Benoît Pouget, Un choc de circulations : la puissance navale française face au choléra en Méditerranée, 1831-1856
Texte intégral
1Comment le dispositif naval français a-t-il fait face à la menace cholérique du second tiers du xixe siècle ? Comment cette question sanitaire s’articule-t-elle avec les problématiques géostratégiques alors posées par la « question d’Orient » ? C’est l’objet de l’ouvrage de Benoît Pouget, issu d’une thèse de doctorat en histoire soutenue en 2017. Le terrain choisi, la Méditerranée, et la période – entre les premières apparitions du choléra indien en Europe (1831-1837) et la troisième pandémie des années 1848 à 1856, qui coïncide avec le retour de la France sur la scène diplomatique et l’affirmation de son prestige international – proposent une séquence permettant de mieux comprendre la mise en place d’une politique dans un cadre suffisamment large pour en analyser les évolutions chronologiques et les variations géographiques.
- 1 Jacques Léonard, Les officiers de santé de la marine française de 1814 à 1835, Paris, C. Klincksie (...)
2Dans le premier des sept chapitres qui composent ce volume, écrit dans un style nerveux et non dépourvu de formules bienvenues, il s’agit d’abord de s’intéresser au fléau lui-même, à la manière dont, arrivé d’Orient, par voie de terre mais aussi largement par voie maritime, le choléra perturbe les intérêts français à plusieurs niveaux et notamment les opérations militaires en cours, en frappant les marins et les soldats qu’ils transportent sur les terrains d’opération. Dès lors, comment traiter la maladie ? Parmi les grandes questions à préciser, la contagiosité ou non de la maladie. Comme ailleurs, mais encadrés par une administration et réunis par une communauté d’expérience, les médecins de la marine, de rapport en rapport, développent une expertise qui leur permet « partout où ils interviennent [de mettre] en œuvre une hygiène des lieux et des individus » (p. 127). Benoît Pouget évoque les voies multiples par lesquelles se constituent les savoirs sur le choléra, explique comment se fabriquent les connaissances – cliniques notamment – et précise la manière dont l’information médicale circule et se diffuse, en mettant particulièrement en lumière le rôle du service de santé de la marine. La question sociale qui traverse ce corps aux carrières difficiles, aux conditions de travail dangereuses et à la reconnaissance professionnelle limitée est présentée, dans la lignée des premiers travaux de Jacques Léonard1. Elle aide à comprendre la manière dont le choléra révèle les insuffisances de ce service, pas seulement en matière de connaissances, mais aussi en ce qui concerne les effectifs, un manque de personnel pouvant peser sur le fonctionnement de la médecine d’urgence, l’un des éléments qui caractérise la médecine militaire ou navale.
3L’ouvrage aborde ensuite au plus près la manière dont l’action navale se trouve perturbée par la maladie, qui pèse de différentes façons sur les capacités organisationnelles, par les coûts humains et logistiques qu’elle induit. À plusieurs reprises, au cours des années 1831 à 1856, est en effet posée la question de la projection dans la durée d’un corps expéditionnaire sur un théâtre d’opérations éloigné, sur les côtes algériennes, italiennes, ottomanes… La marine participe donc à la mise en œuvre des dispositifs de quarantaine. En Algérie, par exemple, où la législation quarantenaire française est transposée dans la colonie en train d’émerger, ces dispositifs entrent dans un ensemble plus vaste de mesures destinées à soutenir l’effort de peuplement et intègrent l’ancienne province ottomane au royaume de France, avant même l’adoption de son statut définitif. Un espace sanitaire maritime transméditerranéen sous souveraineté française voit ainsi le jour au cours du deuxième tiers du xixe siècle. Au-delà, en même temps que la politique française s’affirme en Méditerranée occidentale et orientale, c’est tout un espace ouvert à l’influence sanitaire française qui s’organise à partir des fronts cholériques, renforçant l’internationalisation de la question sanitaire : la marine française s’affirme en effet comme un acteur important dans la mise en œuvre d’un réseau de points d’appui médicaux visant notamment à faire fonctionner des dispositifs sanitaires préventifs, temporaires ou plus pérennes, sur les littoraux sous souveraineté ou sous influence française. Dans ce dernier cas, le rôle des consuls, à considérer comme des acteurs à part entière de la santé publique internationale par leur rôle d’informateurs des avancées épidémiques, est mis en avant, et plus particulièrement la manière dont leur action – diplomatique – se combine avec celle de la marine : ce sont eux qui interviennent auprès des autorités locales, accompagnent les bâtiments dans les ports étrangers et prennent en charge les cholériques à terre. Ce sont ainsi les agents consulaires qui, « au ras des flots » (p. 284), représentent les intérêts de la France et de ses navires. Dans le cadre du fonctionnement de ces dispositifs de protection mis en place contre le choléra, mais qui serviront aussi pour d’autres épidémies (par exemple, celles de typhus), des coopérations sanitaires s’élaborent entre Français et pouvoirs locaux, voire étrangers, sans être exemptes de tensions pouvant aller jusqu’au refus d’accueillir les bâtiments français, gênant ainsi les opérations navales et entravant les intérêts français.
4Ainsi, la question médicale du choléra se transforme en politique sanitaire qui, compte tenu des interventions françaises sur différents terrains extérieurs pour lesquelles la marine est indispensable, devient un élément relevant de la diplomatie navale et, de plus en plus, d’un « impérialisme sanitaire » porté par une puissance navale dont les intérêts outre-mer s’affirment. Si la mise en place d’une diplomatie sanitaire à partir de la lutte contre le choléra est bien mise en évidence, les limites de cette influence en Méditerranée sont un peu vite traitées, tout comme la question d’une mise en place similaire par l’autre puissance navale de la région, la Grande-Bretagne.
- 2 Sylvia Chiffoleau, Genèse de la santé publique internationale : de la peste d’Orient à l’OMS, Renn (...)
- 3 John Chircop et Francisco Javier Martinez, « Mediterranean Quarantine Disclosed. Space, Identity a (...)
5Dans le sillage des travaux de Sylvia Chiffoleau2, dont il propose d’une certaine manière la généalogie, Benoît Pouget, insistant sur les mobilités – celle des hommes et des microbes – qui sont au cœur de cette histoire et justifient le titre de l’ouvrage, souligne la nécessité de les penser à plusieurs échelles, mais aussi en fonction des lieux, des acteurs et des pratiques qui fabriquent des espaces sanitaires plus ou moins partagés3.
Notes
1 Jacques Léonard, Les officiers de santé de la marine française de 1814 à 1835, Paris, C. Klincksieck, 1967.
2 Sylvia Chiffoleau, Genèse de la santé publique internationale : de la peste d’Orient à l’OMS, Rennes/Beyrouth, Presses universitaires de Rennes/Institut français du Proche-Orient, 2012.
3 John Chircop et Francisco Javier Martinez, « Mediterranean Quarantine Disclosed. Space, Identity and Power », dans John Chircop et Francisco Javier Martinez (dir.), Mediterranean Quarantines, 1750-1914. Space, Identity and Power, Manchester, Manchester University Press, 2018, p. 1-14.
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Claire Fredj, « Benoît Pouget, Un choc de circulations : la puissance navale française face au choléra en Méditerranée, 1831-1856 », Histoire, médecine et santé, 21 | 2022, 213-215.
Référence électronique
Claire Fredj, « Benoît Pouget, Un choc de circulations : la puissance navale française face au choléra en Méditerranée, 1831-1856 », Histoire, médecine et santé [En ligne], 21 | printemps 2022, mis en ligne le 17 août 2022, consulté le 12 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hms/5980 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/hms.5980
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