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Comptes rendus

Christos Lynteris (dir.), Plague Image and Imagination from Medieval to Modern Times

Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2021, 317 pages
Laura Pennanec’h
p. 205-208

Texte intégral

  • 1 Christos Lynteris est professeur d’anthropologie médicale à l’université de St Andrews.
  • 2 Christine M. Boeckl, Images of Plague and Pestilence. Iconography and Iconology, Kirksville, Truma (...)

1Avec Plague Image and Imagination from Medieval to Modern Times, Christos Lynteris1 s’est lancé dans la direction d’un projet ambitieux : une fresque sur huit siècles et trois continents interrogeant les relations entre les représentations visuelles et mentales de la peste dans différents contextes socio-historiques. L’approche à la fois historique et anthropologique s’éloigne des travaux précédents sur ces questions, qui ont principalement consisté à dresser une histoire visuelle de la peste2. Il ne s’agit donc pas uniquement ici des sources visuelles – peintures, cartes, photographies –, mais aussi des imaginaires de la maladie qu’elles ont contribué à construire. Ainsi, les différents chapitres interrogent le rôle que les images et les imaginaires de et autour de la peste ont joué dans l’évolution des sociétés affectées par la maladie. L’objectif est, en définitive, de déterminer dans quelle mesure ces représentations et ces imaginaires ont, au fil des siècles et dans diverses aires culturelles, concouru à en faire une catégorie non seulement esthétique, mais aussi épistémique et sociale. Ce sont neuf contributions, écrites par des historien·nes et des anthropologues de la médecine, qui se succèdent pour dresser un autre portrait de la peste et de ses représentations. Si l’ouvrage manque d’une cohérence interne, on peut néanmoins dégager quelques problématiques structurantes.

2La première est celle de la mémoire de la peste. L’ouvrage s’ouvre ainsi sur une contribution de Nükhet Varlık, qui montre la construction, au xixe siècle, d’un imaginaire gothique de la peste dite « noire ». Cette noirceur, loin de se référer aux manifestations cliniques de la maladie, a été utilisée pour qualifier une affection venue d’Orient, renforçant ainsi son caractère autant étrange qu’étranger – et donc doublement dangereux. Cette construction linguistique, intervenue plus de quatre siècles après l’épidémie, montre la persistance d’une mémoire collective de la peste, reliée à un imaginaire orientaliste alors en vogue dans la littérature européenne. Cette mémoire de la maladie influence son imaginaire d’autres manières, dans l’Europe médiévale et celle de la première modernité. C’est ce que montre par la suite Sheila Barker, qui revient sur l’iconographie européenne de la peste entre le milieu du xiiie et le milieu du xviie siècle, et plus particulièrement sur le rôle social des artistes dans l’appréhension des épidémies. Leurs peintures constituaient des témoignages des épidémies passées, de plus en plus perçues et représentées comme des événements historiques. Réalisées de manière à marquer émotionnellement les spectateurs, ces œuvres ont permis de conserver une mémoire visuelle de la peste, participant à l’établissement d’une iconographie et d’un imaginaire social communs. Outre les mots et les tableaux, les lieux et les représentations visuelles qui en sont faites aujourd’hui permettent de garder une trace de la peste, à l’instar des lazarets dans l’Italie de la première modernité auxquels Ann Carmichael consacre un article. Les humanités numériques offrent la possibilité de pénétrer dans ces lieux pensés à l’origine pour être inaccessibles au plus grand nombre, par le biais de photographies aériennes, de modélisations 3D, de cartographies numériques – autant d’outils qui permettent d’appréhender différemment des espaces révolus de la maladie et du soin en construisant un nouvel imaginaire visuel et spatial de la peste.

3Si les trois premiers chapitres montrent comment les images et imaginaires de la peste ont permis aux populations de la contrôler, les six chapitres suivants mettent en lumière des moments historiques pendant lesquels la peste elle-même est devenue un outil de contrôle de la population touchée. Cette situation est visible dans les contributions de David Arnolds, Abhijit Sarkar et Maurits Meerwijk, qui étudient l’emploi de la photographie au cours des épidémies de peste par les autorités coloniales dans l’Inde britannique et les Indes orientales néerlandaises de la fin du xixe siècle. La photographie est alors utilisée pour documenter l’organisation hospitalière mise en place pour gérer les épidémies, pour témoigner des opérations de crémation des corps des victimes, mais aussi pour montrer les efforts des autorités sanitaires pour détruire les lieux soupçonnés d’être des réservoirs et des vecteurs pesteux, à l’image des maisons traditionnelles en bambou de Java. Le médium photographique permet ainsi de documenter autrement les épidémies en ne se focalisant plus seulement sur les malades, mais aussi sur les causes (pensées ou avérées) de la maladie. Par ailleurs, la photographie contribue à l’élaboration d’un imaginaire colonial fondé sur des pratiques différentes de celles de la population colonisée. Arnolds et Sarkar montrent ainsi qu’en Inde, les Britanniques ne se sont pas tant servis du nouveau médium photographique à des fins sanitaires que dans une optique de contrôle des populations colonisées et de propagande impériale. Ce contrôle passe par la mise en place de mesures sanitaires comme la crémation des corps des victimes, pratique rituelle hindoue reprise par les autorités coloniales. Les photographies témoignent ainsi de la façon dont cette pratique cultuelle a été reconfigurée par les Britanniques, qui, aux outils traditionnels utilisés pour les crémations, ont substitué des structures métalliques ou encore un éclairage au gaz. Comme dans le cas de l’habitat javanais accusé de favoriser la propagation épidémique, les photographies servent d’outils de propagande pour le gouvernement colonial, en montrant sa capacité à gérer l’épidémie, mais aussi à endiguer des pratiques religieuses locales.

4Le contrôle épidémique revient au cœur du chapitre écrit par Lukas Engelmaan, qui s’intéresse au tournant épistémologique du tout début du xxe siècle, quand les épidémies de peste sont devenues en elles-mêmes des objets d’étude et d’intérêt scientifique. La maladie se conçoit désormais comme un événement historiquement situé et quantifiable. Cette nouvelle manière d’appréhender la peste passe par les paper technologies, faites de diagrammes, de graphiques et de cartes permettant d’évaluer la population touchée et de mesurer l’évolution de la contagion. Cette question de la contagion, évidente aujourd’hui lorsque l’on évoque les épidémies passées comme présentes, a pourtant fait l’objet d’un âpre débat lors de la troisième épidémie de peste dans l’Inde britannique, comme le rapporte Samuel Cohn Jr. Les théories contagionnistes et anti-contagionnistes s’affrontent, toujours dans un contexte colonial, qui interroge encore plus durement la possibilité d’une transmission de la maladie entre colons et colonisés. La dernière contribution fait en quelque sorte office de synthèse : Marie Sodikoff et Dieudonné Rasolonomenjanahary y étudient la façon dont la photographie a permis de documenter l’épidémie de peste à Madagascar en 2016-2017 – remobilisant un imaginaire iconographique du siècle précédent –, tout en servant de trace mémorielle pour les survivants qui conservent ainsi une image des tombes des défunts.

  • 3 On pensera par exemple aux travaux de Sheila Barker, notamment « Poussin, Plague, and Early Modern (...)

5L’ambition de l’ouvrage peut être à la fois source d’éloges et de critiques. D’un côté, on saluera la volonté de se détacher d’une histoire visuelle de la peste jusque-là cantonnée à des sources restreintes, picturales pour l’essentiel3. On relèvera aussi l’intérêt d’une approche interdisciplinaire entre l’histoire et l’anthropologie de la médecine, permettant des regards croisés sur les sources. En revanche, le projet d’une histoire sur la longue durée, allant des enluminures de la Bible de Maciejowski (vers 1250) aux photographies de l’épidémie de peste à Madagascar en 2017, a sans doute contribué au manque de cohérence interne du volume. Ce dernier aurait mérité un angle d’étude plus resserré et une plus grande mise en valeur des liens entre les contributions, afin d’en faire ressortir des points d’intérêts bien présents, mais malheureusement peu mis en évidence.

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Notes

1 Christos Lynteris est professeur d’anthropologie médicale à l’université de St Andrews.

2 Christine M. Boeckl, Images of Plague and Pestilence. Iconography and Iconology, Kirksville, Truman State University Press, 2000 ; Gauvin Bailey et al. (dir.), Hope and Healing. Painting in Italy in a Time of Plague, 1500-1800, Chicago, University of Chicago Press, 2005.

3 On pensera par exemple aux travaux de Sheila Barker, notamment « Poussin, Plague, and Early Modern Medicine », The Art Bulletin, 86 (4), 2004, p. 659‑689.

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Pour citer cet article

Référence papier

Laura Pennanec’h, « Christos Lynteris (dir.), Plague Image and Imagination from Medieval to Modern Times »Histoire, médecine et santé, 21 | 2022, 205-208.

Référence électronique

Laura Pennanec’h, « Christos Lynteris (dir.), Plague Image and Imagination from Medieval to Modern Times »Histoire, médecine et santé [En ligne], 21 | printemps 2022, mis en ligne le 17 août 2022, consulté le 21 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hms/5969 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/hms.5969

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Auteur

Laura Pennanec’h

Centre Alexandre-Koyré (UMR 8560) et Anhima (Anthropologie et histoire des mondes antiques, UMR 8210), EHESS

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

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