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Comptes rendus

Fabrizio Bigotti, Physiology of the Soul. Mind, Body, and Matter in the Galenic Tradition of the Late Renaissance (1550-1630)

Turnhout, Brepols, 2019, 366 pages
Joël Chandelier
p. 209-211

Texte intégral

1Dès l’introduction, Fabrizio Bigotti affirme avec netteté les objectifs qu’il assigne à son ouvrage : replacer Galien, le galénisme et plus largement la médecine, dans l’histoire de la philosophie des débuts de l’époque moderne, en s’intéressant aux réflexions de ses praticiens et de ses défenseurs autant qu’on a pu le faire pour les commentateurs des grandes figures que sont Aristote et Platon. Le projet est louable et tout à fait pertinent. D’un point de vue historiographique, il s’inscrit dans un triple mouvement : la revalorisation de la place de la philosophie de Galien par les spécialistes de la pensée antique, islamique et latine ; l’intérêt renouvelé pour la philosophie du xvie siècle sous toutes ses formes, et notamment la scolastique dite tardive ; la multiplication des études sur le rôle essentiel de la discipline médicale, non seulement dans la culture savante de la Renaissance, mais aussi dans l’ensemble de la société.

2La synthèse que propose l’auteur, pour la période allant du milieu du xvie siècle jusqu’à l’époque de René Descartes et Santorio Santorio, vers 1630, est donc particulièrement bienvenue. Le plan choisi reflète un parti pris que l’on pourrait qualifier de téléologique : il s’agit de suivre le chemin des controverses et réalisations intellectuelles pour en arriver à l’époque, forcément décisive, du début du xviie siècle. En procédant de manière chronologique, il devient possible de mettre en avant non pas la rupture représentée par Descartes et d’autres philosophes dits modernes, mais plutôt la manière dont ceux-ci s’inscrivent dans une tradition à laquelle ils répondent, certes, mais qu’ils ne font nullement disparaître. L’ouvrage se divise dès lors en trois parties de deux chapitres chacune : la première (Premises) rappelle les évolutions de la tradition galénique sur la question de l’âme dans la première moitié du xvie siècle et les débats récurrents entre philosophes et médecins ; la deuxième (Developments) s’attarde sur la pensée médicale de la seconde moitié du siècle et sur la manière dont elle aborde les problèmes essentiels du matérialisme, du rapport entre âme et corps et du génie (ingenium) ; la troisième (Reactions and Consequences) décrit enfin les réactions, contrastées, du courant péripatéticien face aux propositions des médecins, et s’achève par une réflexion sur la place de Santorio et Descartes dans les années 1610-1630.

3Par ce parcours strictement doxographique, l’auteur revient d’abord sur des figures et des thèmes attendus : celui du rôle de l’anatomie au début du xvie siècle, au moment de la redécouverte des Administrations anatomiques de Galien et de la publication de l’œuvre d’André Vésale, par exemple, ou encore le problème de l’anthropologie et du possible matérialisme galénique tel qu’inspiré par le traité Que les facultés de l’âme suivent les tempéraments du corps (Quod animi mores). Bigotti insiste cependant aussi sur des personnages sans doute moins connus des historiens de la philosophie, comme Pompeo Caimo ou Eustachio Rudio, et montre qu’ils ne doivent pas être ignorés : à tout le moins, leurs apports ont contribué à la vitalité d’une tradition. On remarquera à ce propos que les auteurs considérés ici sont souvent italiens ou du sud de l’Europe (péninsule Ibérique) et que peu de penseurs du nord du continent ont été intégrés à l’étude. Si cela se justifie certainement par l’acuité des débats qui ont alors lieu sur ces questions autour de la Méditerranée, et singulièrement dans les universités italiennes, le choix du corpus aurait peut-être nécessité une petite clarification.

4Bigotti est à son meilleur quand il analyse en détail la pensée de certains médecins comme Juan Huarte, auteur d’un Examen de ingenios en 1575, dans lequel il réduit l’intellect à une faculté organique, l’ingenium – une position dangereuse qui attirera l’attention des autorités de l’Église catholique. La présentation des conséquences sociales (éthiques, politiques et éducatives) de sa théorie montre que les réflexions des praticiens n’étaient pas déconnectées de la réalité qui les entourait. Bigotti expose aussi que l’approfondissement de la réflexion médicale sur la notion d’ingenium a pu conduire à un authentique discours sur le génie, comme chez Agostino Doni (De natura hominis en 1581), voire à la remise en cause radicale des fondements de l’aristotélisme, notamment la division matière-forme qui est à la base de la distinction âme-corps. Il propose ainsi de qualifier ces penseurs de medical naturalists (p. 184), une expression qui a l’avantage d’insister sur l’origine proprement médicale, voire expérimentale, de leurs propositions.

5L’ouvrage montre toutefois que l’histoire de la pensée de l’époque ne peut se résumer à une opposition basique entre galénistes et aristotéliciens. Si certains tenants du Stagirite se limitent à des réponses classiques (séparation stricte des domaines, possibilité pour la philosophie d’éduquer l’âme et de contrer l’inclination naturelle du corps, rôle éminent de la raison et de l’habitude acquise) dans le but de restaurer la primauté de l’éthique, d’autres, comme Giovanni Battista Persona, en 1602 (commentaire au Quod animi mores de Galien), ou Cesare Cremonini, en 1611 (Quaestio utrum animi mores sequantur corporis temperamentum), s’efforcent d’intégrer les critiques médicales et font évoluer sensiblement la tradition philosophique. Le résultat en est une plus nette séparation entre âme et esprit, qui mène à des renouvellements plus radicaux. L’ouvrage peut alors se terminer par une étude croisée de Santorio Santorio (1561-1636) et René Descartes (1596-1650), qui remet en cause beaucoup de présupposés : sur la question de l’âme, l’apport de Descartes apparaît moins original que généralement admis, et Bigotti montre de manière intéressante ce qu’il doit à la discussion médico-philosophique de son temps. À l’inverse, la rupture introduite par Santorio est nettement affirmée, sans toutefois aller jusqu’à énoncer que ses innovations rejettent l’intégralité des élaborations de ses prédécesseurs : ici comme ailleurs, l’auteur refuse toute histoire fondée sur l’impulsion décisive de quelques grands hommes et sur une poignée de bonds en avant, pour leur préférer une présentation serrée de la tradition savante, dans ses lentes évolutions et ses mouvements parfois inattendus.

6Dans l’ensemble, l’ouvrage fournit donc une bonne synthèse sur l’histoire de l’âme dans la tradition médicale du xvie siècle. Sa revalorisation de la pensée médicale au sein de l’histoire de la philosophie démontre la vitalité et la fécondité de la scolastique tardive comme mode de pensée, mais aussi l’intérêt d’examiner le discours médical, qui déborde souvent le strict cadre scientifique pour toucher aux aspects éthiques, politiques ou éducatifs. Physiology of the Soul. Mind, Body, and Matter in the Galenic Tradition of the Late Renaissance (1550-1630) se termine d’ailleurs par une conclusion un peu étonnante qui, plutôt que de résumer le propos développé, s’efforce de se placer à un niveau général et épistémologique sur la façon la plus adaptée de faire l’histoire des sciences, non seulement au début de l’époque moderne, mais également au-delà. Les critiques contre les modèles impliquant une rupture nette, comme celui de Thomas Kuhn, contre les approches « historicistes », qui se refusent à utiliser des concepts contemporains, ou celles qui soumettent trop strictement l’histoire intellectuelle à des méthodes issues des sciences sociales, sont à l’évidence intéressantes et parfois provocatrices. Cependant, elles mériteraient d’être plus longuement développées et argumentées – tout comme la proposition qui consiste à voir l’historien des idées non comme un narrateur, mais comme un traducteur. On a ici une position tout à fait en accord avec le contenu du livre, dont le but est principalement de donner une description interprétative des textes produits par les médecins de l’époque considérée sur un sujet précis. On regrettera, toutefois, que cette conclusion de très large ampleur ne puisse se déployer autant que le nécessiterait son ambition, et qu’elle ne soit pas directement reliée au reste de la monographie. Cette remarque n’enlève, bien sûr, rien à l’intérêt de l’ensemble de l’ouvrage, qui fait connaître une tradition encore trop méconnue et apporte son concours à un champ très dynamique.

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Pour citer cet article

Référence papier

Joël Chandelier, « Fabrizio Bigotti, Physiology of the Soul. Mind, Body, and Matter in the Galenic Tradition of the Late Renaissance (1550-1630) »Histoire, médecine et santé, 21 | 2022, 209-211.

Référence électronique

Joël Chandelier, « Fabrizio Bigotti, Physiology of the Soul. Mind, Body, and Matter in the Galenic Tradition of the Late Renaissance (1550-1630) »Histoire, médecine et santé [En ligne], 21 | printemps 2022, mis en ligne le 17 août 2022, consulté le 15 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hms/5979 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/hms.5979

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Auteur

Joël Chandelier

Centre d’histoire des sociétés médiévales et modernes (MéMo), Université Paris 8

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