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Sources et documents

La douleur dans la grosse vérole ou mal français, Gaspar Torrella, 1497-1500

Pain in the great pox or French disease, Gaspar Torrella, 1497-1500
El dolor en la sífilis o mal francés, Gaspar Torrella, 1497-1500
Jon Arrizabalaga et Concetta Pennuto
p. 135-143

Texte intégral

  • 1 Voir Claude Quétel, Le mal de Naples. Histoire de la syphilis, Paris, Seghers, 1986 ; Jon Arrizaba (...)
  • 2 Marcello Cumano, Pustulae sive vesicae epidemiae, dans Georgius Hieronymus Velschius, Sylloge cura (...)

1La grosse vérole, ou « mal français », se répand dans les armées du roi Charles VIII à partir du siège de Naples en 1495, avant de s’installer en Europe, comme le signalent les médecins actifs sur le camp de la bataille de Fornoue le 5 juillet de la même année1. Le médecin Marcello Cumano décrit les souffrances des soldats des seigneurs milanais en 1495 : les visages et les corps étaient couverts de pustules de la grandeur d’un grain de millet, qui commençaient par apparaître sur le prépuce. C’était parfois une pustule unique, sans grandes douleurs, mais avec des démangeaisons et des ulcères qui se répandaient sur le corps entier. Constatant leur impuissance, les médecins évoquent la souffrance de ces soldats2.

  • 3 L’appellation de morbus gallicus, « mal français », persiste de manière indépendante, bien que la (...)

2Entre la fin du xvsiècle et le début du xvisiècle, nombreuses sont les sources qui parlent d’une maladie nouvelle, horrifiante et incurable, pas encore connue du milieu médical. Les signes cliniques les plus remarquables sont d’abord les ulcères déjà mentionnés par Marcello Cumano, mais aussi des douleurs atroces au niveau des articulations, de plus en plus insupportables à mesure que la maladie progresse. Elle est cause, chez les patients, de longues nuits d’insomnie. Les médecins s’interrogent sur l’origine de cette maladie qui se répand comme une épidémie. Au début, des causes célestes sont évoquées, ainsi qu’une punition divine, comme pour les épidémies de peste. Cependant, durant la première moitié du xvisiècle, l’étiologie vénérienne se clarifie pour les médecins et les politiques inquiets pour la santé des populations dans l’Ancien et le Nouveau Monde : les textes mentionnent alors le « mal vénérien » et cette appellation de la maladie deviendra courante à l’époque moderne3.

  • 4 Gaspar Torrella, Tractatus cum consiliis contra pudendagram seu morbum gallicum, Romae, per magist (...)
  • 5 Sur Gaspar Torrella, voir les travaux de Jon Arrizabalaga : « El Consilium de Modorrilla (Roma y S (...)
  • 6 Gaspar Torrella, Tractatus de pudendagra seu morbo gallico cum aliis, Romae, Johannes Besicken, 14 (...)

3Parmi les premiers et plus célèbres médecins ayant écrit sur cette maladie, Gaspar Torrella (v. 1452-v. 1520) exerce à la cour papale d’Alexandre VI Borgia (1492-1503) et de Jules II Della Rovere (1503-1513). Il est l’auteur de plusieurs écrits médicaux, notamment de deux importants ouvrages consacrés à la grosse vérole, publiés entre 1497 et 1500 : le Tractatus cum consiliis contra pudendagram seu morbum gallicum et le Dialogus de dolore. Le premier de ces textes, daté du 22 novembre 1497 à Rome, est dédié à son mécène César Borgia (1475-1507), victime du « mal français » ou maladie des pudenda, les organes génitaux (pudendagra)4. Il propose une description vivante du traitement de ce nouveau mal, dont les signes sont interprétés à la lumière de la tradition médicale galénique et avicennienne. Afin de démontrer ses compétences dans le traitement de la maladie, Torrella rapporte cinq histoires de patients, choisis parmi les dix-sept qu’il assure avoir traités entre les mois de septembre et d’octobre 1497. L’insertion de ces récits de patients dans le traité est exemplaire de la démarche clinique de Torrella, qui offre un modèle de consultation des patients par la mise en confiance, l’écoute et le dialogue. Sont en effet rapportés les échanges avec les malades, leurs demandes et leur vécu de la maladie. C’est dans ces pages que le lecteur peut se faire une idée de la douleur éprouvée par les patients5. Le Tractatus est édité une nouvelle fois en 1498, sous le titre De morbo gallico cum aliis. Entre les deux éditions, Torrella a introduit des modifications qui reflètent son expérience clinique et thérapeutique. Ce sont la douleur des malades et les récidives des souffrances chez des patients considérés comme libérés du mal qui le poussent à promettre un traité sur la douleur causée par cette nouvelle maladie6.

  • 7 Gaspar Torrella, Dialogus de dolore cum tractatu de ulceribus in pudendagra evenire solitis, Romae (...)
  • 8 Ibid., f. a2 r. : « Istis de causis duos tractatus contra duo seva accidentia hunc morbum concomit (...)
  • 9 Ibid., f. e7 r. : « Quequidem non modo doctos vel empericos cyrurgicos trepidare faciunt verum eti (...)

4Le 31 octobre 1500 est publié à Rome le Dialogus de dolore cum tractatu de ulceribus in pudendagra evenire solitis7. Cette œuvre entend offrir « un traitement efficace et complet de la maladie des pudenda » (pro vera et completa cura pudendagre)8. Torrella souhaite clarifier la raison pour laquelle la douleur et certains ulcères sont si difficiles à soigner. Si le Dialogus n’a pas la dimension clinique du Tractatus, il n’est pas moins intéressant pour autant, puisqu’il est centré sur les deux « accidents » (symptômes) principaux de la maladie : la douleur et les ulcères. Concernant la douleur, ce symptôme est abordé dans une section assez longue et structurée en forme de dialogue entre le peuple (vulgus) et le médecin (medicus). Dans la suite du texte, Torrella aborde l’étude de la nature et du traitement des ulcères, notamment les ulcères graves (ulcera maligna) – forme sévère de ce que l’on appelle normalement pustules (pustule) – qui, d’après le témoignage du même Torrella, « font trembler non seulement les chirurgiens, tant les expérimentés que les empiriques, mais encore les malades qui en souffrent énormément9 ».

  • 10 Gaspar Torrella, Tractatus cum consiliis…, op. cit., f. b4 v. : « Et licet in omni pudendagra, ut (...)

5Selon le Tractatus, les douleurs se manifestent parfois peu après l’ulcération, d’ordinaire située au niveau des organes génitaux, qui marque le début de la maladie. Les douleurs touchent les os, les muscles et les articulations, en affectant généralement tout le corps, bien qu’elles soient initialement limitées à une partie. Il s’agit de douleurs surtout nocturnes, qui provoquent des insomnies sévères chez les patients. Dans certains cas, leur intensité reste constante ; d’autres fois, elles s’aggravent durant la maladie, souvent après des périodes de trêve. En sa qualité de médecin, Torrella veut comprendre les causes de ces douleurs pour pouvoir recourir à des thérapies appropriées et accompagner les patients en s’adaptant à la singularité de leur cas. La douleur, qui correspond au ressenti du patient (sentitur), peut être intense, légère, profonde, aiguë et piquante (dolor intensus, suavis, profundus, cum acuitate et punctione)10.

  • 11 Concernant la douleur dans le Canon d’Avicenne, voir : Avicenna, Liber Canonis…, Venetiis, apud Iu (...)
  • 12 Ibid., f. 41 v. : « La cause de la douleur prurigineuse est une humeur aiguë ou salée. » Concernan (...)
  • 13 Gaspar Torrella, Dialogus de dolore…, op. cit., f. e5 v.

6Dans le Dialogus, Torrella endosse le rôle de médecin expert et répond au vulgus qui l’interroge sur la nature, les causes, les manifestations de la douleur et son traitement. Il essaie de trouver une explication aux différents points soulevés en utilisant des distinctions scolastiques. La classification des différents types de douleur proposée dans le traité de 1500 illustre bien l’évolution pessimiste de la confrontation clinique et thérapeutique avec le mal français entre 1497 et 1500. De fait, dans le Tractatus de 1497, Torrella applique un critère de classification de la douleur pour en distinguer deux formes cliniques différentes : une douleur légère, que l’on peut facilement maîtriser, et une douleur grave et persistante. Dans le même temps, il distingue quatre formes de douleur qui correspondent, dans la médecine humorale, à quatre espèces cardinales de pudendagra : sanguine, flegmatique, colérique et mélancolique. Dans le Dialogus de 1500, cependant, Torrella ne semble plus convaincu par la division précédente et recourt à la classification avicennienne qui distingue quinze, voire seize types de douleur11. Il explique toutefois les variations et les caractéristiques des douleurs à l’aide de comparaisons pouvant les rendre compréhensibles à tout type de lecteur (vulgus). C’est ainsi que certaines expressions latines avicenniennes, assez courtes et techniques, sont actualisées et transformées dans le traité de Torrella en de longues explications. À titre d’exemple, tandis que la douleur prurigineuse est analysée en fonction de sa cause dans une courte phrase chez Avicenne (« Causa autem pruritivi doloris est humor acris aut salsus »), nous lisons chez Torrella : « Dolor pruritivus est dolor levis, eveniens cuti corporis cum pruritu. Et causa est humor acutus et salsus, idest habens acredinem cum acuitate malam complexionem causans in cute et solutionem continuitatis12. » Torrella termine son Dialogus par un avis au peuple concernant les remèdes qui semblent libérer les patients de leurs douleurs alors qu’ils ne sont que la production d’« ignorants, imposteurs et escrocs13 ».

  • 14 Luigi Luigini, De morbo gallico omnia quae extant apud omnes medicos cuiuscunque nationis…, tomus (...)
  • 15 Luigi Luigini, Herman Boerhaave, Aphrodisiacus, sive de lue venerea, in duos tomos bipartitus…, to (...)

7Le traité De dolore de Torrella connaît une importante fortune éditoriale depuis le xvisiècle. Il est inclus dans les anthologies sur le mal français de la période moderne, souvent avec le traité sur la pudendagra. Dans le premier tome de son De morbo gallico omnia quae extant (1566-1567) en deux tomes, Luigi Luigini (Aloysius Luisinus) publie De pudendagra tractatus unus, accompagné de De ulceribus in pudendagra tractatus alter, De dolore in pudendagra Dialogus, Consilia quaedam contra pudendagram de Torrella, en présentant l’auteur comme médecin du pape Alexandre VI et évêque de Santa Giusta (Sardaigne)14. En 1728, l’œuvre de Luigini est reprise par Herman Boerhaave (1668-1738), qui propose l’Aphrodisiacus, sive de lue venerea, seu morbo gallico Opus en deux tomes. Le lecteur y retrouve les textes de Torrella dans le premier volume : De pudendagra tractatus unus, De ulceribus in pudendagra tractatus alter, De dolore in pudendagra Dialogus, Consilia quaedam contra pudendagram15. Le De dolore de Torrella n’a, à ce jour, pas fait l’objet d’une édition critique, ni d’une traduction complète en langue française.

Dialogus de dolore in pudendagra (1500), b4r-7r

VULGUS. Responde mihi quare variis modis iste dolor homines infestat, nam quis de dolore pruritivo conqueritur, alius de pungitivo, alius de mordicativo.

MEDICUS. Hercle, video te affectante hec scire quare opus erit ut omnes species doloris et eorum nomina propria in presentiarum tibi enucleem. Nam noticia rei que sermone scripto aut prolato communicatur alicui levius fit et acquiretur per nomina propria quam communia. Quis memorie mandabis ut cognita specie et causa doloris facilius languenti subvenire valeas ; que, si recte memini, secundum Avicenne doctrinam sunt XV, ut pruritivus, exasperativus, pungitivus, compressivus, extensivus, concussivus, frangitivus, laxativus, perforativus, acualis, stupefactivus, pulsativus, gravativus, fatigativus et mordicativus. Hoc idem tenet Galienus II De interioribus.

PEUPLE. Réponds-moi, pourquoi cette douleur tourmente-t-elle les hommes de différentes manières ? Car certains sont affectés par une douleur prurigineuse, d’autres poignante, d’autres mordante.

  • 16 La traduction des adjectifs caractérisant les types de douleur reste la plus fidèle possible à l’o (...)
  • 17 Voir Galenus, De locis affectis, dans Id., Opera omnia, editionem curavit D. Carolus Gottlob Kühn, (...)

MÉDECIN. Par Hercule, je vois que tu es très intéressé par la question. C’est pourquoi il faudra que je t’explique quelles sont toutes les espèces de douleurs et leurs noms spécifiques dès à présent. Il est en effet plus facile d’expliquer et de comprendre un sujet par écrit ou de vive voix en ayant recours à des noms spécifiques plutôt qu’à des termes généraux. Tu te rappelleras que, une fois l’espèce et la cause de la douleur connues, il est plus facile d’aider la personne malade. Si je m’en souviens bien, d’après Avicenne, il y a quinze types de douleurs : prurigineuse, exaspérante, poignante, comprimante, tiraillante, concussive, cassante, étirante, perforante, perçante, stupéfiante, pulsative, pressive, fatigante, mordante16. Galien dit la même chose dans le second livre du traité Sur les affections internes17.

Dolor pruritivus est dolor levis, eveniens cuti corporis cum pruritu. Et causa est humor acutus et salsus, idest habens acredinem cum acuitate malam complexionem causans in cute et solutionem continuitatis.

La douleur prurigineuse est une douleur légère, qui se manifeste sur la peau avec des démangeaisons. Sa cause est une humeur aiguë et salée, c’est-à-dire avec de l’âcreté aiguë qui cause une mauvaise complexion et une solution de continuité.

Dolor exasperativus est dolor perceptus cum asperitate membri in quo est. Evenit enim membris natura levibus cum exasperantur ut canne pulmonis. Et eius causa est humor asper, idest asperum faciens.

La douleur exaspérante est une douleur perçue avec rudesse dans le membre affecté. Elle frappe en effet les membres légers par nature lorsqu’ils sont irrités, comme la trachée. Sa cause est une humeur âpre, c’est-à-dire qui produit l’âpreté.

Dolor pungitivus est dolor quem percipit patiens cum punctura membri in quo est, ac si membrum illud acu perforaretur et hic dolor evenit panniculis. Et causa huius est humor extendens panniculum in latitudinem.

La douleur poignante est une douleur que le patient perçoit comme une piqûre du membre dans lequel elle se manifeste, comme si ce membre était perforé par une aiguille. Cette douleur frappe les pannicules, sa cause étant une humeur qui s’étend dans ces pannicules.

Dolor extensivus est dolor in quo patiens sentit membrum suum extendi secundum aliquam eius dimensionem, qui debet fieri in membro multum sensitivo et multum extensivo. Et quia tales sunt nervi, idcirco in ipsis debet fieri aut in lacertis. Et causa eius est ventositas aut humor qui nervum aut musculum extendit, ac si ipsum ad suas traheret extremitates.

  • 18 Nous traduisons lacerti par « muscles des bras et des jambes » sur la base de la notice du terme « (...)

La douleur tiraillante est une douleur dans laquelle le patient a la sensation que son membre s’étend dans une direction ou une autre. Cela doit arriver dans un membre très sensible et très extensible. Et puisque tels sont les nerfs, par conséquent c’est dans les nerfs que la douleur se manifeste ou dans les muscles des bras et des jambes18. Sa cause est une ventosité ou une humeur qui détend le nerf ou le muscle, comme si les extrémités étaient étirées.

Dolor compressivus est dolor in quo patiens membrum dolens extimat esse in loco constricto et coartato. Et quia id quod magis aptum natum est comprimi, est caro musculosa, ideo in musculo accidit hic dolor. Et causa est materia que in membro suum coangustat locum aut ventositas.

La douleur comprimante est une douleur dans laquelle le patient ressent le membre douloureux comme s’il était dans un lieu resserré et contraint. Et puisque ce qui est plus propre à être comprimé, c’est la chair des muscles, cette douleur se manifeste dans les muscles. Sa cause est une matière qui dans un membre resserre son espace ou une ventosité.

Dolor ulcerosus est ille ut qui eum patitur sensiat tangendo in superficie membri seu corporis similitudinem ulcerum. Et eius causa est multitudo superfluitatum subtilium et acutarum et liquefactio carnis et adipis, aut humores mali.

La douleur ulcérante est celle dans laquelle le patient ressent quelque chose de semblable à un ulcère, lorsqu’il touche la surface d’un de ses membres ou de son corps. Sa cause est la multitude de superfluités subtiles et aiguës, ainsi que la liquéfaction de la chair et des graisses, ou les humeurs nuisibles.

Dolor concussivus est dolor in quo patiens extimat membra dolentia concuti. Et causa eius est materia quae interponitur inter musculum et eius panniculum, et eum extendit et continuitatem solvit. Et hic dolor maxime proprius musculis existit.

La douleur concussive est la douleur dans laquelle le patient a l’impression que ses membres douloureux reçoivent des coups. Sa cause est une matière qui s’interpose entre le muscle et son pannicule, et l’étire et rompt la continuité. Et cette douleur est propre en particulier aux muscles.

Dolor frangitivus est dolor profundus in quo patiens extimat ossa membri dolentis frangi, ac si frangerentur. Et causa est materia grossa et viscosa et in profundo posita, aut ventositas quae interponitur media inter os et panniculum qui tegit ipsum.

La douleur cassante est une douleur profonde, dans laquelle le patient a l’impression que les os du membre douloureux sont brisés, comme s’ils avaient été fracassés. Sa cause est une matière dense et visqueuse, située en profondeur, ou une ventosité qui s’interpose au centre, entre les os et le pannicule qui le couvre.

Dolor laxativus est dolor in quo patiens membrum sentit extendi absque sensu alicuius contradictionis, et per hoc differt a dolore extensivo. Et causa eius est quia carnem musculi extendit et non ipsius cordam, et immo ad ipsum non sequitur contractio neque spasmus, et est proprius carni musculorum et ideo vocatus est laxativus, idest in membro laxo existens.

La douleur étirante est une douleur dans laquelle le patient a l’impression que son membre s’étend sans aucune sensation dans l’autre sens, et en cela cette douleur se différencie de la douleur tiraillante. Sa cause réside dans le fait que c’est la chair du muscle qui s’étire et non son tendon. Au contraire, cette douleur n’est pas suivie de contraction ou spasme et est caractéristique de la chair des muscles et c’est pour cela qu’elle est appelée étirante, ce qui signifie qu’elle existe dans un membre détendu.

Dolor perforativus est dolor in quo patiens extimat membrum dolens ab intus terebello perforari, et est proprius membris duris et grossis duas tunicas habentibus, sicut est colon. Et causa eius est materia grossa, ut flegma vitreum, aut ventositas, quae retinetur inter duas tunicas illius membri.

La douleur perforante est une douleur dans laquelle le patient se représente son membre douloureux comme étant perforé de l’intérieur par un foret. C’est une douleur typique des membres durs et gros, avec deux enveloppes, comme le colon. Sa cause est une matière dense, comme le flegme vitré ou une ventosité qui est retenue entre les deux enveloppes de ce membre.

Dolor acualis est proprie species seu modus doloris perforativi et ab eo proprie differt secundum magis et minus. Et causa est humor grossus seu ventositas retenta similiter inter duas tunicas membri in hora solum quae rumpit, sed non movetur penetrans per membrum sicut movetur materia doloris perforativi. Et dicitur acualis quia extimat patiens membrum illud doloris acu perforari. Accidit autem maxime in intestinis gracilibus, sicut perforativus in grossis.

La douleur perçante est une espèce ou un type particulier de douleur perforante, mais qui en diffère en degré, en plus ou en moins. Sa cause est une humeur dense ou une ventosité retenue également entre les deux enveloppes du membre au moment de la rupture, mais cette humeur ne bouge pas en pénétrant dans le membre, à la différence de la matière de la douleur perforante. Et elle s’appelle perçante parce que le patient a l’impression que le membre douloureux est percé par une aiguille. Elle survient surtout dans l’intestin grêle, alors que la douleur perforante survient dans le gros intestin.

Dolor stupefactivus est dolor diminutus et obtusus qualis est qui accidit membris dormitantibus stupidis, et non dicitur dolor stupefactivus quia non sentiatur sed quia obtuse sentitur […]. Et causa istius doloris est aut fortis frigoris compressio aut clausura pororum per quos spiritus sensibilis ad membrum venit, aut ligatura aut receptaculorum replexio.

La douleur stupéfiante est une douleur légère et émoussée, comme celle qui se manifeste dans les membres endormis insensibles. Elle s’appelle douleur stupéfiante non pas parce qu’elle n’est pas perçue, mais parce qu’elle est perçue de manière émoussée […]. La raison de cette douleur est soit une compression à cause d’un grand froid, soit l’obstruction des pores par lesquels l’esprit sensible arrive au membre, soit encore une ligature ou le fait que les réceptacles soient remplis.

Dolor pulsativus est dolor in quo patiens pulsationem manifeste percipit ad similitudinem pulsus, unde etiam percussivus, et aliquando absolute vocatur percussio vel pulsus, pulsare enim absque dolore proprium est arteriis.

La douleur pulsative est une douleur dans laquelle le patient perçoit clairement une pulsation comme dans le pouls, d’où le fait qu’elle soit dite aussi percussive, et parfois on parle, de manière générale, de percussion ou pouls, car la pulsation sans douleur est propre aux artères.

Dolor gravativus est dolor in quo patiens sentit rem gravem ponderantem in loco doloris. Et causa eius est apostema in membro non sensibili, sicut in pulmone, epate, splene et similibus.

La douleur pressive est une douleur dans laquelle le patient ressent une pesanteur sur le lieu de la douleur. Sa cause est un apostème dans un membre non sensible, comme le poumon, le foie, la rate et les organes semblables.

Dolor fatigativus est dolor in quo patiens sentit membra sua fatigata et vocatur absolute labor, qui si evenerit post sompnum dicunt esse a materia a capite descendente. Et causa eius est corporeus labor et tunc laboriosa fatigatio vocatur.

La douleur fatigante est une douleur dans laquelle le patient a la sensation que ses membres sont fatigués et on l’appelle, d’une manière générale, fatigue. Si elle survient après avoir dormi, on dit qu’elle est engendrée par de la matière descendant de la tête. Sa cause est le travail corporel, ainsi on l’appelle fatigue laborieuse.

Dolor mordicativus, qui etiam dicitur corrossivus et aliquando absolute dicitur morsus vel corrossio, est dolor in quo patiens ymaginatur aliquid incedens corrodendo et mordicando ipsum. Et causa huius est humor qui qualitatem habet acutam per quam corrodit et mordicat. Et proprie attribuitur hic dolor membris intrinsecis et profundis et sub cute positis. Et propter hoc differt a dolore pruritivo sive pruriginoso qui cuti membris extrinsecis appropriatus est.

La douleur mordante, dite aussi corrosive et parfois, d’une façon générale, morsure ou corrosion, est une douleur dans laquelle le patient imagine quelque chose qui va en rongeant et en mordant. Sa cause est une humeur avec une qualité aiguë par laquelle elle ronge et mord. Cette douleur est proprement attribuée aux membres internes et profonds, situés sous la peau. Pour cette raison, elle diffère de la douleur prurigineuse, qui est propre à la peau des membres extérieurs.

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Notes

1 Voir Claude Quétel, Le mal de Naples. Histoire de la syphilis, Paris, Seghers, 1986 ; Jon Arrizabalaga, John Henderson, Roger French, The Great Pox. The French Disease in Renaissance Europe, New Haven, Yale University Press, 1997 ; Jon Arrizabalaga, « Medical Responses to the ‘French Disease’ in Europe at the turn of the Sixteenth Century », dans Kevin Siena (dir.), Sins of the Flesh. Responding to Sexual Disease in Early Modern Europe, Toronto, Centre for Reformation and Renaissance Studies, 2005, p. 33-55 ; ainsi que Jon Arrizabalaga, « The Changing Identity of the French Pox in Early Renaissance Castile », dans Florence Eliza Glaze, Brian K. Nance (dir.), Between Text and Patient. The Medical Entreprise in Medieval and Early Modern Europe, Florence, Edizioni del Galluzo, 2011, p. 397-417.

2 Marcello Cumano, Pustulae sive vesicae epidemiae, dans Georgius Hieronymus Velschius, Sylloge curationum et observationum medicinalium… Centuria I, Ulmae, Typis Christiani Balthasari Kuhnij, Impensis Gottlieb Goebelij, 1667, p. 30.

3 L’appellation de morbus gallicus, « mal français », persiste de manière indépendante, bien que la transmission par voie sexuelle commence à être admise dès les premières décennies du xvisiècle, ainsi que les origines américaines de la maladie. Parmi les premières sources à souligner la transmission vénérienne, voir Jacques de Béthencourt, Nova penitentialis quadragesima, necnon purgatorium in morbum gallicum sive venereum, una cum Dialogo aquae argenti, ac Ligni Gaiaci colluctanctium…, impressum Parisiis, typis Nicolai Savetier, 1527.

4 Gaspar Torrella, Tractatus cum consiliis contra pudendagram seu morbum gallicum, Romae, per magistrum Petrum de Laturre, 1497.

5 Sur Gaspar Torrella, voir les travaux de Jon Arrizabalaga : « El Consilium de Modorrilla (Roma y Salamanca, 1505) : una aportación nosográfica de Gaspar Torrella », Dynamis, 5-6, 1985-1986, p. 59-94 ; « De morbo gallico cum aliis : another incunabular edition of Gaspar Torrella’s Tractatus cum consiliis contra pudendagram seu morbum gallicum (1497) », La Bibliofilía, 89 (2), 1987, p. 145-157 ; « Medicina universitaria y morbus gallicus en la Italia de finales del siglo xv : el arquiatra pontificio Gaspar Torrella (c. 1542-c. 1520) », Asclepio, 40 (1), 1988, p. 3-38 ; « Práctica y teoría en la medicina universitaria de finales del siglo xv : el tratamiento del mal francés en la corte papal de Alejandro VI Borgia », Arbor. Ciencia, pensamiento y cultura, 604-605, 1996, p. 127-160. Voir également Concetta Pennuto, « Confiance et espoir de guérison : Gaspar Torrella, médecin de la pudendagra », Histoire, médecine et santé, 9, 2016, p. 91-108.

6 Gaspar Torrella, Tractatus de pudendagra seu morbo gallico cum aliis, Romae, Johannes Besicken, 1498.

7 Gaspar Torrella, Dialogus de dolore cum tractatu de ulceribus in pudendagra evenire solitis, Romae, per Joannem Besicken et Martinum de Amsterdam, 1500.

8 Ibid., f. a2 r. : « Istis de causis duos tractatus contra duo seva accidentia hunc morbum concomitantia, qui pro vera et completa pudendagre cura necessarii quam maxime iudicio meo erant nuper compilavi, et sic omnes uno volumine imprimendos fore opere precum duxi. »

9 Ibid., f. e7 r. : « Quequidem non modo doctos vel empericos cyrurgicos trepidare faciunt verum etiam infirmos quam maxime cruciantur. »

10 Gaspar Torrella, Tractatus cum consiliis…, op. cit., f. b4 v. : « Et licet in omni pudendagra, ut dixi, sit dolor, verum tamen in sanguinea dolor est suavis, in flegmatica non est multum intensus, non tamen est cum suavitate, et in colerica est cum acuitate et punctione, et in melancolica dolor non est multum intensus et sentitur magis in profundo. »

11 Concernant la douleur dans le Canon d’Avicenne, voir : Avicenna, Liber Canonis…, Venetiis, apud Iuntas, 1555, lib. 1, fen. 2, doct. 2, sum. 2, cap. 20-26, f. 41 v.-42 r.

12 Ibid., f. 41 v. : « La cause de la douleur prurigineuse est une humeur aiguë ou salée. » Concernant Torrella, voir ci-dessous.

13 Gaspar Torrella, Dialogus de dolore…, op. cit., f. e5 v.

14 Luigi Luigini, De morbo gallico omnia quae extant apud omnes medicos cuiuscunque nationis…, tomus prior, Venetiis, apud Iordanum Zilettum 1566, p. 421-476.

15 Luigi Luigini, Herman Boerhaave, Aphrodisiacus, sive de lue venerea, in duos tomos bipartitus…, tomus primus, Lugduni Batavorum, apud Johan Arnold Langerak et Johan & Herm Verbeek, 1728, col. 491-554. En 1789, Christian Gottfried Gruner (1744-1815) publie un troisième tome de l’Aphrodisiacus avec des textes médicaux et historiques sur le mal vénérien qui n’étaient pas présents dans la collection de Luigini et Boerhaave : Aphrodisiacus sive de lue venerea in duas partes divisus quarum altera continet eius vestigia in veterum auctorum monimentis obvia, altera quos Aloysius Luisinus temere omisit scriptores et medicos et historicos…, tomus tertius, Ienae, apud Chr. Henr. Cunonis Heredes, 1789.

16 La traduction des adjectifs caractérisant les types de douleur reste la plus fidèle possible à l’original, en essayant aussi de les rendre compréhensibles pour un public moderne. Nous souhaitons remercier Raphaële Andrault et Ariane Bayle pour leurs suggestions et conseils.

17 Voir Galenus, De locis affectis, dans Id., Opera omnia, editionem curavit D. Carolus Gottlob Kühn, tomus VIII, Lipsiae, Prostat in officina libraria Car. Cnoblochii, 1824, II, 8, p. 90-110.

18 Nous traduisons lacerti par « muscles des bras et des jambes » sur la base de la notice du terme « Lacertus » dans Robert Estienne, Dictionnarium Latinogallicum…, Lutetiae, apud Iacobum Dupuys, 1570, p. 741.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jon Arrizabalaga et Concetta Pennuto, « La douleur dans la grosse vérole ou mal français, Gaspar Torrella, 1497-1500 »Histoire, médecine et santé, 21 | 2022, 135-143.

Référence électronique

Jon Arrizabalaga et Concetta Pennuto, « La douleur dans la grosse vérole ou mal français, Gaspar Torrella, 1497-1500 »Histoire, médecine et santé [En ligne], 21 | printemps 2022, mis en ligne le 17 août 2022, consulté le 20 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hms/5844 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/hms.5844

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Auteurs

Jon Arrizabalaga

Institución Milà i Fontanals de Investigación en Humanidades (IMF), Consejo Superior de Investigaciones Científicas (CSIC), Barcelona

Concetta Pennuto

Centre d’études supérieures de la Renaissance (UMR 7323), Université de Tours

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