Production, diffusion et usages des données chirurgicales pendant les guerres napoléoniennes
Résumés
Au cours des guerres napoléoniennes, un grand nombre de soldats blessés ont été pris en charge par les services de santé des armées et évacués à travers l’Europe. Cet article examine la production, la transmission et les usages des données chirurgicales produites dans ce contexte, prêtant attention aux « technologies de papier » en usage et questionnant la place des données chiffrées. Ces données ont avant tout une fonction militaire de suivi des forces disponibles et sont par ailleurs fréquemment incomplètes et hétérogènes suivant leurs conditions de production. Leur rôle dans la constitution du savoir médical des chirurgiens paraît dès lors marginal et complexe. Cette ambiguïté du rapport aux données chiffrées permet de nuancer les réflexions sur la militarisation de la médecine et la médicalisation de la guerre.
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- 1 Alain Pigeard, Dictionnaire des batailles de Napoléon : 1796-1815, Paris, Éditions Tallandier, 200 (...)
- 2 Jean-François Hutin, La campagne d’Égypte : une affaire de santé, Paris, Éditions Glyphe, 2011 ; R (...)
1Les guerres napoléoniennes voient la massification des effectifs engagés au cours des batailles, lesquelles provoquent des pertes de grande ampleur1. Dans ce contexte sont produites des données médicales sur un grand nombre de patients, dont la transmission à travers l’Europe et l’utilisation posent de multiples questions. Cet article examine ainsi la manière dont des données médicales sont collectées, transmises et diffusées dans les armées napoléoniennes. Il se concentre sur les données provenant de chirurgiens, et non sur les données concernant les épidémies, beaucoup plus fréquemment étudiées2.
- 3 Mark Harrisson, « Introduction », dans Roger Cooter, Mark Harrison et Steve Sturdy (dir.), Medicin (...)
- 4 Catherine Kelly, War and the Militarization of British Army Medicine, 1793-1830, Londres, Pickerin (...)
- 5 Marcus Ackroyd et al., Advancing with the Army. Medicine, the Professions, and Social Mobility in (...)
- 6 Erica Charters, Disease, War, and the Imperial State. The Welfare of the British Armed Forces duri (...)
2L’historiographie récente sur la médecine militaire aux xviiie et xixe siècles s’est notamment attachée à retracer les rapports entre médecine, armée et État, autour d’une réflexion sur les processus de médicalisation de l’armée et de militarisation de la médecine développés par Mark Harrisson pour une période postérieure à celle qui nous intéresse ici3. Pour les guerres de la Révolution et de l’Empire, les travaux de Catherine Kelly ont montré la pertinence de ces réflexions, en tout cas pour ce qui concerne l’armée britannique4. L’historienne souligne notamment l’émergence d’une identité professionnelle spécifique des médecins militaires, dont l’historiographie a aussi étudié le transfert des pratiques dans la vie civile en ce qui concerne leur carrière5. Les répercussions de la gestion des épidémies sur le développement de techniques de gestion globales de problèmes sanitaires à l’échelle d’une population ont aussi été étudiées pour l’armée britannique, surtout dans un contexte impérial6.
- 7 Erica Charters, « L’histoire de la quantification : la guerre franco-anglaise et le développement (...)
3Les relations entre médecins, armée et formation de l’État moderne se cristallisent notamment autour de la question de la gestion des données médicales, et en particulier de leur quantification. La médicalisation de la guerre prend ainsi la forme de l’usage militaire de données médicales. Celles-ci permettent de connaître de manière précise l’état des forces disponibles ou de statuer sur la salubrité d’un campement. La militarisation de la médecine, quant à elle, a notamment pour visage l’usage par les médecins de ces données produites dans un contexte guerrier pour démontrer l’efficacité de leur pratique et construire une carrière7. Cette dynamique a surtout été étudiée pour le service de santé de l’armée britannique, et Erica Charters, qui travaille sur le xviiie siècle, mentionne un retard français en la matière. En examinant les sources françaises pour les guerres napoléoniennes, cet article permet aussi de questionner ce retard. Il s’agit plus spécifiquement de comprendre les modes de production et d’utilisation de données médicales par les chirurgiens des guerres napoléoniennes, une approche qui permet de prendre en compte des contextes autres qu’épidémiques.
- 8 Claire Fredj, « Écriture des soins, écriture du combat : six médecins militaires français au Mexiq (...)
- 9 Dominique-Jean Larrey, Mémoires de chirurgie militaire et campagnes, Paris, J. Smith, 1812, 4 vol.
- 10 Dominique-Jean Larrey (1766-1842) est chirurgien en chef de la garde consulaire puis impériale de (...)
- 11 Claire Fredj, « Écriture des soins, écriture du combat… », art. cit., citant « Fragmens pour servi (...)
4Le choix de travailler sur les chirurgiens vient aussi d’un étonnement. En effet, les travaux de Claire Fredj qui décrivent, pour les années 1860, les mémoires médicaux des médecins aux armées8, montrent que la référence aux mémoires de Dominique-Jean Larrey9 est constante, qu’il s’agit pour ces médecins d’un modèle du genre. Pourtant, ces textes qui citent les mémoires de Larrey10 comme modèle sont très différents de ceux-ci. Fredj décrit des « tableau[x] récapitulatif[s] des pertes lors du combat, avec la “statistique des blessures par genres et par variétés […] et d’après le siège de chacune d’elles dans les diverses régions du corps”11 », des données absentes des mémoires de Larrey.
- 12 Volker Hess et J. Andrew Mendelsohn, « Case and Series. Medical Knowledge and Paper Technology, 16 (...)
5Ce décalage entre le modèle et les textes qui s’en revendiquent appelle à étudier plus en détail le mode de production du savoir chirurgical à l’époque napoléonienne, et notamment la place complexe des données sérielles sur les blessures produites pendant cette période. Nous allons ainsi examiner les « technologies de papier12 » mises en œuvre par les chirurgiens des guerres napoléoniennes. Nous y traquons les rapports complexes entre la production de données sérielles, présentées sous forme de tableaux réalisés dans un contexte guerrier et à destination des autorités militaires, et la production d’un savoir chirurgical qui, sans ignorer toute mise en série, repose largement sur une pratique clinique et sur la mise en récit de cas.
- 13 Archives du Service de santé des armées (SSA), Val-de-Grâce (VDG), fonds Larrey.
- 14 Service historique de la Défense (SHD), correspondance générale de l’armée, 1805 (2 C 9 à 2 C 16), (...)
6L’article porte sur l’armée française et principalement sur les campagnes de 1805, 1809 et 1813, sur le terrain principal des opérations, c’est-à-dire en Bavière, en Autriche et en Saxe. Les sources utilisées, outre les mémoires de médecins publiés, sont des documents médicaux provenant des archives du Val-de-Grâce13 et du Service historique de la Défense à Vincennes14. Dans une première partie, nous nous intéressons aux données incomplètes produites dans un contexte particulièrement contraignant, à proximité immédiate du champ de bataille, dans l’ambulance et les hôpitaux de première ligne. Dans une deuxième partie, nous étudions les multiples conditions de production et de transmission de données dans les hôpitaux plus éloignés du champ de bataille et pendant les évacuations. Enfin, nous nous penchons sur les mémoires médicaux, étudiant ainsi les passages de la donnée à l’analyse médicale.
Des données incomplètes produites sur le terrain : les données chirurgicales à l’ambulance et dans les hôpitaux de première ligne
- 15 Le service de santé français s’organise officiellement de la manière suivante à l’époque napoléoni (...)
7L’enregistrement de données médicales sur les blessés commence sur le champ de bataille même des guerres napoléoniennes, au niveau de l’ambulance15. Ces données ont rarement été conservées, mais il a néanmoins été possible d’en retrouver un exemple pour l’ambulance de la garde à la bataille d’Aspern-Essling dans la correspondance générale de l’armée :
- 16 SHD, 2 C 90.
Ambulance de la Garde à Ebersdorf le 21 May [1809]
Blessés à dix heures du matin
Grenadiers à pied : 14
Chasseurs à pied : 12
Fusiliers 1er régiment : 96
Fusiliers 2e régiment : 52
Tirailleurs : 40
Artilleurs à pied : 3
Chevaux-Légers : 1
MM. Annequin chef Bllon 2e Rgment fusiliers : 1 Blessure grave à la tête
Mellier Capt idem : 1 Perte du bras droit
Troncher Lieut. Idem : 1 coup de balle à la jambe, forte contusion par boulet au bas-ventre
D’Orival Lieut. 1er Regment fusiliers : 1 Balle perdue dans la poitrine
Daviel Lieut. Idem : 1 Fracture de cuisse très grave
Total : 223
Nota : Sur le total des Blessés, il y a 45 blessures fort graves.
Le chirurgien major des Gendarmes de la Garde
[signé] Renoult D.M.16
8Cet exemple de rapport chirurgical contemporain de la bataille pendant les guerres napoléoniennes montre, heure par heure, les chirurgiens régimentaires qui transmettent au commandement militaire le nombre, la nature et la gravité des blessures reçues qu’ils voient passer dans leur ambulance. Ici, les informations quantitatives produites sont visiblement à visée militaire : le nombre des blessures est précisé, ainsi que le nombre de blessures graves. Leur type n’est donné que pour les officiers, il n’y a là aucune volonté de déterminer quelles sont les blessures les plus fréquentes. Le relevé est organisé par types de régiment, ce qui peut permettre une collation des données sur l’état des forces au niveau de l’État-Major, sans doute l’objectif de cette collecte.
- 17 SSA, VDG, carton no 120, dossier no 3bis : « Plaies de Lützen/Bautzen ». La bataille de Bautzen, q (...)
- 18 Ibid.
9Ce seul document n’est certes pas suffisant pour démontrer qu’il s’agit là d’une tendance globale, mais ce type précis de source est extrêmement rare. Il est cependant corroboré par une autre source, mentionnant à la fois ambulances et hôpitaux, produite par le chirurgien-major Chavanne vingt-deux jours après la bataille de Bautzen17. Il s’agit d’un rapport au sujet des ambulances et hôpitaux. Le document ne précise pas le destinataire, mais le vocabulaire médical parfois très technique utilisé ainsi que le fait que ce document ait été conservé dans le fonds Larrey aux archives du Val-de-Grâce rendent probable l’hypothèse qu’il en ait été le destinataire. Il s’agirait donc là d’un document médical et non d’un rapport fait aux autorités militaires dans le but de les informer sur l’état des forces disponibles. Le document comporte deux parties, et la première vise à dresser le bilan du nombre de blessés dans les « ambulances légères du Quartier Général Impérial18 » après la bataille de Bautzen, en s’intéressant en particulier aux amputations et à leurs résultats. On y trouve une forme de donnée quantitative, exprimée non sous forme de tableau, mais de proportions (« les neuf dixièmes du nombre total des blessures reconnaissaient pour cause le choc de corps lancés par la poudre à canon »). Ce qui est donné ici, c’est le nombre de soldats encore présents dans les hôpitaux à la date du rapport. Seuls les nombres d’amputés et de cas de fracture grave sont détaillés, comme illustré ci-dessous :
- 19 Ibid.
Cependant, dans les établissements hospitaliers qui subsistent à Bautzen nous conservons encore un nombre assez considérable d’amputés. Savoir :
À la cuisse : 54
Au bras : 25
À la jambe : 53
À l’avant-bras : 3
Dans l’articulation scapulo-humérale : 1
Dans celle du poignet : 1
Au pied, amputé partiellement : 1
Total : 13819
10Les informations sont données par parties du corps concernées, mais elles sont extrêmement lacunaires et ne concernent qu’un seul type de blessures, celles nécessitant une amputation. Pour le reste, si le nombre total de blessures et les proportions données permettent d’avoir des ordres de grandeur, le médecin lui-même ne fait pas les calculs, et le fait que chaque type de données soit fourni pour une date différente rend par ailleurs toute exploitation assez difficile. Nous n’avons pas ici de systématisation de la production des données au niveau de l’ambulance ou de l’hôpital de première ligne. Les chiffres donnés servent surtout d’illustration à l’argumentation menée quant à la nécessité de l’amputation sur les cas de fracture grave, argumentation par ailleurs plus sous-entendue que véritablement exprimée
11La deuxième partie du document, consacrée au tétanos, a une ambition plus scientifique – en tout cas en matière de collecte de données ; l’auteur se contente d’une liste de questions sur les causes. Il laisse à « des praticiens consommés dans l’expérience et dans l’observation » le soin d’y répondre. Il s’agit avant tout de fournir des observations sur les symptômes observés dans les cas de tétanos et de documenter les types de traitements entrepris. Le texte revêt une dimension de justification : aucun patient n’a survécu, ce qui représente un échec pour le chirurgien. Dans cette partie du texte, aucune donnée chiffrée n’est avancée : les observations sont valables pour « la plupart » des individus, ou encore « pour quelques uns ». Les données sont avant tout tirées des observations cliniques du médecin au chevet du malade et prennent la forme d’un récit de la progression de la maladie, qui, si elle est mise en séquence au service de l’argumentation, n’est pas de même nature que les données chiffrées produites à destination des autorités militaires.
12Au niveau des ambulances et hôpitaux de première ligne, la production de données par les chirurgiens semble se diviser entre rapports chiffrés adressés aux autorités militaires et organisés selon des rubriques correspondant aux enjeux de détermination des forces disponibles, et rapports strictement médicaux, dans lesquels l’usage de données chiffrées paraît moins systématique. Les contraintes qui entourent la production de ces données, par ailleurs mal conservées, rendent difficile la généralisation des résultats au-delà des seuls cas observés. Dans les hôpitaux de deuxième et troisième lignes et sur les routes d’évacuation, la production de données relatives aux blessés est beaucoup plus abondante et elle est globalement mieux conservée.
Les données à l’hôpital et dans les évacuations : multiplicité des conditions de production et des rapports à l’État napoléonien
- 20 Volker Hess et J. Andrew Mendelsohn, « Case and Series… », art. cit.
- 21 SHD, Xr 12.
- 22 Le règlement des ambulances, qui date de 1813, encadre très précisément la gestion des stocks de p (...)
13À proximité immédiate du champ de bataille, la production de données médicales principalement quantitatives pourrait être liée aux conditions de production de ces sources, sous le feu des canons ou presque. Les sources conservées sont par ailleurs peu nombreuses. Dans le cas des hôpitaux de deuxième et troisième lignes et de la planification des évacuations, la situation est quelque peu différente. Tout d’abord, le statut réglementaire des données médicales produites est plus clairement organisé, donnant un cadre légal aux technologies de papier mises en œuvre par les chirurgiens des guerres napoléoniennes20. En effet, le principal règlement qui fixe le mode de fonctionnement du service de santé français à l’époque napoléonienne, le Règlement concernant les hôpitaux militaires de la République française, décrété par la Convention nationale du 6 mars 179421, presque muet sur l’organisation des ambulances22, donne en revanche des instructions précises sur les informations à collecter auprès des soldats malades ou blessés entrant à l’hôpital ou se voyant transférés d’un établissement vers un autre.
- 23 SHD, Xr 12 : « Règlement concernant les hôpitaux militaires de la République française », 1794.
- 24 Ibid., titre VI, article 1er.
- 25 Ibid., article 2.
- 26 Ibid. titre VII, article 18.
- 27 Ibid. titre XIII.
- 28 Ibid.
- 29 Johann Alexander von Brambilla, Reglement für die Kaiserliche Königliche Feldchirurgen in Kriegsze (...)
14Pour entrer à l’hôpital, un militaire doit disposer d’un billet d’entrée. Si, les jours de bataille, celui-ci n’est pas obligatoire, les « directeurs et commis23 » des hôpitaux doivent néanmoins s’assurer de collecter les informations nécessaires le plus rapidement possible. Ces informations sont de trois ordres : militaire, d’état civil et médical. Le premier article sur le billet d’hôpital concerne les deux premiers types d’information à collecter au sujet du blessé ou du malade. Il faut connaître « ses noms et prénoms, son grade ou emploi, le lieu de sa naissance, le district et le département dans lequel il est situé, le numéro ou le nom de son régiment ou bataillon24 ». L’article 2, préoccupé par la lisibilité du billet, précise aussi, presque incidemment, que « la nature de la maladie et les moyens curatifs déjà employés y seront sommairement indiqués25 ». L’article 18 du titre VII du même règlement, consacré aux évacuations, indique que « dans les états ou feuilles de transport, on observera les mêmes formalités que pour les billets d’entrée26 ». Dans le titre XIII consacré au rôle des médecins (et le titre suivant précise que ces obligations sont communes aux chirurgiens), il est précisé qu’en plus de ce billet de transport, il faut aussi une « feuille exacte », remplie par le médecin ou le chirurgien suivant le type de maladie, qui contienne une « colonne des observations, afin d’instruire celui qui doit recevoir les malades des principaux symptômes et remèdes relatifs à chacun d’eux27 ». Les règlements prescrivent ainsi une mise en tableau de l’information médicale. Médecins et chirurgiens doivent fournir des rapports réguliers sur l’état sanitaire global de l’armée à la hiérarchie militaire sans que les modalités en soient très précisément fixées par le règlement28. Sans donner de modèles de formulaires comme peuvent le faire les règlements autrichiens à la même époque29, les instructions prescrivent cependant bien une mise en série de ces informations.
- 30 Jean-Jacques Lambry, Albert Depréaux, Itinéraire d’un brigadier du 2e régiment des gardes d’honneu (...)
- 31 Capitaine Gervais, Souvenirs d’un soldat de l’Empire : à la conquête de l’Europe, Paris, Éditions (...)
- 32 Voir par exemple la liste des soldats français soignés dans un hôpital autrichien saisi en 1809, d (...)
15Reste à comprendre comment ces règlements ont été mis en pratique. Les conditions de conservation des archives médicales ont fait qu’il ne nous a pas été possible de retrouver jusqu’à présent d’exemple de ce type de document de suivi quotidien des patients. Nous retrouvons cependant trace de ces mises en pratique dans les témoignages de soldats et médecins de cette époque. Malade à Lützen en août 1813, le soldat français Jean-Jacques Lambry écrit dans ses mémoires qu’il hésite alors à prendre « un billet d’hôpital ou un billet d’enterrement ce qui était à peu près la même chose30 ». Au moment de la prise du billet d’hôpital – et les sources citées montrent bien que les soldats en ont fréquemment l’initiative – le patient doit souvent transmettre les données le concernant, celles relatives à son identité, mais aussi souvent celles concernant son traitement préalable, en particulier dans le cas de soldats provenant de l’ambulance, où les billets ne sont généralement pas remplis. Malades ou blessés ne sont pas toujours en état de fournir ces informations ; le capitaine Gervais écrit ainsi à propos de sa blessure à Wagram : « Je fus, pendant plusieurs jours, privé de mes sens. J’étais à l’hôpital depuis au moins cinq jours sans qu’il me vînt à l’idée de demander où j’étais et ce que j’avais31. » En ces circonstances, la collecte de ces données pose un problème évident. Moins immédiatement visible mais tout aussi prégnante est la question de la communication entre blessés et soignants pour collecter ces données dans une armée plurilingue, sans compter tous les cas où les hôpitaux pris à l’ennemi sont utilisés en conservant le personnel présent sur place32.
- 33 SHD, Xr 12.
- 34 Sächsisches Staatsarchiv-Hauptstaatsarchiv Dresden, 10036 – Finanzarchiv Loc. 35083, Rep. 54b, Nr. (...)
16La langue de ces données médicales est supposée être le français33 ; or sa maîtrise peut poser un problème tant du côté des patients auxquels il est demandé de donner leur identité et d’indiquer leurs traitements précédents que de celui des administrateurs ou médecins qui s’occupent de collecter ces données. La mission des administrateurs et médecins saxons chargés, en juin 1813, de répertorier les blessés légers et convalescents logés chez des civils à Dresde est significative en la matière. On trouve ainsi dans les descriptions des blessures reçues des formules comme « tiré par le bras », traduction trop littérale de l’allemand « durch den Arm geschossen », que l’on traduirait de manière plus compréhensible par « coup de feu à travers le bras34 ».
- 35 Les sépulcres de la Grande Armée ou Tableau des hôpitaux pendant la dernière campagne de Buonapart (...)
17Pour ce qui est des soldats décrivant leurs maux dans les évacuations, l’auteur d’un pamphlet anonyme de 1814 intitulé Les sépulcres de la Grande Armée résume la question de la manière suivante : « Les uns, accablés par le mal, ne répondaient rien, les autres parlaient un patois presque inintelligible ; venaient ensuite des Bretons : pour ceux-ci, impossible de les comprendre35. »
- 36 Pour une étude des pertes à partir des registres matricules, voir notamment Stéphane Calvet, Leipz (...)
- 37 Baron Percy, Journal des campagnes, Paris, Le Grand Livre du Mois, 2002, p. 181 ; Paul Thiébault, (...)
18Ces deux cas illustrent les difficultés de la production de données médicales dans un contexte multilingue, où la transmission des informations dépend d’autant plus souvent de la parole des soldats que la transmission effective des dossiers écrits semble avoir été inégalement fiable. La fréquence des mentions « rayé pour longue absence » après une entrée à l’hôpital dans les registres matricules36 illustre cet état de fait. De même, les témoignages de civils, de soldats comme de médecins soulignent la fréquente désorganisation des évacuations37.
- 38 VDG, carton no 107, dossier no 27 : « Lettres du chirurgien Pinçon sur la campagne de 1813, les hô (...)
- 39 SHD, 2 C 93.
- 40 VDG, carton no 10, dossier no 25 : « États du mouvement général des malades : hôpitaux de Dresde »
- 41 Ibid.
19Produire et suivre à travers toute l’Europe les données relatives à chaque malade ou blessé apparaît ainsi comme une entreprise inégalement réussie à l’époque napoléonienne. Pour autant, à partir de ces données, pour toutes imparfaites qu’elles soient, les chirurgiens de l’époque napoléonienne produisent aussi des résumés de la situation sanitaire à un moment donné pour les autorités militaires. Ces rapports ont une forme qui n’est pas fixée par la réglementation et dépend donc en grande partie des circonstances et de leur auteur. Les conditions de conservation de ces sources font que l’on ne dispose généralement pas de séries complètes de ces rapports. Ceux qui ont été conservés sont souvent compilés à l’échelle d’une région ou d’une ville. Quand il ne s’agit pas du cas particulier de rapports d’inspection d’hôpitaux38, ces documents prennent la forme d’une liste de données chiffrées. Nous disposons notamment de rapports de ce type pour Vienne à l’été 180939 et Dresde en septembre 181340. Dans le premier cas, les rapports mentionnent le nombre total de blessés et de malades présents au jour le jour, font la différence entre blessés, fiévreux, vénériens et galeux, précisent quelle proportion de blessés sont des officiers et dénombrent les Autrichiens prisonniers présents dans les hôpitaux. Le nombre de convalescents soignés chez l’habitant ou au dépôt de leur régiment est également ajouté au rapport. Adressé à l’Empereur, ce rapport a clairement un but militaire : il s’agit d’abord et avant tout de déterminer quelles sont les forces disponibles, et secondairement de compiler des informations utiles pour l’approvisionnement des hôpitaux en question. Dans le cas de Dresde, on dispose entre le 20 septembre et le 3 octobre de rapports quasi journaliers sur le nombre de blessés et de malades présents dans chacun des hôpitaux de la ville41, qui est alors un centre de transit pour les évacuations (voir figure 1). Les rapports, qui se présentent sous la forme de tableaux, sont intégralement manuscrits et ne suivent pas un modèle préexistant : d’un jour à l’autre, le format n’est pas toujours stable. Non signés, ils sont adressés au commandement de la place de Dresde. Il semble s’agir là d’une initiative locale. Sont détaillés pour chaque hôpital le nombre de blessés présents, le nombre d’amputés et de malades du tétanos ainsi que le nombre de décès du jour. Une colonne « cause de décès » précise si ceux-ci sont intervenus à la suite d’une amputation, de plaies graves, d’une forme de tétanos ou de fièvre. Les totaux sont faits pour chaque catégorie, sauf celle des causes de décès.
Fig. 1 : Mouvement général des hôpitaux de Dresde, 28 septembre 1813
Source : Archives du SSA, Val-de-Grâce, carton no 10, dossier no 25.
© musée du Service de santé des armées, Val de Grâce Paris
- 42 Pour une définition contemporaine du tétanos, voir l’article « Tétanos », Dictionnaire abrégé des (...)
- 43 Pour un résumé de ces débats, voir Jean Marchioni, Place à Monsieur Larrey, chirurgien de la garde (...)
20On observera que les amputés et les malades du tétanos42 additionnés ne constituent pas, loin de là, l’intégralité des blessés. Cela illustre l’intérêt particulier que portent les médecins de cette époque aux amputations et au tétanos, puisque ce sont les informations qui sont recensées et transmises. Ce fait est cohérent avec l’intensité des débats sur ces questions au sein de la médecine militaire de l’époque43. Les fiches journalières sont par ailleurs adressées à l’autorité militaire et des préoccupations de cet ordre entrent aussi probablement en jeu. Le tétanos étant presque toujours mortel, et le débat sur son mode de transmission non résolu à ce stade, sa présence constitue donc un risque majeur pour l’armée. Les amputés, quant à eux, doivent quitter le service actif : c’est donc là aussi une information qui intéresse le commandement militaire. Pour ce qui est des causes de décès, les documents sont plus précis et classent ceux-ci dans les catégories suivantes : suite d’amputation, tétanos, fièvre, fractures et plaies graves. Cette dernière catégorie, assez vague, rassemble la plus grande partie des décès.
21Dans ce cas particulier, les données produites et transmises à l’administration militaire, sous forme quantitative, correspondent à la fois aux préoccupations des autorités militaires et à celles des chirurgiens. Elles ne sont cependant pas accompagnées de discours sur les pathologies concernées. De plus, l’absence de formulaire préétabli rend difficile toute tentative de généralisation des informations par les chirurgiens au-delà du cas local. L’appui sur les données chiffrées existe, mais il reste embryonnaire et ne paraît pas être l’élément principal sur lequel se fonde la construction du savoir chirurgical.
- 44 Joseph Morsel, « Les sources sont-elles “le pain de l’historien” ? », Hypothèses, 7 (1), 2004, p. (...)
- 45 VDG, carton no 127.
22Dans les hôpitaux à l’arrière du front, il existe une dernière forme de données produites sur les patients par les chirurgiens, qui se placent alors en dehors de tout rapport aux autorités militaires : il s’agit de notes prises au chevet des malades, parfois ensuite transmises par voie de correspondance entre chirurgiens. Là encore, la conservation des archives et les logiques de constitution de fonds – principalement par l’autorité militaire – rendent ces sources relativement rares44. Celles qui ont pu être trouvées proviennent du fonds Larrey au Val-de-Grâce et concernent des blessés à Vienne en 180945. Il s’agit de documents qui semblent avoir été produits par un subordonné de Larrey, qui présente le cas de soldats blessés soignés dans la salle 14 d’un hôpital de Vienne ou des environs. Les différents cas qu’il présente sont datés entre le 25 et le 29 juillet 1809. Il s’agit de cas observés entre un et deux mois après la bataille : les blessures sont suffisamment graves pour nécessiter une hospitalisation longue. Malgré leur aspect de notes jetées sur le papier d’une écriture pressée, les descriptions suivent une forme assez stable d’un cas à l’autre, avec un niveau de détail qui peut cependant varier. Chaque blessé est présenté par son nom. On a ensuite une description des blessures, des traitements entrepris et des résultats obtenus. Le chirurgien écrit par exemple :
- 46 Ibid.
Jacobeau, artilleur à pied de la garde […], reçut, à l’affaire du six, un coup de boulet qui lui emporta le pouce de la main gauche ; le désordre qu’avait causé le boulet détermina à faire l’extirpation du premier os du métatarse. La plaie va bien, mais il est survenu à la face dorsale de la main un gonflement considérable, avec rougeur et douleur ; j’ai procédé à l’application des cataplasmes émollients, qui n’ont pas encore produit d’effet marqué, sans doute que dans quelques jours il faudra pratiquer une incision pour donner issue à la matière contenue au-dessous du tégument qui recouvre cette partie46.
23Le chirurgien note, pour lui-même et aussi comme instrument de rapport, les informations sur l’identité de son patient, les circonstances de la blessure, les premiers soins pratiqués, l’évolution de la plaie, les complications survenues, les moyens adoptés pour les combattre et les résultats attendus de ces traitements. Ce type de notation correspond largement au mode de présentation des résultats dans les mémoires de médecins. On peut supposer que ces documents sont centraux dans la constitution du savoir médical : il s’agit ensuite dans les mémoires de mettre en ordre cette information par types de pathologie.
24À l’issue de cette exploration des données chirurgicales produites pendant les guerres napoléoniennes, la variété des formes de ces données constitue le premier résultat. La coexistence d’un suivi global des patients, prescrit par l’autorité militaire, et de rapports et notes produits par les médecins, s’appuyant sur des études de cas pour développer de premières réflexions sur les traitements, doit être notée. Des données chiffrées sur les patients à l’époque napoléonienne existent, même si leur degré de précision est variable. Le fait de les détailler et de les organiser par types de blessure semble généralement relever d’initiatives locales. Il nous reste encore à examiner la manière dont, après la fin du conflit, les chirurgiens militaires utilisent les données et informations recueillies pendant les guerres napoléoniennes pour produire un savoir sur les blessures au combat.
Les mémoires chirurgicaux : de la donnée à l’analyse clinique
- 47 Voir notamment Dominique-Jean Larrey, Mémoires de chirurgie militaire et campagnes, op. cit. ; Jea (...)
- 48 Jean-François Coste, Du service des hôpitaux militaires rappelé aux vrais principes, Paris, Crouil (...)
25Jusqu’ici, la réflexion a porté sur les conditions de production et de transmission des données chirurgicales pendant les guerres napoléoniennes. La question de la place des différents types de données identifiés dans le processus de production du savoir chirurgical reste encore en suspens. Une première observation qui peut être faite sur les textes de chirurgiens des guerres napoléoniennes est la rareté de l’utilisation d’informations chiffrées47 dans l’administration de la preuve. Il ne s’agit là que d’une observation préliminaire qui demanderait à être vérifiée au moyen d’une étude textométrique d’un corpus complet de textes chirurgicaux. Des textes de médecins à la même époque prescrivent bien d’utiliser des données chiffrées comme base de l’administration de la preuve de l’efficacité d’un traitement. Jean-François Coste, dans son ouvrage Du service des hôpitaux militaires rappelé aux vrais principes, écrit : « À quelles marques on peut en reconnaître les avantages ? […] Il sera nécessaire d’avoir des états exacts des entrans, des morts, et du nombre de journées… de faire assigner avec la plus scrupuleuse exactitude le caractère des maladies48… »
- 49 Voir Jean-François Coste et Pierre-François Percy, De la santé des troupes à la Grande-Armée, op. (...)
- 50 La différence est moins marquée en Autriche, où la distinction entre médecins et chirurgiens tend (...)
26Dans la pratique de la chirurgie militaire, la relation aux données chiffrées apparaît plus complexe et ambiguë. Le manque de fiabilité de ces données, reconnu par les chirurgiens eux-mêmes49, joue sans doute un rôle dans leur faible utilisation. Toutefois, nous émettons l’hypothèse selon laquelle l’affirmation d’une spécificité de la chirurgie joue un rôle dans cette distinction50. Cette différence est résumée par Coste et Percy :
- 51 Jean-François Coste et Pierre-François Percy, De la santé des troupes à la Grande-Armée, op. cit., (...)
Les épidémies, les maladies internes les plus graves, peuvent être prévues et jusqu’à un certain point prévenues. Mais le sort des combats et des batailles a des chances plus inégales que les constitutions atmosphériques : aussi les terribles accidens qui sont du ressort de la chirurgie, et de la chirurgie militaire surtout, se trouvent-ils hors de la même sphère de prévoyance. […] La prodigieuse variété des accidens ne comporte pas de règles générales de conduite51.
- 52 Pierre-François Briot, Histoire de l’état et des progrès de la chirurgie militaire en France penda (...)
27L’affirmation est celle d’une irréductible spécificité des cas dans la chirurgie militaire. On observe une tension entre l’utilisation observée plus haut de données chiffrées, à un niveau local au moins, notamment pour l’amputation et le tétanos, et cette affirmation. Face aux spécificités affirmées des cas individuels de blessures, il paraît donc approprié de réexaminer la forme des mémoires chirurgicaux et leur modèle de présentation des résultats, que l’on retrouve dans un grand nombre de mémoires de l’époque, alimentés par les correspondances entre chirurgiens52.
- 53 VDG, carton no 121-1, dossier no 3 : Clinique chirurgicale de l’hôtel royal des Invalides.
- 54 Pierre-François Briot, Histoire de l’état et des progrès de la chirurgie militaire en France penda (...)
28Pour mieux comprendre ce modèle, étudions un extrait de la Clinique chirurgicale de l’hôtel des Invalides de Larrey53. Notons que nous avons pu en trouver d’autres exemples chez d’autres chirurgiens, comme Pierre-François Briot ou Pierre-François Percy54. Ce texte, quoiqu’il repose sur des observations en partie postérieures aux guerres napoléoniennes, présente les résultats, sur le temps long, de blessures reçues pendant celles-ci.
29Dans le texte, Larrey se montre préoccupé de l’évolution des blessures, opérées le plus souvent dans l’urgence, dimension de son art que le chirurgien devait avoir peu eu le loisir d’examiner lorsqu’il exerçait au milieu des combats. Son intérêt se porte sur l’évolution des plaies et des cicatrices elles-mêmes, mais ne s’y limite pas. Larrey prend en compte le patient dans son ensemble et étudie non seulement les effets des lésions elles-mêmes, mais aussi ceux des traitements qui y ont été apportés. L’hôtel des Invalides, où les pensionnaires sont présents pour une longue durée, avec des conditions de vie assez contrôlées – même si sorties et autres escapades sont courantes – est un espace particulièrement adapté pour une telle étude. On retrouve chez Larrey un intérêt pour la compréhension des causes des maladies, pour les atteintes aux différents organes, une observation précise des évolutions de la maladie, qui justifient bien l’emploi du terme « clinique » dans le titre de son ouvrage.
30L’organisation du texte de Larrey est d’ailleurs marquée par cet intérêt pour la localisation précise de la blessure ou lésion dans tel ou tel organe, même s’il prend ensuite en compte les conséquences globales de celle-ci. Il écrit en effet :
- 55 Clinique chirurgicale de l’hôtel royal des Invalides, op. cit.
Pour donner à ce travail un ordre méthodique et en faciliter l’analyse, nous suivrons la marche que nous avons adoptée pour notre premier ouvrage de clinique dont ce dernier sera en quelque sorte le complément. En conséquence nous commencerons par les plaies de la tête avec perte de substance aux os du crâne, lésion des méninges et du cerveau. Dans ce chapitre, nous comprendrons les plaies des oreilles réunies par des sutures, celles de l’organe visuel qui aurait subi une opération, et celles de deux mâchoires avec fracas et déperdition de substance osseuse. Nous ferons connaître les meilleurs moyens à mettre en usage pour aider la nature à perfectionner ou à réparer les fonctions des organes de la bouche et celles qui dépendent des autres parties extérieures de la tête. On suivra la même marche pour les autres régions du corps55.
31Larrey s’intéresse à chaque zone du corps l’une après l’autre, rassemblant les observations dont il dispose pour chacune d’entre elles dans le but de déterminer les modes de traitement à adopter. Il s’agit là d’une forme de mise en série des informations collectées au cours de son expérience sur le champ de bataille, qui ne prend cependant pas la forme d’un raisonnement quantitatif. Le chirurgien s’intéresse particulièrement aux blessures qui ont nécessité une intervention chirurgicale : l’objectif est en partie d’apporter un regard critique rétrospectif sur les divers types d’opérations pratiquées sur le champ de bataille, dans le but de faire des recommandations pour l’avenir.
- 56 Ibid.
32Observons plus en détail le chapitre que Larrey consacre aux plaies de la tête. Comme il l’a annoncé en introduction, Larrey examine les types de plaies un à un, suivant leur localisation, du cerveau à l’oreille ou à la bouche. Larrey expose d’abord des considérations générales sur les processus de guérison de chaque type de plaie, parlant du « mode d’agir de la nature56 ». Il examine aussi les différentes conséquences sur l’état général des malades affectés par ces lésions.
33Le raisonnement de Larrey est strictement qualitatif. Dans son chapitre sur les plaies de la face, il indique que celles-ci guérissent bien, mais son raisonnement n’est nullement statistique. Il s’appuie sur son expérience opératoire personnelle, parfois complétée de celle d’autres chirurgiens avec lesquels il a été en correspondance.
- 57 Ibid.
- 58 Ibid.
34À la suite des réflexions théoriques générales sur les méthodes opératoires pour tel ou tel type de blessure, qui ont apporté un éclairage sur les méthodes d’observation de Larrey et sur la représentation de la chirurgie qui s’y fait jour, l’auteur propose pour chaque type de blessure une suite d’études de cas. Pour chacune, il donne l’identité du patient, son âge, ses états de service, les circonstances de la blessure et les étapes du traitement avant l’arrivée aux Invalides. Pour obtenir ces informations, l’auteur s’appuie sur les souvenirs du blessé. Les réminiscences des patients sont parfois incomplètes. Dans l’un des cas, Larrey écrit ainsi : « Ici notre invalide ne se rappelle pas le laps de temps qu’il passa sans secours sur le champ de bataille57. » Le chirurgien obtient une bonne partie des informations qu’il utilise par des discussions avec ses patients. Ce mode d’investigation se retrouve même dans des cas où la description des atteintes semblerait devoir le rendre particulièrement difficile. Prenons le cas de Mathieu Jouan, marin blessé d’un coup de biscayen et trépané dans les prisons anglaises, qui a longtemps été paralysé du côté droit du corps. Larrey écrit à son sujet : « À l’aspect de cet invalide, on est frappé de l’expression particulière de sa physionomie ; elle offre l’image de l’apathie la plus complète, celle d’un homme qui ne pense pas et qui n’a plus la faculté de faire la moindre combinaison58. »
- 59 Ibid.
35Larrey décrit les effets de la blessure sur l’état mental de l’individu, s’intéressant à ses répercussions au-delà de ses manifestations purement physiques. À propos de ce même soldat, Larrey écrit par ailleurs : « L’ouverture du crâne ne s’est entièrement fermée qu’après un espace de six à sept ans, car Jouan nous a dit avoir encore senti à la fin de cette époque, à travers la cicatrice mince des téguments, les battements du cerveau59. »
36Nous avons une trace d’une conversation entre Larrey et Jouan, qui n’aura pas été arrêtée par l’apparente incapacité de penser de Jouan, dont la réalité est probablement à remettre en question. Notons l’intérêt pour la non-fermeture des blessures au niveau du crâne, que l’on retrouve dans un autre mode d’investigation, celui de l’expérimentation, qui est aussi présent dans ce texte. En effet, ces blessés ayant un trou dans le crâne se plaignent souvent d’entendre des bruissements gênants quand le trou est laissé à découvert. On notera que Larrey juge cette observation digne d’être enregistrée et même longuement commentée – Larrey se demande s’il est possible pour ces hommes d’entendre par le trou de leur boîte crânienne. Il décide donc de leur boucher les oreilles et de voir s’ils entendent les sons, expérience qu’il répète à plusieurs reprises, y compris devant un public.
*
37Les données produites par les chirurgiens pendant les guerres napoléoniennes sont de natures variées suivant qu’elles sont destinées à des rapports aux autorités militaires ou au suivi des patients le long des routes d’évacuation, ou même encore à l’étude des blessures pour produire un savoir chirurgical. Quoique relativement rares et souvent incomplets, les rapports statistiques sur les types de blessures existent, mais leur place dans la production du savoir chirurgical pour les chirurgiens militaires de l’époque napoléonienne paraît marginale et complexe. Cette production se construit à partir d’observations cliniques offrant une large place aux études de cas individuels. L’expérience du praticien apparaît comme la première source de savoir, cette expérience pouvant en partie être transmise par la correspondance médicale. Une attention aux proportions de réussite de telle ou telle pratique doit être notée, même si les chiffres donnés sont généralement approximatifs. L’ambition de produire des données chiffrées existe, mais paraît contrariée par la faible fiabilité et le peu de standardisation des données produites, qui restent, quand elles concernent les pathologies, des initiatives souvent locales. De plus, l’affirmation d’une variabilité irréductible des blessures de guerre apparaît comme un élément de spécificité du travail de chirurgien militaire.
- 60 Voir dans le présent dossier l’article de Soazig Villerbu, « La difficile collecte de l’informatio (...)
- 61 Voir dans le présent dossier l’article de Marie Guais, « Les données médicales dans les consultati (...)
38Ainsi, la pratique des chirurgiens des guerres napoléoniennes semble s’inscrire dans un point de tension entre intérêt récent pour les données de l’État statisticien – qui cherche à dénombrer les forces disponibles au combat60 – et pratiques plus anciennes de transmission de données entre chirurgiens au moyen en particulier de correspondances sur des cas61. Cette tension ajoute un élément de complexité à l’examen des relations entre médecine, armée et État, la prise en compte des ambiguïtés des usages des données quantitatives par les chirurgiens permettant de nuancer la linéarité des processus de médicalisation de l’armée et de militarisation de la médecine.
39L’ambiguïté du rapport des chirurgiens des guerres napoléoniennes aux données chiffrées ouvre aussi des perspectives de recherche sur la constitution d’une identité professionnelle spécifique aux chirurgiens militaires et pose la question de la spécificité des savoirs qu’ils produisent dans un contexte de réévaluation du rapport au savoir clinique.
Notes
1 Alain Pigeard, Dictionnaire des batailles de Napoléon : 1796-1815, Paris, Éditions Tallandier, 2004.
2 Jean-François Hutin, La campagne d’Égypte : une affaire de santé, Paris, Éditions Glyphe, 2011 ; Roberto Zaugg et Andrea Graf, « Guerres napoléoniennes, savoirs médicaux, anthropologie raciale. Le médecin militaire Antonio Savaresi entre Égypte, Caraïbes et Italie », Histoire, médecine et santé, 10, 2016, p. 17‑43 ; Pierre Nobi, « Officiers de santé et soignantes créoles face à la fièvre jaune. Co-construction de savoirs médicaux dans le cadre de l’expédition de Saint-Domingue (1802-1803) », Histoire, médecine et santé, 10, 2016, p. 45‑61 ; Catherine Kelly, « Medicine and the Egyptian Campaign. The Development of the Military Medical Officer during the Napoleonic Wars c. 1798-1801 », Bulletin canadien d’histoire de la médecine, 27 (2), 2010, p. 321‑342.
3 Mark Harrisson, « Introduction », dans Roger Cooter, Mark Harrison et Steve Sturdy (dir.), Medicine and Modern Warfare, Amsterdam/Atlanta, Rodopi, 1999, p. 4.
4 Catherine Kelly, War and the Militarization of British Army Medicine, 1793-1830, Londres, Pickering & Chatto, 2011.
5 Marcus Ackroyd et al., Advancing with the Army. Medicine, the Professions, and Social Mobility in the British Isles, 1790-1850, Oxford, Oxford University Press, 2006.
6 Erica Charters, Disease, War, and the Imperial State. The Welfare of the British Armed Forces during the Seven Years’ War, Chicago/Londres, University of Chicago Press, 2014.
7 Erica Charters, « L’histoire de la quantification : la guerre franco-anglaise et le développement des statistiques médicales », Dix-huitième siècle, 47 (1), 2015, p. 21‑38.
8 Claire Fredj, « Écriture des soins, écriture du combat : six médecins militaires français au Mexique (1862-1867) », Revue d’histoire du xixe siècle, 30, 2005, p. 99-119.
9 Dominique-Jean Larrey, Mémoires de chirurgie militaire et campagnes, Paris, J. Smith, 1812, 4 vol.
10 Dominique-Jean Larrey (1766-1842) est chirurgien en chef de la garde consulaire puis impériale de 1802 à 1812 et de la Grande Armée à partir de 1812. Sa carrière se poursuit sous la Restauration et il publie ses mémoires entre 1812 et 1817.
11 Claire Fredj, « Écriture des soins, écriture du combat… », art. cit., citant « Fragmens pour servir à l’histoire médico-chirurgicale de l’armée d’Afrique », dans Recueil de mémoires de médecine, de chirurgie et de pharmacie militaires (RMMCPM), 1e série, t. XXXI, 1831, p. 402.
12 Volker Hess et J. Andrew Mendelsohn, « Case and Series. Medical Knowledge and Paper Technology, 1600–1900 », History of Science, 48 (3-4), 2010, p. 287‑314.
13 Archives du Service de santé des armées (SSA), Val-de-Grâce (VDG), fonds Larrey.
14 Service historique de la Défense (SHD), correspondance générale de l’armée, 1805 (2 C 9 à 2 C 16), 1809 (2 C 90 à 2 C 95) et 1813 (2 C 158 à 2 C 160).
15 Le service de santé français s’organise officiellement de la manière suivante à l’époque napoléonienne : les soldats blessés se rendent à l’ambulance, point de secours fixe situé à proximité immédiate du champ de bataille où leur sont donnés les premiers soins. Ils sont ensuite évacués vers des hôpitaux de première ligne, à environ une journée de marche de l’armée et qui, donc, la suivent dans ses déplacements. Les évacuations ramènent ensuite dans des hôpitaux situés plus en arrière des lignes les blessés qui ont survécu, mais qui ont besoin de soins de plus longue durée. En pratique, la distinction entre ces différents types d’hôpitaux n’est pas toujours aussi claire : dans le cas de batailles urbaines en particulier, ambulances et hôpitaux peuvent vite se confondre et l’usage d’hôpitaux pris à l’ennemi et où les membres du service de santé de l’ennemi continuent leur service compliquent considérablement ce dispositif, qui est aussi complété par un grand nombre de modes de soin non institutionnels, où les civils jouent un rôle majeur dans la prise en charge des blessés. Nous nous permettons de renvoyer à nos travaux sur le sujet : Nebiha Guiga, « Le champ couvert de morts sur qui tombait la nuit » : être blessé au combat et soigné dans l’Europe napoléonienne (1805-1813), thèse de doctorat en histoire, EHESS/Universität Heidelberg, 2021, disponible en ligne : http://archiv.ub.uni-heidelberg.de/volltextserver/id/eprint/29958 (consulté le 15 juin 2022).
16 SHD, 2 C 90.
17 SSA, VDG, carton no 120, dossier no 3bis : « Plaies de Lützen/Bautzen ». La bataille de Bautzen, qui s’est tenue en Saxe les 20 et 21 mai 1813, opposait les troupes napoléoniennes aux coalisés russes et prussiens. Il s’agit d’une victoire française, de peu de portée stratégique.
18 Ibid.
19 Ibid.
20 Volker Hess et J. Andrew Mendelsohn, « Case and Series… », art. cit.
21 SHD, Xr 12.
22 Le règlement des ambulances, qui date de 1813, encadre très précisément la gestion des stocks de pansements, mais nullement l’enregistrement des patients. Voir VDG, carton no 2-1, dossier no 6 : « Décret impérial de 1813 (20 avril) sur les infirmiers régimentaires et les hôpitaux ».
23 SHD, Xr 12 : « Règlement concernant les hôpitaux militaires de la République française », 1794.
24 Ibid., titre VI, article 1er.
25 Ibid., article 2.
26 Ibid. titre VII, article 18.
27 Ibid. titre XIII.
28 Ibid.
29 Johann Alexander von Brambilla, Reglement für die Kaiserliche Königliche Feldchirurgen in Kriegszeiten. Auf Befehl Seiner Kaiserlische Königlische Apostlische Majestät Joseph des Zweyten, Wien, Johann Thomas Edlen von Trattern, K. K. Hofbuchdruckern und Buchhändlern, 1788, vol. 2.
30 Jean-Jacques Lambry, Albert Depréaux, Itinéraire d’un brigadier du 2e régiment des gardes d’honneur, Jean-Jacques Lambry de Trèves (Sarre), pendant la campagne de 1813, Paris, La Sabretache, 1924, p. 21. À propos d’une blessure reçue à Wagram, Jacques Chevillet écrit : « On me délivra un billet d’hôpital. » (Jacques Chevillet, Souvenirs d’un cavalier de la Grande Armée, 1800-1810, Paris, La Boutique de l’Histoire, 2004, p. 260)
31 Capitaine Gervais, Souvenirs d’un soldat de l’Empire : à la conquête de l’Europe, Paris, Éditions du Grenadier, 2002, p. 222.
32 Voir par exemple la liste des soldats français soignés dans un hôpital autrichien saisi en 1809, dont le personnel est resté présent : OeSta-KA/Musterlisten Garn, Spitäler Wien Nr2, 1809-1813, no 9922.
33 SHD, Xr 12.
34 Sächsisches Staatsarchiv-Hauptstaatsarchiv Dresden, 10036 – Finanzarchiv Loc. 35083, Rep. 54b, Nr. 0146A et B : « Begutachtung der in Privatwohnungen untergebrachten Verwundeten der französischen Armee », s. d.
35 Les sépulcres de la Grande Armée ou Tableau des hôpitaux pendant la dernière campagne de Buonaparte, Paris, Maugeret, 1814, p. 59.
36 Pour une étude des pertes à partir des registres matricules, voir notamment Stéphane Calvet, Leipzig, 1813 : la guerre des peuples, Paris, Vendémiaire, 2013.
37 Baron Percy, Journal des campagnes, Paris, Le Grand Livre du Mois, 2002, p. 181 ; Paul Thiébault, Mémoires du général baron Thiébault, Paris, Plon, Nourrit et Cie, 1893, p. 432 ; Peter Schuchhardt, Die Elberfelder Bilderhandschrift. Bilder und Dokumente aus napoleonischer Zeit, Herne, VS-Books, 2004, p. 14‑16.
38 VDG, carton no 107, dossier no 27 : « Lettres du chirurgien Pinçon sur la campagne de 1813, les hôpitaux depuis Dresde jusqu’à Erfurt ».
39 SHD, 2 C 93.
40 VDG, carton no 10, dossier no 25 : « États du mouvement général des malades : hôpitaux de Dresde ».
41 Ibid.
42 Pour une définition contemporaine du tétanos, voir l’article « Tétanos », Dictionnaire abrégé des sciences médicales, t. 15, Tabac-Zymome, Paris, Panckoucke, 1826, p. 95-102.
43 Pour un résumé de ces débats, voir Jean Marchioni, Place à Monsieur Larrey, chirurgien de la garde impériale, Arles, Actes Sud, 2003, p. 146-150 ; et plus largement : Owen H. Wangensteen, Jacqueline Smith et Sarah D. Wangensteen, « Some Highlights in the History of Amputation Reflecting Lessons in Wound Healing », Bulletin of the History of Medicine, 41 (2), 1967, p. 97‑131.
44 Joseph Morsel, « Les sources sont-elles “le pain de l’historien” ? », Hypothèses, 7 (1), 2004, p. 271‑286.
45 VDG, carton no 127.
46 Ibid.
47 Voir notamment Dominique-Jean Larrey, Mémoires de chirurgie militaire et campagnes, op. cit. ; Jean-François Coste et Pierre-François Percy, De la santé des troupes à la Grande-Armée, Strasbourg, Levrault, 1806 ; Jean-Pierre Gama, « Empire », dans Esquisse historique du service de santé militaire en général et spécialement du service chirurgical, depuis l’établissement des hôpitaux militaires, Paris, Germer Bailliere, 1841, p. 395‑546 ; Pierre-François Briot, Histoire de l’état et des progrès de la chirurgie militaire en France pendant les guerres de la Révolution, Besançon, Gauthier, 1817 ; Alexandre-Urbain Yvan, De l’amputation des membres, à la suite des plaies d’armes à feu. Propositions sur les avantages de la réunion dans les plaies en général, et sur le parti qu’on en peut tirer dans les opérations chirurgicales ; présentées conformément à l’article XI de la loi du 19 ventose an XI, et soutenues à l’École de Médecine de Paris, le 30 Ventôse an 13. Par Alexandre Yvan, Chirurgien ordinaire de l’Empereur, Paris, Firmin-Didot, 1805.
48 Jean-François Coste, Du service des hôpitaux militaires rappelé aux vrais principes, Paris, Crouillebois, 1790, p. 111.
49 Voir Jean-François Coste et Pierre-François Percy, De la santé des troupes à la Grande-Armée, op. cit., p. 58. À propos de la vaccination au sein de la Grande Armée : « Le cinquième et le septième corps de la Grande-armée, ainsi qu’un assez grand nombre de régimens des autres corps, n’ayant encore transmis, ni le nombre précis de militaires à vacciner, ni des résultats bien certains de cette opération, on ne peut présenter qu’un aperçu incomplet. »
50 La différence est moins marquée en Autriche, où la distinction entre médecins et chirurgiens tend à s’effacer plus tôt. Les formulaires prescrits par le règlement de 1788 pour le suivi des blessures comportent un classement par types (par arme à feu, arme blanche, etc.) et par localisation sur le corps. Voir Johann Alexander von Brambilla, Reglement für die Kaiserliche Königliche Feldchirurgen in Kriegszeiten…, op. cit.
51 Jean-François Coste et Pierre-François Percy, De la santé des troupes à la Grande-Armée, op. cit., p. 97.
52 Pierre-François Briot, Histoire de l’état et des progrès de la chirurgie militaire en France pendant les guerres de la révolution, op. cit., p. 10. Briot décrit ainsi Larrey comme « l’homme qui a toujours dirigé les travaux, les conceptions mêmes de la plupart des chirurgiens militaires, qui a constamment entretenu avec eux une correspondance dans laquelle les conseils utiles ne le cédaient qu’aux témoignages d’amitié ; que tous consultaient, à qui tous faisaient part et des difficultés qu’ils rencontraient, et des succès qu’ils obtenaient, et des fautes qu’ils croyaient avoir commises ».
53 VDG, carton no 121-1, dossier no 3 : Clinique chirurgicale de l’hôtel royal des Invalides.
54 Pierre-François Briot, Histoire de l’état et des progrès de la chirurgie militaire en France pendant les guerres de la révolution, op. cit. ; Jean-François Coste et Pierre-François Percy, De la santé des troupes à la Grande-Armée, op. cit.
55 Clinique chirurgicale de l’hôtel royal des Invalides, op. cit.
56 Ibid.
57 Ibid.
58 Ibid.
59 Ibid.
60 Voir dans le présent dossier l’article de Soazig Villerbu, « La difficile collecte de l’information vétérinaire entre la fin de l’Ancien Régime et le Second Empire : le cas du Limousin et de la Marche ».
61 Voir dans le présent dossier l’article de Marie Guais, « Les données médicales dans les consultations épistolaires d’Étienne- François Geoffroy (1672-1731) ».
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Titre | Fig. 1 : Mouvement général des hôpitaux de Dresde, 28 septembre 1813 |
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Légende | Source : Archives du SSA, Val-de-Grâce, carton no 10, dossier no 25. |
Crédits | © musée du Service de santé des armées, Val de Grâce Paris |
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Pour citer cet article
Référence papier
Nebiha Guiga, « Production, diffusion et usages des données chirurgicales pendant les guerres napoléoniennes », Histoire, médecine et santé, 22 | 2022, 69-86.
Référence électronique
Nebiha Guiga, « Production, diffusion et usages des données chirurgicales pendant les guerres napoléoniennes », Histoire, médecine et santé [En ligne], 22 | hiver 2022, mis en ligne le 15 décembre 2022, consulté le 22 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hms/6117 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/hms.6117
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