des gains de territoires limités10. Pendant toute la durée des affrontements, les armées française et britannique sont régulièrement à court d’hommes. L’état-major s’efforce donc de reconstituer les troupes le plus rapidement possible. En conséquence, l’examen médical fait primer la quantité des effectifs sur leur qualité. Face à l’incorporation massive d’inaptes dans l’armée, des voix s’élèvent pour critiquer l’affaiblissement du triage. Pourtant, confrontées au même problème – l’assouplissement de la sélection médicale des recrues et le mécontentement qui en résulte –, la France et l’Angleterre adoptent des politiques entièrement différentes. Cette divergence est particulièrement lisible dans l’usage qui est fait des statistiques du recrutement dans les débats scientifiques et politiques, et notamment dans l’usage des indices d’aptitude, qui visent à rendre ces données facilement interprétables et utilisables en condensant plusieurs informations.

  • 11 Sur les aspects médicaux de l’indice, on pourra consulter Christine Bataille, « Pignet et l’anthro (...)
  • 12 Les premiers articles relatifs à la mesure de l’intelligence sont publiés en 1905 par Alfred Binet (...)
  • 13 Service historique de la Défense (SHD), GR 9 NN 7/1100 ; Compte-rendu sur le recrutement de l’armé (...)

6Exploiter les statistiques médicales du recrutement nécessite en effet de traiter et mettre en ordre le flot considérable de données collectées afin de les transformer en information, de les rendre exploitables, de leur donner du sens. Cela implique de sélectionner ou de créer ex-nihilo des instruments de formalisation. Ces outils naissent dans un contexte, ont une histoire et trahissent une vision politique des choses. Nous nous attacherons ici à comparer deux instruments du traitement statistique, l’indice de robusticité, conçu par Maurice Pignet en 1900, et l’indice d’aptitude, élaboré par Arthur Keith en 1918. L’objectif des indices d’aptitude est de qualifier la constitution physique d’un individu ou d’un groupe à l’aide d’une seule et unique valeur numérique11. Leur usage s’inscrit dans un mouvement général de quantification médicale des aptitudes selon des échelles d’évaluation métriques à des fins d’orientation, que l’on retrouve dans différentes institutions. En France, l’indice de Pignet sert à la fois à évaluer, à contester et à réorienter la politique de recrutement. En Grande-Bretagne, l’indice de Keith est conçu comme un outil à la potentialité de contrôle limité, conçu de manière à clore une séquence de crise politique. Si d’autres indices, comme l’échelle Binet-Simon dans le cadre scolaire, ont suscité l’intérêt des historien·nes, l’usage précoce et à grande échelle des indices d’aptitude par les milieux militaires, scientifiques et politiques n’a pas reçu l’attention qu’il mérite12. La comparaison de ces deux indices permet pourtant d’examiner l’usage des données médicales dans le débat politique et leur instrumentalisation dans la réponse à la contestation de la conduite de la guerre. Le présent article s’appuie sur les données statistiques publiées et commentées entre 1915 et 1923, sur la documentation administrative de l’État en guerre, les débats parlementaires autour de la question de l’aptitude et la presse médicale et générale13. Il détaille la construction et l’utilisation du savoir statistique et son outillage cognitif dans une perspective d’histoire critique de la quantification.

L’indice de robusticité de Pignet, instrument de la critique hygiéniste de la politique de recrutement

  • 14 Maurice Pignet, « Valeur numérique de l’homme. Nouveau mode d’appréciation de la force physique ex (...)
  • 15 Adolphe Quetelet, Physique sociale ou Essai sur le développement des facultés de l’homme, Bruxelle (...)
  • 16 Odile Roynette, Bons pour le service : la caserne à la fin du xixe siècle, Paris, Belin, 2017, p.  (...)

7Cet indice dit « de robusticité » est conçu en 1900 à partir d’examens menés par Maurice Pignet (1871-1935), médecin militaire. L’indice de Pignet entend quantifier l’aptitude individuelle au service militaire en additionnant le périmètre thoracique et le poids de l’individu, puis en soustrayant la somme ainsi obtenue de la taille exprimée en centimètres. Selon Pignet, plus le résultat est élevé, plus grandes sont les chances de voir le candidat rejeté pour faiblesse de constitution. Afin de transformer le nombre obtenu en valeur, la formule est associée à une série de seuils : « 0 à 10 – Constitution très forte ; 11 à 15 – Constitution forte ; 16 à 20 – Constitution bonne ; 21 à 15 – Constitution bonne (moyenne) ; 26 à 30 – Constitution faible ; 31 à 35 – Constitution très faible ; 36 et au-delà – Constitution très médiocre14. » L’aptitude militaire, considérations pathologiques exclues, est ainsi résumée en une échelle numérique unidimensionnelle et hiérarchisée, dans laquelle transparaît l’influence des travaux sur l’homme moyen et la distribution binomiale des qualités15. C’est en fonction de leur position sur cette échelle que Maurice Pignet entend assigner aux individus une place, ou non, dans l’institution militaire. La pertinence de cet indice par rapport à d’autres est discutée au-delà des frontières hexagonales, dans la continuité du débat européen du xixe siècle sur l’évaluation de l’aptitude militaire16.

  • 17 Ministère de la guerre, Recrutement de l’armée : instruction sur l’aptitude physique au service mi (...)
  • 18 Compte-rendu sur le recrutement de l’armée pendant l’année 1914 ; Compte-rendu sur le recrutement (...)
  • 19 Anne Rasmussen, « Expérimenter la santé des grands nombres : les hygiénistes militaires et l’armée (...)
  • 20 Odile Roynette, Bons pour le service…, op. cit., p. 224-245, notamment p. 230-234 ; Heinrich Hartm (...)
  • 21 Dr Boureau et Dr de Gaulejac, « Nouveau procédé d’évaluation physique du soldat », Gazette médical (...)
  • 22 Odile Roynette, « L’âge d’homme : les représentations de la masculinité chez les médecins militair (...)
  • 23 Gérard Jorland, George Weisz, Annick Opinel, Body Counts. Medical Quantification in Historical and (...)
  • 24 Fabrice Cahen, Catherine Cavalin, Paul-André Rosental, « Mesurer la valeur humaine : morale, biopo (...)
  • 25 Sur la question de la quantification et de son interprétation dans une approche d’épistémologie de (...)

8Parmi les critères discriminants de l’aptitude, la « faiblesse de constitution » est en effet la principale cause d’exemption entre 1914 et 1918. Les instructions données aux experts médicaux chargés de la sélection la définissent comme « une faiblesse générale, un état malingre de l’ensemble17 ». Sur toute la période de la guerre, 11,5 % des exemptés le sont pour faiblesse de constitution18. Cependant, du fait de sa définition floue, ce diagnostic est, pour les médecins, source de difficultés. Aussi, pour le préciser, de nombreux experts ont tenté de définir l’aptitude de manière anthropométrique, de l’« objectiver par un ensemble de mesures19 ». Après avoir suscité un débat international, les variables que sont le poids, la taille et la circonférence thoracique sont progressivement retenues comme pertinentes20. Elles s’imposent comme étalon de la robustesse du soldat. Ces trois mesures sont plébiscitées parce qu’elles nécessitent un matériel simple, facile à manier et peu onéreux – toise, bascule et ruban métrique – et présentent toutes les garanties de rapidité et de précision dans les conditions d’urgence qui sont celles de l’examen médical21. Le corps de la recrue est alors enfermé dans un cadre mathématisé. Cette « arithmétique du corps masculin22 » renvoie au développement d’un nouveau système de preuve scientifique au sein duquel le regard du médecin est progressivement remplacé par l’instrumentation, puis par la mesure23. Il s’agit de « décomposer l’individu en traits et aptitudes quantifiables, [et de] le recomposer sous forme de chiffrages globaux pour mieux pouvoir comparer son efficience, constatée ou potentielle, à celle de ses pairs24 ». Les formes de la discursivité scientifique font alors un usage appuyé du langage mathématique, dont la scientificité doit être gage d’objectivité et donc d’exactitude25.

  • 26 Annie Crépin, Histoire de la conscription, Paris, Gallimard, 2009, p. 312 ; id., Défendre la Franc (...)
  • 27 Lion Murard, Patrick Zylberman, « “L’autre guerre” (1914-1918) : la santé publique en France sous (...)
  • 28 65 519 soldats du 1er août 1914 au 1er novembre 1915 selon Louis Landouzy, « La guerre et la réfor (...)
  • 29 Anne Rasmussen, « Préserver le capital humain : une doctrine hygiéniste pour préparer la guerre dé (...)

9Lisible, facile à manier, bénéficiant du prestige indiscutable du chiffre et de l’objectivité de la mesure, l’indice de Pignet fait en France l’objet d’un intérêt tout particulier pendant la guerre. Il devient en effet le pivot d’une entreprise de dénonciation de l’affaiblissement de la sélection médicale des recrues, conséquence d’une politique de recrutement visant à reconstituer les effectifs d’une armée durement éprouvée sur le champ de bataille. Pendant la guerre, les conscrits sont déclarés aptes à près de 90 %, contre 65 % environ entre 1889 et 191426. Or, dans le même temps, les maladies contagieuses deviennent une préoccupation majeure de la gestion sanitaire de l’armée. Entre 1914 et 1919, la tuberculose emporte plus de 40 000 soldats27. La mobilisation de l’opinion et des autorités sanitaires contre ce fléau s’affirme à la fin de l’année 1915. Elle contribue à renforcer l’âpre dénonciation des méthodes du recrutement qui exposent le collectif armé à la menace épidémique, potentiellement importée dans ses rangs par des individus mal sélectionnés28. On considère notamment que les faibles constitutions sont un terreau propice au développement du bacille. Comme le souligne Anne Rasmussen, « La crise sanitaire induite par la tuberculose [remet] en exergue les nécessités du triage que prônaient les apôtres de la sélection hygiénique au nom de la préservation du futur de la nation29. »

10Figure de la dénonciation hygiéniste de l’affaiblissement de la sélection des recrues, le médecin Henri Doizy (1869-1952), député socialiste des Ardennes et président de la commission d’hygiène, tente de mobiliser la Chambre des députés. Or, alors que l’activité des services statistiques de l’armée est ralentie par le conflit et que les chiffres du recrutement, données sensibles par excellence, sont impossibles à mobiliser en séance publique pour des raisons de confidentialité des affaires relatives à la conduite de la guerre, comment convoquer des données objectives susceptibles d’apporter sinon la preuve, du moins des indices convaincants de la menace sanitaire pesant sur les troupes ? Doizy fait dès lors de l’indice de Pignet l’outil privilégié de son argumentaire.

11En novembre 1915, il déplore les conditions de recrutement des classes 1916 et 1917 :

  • 30 JORF. Débats parlementaires. Chambre des députés, 30 novembre 1915, p. 1942. Pour répondre à la cr (...)

La classe 1916 a été incorporée dans des conditions telles – j’ai pu m’en rendre compte dans certains régiments – que des indices très élevés ont été acceptés. La même coupable erreur a dû se produire pour la classe 1917 […]. Au 65e régiment, à Nantes, j’ai demandé communication de la liste des hommes qui, lors de la visite d’incorporation, avaient été présentés pour la réforme temporaire. Le médecin-major en avait présenté quatre ; trois ont été réformés temporairement ; ils avaient comme indices respectivement 49, 56 et 41. Le quatrième, dont l’indice était de 43, a été maintenu au corps ! C’est profondément regrettable30.

12Faute de statistiques globales, ce sont des cas individuels qui sont brandis par le député. Les soldats dont il est question, caractérisés par des indices supérieurs à 35, tombent dans la dernière catégorie, « constitution très médiocre », de la classification de Pignet. Les conséquences de l’abandon de la rigueur sont éclairées par une donnée claire et puissamment évocatrice qui présente toutes les qualités nécessaires pour frapper l’imagination des parlementaires.

  • 31 Ministère de la guerre, Recrutement de l’armée : aptitude physique au service militaire, Paris, H. (...)
  • 32 Vincent Viet, « La Grande Guerre et la lutte antituberculeuse en France », Revue d’histoire de la (...)
  • 33 JORF. Débats parlementaires. Chambre des députés, séance du 30 novembre 1915, p. 1941.
  • 34 JORF. Débats parlementaires. Chambre des députés, séance du 30 novembre 1915, p. 1942. L’indice de (...)
  • 35 SHD, GR 9 NN 7/1100, Visite d’incorporation des recrues de la classe 1919, des ajournés des classe (...)
  • 36 SHD, GR 9 NN 7/1100, AS des conseils chargés de la révision de la classe 1920 et de l’examen des a (...)

13À la suite de ces critiques, l’indice de Pignet est intégré à l’élaboration de nouvelles mesures hygiénistes de surveillance et de régulation de la politique de recrutement relevant de la gestion de crise sanitaire31. Facilité par loi Léon Bourgeois, un système de lutte antituberculeuse à la fois social et sanitaire se déploie courant 191632. Ces dispositions prises en aval du recrutement se doublent de directives que l’on peut analyser comme un renforcement du dispositif prophylactique que constitue la sélection médicale des recrues. Suivant les recommandations formulées par la commission d’hygiène, les instructions préconisent que « les conseils de révision ne déclarassent bons pour le service que les jeunes gens réunissant rigoureusement les conditions d’aptitudes physiques exigées en temps de paix pour les engagements volontaires33 ». Les engagés volontaires, considérés comme plus fragiles que les conscrits, font en effet traditionnellement l’objet d’une sélection plus sévère. Afin de garantir l’application de cette recommandation, à laquelle on reproche de rester vague, la commission d’hygiène réussit à imposer un critère simple de rigueur, l’indice de Pignet dont le calcul est alors systématisé34. La décision prise au moyen de chiffres, en lieu et place de l’avis des experts, prend l’apparence d’un jugement juste et impersonnel, auquel est attaché un idéal d’objectivité caractéristique de la science. Elle doit constituer un moyen à la fois simple et efficace de rétablir la rigueur dans la sélection. La détermination de l’indice est assortie pour la première fois d’un seuil limite (25) permettant aux experts de s’appuyer sur une conception quantitative de l’aptitude. Son calcul est d’abord imposé après la sélection, au moment de l’incorporation des soldats dans l’armée, par la circulaire du 3 mars 191835. La loi du 2 août 1918 lui attribue ensuite un caractère automatique au sein des opérations des conseils de révision eux-mêmes, qui procèdent au triage initial. Cette loi en fait notamment un élément déterminant d’appréciation de la condition physique des soldats « récupérés », c’est-à-dire des candidats déclarés inaptes mais soumis à de nouveaux examens d’aptitude au cours de la guerre, en vertu de l’intensification de la politique du chiffre promue par le recrutement36.

  • 37 JORF. Débats parlementaires. Chambre des députés, séance du 30 novembre 1915, p. 1941.
  • 38 Theodore M. Porter, La confiance dans les chiffres…, op. cit., p. 8.
  • 39 Ibid., p. xiii.

14L’indice de robusticité, dont l’usage était conseillé dans les volumes d’instruction sur l’aptitude physique adressés prioritairement aux médecins, se retrouve donc mentionné dans les circulaires adressées aux généraux commandant toutes les régions militaires, puis imposé dans une loi de portée générale. Ce transfert indique l’importance prise par la question de l’aptitude physique, et plus généralement de l’hygiène militaire, dans le débat politique. Il s’agit de ne pas cantonner ces directives aux seuls médecins, mais de rendre personnellement responsables de leur application les généraux commandant les régions ou subdivisions et les commandants de dépôt, ainsi que le souhaitait déjà Joseph Gallieni, alors ministre de la Guerre, le 29 novembre 191537. L’insistance sur l’indice de Pignet répond au « rôle croissant de l’expertise quantitative dans les prises de décision publiques38 » analysé par Theodore Porter. Mais elle est « moins l’aboutissement de la science triomphante […] qu’une manœuvre défensive pour parer à une menace39 » dans un contexte de crise et d’incertitude sanitaire.

  • 40 JORF. Débats parlementaires. Sénat : compte rendu in extenso, Paris, 9 mars 1923, p. 534.

15Généralisé pendant le conflit, l’usage de cet indice persiste dans l’immédiat après-guerre. On ne trouve à cet égard pas de césure nette entre les décisions prises dans les derniers mois du conflit et le déroulement des opérations de recrutement des conscrits pour le service militaire en sortie de guerre. L’importance de l’indice de Pignet n’est véritablement remise en cause qu’en 1923, au cours d’une séance du Sénat concernant les pensions des armées de terre et de mer : « Sans doute, l’indice de Pignet fournit des indications intéressantes […] mais [il] laisse passer, sous les termes d’aptes ou d’inaptes au service, des sujets dont le classement pourra être, et, par suite l’affectation, absolument illogique, si on ne fait pas intervenir d’autres éléments40. » À cette occasion, le recours systématique à l’indice est supprimé et l’accent est mis sur les caractéristiques morphologiques et les dispositions professionnelles du conscrit, afin de faire correspondre la variété des profils physiologiques à celle des affectations dans une armée dont la composition ne cesse de se complexifier.

« Estimer et exprimer le degré d’aptitude d’un groupe de manière synthétique » : l’indice d’aptitude de Keith

  • 41 « A New Method of Estimating Physical Fitness for Military Service », Journal of The Royal Army Me (...)
  • 42 James A. Balck, « Observations on Pignet’s Factor », Journal of The Royal Army Medical Corps, 1er  (...)

16Le coefficient de Pignet est connu en Angleterre depuis le début du xxe siècle41. Il est rapidement utilisé, avec quelques variations, pour des études ponctuelles qui permettent aux médecins militaires d’estimer la qualité de leurs recrues et de comparer la proportion déclarée apte à celle de la France ou de l’Allemagne42. Pourtant, c’est un autre indice, conçu et appliqué en Grande-Bretagne, qui s’impose à la fin de la guerre pour interpréter les résultats issus de la collecte de données médicales du recrutement. Son nom, indice d’aptitude (index of fitness), le rapproche en apparence de l’indice de robusticité. Il est également élaboré par un individu avant de voir son usage étendu. Mais son fonctionnement diffère de celui de l’indice de Pignet. Utilisé par des inspecteurs pour estimer le sérieux du travail des commissions médicales, il est rapidement manié pour comparer entre eux différents groupes. L’indice de Keith s’appuie sur une échelle d’aptitude adoptée par la procédure de recrutement britannique en 1917 :

Tableau 1 : Échelle d’aptitude adoptée par la procédure de recrutement britannique en 1917

Échelon I Sujets de force physique normale, capables de supporter un degré de fatigue physique adapté à leur âge. Ces hommes ne doivent souffrir d’aucune maladie organique évolutive, ni être affectés d’une quelconque malformation ou invalidité sérieuses. Les déficiences légères pouvant être corrigées ou compensées par des moyens artificiels ne sont pas rédhibitoires.
Échelon II Sujets qui, pour des raisons diverses, seraient atteints de déficiences leur interdisant d’atteindre les exigences de l’échelon I. Ces hommes ne doivent pas souffrir de maladies organiques évolutives. Leurs capacités auditives et visuelles doivent être correctes ; leur musculature moyenne, ils doivent être capables de supporter une fatigue physique conséquente mais non éprouvante.
Échelon III Sujets présentant un handicap physique marqué ou les signes d’une ancienne pathologie qui indiqueraient qu’ils ne sont pas aptes à supporter la fatigue physique que requièrent les catégories supérieures. On pourra notamment placer dans cette catégorie les hommes souffrant d’orteils déformés, de formes sévères de pied plat et, dans certains cas, de hernies ou de varices […].
Échelon IV Inaptitude complète et définitive à toute forme de service militaire.

Source : Report upon the Physical Examination of Men of Military Age by National Service Medical Boards from November 1st 1917 to October 31st 1918, vol. 1, Londres, H. M. Stationery Office, 1920.

17Les experts médicaux du recrutement doivent classer les candidats dans l’une de ces catégories en fonction de leurs caractéristiques anatomo-pathologiques et non, comme pour l’indice de Pignet, selon des caractéristiques anthropométriques.

  • 43 James Galloway, « Medical Examination of Men for Military Service… », art. cit., p. 672.
  • 44 Biographical Index of Former Fellows of the Royal Society of Edinburgh 1783-2002, The Royal Societ (...)

18Cet indice est suggéré à James Galloway en 1918 par Arthur Keith, afin « d’estimer et d’exprimer le degré d’aptitude d’un groupe de manière synthétique43 ». Avant d’être nommé sous-secrétaire d’État aux services de santé du ministère chargé du recrutement, l’éminent praticien James Galloway (1862-1922) a été inspecteur des opérations médicales du recrutement. Son correspondant, le professeur Keith (1866-1955), anatomiste et anthropologue, est un penseur du darwinisme social, des théories évolutionnistes de la sélection naturelle et de la hiérarchie des groupes humains44. En déterminant une différence mesurable de qualité entre les individus, il entend fonder une hiérarchie sociale sur une base biologique. À partir d’une théorie de la valeur différentielle des individus extraite d’une enquête sur la taille de 1 000 étudiants de Cambridge, il propose d’attribuer à chaque recrue, en fonction de son classement, une fraction de valeur comprise entre ¼ (ou 25 %) et 1 (ou 100 %), puis, à partir de cette évaluation individuelle, de parvenir à un taux d’aptitude collectif :

  • 45 James Galloway, « Medical Examination of Men for Military Service… », art. cit., p. 672. Pour une c (...)

Supposons qu’une commission ait examiné 1 000 hommes, écrit-il, et que cet examen ait donné le résultat suivant : 700 hommes sont placés à l’échelon I ; 200 sont placés à l’échelon II ; 75 sont placés à l’échelon III ; 25 sont placés à l’échelon IV. Chaque homme placé à l’échelon I est représenté par une unité d’aptitude complète, soit un total de 700 unités. À chaque homme placé à l’échelon II, nous attribuons ¾ ou 75 % d’une unité. Les 200 hommes représentent donc 200 x ¾ soit 150 unités. Chaque homme placé à l’échelon III représente ½ unité, soit 75 x ½, 37,5 unités. Chaque homme placé à l’échelon IV représente ¼ d’unité, soit 25 x ¼, 6,25 unités. 893,75. Ainsi, grâce à cette méthode, certes quelque peu artificielle mais néanmoins adaptée, le bataillon d’hommes examinés représente un total de 893,75 unités d’aptitude ou – pour le dire plus simplement – la somme d’aptitude s’élève à 89,375 % du total possible. L’indice d’aptitude de ce groupe peut être désigné par la valeur 89,345.

19Comme pour l’indice de Pignet, Keith définit une valeur seuil, celle de 89,3, à partir de laquelle tous les résultats seront analysés en considérant l’écart à la norme. Le système permet donc d’attribuer une note à un collectif en fonction de la valeur supposée de ses membres. À la classification en quatre échelons, déjà hiérarchique dans son principe, Arthur Keith ajoute donc une échelle numérique de valeur humaine, dans laquelle la force contributive des individus est relative à celle d’un individu doté d’une force physique normale, ne souffrant d’aucune déficience sérieuse.

  • 46 François-Marie Taillepied de Bondy, Recrutement de l’armée : observations pratiques sur les inégal (...)

20Outre sa dimension normative qui répond aux préoccupations scientifiques et politiques du moment, l’indice de Keith est un outil empirique de formalisation des données qui présente les mêmes qualités que celui de Pignet. Facile à produire, puissamment évocateur, il permet des comparaisons à plusieurs échelles. Il matérialise en outre sous la forme d’une simple valeur un grand nombre d’enregistrements, sans recourir systématiquement à l’activité chronophage qui consiste à mesurer les recrues. Attribuer une valeur à un groupe en fonction de son aptitude au service n’est pas une pratique entièrement neuve. L’indice de Pignet est parfois utilisé comme une mesure collective à partir du calcul de la moyenne des valeurs individuelles d’un groupe. D’autres indicateurs ont été inventés, qui ont connu plus ou moins de succès, tel celui proposé en 1841 par François-Marie Taillepied de Bondy46. L’indice de Keith est utilisé essentiellement de manière ponctuelle pendant la guerre, au cours des inspections des commissions médicales par les agents du ministère du Service national, avant d’être donné comme clef de lecture de l’important rapport ministériel de 1920.

Rétablir la confiance par les chiffres, l’utilisation des indices dans l’immédiat après-guerre

  • 47 Roger Cooter, « Of War and Epidemics. Unnatural Couplings, Problematic Conceptions », Social Histo (...)
  • 48 Adrien Besson, De l’évaluation de l’aptitude physique au service militaire des jeunes sujets, Lill (...)

21Une fois les données des opérations médicales du recrutement collectées, les outils cognitifs nécessaires à leur analyse soigneusement choisis, l’information statistique est mise à disposition bien souvent à l’issue du conflit. Elle sert diverses entreprises de description chiffrée de la société en guerre, destinées au débat scientifique, mais aussi à l’action politique. Il peut s’agir de dresser le bilan sanitaire de quatre années de guerre et d’en tirer des leçons pour les conflits futurs ou de contribuer plus généralement à un débat brûlant sur l’état de santé de la population, tout en contrôlant la réception des données. L’immédiat après-guerre voit donc fleurir nombre de rapports chiffrés rétrospectifs de la Grande Guerre, travaux statistiques dont la pratique s’est diffusée dès le milieu du xixe siècle47. En France, le travail du médecin militaire lillois Adrien Besson, tout en s’inscrivant dans la lignée des nombreux travaux discutant l’évaluation de l’aptitude au service, se présente comme un bilan du travail des commissions médicales pendant les quatre années de guerre. Il y fait part de ses observations d’expert en s’appuyant sur un important travail d’analyse statistique. Après avoir discuté de la pertinence de l’indice de robusticité, il conclut à sa « valeur réelle48 ». Son jugement est appuyé sur la critique systématique de la littérature scientifique, mais aussi sur le relevé des mesures de 6 093 sujets qu’il a personnellement réalisées au conseil de révision et au bureau de recrutement de Beauvais. En discutant de la valeur de l’indice de robusticité, l’ouvrage s’inscrit dans le champ de l’expertise et de la discussion scientifiques, qui est l’une des modalités de la mise à disposition des statistiques de guerre.

  • 49 Report upon the Physical Examination…, op. cit.
  • 50 Pour la guerre de Crimée, on pense à Jean-Charles Chenu, De la mortalité dans l’armée et des moyen (...)
  • 51 Report upon the Physical Examination…, op. cit., p. iv.
  • 52 « A Physical Census of the Male Population », British Medical Journal, 6 mars 1920, p. 331-335.
  • 53 Geoffrey R. Searle, The Quest for National Efficiency. A Study in British Politics and Political T (...)

22À l’inverse, certaines enquêtes espèrent porter leurs conclusions sur la scène publique. C’est le cas du rapport extensif sur l’examen médical des recrues britanniques, publié en 1920 par le ministère du Service national49. Le document de 159 pages, qui analyse les comptes rendus régionaux élaborés pendant la guerre, est explicitement destiné au grand public, comme d’autres rapports statistiques ayant fait, en leur temps, le bilan de conflits antérieurs50. Le rapport est conçu pour être lu et manipulé par des non-spécialistes, comme en témoigne le glossaire des termes médicaux et la dimension didactique de son propos51. Le caractère synthétique de l’indice de Keith participe de cette entreprise de mise à disposition des données statistiques. Il est d’emblée proposé comme clef de lecture des résultats. Largement diffusé, le rapport est vendu en librairie pour un peu plus de 2 shillings. La publication suscite nombre de commentaires. Le British Medical Journal du 6 mars 1920 lui consacre ainsi huit colonnes52. La presse médicale et générale se fait l’écho depuis la guerre des Boers des inquiétudes relatives à la condition physique des soldats et, d’une manière plus générale, à la supposée détérioration de l’état de santé de la nation53.

  • 54 Simon Szreter, « The GRO and the Public Health Movement in Britain, 1837-1914 », Social History of (...)
  • 55 Le fameux comité sur la détérioration physique appuie ainsi ses conclusions inquiètes de 1904 sur (...)

23Le document entend apporter une contribution majeure au débat sur le déclin de la puissance britannique. Dans ce pays où la biométrie et la statistique mathématique sont dès l’origine liées aux questions de santé publique, l’idée de déclin est articulée à celle de dégénérescence (physical deterioration)54. Les enjeux de la défense de la nation sont inévitablement connectés à cette problématique. Pour le rapport de 1920, le principal atout de la nation est la santé de la population. Dans ce contexte d’inquiétude, les enquêtes statistiques se multiplient, appuyées sur des données démographiques et sur l’instrumentalisation permanente des informations médicales issues du recrutement55.

  • 56 Report upon the Physical Examination…, op. cit., p. 5.
  • 57 Ibid, p. 11.
  • 58 Alain Desrosières, La politique des grands nombres, op. cit.

24Or, pour la Grande-Bretagne, l’introduction de la conscription représente une occasion inédite de collecte d’informations sur la santé de sa population : « Les données de ces examens médicaux représentent assurément une opportunité d’enquête physiologique d’une ampleur sans précédent dans notre histoire – sans précédent à la fois par la masse et par la précision des informations détaillées qui ont pu être collectées56 », souligne le rapport de 1920. Entre le 1er novembre 1917, date de la création du ministère du Service national, et le 31 octobre 1918, ce sont les résultats de deux millions et demi d’examens médicaux qui s’offrent à l’analyse. Le rapport en tire des conclusions « alarmantes sur l’excès d’individus placés en catégorie III et IV » et sur « l’inquiétant tableau ainsi dressé de la santé et de la condition physique et des jeunes gens et hommes d’âge plus mûr de notre pays57 ». L’éloquence des chiffres est utilisée comme dispositif de sensibilisation de l’opinion publique et doit servir à l’action politique. Le rapport se situe donc à la jonction des deux volets, cognitif et actif, de l’analyse statistique, soit à l’articulation des mondes de l’action et du savoir, pour reprendre les termes d’Alain Desrosières58.

  • 59 Jay Winter, « Military Fitness and Civilian Health », art. cit. ; Keith Grieves, The Politics of M (...)
  • 60 Qu’il nous soit ici permis de renvoyer à notre article : Aude-Marie Lalanne Berdouticq, « 1917, “L (...)

25Le choix de l’indice de Keith comme outil de mise à disposition de statistiques sur la santé de la population répond à des exigences d’accessibilité et de lisibilité des résultats. La rationalité de la quantification donne en outre aux assertions du rapport une autorité qui vise à les rendre indiscutables. Mais l’indice vient aussi clore une crise politique ouverte en 1916. Dès l’introduction de la conscription en Grande-Bretagne, des aberrations d’affectation attribuées aux examens médicaux alarment l’opinion, confrontée de manière inédite au caractère obligatoire du recrutement. On reproche aux médecins d’établir des diagnostics hâtifs et d’incorporer des hommes inaptes au service armé. L’affaire est portée jusqu’au Parlement et prend au printemps 1917 les dimensions d’un scandale. Les pouvoirs publics prennent dès l’automne des mesures en apparence radicales. La procédure est démilitarisée, réformée, et la nomenclature révisée. L’ensemble des opérations est placé sous la responsabilité de médecins civils et sous la tutelle d’un nouveau ministère indépendant, le ministère du Service national59. Le nouveau système démilitarisé se présente comme un avatar très abouti de l’alliance entre les experts médicaux et l’action politique, à même de restaurer la confiance de l’opinion publique60.

  • 61 « The Scandal of the Unfit », Daily Star, 25 août 1916.

26Dans la lignée de cette réforme dont il présente le bilan, le rapport de 1920 consacre son introduction au rappel des errements du précédent système et son premier chapitre à la défense de la valeur de la classification en quatre échelons. L’indice de Keith est introduit au troisième chapitre et utilisé constamment dans les pages qui suivent pour mesurer l’écart à la norme des moyennes régionales d’aptitude. En créant sur mesure un outil d’interprétation des statistiques médicales du recrutement, le ministère espère en contrôler la réception et limiter la contestation du nouveau système. En effet, il n’est possible de manier l’indice de Keith qu’à partir d’une classification déjà établie (échelons I, II, III, IV). Contrairement à l’indice de Pignet, qui permet aux hygiénistes de contester les modalités de la sélection médicale des recrues en soulignant l’inaptitude de certaines d’entre elles, l’index of fitness interdit toute remise en cause de la catégorisation effectuée en amont par le corps médical, puisqu’il n’intervient qu’en aval de celle-ci. En cela, il est un outil de la réforme administrative et politique de 1917 destinée à rétablir la confiance de l’opinion, durablement entamée par le « scandale des inaptes61 ».

*

27Les indices d’aptitude révèlent ainsi l’usage politique des statistiques médicales du recrutement militaire, usage qui dévoile aussi bien des stratégies de contestation que de justification de la conduite de la guerre. En s’efforçant de qualifier l’aptitude militaire d’un individu ou d’un groupe à l’aide d’une seule valeur numérique, ils proposent une clef de lecture des données médicales produites pendant le conflit. Ils offrent donc la possibilité de porter un regard critique sur les effets de la politique de reconstitution des effectifs militaires qui, dès les premières semaines de la guerre, a conduit à affaiblir considérablement le triage médical des recrues. C’est dans cette optique que, dans un contexte de crise sanitaire due à l’épidémie de tuberculose qui ravage les troupes françaises, l’indice de robusticité de Pignet est incorporé à une entreprise de protestation hygiéniste, menée à la Chambre des députés par Henri Doizy. L’usage de cet indicateur s’impose et il est dès lors utilisé comme outil de surveillance sanitaire des opérations médicales du recrutement militaire français jusqu’en 1923.

  • 62 Max Weber, Le savant et le politique, Paris, Plon, 1959 ; Theodore M. Porter, La confiance dans le (...)

28Confrontés à des dynamiques similaires – crise des effectifs, affaiblissement de la sélection et protestations –, les Britanniques auraient pu utiliser l’indice de Pignet, dont certains médecins militaires avaient déjà fait usage. Pourtant, c’est un tout autre indice, créé pendant le conflit, qui est proposé comme clef de lecture lors de la publication des statistiques médicales du recrutement du temps de la guerre. Si l’indice d’aptitude de Keith comporte une dimension pratique, le choix de cet outil en apparence purement technique est profondément politique. L’indice de Keith sert en effet à contrôler le débat d’après-guerre et à juguler d’éventuelles critiques. En limitant l’exploitation des données du recrutement, les Britanniques entendent restaurer la confiance de l’opinion, ébranlée par les scandales des examens médicaux de la Grande Guerre. En tentant de contrôler le débat public, ils espèrent échapper aux controverses qui avaient suivi la guerre des Boers. La construction et l’utilisation des statistiques médicales de guerre confirment donc bien l’importance des méthodes quantitatives dans l’exercice du pouvoir62.

Haut de page

Notes

1 James Galloway, « Medical Examination of Men for Military Service. Some of its Problems, Lessons and Results », Contributions to Medical and Biological Research, New York, P. B. Hoeber, 1919, p. 665-679, ici p. 679. Toutes les traductions sont de l’autrice du présent article.

2 Samuel T. Beggs, Selection of the Recruit, Londres, Baillière & Co., 1915, p. 12-27. Pour une évocation des critères de sélection en Europe avant la Première Guerre mondiale, voir Heinrich Hartmann, Der Volkskörper bei der Musterung. Militärstatistik und Demographie in Europa vor dem Ersten Weltkrieg, Göttingen, Wallstein, 2011.

3 Odile Roynette, « La statistique médicale de l’armée française au xixe siècle : un instrument de savoir et de pouvoir démographiques ? », dans Patrick Krassnitzer et Petra Overath (dir.), Bevölkerungsfragen. Prozesse des Wissenstransfers in Deutschland und Frankreich (1870-1939), Cologne, Böhlau Verlag, 2007, p. 67-78 ; Heinrich Hartmann, Der Volkskörper bei der Musterung…, op. cit.

4 Jean-François Chanet, Claire Fredj, Anne Rasmussen, « Soigner les soldats : pratiques et expertises à l’ère des masses », Le Mouvement social, 257, 2016, p. 3-19 ; Libby Schweber, Disciplining Statistics. Demography and Vital Statistics in France and England, 1830-1885, Durham, Duke University Press, 2006, p. 67 et suiv. ; Alain Desrosières, La politique des grands nombres. Histoire de la raison statistique, Paris, La Découverte, 2000 ; Theodore M., Porter Trust in Numbers. The Pursuit of Objectivity in Science and Public Life, Princeton, Princeton University Press, 1995 ; Guillaume Carnino, L’invention de la science : la nouvelle religion de l’âge industriel, Paris, Éditions du Seuil, 2015.

5 Richard Price, An Imperial War and the British Working Class. Working-Class Attitudes and Reactions to the Boer War, 1899-1902, Londres, Routledge, 1972, p. 2 ; Geoffrey R. Searle, The Quest for National Efficiency. A study in British Politics and Political Thought, 1899-1914, Oxford, Basil Blackwell, 1971, p. 65 ; Paul Crook, Darwinism, War and History. The Debate Over the Biology of War from the “Origins of Species” to the First World War, Cambridge, Cambridge University Press, 1994.

6 En dehors des hommes exemptés pour raisons professionnelles ou familiales. Voir à ce sujet Keith Grieves, The Politics of Manpower, 1914-18, Manchester, Manchester University Press, 1988.

7 Anne Rasmussen, « L’hygiène en congrès (1852-1912) : circulation et configurations internationales », dans Patrice Bourdelais (dir.), Les hygiénistes. Enjeux, modèles et pratiques, Paris, Éditions Belin, 2001, p. 213-239.

8 Sur la proximité ancienne des intellectuels français et britanniques, même si ces relations se distendent quelque peu au xxe siècle : Christophe Charle, Julien Vicent, Jay Winter, Anglo-French Attitudes. Comparisons and Transfers between English and French Intellectuals since the Eighteenth Century, Manchester, Manchester University Press, 2007.

9 Pour une histoire comparative du service militaire et des traditions de conscription dans les pays européens, voir Roland Foerster (dir.), Die Wehrpflicht. Entstehung, Erscheinungsformen und politisch-militärische Wirkung, Munich, Oldenbourg, 1994, notamment Gerd Krumeich, « Zur Entwicklung der “nation armée” in Frankreich bis zum Ersten Weltkrieg », p. 133-145.

10 Robin Prior, « 1916 : batailles totales et guerre d’usure », dans Jay Winter, Annette Becker (dir.), La Première Guerre mondiale, t. 1, Combats, Paris, Fayard, 2013, p. 103-126.

11 Sur les aspects médicaux de l’indice, on pourra consulter Christine Bataille, « Pignet et l’anthropométrie militaire », thèse d’exercice en médecine, Université Claude Bernard (Lyon 1), sous la direction de François Tolot, 1982.

12 Les premiers articles relatifs à la mesure de l’intelligence sont publiés en 1905 par Alfred Binet, soit plusieurs années après les premiers travaux sur les indices d’aptitude. L’échelle Binet-Simon est mise au point en 1907. Elle a pour objectif d’évaluer l’intelligence chez les enfants afin d’adapter leur scolarité. Au sein d’une abondante bibliographie, on peut citer Patrice Pinell, « L’invention de l’échelle métrique de l’intelligence », Actes de la recherche en sciences sociales, 108,‎ 1995, p. 19-35 ; Serge Nicola, « Le Binet-Simon et les origines de la mesure de l’intelligence », dans Serge Nicolas, Bernard Andrieu (dir.), La mesure de l’intelligence. Conférences à la Sorbonne à l’occasion du centenaire de l’échelle Binet-Simon (1904-2004), Paris, L’Harmattan, 2005, notamment p. 26-28.

13 Service historique de la Défense (SHD), GR 9 NN 7/1100 ; Compte-rendu sur le recrutement de l’armée pendant l’année 1914 ; Compte-rendu sur le recrutement de l’armée pendant l’année 1915 ; Compte-rendu sur le recrutement de l’armée pendant l’année 1916 ; Compte-rendu sur le recrutement de l’armée pendant l’année 1917 ; Compte-rendu sur le recrutement de l’armée pendant l’année 1918 ; Report upon the Physical Examination of Men of Military Age by National Service Medical Boards from November 1st 1917 to October 31st 1918, vol. 1, Londres, H. M. Stationery Office, 1920 ; Journal officiel de la République française (JORF). Débats parlementaires. Sénat : compte rendu in extenso ; JORF. Débats parlementaires. Chambre des députés : compte rendu in extenso.

14 Maurice Pignet, « Valeur numérique de l’homme. Nouveau mode d’appréciation de la force physique exprimée par un nombre tiré de la comparaison des trois mensurations : taille, périmètre et poids », Archives médicales d’Angers, 8, 9, 10, 1900.

15 Adolphe Quetelet, Physique sociale ou Essai sur le développement des facultés de l’homme, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 1997 [1869].

16 Odile Roynette, Bons pour le service : la caserne à la fin du xixe siècle, Paris, Belin, 2017, p. 224-245, notamment p. 230-234 ; Heinrich Hartmann, The Body Populace. Military Statistics and Demography in Europe before the First World War, Cambridge, Massachusetts, MIT Press, 2019, p. 69-92. ; et parmi les nombreux exemples de débats scientifiques, Stanislaw Mackiewicz, « Des mesures du corps comme signes matériels de la robusticité probable du conscrit », Le Caducée, 6, 1905, p. 76-78.

17 Ministère de la guerre, Recrutement de l’armée : instruction sur l’aptitude physique au service militaire, Paris, H. Charles-Lavauzelle, volume arrêté à la date du 15 septembre 1914, p. 7.

18 Compte-rendu sur le recrutement de l’armée pendant l’année 1914 ; Compte-rendu sur le recrutement de l’armée pendant l’année 1915 ; Compte-rendu sur le recrutement de l’armée pendant l’année 1916 ; Compte-rendu sur le recrutement de l’armée pendant l’année 1917 ; Compte-rendu sur le recrutement de l’armée pendant l’année 1918.

19 Anne Rasmussen, « Expérimenter la santé des grands nombres : les hygiénistes militaires et l’armée française », Le Mouvement social, 257, 2016, p. 71-91, ici p. 80.

20 Odile Roynette, Bons pour le service…, op. cit., p. 224-245, notamment p. 230-234 ; Heinrich Hartmann, The Body Populace…, op. cit., p. 69-92.

21 Dr Boureau et Dr de Gaulejac, « Nouveau procédé d’évaluation physique du soldat », Gazette médicale du centre, 1er décembre 1904 ; Achille Kelsch, « La tuberculose dans l’armée », Revue d’hygiène, 20 septembre 1905, p. 784. D’autres tentatives de mesures, par des anthropologues désireux d’utiliser le vivier des conscrits pour mener des études sans lien avec les finalités militaires, rencontrent l’hostilité des autorités : Heinrich Hartmann, « Une affaire de marges : l’anthropométrie au conseil de révision, France-Allemagne, 1880-1900 », Le Mouvement social, 256, 2016, p. 81-99.

22 Odile Roynette, « L’âge d’homme : les représentations de la masculinité chez les médecins militaires au xixe siècle », dans Jean-Pierre Bardet et al. (dir.), Lorsque l’enfant grandit : entre dépendance et autonomie, Paris, Presses de l’université Paris-Sorbonne, 2003, p. 285.

23 Gérard Jorland, George Weisz, Annick Opinel, Body Counts. Medical Quantification in Historical and Sociological Perspective, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2005, p. 157 ; Theodore M. Porter, La confiance dans les chiffres : la recherche de l’objectivité dans la science et dans la vie publique, Paris, Les Belles Lettres, 2017 ; Gerhard Rudolph, « Mesure et expérimentation », dans Mirko Grmek (dir.), Histoire de la pensée médicale en Occident, t. 2, De la Renaissance aux Lumières, Paris, Éditions du Seuil, 1997, p. 61-91 ; Simon Schaffer, La fabrique des sciences modernes, Paris, Éditions du Seuil, 2014 ; H. Otto Sibum, « Les gestes de la mesure : Joule, les pratiques de la brasserie et la science », Annales. Histoire, Sciences sociales, 53 (4-5), 1998, p. 745-774.

24 Fabrice Cahen, Catherine Cavalin, Paul-André Rosental, « Mesurer la valeur humaine : morale, biopolitique, utilitarisme, xviiie-xxie siècle », Incidence. Philosophie, littérature, sciences humaines et sociales, 12, 2016, p. 17.

25 Sur la question de la quantification et de son interprétation dans une approche d’épistémologie des sciences, on lira Lorraine Daston, Peter Galison, Objectivité, Dijon, Les Presses du réel, 2012, p. 218. Sur les procédures de validation des travaux et l’administration de la parole scientifiques, voir Volny Fages, Savantes nébuleuses : l’origine du monde entre marginalité et autorité scientifique (1860-1920), Paris, Éditions de l’EHESS, 2018.

26 Annie Crépin, Histoire de la conscription, Paris, Gallimard, 2009, p. 312 ; id., Défendre la France : les Français, la guerre et le service militaire de la guerre de Sept Ans à Verdun, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2005 ; Philippe Boulanger, « Les conscrits de 1914 : la contribution de la jeunesse française à la formation d’une armée de masse », Annales de démographie historique, 103, 2002, p. 11-34.

27 Lion Murard, Patrick Zylberman, « “L’autre guerre” (1914-1918) : la santé publique en France sous l’œil de l’Amérique », Revue historique, 276 (2), 1986, p. 367-398.

28 65 519 soldats du 1er août 1914 au 1er novembre 1915 selon Louis Landouzy, « La guerre et la réforme du soldat tuberculeux », rapport lu à la Commission permanente de préservation contre la tuberculose le 5 mars 1915, Revue d’hygiène et de politique sanitaire, 37, 1915, p. 209-226. Voir aussi : « Proposition de résolution invitant le Gouvernement à assurer des soins aux militaires tuberculeux avant leur renvoi dans leurs foyers », JORF. Débats parlementaires. Chambre des députés, annexe au procès-verbal de la séance du 25 mars 1915.

29 Anne Rasmussen, « Préserver le capital humain : une doctrine hygiéniste pour préparer la guerre démocratique ? », Mil neuf cent. Revue d’histoire intellectuelle, 33, 2015, p. 71-95.

30 JORF. Débats parlementaires. Chambre des députés, 30 novembre 1915, p. 1942. Pour répondre à la crise des effectifs, plusieurs classes d’âge sont appelées à combattre de manière anticipée. C’est ce qui explique qu’il soit question des classes 1916 et 1917 dès 1915.

31 Ministère de la guerre, Recrutement de l’armée : aptitude physique au service militaire, Paris, H. Charles-Lavauzelle, volume arrêté à la date du 20 décembre 1916, p. 7, p. 10 ; SHD, GR 9 NN 7/1100, Visite d’incorporation des recrues de la classe 1919, des ajournés des classes 1913 à 1918 et des exemptés de la classe 1918, no 3606 3/7, Paris, le 3 mars 1918 ; SHD, GR 9 NN 7/1100, AS des conseils chargés de la révision de la classe 1920 et de l’examen des ajournés des classes 1918 et 1919 et des exemptés de la classe 1919, J9 459 B 4/7, Paris, le 20 août 1918.

32 Vincent Viet, « La Grande Guerre et la lutte antituberculeuse en France », Revue d’histoire de la protection sociale, 9, 2016, p. 52-67.

33 JORF. Débats parlementaires. Chambre des députés, séance du 30 novembre 1915, p. 1941.

34 JORF. Débats parlementaires. Chambre des députés, séance du 30 novembre 1915, p. 1942. L’indice de Pignet est mentionné dans les Instructions : « Les experts trouveront dans le poids, le périmètre thoracique, l’indice respiratoire, le coefficient de robusticité, de précieux éléments d’appréciation de la valeur physique » ; « Pour l’appréciation de cette faiblesse de constitution et de son degré, on fera appel aux mensurations combinées du poids, de la taille et du périmètre thoracique. On tiendra le plus grand compte du coefficient de robusticité (coefficient de Pignet) », Ministère de la guerre, Recrutement de l’armée : aptitude physique au service militaire, Paris, H. Charles-Lavauzelle, volume arrêté à la date du 20 décembre 1916, p. 7, p. 10.

35 SHD, GR 9 NN 7/1100, Visite d’incorporation des recrues de la classe 1919, des ajournés des classes 1913 à 1918 et des exemptés de la classe 1918, no 3606 3/7, Paris, le 3 mars 1918.

36 SHD, GR 9 NN 7/1100, AS des conseils chargés de la révision de la classe 1920 et de l’examen des ajournés des classes 1918 et 1919 et des exemptés de la classe 1919, J9 459 B 4/7, Paris, le 20 août 1918. Les dispositions de la loi du 2 août sont largement reprises et diffusées, par exemple dans le Bulletin municipal officiel de la ville de Paris du jeudi 29 août 1918, p. 2605.

37 JORF. Débats parlementaires. Chambre des députés, séance du 30 novembre 1915, p. 1941.

38 Theodore M. Porter, La confiance dans les chiffres…, op. cit., p. 8.

39 Ibid., p. xiii.

40 JORF. Débats parlementaires. Sénat : compte rendu in extenso, Paris, 9 mars 1923, p. 534.

41 « A New Method of Estimating Physical Fitness for Military Service », Journal of The Royal Army Medical Corps, 1er juillet 1908, p. 105.

42 James A. Balck, « Observations on Pignet’s Factor », Journal of The Royal Army Medical Corps, 1er juillet 1912, p. 85-87.

43 James Galloway, « Medical Examination of Men for Military Service… », art. cit., p. 672.

44 Biographical Index of Former Fellows of the Royal Society of Edinburgh 1783-2002, The Royal Society of Edinburgh, 2006 ; Arthur Keith, An Autobiography, Londres, Watts & Co., 1950 ; voir aussi Alan Barnard, Social Anthropology and Human Origins, Cambridge, Cambridge University Press, 2011, p. 10.

45 James Galloway, « Medical Examination of Men for Military Service… », art. cit., p. 672. Pour une critique rapide de la pertinence de cet indice, voir Jay Winter, « Military Fitness and Civilian Health in Britain during the First World War », Journal of Contemporary History, 15 (2), 1980, p. 211-244.

46 François-Marie Taillepied de Bondy, Recrutement de l’armée : observations pratiques sur les inégalités du mode actuel de répartition des contingents entre les départements et les cantons, et proposition d’un nouveau mode, Auxerre, E. Perriquet, 1841, p. 35.

47 Roger Cooter, « Of War and Epidemics. Unnatural Couplings, Problematic Conceptions », Social History of Medicine, 16 (2), 2003, p. 283-302. Par exemple, l’enquête en trois volets de Russell Wells, « A Collective Investigation of Ten Thousand Recruits with Doubtful Heart Conditions », British Medical Journal, 18 mai 1918, p. 556, 7 septembre 1918, p. 210, 16 avril 1919, p. 510.

48 Adrien Besson, De l’évaluation de l’aptitude physique au service militaire des jeunes sujets, Lille, H. Morel, 1921, p. 28.

49 Report upon the Physical Examination…, op. cit.

50 Pour la guerre de Crimée, on pense à Jean-Charles Chenu, De la mortalité dans l’armée et des moyens d’économiser la vie humaine : extraits des statistiques médico-chirurgicales des campagnes de Crimée en 1854-1856 et d’Italie en 1859, Paris, Hachette, 1870. À ce sujet, on lira les analyses de Claire Fredj, « Compter les morts de Crimée : un tournant sur l’identité professionnelle des médecins de l’armée française (1865-1882) », Histoire, économie & société, 29 (3), 2010/3, p. 95-108.

51 Report upon the Physical Examination…, op. cit., p. iv.

52 « A Physical Census of the Male Population », British Medical Journal, 6 mars 1920, p. 331-335.

53 Geoffrey R. Searle, The Quest for National Efficiency. A Study in British Politics and Political Thought, 1899-1914, Berkeley, University of California Press, 1971, p. 34-54, notamment p. 38 ; Roderick Floud, Kenneth Wachter, Bentley B. Gilbert, Height, Health, and History. Nutritional Status in the United Kingdom, 1750-1980, Cambridge, Cambridge University Press, 1990.

54 Simon Szreter, « The GRO and the Public Health Movement in Britain, 1837-1914 », Social History of Medicine, 4 (3), 1991, p. 435-463.

55 Le fameux comité sur la détérioration physique appuie ainsi ses conclusions inquiètes de 1904 sur les données militaires : Inter-Departmental Committee on Physical Deterioration, Report of the Inter-Departmental Committee on Physical Deterioration, vol. I, Report and Appendix, Londres, HMS Stationary Office, Wyman & Sons, 1904. Voir à ce sujet Bentley B. Gilbert, « Health and Politics. The British Physical Deterioration Report of 1904 », Bulletin of the History of Medicine, 39, 1965, p. 143-153.

56 Report upon the Physical Examination…, op. cit., p. 5.

57 Ibid, p. 11.

58 Alain Desrosières, La politique des grands nombres, op. cit.

59 Jay Winter, « Military Fitness and Civilian Health », art. cit. ; Keith Grieves, The Politics of Manpower…, op. cit.

60 Qu’il nous soit ici permis de renvoyer à notre article : Aude-Marie Lalanne Berdouticq, « 1917, “Le scandale des inaptes” : crise de l’examen médical et réforme du recrutement militaire en Grande-Bretagne », dans Morgane Barey, Jean Bourcart (dir.), 1917, l’année trouble, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2019.

61 « The Scandal of the Unfit », Daily Star, 25 août 1916.

62 Max Weber, Le savant et le politique, Paris, Plon, 1959 ; Theodore M. Porter, La confiance dans les chiffres…, op. cit.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Aude-Marie Lalanne Berdouticq, « La politique des indicateurs »Histoire, médecine et santé, 22 | 2022, 105-122.

Référence électronique

Aude-Marie Lalanne Berdouticq, « La politique des indicateurs »Histoire, médecine et santé [En ligne], 22 | hiver 2022, mis en ligne le 15 décembre 2022, consulté le 23 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hms/6183 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/hms.6183

Haut de page

Auteur

Aude-Marie Lalanne Berdouticq

Centre Maurice Halbwachs, École normale supérieure

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search