Histoire, médecine et santé… Dix ans après la création de la revue
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1C’est à un jeu de miroirs que se livrent aujourd’hui des membres de la revue Histoire, médecine et santé pour composer, à six mains, le récit d’une aventure scientifique qui n’a pas manqué de rebondissements, d’heures fastes et plus sombres, racontées ici avec le souci de rendre à chacun·e ce qui lui revient en parcourant les dix dernières années. Afin de ne pas édulcorer un « récit des origines », il faut commencer par dire que la revue Histoire, médecine et santé est née de constats, de rencontres, d’opportunités saisies et d’une dynamique collective sans être univoque, uniforme. Elle est le fruit d’un rapport d’intérêt, de confiance, mais aussi d’opposition entre des disciplines (l’histoire et les sciences médicales) et des positionnements (universitaires et amateurs) distincts.
2La création de la revue en 2012 témoigne de la légitimation de l’histoire universitaire de la médecine, en tant que champ disciplinaire porté par une historiographie riche, une méthodologie ambitieuse et de nombreux renouvellements épistémologiques. Un champ disciplinaire entré en concurrence avec des récits composés, dès les temps anciens, par des médecins soucieux d’écrire l’histoire de leur profession, en hommes de lettres et de sciences. Une opposition stricte entre historien·nes et médecins-historiens amateurs serait toutefois caricaturale, car Histoire, médecine et santé est née de mains tendues, de compréhensions mutuelles, de désirs communs à des membres de ces deux groupes partageant une forme d’agacement vis-à-vis des impensés, des raccourcis, du positivisme chevillé au corps et de l’hagiographie médicale encore trop souvent débitée dans les facultés.
3Remontons encore un peu le temps, pour nous arrêter en 1991, à Toulouse, quand trois médecins fondent le Centre d’étude et d’histoire de la médecine (CEHM) : Gilbert Guiraud, (radiologue et rhumatologue), Raymond Le Coz (auteur de diverses synthèses sur la médecine arabe) et Pierre Lile (médecin, formé à la médecine chinoise et détenteur d’un DEA d’histoire de l’art et archéologie). Ces passionnés d’histoire de la médecine dotent le CEHM d’un conseil scientifique majoritairement composé de soignants, à l’exception de l’historien Didier Foucault. En parallèle de l’organisation de diverses conférences érudites dans le Midi toulousain, ils publient en bons graphomanes un Cahier annuel ainsi qu’un trimestriel, le Bulletin du CEHM, dont la revue Histoire, médecine et santé prendra en quelque sorte la suite.
- 1 Pierre Lile, « Éditorial », Histoire, médecine et santé, 1, printemps 2012, p. 5.
- 2 « Présentation », Centre d’étude et d’histoire de la médecine de Toulouse, en ligne : http://cehm. (...)
4L’objectif du CEHM, rappelé par Pierre Lile, était alors de promouvoir l’histoire de la médecine, d’« intéresser un public érudit à cette spécialité pratiquement ignorée, à l’aide de conférences et de colloques ouverts à tous ; libérer l’histoire de la médecine de son carcan médical : une histoire linéaire, faite de biographies de grands savants et de progrès médicaux continus, et, pour cela, parler autant de maladies, d’anatomie, de malades, de santé publique que d’explorations maritimes, d’alimentation, de médecine de guerre, de médecine vétérinaire ou de sanctuaires guérisseurs1 ». Dès sa création, il s’agissait de réunir « médecins, historiens, anthropologues, archéologues, historiens d’art, épistémologues, sans distinction d’écoles, d’opinions, de titres afin d’aboutir ensemble à un dialogue fructueux et original2 ». Au fil des parutions, les colonnes du Bulletin du CEHM se sont toutefois davantage ouvertes aux médecins-historiens amateurs qu’à des spécialistes d’histoire de la médecine, en dépit de quelques contributions d’historiens et d’anthropologues de l’université Toulouse II-Le Mirail, publiées dès les années 1990.
- 3 Ibid.
5Vingt ans plus tard, en 2010, les préparatifs du colloque « Histoire du cancer (1750-1950) », organisé par le laboratoire toulousain France, Amériques, Espagne – Sociétés, pouvoirs, acteurs (FRAMESPA), ont été l’occasion d’une nouvelle collaboration avec le CEHM. Les liens tissés se sont matérialisés par l’entrée de certains membres du Centre dans la thématique – dite alors « émergente » – « Santé et société » de ce laboratoire réunissant des chercheur·es et jeunes chercheur·es en histoire, mais aussi en littérature et en lettres anciennes, spécialistes du corps, de la santé et de la médecine. Pour le CEHM, l’heure était au bilan et au désir éprouvé de se rapprocher de « jeunes chercheurs tant nationaux qu’internationaux3 », afin de bénéficier d’un nouveau souffle et d’entériner un rapprochement avec les perspectives et approches scientifiques. Du côté des chercheur·es, il y avait un intérêt à considérer la longue entreprise éditoriale du CEHM et à envisager sa refonte radicale pour répondre à un manque, à l’absence d’une revue d’histoire socioculturelle de la médecine dans le champ académique français.
- 4 Pierre Lile, « Éditorial », art. cit., p. 5.
- 5 Réseau d’historiens universitaires de la médecine, en ligne : https://rhum.hypotheses.org (consult (...)
6Les membres de la thématique se sont alors attelé·es à « reformuler4 » le Bulletin du CEHM dans une publication universitaire – dotée d’un comité scientifique international, d’un comité de rédaction et d’un système de relecture par les pairs – réservant ses colonnes aux historien·nes de la médecine. La métamorphose a été si importante qu’il serait plus juste d’évoquer la création ex nihilo d’une revue conservant toutefois le lectorat du Bulletin, majoritairement constitué de professionnel·les de santé. Récupérer les 150 abonné·es permettait d’assurer la viabilité financière de la publication, mais répondait aussi à un objectif scientifique, celui de porter l’histoire de la médecine universitaire au sein des milieux médicaux. Il s’agissait enfin de prendre acte de la richesse de ce champ d’études en France et de renforcer le dialogue entre spécialistes de ces questions, d’ailleurs structuré par la création du Réseau des historiens universitaires de la médecine (RHUM) par Anne Carol en 20115. La revue Histoire, médecine et santé se voyait ainsi comme un espace de débat scientifique ouvert aux productions internationales, comme aux apports des autres disciplines de sciences humaines et sociales, un lieu de rencontres, en somme.
Vagues successives
7Comme tout espace universitaire collectif, la revue Histoire, médecine et santé s’est construite patiemment, non sans difficultés, notamment matérielles, en vagues successives au gré des alternances dans la direction, du renouvellement des comités, comme des aléas structurels ou conjoncturels de l’enseignement supérieur et la recherche (ESR).
Les années de création (2011-2014)
8Les années 2011-2014 (numéros 1 à 6) correspondent au temps de création de la revue. À cette période, tout est à faire : constituer le comité de rédaction et le comité scientifique, penser les rubriques, les formulaires, les normes, les processus éditoriaux, évaluer la viabilité financière… Les réunions s’enchaînent, notamment avec les Presses universitaires du Mirail (PUM) et Luis González Fernández, responsable de la collection « Méridiennes » soutenue par FRAMESPA, dans laquelle la revue s’inscrit. Les rôles sont distribués : Didier Foucault devient le directeur, Nahema Hanafi la secrétaire de rédaction, Nathalie Vitse la correctrice, aussi chargée de la mise en page. Un professeur des universités, une doctorante ATER, une éditrice free-lance : tous les statuts se mêlent, impliquant des positionnements parfois opposés, pour participer avec un enthousiasme certain à cette entreprise collective.
9Lors de cette première phase, le comité de rédaction est majoritairement composé de membres du laboratoire FRAMESPA ou de l’université Toulouse II-Le Mirail, spécialistes de l’histoire de la médecine, du corps et de la santé, dont Sylvie Chaperon (histoire contemporaine), Laurence Talairach (littérature contemporaine) ou encore Bruno Valat (histoire contemporaine). La revue s’ouvre aussi à des chercheur·es extérieur·es, comme Sophie Vasset (littérature moderne), Évelyne Samama (histoire ancienne) et Andrew Mendelsohn (histoire moderne et contemporaine). Une des particularités de la revue est aussi de valoriser la jeune recherche, avec l’implication de doctorant·es de l’université Toulouse II-Le Mirail comme Anaïs Lewezyk (histoire moderne), Jean-Christophe Courtil (langue et littérature latines) ou Nahema Hanafi (histoire moderne), mais aussi de docteur·es d’autres universités comme Claire Barillé (histoire contemporaine) et François Zanetti (histoire moderne), qui prendra en charge assez rapidement et pour plus de sept années la rubrique « Comptes rendus ». Le comité comporte également des membres du CEHM, parmi lesquels Pierre Lile, fondateur du Bulletin du CEHM, nommé président d’honneur de la nouvelle revue. Certains membres assurent donc la transition entre les deux projets éditoriaux : Yves Lignereux, vétérinaire et professeur d’anatomie, et surtout Jean-Yves Bousigue, neurochirurgien titulaire d’un DEA d’histoire portant sur la chirurgie française au xviiie siècle.
10Le comité scientifique de la revue fait la part belle aux spécialistes nationaux et internationaux de l’histoire de la médecine. Parmi les chercheurs et chercheuses françaises qui intègrent la revue au cours de ces années, on compte Anne Carol, Claire Crignon, Oliver Faure, Claire Fredj, Ilana Lowy, Rafael Mandressi, Laurence Moulinier-Brogi, Marilyn Nicoud, Concetta Pennuto, Jonathan Simon, Georges Vigarello et Isabelle von Bueltzingsloewen. La recherche suisse est représentée par Vincent Barras, Véronique Dasen, Séverine Pilloud et Philip Rieder. Sans oublier les Britanniques Lawrence Brockliss et John Pickstone, l’Italienne Giulia Calvi et l’Allemande Karen Nolte. Les recherches d’Amérique du Nord sont quant à elles représentées par David Cantor et Paul Dutton pour les États-Unis, Hélène Cazes et Charles Hayter pour le Canada.
11Au cours de ces premières années, les publications reflètent majoritairement – du moins dans les dossiers thématiques – les activités des membres de FRAMESPA, avec la publication de diverses contributions issues de journées d’étude. Il en est ainsi des numéros intitulés Pudeurs (no 1, coordination Nahema Hanafi), Expertise psychiatrique et genre (no 3, coord. Sylvie Chaperon), Santé en chiffres (no 4, coord. Bruno Valat) et Anatomical Models (no 5, coord. Laurence Talairach). Histoire, médecine et santé s’ouvre toutefois rapidement aux propositions extérieures avec les numéros Remèdes (no 2, coord. Philip Rieder et François Zanetti) et Santé mentale (no 6, coord. Camille Jaccard et Stéphanie Pache).
12Dans ces premiers temps, la nouvelle revue tient bon et permet à ses membres de se roder. Le travail éditorial de corrections ortho-typographiques et de mise en page réalisé par Nathalie Vitse est financé par le laboratoire FRAMESPA, qui verse également une aide à la publication aux PUM. Benoît Colas, graphiste rattaché à la Maison de la recherche de l’université Toulouse II-Le Mirail, réalise la maquette des couvertures. En parallèle de l’édition papier, Bruno Valat et Nahema Hanafi travaillent à la mise en ligne des numéros – effective dès 2013 – sur la plateforme Revues.org. L’équipe multiplie aussi les initiatives pour faire connaître la revue, abonner les bibliothèques universitaires et relancer les ancien·nes abonné·es du Bulletin du CEHM qui, parce qu’ils se retrouvent peut-être moins dans cette nouvelle mouture universitaire ou parce qu’ils sont à présent trop âgés (le lectorat était assez vieillissant) ne renouvellent pas leur abonnement au fil des années.
Le temps des réorganisations : vers plus de collectif (fin 2014-2018)
13À la fin de l’année 2014 sonne l’heure des premiers bilans concernant notamment le mode de fonctionnement de la revue. L’essentiel du travail éditorial reposant sur le secrétariat de rédaction, il s’avère nécessaire de repenser la répartition des tâches afin d’assurer la sortie régulière de numéros de qualité. En parallèle d’un projet de reconfiguration de la direction de la revue, un renouvellement du comité de rédaction est opéré. La présence des professionnels de santé s’amenuise et le comité accueille de nouveaux et nouvelles spécialistes de l’histoire de la médecine : Elisa Andretta (histoire moderne), Jean-Christophe Coffin (histoire contemporaine), Olivier Faure (histoire contemporaine), Hervé Guillemain (histoire contemporaine) et Isabelle Renaudet (histoire contemporaine). Les membres de FRAMESPA deviennent alors minoritaires, signe d’une meilleure représentation des spécialistes nationaux au sein du comité de rédaction.
14Dès 2015, l’organisation fonctionnelle de la revue est repensée : le secrétariat de direction est supprimé au profit d’une direction multiple. Marilyn Nicoud, Isabelle von Bueltzingloewen – toutes deux anciennes membres du comité scientifique – et Nahema Hanafi forment la nouvelle direction de la revue et travaillent en étroite collaboration avec François Zanetti, responsable des recensions. Il en sera ainsi jusqu’en 2018 (no 7-no 13). Le comité de rédaction ne connaît que quelques départs (Jean-Yves Bousigue, Évelyne Samama et Bruno Valat), l’essentiel des renouvellements ayant été opérés quelques mois plus tôt.
15Ces années marquent le renforcement du rayonnement de la revue, avec une diversification des sujets traités et une attention croissante portée à la diffusion des numéros au sein de la communauté universitaire. Et les efforts payent. Les propositions issues de médecins-historiens amateurs se font de plus en plus rares ; systématiquement refusées, elles ont donné lieu à des échanges cocasses et parfois même à des invectives, « sinistre crétin » étant la plus savoureuse que la direction ait reçue… La revue, à présent bien visible dans le champ académique, voit affluer les propositions spontanées pour des numéros thématiques ou des varia. Histoire, médecine et santé publie les numéros Agir (no 8, coord. Véronique Dasen) – le premier centré sur l’Antiquité – et Syphilis (no 9, coord. Ariane Bayle et Concetta Pennuto), consacrant les approches pluridisciplinaires entre histoire et littérature. La jeune recherche est aussi à l’honneur dans la coordination des numéros Soins (no 7, coord. Anne Jusseaume, Paul Marquis et Mathilde Rossigneux-Meheust) et Guerre, maladie, empire (no 10, coord. Roberto Zaugg). Les membres du comité de rédaction ne sont toutefois pas en reste, car l’habitude est prise de penser également une politique éditoriale interne afin de donner une identité spécifique à la revue, qui ne serait pas un simple reflet des sollicitations extérieures. Des numéros revisitent ainsi la place des médecins et de la médecine dans l’Économie des savoirs (no 11, coord. Elisa Andretta et Rafael Mandressi) et reconsidèrent l’histoire de la sexualité à l’aune de la médicalisation ou des idéologies (no 12 et 13, coord. Sylvie Chaperon).
16En dépit de la réorganisation de la direction et d’une meilleure articulation avec le comité de rédaction, la revue souffre alors toujours d’un manque de support éditorial professionnel. Comme dans nombre de revues en sciences humaines et sociales, la plupart des tâches repose sur des enseignant·es chercheur·es s’adonnant à des mises en ligne sur Revues.org parfois laborieuses, à des corrections ortho-typographiques et à des travaux de mise aux normes chronophages. C’est dans ce contexte que Rafael Mandressi associe Histoire, médecine et santé à la demande d’un poste de chargé·e d’édition portée par deux autres revues d’histoire des sciences soutenues par le Centre Alexandre-Koyré, Artefact et la Revue d’histoire des sciences humaines et sociales. Ce poste mutualisé est obtenu et occupé dès janvier 2017 par Céline Barthonnat. Le Centre Alexandre-Koyré devient donc l’un des nouveaux partenaires scientifiques de la revue, aux côtés de FRAMESPA. Ces deux unités de recherche sont rejointes en 2018 par le laboratoire TEMOS (universités d’Angers, du Mans et de Lorient), qui réserve à son tour une enveloppe budgétaire pour soutenir Histoire, médecine et santé.
17Céline Barthonnat prend dès lors en charge l’ensemble du processus éditorial allant des échanges avec les auteurs ou autrices et relecteurs ou relectrices jusqu’à la mise en ligne sur Revues.org, en passant par les corrections ortho-typographiques et les actions de valorisation de la revue. Histoire, médecine et santé bénéficie ainsi de toute l’étendue de son savoir-faire – assez rare pour qu’on le souligne – et se professionnalise. Pendant une année, de nouvelles procédures sont pensées, les tâches mieux réparties entre les PUM, la direction de la revue et l’éditrice, tandis que les membres peuvent se concentrer sur la dimension scientifique et la promotion des publications. En 2017, nous participons par exemple à la table ronde « De l’histoire des sciences à l’histoire des savoirs : évolution d’une pratique éditoriale » aux Rendez-vous de l’histoire de Blois. Les modalités pratiques de travail du comité de rédaction sont aussi revues, car jusqu’ici tout se passait par échange de courriels. Les financements octroyés par le Centre Koyré et TEMOS pour la prise en charge des frais de déplacement des membres de la revue changent la donne : les comités de rédaction se tiendront dès lors à Paris (rue Damesme), à l’université d’Angers ou de Toulouse II. Ces changements sont actés par la nouvelle direction, composée de Nahema Hanafi et Rafael Mandressi, élue fin 2018 pour un mandat de quatre années.
Le plein envol et les reins solides (2019-2022)
18Le premier geste de la nouvelle direction est de réunir le comité de rédaction à Paris, dans les locaux du Centre Alexandre-Koyré, le 1er février 2019. En chair et en os ! Dans l’effervescence générale, on pense également au renouvellement du comité de rédaction, ou plutôt à l’augmentation de ses membres. Au cours de ce mandat, une dizaine de collègues rejoignent effectivement le comité : Anne Carol (histoire contemporaine), Laurence Guignard (histoire contemporaine), Philip Rieder (histoire moderne), Joël Chandelier (histoire médiévale), Caroline Husquin (histoire ancienne), Alexandra Kovacs (histoire ancienne) et, plus récemment, Verushka Alvizuri (histoire contemporaine), Serge Vaucelle (histoire moderne) et Olivier Hoibian (sociologie).
- 6 Dictionnaire politique d’histoire de la santé, en ligne : https://dicopolhis.univ-lemans.fr/ (cons (...)
19La nouvelle direction soumet également au vote une charte qui fixe le mode de fonctionnement de la revue, dans un souhait de transparence, et insiste sur les valeurs du collectif. Nous réaffirmons aussi notre démarche de promotion de la diversité linguistique en ouvrant nos pages aux publications hispanophones, et non plus uniquement francophones et anglophones. La revue a également fort à faire en matière de valorisation et Céline Barthonnat nous guide en ce sens : Histoire, médecine et santé obtient rapidement le soutien de l’Institut des sciences humaines et sociales (InSHS). Nous tâchons aussi de promouvoir chaque numéro, ou la revue en son ensemble, en proposant notamment des cartes blanches aux Rendez-vous de l’histoire de Blois (comme « Les politiques de santé publique », sur le thème « Gouverner », en 2020). Une politique de valorisation sur les réseaux sociaux est enfin pensée, notamment grâce à Hervé Guillemain qui propose de produire des podcasts et des vidéos sur les comptes du Dictionnaire politique d’histoire de la santé (DicoPolHis) à chaque sortie de numéro, mais aussi de communiquer sur les différents articles6. En 2022, une newsletter est créée par la direction et diffusée à l’ensemble des auteurs et autrices, ainsi qu’aux institutions partenaires.
20La revue met également en place une politique d’appels à communication émanant de son comité, ou bien en complément des dossiers thématiques qui lui sont proposés. Là encore, les publications alternent entre propositions internes et externes. Du côté des membres, Hervé Guillemain et Olivier Faure coordonnent le numéro Pour en finir avec les médecines parallèles (no 14) ; Anne Carol, celui sur l’Hygiène du cadavre (no 16) ; Marilyn Nicoud, le numéro Historiciser l’expertise (no 18) ; Nahema Hanafi et Hervé Guillemain, ce dernier numéro intitulé Données médicales (no 22). La revue publie, sur proposition externe, les numéros Race et psychiatrie (no 20, coord. Aurélia Michel) et Douleurs de l’autre (no 21, coord. Raphaëlle Andrault et Ariane Bayle). La jeune recherche demeure au cœur du projet éditorial et des coordinations de numéros thématiques avec Nouvelles recherches en histoire contemporaine (no 15, introduit par Anne Rasmussen), Alimentation (no 17, coord. Alexandra Kovacs) et Enquêtes médicales (no 19, coord. Léa Delmaire, Pierre Nobi et Paul-Arthur Tortosa).
21En dépit du dynamisme qui caractérise ces années, la revue fait face à des retards de publication dus à des décalages dans la programmation, mais aussi aux mouvements de grève contre la réforme de l’assurance chômage adoptée à l’automne 2019 et contre le projet visant les retraites dès décembre de la même année. Quelques mois plus tard, c’est la Loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) qui mobilise dans les rangs des universités avec un temps fort à la fin de l’hiver 2020. Histoire, médecine et santé participe au Collectif des revues en lutte et publie notamment (dans le no 15), comme une centaine d’autres revues, le texte « Sciences en danger, revues en lutte », écrit avec Camille Noûs.
- 7 Nahema Hanafi et Rafael Mandressi, « Éditorial », Histoire, médecine et santé, 15, été 2019, p. 16
- 8 Ibid.
22À l’occasion de ce no 15, la direction rappelle dans un éditorial que la revue « se pense comme un espace de revendication d’une recherche plurielle et collective, réunissant dans son comité de rédaction et son comité scientifique des universitaires engagé·es dans l’élaboration et la diffusion d’une science ouverte, accessible, entrant en résonance avec les enjeux sociaux, économiques, culturels et politiques de son temps. Aussi la revue ne peut-elle demeurer silencieuse lorsque les protections sociales élémentaires, parmi lesquelles le système de retraite élaboré aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, sont menacées. Les réformes néolibérales successives de l’ESR jusqu’au plus récent projet de LPPR la mènent également à prendre position dans le débat public et œuvrer pour l’organisation d’une université et une recherche ouvertes à tou·te·s, produisant collectivement des savoirs et les diffusant le plus largement possible7. » Histoire, médecine et santé rappelle également l’attention spécifique portée à la jeune recherche, justement mise en avant dans ce numéro, et marque sa pleine désapprobation avec un projet qui, « renforçant la précarité et la concurrence entre tous et toutes, touchera en particulier les femmes (chercheuses, travailleuses du numérique ou de l’édition, personnel non enseignant des universités) et l’ensemble des personnes non titulaires, sans lesquelles l’université et la recherche ne fonctionneraient pas aujourd’hui8 ».
23À l’issue de cette période de mobilisation, la revue a rencontré une nouvelle difficulté – heures fastes et… plus sombres – avec le départ de Céline Barthonnat en juillet 2021. Le renouvellement d’un poste de chargé·e d’édition au sein du Centre Alexandre-Koyré n’ayant pas été accordé aux trois revues concernées, Histoire, médecine et santé a dû faire face. Fort·es de presque dix années de fonctionnement, nous avions les reins solides et assez de ressources pour penser et organiser la continuité, sans pour autant perdre de vue l’objectif d’obtenir la reconduction d’un poste consacré à l’édition. Dans l’attente de la création d’un poste, très probablement au sein du nouveau pôle éditorial du campus Condorcet, l’InSHS a manifesté son soutien en finançant les différentes prestations, puis en nous allouant un poste de coordination d’édition (à 16 %) rattaché à la Maison des sciences de l’homme (MSH) Paris Nord, occupé depuis octobre 2021 par Étienne Fournet. Afin d’assurer la continuité de la publication, nous avons constitué un comité restreint chargé de gérer les affaires courantes, composé de la direction, des responsables de rubriques (« Comptes rendus » : Laurence Talairach, puis aussi Alexandra Kovacs ; « Varia » : François Zanetti) et des membres du comité coordonnant en interne les numéros thématiques en cours. Les corrections ortho-typographiques ont été confiées à Laure Bourgeaux, tandis que Martin Dulong a pris en charge le reste du processus éditorial allant de la mise en page à la mise en ligne sur OpenEdition.
24Ces difficultés ont finalement montré la capacité de la revue à tenir bon en pensant de nouvelles modalités de travail centrées sur le sens du collectif et en réaffirmant l’importance d’une professionnalisation des modes de production des publications scientifiques. Tout en demeurant attentive à son avenir éditorial et inquiète sur les incidences socioéconomiques du recours à des prestations ou à des emplois en CDD, c’est dans cette dynamique que la revue ouvrira une nouvelle étape lors du renouvellement de ses mandats. Une nouvelle étape qui sera certainement marquée par un renforcement du rayonnement de la revue, y compris à l’international, tandis qu’Histoire, médecine et santé a su nouer de nouveaux partenariats scientifiques avec les laboratoires TELEMME (Temps, espaces, langages, Europe Méridionale, Méditerranée, université d’Aix-Marseille) et ICT (Identités, Cultures, Territoires, université Paris Cité) depuis 2021, mais aussi avec HALMA (Histoire, archéologie et littérature des mondes anciens, université de Lille) et le LAHRA (Laboratoire de recherche historique Rhône-Alpes, universités Lumière-Lyon 2, Jean Moulin-Lyon 3, Grenoble Alpes et École normale supérieure de Lyon) en 2022. En dix années d’existence, sept laboratoires de recherche ont donc choisi de soutenir la revue, témoignant de la reconnaissance dont elle bénéficie au sein du champ académique.
Manières de faire
25Une revue, ce sont aussi des manières de faire, des usages implicites ou délibérés, des choix éditoriaux s’inscrivant dans le champ plus large de l’ESR, de ses difficultés de financement, des reconfigurations des valorisations scientifiques. Ce sont avant tout des chercheurs et chercheuses au travail, travail dont il est possible de brosser les grands traits.
Une revue, un comité de rédaction
26La composition du comité de rédaction d’Histoire, médecine et santé reflète ses ambitions historiographiques, comme les différentes étapes de sa constitution. Si, à ses débuts, ce comité comptait trois représentants des sciences médicales, il a rapidement été composé uniquement de spécialistes des sciences humaines et sociales. Sur ses dix années d’existence, la revue Histoire, médecine et santé a compté 33 membres au sein de son comité de rédaction, dont 79 % d’historien·nes. D’emblée, elle s’est effectivement affirmée comme le lieu privilégié d’un débat historique ouvert aux apports des autres disciplines, parmi lesquelles la littérature, et plus récemment la sociologie. Les spécialistes des périodes contemporaine (42 %) et moderne (39 %) ont été les plus nombreux et nombreuses, tandis que les périodes ancienne (13 %) et médiévale (6 %) ont été bien plus faiblement représentées.
- 9 La revue est en ce sens exemplaire avec 17 femmes et 16 hommes membres du comité sur ces dix année (...)
- 10 Cette charte fixe également les modes de nomination ou élection aux différents postes occupés par (...)
27Dès sa création, la revue a aussi été un espace de valorisation de la jeune recherche en confiant à des doctorant·es et docteur·es diverses missions (secrétariat de rédaction, suivi de la rubrique « Comptes rendus »…). Une attention spécifique a également été portée à la composition paritaire du comité de rédaction9. L’attachement à ces politiques d’inclusion a d’ailleurs été rappelé dans la charte votée en 2019 : « La revue porte une attention particulière à la variété des parcours et situations sociales et statuaires de ses membres. Dans son fonctionnement, comme dans sa politique éditoriale, elle valorise et soutient par conséquent les personnes possiblement invisibilisées ou marginalisées dans la recherche universitaire (précaires de l’enseignement supérieur et de la recherche, jeunes chercheurs et chercheuses, chercheuses)10. »
28Les membres du comité de rédaction d’Histoire, médecine et santé sont rattaché·es à une dizaine de laboratoires de recherche différents, en France ou en Europe, parmi lesquels l’IRHiS (Institut de recherches historiques du Septentrion : Claire Barillé), le MéMo (Centre d’histoire des sociétés médiévales et modernes : Joël Chandelier), le CIHAM (Histoire, Archéologie, Littératures des mondes chrétiens et musulmans médiévaux : Marylin Nicoud), ICT (Identités, Cultures, Territoires : François Zanetti), HALMA (Histoire, archéologie et littérature des mondes anciens : Caroline Husquin) ou encore l’IEH2 (Institut Éthique Histoire Humanités de Genève : Philip Rieder). Certains laboratoires sont toutefois davantage représentés, parce que l’histoire de la médecine constitue l’un de leurs axes de recherche et/ou qu’ils font partie des partenaires de la revue. Il en est ainsi de FRAMESPA (France, Amériques, Espagne – Sociétés, pouvoirs, acteurs), du CAK (Centre Alexandre-Koyré), de TEMOS (Temps, Mondes, Sociétés), de TELEMME (Temps, espaces, langages, Europe méridionale, Méditerranée), du LAHRA (Laboratoire de recherche historique Rhône-Alpes), dont plusieurs membres participent au comité de rédaction. Cette diversité de rattachements renseigne sur la spatialisation des recherches sur l’histoire de la médecine en France : celles-ci s’élaborent dans une grande variété de laboratoires dispersés sur l’ensemble du territoire, tandis que certaines unités de recherche ont fait des savoirs et des pratiques autour du corps leurs thématiques privilégiées. En ce sens, la revue constitue un lieu de rencontre structurant pour les chercheurs et chercheuses rattaché·es à des laboratoires moins spécialisés.
29Enfin, la revue Histoire, médecine et santé s’est toujours pensée comme un lieu de convivialité, où la franche camaraderie n’enlève rien au sérieux de la dynamique éditoriale. Les multiples tâches, comme celles des relecteurs et relectrices externes, sont réalisées de manière anonyme, bénévole et constructive, et contribuent ainsi à la forte amélioration des publications proposées. Aussi avons-nous eu à cœur de visibiliser ce travail éditorial prenant dans les pages précédentes. Nous pourrions même délivrer quelques prix : celui de la camaraderie à Hervé Guillemain, toujours prompt à égayer l’auditoire par une saillie humoristique ; le prix de la recension la plus en retard à Joël Chandelier, ce qui n’a pas manqué de devenir une plaisanterie récurrente ; le prix des meilleurs élèves à Olivier Faure et Laurence Talairach, pour la profusion de leurs recensions… Ces récompenses ne diraient toutefois qu’une part du plaisir partagé de travailler ensemble, sur des bases communes, au sein de ce collectif.
Des choix éditoriaux
30L’un des premiers choix formulés par Histoire, médecine et santé a été celui de son support d’édition. D’emblée, nous avons opté pour une publication papier, avec le soutien de Luis González Fernández, directeur adjoint puis directeur scientifique des PUM. Sans doute sommes-nous, en tant qu’historien·nes, autant attaché·es au livre qu’aux enjeux de conservation ; et nous savons que les imprimés traversent davantage le temps que les formats numériques. Le choix du papier était aussi pour nous lié au désir de conquérir un public non académique, en passant par une diffusion dans les librairies (c’est aussi en ce sens que nous avons opté pour la publication de numéros thématiques et non uniquement de varia). Pour autant, nos propres pratiques professionnelles tendent vers un recours accru aux publications électroniques et nous avons rapidement opté pour un double format de publication : papier et numérique, avec l’ouverture d’une page sur Revues.org. La revue est aussi disponible en freemium depuis quelques années, modèle dont elle tire un revenu régulier reversé aux PUM.
31Cette évolution ne doit pas masquer la pression exercée par les bouquets numériques achetés par les bibliothèques universitaires : nombre d’établissements ne jugent plus bon de s’abonner aux revues papier parce qu’ils disposent déjà des formats numériques. Lors du départ de notre éditrice, les PUM ont d’ailleurs suggéré un passage intégral à la version électronique, en s’appuyant sur un argument budgétaire massivement rejeté par le comité de rédaction, très attaché au maintien des deux supports ainsi qu’aux usages et possibilités distinctes qu’ils impliquent. La publication électronique permet par exemple de disposer d’un portail trilingue (anglais, français, espagnol) et de proposer des contenus supplémentaires (vidéos) ou améliorés (liens hypertextes, images en couleur…).
32Les opportunités de diffusion liées à l’inscription de la revue sur la plateforme OpenEdition sont également indéniables, avec une augmentation croissante des visites au cours des dernières années, de 15 246 visites par an en 2017 à 73 283 en 2021. Une politique de diffusion plus active sur les réseaux sociaux ne manquera pas de renforcer ces taux de fréquentation, satisfaisants pour une revue spécialisée. OpenEdition permet également de mesurer le rayonnement d’Histoire, médecine et santé à l’international, puisque l’on compte seulement 55 % du lectorat en France. Les États-Unis arrivent en seconde position avec 10 % du lectorat, puis suivent des pays comme la Belgique (3 %), le Canada (2,5 %), la Suisse ou l’Allemagne (2 %), mais aussi des pays du Maghreb comme l’Algérie et Maroc (1,5 %). En définitive, la revue est lue sur l’ensemble des continents, avec une très grande variété de pays représentés dans des plus petites proportions.
33En lien avec cette ouverture géographique, Histoire, médecine et santé s’est également positionnée comme une revue valorisant la diversité des langues de publication, à contre-courant d’une systématisation de l’emploi de l’anglais comme langue internationale des sciences et savoirs. Ce positionnement a favorisé l’ouverture linguistique, notamment vers l’anglais, mais aussi, depuis 2018, vers l’espagnol, devenue la troisième langue de publication possible dans la revue. Les résumés et mots-clés, mais aussi les appels à contribution et le site de la revue sont donc disponibles dans les trois langues. Francophone, anglophone et hispanophone, Histoire, médecine et santé s’adresse ainsi à un lectorat large, sans s’interdire de nouvelles ouvertures linguistiques dans les années à venir.
34Outre les langues, la forme donnée à la revue constitue aussi un choix éditorial débattu au sein du comité de rédaction. Comme la plupart des autres revues en sciences humaines et sociales, nous avons souhaité proposer des dossiers thématiques permettant de faire le point sur des sujets précis, des varia pour suivre l’actualité de la recherche, ainsi que des recensions. Le premier numéro a toutefois inauguré – initiative non suivie dans un premier temps – une rubrique complémentaire, « Sources et documents ». Il s’agissait, pour l’historienne suisse Séverine Pilloud, de présenter les consultations épistolaires envoyées dans la seconde moitié du xviiie siècle au célèbre médecin Samuel Auguste Tissot. Cette rubrique vise effectivement à mettre en valeur les archives sur lesquelles les historien·nes travaillent, en les donnant à voir ou à lire. Pour accompagner l’édition de ces sources, les auteurs et autrices sont invité·es à rédiger un bilan historiographique et à préciser leurs apports, afin de susciter de nouvelles recherches.
35Dès 2019 (no 15), de nouvelles rubriques sont activées, dont « Relectures », inaugurée par la réédition d’un article d’Olivier Faure. Cette rubrique offre la possibilité de rééditer des textes importants et pourtant peu mobilisés, des textes anciens dont il s’agit de montrer les apports, ou bien de traduire en français des productions majeures afin de les faire connaître du lectorat francophone. Dans ce même numéro, Hervé Guillemain lance la rubrique « Essai bibliographique » en croisant différentes recherches dans le champ de la psychiatrie, avec son article « L’historien·ne passe-muraille. Bilan et perspectives pour l’histoire francophone de la folie et de la psychiatrie ».
- 11 Entretien de Nahema Hanafi et Sophie Vasset, « Before “Farm to Table”: Early Modern Foodways and C (...)
36Le no 16 (hiver 2019) remobilise la rubrique « Sources et documents », mais est surtout l’occasion d’ouvrir la nouvelle rubrique « Entretien ». C’est Anne Carol qui se livre à l’exercice en proposant un entretien avec Jean-Marc Dreyfus intitulé « Médecine légale, morts de masse et forensic turn ». Il s’agit de proposer des échanges plus informels, permettant de revenir sur le parcours intellectuel de chercheurs et chercheuses, de valoriser des projets de recherche (comme celui d’Amanda Herbert sur l’alimentation moderne dans le no 1711), mais aussi d’inclure des contributions d’autres acteurs et actrices du champ de la santé et de la médecine, comme Danielle et Gilles Bardelay, les fondateurs de la revue Prescrire interrogés par Hervé Guillemain (no 22).
- 12 Rafael Mandressi, « Autour de Jean-Pierre Peter », Histoire, médecine et santé, 21, printemps 2022 (...)
37Dès 2021 (no 20), les coordinateurs et coordinatrices s’emparent plus systématiquement de ces différentes possibilités afin de renforcer les dossiers thématiques en faisant une sorte de pas de côté. Le no 21 propose une série de publications « Autour de Jean-Pierre Peter », à l’occasion du legs de ses archives personnelles à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et de la constitution du fonds Jean-Pierre Peter à la bibliothèque d’histoire des sciences et des techniques de l’Institut d’histoire moderne et contemporaine (IHMC), car la revue sait aussi reconnaître ses « dettes intellectuelles12 ». Le no 22 inaugure quant à lui une nouvelle rubrique, « Carnets de recherche », proposée par Servane Daniel et Nahema Hanafi : « La recherche-création du spectacle D’abord ne pas nuire. Les données médicales entre histoire, sciences sociales et théâtre ». L’objectif est ici de donner à voir une recherche en construction, d’entrer dans le laboratoire historique pour mieux questionner nos pratiques.
38Ces rubriques – « Sources et documents », « Entretien », « Essai bibliographique », « Relectures », « Autour de… », « Carnets de recherche » – témoignent en définitive de la volonté de la revue de s’affranchir du classicisme des publications académiques pour penser de nouvelles manières de valoriser la recherche et ses résultats, et ainsi intéresser un public plus large.
Une œuvre collective
39Au-delà de l’implication de ses membres, Histoire, médecine et santé représente surtout une communauté universitaire mise en relation au sein de la revue, par la publication de dossiers thématiques, de varia et de recensions qui dessinent les contours d’une œuvre collective polymorphe.
Plus de deux cents publiant·es en dix années
- 13 Soit 180 auteurs ou autrices sur 212.
40Regarder en arrière, en faisant le bilan de ces dix dernières années, mène tout d’abord à célébrer l’extraordinaire vivacité du champ de l’histoire de la médecine – si elle devait encore être démontrée –, car 212 auteurs et autrices ont publié dans la revue. Celle-ci a réussi le pari de rassembler dans ses colonnes une grande part des spécialistes, tout en favorisant leur diversité : 85 % des personnes13 n’ont publié qu’un seul article ou une seule recension, laissant une large place à la variété des approches. La plupart des « pluripubliant·es » sont d’ailleurs auteurs ou autrices de recensions, et non d’articles. Le record des participations revient à Olivier Faure et Laurence Talairach, membres du comité très actifs dans la rédaction de recensions, mais aussi tous deux coordinateur ou coordinatrice d’un numéro thématique.
- 14 Celui-ci a été privilégié au lieu de réalisation de la thèse, à la nationalité ou à tout autre cri (...)
41Le rattachement institutionnel des publiant·es14 est également un bon révélateur du rayonnement de la revue, avec 15 pays représentés. La France arrive en tête avec 69 % des publiant·es (147 sur 212), suivie par la Suisse avec 11 % (23). Ceci marque la forte proximité historiographique avec ce pays, où divers membres ont réalisé une partie de leur parcours académique. La revue s’ancre nettement dans l’espace européen avec des chercheurs et chercheuses rattaché·es à des institutions anglaises (8), belges (7), espagnoles (6), italiennes (4), allemandes (3), néerlandaises (2), ou encore luxembourgeoises (1), grecques (1) et roumaines (1). Les espaces extra-européens sont aussi représentés, mais de manière minoritaire (4 %), avec la Russie (1), le Brésil (2), la Côte d’Ivoire (2) et le Canada (4). 86 % des publiant·es sont ainsi rattaché·es à des institutions de pays francophones. Ceci a une nette répercussion sur les langues de publication : le français s’impose largement avec 94 % des publiant·es écrivant dans cette langue, contre 6 % en anglais.
42Du côté des disciplines, l’histoire domine largement avec 86 % d’historien·nes parmi les publiant·es. C’est ensuite la littérature qui est la plus représentée (5 %) – ce qui fait écho à la composition pluridisciplinaire spécifique du comité de rédaction –, suivie de près par la sociologie (3,7 %). Les autres disciplines des sciences humaines et sociales sont moins présentes, avec toutefois quelques publications issues de spécialistes en anthropologie, philosophie, économie, archivistique et en sciences politiques. La place des disciplines de santé est très fortement réduite avec seulement un article en sciences infirmières. Histoire, médecine et santé s’est bien ancrée, selon son projet, dans le paysage académique, promouvant une écriture universitaire de l’histoire de la médecine.
43Enfin, la part des publications féminines est largement supérieure avec 39 % d’auteurs (82) contre 61 % d’autrices (130). Cette forte présence des publiantes ne s’explique pas par leur plus forte implication dans des publications jugées secondaires, comme les recensions. En effet, on retrouve des proportions similaires pour les articles (60 % de publiantes et 40 % de publiants) et les recensions (59 % de publiantes et 41 % de publiants). Les tâches de coordination de numéros thématiques sont en outre davantage assumées par des chercheuses – on compte 37 % de coordinateurs (10) contre 63 % de coordinatrices (17). La féminisation de la discipline historique au cours des dernières décennies du xxe siècle a permis une meilleure représentation, tout comme l’attention portée à la valorisation des recherches menées par des femmes, mais ces chiffres nous poussent à nous interroger.
- 15 Maria de Kleijn, et al., The Researcher Journey Through a Gender Lens. An examination of research (...)
44Ils confirment tout d’abord le bilan du rapport The Researcher Journey Through a Gender Lens, publié en 2020, indiquant une hausse globale de la représentation des chercheuses dans les publications scientifiques : on comptait 33 % de publiantes en 1999-2003, contre 39 % sur la période 2014-2018 (la moyenne de l’Union européenne s’établissant à 38,5 %). Il existe cependant de fortes disparités parmi les disciplines : en France, les publiantes ne sont que 22 % en physique, contre plus de 50 % en sciences de la vie et de la santé. Elles sont bien plus représentées dans les champs de l’infirmerie et de la psychologie15. En sciences humaines et sociales, la part des femmes est également importante, voire majoritaire dans certaines disciplines (en sciences humaines, elle est de 46 % contre 65 % en littérature et langues en 2018). Au-delà des disciplines, les thématiques de recherche gagneraient aussi à être détaillées afin de préciser la place des chercheuses dans les champs relatifs à l’histoire du corps, de la santé et de la médecine, dans lesquels elles semblent particulièrement actives.
À quoi servent les recensions ? Chronique d’une rubrique
45La responsabilité de la rubrique « Comptes rendus » a été confiée à François Zanetti, jeune docteur enseignant dans le secondaire, au début de l’été 2013 (no 4). Il s’agissait alors de décharger la secrétaire de rédaction d’une partie du travail qu’elle assurait, en amorçant le passage de la première à la deuxième vague, selon le découpage évoqué précédemment. C’était pour lui l’occasion d’étoffer son expérience et d’entretenir des relations académiques ainsi qu’une incitation à garder l’œil ouvert sur l’actualité éditoriale : un travail formateur et utile.
46Concrètement, Nathalie Vitse – que François Zanetti n’a jamais rencontrée ! – lui signalait l’arrivée d’un nouvel ouvrage sur l’« étagère » pour qu’il lui indique à qui l’envoyer pour recension. Avec la troisième vague, c’est Céline Barthonnat qui s’est chargée de la réception et des envois, dans le cadre plus large de la rationalisation et de la professionnalisation de l’organisation. Une partie du travail consiste donc à faire en sorte que l’étagère se remplisse et se vide. Quand elle se remplit spontanément, ce n’est pas toujours avec des livres ajustés à la politique éditoriale de la revue, qui s’est clarifiée, pour nous comme pour le public, au fur et à mesure. L’idée n’était pas a priori de publier des comptes rendus à charge, mais cela participe aussi à la définition d’un champ. À cette époque, nous ne pouvions généralement publier de recensions que pour des livres que nous avions reçus et les éditeurs ne répondaient pas toujours favorablement (ou tout court) aux demandes d’exemplaires émanant d’une jeune revue – plus récemment, la proposition exclusive d’envoi d’exemplaires numériques de la part d’un nombre croissant d’éditeurs crée de nouvelles difficultés. L’ajustement entre ce que nous aurions voulu recevoir et ce que nous recevions a pris un peu de temps.
47Il faut ensuite trouver des auteurs et autrices volontaires pour les recensions. Parfois le choix est simple. Parfois moins. La question de la relative dissymétrie en matière de position académique entre auteur ou autrice du livre et de la recension est lancinante : à qui et à quoi sert le compte rendu ? Dans quelles conditions peut-on rendre compte librement, de manière autorisée et informée d’un ouvrage ? La réponse à ces questions scientifiques et éthiques rencontre aussi des considérations pratiques : pas de réponse, refus, délais prolongés et renouvelés, parfois sine die. Avec l’expérience, on identifie les contributeurs et contributrices fiables. Cela peut expliquer les habitué·es de la rubrique. Cela décourage aussi de trop s’aventurer en dehors de sa zone de confort. Cela décourage aussi parfois tout court : le nombre de recensions par numéro peut être un témoin de ces oscillations de l’enthousiasme (pas de recensions dans le no 12, alors que la moyenne tourne autour de 5 à 6 comptes rendus).
48Cela étant dit, l’équilibre (ou plutôt le déséquilibre) entre les « périodes » représentées dans les recensions est similaire à celui des articles de la revue : une large majorité d’ouvrages concernent la période contemporaine (56 % des recensions), contre un tiers pour l’époque moderne (34 %), les périodes antique et moderne représentant chacune 5 % des publications. En parcourant la liste des comptes rendus publiés ces dix dernières années, on pourra déplorer son caractère chauvin. Au-delà de ce qui précède, cela tient notamment à l’objectif collectif d’identifier et de fédérer une communauté scientifique et d’inventorier les publications relevant d’une histoire sociale et culturelle de la médecine que la revue voulait définir et incarner en France, évidemment en lien avec une communauté internationale. Il faut souligner le rôle important des Presses universitaires de Rennes, pour un temps, mais aussi du Septentrion, de Provence et plus récemment de Tours, dans la publication d’ouvrages en histoire sociale et culturelle de la médecine. En dehors de la France, les espaces francophones sont moins mal représentés que le reste du monde, avec une présence non négligeable de publications suisses, belges et québécoises. Pour le reste, des publications britanniques et états-uniennes font régulièrement l’objet de recension. Cette (sur)représentation a été renforcée par le partage de la responsabilité entre François Zanetti et Laurence Talairach à partir du no 15, et par la plus grande rigueur avec laquelle cette dernière a suivi l’actualité éditoriale.
49Quelques domaines se dégagent particulièrement, non sans lien avec l’implication personnelle de certain·es membres du comité de rédaction, le dynamisme de certains champs ou chantiers et les thématiques portées généralement par la revue : l’importance de la littérature et des humanités médicales, notamment dans le monde anglophone, l’histoire de la psychiatrie (l’« essai bibliographique », exemplaire et jusqu’à présent isolé, d’Hervé Guillemain dans le no 15 peut-être considéré comme une excroissance de la rubrique « Comptes rendus »), l’histoire du genre, l’histoire des sexualités. Les recensions délimitent aussi les domaines voisins, qu’ils soient installés, comme l’histoire hospitalière, ou émergents, comme l’histoire du handicap ou disability studies.
50Plus récemment, de nouvelles reconfigurations ont eu lieu dans la direction de cette rubrique : Laurence Talairach l’a assurée seule depuis le no 19, avant d’être rejointe par Alexandra Kovacs (no 21). Cette dernière, chercheuse en histoire ancienne et germanophone, pourra ainsi contribuer à réduire les déséquilibres de la rubrique. La revue projette d’ailleurs de créer sous sa coordination un pôle éditorial, en sollicitant notamment de jeunes chercheurs et chercheuses des différentes périodes. Cette rubrique ne pourra toutefois s’étoffer que si l’étagère se remplit de bons livres témoignant du dynamisme scientifique – non exclusivement francophone – sur des périodes, des espaces et des problématiques variées et si des collègues compétent·es, généreux ou généreuses et polyglottes acceptent de se charger de ce travail et de renvoyer leur copie dans les temps. Si la rubrique « Comptes rendus » a pu participer à délimiter le périmètre de la revue, il serait donc souhaitable que les recensions puissent rendre davantage accessibles au public francophone les travaux en cours dans d’autres langues et historiographies. Cela demande un surcroît d’effort collectif.
Vingt-deux numéros : dissection d’une œuvre collective
51Les dix ans d’Histoire, médecine et santé sont aussi l’occasion d’un bilan historiographique. Celui-ci est désormais non seulement envisageable – vingt deux numéros fournissant une matière suffisante –, mais aussi pertinent, à plusieurs titres. Pour mettre en évidence, tout d’abord, les traits d’un parcours tracé au gré de choix raisonnés et d’orientations intellectuelles précises, inévitablement soumis, néanmoins, aux aléas de la conjoncture. Un parcours qui est lui-même historique, c’est-à-dire foncièrement aux prises avec la contingence, souvent féconde et, en tout cas, toujours expressive : elle dit ce qui échappe à la volonté, elle traduit la part du contexte qui parle en marge du programmatique.
52Sachant que la circonstance interfère, parfois de façon vertueuse, un bilan historiographique est également utile et important en vue des années à venir : comment avons-nous négocié nos objectifs, nos équilibres, nos priorités ? Quelles leçons devons-nous en tirer pour la poursuite de notre entreprise, à la fois et indissociablement éditoriale et intellectuelle ? Qu’en est-il de la distribution des périodes, des espaces géographiques, des thématiques auxquelles nous avons consacré nos dossiers, de celles qui ont nourri nos varia, nos recensions même, au cours des dix dernières années ? Faut-il les infléchir en un certain sens, privilégier davantage certaines approches, certains enjeux, certains objets ?
53Un regard rétrospectif permet tout d’abord d’effectuer un certain nombre de constats. Sur le plan quantitatif, la période contemporaine (xixe, xxe et xxie siècles) représente quasiment les deux tiers des articles publiés – 95 sur 151, plus précisément. Rien d’étonnant à cela, au vu de l’évolution du champ depuis plusieurs années ; cela ne touche pas uniquement l’histoire de la médecine, de la santé et du corps, mais concerne, beaucoup plus largement, la discipline historique dans son ensemble, la période allant de 1945 à nos jours tendant d’ailleurs à occuper de plus en plus d’espace au sein du « contemporain ». Celui-ci glisse, de ce fait, vers le « très contemporain ». Les articles portant sur l’époque moderne correspondent, quant à eux, à un quart (38 au total) de ceux parus dans notre revue. Voilà qui pourrait être interprété comme une anomalie, tant l’histoire moderne est globalement en recul, sur le plan quantitatif, dans le paysage historiographique international, partant francophone. Pour ce qui est de l’histoire ancienne et de l’histoire médiévale, leur présence reste relativement moindre : 12 articles sur l’Antiquité, 6 sur le Moyen Âge. Ils s’insèrent notamment dans deux dossiers thématiques, Agir. Identité(s) des médecins antiques (no 8, 2015) et Historiciser l’expertise. L’autorité de l’expert en médecine dans les sociétés antiques et médiévales (no 18, 2020), coordonnés respectivement par Véronique Dasen et Marilyn Nicoud. Voilà qui peut surprendre encore, compte tenu de la tradition riche et vivace des études sur la médecine antique et médiévale, peut-être encore insuffisamment représentées dans le comité de rédaction de la revue.
54Une analyse plus fine pourrait à la fois interroger les découpages qui semblent s’opérer à l’intérieur même des périodes classiquement et institutionnellement définies (on l’a évoqué en passant à propos du contemporain) et engager une réflexion sur le décloisonnement de la périodisation, que l’on peut observer dans les zones de frontière : xve et xvie siècles, par exemple, ou xviiie et xixe siècles, les bornes entre le médiéval et le moderne ou entre le moderne et le contemporain ayant parfois été ignorées au profit des problématiques abordées dans certains des dossiers et des articles parus dans Histoire, médecine et santé.
55Il n’en reste pas moins que ces périodisations, si problématisées soient-elles, sont de matrice européenne. À quel point est-il recevable de s’en tenir à ce découpage lorsqu’il est question d’autres « aires culturelles », avec tout ce que cette catégorie comporte de discutable et d’insatisfaisant ? Revenons à nos dix ans, et à la répartition géographique de ce que nous avons publié : elle montre encore des déséquilibres notoires, quoique non inhabituels. Huit articles sur dix parmi ceux parus dans notre revue portent sur l’Europe, souvent sur un seul pays européen, parfois dans une perspective comparative. La France est l’espace privilégié (44 %), loin devant l’Italie (8 %), la Suisse (5,5 %) et la Grèce (5 %), suivies de l’Angleterre, la Belgique et l’Allemagne, puis, avec un seul article, de l’Autriche et de la Roumanie. En dehors de l’Europe, le continent africain est le deuxième représenté avec 7 % des articles, qui ciblent cependant des zones larges – l’Afrique de l’Ouest ou du Sud-Ouest, ou encore le Maghreb – ou se réfèrent à un pays, comme l’Égypte, la Côte d’Ivoire, l’Algérie ou Madagascar. Quant aux Amériques, elles sont globalement sous-représentées, l’Amérique du Nord (sept articles sur le Canada et/ou les États-Unis) l’étant légèrement mieux que l’Amérique du Sud et les Caraïbes, alors que l’Asie n’est présente qu’avec un article sur le Japon et un autre sur l’Asie du Sud-Est. L’Océanie, quant à elle, est totalement absente.
56Voilà pour le quantitatif, distribué uniquement en fonction de l’espace et du temps. Doit-on à l’avenir être soucieux de rééquilibrages sur ces deux plans ? Probablement. Prêtons plutôt attention, cependant, aux thèmes et aux enjeux que nous avons portés, car c’est surtout à leur niveau et sous leur jour que les pratiques de périodisation et de localisation méritent d’être mises en question. Nous avons certes consacré des dossiers à des enjeux propres à une époque ou à un espace : ainsi Économie des savoirs (no 11, 2017) a-t-il porté sur l’Europe de la première modernité et Remèdes (no 2, 2012), sur la modernité tardive (un long xviiie siècle, 1650-1820), tandis que Nouvelles recherches en histoire contemporaine (no 15, 2019) et Enquêtes médicales (no 19, 2021), centrés sur la période contemporaine, ouvrent la focale spatiale avec un article sur le Japon dans le premier et deux articles, l’un sur Madagascar et l’autre sur la Côte d’Ivoire, dans le second. Il s’agit dans ce dernier cas d’espaces coloniaux, principalement étudiés dans un autre numéro, Guerre, maladie, empire (no 10, 2016), lui aussi centré sur les xixe et xxe siècles. On constate, d’ailleurs, une présence significative de l’histoire coloniale, au sujet de laquelle on trouve aussi des contributions dans Soins (no 7, 2015) et dans Race et psychiatrie (no 20, 2021), qui sort décidément de l’espace européen, sans pour autant l’éliminer, mais reste dans le contemporain. Alimentation (no 17, 2020) propose, en revanche, un parcours trans-périodes, de l’Antiquité à nos jours, sans y inclure l’époque moderne néanmoins, mais en faisant une place au monde musulman médiéval. Le numéro inaugural, Pudeurs (no 1, 2012), a également proposé une telle approche, entre âge moderne et époque contemporaine, tout en restant « occidental », en entendant par là nord-atlantique, tout comme les numéros consacrés à la sexualité et la sexologie (no 12 et 13, 2017 et 2018), à la Santé en chiffres (no 4, 2013), à la Santé mentale (no 6, 2014), à l’Expertise psychiatrique et genre (no 3, 2013), aux Modèles anatomiques (no 5, 2014), à l’Hygiène du cadavre (no 16, 2019) ou encore aux Médecines parallèles (no 14, 2018), tous étant des numéros contemporanéistes – et européens –, tout comme ceux sur la Syphilis (no 9, 2016) et sur la Douleur de l’autre (no 21, 2022) ont été, tout en restant européens pour l’essentiel, fondamentalement modernistes.
57Le partage spatio-temporel, certes éloquent et peut-être à infléchir, on l’a dit, ne doit cependant pas occulter les incursions voulues par la revue dans des thèmes dont les évolutions historiographiques du domaine ont redéfini, au xxie siècle, les contours et les questionnaires : le corps mort, le colonial, le genre, les enjeux sociaux des marges du savoir, la dimension politique du soin, la matérialité – textes, objets, lieux – des médecines et des corps, mais aussi leur littéralité – discours, significations –, le tout présidé par un souci constant d’historisation, autrement dit d’une volonté de saisie d’une altérité dans le temps, qu’il faut néanmoins rendre intelligible. Il est question d’une pratique rigoureuse de l’écart, d’un regard à distance porté sur des objets et des problématiques soit nouveaux, soit renouvelés. Voilà ce qui fait sans doute l’intérêt, sinon la raison d’être d’une revue scientifique comme Histoire, médecine et santé : refléter, accompagner ces objets et ces problématiques et, surtout, nourrir les densités changeantes de leur champ.
58Aucune réflexivité historiographique ne saurait faire l’impasse sur les langues, ni sur les traditions qu’elles expriment et véhiculent. Histoire, médecine et santé est, rappelons-le, ouverte à la publication en trois langues : français, anglais, espagnol. Il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’un périodique essentiellement francophone, partant inscrit dans un espace intellectuel qui, en matière d’histoire de la médecine, a longtemps exhibé un certain conservatisme épistémologique et méthodologique. Il a toujours été question d’en sortir, bien évidemment, sans pour autant épouser une tradition historiographique anglophone, toujours dominante, mais dont les innovations, naguère riches, s’épuisent quelque peu. Le monde hispanophone connaît, quant à lui, plusieurs contextes, hétérogènes mais interconnectés : l’Espagne, les Amériques latines et l’hispano-anglophonie des campus états-uniens. Dans tous les cas, on retrouve des foyers de recherche dynamiques, issus – surtout dans le cas espagnol – du renouvellement critique des traditions historiographiques du xxe siècle. Et la langue française dans tout ça ? Prédominante chez nous, minoritaire dans la production savante internationale, elle est porteuse, y compris à son corps défendant, d’une histoire de pensée qu’il convient à la fois de prolonger et de mettre en question. Le dira-t-on jamais assez ? Le multilinguisme n’est pas une facilité ni un pur accommodement au regard de l’économie du monde éditorial en sciences humaines et sociales, mais une condition du pluralisme épistémique. Nous y tenons, nous souhaitons le déployer davantage.
59Dix ans, vingt-deux numéros, le rétroviseur à l’œuvre pour envisager la suite, un champ ancien (en un sens, l’histoire de la médecine date de la fin du xviiie siècle), mais remis en friche, une place de choix donnée à la jeune recherche, une place centrale accordée aussi aux thèmes et aux problématiques qui décloisonnent le domaine, une place enfin réservée aux dialogues entre l’histoire et les sciences sociales : le bilan d’Histoire, médecine et santé, riche mais imparfait, au sens d’inachevé, se confond donc avec son programme, c’est-à-dire son horizon. Il ne pourrait pas en être autrement, sauf à se déclarer mort ou vaincu. Point de trêve, nulle autocomplaisance, pas de vitesse de croisière, mais plutôt davantage de réflexivité alimentant l’exigence d’élaborer, collectivement, une intelligibilité nécessaire, quoique provisoire par définition, des « choses médicales », des affaires complexes et contradictoires du corps, de sa santé et de sa maladie, de ses modes d’existence, des manières, enfin, selon lesquelles la chair habite l’histoire.
Notes
1 Pierre Lile, « Éditorial », Histoire, médecine et santé, 1, printemps 2012, p. 5.
2 « Présentation », Centre d’étude et d’histoire de la médecine de Toulouse, en ligne : http://cehm.toulouse.free.fr/presentation.htm (consulté le 2 juin 2022).
3 Ibid.
4 Pierre Lile, « Éditorial », art. cit., p. 5.
5 Réseau d’historiens universitaires de la médecine, en ligne : https://rhum.hypotheses.org (consulté le 2 juin 2022).
6 Dictionnaire politique d’histoire de la santé, en ligne : https://dicopolhis.univ-lemans.fr/ (consulté le 2 juin 2022).
7 Nahema Hanafi et Rafael Mandressi, « Éditorial », Histoire, médecine et santé, 15, été 2019, p. 16.
8 Ibid.
9 La revue est en ce sens exemplaire avec 17 femmes et 16 hommes membres du comité sur ces dix années.
10 Cette charte fixe également les modes de nomination ou élection aux différents postes occupés par les membres de la revue (direction, comité de rédaction, comité scientifique) ainsi que les diverses missions de chacun. Elle fait l’objet d’une publication sur le site de la revue : https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hms/1640 (consulté le 2 juin 2022).
11 Entretien de Nahema Hanafi et Sophie Vasset, « Before “Farm to Table”: Early Modern Foodways and Cultures. Entretien avec Amanda Herbert », Histoire, médecine et santé, 17, été 2020, p. 109-113.
12 Rafael Mandressi, « Autour de Jean-Pierre Peter », Histoire, médecine et santé, 21, printemps 2022, p. 147.
13 Soit 180 auteurs ou autrices sur 212.
14 Celui-ci a été privilégié au lieu de réalisation de la thèse, à la nationalité ou à tout autre critère.
15 Maria de Kleijn, et al., The Researcher Journey Through a Gender Lens. An examination of research participation, career progression and perceptions across the globe, Elsevier, 2020, en ligne : https://0-www-elsevier-com.catalogue.libraries.london.ac.uk/connect/gender-report (consulté le 2 juin 2022).
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Référence papier
Nahema Hanafi, Rafael Mandressi et François Zanetti, « Histoire, médecine et santé… Dix ans après la création de la revue », Histoire, médecine et santé, 22 | 2022, 7-28.
Référence électronique
Nahema Hanafi, Rafael Mandressi et François Zanetti, « Histoire, médecine et santé… Dix ans après la création de la revue », Histoire, médecine et santé [En ligne], 22 | hiver 2022, mis en ligne le 15 décembre 2022, consulté le 19 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hms/6033 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/hms.6033
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