Navigation – Plan du site

AccueilNuméros21Comptes rendusEmmanuelle Berthiaud, François Lé...

Comptes rendus

Emmanuelle Berthiaud, François Léger et Jérôme Van Wijland (dir.), Prévenir, accueillir, guérir. La médecine des enfants de l’époque moderne à nos jours

Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2021, 340 pages
Camille Monduit de Caussade
p. 217-220

Texte intégral

  • 1 Philippe Ariès, L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, Paris, Éditions du Seuil, 1973 (...)

1L’histoire de la médecine de l’enfant méritait qu’un ouvrage s’y consacre pleinement et c’est l’objet de ce livre qui réunit plusieurs contributions consacrées aux théories et aux pratiques de la médecine des enfants de la Renaissance à nos jours. Depuis les travaux de Philippe Ariès1 et son idée d’un « sentiment de l’enfance » dans les années 1960, diverses recherches ont contribué à faire connaître la santé et la médecine des enfants d’un point de vue historique et anthropologique. Cet ouvrage extrêmement documenté aborde l’objet tant du point de vue des discours que de celui des pratiques et du vécu des patients et constitue ainsi un outil de travail précieux pour les chercheur·es de l’enfance et de l’histoire de la médecine. La pluralité des domaines d’expertise des auteur·es – architecture, sociologie, histoire, médecine – offre également une grande richesse à la lecture.

2Quatre parties composent le livre : la première traite des discours et des pratiques de la médecine savante vis-à-vis des enfants malades de la Renaissance jusqu’à la première moitié du xxe siècle. L’étude de Claudia Pancino revient sur les discours à travers les écrits et notamment les traités des maladies des enfants entre le xvie et le xviiie siècle. En utilisant comme source principale la production livresque traitant des maladies infantiles avant la naissance de la pédiatrie, l’auteure montre la progression de l’attention médicale accordée aux petits enfants à partir du xviiie siècle. Les écrits d’alors s’appuient davantage sur la pratique médicale pour se décentrer du traitement systématique des maladies les plus graves vers les pratiques quotidiennes des médecins (et les affections plus communes, comme les maladies de peau ou les vers, par exemple). L’intérêt pour les maladies infantiles se traduit également par la prise en compte de la douleur du nourrisson par les médecins. À partir de l’étude d’une quarantaine de traités de médecine et de publications, Emmanuelle Berthiaud – qui codirige cet ouvrage – cherche à évaluer la préoccupation du corps médical pour la souffrance des jeunes enfants, entre la Renaissance et le début du xixe siècle. Il faut attendre le xviiie siècle pour qu’une nouvelle approche, fondée sur des études de cas, montre que les très jeunes enfants souffrent et pour que cette souffrance puisse, de surcroît, constituer un symptôme utile à la compréhension de la maladie. Nathalie Sage Pranchère évoque quant à elle l’exemple d’une pathologie encore inexpliquée jusqu’aux années 1940 : la maladie hémolytique du nouveau-né, dont le traitement est un marqueur intéressant de l’évolution des savoirs en Europe (avec notamment le rôle de l’école lyonnaise de pédiatrie) et en Amérique au début du siècle.

3La prise en compte de l’enfant à l’hôpital se traduit aussi par la création de nouveaux types d’établissements. L’historienne Marie-France Morel, spécialiste de l’histoire de la naissance, retrace de façon passionnante l’exemple du dispensaire pour enfants pauvres de Londres, fondé par le médecin Georges Armstrong en 1769. En s’appuyant sur sa propre expérience de père, Armstrong constate que le soin au domicile des enfants est préférable à leur hospitalisation. Il ouvre ainsi – d’abord à ses frais, puis avec l’aide de bienfaiteurs fortunés – un dispensaire où les enfants, de la naissance à 12 ans, peuvent être soignés gratuitement. Ce projet est guidé par un objectif politique de rentabilité économique, puisque les enfants représentent la main-d’œuvre de demain, mais également par un objectif scientifique, afin d’étudier à grande échelle la maladie des enfants. Ce modèle inspirera longtemps la médecine des enfants en Angleterre. Le dispensaire – qui ferme en 1789 faute de bienfaiteurs – influence notamment les médecins qui créent en 1852 le premier Hospital for Sick Children à Londres.

  • 2 Ivan Jablonka, Ni père ni mère. Histoire des enfants de l’Assistance publique (1874-1939), Paris, (...)

4La deuxième partie du livre traite des politiques de santé publique mises au service des enfants au cours des xixe et xxe siècles. Ces avancées, qui se développent autour de deux axes, celui de la prévention et celui de la protection, se concrétisent par des politiques vaccinales notamment à destination de la population infantile. Dans son article sur l’hospice de Dijon, Laurent-Henri Vignaud développe l’exemple de la vaccination contre la variole à partir d’un travail sur les archives du directeur de l’hospice. Cette vaccination, qui est au cœur d’une campagne d’incitation à destination des parents, est aussi l’objet d’une réticence générale de la part des familles, comme le montre la contribution de l’historienne Scarlett Beauvalet, qui fournit un écho intéressant à l’actualité. C’est ainsi que le service des enfants abandonnés de l’hospice de Dijon devient un lieu d’expérimentation où des enfants « porte-vaccins » sont utilisés à cette fin. Rappelons qu’à Paris, le nombre d’abandons avoisine les 5 000 enfants par an au début du xixe siècle. Dans ce contexte, les enfants pupilles de l’Assistance publique sont considérés comme une future main-d’œuvre sur laquelle il convient d’investir : à la suite des travaux d’Ivan Jablonka sur les enfants abandonnés2, le chapitre d’Antoine Rivière – qui avait consacré sa thèse à ce sujet – nous montre comment la loi a pu évoluer vers une politique plus égalitaire en vue de lutter contre la surmortalité des pupilles. Au-delà de ces efforts, c’est un véritable programme pour une « nouvelle vie » que propose l’Assistance publique de Paris : régénérer les corps de ces enfants en luttant contre les « tares héréditaires », mais également régénérer leurs esprits en leur inculquant des valeurs comme la simplicité et l’honnêteté. Au nom de ces dernières, l’auteur révèle à quel point les efforts investis ont permis « avec d’indéniables limites » de ne plus condamner à la mort l’enfant abandonné.

5Si le soin et la politique qui l’entoure évoluent progressivement depuis l’époque moderne, l’architecture hospitalière connaît également un renouveau important. C’est l’objet de la troisième partie de l’ouvrage, qui met particulièrement en avant le caractère pionnier de certains établissements français. Pierre-Louis Laget montre ainsi comment le xixe siècle marque l’essor des hôpitaux pour enfants en France, dans le but de répondre à un problème d’encombrement massif des établissements existants au début du siècle. L’importance prise par des maladies chroniques comme la scrofule ou encore la tuberculose aboutit à l’ouverture de nouveaux hôpitaux marins ou thermaux qui proposent un traitement jugé plus adapté. L’architecture est également pensée pour lutter contre la contagion de certaines maladies avec la création de pavillons isolés, puis de box individuels associés aux premières mesures de désinfection. L’exemple de l’hôpital Robert Debré à Paris, inauguré en 1988, fait l’objet de deux contributions (Catherine Blain et Marie Beauvalet-Boutouyrie) tant il représente un modèle en son genre. Au-delà du bâtiment, c’est aussi la figure de Pierre Riboulet, son architecte, qui retient l’attention des auteures. Au sein de l’Atelier de Montrouge, Riboulet a pensé un dispositif qui tente de faire pénétrer la vie sociale du quartier dans l’hôpital et qu’il nomme la « rue-galerie ». Celle-ci est à l’image d’un nouveau modèle d’« hôpital-rue », dont l’objectif est de représenter « une forteresse, un refuge contre la maladie », tout en ouvrant ses portes sur la ville. L’architecte et sociologue Lina Bendahmane donne également l’exemple de l’hôpital Jeanne de Flandre à Lille, où elle a mené une enquête ethnographique dans le cadre de sa thèse, qui lui a permis d’interroger la portée de la notion d’accueil en la situant concrètement dans cet hôpital de la mère et de l’enfant. Les entretiens réalisés avec des architectes, tout comme avec des parents d’enfants soignés et des enfants hospitalisés, mettent en avant les différents vécus et le sens que chacun attribue à cette notion d’accueil. Ces contributions passionnantes sont étoffées de photos, de croquis des projets de construction, et apportent un regard novateur sur la façon récente dont l’architecture – et l’architecte – interagissent avec le soin. On pourra toutefois regretter l’absence de critique ou de questionnement quant à l’évolution de ces « superstructures » qui, dans leur ambition architecturale, ont certainement eu des conséquences sur l’approche du soin.

6La dernière partie de l’ouvrage n’est pas l’œuvre d’historien·nes, mais rassemble les témoignages d’acteurs de terrain. Emmanuelle Berthiaud, dans son introduction, nous rappelle que les travaux historiques sur une période plus récente sont rares. Pour inciter les chercheurs à s’y plonger, ces témoins – acteurs majeurs de la pédiatrie internationale – mettent en avant les évolutions de leur discipline depuis les années 1950. Ainsi, Denys Pellerin, chef de service de l’hôpital Necker-Enfants malades, revient sur le tournant entre chirurgie infantile et chirurgie pédiatrique. Il évoque son parcours depuis sa place d’interne à l’hôpital Trousseau jusqu’à son arrivée en tant que chef de clinique aux Enfants malades en 1949, où il officie près de quarante années. Cet hôpital, dont le service de chirurgie occupait alors le bâtiment hospitalier le plus moderne de Paris, accueillait des médecins pionniers de nouvelles techniques d’anesthésie et de réanimation. Ce texte montre à quel point la chirurgie néonatale fut l’objet d’un renouveau à partir des années 1960 grâce au travail conjugué de chirurgiens, de radiologistes et d’anesthésiologistes, qui a permis d’améliorer de façon inédite les conditions de vie des bébés. Le second texte est un entretien avec Jean-Pierre Fournet, pédiatre et chef du service de réanimation pédiatrique au Centre hospitalier de Montreuil jusqu’en 2001. Ce témoignage retrace la naissance de la réanimation pédiatrique en France dans les années 1960 – réanimation qui consiste à « prendre en charge, avec des moyens instrumentaux appropriés […] et aussi médicamenteux, les grandes fonctions vitales […] momentanément défaillantes » (p. 323) et dont les deux grandes figures en France furent Gilbert Huault et Alexandre Minkowski. Cet entretien éclaire les motivations personnelles du pédiatre, qui l’ont mené à créer le SMUR pédiatrique (Service médical d’urgence et de réanimation) en Seine-Saint-Denis. Ces techniques de réanimation n’ont cessé de s’affiner depuis les années 1960 et ont continué à se développer partout en France.

7Cet ouvrage ouvre des perspectives pour de futurs travaux en s’appuyant à la fois sur une histoire des politiques de l’enfance, mais aussi sur l’histoire des malades, au plus près de leurs représentations. Le vécu du patient et de sa famille, dans toute sa subjectivité, acquiert une place tout à fait intéressante dans la recherche sur l’histoire de la santé et de la médecine des enfants.

Haut de page

Notes

1 Philippe Ariès, L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, Paris, Éditions du Seuil, 1973 [1960].

2 Ivan Jablonka, Ni père ni mère. Histoire des enfants de l’Assistance publique (1874-1939), Paris, Éditions du Seuil, 2006.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Camille Monduit de Caussade, « Emmanuelle Berthiaud, François Léger et Jérôme Van Wijland (dir.), Prévenir, accueillir, guérir. La médecine des enfants de l’époque moderne à nos jours »Histoire, médecine et santé, 21 | 2022, 217-220.

Référence électronique

Camille Monduit de Caussade, « Emmanuelle Berthiaud, François Léger et Jérôme Van Wijland (dir.), Prévenir, accueillir, guérir. La médecine des enfants de l’époque moderne à nos jours »Histoire, médecine et santé [En ligne], 21 | printemps 2022, mis en ligne le 17 août 2022, consulté le 16 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hms/5984 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/hms.5984

Haut de page

Auteur

Camille Monduit de Caussade

Laboratoire TEMOS (Temps, Mondes, Sociétés, UMR 9016), Université du Mans

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search